Guntis
Ulmanis
Président de la Lettonie
Discours prononcé devant l'Assemblée
mardi, 24 septembre 1996
C’est un grand plaisir et un honneur pour moi de m’adresser à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avec lequel la Lettonie coopère très étroitement depuis qu’elle a retrouvé son indépendance, et c’est la raison pour laquelle j’attache une grande importance au dialogue que je souhaite engager avec vous aujourd’hui.
Après la fin de l’occupation soviétique et le retrait des troupes russes, la Lettonie a connu un développement très rapide dans tous les secteurs d’activité. Je crois qu’au cours des cinq dernières années nous avons fait du chemin, le même que celui que d’autres nations européennes ont mis des dizaines d’années à parcourir. Le rideau de fer a fait place à un régime démocratique, moderne et libre; une société civile remplace peu à peu la société de l’idéologie soviétique; les principes de l’économie de marché ont supplanté le protectionnisme soviétique; on salue aujourd’hui le talent d’hommes d’exception, plus que les réussites impersonnelles du collectivisme soviétique.
La Lettonie serait-elle prête pour l’avenir? Serait-il exagéré de répondre «oui»? Nous avons coutume de dire en Lettonie, lorsque nous posons la même question concernant notre capitale – Riga «est-elle prête?» – que si la réponse est affirmative, Riga va sombrer.
Etre prête pour l’Europe, c’est-à-dire être en conformité avec les critères de l’Europe contemporaine, cela signifie, pour la Lettonie, bien comprendre les problèmes et les défis essentiels de demain.
Pour décrire les destinées des nations européennes, on peut recourir à divers concepts. Par exemple, celui d’Etat-nation, notion polémique et ambivalente. Il n’est que de considérer l’histoire de notre continent pour constater que quasiment tous les pays d’Europe ont été créés par la nation-titre pour laquelle le pays en question est l’unique territoire dans le monde où ladite nation peut se préserver en tant que telle. La nation-titre joue un rôle déterminant dans la formation de l’identité du pays. D’autre part, un Etat-nation acquiert par son aptitude à durer une certaine ouverture et intègre les richesses culturelles et les idées d’autres nationalités.
Autre concept, la région culturelle. Dans l’Histoire, il est rare qu’un Etat-nation et une région culturelle aient couvert des territoires géographiquement identiques de sorte que, souvent, les deux concepts ont paru s’opposer. Le lien qui unit ces concepts est le besoin constant d’intégrer ce qui est toujours initialement «étranger» et dont nous voulons seulement nous distancier. Dans le même temps, nous connaissons toutefois tous les critères qui servent à déterminer ce qui doit être accepté et ce qui doit être rejeté.
Strasbourg se trouve en Alsace, l’une des régions culturelles d’Europe. Au fil de l’Histoire, un certain nombre de strates culturelles et linguistiques se sont formées ici. Il n’est que de considérer l’environnement culturel et la vie contemporaine de Strasbourg pour arriver rapidement à la conclusion que la création de cette ville merveilleuse procède de la fusion des idées et des efforts de peuples multiples et différents.
Toute roche a sa veine, l’Europe a son joyau. Et c’est précisément la raison pour laquelle Strasbourg a été choisie comme siège du Conseil de l’Europe et du Parlement de l’Union européenne. Strasbourg est réellement l’une des «capitales» de l’Europe. L’expérience de Strasbourg suffit-elle à conclure que l’Europe est prête pour l’avenir?
La Lettonie a de multiples liens avec le siège du Conseil de l’Europe. Il y a presque deux siècles et demi, le philosophe allemand Herder vint à Strasbourg. Or, il venait de passer cinq ans à Riga et il s’intéressait depuis fort longtemps aux notions de patrimoine culturel des nations européennes et à la préservation de leur identité. Les années passées dans la région balte lui prouvèrent que l’Europe est plus que la culture des grandes nations. Le philosophe s’intéressait tout particulièrement aux idées et aux conceptions des petites nations, que l’on oublie souvent et qui contribuent pourtant à achever – et à parfaire – la mosaïque européenne. L’espace balte était à l’époque de Herder – et le reste aujourd’hui – une région culturelle dotée d’une identité européenne.
Sachant que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est un forum où l’on débat ouvertement et librement, j’ai décidé d’aborder avec vous la question dans le contexte de laquelle s’envisage l’avenir de tous les Etats-nations européens. Cette question est celle de notre sécurité nationale et je tiens à souligner tout particulièrement que le préalable de la sécurité nationale est une société unie et intégrée.
En conséquence, je crois que la sécurité et la viabilité de l’Etat-nation européen dépendent directement de la mesure dans laquelle nous sommes aptes et résolus à intégrer ce qui est «étranger». Pour moi, le terme «étranger» s’entend d’idées, de valeurs et d’opinions venues d’ailleurs, et des hommes venus d’autres pays. Le modèle de l’Etat européen procède de notre aptitude à déterminer la différence entre ce qui peut – voire ce qui doit – être intégré sans saper l’identité de l’Etat, et ce qui pourrait la mettre en péril.
En considérant des Etats de différentes régions d’Europe, il est facile de voir la mesure dans laquelle cet enjeu détermine l’avenir, la paix et la prospérité de tout le continent.
Tout ce qui est «étranger» doit-il être intégré? Se pourrait-il que l’Europe fût prête pour l’avenir?
Quels sont les critères qui nous permettent de distinguer, sans erreur, l’acceptable de l’inacceptable?
Quand je songe à l’avenir de l’Europe, mes connaissances sur l’identité du peuple letton me sont précieuses. Quand je songe à l’avenir de l’Europe, mes connaissances sur l’environnement rural traditionnel des Lettons me sont également précieuses.
Dans tous les pays d’Europe, l’environnement culturel et la patrie qui sont les nôtres depuis des siècles et qui correspondent à la mentalité de notre nation revêtent une importance fondamentale, si l’on veut que les nations préservent chacune singularité et résistent à l’uniformisation due aux pressions de ce que l’on appelle la «mondialisation». La mondialisation et la petite Lettonie d’un million et demi d’habitants – peut-on juxtaposer ces deux idées? Même dans les grands Etats européens, des voix s’élèvent aujourd’hui pour dénoncer l’influence néfaste – dévalorisante – de la mondialisation.
Le peuple letton doit être véritablement uni, s’il ne veut pas être rayé de la carte de l’Europe et disparaître. Les cinquante années d’occupation ont hélas porté leurs fruits et les conséquences sont extrêmement visibles: y a-t-il, en Europe, beaucoup de pays dont les natifs ne forment qu’à peine la moitié de la population?
Dans une telle situation, serait-il très surprenant que la population native ne soit mue que par la quêté de sa propre identité et rejette tout ce qui est étranger? Et, pourtant, comme auparavant, nous redécouvrons et nous reconnaissons les valeurs sur lesquelles doit s’appuyer l’intégration. La Lettonie y voit une tâche essentielle, elle peut se retourner sur son passé et en tirer les enseignements. Tout au long de son histoire, la Lettonie a représenté un large éventail d’idées, de langues, d’opinions, de croyances et de conceptions. Cette diversité s’enracine dans les premières années de ce millénaire et s’est exprimée dès cette époque.
La période récente, celle de la restauration de l’indépendance de la Lettonie, a été marquée par une exaltation du sentiment national. Les dirigeants politiques et les médias de nombreux Etats européens ont cru alors qu’il se produirait dans tout le pays des troubles et des conflits, en raison des antagonismes ethniques et d’un fort nationalisme. Toutefois, toutes ces années durant, même le plus attentif des lecteurs n’aura pu trouver la moindre relation des conflits prédits à la Lettonie, pour la simple raison qu’ils ne se sont jamais produits.
De l’époque soviétique, la Lettonie a hérité de problèmes complexes, et non résolus à ce jour, dans le domaine des relations ethniques, des problèmes que l’on niait à cette époque. Le peuple letton a compris quelle était sa responsabilité à l’égard de l’évolution pacifique de la Lettonie, dès l’instant où le pays retrouva son indépendance, au début des années 90. Cela s’est traduit par un climat de confiance et de tolérance mutuelles créé aussi bien par la population indigène que par les autres nationalités. Au cours des dernières années, nous avons développé un vaste dialogue social, politique et ethnique. Je crois que l’une des réalisations les plus importantes, depuis que nous avons retrouvé notre indépendance, c’est l’idée largement partagée par la population de l’identité européenne de notre pays. C’est pour moi la preuve que la Lettonie est l’histoire d’une belle réussite dans le processus de transition qui s’opère en Europe centrale et orientale. Notre expérience positive dans le processus d’intégration sociale pourrait intéresser d’autres pays. Elle contient en substance des éléments du futur modèle d’Etat européen.
L’harmonie nationale, politique et sociale, c’est là la voie que nous suivons pacifiquement et obstinément, sans jamais perdre de vue nos repères.
L’Etat-nation, une société multiculturelle et les droits de l’homme: voilà trois concepts clés qui servent de repère pour la Lettonie d’aujourd’hui; ce sont les valeurs sur lesquelles repose le processus d’intégration en Lettonie. L’émergence de ces valeurs dans la société lettonne est récente; elle date de l’effondrement de l’Union Soviétique et du retour à l’indépendance. Quelques années seulement se sont écoulées depuis cet événement et, pourtant, il existe en Lettonie une conscience très vive des droits de l’homme et des droits des minorités nationales. Il n’est que de voir la manière dont la Lettonie respecte des principes et des normes dont certains Etats européens n’ont pas encore amorcé la mise en œuvre.
En Lettonie, ces principes et ces normes s’inscrivent dans le Programme national pour la protection et la promotion des droits de l’homme. Ce programme, dont la pierre angulaire est une institution indépendante – le Bureau letton pour les droits de l’homme – a été élaboré conformément aux recommandations de la Conférence de Vienne sur les droits de l’homme. Le bureau a essentiellement pour tâche d’examiner les plaintes individuelles de violations des droits de l’homme, d’informer la population sur diverses questions liées aux droits de l’homme et de soumettre au parlement (Saeima) et au gouvernement des recommandations sur des amendements à la législation lettone en matière de droits de l’homme.
L’un des droits de l’homme fondamentaux est le droit à l’éducation. A l’époque soviétique, l’enseignement scolaire était dispensé dans deux langues; aujourd’hui, dans le système d’éducation financé par l’Etat, l’enseignement peut se faire en letton, en russe, en polonais, en hébreu, en ukrainien, en estonien, en lituanien, en rom et en bélarussien.
Ce qui caractérise une société multiculturelle, c’est la possibilité qu’elle offre aux membres des minorités nationales d’avoir leurs propres émissions de radio et de télévision, d’éditer des journaux dans leurs langues respectives et de constituer des associations culturelles. En Lettonie, ces droits sont solidement institués (et largement exercés).
Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, la Lettonie a pris un certain nombre d’engagements au regard d’une convention capitale du Conseil de l’Europe – la Convention européenne des Droits de l’Homme. La Lettonie est déterminée à remplir ses engagements vis-à-vis du Conseil de l’Europe. On pense que le Saeima examinera avant la fin de l’année la question de la ratification de la Convention.
En prenant ainsi cet engagement, nous n’ignorons pas que la peine de mort est une question qui est sur la sellette. L’opinion publique lettone n’est pas encore tout à fait prête à accepter l’abolition de la peine de mort. Le Parlement letton se saisira de cette question très prochainement. Je puis vous assurer qu’en attendant que le Saeima se prononce sur ce point je ne refuserai aucune demande de grâce. Je proclame donc ici un moratoire présidentiel concernant la peine capitale.
Dans tout Etat européen, l’intégration sociale concerne également les relations entre la population autochtone et les autres communautés ethniques. Des relations harmonieuses entre les divers groupes ethniques qui composent un Etat sont un élément typique et important de l’intégration sociale.
J’ai mis sur pied un groupe consultatif spécial, afin de promouvoir un dialogue entre les groupes nationaux dans notre pays. Ce groupe consultatif inclut des représentants des diverses communautés nationales. Le Conseil consultatif sur les nationalités s’emploie à trouver une sorte de «liant» qu’on pourrait utiliser dans le processus d’intégration sociale.
Dans ce contexte, la formation à l’apprentissage de la langue lettone est une priorité. C’est pourquoi le Gouvernement letton a accepté, et commencera à mettre en œuvre très prochainement, le Programme national pour la maîtrise de la langue lettone, programme qui donnera à tous les résidents non lettonophones la possibilité d’apprendre la langue. Cette initiative devrait faciliter le développement, en Lettonie, d’une société unie et animée d’un sens civique. Elle devrait renforcer, chez les gens, le sentiment d’appartenir à l’Etat letton et d’être associés à son destin futur. Ce sentiment, qui joue à la fois sur l’affectivité et la raison, devrait également contribuer à faire de la Lettonie un Etat-nation stable.
Il y a encore des pays – y compris des pays voisins du nôtre – qui reprochent à la Lettonie de mettre en œuvre des politiques autorisant des violations des droits de l’homme. Les membres de la commission des questions politiques de l’Assemblée parlementaire se sont récemment rendus en Lettonie, et ils ont pu se faire une idée de notre vie quotidienne. Ils ont pu constater que le système politique dans notre pays garantit les droits et libertés fondamentaux de chacun. A cet égard, la Lettonie n’a rien à cacher; nous sommes prêts à répondre à toute question concernant la situation des droits de l’homme dans notre pays.
La notion d’identité occupe une place permanente dans notre réflexion au sujet d’une Europe unie. Chaque nation attache à cette notion une signification différente. Cette conception subjective est liée à des facteurs historiques déterminants; elle reflète également dans une grande mesure le libre arbitre de chaque nation, forgé au fil des décennies et des siècles.
L’Europe dispose de nombreux critères permettant de fonder l’identité d’une nation. Ceux que je voudrais évoquer ici sont la langue, le lieu de naissance et la région dont une personne est originaire. L’important est d’avoir conscience de sa patrie, et d’y être attaché: c’est ainsi que s’établit le lien sentimental et rationnel qui relie une personne au territoire sur lequel elle vit. La mémoire et la conscience historique sont des concepts fondamentaux pour chaque Européen.
Dans le cas de la Lettonie, le problème est aussi lié à un demi-siècle d’occupation soviétique. Nous avons surmonté cette période sur le plan psychologique, et notre société s’est dotée d’un système de valeurs différent. Nous n’oublierons jamais cette page de notre histoire, car c’est notre mémoire historique qui forme les différentes facettes de notre identité.
Nous n’avons pas en nous de désir de vengeance, car nous savons distinguer les gens ordinaires de ceux qui ont proclamé et instauré l’idéologie criminelle. Nous ne confondons pas non plus idéologie et nationalité.
Je ne m’exprime pas seulement ici à titre de Président de la Lettonie, mais également à titre personnel. Permettez-moi de dire quelques mots de ma propre expérience. Ma vie est en effet jalonnée d’étapes qui reflètent la destinée du peuple letton. Lorsque la Lettonie a été intégrée dans l’empire soviétique, ma famille a fait, comme de nombreuses autres, la cruelle expérience de la déportation en Sibérie au nom d’une idéologie.
A mon retour en Lettonie, après ces années passées en Sibérie, j’avais déjà conscience du tort que l’idéologie communiste avait causé à beaucoup de nations, y compris à la nation russe. Mais, bien que cette humiliation demeure au plus profond de nous-mêmes, notre sentiment face à ce douloureux passé ne peut être appelé de la haine. De tels sentiments sont incompatibles avec le désir de bâtir un avenir commun.
J’irai même jusqu’à dire que j’ai pitié de ces gens qui ont voulu s’élever plus haut que les autres au nom d’une idéologie, qui ont totalement rejeté les autres idées et fait taire les voix qui n’étaient pas à l’unisson. Je ne parle pas ici du peuple, qui pourtant a fait partie intégrante de ce mécanisme de destruction, car on ne peut pas dire, à mon sens, qu’il ne savait pas ce qu’il faisait.
J’aimerais pouvoir me rendre, dans un proche avenir, dans ces régions orientales de la Russie que l’histoire politique retiendra sous le nom de Sibérie. Je voudrais faire ce voyage pour plusieurs raisons. Je veux tout d’abord m’incliner sur la mémoire des Lettons qui ont été déportés là-bas et sont morts en exil. Je veux aussi me souvenir avec gratitude des gens ordinaires qui nous ont aidés, ma famille et moi, à survivre. Je veux ensuite regarder cette rude région de la Russie où beaucoup de Lettons vivent encore aujourd’hui, et qui est devenue le lieu où ils résideront toujours. Il fut un temps où les Lettons étaient de véritables étrangers en Sibérie; je voudrais parvenir à comprendre un peu leur nouvelle vision de l’existence. Je veux enfin tenter de savoir quel regard jette aujourd’hui sur le monde le peuple de Russie, dont le pays considère désormais la Lettonie comme un Etat voisin.
Parler d’Europe, c’est évoquer les notions de territoire, d’esprit et de valeurs morales. La dimension prépondérante à cet égard est généralement celle de l’espace, bien qu’à mes yeux la dimension spirituelle le soit encore davantage.
L’Europe considérée dans sa dimension spatiale restera probablement dans les souvenirs comme un ensemble de territoires qui furent divisés de force, entraînés dans la guerre ou détruits. La seconde guerre mondiale a contraint ce continent à rompre avec sa tradition de violence, qui n’avait laissé partout qu’amertume, humiliation et ressentiment. Ces sédiments de l’Histoire n’ont fait qu’empêcher ou limiter l’instauration d’un climat de compréhension mutuelle entre pays et nations, comme en témoignent les conflits’ qui couvent encore dans certaines régions d’Europe. Mais ils ne constituaient pas l’aboutissement de ce processus historique qui a si profondément modifié la notion de «territoire» en Europe.
Le Conseil de l’Europe ne l’a-t-il d’ailleurs pas prouvé par ses activités? Ce que la Société des nations n’a pas réussi à accomplir avant la seconde guerre mondiale, les pays et les nations d’Europe sont parvenus à le mettre en œuvre après la guerre. Le Conseil de l’Europe a joué un rôle décisif dans ce processus. L’un de ses buts est d’assurer une certaine harmonie et de favoriser l’instauration d’une paix durable. On peut atteindre ce but en gardant à l’esprit des valeurs comme le pardon, le respect et la moralité.
Il est sans doute très important de s’accorder un pardon réciproque et d’accepter l’Histoire; c’est notamment un moyen de se placer au-dessus des injustices historiques.
La moralité contre le cynisme, les principes éthiques contre la realpolitik? Ce combat n’est-il pas dépassé, voire oublié aujourd’hui? La moralité peut- elle être désormais pragmatique, dès lors que l’ensemble de la civilisation occidentale insiste sur le fait que le pragmatisme est l’une de ses caractéristiques?
Plus nous approcherons de l’harmonie intérieure, face à notre passé, à nos voisins, mieux nous parviendrons à maîtriser nos ressentiments ancrés dans le passé, et plus nous serons en mesure de bâtir une Europe unie et promise à un long avenir.
La Lettonie est prête à faire partie d’une Europe unie. Nous présentons l’avantage de ne créer aucun conflit en Europe. Bien au contraire, la Lettonie peut donner l’exemple d’un Etat-nation solidement établi, qui accorde un rôle prépondérant à sa société pluriculturelle et aux droits de l’homme. Je crois que tous ceux qui ont observé le développement pacifique de la Lettonie, y compris les membres de cette Assemblée, partageront cette opinion.
Mesdames et Messieurs, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est traditionnellement considérée comme la conscience de l’Europe. Certains de ses membres ont tenté, dans ce forum, de poser et de se poser des questions essentielles que beaucoup jugeaient «gênantes». Les réponses à ces questions ont permis de rapprocher des points de vue que l’on croyait auparavant inconciliables, d’instaurer l’harmonie et le respect mutuel. Les peuples et les opinions publiques, qui autrefois s’ignoraient, ont trouvé la voie de la compréhension et s’engagent dans un avenir libre de toute confrontation.
C’est pour cette raison que le Conseil de l’Europe doit conserver son rôle d’institution centrale dans la construction de la future Europe. Son engagement sera peut-être primordial lorsqu’il faudra relever les défis de demain. En tentant de résoudre les problèmes d’intégration, le Conseil cherche en même temps à trouver la réponse à une autre question: l’Europe est-elle prête pour l’avenir?
Je vous remercie. (Applaudissements)
LA PRÉSIDENTE (traduction)
Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre discours fort intéressant et fort émouvant. Certains parlementaires ont exprimé le souhait de vous poser des questions. Je leur rappelle qu’ils disposent, pour ce faire, d’un maximum de trente secondes. Je leur demanderai de poser des questions et non de faire un discours. Afin de permettre au plus grand nombre de parlementaires de poser leur question, je propose de ne pas autoriser de questions supplémentaires. La parole est à Mme Ojuland.
Mme OJULAND (Estonie) (traduction)
Une étroite coopération s’est instaurée entre les Etats baltes depuis qu’ils ont recouvré leur indépendance en 1991. A cet égard, Monsieur le Président, j’aimerais savoir quelles sont les réalisations les plus importantes et quelles sont les perspectives pour l’avenir.
M. Ulmanis, Président de la Lettonie (interprétation)
répond que les trois Etats baltes constituent une unité géographique et politique indéniable. Ils sont considérés comme formant une seule et même entité. La coopération entre eux a permis jusqu’ici de déboucher sur un accord de libre-échange et un accord sur la défense et la politique étrangère communes. A l’avenir, les frontières communes et les perspectives économiques feront partie des questions abordées.
M. GLOTOV (Russie) (interprétation)
relève que M. Ulmanis est, du fait de ses fonctions, le garant du respect de la Constitution. Or, un certain nombre d’ONG critiquent la distinction qui est faite en Lettonie entre les citoyens et les non-citoyens. Il demande quand la législation sera mise aux normes du Conseil de l’Europe et souligne les conséquences du statut actuel pour les 500 000 personnes considérées comme non-citoyens.
M. Ulmanis, Président de la Lettonie (interprétation)
serait heureux d’accueillir M. Glotov en Lettonie, où il pourrait constater que ce qu’il dit n’est pas vrai. Le gouvernement fait tout son possible pour que tous les citoyens se sentent à l’aise dans leur pays et pour que la législation soit parfaitement conforme aux normes européennes. Il existe en outre un Conseil des nationalités chargé d’examiner les ultimes problèmes que pourrait poser la législation en vigueur.
M. SOLÉ TURA (Espagne) (interprétation)
demande si l’enseignement du letton concerne tous ceux qui sont en âge d’être scolarisés ou tous les citoyens, quel que soit leur âge.
M. Ulmanis, Président de la Lettonie (interprétation)
ne saisit pas la portée de la question. S’agit-il de savoir si l’enseignement du letton est obligatoire? Il souligne que des cours sont proposés pour ceux, jeunes ou adultes, qui veulent s’intégrer à la société.
Mme OLEINIK (Russie) (interprétation)
s’interroge sur le pragmatisme dont s’est réclamé M. Ulmanis, au moment où le Parlement letton vient d’adopter une déclaration sur la période de l’occupation qui est une insulte au peuple russe et ne peut que porter atteinte à la réputation de la Lettonie.
M. Ulmanis, Président de la Lettonie (interprétation)
souligne que la déclaration n’a jamais visé ceux qui ont lutté contre le fascisme. Pour le reste, le Saeima a le droit d’adopter les déclarations qu’il veut sur l’occupation et les relations entre la Lettonie et la Russie. Il se peut que cette déclaration particulière ait créé à un moment un certain malentendu, mais, de son côté, la Douma russe a adopté des documents qui pouvaient aussi nourrir des malentendus. L’essentiel est de préserver des relations de bon voisinage.
M. FILIMONOV (Russie) (interprétation)
rappelle que l’université de Moscou a proposé d’établir une antenne à Riga pour dispenser un enseignement supérieur aux russophones. Le Gouvernement letton a refusé cette implantation et a fermé deux écoles. Pourquoi limite-t-il les possibilités d’enseignement supérieur pour les russophones?
M. Ulmanis, Président de la Lettonie (interprétation)
répond qu’il existe un enseignement secondaire en russe financé par l’Etat. Quant à la proposition qui vient d’être évoquée, elle est assez ancienne et prouve que les deux pays ont des choses à examiner ensemble.
M. ABOUT (France)
Monsieur le Président, 34 % de votre population est russophone. Aujourd’hui Lettonie et Russie sont au Conseil de l’Europe et votre pays est confronté au délicat dossier du respect des minorités et de leur citoyenneté.
Quel programme d’intégration politique et culturel entendez-vous mettre en place pour assurer au tiers de votre population les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’aux autres Lettons?
M. Ulmanis, Président de la Lettonie (interprétation)
admet que la question des russophones se pose, comme celle de ceux qui parlent une autre langue que le letton. L’intégration de ces personnes dans la société fait actuellement l’objet d’un débat. Elle pourra sans doute se faire un jour, mais le problème essentiel demeure celui de la langue et des différences culturelles. Cela dit, 70 % des non-ressortissants sont prêts à prendre la citoyenneté lettone.
M. LORENZI (Italie) (traduction)
Monsieur le Président, je vous remercie de votre intervention que j’ai trouvée très intéressante; toutefois, je crois que votre adhésion au concept d’Etat-nation est trop entière, à une époque où un tel modèle, au niveau mondial, est remis en question.
Personnellement, j’estime que la Lettonie se présente à l’Europe dotée des caractéristiques d’un Etat- région plutôt que d’un Etat-nation, précisément pour des raisons liées à sa dimension, et peut-être aussi du fait de sa population, du contexte et de la comparaison avec les autres pays européens.
Par conséquent, ma question est tout simplement la suivante: comptez-vous vous présenter à l’Europe comme un Etat-nation, c’est-à-dire en insistant pour que l’on vous considère comme tel, ou n’envisagez- vous pas plutôt de vous présenter à l’Europe, par exemple, dans le cadre d’une fédération des Etats baltes?
M. Ulmanis, Président de la Lettonie (interprétation)
fait observer que ce point a été au cœur de l’intervention qu’il vient de faire. Nombre de pays européens ne se considèrent pas comme des Etats-nations. Il est certain qu’il existe un débat sur la validité de cette notion aujourd’hui, à l’heure de l’intégration européenne, ce qu’a souligné le Président de la République d’Allemagne, M. Herzog. Mais si l’Allemagne constitue une fédération, les pays Baltes ne forment pas encore un tel ensemble fédéral, qui devrait intégrer les autres pays riverains de la Baltique.
LA PRÉSIDENTE (traduction)
Cela met fin aux questions des parlementaires. Au nom de l’Assemblée, je tiens à remercier chaleureusement M. Ulmanis pour son discours et pour les réponses qu’il a bien voulu apporter aux questions des parlementaires. Je tiens également à le remercier pour son engagement personnel en faveur de l’Europe et pour les progrès accomplis dans son pays. Nous souhaitons que la coopération entre le Conseil de l’Europe et la Lettonie devienne plus étroite encore à l’avenir.