Georges

Vassiliou

Président de la République de Chypre

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 31 janvier 1990

Monsieur le Président, Madame le Secrétaire Général, Messieurs, Mesdames les parlementaires, Mesdames, Messieurs, permettez-moi tout d’abord d’exprimer mes sincères remerciements au Président de l’Assemblée pour son invitation à prendre la parole en ce lieu aujourd’hui. S’adresser à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – le premier parlement international du monde – dans cette capitale parlementaire européenne qu’est Strasbourg, est un honneur pour mon pays comme pour moi-même.

Les liens entre Chypre et le Conseil de l’Europe sont étroits et anciens. Chypre a adhéré au Conseil de l’Europe en mai 1961, six mois tout juste après la déclaration d’indépendance de 1960, qui mettait fin à plusieurs siècles de domination de l’île par des puissances étrangères. De par son riche patrimoine culturel et historique, essentiellement enraciné dans un hellénisme classique et enrichi encore par toutes sortes d’autres influences, Chypre fait partie intégrante de l’Europe dont elle est l’avant-poste en Méditerranée et le relais naturel vers le Proche-Orient. N’ayant ni tradition ni expérience en matière de gouvernement indépendant, la jeune république s’est, fort logiquement, beaucoup appuyée sur le Conseil de l’Europe, comme sur un conseiller et un guide, en particulier pour élaborer le cadre juridique dans lequel fonctionneraient les nouvelles institutions de l’Etat. Après 1974, en particulier, le Conseil a joué un rôle notable dans la survie économique de la République de Chypre, grâce à l’assistance apportée par le Fonds de développement social.

Dans le domaine tellement important des idées, on peut faire remonter à plusieurs siècles les liens entre Chypre et le Conseil de l’Europe, à travers l’ensemble des principes et des idéaux humanistes que le Conseil a pour mission de défendre et de promouvoir. Le stoïcien Zénon, l’un des philosophes de l’Antiquité classique dont la doctrine est la plus directement associée à l’origine du code des droits de l’homme que le Conseil défend, était un natif de Kition, à Chypre.

Je dois ajouter que, tandis que je prononce ce discours, je suis un peu gêné à l’idée que les penseurs grecs qui, avec hardiesse et imagination, ont exploré les domaines des valeurs spirituelles et de la nature physique, et jeté ainsi les fondations de la pensée philosophique et scientifique de l’Europe moderne, n’avaient que dédain pour le discours écrit et ses dérivés, par exemple, le discours préparé des hommes politiques. En tant qu’instrument de présentation des idées, l’argumentation écrite leur paraissait bien inférieure à l’improvisation orale. Ce point de vue est d’ailleurs exposé avec beaucoup de mordant et d’éloquence par Platon, dans ses dialogues.

J’espère qu’aujourd’hui vous en jugerez avec davantage de bienveillance que Platon. Mais ce grand philosophe avait raison de souligner que, alors que la parole peut évoluer librement et s’adapter aux circonstances, le mot écrit est figé, qu’il n’est qu’un substitut artificiel de la pensée vivante. Ce point de vue dérivait lui-même de cette conviction fondamentale qu’avaient les Grecs qu’il n’était nul besoin de fixer les lois par écrit, qu’elles fussent du domaine de la justice, de la morale, ou de la religion. Elles représentaient, pensait-on, non pas une contrainte à imposer de l’extérieur, mais une force libératrice surgissant d’elle-même du moi véritable et rationnel de l’homme. Ce n’est pas une coïncidence si les lois et les constitutions des premiers Etats grecs n’étaient pas écrites et si, le plus souvent, elles n’ont été codifiées par écrit que quand se sont amorcés la décadence et le déclin de la vie civique.

Dans le siècle où nous vivons, les ravages de guerres mondiales ont pratiquement détruit toute foi dans l’idéal d’un monde pacifique, juste et ordonné qui serait une création spontanée de la nature humaine. Désemparée par la destruction sociale et économique causée par la seconde guerre mondiale, l’humanité a éprouvé le besoin pressant de réitérer les codes de comportement écrits, de régler les relations entre les nations et de sauvegarder les droits de l’individu, si grièvement bafoués. Elle a également ressenti la nécessité d’organes collectifs pour promouvoir l’adhésion à ces codes.

Le Conseil de l’Europe, qui a été la première Organisation politique intergouvemementale à voir le jour après la seconde guerre mondiale, s’est créé pour répondre à ce besoin. Son principal objectif était de favoriser l’unité de nations européennes en conflit, sur la base de cet ensemble d’idéaux communs qui constitue l’essence de l’identité européenne. Parmi ces idéaux se détachent ceux de liberté, d’égalité et de dignité de la personne humaine, et les valeurs de la démocratie pluraliste.

Comme l’a si bien dit le Président Mitterrand, dans le discours qu’il a prononcé devant cette Assemblée en mai dernier:

«L’identité de l’Europe, ce qui donne à notre civilisation sa portée dans le monde, repose sur les valeurs à partir desquelles le Conseil de l’Europe a fondé son action... les libertés, toutes les libertés; les droits de l’homme, tous les droits de l’homme.»

Nous avons eu l’an dernier la fierté de nous joindre à la France pour rendre hommage à ces valeurs, lors de la célébration du bicentenaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Rien ne saurait mieux mettre en évidence le patrimoine humaniste commun de l’Europe que les changements politiques stupéfiants auxquels nous assistons actuellement. Si dramatiques qu’ils soient, ces changements tiennent aux principes humanistes qui caractérisent la culture et l’éducation européennes, ils en sont la conséquence naturelle. Unies par les idéaux communs des droits de l’homme et de la démocratie, les nations européennes progressent vers l’unité sous le toit unique de la maison commune européenne dans laquelle tous peuvent vivre dans la paix, le respect d’autrui et la prospérité.

Bien que ces événements aient pour épicentre l’Europe continentale, ils revêtent une importance capitale pour l’humanité tout entière. Non seulement toutes les grandes guerres du passé ont pris naissance en Europe, mais la division du continent qui a suivi la seconde guerre mondiale a abouti à deux conceptions radicalement différentes de tous les problèmes – politiques, économiques, culturels ou humanitaires. Ce qui est le plus important c’est que le démantèlement des barrières comme le mur de Berlin et la mise en route du processus de réforme démocratique dans une série de pays européens – réforme pacifique dans tous les pays à l’exception de la Roumanie – ont démontré que, même dans la situation de conflit apparemment la plus rigide, il ne faut jamais abandonner l’espoir d’un rapprochement et d’une amélioration. Ce message revêt une importance particulière et constitue une raison d’espérer pour Chypre et son peuple, enfermés depuis une décennie et demie dans une situation de confrontation et de division imposées.

Toutefois, l’évolution de la situation a également son côté sombre. Il s’agit de la résurgence du nationalisme, force qui, à d’autres époques et dans d’autres situations, a joué un rôle constructif dans la consolidation et la sauvegarde des droits des nations et des peuples, mais qui aujourd’hui a pris l’aspect destructif du chauvinisme. Nous autres, à Chypre, sommes particulièrement sensibles à cette évolution, car nous avons payé le prix du chauvinisme et nous savons combien ce prix est élevé. Il est impératif que nous comprenions tous que le nationalisme chauvin n’est pas le patriotisme et que rien de bon ne peut sortir de la recherche de la prospérité et du progrès d’un groupe ethnique au détriment d’un autre.

Le nationalisme extrême de ce genre peut être exacerbé par d’autres problèmes qui accompagnent la phase transitoire de reconstruction, en particulier les problèmes économiques. Comme l’a confirmé le Sommet de Malte des superpuissances, la guerre froide est terminée. Un effort conscient est toutefois nécessaire, si l’on ne veut pas que lui succède une guerre chaude dont les conséquences ramèneraient l’Europe non pas des années, mais des siècles en arrière. Je suis convaincu que l’on peut espérer que nous échapperons aux scénarios de catastrophe prédits par les «Cassandre» politiques. Une grande source d’espoir vient de l’initiative visant à créer une banque européenne pour financer la reconstruction de l’Europe de l’Est. Cependant, la solution ne réside pas dans la seule aide budgétaire; le secteur privé doit compléter cette assistance par des investissements directs, par des entreprises conjointes en particulier, car seule une coopération économique étroite à tous les niveaux peut cimenter les fondations de la maison commune européenne.

Outre l’examen des modalités de la coopération et de l’assistance dans le domaine économique, le dialogue est nécessaire pour envisager la coopération politique future.

Nous appuyons vigoureusement la proposition faite par M. Mikhaïl Gorbatchev, Président de l’Union Soviétique, dont la métaphore visionnaire de la maison commune européenne devient maintenant une perspective réaliste, de réunir une deuxième conférence d’Helsinki et nous espérons que cette conférence pourra avoir lieu le plus tôt possible.

Le Conseil de l’Europe, du fait de l’étendue de son aire géographique, qui englobe la Communauté européenne et l’Association européenne de libre-échange, les pays neutres et non alignés et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, pourrait également fournir une tribune extrêmement utile pour débattre des problèmes liés au processus de reconstruction politique et économique de l’Europe.

L’utilité du Conseil de l’Europe va même plus loin. Pour poursuivre la métaphore de la maison commune européenne, pour construire un édifice, il faut non seulement des matériaux solides et des ouvriers compétents mais aussi des plans bien conçus. Il ne saurait y avoir de meilleur canevas pour ces plans que le cadre juridique élaboré par le Conseil de l’Europe au fil des années pour sauvegarder les idéaux européens élevés que sont la dignité de l’homme et la démocratie. Il ne fait pas de doute que l’aspect le plus important de l’œuvre du Conseil est le domaine des droits de l’homme. La Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et les mécanismes uniques que sont la Cour et la Commission européennes des Droits de l’Homme représentent des jalons importants sur la route qui mène à un monde plus juste. En outre, le Conseil a défriché un vaste terrain dans une multitude d’autres domaines – social, économique, de la santé, du travail, culturel, juridique et judiciaire, pour en citer seulement quelques-uns.

Chypre intervient activement dans le cadre des instances et des institutions européennes. Nous sommes membres depuis longtemps du Conseil de l’Europe; nous avons passé avec la Communauté européenne un accord d’union douanière qui constitue la relation la plus avancée entre un pays tiers et la CEE; nous sommes des membres actifs du groupe des pays neutres et non alignés, nous avons joué un rôle important dans les négociations de Vienne sur la sécurité et la coopération en Europe. Chypre participe ainsi, dans les limites de ses possibilités et de ses ressources, à l’effort de construction de la maison commune européenne.

Monsieur le Président, depuis les quinze dernières années, la République de Chypre et sa population souffrent d’une situation qui représente une grave violation du droit international ainsi que des codes et conventions existants sous l’angle du respect des droits de l’homme, notamment la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Cette situation résulte de l’invasion militaire en 1974 de la République de Chypre par la Turquie qui a utilisé pour prétexte le coup de la Junte grecque contre le Gouvernement de Chypre, ainsi que de la saisie par la force et de l’occupation d’environ 40 % du territoire de la République par les forces armées turques. La Turquie continue d’occuper ce territoire aujourd’hui.

Les communautés chypriote grecque et chypriote turque de l’île demeurent séparées par la force par une ligne de démarcation militaire pratiquement imperméable qui divise Chypre en deux parties. Les Chypriotes grecs qui ont été forcés de fuir leurs foyers et leurs biens en 1974 ne peuvent y retourner. Dans le secteur occupé, il y a eu un effort concerté pour modifier l’équilibre démographique, avec introduction sur une grande échelle de colons en provenance de Turquie. Les monuments culturels et religieux sont pillés et profanés.

La Turquie se refuse à retirer ses troupes de Chypre nonobstant les nombreuses résolutions des Nations Unies demandant le retrait des troupes étrangères de la République et la fin de l’ingérence étrangère dans ses affaires. De même, les décisions de la Commission européenne des Droits de l’Homme, devant laquelle Chypre a introduit un recours selon lequel la Turquie – membre fondateur du Conseil de l’Europe – a violé des articles fondamentaux de la Convention européenne des Droits de l’Homme à Chypre, sont restées lettres mortes.

A ce propos, j’aimerais dire combien nous avons apprécié les efforts de l’Assemblée qui a consacré énormément de temps à la question chypriote. Les résolutions de l’Assemblée ont préconisé, outre le retrait des troupes turques, la sauvegarde de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de Chypre et le retour des réfugiés dans leur foyer. Des missions d’enquête ont été menées sur les réfugiés et les disparus, et, plus récemment, sur la destruction de notre patrimoine culturel. Le groupe de contact sur Chypre, que je suis impatient de rencontrer demain, a abordé le problème avec un grand sens des responsabilités.

Je n’énumère pas ces faits pour condamner stérilement Ankara et m’appesantir sur le passé. Je crois vraiment qu’il faut regarder vers l’avenir, en ne tenant compte du passé que dans la mesure nécessaire pour éviter de répéter les erreurs commises. Chypre ne peut vivre dans la paix et la justice sans un effort conscient de la part de tous les intéressés pour pardonner ce qui doit être pardonné et pour oublier ce qui doit être oublié.

Je viens donc ici aujourd’hui, non pour croiser le fer avec la Turquie, mais pour l’inviter à faire face à ses responsabilités et à ses obligations en tant que membre du Conseil de l’Europe, et, comme prétendant à la qualité de membre de la Communauté européenne, en intervenant activement pour aider, et non pour entraver l’effort, vers un règlement juste et viable pour Chypre.

Comme il ressort clairement de la réaction de la Commission des Communautés européennes à la demande de la Turquie en vue de son adhésion à la CEE, le problème chypriote est l’un des principaux obstacles à l’intégration de la Turquie dans la Communauté européenne. De fait, la sincérité et la légitimité de l’appartenance de la Turquie à une Organisation et à une institution européenne basée sur le respect des droits de l’homme et sur le droit international resteront soumises à contestation aussi longtemps que Chypre continuera d’être divisée et que les Chypriotes grecs et les Chypriotes turcs seront séparés malgré eux par les forces d’occupation turques.

Il ne m’appartient naturellement pas – ceci incombe au Gouvernement et au peuple turcs – de décider de la politique étrangère qui sert le mieux les intérêts de la Turquie. Mais je pense que les intérêts turcs et européens seraient bien servis si la Turquie, après avoir proposé une solution au problème de Chypre fondée sur les principes européens, était en mesure d’assumer sa place véritable dans la famille européenne des nations. Les avantages qu’Ankara tirerait de cette évolution seraient beaucoup plus grands que ceux qu’elle imagine pouvoir retirer en maintenant ses forces sur le sol chypriote.

A cet égard, je voudrais rappeler ma proposition de démilitarisation immédiate de Chypre: le Gouvernement chypriote s’engage à démanteler la Garde nationale si la Turquie accepte de retirer ses troupes du territoire de la République. La sécurité de toutes les parties s’en trouvera accrue et une étape importante sur la voie d’un règlement établissant une république fédérale démilitarisée à Chypre aura été franchie. Je renouvelle aussi l’offre d’utiliser les fonds dégagés pour le développement de Chypre notamment en faveur de la communauté chypriote turque qui a beaucoup de retard dans le domaine économique.

Le Secrétaire général des Nations Unies a demandé que le chef de la communauté chypriote turque, M. Rauf Denktash, et moi-même, nous nous rencontrions de nouveau pour traiter de questions de fond afin de mettre au point un projet d’accord sur l’institution d’une fédération à Chypre.

Ce projet d’accord se fait déjà attendre depuis longtemps. Les deux parties avaient accepté de poursuivre les travaux relatifs à ce projet en juin dernier; pour les aider, le Secrétaire général avait émis un certain nombre d’idées non contraignantes. Malheureusement, M. Denktash a rejeté ces idées et interrompu les négociations.

Notre partie a tout de suite accepté la dernière invitation du Secrétaire général. M. Denktash n’a toutefois pas encore donné de réponse claire et nette. Nous espérons que celle-ci sera positive et que, dans cette hypothèse, M. Denktash adoptera une attitude plus souple et plus conciliante lors des négociations.

Beaucoup dépendra de la position de la Turquie qui a jusqu’ici toujours soutenu M. Denktash. Lorsque le Président turc, M. Turgut Üzal, s’est adressé à l’Assemblée en septembre dernier, en sa qualité à l’époque de Premier ministre, il a affirmé dans son discours que les nations européennes devaient coopérer en s’appuyant sur un ensemble d’idéaux et de valeurs communes. Il a poursuivi en disant que nous devrions être capables de communiquer les uns avec les autres pour régler les litiges de manière pacifique. M. Üzal a ajouté plus tard dans son discours que la stricte adhésion aux règles de conduite agréées au plan international concernant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales de l’individu était la seule base sur laquelle nous puissions construire et promouvoir des relations internationales stables.

J’approuve entièrement ces opinions et je dis ceci. Si M. Üzal est disposé en ce moment à traduire dans les faits les propos qu’il a tenus, le problème chypriote trouvera rapidement une solution. J’ai à maintes reprises proposé que M. Üzal et moi-même nous rencontrions pour discuter face à face du problème de Chypre, qui est fondamentalement celui de l’occupation d’une partie du territoire souverain de la République par la Turquie. A chaque fois, cette proposition a été éludée par Ankara. Je le répète ici aujourd’hui: je demande à M. Üzal de s’asseoir à côté de moi, en toute bonne foi, pour discuter de la solution du problème de Chypre dans le nouvel esprit qui traverse cette période de l’histoire et conformément aux principes énoncés ici par lui-même il y a quelques mois pour résoudre les litiges et stabiliser les relations internationales – de façon pacifique et dans le plein respect des droits de l’homme et du droit international.

Monsieur le Président, il est possible de trouver une solution au problème de Chypre. Tout cela demande l’acceptation des principes européens fondamentaux des droits de l’homme et de la démocratie. En ce moment où l’Europe progresse à grand pas vers l’intégration, il est à la fois tragique et anachronique qu’à Chypre, membre de la famille européenne et de cette Assemblée, des citoyens soient dépossédés de leurs biens et rencontrent des obstacles à la libre circulation et au libre établissement, dans un système de discrimination religieuse et ethnique imposé et maintenu par des forces armées.

Un règlement viable et juste du problème chypriote ne peut être fondé sur une situation d’apartheid, dans laquelle les Chypriotes font l’objet d’une ségrégation forcée sous prétexte que des musulmans et des chrétiens, des populations d’origine turque et des populations d’origine grecque, ne peuvent vivre ensemble. Cette ségrégation est non seulement en contradiction fondamentale avec la politique d’intégration dans la Communauté européenne souhaitée par la Turquie, mais constitue aussi un motif de suspicion, de ressentiment et de conflit.

L’amitié, la paix et la stabilité à long terme ne peuvent être fondées que sur un règlement fédéral s’inspirant d’une doctrine d’unité et non de division.

Nous nous attachons à établir une République de Chypre unie, fédérale, comprenant deux provinces dont l’une serait administrée par la communauté chypriote turque et l’autre par la communauté chypriote grecque.

La République fédérale de Chypre doit être libre de troupes et de colons étrangers, et protégée de droits unilatéraux d’intervention. Surtout, elle doit être un havre caractérisé par le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par la sécurité de tous les Chypriotes, quelles que soient leurs origines ethniques ou leurs convictions.

Nous appelons nos compatriotes chypriotes turcs à œuvrer avec nous à l’établissement de la justice et de la paix à Chypre. Notre avenir commun ne peut s’édifier sur les conflits et la division; pour être sûr, il doit reposer sur les bases constructives de la coopération et de l’unité. Nous sommes encouragés par de récentes manifestations de soutien à un règlement fédéral, venant des forces politiques chypriotes turques qui représentent à notre avis l’opinion majoritaire dans la communauté chypriote turque, ainsi que par un développement des contacts ordinaires entre Chypriotes grecs et turcs au cours des derniers mois, dans le nouvel esprit de rapprochement. Nous joignons notre voix aux leurs, rappelant que nous partageons une partie chypriote commune et qu’à ce titre nous avons plus de liens et de points communs que de différences. En coopérant au développement du potentiel économique considérable de Chypre, nous pouvons obtenir la sécurité et la prospérité pour nous-mêmes et nos enfants.

Nous demeurons fermes dans notre engagement de ne jamais accepter le statu quo, qui va à l’encontre de tous les idéaux et principes dont cette Assemblée et le Conseil de l’Europe sont les défenseurs. De surcroît, le principe en jeu à Chypre revêt une importance énorme non seulement pour l’avenir politique de l’île, mais aussi dans la perspective de la structure future de l’Europe et du monde.

Il s’agit en effet de déterminer, à Chypre, si les Etats constitués de plus d’une communauté peuvent survivre et constituer des entités unifiées à l’intérieur de frontières sûres, ou s’ils doivent se fragmenter, chacune des communautés revendiquant le droit de faire sécession et de former son propre Etat distinct, y voyant la seule manière de protéger ses intérêts. Nous sommes fermement convaincus que cette dernière formule, si elle était appliquée, signifierait la fin de l’Europe et du monde tels que nous les connaissons.

Monsieur le Président, j’ai évoqué assez longtemps la situation de Chypre, m’efforçant aussi de montrer qu’elle intéresse non seulement les Chypriotes mais la communauté internationale tout entière. Cela ne signifie pas, cependant, que nous voulions à Chypre nous enfermer de manière introspective dans notre seul problème. Comme je l’ai indiqué au début de mon allocution, Chypre fait partie intégrante de l’Europe. En nos qualités d’Européens et de Chypriotes, nous sommes convaincus qu’il nous appartient, comme aux autres membres du Conseil de l’Europe, de tout mettre en œuvre pour contenir les dangers et renforcer les aspects positifs des changements politiques en cours. Nous ne savons pas encore avec précision quand et comment nous parviendrons à la confédération européenne envisagée par le Président Mitterrand. Nous savons, en revanche, qu’il est impératif de combattre les forces destructrices du chauvinisme et du nationalisme, et de rechercher activement l’intégration et la coopération. Chacun d’entre nous doit assumer sa part de responsabilité dans cette entreprise, pour l’avenir commun de l’humanité – pour une Europe et un monde nouveaux.