M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous
remercie de votre très intéressant discours, Monsieur le Président,
et de l’appui que vous avez apporté au Conseil de l’Europe. Vous
avez vécu pendant dix ans en Hongrie, et, parmi les nombreuses langues
que vous maîtrisez, figure également le hongrois. Vous étiez en
Hongrie en 1956 et vous avez assisté au soulèvement; vous avez donc
pu voir ce qui s’est passé en Europe de l’Est. Vous étiez témoin de
cet événement historique. Nous sommes donc très intéressés d’entendre
votre point de vue sur la confédération européenne et sur le rôle
du Conseil de l’Europe à cet égard.
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Je vous remercie
de vos aimables paroles et de me donner la possibilité de m’exprimer
sur les perspectives d’une confédération européenne. Non seulement
j’appuie intégralement l’idée formulée par le Président Mitterrand
tendant à ce que nous devrions prévoir la mise en place d’une confédération
européenne, mais je suis convaincu qu’une telle institution est absolument
nécessaire, compte tenu des bouleversements en Europe de l’Est qui
ont créé un vide politique. La seule organisation dans le cadre
de laquelle des problèmes relatifs à la coopération européenne peuvent être
examinés – pas des problèmes d’intérêt mondial général, qui sont
examinés au sein des Nations Unies – est la Conférence sur la sécurité
et la coopération en Europe qui n’est censée aborder que des problèmes
de sécurité. Il n’existe rien d’autre.
Mais, heureusement pour nous tous, nous avons le Conseil de
l’Europe. Il est certain que, lorsque celui-ci a été créé, on n’avait
pas prévu qu’il pourrait jouer un jour un rôle de médiateur entre
l’Est et l’Ouest. Or, c’est ce qu’il est précisément en mesure de
faire aujourd’hui. Personnellement, je suis convaincu qu’il est
essentiel, dans ce climat nouveau, de créer un cadre nouveau permettant
à toutes les nations européennes de se réunir, d’échanger des idées,
d’examiner des problèmes et de tenter de trouver les moyens de tirer
des enseignements de l’expérience de chacune d’elles, et d’appliquer
ensuite ce qu’elles décident dans leur propre pays, si telle est
leur volonté, sans que cela soit imposé de l’extérieur.
Nous avons besoin d’une confédération européenne, plusieurs
pays de l’Est se considérant comme faisant partie de la grande famille
européenne. Dans ce sens, l’idée de M. Gorbatchev d’une maison commune européenne
et le projet de confédération européenne de M. Mitterrand ne sont
pas contradictoires. Au contraire, l’une pourrait être conçue comme
un développement de l’autre. Il faut que nous ayons le sentiment d’appartenir
au même groupe et il faut que nous renforcions les liens entre les
pays. Une confédération européenne pourrait servir de cadre pour
le développement de ces liens.
En l’état actuel du monde, il nous faut choisir entre créer
ex nihilo un cadre institutionnel nouveau ou élargir ce qui existe
déjà. Or je suis personnellement d’avis que, de par ses origines
et ses traditions, son attachement à la promotion et à la sauvegarde
des droits de l’homme, et la promotion du respect des droits de
l’homme et des processus démocratiques dans le monde entier, mais
surtout en Europe, le Conseil de l’Europe et son Assemblée sont
tout à fait à même de jouer ce rôle.
Le Conseil de l’Europe devrait prendre l’initiative et promouvoir
la coopération entre les pays européens le plus rapidement possible.
Nous n’avons pas besoin de décider à l’avance de la forme que revêtira
une confédération européenne. Nous pouvons faire confiance à la
capacité de tous ceux qui sont présents ici, et des membres futurs,
de mettre en place des tribunes, lorsque le besoin s’en fera sentir.
Deux choses sont, toutefois, importantes. Premièrement, il faut
prendre l’initiative; deuxièmement, il faut que nous prévoyions
une confédération européenne qui ne soit pas limitée aux problèmes
politiques, sociaux et culturels. Nous avons besoin d’un cadre pour
discuter de coopération économique. On peut faire valoir que la
Communauté européenne fournit ce cadre. Nous avons la Communauté
européenne, mais il faudra du temps pour que celle-ci décide des
modalités de son développement futur et de la nature de l’association
qu’elle proposera au reste de l’Europe. Entre-temps, il faut que
nous puissions procéder à des échanges de vues et aborder des questions
ayant également trait au développement économique.
En résumé, tout d’abord, je considère que nous avons besoin
d’une confédération européenne, étant donné que celle-ci fournira
le cadre requis pour renforcer les relations entre les pays européens.
En même temps, elle aidera les pays d’Europe de l’Est à consolider
leurs institutions et à se transformer en sociétés démocratiques
ouvertes, qu’ils aspirent tous à devenir pour le bien de leur population
et pour le bien de l’Europe.
Le Conseil de l’Europe est l’Organisation idéale qui peut
utiliser son expérience pour développer et aider à créer cette confédération
européenne, et c’est dans ce cadre qu’il devra servir de tribune
pour débattre de tous les problèmes, y compris celui de la coopération
économique.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous
remercie, Monsieur Vassiliou. Je puis vous donner l’assurance que
l’Assemblée ne tardera pas à prendre toute une série d’initiatives
allant dans ce sens. Pas moins de dix-huit questions parlementaires
pour réponse orale ont été déposées. Je vous rappelle qu’on ne répondra
qu’aux questions des membres présents.
Dix-huit questions à M. Vassiliou ont été déposées; elles
figurent dans le document 6172. Certaines questions, portant sur
le même sujet, ont été regroupées. Je propose d’inviter M. Vassiliou
à répondre à ces questions globalement, puis à chaque question restante
séparément. J’inviterai ensuite les auteurs des questions à poser
une brève question supplémentaire, s’ils le souhaitent. Les questions
supplémentaires ne donnent pas lieu à débat et, si les membres sont
brefs, cela permettra de répondre à davantage de questions. Il sera
peut-être possible de répondre par écrit aux questions qui n’auront
pu être abordées faute de temps.
Les quatre premières questions, posées par MM. Martinez, Martino,
Frangos et Speed, seront abordées ensemble. Elles sont relatives
au système fédéral et sont ainsi rédigées:
«Question n° 1:
M. Martinez,
Demande au Président de la République de Chypre s’il pense
que la solution au problème de Chypre en vue de la réunification
de l’île puisse se trouver dans une formule de fédération, respectant
l’identité et l’autonomie de chacune des deux communautés qui composent
la population de ce pays.
Question n° 2:
M. Martino,
Rappelant que, pour garantir le respect des diversités ethniques
et nationales, notre siècle favorise de nouveaux aménagements sur
une base fédérale ou confédérale qui ont parfois des conséquences
humaines importantes, notamment à l’Est;
Rappelant qu’en réalité, pour le moment, M. le Président Vassiliou
ne représente pas l’ensemble de la population de Chypre, et que,
sur la base du principe d’autodétermination, les Chypriotes turcs
ont leur propre statut étatique, démocratique et pluraliste;
Rappelant que le Secrétaire général des Nations Unies, M. Pérez
de Cuellar, n’a pas réussi, à ce jour, à résoudre ni le problème
délicat de droit international, ni celui du passé historique douloureux
qui divise les deux communautés,
Demande au Président de la République de Chypre s’il ne pense
pas que l’évolution des nouvelles générations puisse maintenant
permettre de trouver une solution pour Chypre dans le respect des
droits des individus et des communautés.
Question n° 3:
M. Frangos,
Constatant qu’à la suite du démantèlement du mur de Berlin,
Chypre se retrouve seule dans l’espace européen à être divisée territorialement
et démographiquement,
Demande au Président de la République de Chypre si celui-ci
considère que le dialogue Est-Ouest, engagé actuellement, peut contribuer
à mettre fin à cette discrimination à l’encontre de Chypre, qui
implique une violation des droits de l’homme de tous les citoyens
chypriotes; et quelle est sa position en ce qui concerne une solution
fédérale du problème chypriote, fondée sur les accords à haut niveau
entre les dirigeants des deux communautés chypriotes et les résolutions
des Nations Unies.
Question n° 4:
M.Speed,
Demande au Président de la République de Chypre si son gouvernement
continue à se considérer lié par la Constitution et les Traités
de 1960.»
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Comme je l’ai mentionné
dans mon allocution, la solution fédérale est celle que j’envisage.
A mon sens, c’est la seule réaliste pour Chypre. Les Chypriotes
grecs, qui ont toujours voulu un Etat unitaire, ont certes eu du
mal à accepter cette solution. Pour parvenir à résoudre un problème,
il faut cependant être prêt à un compromis. Le compromis historique,
auquel la communauté chypriote grecque a dû consentir, a consisté
à admettre que la solution fédérale est la meilleure pour résoudre
le problème chypriote. Nous appuyons, par conséquent, intégralement
la solution fédérale dans le cadre d’un seul Etat chypriote, et
nous sommes prêts à œuvrer en sa faveur.
M. MARTINEZ (Espagne) (traduction)
Je vous remercie,
Monsieur Vassiliou, de votre présence parmi nous et de votre remarquable
discours. On a eu tendance, au sein de l’Assemblée, à considérer
qu’il ne faudrait peut-être pas consacrer trop de temps au problème
de Chypre, car cela risquerait de gêner l’initiative prise par le
Secrétaire général des Nations Unies, qui demeure l’homme chargé
de l’instauration de la paix dans votre pays. Sachant que la situation
à Chypre constitue un traumatisme physique et moral pour l’Europe,
estimez-vous que le Conseil de l’Europe doit continuer à s’occuper
de ce problème et tenter d’y trouver une solution pacifique?
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Non seulement je
considère que le Conseil de l’Europe doit discuter du problème chypriote,
mais je saisis cette occasion pour vous remercier de l’intérêt qu’il
n’a cessé de témoigner à ce problème. Je tiens à souligner que celui-ci
m'intéresse pas uniquement les Chypriotes, qu’ils soient grecs ou
turcs. Compte tenu de l’évolution actuelle dans le monde, et des nationalismes
qui se réveillent un peu partout, nous pouvons constater que le
problème chypriote est un problème qui n’intéresse pas seulement
Chypre mais le monde entier, car la solution adoptée pour Chypre pourrait
éventuellement servir de modèle pour résoudre des problèmes similaires
dans d’autres parties du monde.
Cela montre aussi comment des divergences entre deux communautés
peuvent être exacerbées et devenir un problème international, parce
qu’on tolère qu’un pays étranger, qui sympathise et a des intérêts
communs avec l’une des parties, intervienne et assume le rôle de
«faiseur de paix». Si nous étions amenés à évoquer des situations
similaires en Europe – je suis certain que nous préférerions ne
pas les citer – nous craindrions les conséquences de conflits ethniques
de ce genre pour la paix mondiale.
Je considère que, dans ce sens, le problème chypriote n’intéresse
pas seulement Chypre mais le monde entier et surtout l’Europe. C’est
dans ce sens qu’il est opportun que le Conseil de l’Europe en débatte.
Par ailleurs, je considère que ces discussions ne peuvent
en rien empêcher le règlement du problème. Au contraire, elles contribuent
à attirer l’attention de tous les intéressés sur le fait que la
solution ne doit plus tarder, et je considère que l’action du Secrétaire
général s’en trouve plutôt favorisée qu’entravée.
M. MARTINO (Italie) (traduction)
Monsieur le Président
Vassiliou, je ne peux me déclarer pleinement satisfait de votre réponse
ni de l’exposé que j’ai entendu, malgré son caractère exhaustif,
car je ne serai vraiment heureux que lorsque vous-même et M. Denktash
vous vous serez serré la main, scellant ainsi votre accord. Je songe
à la formule fédérative proposée qui tournerait la page d’une Histoire
douloureuse et funeste, offrant une chance de paix comme l’offrit
pour l’humanité entière la poignée de main entre Reagan et Gorbatchev.
Monsieur le Président Vassiliou, je voudrais simplement vous
demander de nous donner une idée du temps qu’il faudra pour que
cette poignée de mains se fasse. Je sais bien qu’elle ne dépend
pas uniquement de vous mais, assurément, elle en dépend beaucoup.
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Je regrette que
vous ne soyez pas totalement satisfait de mon exposé. J’ai fait
de mon mieux pour être le plus objectif possible. Je suis, toutefois, surpris
que vous me demandiez quand une poignée de main pourra avoir lieu.
Cette poignée de main a eu lieu au mois d’août, à Genève, entre
M. Denktash et moi-même, lorsque le Secrétaire général nous a invités
à entamer une série de réunions dans le but de résoudre le problème
chypriote. Nous nous sommes serré la main, et l’événement a été
retransmis par les chaînes de télévision.
Depuis lors, nous avons eu des réunions analogues à Chypre,
et huit heures de discussions. Malheureusement, lorsque le Secrétaire
général a soumis ses propositions pour aider à aboutir à une solution, M. Denktash
a semblé oublier la poignée de main et s’est éloigné. Depuis lors,
il n’a toujours pas répondu officiellement qu’il reviendrait s’asseoir
à la table de discussion. J’espère qu’il donnera une réponse favorable et
se rendra à New York, où le Secrétaire général nous a invités, et
que la nouvelle poignée de main à New York portera ses fruits.
Je puis vous donner l’assurance que, s’il y a une chose pour
laquelle je me bats, c’est l’unité de Chypre. Je suis convaincu
que cette unité profitera aux Chypriotes aussi bien grecs que turcs
ainsi qu’à la Turquie, la Grèce, la Méditerranée – notre mer commune
– et à l’Europe.
M. FRANGOS (Grèce)
Monsieur le Président
de la République, votre discours et votre réponse étaient très satisfaisants.
Je ne souhaite donc pas poser de question supplémentaire, mais je
tiens à vous féliciter et à vous remercier pour votre contribution
à la paix mondiale et à la solution du problème chypriote.
M. SPEED (Royaume-Uni) (traduction)
Pouvez-vous
confirmer le point de vue de votre gouvernement, lorsque celui-ci déclare
que, aussi bien actuellement que dans le cadre de toute constitution
fédérale qui serait proposée, les communautés chypriote turque et
chypriote grecque ont des droits politiques égaux?
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Oui, nous considérons
que la fédération à laquelle nous songeons – comme je l’ai souligné
dans mon exposé – doit comprendre deux parties, l’une administrée
par la communauté chypriote turque, et l’autre par la communauté
chypriote grecque. Nous sommes prêts à aller plus loin qu’aucune
autre constitution fédérale dans le monde pour trouver les moyens de
garantir que chaque communauté aura l’assurance qu’elle sera en
mesure d’administrer son territoire pour toujours. Elle aura l’assurance
de ne jamais devenir une minorité, ni de perdre la capacité d’administrer
son territoire. Ces deux territoires doivent être égaux en matière
de compétences, comme dans toutes les fédérations, mais en même
temps la République de Chypre doit garantir l’égalité à tous ses
citoyens.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Nous en
venons maintenant aux questions nos 5
et 6, posées par Mme Lentz-Cornette et
par M. Ward, relatives aux Chypriotes turcs. Elles sont ainsi rédigées:
«Question n° 5:
Mme Lentz-Cornette,
Constatant que la Constitution chypriote de 1960 stipule,
dans les articles 1 et 2, que la République est composée des communautés
chypriotes turque et grecque,
Demande au Président de la République de Chypre si, vu la
structure de cette loi fondamentale, on peut qualifier la communauté
turque comme une minorité et comment on peut envisager dans l’avenir
une fédération qui doit être basée sur l’égalité des Etats fédérés,
tout en pensant que les chypriotes turcs forment une minorité.
Question n° 6:
M. Ward,
Demande au Président de la République de Chypre si celui-ci
reconnaît que, pour la première fois depuis plusieurs années, la
communauté chypriote turque se sent en sécurité; et s’il considère
que l’on peut en conclure que le seul moyen de progresser est de
reconnaître que chacune des deux communautés chypriotes doit pouvoir
exercer un contrôle sur son propre territoire, assorti d’une coordination
appropriée des relations internationales, aboutissant au respect
mutuel des mêmes droits et libertés des deux principales communautés
chypriotes.»
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
J’estime que ma
réponse à M. Speed répond déjà pour l’essentiel à la question n° 5.
J’ai confirmé que nous ne considérons pas la communauté turque comme
une minorité mais comme une autre communauté. Il existe deux communautés
à Chypre et dans le cadre de la fédération, chacune administrera
un territoire. Je le répète, aucune fédération ne peut exister si
ses citoyens ne sont pas tous égaux, quelle que soit leur origine
ethnique ou leur confession. Ma réponse concerne également la question
de M. Ward.
M. WARD (Royaume-Uni) (traduction)
Monsieur
le Président, vous savez sans doute que vous accueillerez à Nicosie, au
printemps, la Conférence de l’Union interparlementaire à laquelle,
on l’espère, une centaine de pays seront représentés. Il importe
que les participants puissent se rendre compte sur place des problèmes
auxquels les deux parties de Chypre sont confrontées – or, cette
conférence fournit une excellente occasion pour cela. Pourriez-vous
prendre l’engagement que les représentants arrivant à Nicosie pour
la Conférence de l’Union interparlementaire seront autorisés à se
déplacer de part et d’autre de la ligne verte afin qu’ils puissent appréhender
au maximum la réalité chypriote?
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Monsieur Ward,
je puis vous donner l’assurance que tous les parlementaires se rendant
à Chypre auront la possibilité de rencontrer autant de Chypriotes
turcs que possible et de discuter avec eux. Il ne faut, toutefois,
pas oublier que tous les parlementaires arrivant à Chypre se rendront
en République de Chypre. Le monde ne reconnaît que la République
de Chypre et non pas ce que l’on appelle la République de Chypre
du Nord, qui s’est autoproclamée. Nous ne pouvons donc en aucune
façon favoriser des initiatives, aboutissant à des réunions revêtant
un caractère officiel, qui pourraient impliquer une reconnaissance
indirecte de cette entité autoproclamée. Nous favorisons, et nous
continuerons à favoriser, les contacts avec des Chypriotes turcs,
qu’il s’agisse de citoyens ordinaires ou d’hommes politiques, mais
il est tout à fait exclu que nous favorisions des initiatives qui
contribueraient à aggraver le problème au lieu de le résoudre.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Nous en
venons à présent au prochain groupe de questions, posées par MM. Andreas Müller
et Redmond, relatives aux contacts entre communautés grecque et
turque. Ces questions sont ainsi rédigées:
«Question n° 7:
M. Andreas Müller,
Etant, à titre de corapporteur du rapport sur les réfugiés
nationaux et les personnes disparues à Chypre (1987), directement
intéressé par le processus d’élimination des tensions entre les
habitants des parties nord et sud de l’île,
Demande au Président de la République de Chypre:
a. quelles mesures ont été prises
depuis 1987 pour rétablir la confiance entre les deux communautés
par des contacts directs à l’occasion de manifestations communes
(Doc. 5716, Recommandation 1056, paragraphe 18.e);
b. quelles mesures le gouvernement a prises depuis 1987 dans
le but d’encourager la coopération économique dans l’ensemble de
l’île (Doc. 5716, Recommandation 1056, paragraphe 18J).
Question n° 8:
M. Redmond,
Demande au Président de la République de Chypre de quelle
manière l’ouverture de Varosha est susceptible de favoriser la coexistence
des Chypriotes dans l’intérêt des Chypriotes aussi bien grecs que
turcs; s’il compte évoquer les contacts récents par l’intermédiaire
de la ligne verte entre médecins, syndicalistes et journalistes chypriotes
grecs et turcs, et quels sont, à son sens, les moyens d’encourager
ces contacts.»
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Je voudrais remercier
M. Andreas Müller d’aborder le problème de la nécessité de développer
les contacts entre les deux communautés. Depuis mon élection, j’ai
fait de mon mieux pour promouvoir ces contacts. J’ai invité, et
je continue à inviter, les Chypriotes turcs à se déplacer librement.
Nous fournissons des possibilités d’emploi à de nombreux Chypriotes
turcs qui peuvent travailler dans les mêmes conditions que les Chypriotes
grecs. J’ai pris des mesures pour remédier à ce qui fonctionnait
mal à la suite de la situation dans le passé. L’une tendait à assurer
le versement des prestations sociales aux Chypriotes turcs, qui
y ont droit. Nous avons commencé à effectuer les versements, et,
avec l’aide des Nations Unies, nous avons pu prendre des dispositions
pour que tous ceux qui ont droit aux prestations puissent les percevoir.
Nous nous sommes employés à promouvoir les relations entre les partis politiques.
Nous assurons aux Chypriotes turcs la gratuité des soins médicaux
dans nos hôpitaux. Nous nous efforçons également de promouvoir la
coopération dans le domaine de l’environnement, lorsque c’est nécessaire
et possible. Cependant, une coopération économique plus étroite
ne sera pas possible tant que subsiste la partition et que les propriétaires
d’usines et de terrains ne seront pas autorisés soit à reprendre possession
de leur bien, soit à aboutir à d’autres types d’arrangement. C’est
pourquoi, nous faisons de notre mieux pour trouver au plus vite
des solutions afin de permettre à tous les Chypriotes, qu’ils soient
grecs ou turcs, de profiter de l'énorme potentiel économique de
l’île.
Je voudrais aussi répondre à la question concernant l’ouverture
de Varosha. Nous y sommes totalement favorables et considérons qu’une
telle initiative est de nature à améliorer considérablement l’atmosphère
à Chypre. Elle permettrait aussi aux Chypriotes grecs et turcs de
collaborer sur une grande échelle, et d’apprendre à travailler ensemble
après tant d’années. On parviendrait à créer un climat qui accélérerait l’acheminement
vers un règlement définitif. Nous avons, par conséquent, soutenu
cette initiative et demandé à la Turquie d’aider à assurer l’ouverture
de Varosha à ses habitants, sous les auspices des Nations Unies.
M. Andreas MÜLLER (Suisse) (traduction)
Monsieur le Président,
je vous remercie de tous les efforts que vous avez déployés pour
promouvoir les contacts entre les deux communautés, et cela même
si les résultats restent en deçà de ce qu’avait souhaité l’Assemblée
lorsque nous avons adopté ici les résolutions à l’unanimité.
Une phrase de votre discours rejoint finalement ce qui est
notre souci à tous: il faut oublier ce qui doit être oublié! Et
voici, par conséquent, ma question complémentaire, qui est un peu
délicate: Monsieur le Président, quelle est votre position à l’égard
de la proposition d’une amnistie générale, également adoptée à l’unanimité dans
cette enceinte?
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Je suis totalement
favorable à l’amnistie en ce sens qu’on ne gagnerait pas grand chose
à poursuivre ceux qui ont commis des crimes d’un côté ou de l’autre
de la ligne de partage. Lors de mes réunions avec M. Denktash, lorsque
nous avons discuté de la liberté de circulation dans une île unifiée,
celui-ci n’a cessé de s’exclamer: «Nous ne pouvons quand même pas accepter
de laisser des criminels en liberté parmi notre population!» Je
lui ai rappelé que les personnes qu’il qualifie de criminelles sont
maintenant pour la plupart fort âgées, qu’elles ne menacent personne,
et que la même chose vaut pour les criminels de son camp. Je suis,
par conséquent, d’avis qu’il faut oublier ce qui doit être oublié
et renoncer aux représailles, mais cela ne signifie pas qu’il ne
faut pas garder en mémoire ce qui s’est passé, afin de s’assurer
que des événements similaires ne se reproduiront pas dans l’avenir.
C’est dans ce sens que je souscris totalement à l’idée d’une amnistie.
M. REDMOND (Royaume-Uni) (traduction)
Je suis convaincu
que vous reconnaissez, Monsieur le Président, que ce sont souvent
la crainte et la méfiance qui divisent les hommes. C’est pourquoi,
il importe que des représentants des deux communautés, à tous les
niveaux et de tous les groupes, puissent se rencontrer. Je me félicite
des progrès annoncés par M. Vassiliou dans sa réponse, mais peut-on
nous donner l’assurance que des moyens supplémentaires seront prévus
pour garantir la poursuite de ce dialogue?
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Je donne à l’Assemblée
l’assurance que nous sommes prêts à mettre tous les moyens, pas
seulement en matière de lieux de rencontre, mais également en matière
de transport gratuit et de possibilités d’hébergement, à la disposition
de tous les Chypriotes turcs qui souhaitent se rendre dans la partie
chypriote grecque pour rencontrer des collègues, des voisins du
même village ou d’autres connaissances. Les autorités militaires
turques n’autorisent malheureusement pas toujours de tels contacts,
de sorte que nous ne pouvons jamais être certains qu’ils ont lieu.
Ainsi, l’autre jour, des médecins voulaient se réunir, mais ils
en ont été empêchés. Des syndicats, qui voulaient se réunir, en
ont aussi été empêchés. L’autre camp a malheureusement multiplié
les obstacles et les interdictions. Nous sommes cependant des gens
obstinés, et nous faisons preuve de persévérance. Je puis donner
à l’Assemblée l’assurance que nous ferons tout notre possible pour
favoriser au maximum les contacts à tous les niveaux.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Nous en
venons à présent aux questions nos 9
et 10, posées par MM. Cox et Faulds, relatives à l’armement de la
République de Chypre. Ces questions sont ainsi rédigées:
«Question n° 9:
M. Cox,
Demande au Président de la République de Chypre s’il est exact
que, comme on le prétend souvent, la République de Chypre possède
d’importants stocks d’armes et d’équipements militaires.
Question n° 10:
M. Faulds,
Sachant que le Gouvernement britannique a condamné expressément
le stockage d’armement dans le sud de Chypre car ceci ne contribue
pas à un règlement pacifique,
Demande au Président de la République de Chypre si celui-ci
peut donner l’assurance que l’on mettra fin sans délai à ce stockage
d’armes.»
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Oui, nous possédons
des stocks d’armes et d’équipements militaires, mais il vaudrait
mieux répondre à cette question en répétant ce qu’a affirmé notre ministre
de la Défense au séminaire organisé, il y a quelques jours, à Vienne,
sous les auspices de la CSCE. Il a affirmé que, bien qu’un pays
comme Chypre ne devrait avoir ni doctrine militaire ni armée, si
nous en avons une, c’est parce que c’est une nécessité imposée par
la réalité. 35 000 soldats turcs, parfaitement entraînés – probablement
l’élite de l’armée turque – sont stationnés à Chypre, plus de 350 chars,
et de grandes bases aériennes militaires couvrent toute l’île. Chaque
année, les forces aériennes et navales et l’armée de terre turques
stationnées à Chypre participent à des manœuvres.
Dans ces conditions, le moins que l’on puisse faire, c’est
de tenter de se doter d’une capacité de défense crédible. Actuellement,
celle-ci consiste en 11 000 gardes nationaux, mais nous nous efforçons
d’accroître cet effectif pour qu’il atteigne 12 000 ou 13 000 gardes.
Ce chiffre, correspondant au nombre de jeunes en âge d’être recrutés,
cet accroissement n’est, toutefois, pas facile à réaliser. Nous
essayons aussi de mettre sur pied une armée de métier de quelques
centaines de soldats pour prendre en charge les nouveaux canons
que nous avons achetés, mais là également nous nous heurtons à des
difficultés car, dans une situation de plein emploi, les jeunes
gens préfèrent au port des armes la paix et le travail dans l’hôtellerie
ou dans d’autres secteurs du tourisme.
Etant donné que nous éprouvons autant de difficultés à augmenter
le nombre de gardes de 11 000 à 12 000 ou 13 000, nous voyons mal
comment nous pourrions affronter les 35 000 soldats turcs. Il faut,
par conséquent, que nous entraînions nos jeunes le mieux possible
afin d’être capables de nous défendre. Nos tanks sont actuellement
au nombre de 16, mais devraient passer à 30 ou 40, or les Turcs
en possèdent 350. Prétendre que Chypre pourrait représenter un jour
une menace ou un risque militaire pour la Turquie est une plaisanterie. Tout
le monde le sait. Nous essayons simplement de mettre sur pied les
moyens de nous défendre et d’échapper aux pressions qui pourraient
résulter de la présence militaire turque, massive et inutile, sur
le territoire de Chypre. Mais, je le répète, à tout moment, que
ce soit aujourd’hui ou demain, nous sommes prêts à démanteler nos
forces et à remplacer nos fusils par des socs de charrue.
M. COX (Royaume-Uni) (traduction)
Je vous remercie
de votre réponse, Monsieur Vassiliou. Je me félicite vivement de l’engagement
ferme que vous prenez en faveur de la démilitarisation de Chypre.
Et je suis certain que nous nous en félicitons tous. Compte tenu
de votre réponse à ma question, pouvez-vous me confirmer que le Gouvernement
britannique, qui est l’une des puissances garantes de l’application
des accords, a demandé à plusieurs reprises à M. Denktash de réduire
substantiellement la présence militaire turque dans le nord de l’île, mais
que celui-ci n’a malheureusement jamais donné suite à cette demande?
Puisque vous avez mentionné que vous espériez rencontrer M. Denktash
dans un avenir proche, pouvez-vous préciser à l’Assemblée si le retrait
des troupes et de l’équipement militaire du nord figurera à l’ordre
du jour de cette rencontre?
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Le Gouvernement
britannique a demandé à la Turquie de réduire les forces stationnées
à Chypre – pas à M. Denktash, car celui-ci n’est pas habilité à prendre
des décisions dans ce domaine – et le Gouvernement grec a, lui aussi,
formulé de telles demandes. Lorsque le Premier ministre Papandréou
a rencontré le Président Ozal pour discuter des moyens d’améliorer les
relations entre leurs deux pays, le Premier ministre grec a demandé
une réduction des forces turques stationnées à Chypre. Périodiquement,
la presse turque annonce d’ailleurs aussi que la Turquie est prête
à réduire sa présence militaire à Chypre, en tant que geste de bonne
volonté. Si l’on revient un peu plus en arrière, lorsque la Turquie
avait demandé au Congrès américain de lever l’embargo sur la livraison
d’armes à la Turquie, imposé parce que des armes de l’OTAN ou américaines
avaient été utilisées lors de l’invasion de Chypre, on relève que
la Turquie avait promis que, dès que l’embargo serait levé, elle
retirerait ses troupes et que le problème serait résolu. Or, l’embargo
a été levé il y a plus de dix ans, mais les forces armées turques continuent
malheureusement à être stationnées à Chypre.
Nous avons demandé le retrait des troupes turques, nous le
demandons et nous continuerons à le demander. Nous espérons qu’en
fin de compte Chypre ne se retrouvera pas dans la situation imaginée
il y a quelques jours par le Times.
Nous espérons que nous n’aurons pas l’honneur de figurer un jour
dans le jeu du Trivial Pursuit par l’intermédiaire de la question:
«quel est le pays du monde dont une partie du territoire continue
à être occupée par un autre pays européen?»
M. FAULDS (Royaume-Uni) (traduction)
Vous savez,
Monsieur Vassiliou, que je ne vous considère pas comme le Président
de la République de Chypre – avec tout le respect que je vous témoigne,
bien sûr – mais comme le chef du régime chypriote grec...
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Rappel
à l’ordre, s’il vous plaît!
M. FAULDS (traduction)
J’interprète
cela comme une approbation.
Vous venez de fournir quelques réponses, Monsieur Vassiliou,
à propos de l’armement. Or, je constate que les chiffres dont je
dispose ne concordent pas avec ceux que vous nous avez indiqués.
D’après les informations que je possède, les Chypriotes grecs comptent
actuellement 25 000 hommes en armes dans le sud de l’île et sont
capables d’en mobiliser 75 000 autres en 24 heures. N’avez-vous
pas induit le Conseil en erreur en parlant «d’invasion turque»?
Comme vous le savez certainement, le stationnement des forces turques
dans le nord de Chypre est conforme aux termes du Traité de garantie
de 1960. Il n’y a pas eu d’invasion. Il n’y a pas d’occupation,
mais une intervention nécessaire de la part du Gouvernement turc
– voire une intervention légale dans le cadre du Traité de garantie
de 1960. Comment pouvez-vous penser que le stockage de matériel
militaire – nous ne sommes d’ailleurs pas d’accord au sujet des
chiffres cités – soit de nature à créer, au sein de la communauté
chypriote turque, le climat de confiance souhaitable?
J’ai entre les mains, Monsieur, une jolie photo de vous, bien
que vous ayez l’air un peu harassé, arborant un badge de l’EOKA,
l’Organisation nationale des combattants chypriotes. La presse souhaitera
peut-être qu’on la lui communique par la suite, car les photographies
en disent long et, à ma connaissance, généralement la vérité. Comment
pouvez-vous expliquer que votre présence, récemment, à une réunion
de l’EOKA, portant ce badge de l’EOKA – qui est le badge de l’organisation
terroriste appelant à l’Enosis avec la Grèce – est de nature à gagner
la confiance des Chypriotes turcs? Cela n’indiquerait-il pas plutôt
que vous continuez à soutenir l’EOKA, et que vous continuez à soutenir
ses objectifs, qui étaient, et continuent sans doute à être, l’Enosis
avec la Grèce?
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Je ne sais pas
par où commencer. Je sais que M. Faulds a des talents d’acteur.
J’ignore d’où proviennent ces informations...
M. FAULDS (traduction)
C’est
authentique.
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Mais son numéro
peut certainement être qualifié d’excellent. Il a réussi à présenter
comme vraies des choses qui ne le sont pas. Il est inutile d’entamer une
controverse pour savoir si ce que j’affirme est exact ou si ce qu’affirme
M. Faulds l’est, mais je déclare devant cette auguste Assemblée
que nous sommes prêts à accepter un contrôle international pour
recenser le nombre d’hommes en armes dont nous disposons et le nombre
de soldats turcs stationnés sur l’île. Cela permettra d’établir
la vérité et de prouver à M. Faulds – je regrette de devoir le dire
– que je dis la vérité et que les chiffres qu’il cite sont faux.
Quant à ma qualité de Président de la République de Chypre,
je rappelle ce qui s’est produit lors de la première réunion entre
M. Denktash et feu l’archevêque Makarios, en 1977, lorsqu’ils ont
signé leurs accords. M. Denktash a dit à l’archevêque Makarios:
«Vous savez, Votre Béatitude, que je ne vous reconnais pas comme
Président de la République de Chypre». Avec son humour habituel,
l’archevêque a répondu: «Ne vous en faites pas, Monsieur Denktash,
il me suffit de savoir que le monde entier me considère comme le Président».
Je suis dans le même cas aujourd’hui...
M. FAULDS (traduction)
Makarios
était le président légitime.
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Je suis le président
légitime, car la Constitution de 1960 prévoit que le Président de
la République est choisi par les Chypriotes grecs, le Vice-Président
étant choisi et élu par les Chypriotes turcs. Je suis donc le Président.
Quant à la fameuse photo en votre possession – celle-ci n’a
d’ailleurs rien de secret – je tiens tout d’abord à préciser que
ce sont les Britanniques qui qualifiaient l’EOKA d’organisation
terroriste à l’époque; or, je regrette de devoir souligner qu’à
l’époque coloniale les Britanniques avaient tendance à qualifier
d’organisation terroriste tous les mouvements luttant pour l’indépendance
et la liberté. Cela appartient au passé. Nous souhaitons désormais
la coopération, et nous nous félicitons de celle qui s’est instaurée
avec le Gouvernement britannique et entre les peuples britannique
et chypriote.
L’EOKA était l’organisme qui luttait pour l’indépendance.
Il est exact qu’elle souhaitait l’union avec la Grèce. Cela ne fait
aucun doute. Il est aussi exact qu’elle a dû accepter un compromis:
au lieu de l’union, elle a dû s’accommoder de la conclusion des
accords de Zurich qui débouchaient sur l’indépendance et la création d’une
république indépendante.
Tout Président d’un pays a le devoir de respecter ses traditions
et le combat de son peuple pour l’indépendance. Au lieu de me critiquer,
vous devriez, par conséquent, me féliciter. Lorsque vous parlez d’organisations
terroristes, il existait à l’époque une organisation terroriste,
le TMT, spécialisée dans les luttes entre les deux communautés.
Comme on l’a vu et, je le répète, ce qui importe, c’est de ne pas
s’attarder sur le passé et de ne pas trop insister sur les excès
qui auraient pu être commis par certains membres de l’EOKA ou du
TMT à un stade ultérieur, et non pendant la lutte pour l’indépendance.
On sait bien qu’il y a eu des luttes entre les communautés,
et je suis le dernier à le nier. Ce que je tiens à souligner, c’est
qu’on ne saurait bâtir l’avenir en ne cessant d’évoquer les luttes
du passé. Il faut que nous tirions des enseignements du passé pour
bâtir un avenir pacifique pour les deux communautés dans un Etat fédéral.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Nous en
venons à la question n° 11, posée par Sir Dudley Smith. Elle est
ainsi rédigée:
«Question n° 11:
Sir Dudley Smith,
Demande au Président de la République de Chypre pourquoi,
dans l’attente d’un accord, il désapprouve le rôle de maintien de
la paix des troupes turques dans le nord de Chypre.»
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Tout ce que je
puis dire en réponse à cette question est que le ciel préserve le
monde de ce genre de faiseur de paix. Si le maintien de la paix
exige le rejet d’un tiers de la population, que des personnes deviennent
des réfugiés dans leur propre pays, que l’on tue environ un pour
cent de la population totale et que 1 600 personnes soient portées
disparues, c’est une démarche extrêmement difficile. On pourrait
poursuivre cette énumération, mais je préfère m’arrêter là. Je ne considère
pas que c’est un effort en faveur de la paix et je pense que personne
ne le considère. Nous sommes contre la présence permanente de troupes
turques à Chypre. Nous souhaiterions les voir quitter l’île le plus
tôt possible, car ce serait le meilleur moyen pour les Turcs de
contribuer à la paix actuellement.
Sir Dudley SMITH (Royaume-Uni) (traduction)
M. Vassiliou
sait-il que, loin d’être intimidés – j’ai pu le constater par moi-même
– les Chypriotes du nord, les Chypriotes turcs, se sentent bien
plus en sécurité grâce à la présence de l’armée turque? Cela leur
a permis d’accroître, dans des proportions modestes, leur prospérité.
Compte tenu de la réponse que vous venez de donner à mes collègues
britanniques, force est de constater que depuis que les troupes
turques sont là, on n’a enregistré aucun meurtre politique entre
les deux communautés ni de blessé grave.
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Il n’y a pas eu
d’incident entre 1967 et 1974, bien que les troupes turques n’étaient
pas stationnées dans l’île, et en 1974, lorsqu’à eu lieu le coup
d’Etat inspiré par la junte grecque, aucun Chypriote turc n’a été
victime d’un incident jusqu’à ce que la Turquie décide d’envahir
l’île, prenant le coup d’Etat comme prétexte. Je suis convaincu
qu’aucun pays du monde n’accepterait une telle intervention de la
part d’un pays voisin.
Je vous renvoie à la formule que j’ai utilisée pour répondre
à cette question lorsque j’étais en Malaisie. Je n’ai pas utilisé
d’exemple européen. Comme vous le savez, la Malaisie est un pays
multiracial, et environ un tiers de sa population est chinoise,
mais les Chinois sont installés partout dans le pays. Dans le passé,
il y avait des risques de conflit intercommunautaire. C’est un pays
musulman. J’ai demandé à mon interlocuteur ce qu’il penserait si
les Chinois débarquaient en Malaisie, occupaient la moitié ou un
tiers du territoire, expulsaient tous les Malais, obligeaient tous
les Chinois à venir s’installer dans cette partie du pays et leur
donnaient les biens appartenant aux Malais, en leur disant: «Vous
pouvez vivre là». Qu’en serait-il, s’ils disaient ensuite aux Malais ailleurs
dans le monde: «C’est nous qui avons instauré la paix et vous devriez
le reconnaître»? Mon interlocuteur m’a regardé et dit: «C’est bien
cela la réalité». Sans autre commentaire. Je ne pense pas devoir m’étendre
davantage sur cette question.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Suit la
question n° 12 de M. Alemyr, sur le sort de la population turque
en cas de réunification. Cette question est ainsi rédigée:
«Question n° 12:
M. Alemyr,
Demande au Président de la République de Chypre, dans l’éventualité
d’une réintégration du nord de Chypre et de la République de Chypre,
quel sera le sort, selon lui, de la population turque établie dans
le nord de l’île depuis la division de celle-ci.»
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Je considère que
la population turque qui s’est installée dans le nord de Chypre
doit obtenir des garanties pour son avenir. Je suis convaincu qu’à Chypre
l’on s’achemine vers une coopération plutôt que vers une confrontation.
Dans le cadre de la solution retenue, aussi bien les Chypriotes
turcs que les Chypriotes grecs devraient pouvoir choisir entre retourner
dans leurs villages ou rester là où ils sont. Il est probable que
nombre de Chypriotes turcs sont devenus richissimes, étant donné
que les terrains qu’ils possédaient, et continuent à posséder légalement
d’après nos lois et nos règles, ont gagné énormément en valeur à
la suite du développement du tourisme à Chypre. Chaque Chypriote,
qu’il soit Turc ou Grec – mais ce qui vous intéresse ce sont les
Turcs – devrait avoir la possibilité de choisir entre rentrer chez
lui ou rester. S’il souhaite rester – or je pense que la majorité
des Chypriotes turcs prendront cette décision – il devrait y être
autorisé et être aidé à s’installer définitivement.
Si un Chypriote grec souhaite rentrer chez lui et que sa maison
est occupée par un Chypriote turc, il faudra prendre des dispositions
appropriées. Un nouveau logement, ou peut-être une nouvelle maison,
devra être fourni au Chypriote turc afin qu’il n’ait pas le sentiment
d’avoir été évincé de son domicile provisoire mais considère qu’on
lui a donné une chance d’assurer son avenir, sur la base de la légalité
de la fédération unie.
Autrement dit, nous n’envisageons pas de solution aboutissant
à spolier qui que ce soit; au contraire, nous envisageons une solution
garantissant que les Chypriotes turcs se sentent en sécurité et
ont la certitude d’avoir un avenir, pas seulement pour eux-mêmes
mais aussi, pour leurs enfants.
M. ALEMYR (Suède) (traduction)
Je vous remercie
de votre réponse, Monsieur le Président. Ma question était motivée par
le fait que la Commission des relations extérieures du Parlement
suédois a reçu de l’un de vos fonctionnaires un message, mentionnant
que si un règlement intervenait entre la Turquie et Chypre pour
faire de Chypre un Etat libre et uni, tous les Turcs seraient expulsés
par la force vers l’Anatolie. J’apprécie votre réponse et je vous
en remercie. Je suis convaincu que nous sommes tous les deux d’accord
pour considérer qu’il importe pour l’avenir de faire en sorte que
tout le monde puisse coexister dans l’île, et vivre dans la dignité, et
j’espère que nous pourrons tous coopérer pour le garantir.
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Je crains qu’il
n’y ait eu un malentendu de ma part. Dans mon esprit, il s’agissait
des Chypriotes turcs qui sont allés s’installer dans le nord, et
non pas des immigrants. Je considère qu’il vaut mieux faire bénéficier
les immigrants d’une aide et d’un soutien pour qu’ils puissent retourner
en Turquie, car ils ne sont pas arrivés à Chypre dans le cadre d’un
processus légal, comme des immigrants arrivent actuellement en Suède
ou dans tout autre pays européen. De surcroît, ils ont été utilisés
et continuent à être utilisés pour contrôler la population chypriote
turque, en leur accordant des droits politiques qui sont utilisés
au détriment de la population chypriote turque autochtone.
Dans l’intérêt de tous les Chypriotes, ces personnes devraient
bénéficier d’une aide pour se réinstaller en Turquie. Celles qui
ont épousé des Chypriotes turcs devraient, toutefois, avoir la possibilité
de choisir de rester. Il y a eu en fait de nombreux mariages entre
Chypriotes grecs et turcs, et ces couples vivent en paix. Les personnes
qui sont légalement mariées à un ou une Chypriote doivent, par conséquent,
pouvoir continuer à vivre avec cette famille, mais les autres devraient
bénéficier d’une aide pour retourner dans leur pays. C’est un point
essentiel à nos yeux.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Nous en
venons à la question n° 13, posée par M. Pahtas, sur le problème
des disparus. Cette question est ainsi rédigée:
«Question n° 13:
M. Pahtas,
Rappelant que les événements tragiques de 1974, qui ont suivi
l’invasion de Chypre par les forces militaires turques d’occupation,
ont, entre autres, créé un problème majeur humanitaire, en ce qui
concerne les personnes disparues, qui étaient en vie au moment de
leur capture illégale par les troupes militaires turques et sur
lesquelles on ne dispose d’aucune information depuis – il s’agit
de 1 619 personnes, parmi lesquelles des citoyens grecs;
Constatant qu’aujourd’hui, seize ans plus tard, au moment
où la liberté se retrouve dans toutes les parties de l’Europe et
dans le monde entier, un pays membre du Conseil de l’Europe ignore
toujours le sort de ses citoyens,
Demande au Président de la République de Chypre:
a. quelles sont ses informations à
ce sujet, et
b. qu’est-ce que les institutions européennes pourraient
faire pour le sort de ces personnes.»
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Les personnes disparues
constituent une véritable tragédie. Nous souhaiterions que les cas
soient résolus le plus rapidement et qu’ils ne fassent pas l’objet
d’une exploitation politique. Il s’agit d’un problème humain que
nous souhaitons voir résolu.
J’ai lancé un appel à M. Denktash et à la Turquie pour qu’ils
nous aident à le résoudre, et j’ai affirmé à plusieurs reprises
que nous n’avons pas l’intention d’exploiter cette question politiquement.
M. PAHTAS (Grèce)
Monsieur le Président
de la République, nos principes s’expriment à travers notre total respect
des droits de l’homme et de la démocratie ainsi que notre lutte
pour les défendre.
Dans cette perspective, notre objectif est de contribuer à
une Europe indépendante des blocs militaires, où aucune troupe étrangère
ne stationne dans aucun de nos pays.
Malgré tout, nous nous trouvons devant un paradoxe, ou plutôt
plusieurs paradoxes.
Vous, Monsieur le Président de la République, vous êtes le
Président d’un Etat membre du Conseil de l’Europe, dont plus d’un
tiers du territoire est occupé par les forces militaires d’un autre
pays, la Turquie, également membre du Conseil de l’Europe.
Récemment, la République Démocratique Allemande a levé tous
les obstacles et supprimé toutes les barrières gênant la libre circulation
des personnes. A Chypre, on soulève le mur d’une frontière inexistante.
Nous débattons de la construction de l’unité européenne d’une
manière très approfondie: mais un pays européen reste toujours divisé
en deux par d’autres forces militaires!
Tous les efforts sont faits dans un bon sens: il s’agit d’éviter
un flux de mobilisation des populations – du genre de celui qui
a provoqué la démocratisation des pays de l’Europe de l’Est et de
l’Europe centrale.
A Chypre, nous «importons» des populations venant de l’intérieur
de l’Asie. Si l’on continue de cette manière, dans peu de temps,
la majorité de la population des territoires occupés n’appartiendra
plus à la population d’origine. On assiste donc à un nouveau phénomène
de colonisation. En même temps, on empêche des réfugiés des deux
communautés de retourner dans leur foyer.
Tout cela conduit le Secrétaire général des Nations Unies
à aller à l’encontre de sa politique générale, à prendre position
et à mentionner qu’il n’était pas content de l’attitude de M. Denktash
– plus précisément, qu’il ne comprenait plus le langage de celui-ci.
Que pensez-vous, Monsieur le Président de la République, de
cette réaction du Secrétaire général des Nations Unies?
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Nous souhaitons
qu’une réunion ait lieu et qu’elle aboutisse à des résultats. Nous
comptons sur la coopération et l’aide de M. Denktash pour que cette réunion
soit couronnée de succès.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Voici
à présent les questions nos 14 et 15,
posées par MM. Atkinson et Lambie, relatives à M. Denktash. Elles
sont ainsi rédigées:
«Question n° 14:
M. Atkinson,
Demande au Président de la République de Chypre à quelles
consultations il a procédé avec M. Denktash pour préparer sa déclaration
d’aujourd'hui.
Question n° 15:
M. Lambie,
Considérant qu’il est équitable, voire essentiel, que le Conseil
entende les deux parties avant de pouvoir se faire une opinion sur
une affaire,
Demande au Président de la République de Chypre si celui-ci
voit un inconvénient à ce que le Conseil de l’Europe invite M. Denktash,
leader des Chypriotes turcs, à prendre également la parole devant
l’Assemblée parlementaire, comme il vient de le faire.»
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
On me demande quelles
consultations j’ai eues avec M. Denktash avant de faire ma déclaration.
Comme on l’a vu, j’ai essayé d’avoir des consultations avec M. Denktash
au cours du mois dernier, mais celui-ci s’est refusé à exprimer
une opinion sur quoi que ce soit, et encore moins sur une déclaration.
Ces questions me surprennent.
M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)
Reconnaissez-vous
que, dans un pays divisé comme le vôtre, lorsqu’on prépare un discours
prononcé devant une assemblée aussi importante que la nôtre, il
aurait été opportun que vous consultiez le leader de la communauté
chypriote turque au lieu de ne parler qu’au nom d’une moitié de votre
pays? Pouvez-vous confirmer que vous avez cherché à prendre contact
avec M. Denktash pour la préparation de votre allocution devant
notre Assemblée?
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Vos propos m’étonnent,
Monsieur Atkinson. Vous savez que Chypre est une république et que
son Président a été élu en bonne et due forme. M. Denktash et la
communauté chypriote turque ont choisi de se retirer et sont séparés
de nous actuellement. Nous avons toujours affirmé que nous serions
heureux d’accueillir de nouveau les Chypriotes turcs en notre sein
dans le cadre de la Constitution, si c’est ce qu’ils souhaitent.
Ils s’y sont malheureusement refusé. Je pensais que vous le saviez.
On ne peut consulter quelqu’un que dans le cadre d’institutions
prévues à cet effet par la loi. Or ces institutions existent, mais
les Chypriotes turcs ont malheureusement choisi de ne pas y participer.
C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas eu la possibilité
de les consulter.
M. LAMBIE (Royaume-Uni) (traduction)
Je vous ai
demandé si vous ne verriez pas d’inconvénient à ce que l’Assemblée invite
M. Denktash à venir prendre la parole devant elle. Vous avez exposé
aujourd’hui votre point de vue sur la question. Compte tenu du nouvel
esprit de glasnost que j’ai cru percevoir dans votre discours d’aujourd’hui, verriez-vous
un inconvénient à ce que M. Denktash soit invité à présenter sa
version de l’affaire?
Depuis que je suis membre du Conseil de l’Europe, je n’ai
rencontré dans un cadre officiel à l’Assemblée parlementaire, dans
des commissions et des sous-commissions, que des représentants de
la communauté grecque de Chypre. Dans votre allocution, vous avez
affirmé qu’il fallait se préoccuper de l’avenir. Pouvez-vous nous
donner l’assurance que dans un proche avenir, la délégation chypriote
au Conseil de l’Europe comprendra des membres de la communauté turque?
Cela permettrait de faire un grand pas en avant dans la perspective
d’être tous réunis.
M. Vassiliou, Président de la République de Chypre (traduction)
Il ne m’appartient
pas de décider qui peut parler devant l’Assemblée. Autant que je
sache, les règles sont claires. C’est une Assemblée de vingt-trois Etats,
et uniquement les chefs de ces Etats sont invités à s’exprimer devant
elle; M. Denktash ne peut donc le faire à aucun titre.
Le point de vue des Chypriotes turcs est connu. Il y a eu
de nombreuses occasions, notamment dans le cadre de visites d’information,
d’entendre ce point de vue, et je suis convaincu que personne ne
l’ignore. Je répète que nous sommes à la recherche d’une solution
et que nous souhaitons la réunification de Chypre. Nous avons toujours
souhaité que les Chypriotes turcs fassent partie de la délégation.
Ce n’est pas de notre faute s’ils ne sont pas là: ce sont eux qui
ont fait ce choix.
Cette Assemblée se compose de représentants des vingt-trois
parlements de ses Etats membres. Les Chypriotes turcs ont malheureusement
préféré se retirer de notre Parlement. Des sièges sont prévus pour
eux, mais ils ne veulent pas participer. Ce qu’ils veulent, c’est
imposer la partition de l’île et détruire la république. Le monde
entier est contre la partition. Les problèmes ethniques ne sauraient
être résolus par la partition. Comme je l’ai affirmé dans mon exposé
– et je suis certain que vous partagez mon avis – cela ne servirait
à rien si, au lieu de trente-cinq Etats, l’Europe était composée
de trois cents nations; or c’est ce qui se produirait si chaque
minorité ethnique pouvait, à son gré, faire sécession. Nous nous
efforçons d’œuvrer pour le bien du peuple chypriote, mais nous participons
également à votre lutte pour une Europe meilleure et un monde meilleur.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous
remercie, Monsieur le Président. Au nom de l’Assemblée, je vous
adresse nos remerciements pour les réponses que vous avez données
à toutes les questions qui ont été posées. Je vous remercie également
du soutien que vous apportez à notre Organisation et je vous adresse,
à vous-même et à Chypre, nos meilleurs vœux pour l’avenir.