George

Borg Olivier

Premier ministre de Malte

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 4 mai 1965

C’est, Monsieur le Président, avec gratitude et non sans fierté que mon pays a reçu l’invitation du Conseil de l’Europe à devenir Membre de cette organisation. Malte arrive aujourd’hui pour participer aux délibérations des organes du Conseil de l’Europe, avec le désir et la volonté de contribuer aux efforts déployés pour que la paix et la prospérité, la liberté et le bonheur, puissent régner sur toutes les terres qui constituent notre noble continent. C’est également avec gratitude et fierté que j’ai reçu, Monsieur le Président, l’invitation que vous avez bien voulu m’adresser de prendre la parole à l’Assemblée Consultative, le jour même où siègent ici, pour la première fois, des parlementaires de la Chambre des Représentants de Malte. Cette invitation est un grand honneur qui a été vivement apprécié dans mon pays.

Monsieur le Président, lorsque mon pays a adhéré au Conseil de l’Europe, il a eu l’impression qu'il revenait chez lui après une longue absence. Avant même que Malte fût sortie de la domination carthaginoise pour s’intégrer à l’Empire romain, elle était un havre de grâce pour les marins de tous les pays méditerranéens. Pendant six cents ans, mon pays a bénéficié de la paix romaine. Ensuite, Malte a connu cinq siècles de domination byzantine, jusqu’à ce qu’elle succombe devant l’expansion de l’Islam. Trois siècles se sont écoulés, et des institutions européennes ont repris le chemin de notre pays, tout d’abord avec les Normands, puis avec les Souabes, les Angevins, les Aragonais et les Castillans, et chacune a laissé sa marque sur notre ancienne civilisation. Puis, le caractère vraiment européen de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem a laissé à son tour son empreinte permanente sur notre île. Les institutions issues de cet Ordre ont traversé une période d’évolution et de métamorphose sous les Britanniques, et il s’en est dégagé ce qui constitue, dans l’Europe d’aujourd’hui, une société qui a ses caractéristiques propres.

En accédant récemment à l’indépendance, Malte a recouvré sa souveraineté d’antan et l’une des plus anciennes nations d’Europe a repris sa place parmi les pays libres de notre continent. C’est pourquoi j’ai dit que venir à cette institution c’est, à bien des égards, rentrer chez soi après une longue absence. Ici, nous nous sentons vraiment chez nous, réunis avec d’autres Membres de la famille qui partagent nos conceptions fondamentales et notre philosophie et qui sont prêts à bâtir sur les traditions héritées de cette Europe, qui est la nôtre.

Les membres de l’Assemblée seront peut-être intéressés de savoir quelle est la politique poursuivie par mon Gouvernement à l’égard du Conseil et des affaires européennes en général, la contribution que nous espérons être en mesure d’apporter, comment nous concevons nos relations avec l’Europe et comment nous envisageons que ces relations puissent affecter celles que nous avons avec d’autres parties du monde, ou en être au contraire affectées.

Notre participation à ce Conseil comporte deux facteurs qui exercent une influence sur nos perspectives. L’un est la position que nous occupons au centre de la Méditerranée et l’autre notre appartenance au Commonwealth. Notre position géographique nous amène à nous intéresser tout naturellement aux pays nord-africains et aux événements qui s’y déroulent.

D’autre part, notre qualité de Membre du Commonwealth est partagée par deux autres Etats qui font partie, comme nous, du Conseil de l'Europe. Ces liens avec l’Afrique du Nord et le Commonwealth présentent de l’importance pour nous et ne sont, en aucune façon, incompatibles avec les objectifs du Conseil. En fait, ils devraient stimuler l’intérêt que le Conseil porte aux deux domaines que je viens d’évoquer.

Si, en tant que pays européen partageant une culture, une histoire et un mode de vie communs, nous gravitons naturellement vers l’Europe, notre position géographique nous rend conscients de l’importance de l’Afrique du Nord, dont les côtes sont baignées par la même mer que celles de six Etats membres de ce Conseil, et qui peut largement contribuer au bien-être de cette région. Nous estimons, en conséquence, qu’il conviendrait d’accorder un peu plus d’attention à cet aspect de la politique étrangère européenne.

Pour tout effort dans ce domaine de même que pour toute autre activité du Conseil, Malte est disposée à jouer son rôle dans les limites que lui impose sa superficie restreinte, son économie actuelle ainsi que d’autres circonstances. Bien des progrès ont été réalisés dans les affaires européennes depuis la création du Conseil en 1949. Certains Membres sont allés plus loin que d’autres dans la voie de la coopération qui s’est instaurée dans certains secteurs; mais, pour les Membres qui ne sont pas encore prêts à figurer parmi les chefs de file, il reste des possibilités de collaboration et de progrès dans diverses directions.

Il est évident qu’il faudra encore s’attaquer à bien des questions complexes et résoudre de nombreux problèmes. Mais il est également évident que toute évolution sera inévitablement lente, et qu’elle pourra rarement être spectaculaire si elle doit être solide; chacun de nous doit constamment s’efforcer de comprendre les difficultés des autres; l’idéal d’une Europe plus étroitement unie ne doit pas cesser de briller devant nous. Ces concepts, nous les acceptons et nous nous engageons à leur donner notre appui. Jusqu’où Malte pourra-t-elle aller dans cette voie, à combien d’engagements du Conseil sera-t-elle en mesure de souscrire, de quelle manière pourrons-nous offrir notre aide, et dans quels domaines particuliers des activités du Conseil pourrons-nous apporter notre contribution? Ce sont là des problèmes sur lesquels nous avons commencé à réfléchir.

Beaucoup s’inquiètent de la division qui règne en Europe, dont on est allé jusqu’à dire qu’elle était sens dessus dessous. On se demande même parfois si certaines professions de foi sur une volonté d’unité ne s’accompagnent pas de réserves mentales.

Cette situation suscite des craintes et des doutes. Certains éprouvent de profondes inquiétudes; plus les progrès réalisés par un groupe de nations d’Europe vers l’union politique seront rapides, se disent-ils, et plus il sera difficile par la suite d’aboutir à une union plus vaste. Ces appréhensions sont réelles et d’éminents orateurs les ont déjà formulées au sein de notre Assemblée. On peut, heureusement, dire que ce groupe de nations donne le rythme de la progression et forme le noyau auquel d’autres nations pourront plus tard s’agréger.

Mais le propre d’un noyau est d’être plutôt difficile à briser, à moins qu’il ne soit prêt à se joindre à un autre et, en abandonnant certaines de ses caractéristiques, à en adopter de nouvelles. Et c’est là que résident les craintes que je viens d’évoquer. Les nations qui ont peiné durement pour former ce noyau seront-elles disposées à transiger ou à adapter à des circonstances changeantes l’organisation qu’elles ont construite au prix de si grands sacrifices?

Ce qu’il faut redouter, c’est de voir surgir une nouvelle forme de nationalisme qui maintiendrait l’Europe divisée. La politique du Conseil de l’Europe consiste précisément à tenir compte de toutes les possibilités qui peuvent s’offrir d’établir de meilleures relations entre l’Est et l’Ouest du continent. Cela est important. Mais ce qui importe plus encore, c’est qu’au sein des nations européennes qui partagent les idéals du Conseil, il faudrait faire davantage pour habituer les peuples représentés dans cette Assemblée à l’idée d’une progression plus rapide vers l’unité, et pour rappeler aux pays qui réalisent actuellement de rapides progrès dans la voie de l’union politique qu’ils sont porteurs d’une grave responsabilité: veiller à ce que rien de ce qu’ils pourront faire ne vienne jamais entraver une union plus large.

C’est le Conseil de l’Europe qui a été le promoteur de l’unité européenne et on a le sentiment que ce même Conseil devrait continuer à être l’organe qui – en dehors de toute prolifération – serait chargé de surveiller, d’encourager et de consolider les progrès accomplis en direction de cet objectif ultime.

Avant de quitter cette tribune, puis-je également, au nom de mes collègues parlementaires, vous féliciter, Monsieur le Président, de votre réélection si méritée à la présidence de cette haute Assemblée. Tout en vous présentant nos meilleurs vœux, nous tenons à vous assurer de notre loyale coopération dans la tâche difficile qui vous incombe. Nos vœux vont également au ministre éminent qui prit la parole devant l’Assemblée il y a un instant, et qui a été élu Président du Comité des Ministres. Les aimables et encourageantes paroles que lui et vous, Monsieur le Président, avez prononcées sur Malte ont été très chaleureusement accueillies et appréciées.