Zhan
Videnov
Premier ministre de Bulgarie
Discours prononcé devant l'Assemblée
lundi, 24 avril 1995
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs, je me réjouis de cette occasion de présenter mes respects à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, cette Organisation qui, dans l’esprit des Bulgares, incarne les principes de la démocratie. Le Conseil de l’Europe, premier organisme à s’ouvrir à l’Est après la chute du mur de Berlin, montre aux autres institutions européennes la voie de l’avenir, la voie de l’unification de notre continent.
L’Europe se trouve aujourd’hui à un carrefour, fort semblable à celui où elle s’est trouvée à la fin de la seconde guerre mondiale, dont nous allons bientôt célébrer le cinquantenaire. A cette époque, le continent fut coupé en deux par une frontière idéologique et politique qui, pendant plus de quarante ans, a suscité l’horreur au sein des nations européennes.
Il y a cinq ans, on croyait qu’une fois le mur jeté à bas, tous les problèmes se régleraient, et qu’ils se régleraient rapidement. Nous étions en pleine illusion romantique. La vie n’est pas si simple, et nous nous sommes heurtés à d’immenses problèmes, politiques, économiques, sociaux et ethniques. La division que nous croyions avoir abolie en 1989 menace de réapparaître si nous ne prenons pas conscience de ce qu’exige l’avenir et des défis que devra relever l’Europe du XXIe siècle.
Monsieur le Président, je n’ai pas besoin de vous convaincre, vous et les membres de cette Assemblée, que nous partageons tous une responsabilité historique, celle de ne pas laisser échapper la chance réelle que nous avons de régler les conflits de notre continent, de stabiliser et d’unir l’Europe en un «espace européen» solide, sur le plan tant social, économique ou culturel que juridique et politique. Je n’ai pas besoin de souligner le sens profond de notre objectif, créer une «Europe des citoyens».
Nous comprenons tous qu’atteindre ce but est un défi qui nous est commun, dont la réussite exige des efforts concertés de la part des Etats, des institutions et de chaque citoyen de notre continent. C’est ainsi que nous parviendrons à surmonter les obstacles – le terme est faible – qui se présentent aujourd’hui, par exemple les effusions de sang et l’instabilité générale dans certaines régions des Balkans et dans la partie orientale de notre continent, les graves problèmes sociaux, économiques et autres que pose la transition démocratique dans les pays d’Europe centrale et orientale, la poursuite de la récession économique à l’Ouest, sans parler des diverses formes de xénophobie, d’antisémitisme, de racisme, de nationalisme militant ou d’intolérance idéologique et religieuse qui se manifestent en divers endroits du continent.
Le sort des peuples de l’Est comme de l’Ouest, leur sécurité et leur prospérité dans les décennies à venir dépendront des décisions que nous, responsables politiques, prendrons dans les mois et les années qui viennent, car la sécurité est indivisible. Nous souhaitons tous une Europe paisible, sûre, démocratique, équitable et prospère, garantissant à ses habitants tous leurs droits et toutes leurs libertés. Cela peut sembler un objectif ambitieux si l’on considère les conflits en cours et les difficultés que connaissent les nouvelles démocraties durant cette période de transition. Mais il ne fait aucun doute qu’il est réalisable. Pour l’atteindre, tous les pays devront unir et soutenir leurs efforts. Bien entendu, il y a des risques, mais ces risques, nous devons les prendre, pour éviter une nouvelle division de notre continent, avec tout ce qu’elle signifierait en matière politique, sociale et migratoire. Nous pensons que c’est seulement en faisant de l’Europe une région unie sur les plans politique, économique, militaire et social qu’on y garantira l’instauration et le progrès de la paix. C’est pourquoi nous considérons l’intégration de la Bulgarie dans cette zone comme la principale tâche du Gouvernement bulgare. Nous pourrons faire disparaître cette division, invisible, certes, mais bien tangible, de notre continent en nous fondant sur les mêmes bases sur lesquelles les pays d’Europe de l’Ouest se sont retrouvés, vers la fin des années 40, pour effacer leurs inimitiés et leurs rivalités séculaires.
Monsieur le Président, les éléments d’une réponse efficace au défi d’une Europe unie sont multiples et divers. Je citerai les efforts pour assurer la stabilité politique, poursuivre le développement des institutions démocratiques, mettre en place un système de sécurité démocratique sur tout le continent, remettre sur pied les économies «malades» d’Europe centrale et orientale, ou encore pour assurer la couverture sociale de tous les habitants de la communauté européenne. Une autre nécessité urgente est celle de changer de mentalité, d’abandonner les clichés de rivalité et de division qui datent du temps où coexistaient deux blocs, et de les remplacer par les nouveaux concepts européens. Ya-t-il meilleur exemple des avantages de cette attitude que celui de Strasbourg, cette ville carrefour plusieurs fois centenaire, qui, après avoir été pendant si longtemps une pomme de discorde, est devenue une des capitales de l’Europe d’aujourd’hui, croisée des chemins européens et symbole de l’identité paneuropéenne? L’histoire a montré que les problèmes de chaque pays ne peuvent être résolus que dans le cadre d’une Europe unie.
Le Conseil de l’Europe était destiné à jouer le difficile rôle de pionnier dans l’intégration des pays d’Europe centrale et orientale au sein des structures européennes. Fidèle aux principes de la liberté, de la démocratie, de la prééminence du droit, de la dignité de l’être humain et du respect des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe remplit avec succès son rôle de garant et de promoteur de ces valeurs fondamentales, et jette des passerelles culturelles entre les différentes parties de notre continent.
On peut créditer le Conseil de l’Europe de succès indéniables: son système supranational de soutien, de garantie et de protection des droits et des libertés de l’être humain, unique en son genre et en évolution constante; un ensemble de normes toujours plus riche dans tous les domaines; une coopération efficace et fructueuse entre les gouvernements, les parlements, les structures locales et régionales, etc. Qu’il s’agisse de sécurité nationale ou de protection de l’environnement, d’échanges culturels ou de coopération transfrontalière, vous êtes restés fidèles à votre mission, qui est d’apporter la démocratie à chaque habitant de l’Europe et de faire que la démocratie soit un mode de pensée et de vie depuis Gibraltar jusqu’à Vladivostok.
La nouvelle architecture européenne pose au Conseil de l’Europe des problèmes nouveaux, lui confère des responsabilités et des tâches nouvelles. Nous sommes fermement convaincus que le Conseil de l’Europe doit devenir véritablement paneuropéen.
Il compte aujourd’hui trente-quatre membres, parmi lesquels mon pays. Mais le processus d’élargissement est loin d’être terminé. Cette question est capitale, et pas seulement pour le Conseil de l’Europe: la dimension géographique n’est pas seule en cause. Je saisis l’occasion de féliciter votre Assemblée et le Comité des Ministres pour la qualité de leur coopération et de leur engagement dans leurs efforts pour familiariser les pays candidats avec les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe et les faire ainsi progresser sur la voie de l’intégration complète dans cette Organisation.
Un autre aspect intéressant est celui des relations du Conseil de l’Europe avec d’autres structures européennes, en particulier l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et l’Union européenne. Nous savons tous qu’il existe, entre ces institutions, bien des points de contact, voire des chevauchements d’activité. Toutefois, je suis convaincu que chacune aura sa place dans la future «Europe des citoyens» et qu’il faut donc favoriser les relations et la coopération entre elles. De même, je suis convaincu que le Conseil de l’Europe conservera son identité propre dans cette nouvelle architecture européenne. N’oublions pas que, contrairement à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, à l’Union européenne, à l’Otan ou à l’Union de l’Europe occidentale, le Conseil de l’Europe est la seule organisation qui, dans un avenir prévisible, assumera une identité paneuropéenne véritable. Cela en fait un lieu unique de dialogue et d’interaction politiques, où tous les Etats d’Europe peuvent se rencontrer et unir leurs efforts vers la solution de leurs problèmes communs. Il ne faut ni sous-évaluer, ni négliger cette possibilité.
On ne peut que louer les efforts de l’Organisation et de ses Etats membres pour adapter sa structure et son activité aux nouvelles exigences de l’heure et à son nouveau rôle. Pour surmonter beaucoup des problèmes qui se posent, il sera nécessaire d’utiliser au mieux les potentialités existantes. Je ne mentionnerai que la capacité du Conseil de l’Europe de prévenir ou d’éliminer les tensions, qui constitue une partie essentielle de sa contribution au Pacte de stabilité en Europe.
L’admission de nouveaux membres soulève parfois des problèmes nouveaux, ou attire l’attention sur certains aspects de problèmes débattus depuis longtemps. A l’heure actuelle, certains pays de l’Est se sentent menacés, en raison des conflits qui font rage autour d’eux, de la chute de leur niveau de vie, de l’impossibilité de se déplacer librement en Europe, ou des pertes qu’ils subissent du fait des sanctions de l’ONU. Ils ne veulent pas être traités comme des Européens de «deuxième classe». A l’évidence, il faut définir de nouvelles idées et de nouveaux concepts qui seront partagés par tous, pour faire disparaître le mécontentement, le scepticisme et l’indifférence.
La réunion de Vienne des chefs d’Etats et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe a mis à l’ordre du jour la contribution du Conseil de l’Europe à la sécurité démocratique et la nécessité de répondre aux défis du XXIe siècle. Nous savons tous l’importance de l’économie pour la sécurité politique et sociale. A cet égard, il est peut-être déjà temps que le Conseil de l’Europe se penche sur certains grands aspects politiques du développement économique de notre continent. Je pense que cette question mérite d’être examinée.
Les pays d’Europe centrale et orientale sont engagés dans un difficile processus de transition. Bien qu’ils aillent tous dans la même direction et qu’ils aient des buts communs, leur développement n’est pas uniforme. La République de Bulgarie connaît les difficultés propres à tous ces pays, mais aussi d’autres, qui proviennent de sa situation géostratégique.
Outre le coût social élevé de la transition, mon pays doit supporter d’énormes pertes découlant directement de l’application stricte des sanctions commerciales et économiques contre la Serbie et le Monténégro, ainsi que contre l’Irak et la Libye. Ces pertes directes se montent à des milliards de dollars, et toute l’aide qu’on peut nous fournir est sans commune mesure avec les conséquences catastrophiques de ces sanctions. Il va de soi que nous considérons notre passage à la démocratie comme une grande réalisation, mais je voudrais souligner la complexité des problèmes économiques qui se posent à notre peuple. Un certain nombre des actions du Gouvernement bulgare dépendent de ces problèmes, et je voudrais en citer rapidement quelques-unes.
Les élections parlementaires de l’année dernière ont modifié la carte politique intérieure. La victoire impressionnante des socialistes, du parti agraire de gauche et des écologistes a donné une nouvelle majorité au parlement et entraîné la formation d’un gouvernement de coalition. En exprimant clairement leur volonté, les électeurs ont créé des conditions permettant la stabilité politique et l’élaboration d’une stratégie de longue haleine pour sortir de la grave crise socio-économique et poursuivre la construction d’une société démocratique et d’une économie de marché à orientation sociale.
Le Gouvernement bulgare actuel est une équipe d’hommes politiques qui ont la même évaluation et la même conception du présent et de l’avenir de leur pays, et qui sont déterminés à gérer et à gouverner de façon efficace, en se fondant sur les valeurs de la démocratie pluraliste, du respect des droits de l’homme et de la prééminence du droit. Toutes ces valeurs sont au cœur des travaux du Conseil de l’Europe et permettront d’édifier notre continent. Pour nous, l’adhésion aux normes démocratiques européennes est une priorité indiscutable. Les grands objectifs du gouvernement en matière économique et sociale sont d’arriver progressivement à une croissance économique stable, d’enrayer l’inflation, de juguler la délinquance et d’établir des règles claires pour la vie économique de notre pays. Nous concentrons nos efforts sur la reprise de la production, la restructuration de l’économie et le progrès des réformes agricoles. Le gouvernement attache la plus grande importance à la privatisation, qui va bientôt être lancée à grande échelle.
L’innovation en matière de technologie et d’infrastructures est une tâche essentielle du Gouvernement bulgare. Notre intégration à l’Europe est impossible sans des communications modernes et sans un échange libre et actif de biens, de capitaux et de personnes.
Le coût social de la transition est très élevé pour la plus grande partie du peuple bulgare. Malgré nos énormes difficultés, nous sommes déterminés à enrayer le déclin de notre niveau de vie et à le réduire à zéro pour les couches sociales les plus défavorisées. Il est parfaitement clair pour tous les Bulgares que le pays ne pourra sortir de la crise que si tous s’unissent dans les domaines clés du développement économique et dans la solution des problèmes sociaux les plus graves. Une des grandes priorités gouvernementales est l’élaboration d’une législation et l’application de réformes dans le domaine social. Nous nous proposons de créer des caisses d’assurance sociale autonomes, pour partie autofinancées et pour partie subventionnées. Je voudrais tout particulièrement souligner l’espoir que nous mettons dans notre participation au Fonds de développement social du Conseil de l’Europe pour faciliter la solution de nos problèmes dans les domaines de la santé, de l’éducation, du chômage, etc.
Pour être en mesure de travailler correctement, notre gouvernement a besoin d’un système fiable pour le renforcement de la législation, qui se fonde bien entendu sur le principe de la séparation des pouvoirs.
Je tiens à souligner que nous apprécions particulièrement l’interaction et la coopération dans le' cadre du Conseil de l’Europe, qui permettront l’établissement en Bulgarie des institutions convenant à un Etat de droit.
Par notre action au niveau exécutif et législatif, nous nous efforçons d’assurer la démocratisation et le développement de l’autonomie locale. Cela nous permettra de mieux tenir notre place au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, forum dont on ne saurait exagérer l’importance.
On peut citer parmi les traits caractéristiques de la transition dans mon pays la solution apportée aux tensions et aux problèmes ethniques hérités de l’histoire turbulente des Balkans. L’égalité des citoyens devant la loi, la protection de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ainsi que la création de conditions favorables au libre développement de l’individu et de la société civile sont les piliers de notre Constitution. Tout cela, outre notre tradition historique de tolérance, nous donne des raisons de penser que la Bulgarie sera un pays de coexistence pacifique et d’enrichissement mutuel pour les différentes religions et cultures.
Notre gouvernement est attaché à une politique étrangère dont les principaux objectifs sont de garantir la sécurité nationale et la croissance économique, et de renforcer les processus démocratiques. L’intégration de la Bulgarie aux structures économiques, politiques et de sécurité européennes et euro-atlantiques revêt pour nous une grande priorité. En d’autres termes, la continuité est une caractéristique marquante de notre politique étrangère. Nous avons l’intention de faire tous les efforts nécessaires pour exercer nos droits et respecter nos obligations au titre de l’Accord d’association de la Bulgarie avec l’Union européenne, qui est entré en vigueur le 1er février dernier. Nous sommes convaincus que les résultats de ces efforts ouvriront à la Bulgarie de nouvelles possibilités de poursuivre des négociations en vue de son admission au sein de l’Union européenne immédiatement après la conférence intergouvemementale de 1996. Parallèlement, nous intensifierons la coopération avec les Etats associés à l’Union européenne et l’interaction avec les structures déjà en place. Nous souhaitons également participer activement aux initiatives et aux forums régionaux qui correspondent à nos objectifs en politique étrangère.
Dans l’élaboration de sa politique relative aux systèmes de sécurité, le gouvernement est guidé par une importante déclaration acceptée d’un commun accord par les forces politiques présentes au Parlement à la fin de 1993. Nous mettrons à profit les possibilités données par l’Otan et l’Union de l’Europe occidentale afin que, si à l’avenir ces organisations s’élargissent, il soit possible pour la Bulgarie d’y adhérer dans le respect complet de nos intérêts nationaux, étant bien entendu que la sécurité de la Bulgarie ne sera pas assurée aux dépens de celle d’autres Etats proches ou lointains.
Comme nous l’avons déclaré à diverses reprises, le gouvernement poursuivra une politique de stabilisation dans les Balkans reposant sur des principes tels que la renonciation aux revendications territoriales, l’inviolabilité des frontières nationales, le respect de la souveraineté nationale, la non-ingérence dans les affaires intérieures, et des relations avec tous les Etats voisins sur un pied d’égalité. Nous avons l’intention de rechercher de nouvelles formes d’intégration pour la coopération dans les Balkans et de promouvoir les initiatives destinées à corriger les déséquilibres militaires dans la région.
Sous aucune forme, directe ou indirecte, pas même sous l’égide d’organisations internationales, la Bulgarie ne participera à des opérations militaires dans le cadre de conflits dans les Balkans.
Je voudrais ajouter quelques mots au sujet du conflit qui déchire l’ancienne Yougoslavie et des sanctions internationales imposées dans ce contexte. Nous sommes profondément préoccupés par la réelle menace d’une nouvelle extension du conflit, qui redouble de violence. La République de Bulgarie reste persuadée qu’une solution pacifique, juste et durable, n’est possible que dans le contexte européen, avec l’aide des institutions européennes et euroatlantiques et des Nations Unies, dans le respect de l’équilibre des pouvoirs dans la région.
La levée progressive des sanctions en Yougoslavie est devenue une nécessité politique et économique d’une urgence croissante pour le règlement pacifique de la crise. Les sanctions menacent de plus en plus la stabilité des Etats tiers qu’elles affectent. Les pertes entraînées par les sanctions et le déficit au niveau de l’assistance internationale sapent de plus en plus le développement démocratique et les réformes économiques dans les Etats ayant des frontières communes avec les Etats en conflit, et font obstacle à leur ambition de s’intégrer aux structures internationales. Il ne fait pas de doute que la levée des sanctions, parallèlement à un règlement pacifique équitable et durable du conflit, donnera un élan vital supplémentaire au développement du processus d’intégration européenne. On peut faire valoir qu’il ne saurait y avoir de paix dans les Balkans en l’absence d’unité et d’entente au plan européen. Toutefois, il ne peut y avoir d’Europe unie en l’absence de paix dans les Balkans. Des efforts concertés s’imposent donc.
Le Gouvernement bulgare estime que les Etats voisins des régions en conflit, qui sont directement touchés par les sanctions, peuvent et doivent contribuer à intensifier la recherche d’une solution au conflit, parallèlement à la levée des restrictions au commerce avec la Serbie et le Monténégro et à la relance du dialogue politique entre tous les pays de l’Europe balkanique.
C’est à notre initiative que cinq des pays touchés par l’embargo se sont mis d’accord pour entreprendre une démarche collective auprès du Secrétaire général et du Conseil de sécurité des Nations Unies en ce qui concerne les problèmes économiques particuliers que les sanctions posent aux pays tiers. Cette initiative est ouverte aux autres Etats concernés qui souhaitent se joindre à nous.
Monsieur le Président, je me permettrai de dire à nouveau à quel point je suis heureux de cette occasion de vous présenter la position du Gouvernement bulgare sur un certain nombre de questions intérieures et européennes.
Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements)
LE PRÉSIDENT (traduction)
Monsieur Videnov, je vous remercie de l’exposé fort intéressant que vous venez de nous présenter. Vingt et un parlementaires souhaitent vous poser des questions. Etant donné que nous devons en avoir terminé dans trois quarts d’heure, je crains que nous ne puissions procéder de la manière habituelle. Aussi prierai-je les parlementaires inscrits de poser leur question le plus brièvement possible. La parole est à Mme Lentz-Comette, pour poser la première question.
Mme LENTZ-CORNETTE (Luxembourg)
M. le Premier ministre de Bulgarie peut-il nous dire si, dans son pays, la Cour constitutionnelle et la magistrature sont indépendantes des partis politiques?
M. Videnov, Premier ministre de Bulgarie (traduction)
La nouvelle Constitution bulgare est fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs. Chaque tribunal et chaque administration est entièrement libre de remplir ses devoirs et ses obligations conformément aux lois, sans contrôle parlementaire, sauf nécessité absolue, sans contrôle des partis politiques et sans devoir subir de pression d’aucune sorte.
Les problèmes que connaît la Bulgarie trouvent leur origine dans les divergences de vues entre les différents organes gouvernementaux – entre les tribunaux et le gouvernement, entre le gouvernement et le parlement, entre le parlement et le président. Notre expérience est certes récente, mais elle est déjà riche et, jusqu’à présent, nous avons toujours résolu ces problèmes dans le respect de la Constitution. Voilà bien, à mon sens, la preuve de la réalité de la séparation des pouvoirs, qui ne permet l’ingérence d’aucune idéologie et d’aucun parti dans la politique gouvernementale.
M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)
Depuis février 1993, les organisations internationales de protection des droits de l’homme rapportent que les chrétiens non orthodoxes de Bulgarie sont vivement inquiets au sujet d’une campagne menée à leur encontre dans le pays, campagne qui s’est traduite par toutes sortes de tracasseries – pertes d’emplois, agressions, dégradations d’églises, problèmes avec les autorités locales qui refusent parfois d’enregistrer les nouveaux lieux de culte. J’aimerais que M. Videnov puisse nous donner son assurance que tous les chrétiens de Bulgarie sont traités exactement de la même manière que les orthodoxes, sans discrimination ni restriction aucune.
M. Videnov, Premier ministre de Bulgarie (traduction)
Il est vrai que la Constitution bulgare fait de l’Eglise orthodoxe «la religion traditionnelle de la Bulgarie»; mais cela ne veut pas dire qu’elle bénéficie d’un traitement de faveur, ni qu’on encourage la discrimination à l’encontre des chrétiens non orthodoxes.
L’opinion publique bulgare oppose une grande méfiance aux activités des sectes qui se sont développées dans le pays ces dernières années, ce qui pourrait expliquer le comportement de certaines fractions de la population envers les chrétiens non orthodoxes. D’autre part, le problème trouve quelquefois son origine dans les lacunes de la législation sur les Eglises et les activités religieuses, lacunes qui sont dues pour la plupart à sa vétusté, et que le Gouvernement cherche à combler. C’est ainsi que, l’année dernière, il a entrepris de recenser les différentes religions, les fondations à caractère confessionnel et les Eglises. Je puis vous assurer, M. Atkinson, que le Gouvernement bulgare ne tolérera aucune discrimination à l’encontre des chrétiens non orthodoxes, quelle que soit son origine.
M. RECODER (Espagne) (interprétation)
souligne que c’est sous la présidence bulgare du Comité des Ministres qu’a été élaborée la Convention-cadre sur la protection des minorités, qui constitue un pas en avant important sur la voie de l’intégration européenne. Il demande à M. Videnov quelle est la position de son gouvernement et si celui-ci entend signer prochainement cette convention-cadre.
M. Videnov, Premier ministre de Bulgarie (traduction)
La convention est l’un des documents les plus importants sur lesquels le Conseil de l’Europe ait travaillé ces dernières années. Tous les délégués bulgares de l’Assemblée parlementaire sont conscients – comme l’opinion bulgare – que cet instrument constitue une étape décisive dans la résolution de l’un des problèmes les plus aigus auxquels l’Europe doit faire face en ce moment.
Le Gouvernement bulgare a entrepris l’examen de cet instrument. La procédure est lente, et le parlement y participera à un stade ultérieur; toutefois, je pense que nous serons en mesure de vous faire connaître assez rapidement notre position. Nous ne désirons pas que la signature et la mise en œuvre d’un texte aussi important puissent poser des problèmes.
La notion de minorité nationale n’est pas toujours clairement définie, ce qui est parfois source de difficultés. En Bulgarie, nous savons que c’est la combinaison des différences ethniques, religieuses, culturelles et linguistiques qui est à l’origine de la formation et du développement de groupes minoritaires au sein d’un Etat-nation. Nous savons qu’il convient de mettre en place certains mécanismes qui permettront de mieux cerner ces minorités. Cela vaut tout particulièrement pour les Balkans. Il conviendrait d’adopter une attitude plus souple et de tenir compte des particularités de tel ou tel groupe de la société dans la recherche de solutions. Je suis convaincu que tous les problèmes que nous venons d’évoquer pourront être résolus dans le cadre de la Constitution, conformément aux résultats des discussions menées au sein du Conseil de l’Europe, qui déboucheront, je l’espère, sur des textes concrets que nos experts seront appelés à examiner.
M. SEITLINGER (France)
A juste titre, vous avez indiqué qu’il n’y aurait pas d’Union européenne sans paix dans les Balkans. Vous avez également évoqué les sanctions économiques décidées par les Nations Unies. Les décideurs ne sont pas les payeurs, ce qui fait de votre pays une innocente victime. Vous avez subi un préjudice considérable évalué à trois milliards de dollars, sans la moindre compensation, alors qu’au lendemain de la guerre du Golfe, des pays comme l’Egypte, la Turquie ou la Jordanie ont bénéficié de dédommagements. Indépendamment des problèmes politiques de fond sur la levée ou le maintien des sanctions des Nations Unies à l’égard de la Serbie et du Monténégro, existe-t-il des perspectives favorables pour que la communauté internationale apporte une compensation aux préjudices que vous continuez de subir, alors que M. Perinski, votre actuel ministre des Affaires étrangères, a déjà présenté devant notre Assemblée, en décembre 1993, un rapport dressant le bilan des pertes subies par votre pays? Telle est la question que je voulais poser sur les éventuelles perspectives en vue d’un partage du fardeau.
M. Videnov, Premier ministre de Bulgarie (traduction)
Il m’est difficile de prendre position sur les sanctions prononcées à l’encontre de la Serbie et du Monténégro. En effet, n’oublions pas que certains pays tiers, voisins de la Yougoslavie, en subissent également les conséquences. Il faut trouver le moyen de compenser les préjudices subis par d’innocentes victimes, préjudices qui, selon les estimations – des plus conservatrices – du FMI, s’élèveront à la fin de la première année à environ deux milliards de dollars; et ce chiffre concerne uniquement la Bulgarie. Des problèmes semblables se posent pour la Macédoine, l’Albanie, la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie, la Slovénie, l’Autriche, l’Italie et plus particulièrement la Grèce.
Nous avons déjà eu l’occasion de soulever ces questions auprès des organisations internationales compétentes. Les Nations Unies et le Conseil de sécurité ont d’ailleurs adopté plusieurs résolutions à ce sujet. Je pense qu’il est temps pour les Etats des Balkans de contribuer à faire avancer le processus de paix dans l’ex-Yougoslavie, afin que les sanctions puissent être levées, et de demander des compensations pour certains des préjudices subis pendant ces trois années de conflit.
D’une part, nous en appelons aux institutions financières internationales pour qu’elles fassent preuve d’une plus grande souplesse et qu’elles comprennent les problèmes particuliers des pays tiers. D’autre part, nous sommes à la recherche de capitaux qui permettront d’améliorer nos infrastructures ainsi que les communications entre les pays et les régions proches de la zone du conflit. Nous souhaitons qu’ils puissent avoir plus librement accès aux marchés européens, et participer à la relance de l’économie de la région une fois le conflit terminé. Les pays voisins de la Yougoslavie pourraient alors s’associer à un effort collectif qu’entreprendraient la Moldova, l’Ukraine, la Roumanie et la Grèce, par exemple. J’espère que nous recevrons une réponse positive des organisations et institutions internationales compétentes.
M. RUFFY (Suisse)
Monsieur le Premier ministre, lorsque les organes de presse d’Europe occidentale parlent de votre parti, notamment du parti socialiste bulgare, ils lui prêtent toujours le qualificatif d’ex-communiste avec une connotation péjorative. J’aimerais vous entendre: au fond, quels sont les éléments fondamentaux de votre programme dénotant une orientation socialiste et qui devraient lever toute ambiguïté et rendre désormais cette étiquette obsolète?
Quelle est l’attitude de votre gouvernement à l’égard d’éventuels mouvements à résurgence nationaliste? Pourriez-vous nous expliquer pourquoi, alors que vous formiez votre gouvernement, vous n’êtes pas parvenu à cette grande coalition appelée de vos vœux, dans la mesure où vous avez déclaré pouvoir compter sur tous les Bulgares pour promouvoir le développement de votre pays?
M. Videnov, Premier ministre de Bulgarie (traduction)
Voilà une question importante. L’histoire récente de la Bulgarie fournit un certain nombre d’éléments qui permettent d’affirmer que différentes idéologies ont cours au sein des partis socialistes créés après la chute du communisme. Par exemple, en ce qui concerne la façon de mener la réforme. L’évolution vers la démocratie et l’économie de marché est inéluctable. Et le parti socialiste est l’un de ses plus fervents défenseurs. Il me paraît important de noter qu’après plusieurs années d’une transition difficile, personne ne se distingue par ses tendances nationalistes, chez les gens de gauche notamment. Durant les deux dernières années, une bonne coopération s’est établie entre tous les partis politiques, y compris les partis musulmans, ce qui laisse bien présager de l’avenir, en particulier dans certains domaines. Après les élections, nous avions certes l’intention de former un gouvernement de coalition, mais cela s’est révélé impossible parce qu’on s’est rendu compte que l’écrasante majorité de la population exigeait de ses dirigeants qu’ils prennent davantage de responsabilités politiques. Tel était, aux yeux tant de la population que du parlement, le véritable changement. Toutefois, on aurait peut-être été mieux inspiré de donner à la fois aux socialistes et aux écologistes l’occasion de tenir leurs promesses et de poursuivre leurs ambitions ouvertement. Et, je tiens à le souligner, les préjugés, religieux notamment, n’ont aucune part dans cette décision, qui découle d’une réalité politique et ne signifie pas qu’il existe des scissions nationalistes au sein de la société bulgare; celles-ci appartiennent au passé et doivent y rester.
M. FRUNDA (Roumanie) (traduction)
Ma question se rattache à celle posée par M. Ruffy. J’aimerais savoir si, au sein du Gouvernement bulgare, il y a des ministres qui occupaient déjà des fonctions similaires dans le Gouvernement de M. Jivkov. Est-il vrai que certains responsables du ministère de l’Intérieur appartenaient à la police politique sous le régime communiste?
M. Videnov, Premier ministre de Bulgarie (traduction)
Certains dirigeants politiques, certains parlementaires, certains membres des pouvoirs locaux ou des tribunaux occupaient déjà leurs fonctions au cours des dernières décennies. L’un des ministres du gouvernement actuel avait naguère été ministre de l’Education; il avait été évincé par M. Jivkov début 1989. Mais peu importe; cet homme est une personnalité de premier plan et de grande vertu, un brillant historien que les Bulgares considèrent comme un leader d’opinion. C’est un homme de valeur, et bien que certaines des mesures qu’il a prises récemment aient soulevé des contestations, il n’a pas fait l’objet de critiques en raison de son passé.
Pour ce qui concerne la police, je puis vous dire que les hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ont presque tous été remplacés. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais je pense qu’aucun des chefs de section – notamment le chef de la police politique – n’est resté en place. Les autorités judiciaires manquent encore d’expérience, ce qui pose d’énormes problèmes dans la lutte contre la criminalité et ses atrocités, que les Bulgares ont chaque jour davantage en horreur.
Le ministre des Affaires étrangères était déjà en place sous les régimes précédents; c’est un homme que beaucoup d’entre vous, ici à Strasbourg, connaissent bien, et je suis certain que personne ne songe à le critiquer pour cette raison; je pense au contraire qu’on le respecte pour les activités qu’il a déployées ces deux dernières années en tant que membre de cette Assemblée.
M. HARDY (Royaume-Uni) (traduction)
J’aimerais que notre éminent invité nous fasse part de la position de son gouvernement au sujet des centrales nucléaires en Bulgarie. La sûreté de leur fonctionnement est-elle assurée? La Bulgarie reçoit-elle toute l’assistance technologique nécessaire à cette fin? Dans la négative, j’aimerais savoir quel serait le rôle que l’Assemblée pourrait jouer en la matière.
M. Videnov, Premier ministre de Bulgarie (traduction)
La centrale nucléaire de Koslodny fait l’objet d’un contrôle international des plus stricts. Je puis vous assurer que c’est actuellement l’une des centrales les plus sûres d’Europe. L’assistance de certains pays européens et de certaines institutions européennes nous a permis de renforcer les normes de sécurité des centrales nucléaires pour une production d’énergie plus sûre à l’avenir.
Pour ce qui est de la protection de l’environnement, il convient d’examiner de plus près le moyen d’implanter des centrales conventionnelles dans notre pays, qui a cruellement besoin de capitaux pour pouvoir en développer la technologie. La Bulgarie reconnaît la nécessité de s’orienter vers de nouvelles sources d’énergie et cherchera les moyens de les mettre en place au cours des années à venir. Il s’agit là d’un domaine majeur de la coopération avec nos partenaires économiques d’Europe occidentale.
M. PAVLIDIS (Grèce) (traduction)
Je souhaite la bienvenue au Premier ministre de la Bulgarie, pays voisin de la Grèce. J’espère que les efforts déployés tant par son gouvernement que par le peuple bulgare pour construire une démocratie stable seront couronnés de succès.
J’aimerais savoir comment M. Videnov accueille l’idée d’un accord entre les pays des Balkans afin de garantir l’inviolabilité des frontières existantes – dans un premier temps, puis celles des pays qui verront le jour une fois que le processus de paix dans la région sera achevé.
M. Videnov, Premier ministre de Bulgarie (traduction)
Le Gouvernement bulgare connaît bien cette proposition, qui représente, à ses yeux, un pas de plus vers la stabilité, indispensable dans les Balkans, région où la situation est particulièrement complexe. On pourrait, par exemple, commencer par reconnaître les frontières des pays des Balkans qui ne sont pas impliqués dans le conflit et qui jouissent déjà de la reconnaissance internationale, puis régler les problèmes avec les pays en conflit. On créerait ainsi une atmosphère nouvelle dans les Balkans, région où le moindre signe annonciateur d’une revendication de la part des Etats voisins est porteur de menace et éveille la suspicion. On ne pourra atteindre à la stabilité dans les Balkans que si les frontières internationales sont clairement reconnues dans la Constitution et la législation de chaque pays de la région, et si l’on met fin aux revendications territoriales.
M, SZYMANSKI (Pologne) (traduction)
Monsieur le Premier ministre, comment définissez-vous le rôle de la Bulgarie dans les Balkans à la lumière de son association avec l’Union européenne? A quelle date pensez-vous que la Bulgarie pourra devenir membre à la fois de l’Otan et de l’Union?
M. Videnov, Premier ministre de Bulgarie (traduction)
Comme vous le savez, il s’agit là d’un problème auquel se trouvent actuellement confrontés tous les pays d’Europe centrale et orientale. Nous serons en mesure de faire acte de candidature auprès de l’Union européenne immédiatement après la conférence intergouvemementale de 1996. Le temps presse, et il y a encore beaucoup à faire; mais, pour la Bulgarie, l’intégration dans les structures européennes et atlantiques est un processus inéluctable, notamment dans les domaines de la coopération économique, culturelle et militaire.
Pour ce qui est de l’Otan et de l’Union européenne, les pays d’Europe centrale et orientale devront participer activement à tous les débats sur les futurs processus de décision. Pour le renforcement de la sécurité en Europe, il sera nécessaire d’adopter une position tenant compte de l’évolution des pays d’Europe de l’Est. L’avenir des pays de l’Europe centrale et orientale se trouve dans leur participation à l’Union européenne, à l’UEO et à l’Otan.
Et l’avenir des organisations internationales dépend dans une certaine mesure du développement de nos pays. Le problème nous concerne tous, et c’est de nous tous – Bulgares, Polonais, Roumains, Tchèques, Slovaques, etc. – que dépendra la solution.
M. PARISI (Italie) (traduction)
Je voudrais demander à M. le Premier ministre, les réponses duquel témoignent de sa force de persuasion, de ses compétences et surtout de son habileté, s’il est vrai que son gouvernement a abrogé les lois prévoyant l’annulation des actes d’achat de biens immeubles conclus par l’ancienne nomenklatura – communiste, naturellement – grâce aux profits réalisés par le régime, et si oui, pourquoi? Comme le Premier ministre parlait du parti socialiste comme de son propre parti, je voudrais savoir s’il estime devoir jouer un rôle pour éviter une nouvelle personnalisation du pouvoir, même si elle n’est plus désignée comme telle, afin de garantir une séparation effective des pouvoirs.
Les attaques – connues des milieux politiques internationaux – lancées par des membres du parti socialiste et surtout par le ministre de la Justice contre la Cour constitutionnelle et la magistrature ne sont guère de nature à apaiser les inquiétudes qu’exprimait, je crois, Mme Lentz-Cornette lorsqu’elle a demandé si cette séparation des pouvoirs était réelle.
Le jeune Premier ministre a, je pense, démontré qu’il était très brillant – et nous lui souhaitons tout le succès possible – cependant il doit aussi tenir compte du fait que le Conseil de l’Europe a souvent accueilli en son sein des pays d’Europe centrale et orientale par générosité et par confiance. Nous voulons consolider cette entrée définitive dans la démocratie. Ce ne sont pas des réponses abstraites que nous demandons, mais des actes; la Bulgarie doit, en effet, s’efforcer d’effacer une image d’elle-même marquée par la prévarication et la dilapidation. La démocratie bulgare apparaît aujourd’hui fondée sur des principes irréprochables, consacrés par des chartes et des textes constitutionnels, mais, dans la pratique, elle suscite des interrogations et il nous faudra certainement instaurer un contrôle plus étendu en Europe centrale et orientale.
M. Videnov, Premier ministre de Bulgarie (traduction)
Je le répète, le principe de la séparation des pouvoirs tel qu’il figure dans notre Constitution répond aux besoins de la société bulgare actuelle. Qui plus est, il est conforme aux principes généraux du Conseil de l’Europe et de tous les pays européens modernes. Le président peut opposer son veto aux décisions du parlement – au sein duquel existe une majorité absolue -, ce qui est arrivé à trois ou quatre reprises au cours du dernier trimestre. La Cour constitutionnelle a déjà invalidé certaines dispositions législatives prises par le parlement. La Cour suprême est souvent en désaccord avec le gouvernement. Jusqu’à présent, cela n’est pas encore arrivé sous le gouvernement actuel, mais c’était assez fréquent auparavant.
Et, de ce point de vue, la Constitution bulgare est satisfaisante, quoique, il faut bien l’admettre, pas toujours aussi efficace qu’elle le devrait. On pourrait lui faire le reproche d’être à l’origine de certaines lenteurs, mais, après tout, c’est le lot de la séparation des pouvoirs, l’un des principes fondamentaux de la démocratie. Au sein de la société bulgare un consensus se dégage pour qu’elle soit maintenue.
M. FIGEL (Slovaquie) (traduction)
Au cours du processus de transition, certaines démocraties européennes nouvellement créées aspirent à un renforcement de la coopération politique et économique dans cette partie du continent. J’aimerais savoir, Monsieur le Premier ministre, quelle est, selon vous, la part que la Bulgarie devrait prendre tant dans ce que l’on appelle l’initiative européenne que dans l’espace économique de la mer Noire, que vous n’avez pas évoqués dans votre allocution. Quels avantages la Bulgarie peut-elle espérer tirer d’une telle participation?
M. Videnov, Premier ministre de Bulgarie (traduction)
Je vous remercie de votre question. La Bulgarie marque un profond intérêt pour l’espace de coopération économique de la mer Noire qui, pour notre région, représente un important mécanisme d’intégration économique. Dans le cadre de ce processus, on pourrait mettre en place de nombreux projets d’envergure, renforcer les échanges culturels entre les pays membres, développer les communications interrégionales; c’est là une initiative qu’il faut absolument soutenir. Jusqu’à présent, les efforts visant à faire de l’espace de coopération économique de la mer Noire un forum intégré possédant une assemblée parlementaire ou d’autres organes sont allés dans un sens bien différent de ce qu’exige le développement de la coopération économique.
Nous attachons une importance extrême au développement de liens économiques au sein de l’espace économique de la mer Noire, notamment en ce qui concerne l’énergie. La Bulgarie a émis quelques idées fort intéressantes à ce propos, qui impliquent l’instauration d’une coopération directe entre tous les Etats membres. Chacun d’entre eux pourra ainsi contribuer au développement de la région avec l’aide des organisations et des institutions européennes.
La Bulgarie attache également une grande importance au développement de l’initiative centre- européenne. La Bulgarie est un pays riche et, en tant que tel, elle cherche à développer ses infrastructures et ses voies de communication vers la région de la mer Noire et vers l’Europe centrale. Les deux idées ne sont pas concurrentielles; elles sont complémentaires et servent nos intérêts mutuels, intérêts qui, selon le Gouvernement bulgare, sont de la plus haute priorité.
M. MIMAROGLU (Turquie)
Monsieur le Premier ministre, je vous remercie pour votre exposé, qui fut clair et équilibré, et pour vos commentaires très intéressants et importants concernant les Balkans. Votre voix doit être écoutée très attentivement dans la région.
J’aimerais vous poser une question concernant la situation dans les Balkans. Monsieur le Premier ministre, craignez-vous de voir un jour la situation dans les Balkans s’aggraver subitement et voyez-vous ou prévoyez-vous une intervention militaire ou un élargissement subit des conflits dans la région? Dans ce domaine, pensez-vous que la participation de votre pays à l’Otan peut être une aide? Par ailleurs, l’attitude de la Russie dans la région peut-elle vous affecter?
M. Videnov, Premier ministre de Bulgarie (traduction)
Le Gouvernement bulgare pense que les perspectives de circonscrire les conflits dans l’ex-Yougoslavie ne sont pas mauvaises, malgré les incessantes effusions de sang, la crainte de nouveaux conflits et les nombreuses victimes de la guerre en Bosnie-Herzégovine. Le conflit est encore très localisé et nous ne pensons pas qu’il risque de s’étendre vers le sud, l’ouest ou l’est.
Mais il est vrai que le système de sécurité collective en Europe est mis à rude épreuve par ces conflits. Il convient d’en tirer les leçons et de le renforcer à l’avenir. Tous les pays des Balkans, y compris la Bulgarie, doivent prendre une part active à toutes les activités et les mesures qui ont pour but de prévenir les conflits de ce genre.
Il est clair que toute participation sera vaine si les plus grandes puissances du continent – et je ne fais pas uniquement allusion à la Russie – ne sont pas fermement déterminées à fournir elles aussi un effort dans ce sens. Sinon, il est à craindre que les problèmes touchant à la stabilité, à la paix et à la sécurité dans les Balkans ne pourront jamais être résolus. Certains pays européens – notamment les plus puissants – opposent une forte résistance. Il faudra redoubler d’efforts dans ces pays pour maintenir la paix et la stabilité dans la région et sur le continent. C’est pourquoi nous attachons la plus grande importance à ce que les autres Etats des Balkans adoptent, à l’égard des pays d’Europe de l’Ouest et de la Communauté des Etats indépendants (y compris la Russie et l’Ukraine), une attitude propre à favoriser le consensus sur les questions de sécurité.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie, Monsieur Videnov. Neuf de nos collègues doivent se sentir quelque peu frustrés de n’avoir pu poser leur question; j’en suis particulièrement désolé, car ils doivent en ce moment en vouloir à leur Président. Je tiens cependant à préciser que M. Videnov n’est en rien responsable de cette situation.
Monsieur Videnov, au nom de l’Assemblée, je vous remercie. Votre excellente allocution ainsi que les réponses précises que vous avez fournies aux questions des parlementaires ont assurément contribué à renforcer notre connaissance de votre pays. Nos contacts se poursuivront à l’avenir; au nom de l’Assemblée, je vous souhaite, à vous et à votre peuple, plein succès dans vos entreprises difficiles.