Aleksandar

Vučić

Premier ministre de Serbie

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 1 octobre 2015

Madame Brasseur, Mesdames et Messieurs, c’est un grand honneur pour moi de pouvoir m’adresser à vous dans cet hémicycle du Conseil de l’Europe. Je tâcherai toutefois d’être aussi bref que possible pour réserver un maximum de temps à mes réponses à vos questions.

J’ai lu un certain nombre de discours tenus par mes prédécesseurs et je sais que le sujet imposé, si je puis dire, est de présenter sous un éclairage le plus favorable possible le pays que l’on vient représenter. Je m’efforcerai, quant à moi, d’être le plus objectif possible, de brosser un tableau aussi précis que possible de la Serbie d’aujourd’hui et de vous présenter nos objectifs pour l’avenir.

La Serbie se veut un pays européen. Elle est candidate à l’Union européenne et, si certains pays sont un peu las d’attendre de pouvoir entrer dans les instances européennes, pour notre part, nous sommes toujours enthousiastes: les Serbes expriment une forte volonté de rejoindre l’Union européenne et les dirigeants serbes continuent de penser que la meilleure voie à suivre pour le pays est la voie européenne. En fait, nous devons répondre à une question clé: quel pays souhaitons-nous laisser à nos concitoyens? La réponse est claire, nous voulons créer un pays stable, ancré dans les instances européennes, notamment dans l’Union européenne. Telle est la voie que nous nous proposons de suivre.

« La Serbie est aujourd’hui un pilier de la stabilité régionale. Nous avons fait le maximum pour créer un environnement pacifique.»

Dans cette optique, je traiterai trois sujets. Tout d’abord, j’évoquerai la crise des migrants, car je sais combien vous êtes passionnés par cette grave question qui met en jeu des valeurs fondamentales de solidarité et de droits de l’homme. Je parlerai ensuite d’économie et de bonne gouvernance. Enfin, allant dans le sens de Mme Brasseur, je traiterai de la coopération comme source de stabilité.

Je dirai pour commencer que l’on entend énormément de rumeurs défavorables, dans mon pays comme ailleurs en Europe, à propos du sort des migrants. Je ne suis pas là pour condamner quiconque ni pour me plaindre de quiconque, pas plus que pour tendre la main et demander plus de fonds. Je ne viens pas ici pour pleurer et me lamenter. Je rappellerai cependant que nous avons reçu un nombre considérable pour ne pas dire record de migrants, car nous sommes sur la route qui mène de la Grèce, de la Macédoine et de la Bulgarie vers d’autres pays qui sont les buts ultimes des migrants.

Pendant près de cinq mois, les migrants qui passaient par chez nous allaient en Hongrie. Aujourd’hui, le flux s’est réorienté vers la Croatie mais, nous, nous acceptons tout le monde et essayons de faciliter la vie de ces personnes.

Il est vrai que cela pose quelques problèmes. Nous recevons en particulier de nombreux syriens, plus de 200 000, d’après les estimations. Nous en avons, en tout cas, enregistré plus de 160 000. Nous nous efforçons de les aider et de leur apporter quelques soins, nous prenons aussi leurs empreintes digitales. Bref, nous faisons ce que doit faire un Etat souverain, tout en les traitant le plus humainement possible. Nous n’avons pas lancé la moindre grenade lacrymogène, ni tiré de coup de feu. Nous les accueillons aussi bien que possible. Une fois chez nous, ils peuvent circuler librement. Il est vrai qu’ils ne souhaitent pas rester en Serbie et qu’ils traversent le pays en deux ou trois jours, mais il est faux de dire que ces personnes posent des problèmes, même s’il y a eu deux ou trois affaires criminelles. Ce sont des gens honnêtes.

La Serbie, je l’ai dit, ne se plaint pas, elle n’en fait pas une montagne. Nous avons l’habitude d’accueillir des réfugiés depuis très longtemps. L’accueil de réfugiés n’est pas un phénomène récent chez nous. Cela remonte à des décennies, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mon pays a toujours été accueillant et le restera à l’avenir.

Cela ne signifie pas qu’il n’y aura jamais de mauvaises nouvelles en provenance de Serbie, mais, sachez-le, nous nous efforçons de conserver des relations de bon voisinage. Pour l’instant, nous n’avons aucun problème avec la Macédoine ou la Bulgarie à propos des migrants. Nous n’avons rien fait à l’encontre de ces pays dans cette affaire, et nous ne le ferons jamais. Nous cherchons au contraire à coopérer avec ces pays voisins.

Avec la Hongrie, je pense pouvoir affirmer que nous entretenons de bonnes relations, même si les Hongrois se plaignent car il est vrai que, pendant cinq mois, la Serbie a été une voie de transit vers la Hongrie. Cela ne nous satisfaisait pas, mais c’était une situation de fait. En tout cas, nous n’avons pas cherché à créer de problèmes aux Hongrois. Quant aux difficultés qui ont surgi tout récemment avec nos voisins croates, elles sont à présent surmontées. Ces migrants doivent traverser nos territoires. Nous ne nous plaignons pas, car nous n’avons pas de problèmes avec ces personnes qui se dirigent vers les pays de l’Union européenne. Nous essayons de les accompagner et de leur apporter un soutien.

Tout le monde, ou presque, se plaint aujourd’hui de la crise des migrants. Pourtant, seuls l’Allemagne et les pays scandinaves pourraient vraiment se plaindre, car ils sont le but ultime et ce sont eux qui, finalement, accueillent le maximum de personnes.

Vraiment, je ne comprends pas que certains se présentent comme des héros pour avoir accueilli pendant deux ou trois jours plusieurs milliers de personnes. Pour un pays, ce n’est tout de même pas impossible. Là encore, la Serbie me semble se démarquer en refusant d’adopter cette attitude plaintive. Nous voulons présenter une Europe à visage humain et, pardonnez-moi de vous le dire ici, il me semble que nous avons été plus européens dans notre réaction vis-à-vis de ces personnes que bien des pays de l’Union européenne.

J’ai rencontré dernièrement Mme Merkel, qui jouit d’un prestige incontestable dans mon pays, où on la considère comme une grande dirigeante. Pour notre part, si nous ne sommes pas membres de l’Union européenne, nous sommes disposés à accepter un quota de réfugiés. Je le dis ici, je le dis aussi dans mon pays – peu importe les réactions.

Il est vrai que, lorsque j’ai rencontré certains migrants, cela a suscité toutes sortes de commentaires négatifs. Peu m’importe: je fais mon travail et je considère qu’il est de mon devoir de rencontrer ces migrants. Je le fais régulièrement et continuerai à le faire; cela me paraît normal. C’est une bonne chose pour mon pays et l’on devrait faire la même chose ailleurs. J’espère que, sur ce sujet, une solution européenne globale sera trouvée.

Nous consacrons beaucoup de temps et d’efforts à la recherche de la stabilité régionale, laquelle est une condition sine qua non du redressement économique. Je remercie une fois encore Mme Brasseur, M. Jagland et tous les collaborateurs du Conseil de l’Europe qui nous aident à relever les défis, qui sont nombreux dans la péninsule des Balkans.

À cet égard, je crois que la Serbie est aujourd’hui un pilier de la stabilité régionale. En tout cas, nous n’entendons plus de critiques sévères nous reprochant de ne pas avoir fait le nécessaire pour éviter des dissensions. Nous avons fait le maximum pour créer un environnement pacifique. Cela ne veut pas dire, évidemment, que toutes les difficultés ont été résolues, loin de là: la région reste fragile. De toute évidence, il y aura toujours des problèmes dans la mise en œuvre des différentes politiques et des différents agendas. Mais, à mes yeux, ce n’est pas ce qui compte le plus.

À la mi-octobre, nous allons reprendre contact avec les autorités de Pristina et nous espérons continuer à discuter pour résoudre pacifiquement nos problèmes bilatéraux – chez nous ou à Bruxelles. Nous ne ménageons pas nos efforts pour résoudre les problèmes.

Nous aidons la Bosnie à se stabiliser. Nous savons très bien que la moindre étincelle dans ce pays pourrait déclencher un incendie dans toute la région. Nous sommes donc extrêmement prudents s’agissant de nos relations avec la Bosnie-Herzégovine. Nous faisons très attention au choix des mots que nous employons quand nous parlons de nos voisins bosniaques. Il est vrai que, aujourd’hui encore, des discours incendiaires sont tenus dans ce pays. Pour notre part, nous essayons vraiment d’éviter tout incendie.

En ce qui concerne l’Albanie, si j’étais intervenu devant l’Assemblée l’année dernière, je vous aurais dit que, depuis soixante-dix ans, il n’y avait plus de contacts entre les dirigeants de nos deux pays. Depuis, les choses ont changé: M. Rama et moi-même nous voyons souvent et j’irai sans doute en Albanie lorsque ce fameux match de football interrompu sera rejoué. J’espère que, cette fois-ci, il n’y aura pas d’incident. L’année dernière, le Premier ministre albanais et moi-même nous sommes vus à cinq ou six reprises. Nous parlons de tous les sujets. Dans nos relations bilatérales, il n’y a pas de gros problème en suspens – le seul litige reste le Kosovo. Notre coopération bilatérale s’améliore quotidiennement.

Je crois donc pouvoir affirmer que nos relations avec nos voisins sont meilleures que jamais. Le seul problème que j’entrevois encore – mais j’espère que nous le surmonterons – est l’épisode fâcheux qui est intervenu avec nos voisins croates. J’espère qu’après les élections nous pourrons recoller les morceaux aussi bien que possible. Nous ne ménagerons pas notre peine pour y parvenir.

Tous ces efforts, disais-je, sont une condition sine qua non du rétablissement économique du pays. Comme vous le savez, nous avons été victimes l’année dernière de très graves inondations. Je voudrais profiter de cette occasion pour vous remercier toutes et tous pour l’aide que vous nous avez apportée lors de cette calamité. De la Russie et des pays du Caucase à la Norvège, en passant par l’Union européenne, une fantastique mobilisation s’est produite en notre faveur. Je ne l’oublierai jamais.

Nous avons adopté des réformes pour relancer l’économie. Des lois sur le droit du travail et la construction, notamment, ont été prises pour que l’économie serbe fonctionne mieux. Nous avons commencé par essayer de consolider le budget en réduisant certaines prestations, notamment les retraites. Nous nous sommes plutôt bien tirés d’affaire. Nous entrons dans une deuxième phase de notre accord avec le FMI et nous avons réussi à réduire de moitié le déficit budgétaire, lequel passera de 6 % l’année dernière à 3 % à la fin de 2015.

Le déficit de l’Etat central sera bientôt quasiment nul. Il y a encore de gros problèmes avec les collectivités locales, mais nous espérons pouvoir engager l’année prochaine une nouvelle phase de consolidation.

D’une certaine façon, cette évolution est miraculeuse, même s’il est vrai que, par notre action, nous avons un peu réduit la consommation. Cela dit, dans l’ensemble, la situation s’est redressée. Même si les observateurs internationaux tablaient sur une légère récession, la croissance sera certainement positive et nous pourrons poursuivre nos réformes l’année prochaine. Car il y a encore beaucoup à faire, notamment s’agissant des entreprises nationales: un certain nombre d’entre elles doivent être privatisées.

Plus généralement, il faut susciter plus d’esprit d’entreprise dans le pays, car cela nous manque à l’heure actuelle, ce qui constitue un gros problème pour notre économie. Quoi qu’il en soit, nous allons travailler avec la BERD, la Banque mondiale et toutes les grandes instances compétentes en la matière. Je n’ai aucun doute: demain, la Serbie sera un pays économiquement prospère.

En ce qui concerne le reste de notre action, sachez que nous pratiquons la tolérance zéro contre la corruption et la criminalité.

Je ne suis pas pour autant satisfait de tout ce qui se passe dans mon pays. Par exemple, la situation de la justice ne me convient pas du tout. La justice devrait être rendue de manière beaucoup plus efficace.

Nous avons commis un certain nombre d’erreurs sur des sujets importants – moi-même j’en ai fait, je le reconnais, notamment s’agissant de la coopération avec les ONG et avec certaines institutions indépendantes. Mais nous avons tiré les leçons de nos erreurs et nous coopérons aujourd’hui avec toutes ces organisations. Je suis reconnaissant aux ONG qui nous ont aidés à surmonter certaines crises. Nous espérons que les choses se passeront bien à l’avenir.

Pour tout ce qui touche aux droits de l’homme, nous avons évidemment joui d’un soutien important du Conseil de l’Europe.

Nous sommes prêts à évoluer. Il n’y a rien de honteux pour nous à reconnaître nos erreurs et à essayer de changer nos mentalités et nos comportements. Je vous remercie pour l’attention que vous portez à la Serbie et je suis là pour répondre à toutes vos questions.

De nombreux événements ont débuté dans notre région d’Europe. Les Balkans, où ont pris naissance toute une série d’événements historiques, ont aujourd’hui besoin de votre soutien, du soutien de l’Union européenne. Aidez-nous autant que possible afin de protéger la stabilité régionale, condition sine qua non de la paix et du redressement économique, et de nous permettre d’être un pays décent et normal.

Nous espérons bien entendu être le prochain pays accueilli au sein de l’Union européenne; mais, au préalable, nous ferons nos devoirs à la maison car le plus important est de faire de notre pays un pays prospère, décent et normal.