Victor

Yanukovych

Premier ministre de l’Ukraine

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 17 avril 2007

M. Yanukovych remercie le Président de l’avoir invité à s’exprimer devant l’Assemblée parlementaire. Le Conseil de l’Europe est un temple sans pareil pour protéger les normes européennes que sont la démocratie, l’État de droit et la primauté du droit. L’institution joue un rôle important dans le développement des jeunes démocraties.

L’Ukraine fait une fois de plus la une des journaux. La situation exige de la franchise. L’orateur sait que certains de ses points de vue paraîtront trop critiques à certains mais il reprend une phrase de Fellini dans Huit et demi: “le bonheur, c’est lorsqu’on peut dire la vérité sans blesser personne”. Beaucoup se demandent si l’on aurait pu empêcher la crise politique en Ukraine et si elle est la conséquence des événements de 2004. Ceux qui observent la situation auront constaté le manque de cohérence dans l’action des autorités: le Président, le gouvernement et le Parlement fonctionnent sans consultation. Cette situation était invivable. Chacun voyait bien que la seule issue était la transition vers une démocratie conforme aux recommandations du Conseil de l’Europe et de la Commission de Venise. Il fallait organiser des élections parlementaires représentatives des divers partis politiques et procéder à une réforme de la constitution. L’Ukraine est passée d’un système présidentiel à un système parlementaire dans lequel le Président garde de larges compétences. L’abandon de la réforme constitutionnelle constituerait un retour en arrière et une violation des engagements pris vis à vis du Conseil de l’Europe.

Deux dates jalonnent l’histoire contemporaine de l’Ukraine: 2004 et la réforme constitutionnelle d’une part et 2006 d’autre part avec l’entrée en vigueur des réformes et les premières élections démocratiques. Auparavant, le Président Iouchtchenko avait tous les pouvoirs mais sa coalition n’a pas voulu se préparer à la nouvelle constitution, ignorant ses responsabilités vis à vis du peuple ukrainien et les engagements pris vis à vis du Conseil de l’Europe. Le porte-parole de l’APCE avait d’ailleurs signalé des raisons de douter de l’engagement des autorités vis à vis des principes de droit.

Les graines de la crise actuelle ont donc été semées en 2004. L’actuel gouvernement a décidé de baser son action sur les valeurs européennes et s’est heurté de ce fait à de graves difficultés avec le Président Iouchtchenko. Le Premier ministre désirait mettre de côté les désaccords passés car il partageait avec le Président Iouchtchenko une même vision de l’Ukraine. Leurs divergences étaient d’ordre purement tactique. Les opposants à son gouvernement lui ont reproché de vouloir usurper le pouvoir, ce qui est totalement erroné d’ailleurs, la force politique du Premier ministre ayant remporté une victoire éclatante aux élections de 2006. Il a ensuite créé un parti de coalition “Notre Ukraine” pour assurer une bonne gouvernance du pays et a voulu associer le Président à ce climat de consensus politique. Celui-ci n’a pas su saisir l’occasion.

Les forces politiques adverses ont refusé tout dialogue, posé des ultimatums, lancé des accusations et des insultes. Ils font fini par demander la dissolution du Parlement. Un groupe de responsables de l’opposition s’est toutefois dissocié de cette démarche. En octobre dernier, des parlementaires de l’APCE avaient déjà entendu parler d’élections anticipées. Pour quel motif? L’Ukraine n’a aucune raison de recourir à ce procédé. L’économie connaît un taux de croissance stable. Le PIB a augmenté sensiblement depuis l’accession au pouvoir du Premier ministre. L’inflation a été considérablement réduite et les ressources en devises atteignent des taux record. En outre, un programme de réformes structurelles a pu être mis en place.

Ces bons résultats sont peut-être une mauvaise nouvelle pour l’opposition, mais une bonne nouvelle pour le pays. Les dirigeants sont élus pour travailler en vue de l’intérêt général. La croissance économique s’est accompagnée de progrès dans la démocratie, la population peut manifester dans les rues, l’opposition a accès aux médias, la Cour constitutionnelle exerce son contrôle. En décidant arbitrairement d’organiser des élections législatives anticipées, le Président est allé à l’encontre de la Constitution qu’il doit respecter et il est, de toute façon, impossible d’organiser cette consultation d’ici le 27 mai car seule la Diète peut prendre cette décision alors qu’elle a été dissoute. L’enjeu va au-delà de ces élections, il s’agit de savoir si l’Ukraine va être un État démocratique régi par le droit. Qui doit l’emporter: la rue ou les tribunaux? Il est impossible d’accepter cette décision arbitraire qui fait fi de la primauté du droit pour des considérations politiques et personnelles.

Existe-t-il une issue à la crise? La réponse est oui, à condition que soient prises des mesures conformes à la Constitution, que la négociation se poursuive, que soit recherché un compromis qui préserve l’État de droit, sans recours à la force. M. Yanukovych se dit certain de gagner ces élections anticipées, fort qu’il est de l’appui de la population, mais pourquoi perdre tant de temps alors qu’il faut engager des réformes structurelles qui transformeront l’Ukraine en un pays européen moderne? La crise politique actuelle pourrait en effet déboucher sur une crise économique grave. Le choix de l’intégration européenne et le sens du compromis devraient l’emporter. Pour sa part, le gouvernement actuel a pris l’engagement d’acquitter sa dette auprès du Conseil de l’Europe et il a institué des normes pour les médias qui sont conformes aux normes européennes. Le système pénitentiaire est en train d’être humanisé, le ministère de la Justice est désormais compétent pour la peine de mort. Un nouveau code de procédure pénal va être élaboré et la réforme des institutions judiciaires sera conforme aux normes de l’Organisation. Soyons francs, déclare M. Yanukovych, les obstacles sont considérables, s’agissant par exemple de la lutte contre la corruption, et c’est pourquoi il est nécessaire que tous, majorité comme opposition, acceptent de collaborer. Les promesses seront tenues, dans le respect de la constitution, et la démocratisation de l’Ukraine va se poursuivre.

M. Yanukovych dit que le temps que l’on passe dans l’opposition permet de mieux comprendre certaines choses, à condition qu’il ne dure pas trop… Il remercie tous ceux qui, depuis dix ans, ont apporté leur aide à l’Ukraine au sein du Conseil de l’Europe. (Applaudissements)

LE PRÉSIDENT (interprétation)

remercie M. Yanukovych pour cette importante contribution au débat et appelle les questions des membres de l’Assemblée.

Il donne la parole à M. Van den Brande.

M. Van den BRANDE (Belgique) (interprétation)

qui s’exprime au nom du Groupe PPE, demande à M. Yanukovych comment il compte parvenir à un compromis dans le respect de la Constitution et s’il est d’accord avec les règles de bonne gouvernance de la Commission de Venise et avec le mandat impératif.

M. Yanukovych, Premier ministre de l’Ukraine (interprétation)

dit qu’il a exprimé la position des forces politiques qu’il représente et que le dialogue et la négociation ont lieu tous les jours. Des divergences demeurent, notamment sur le fait de savoir s’il faut organiser les élections anticipées sans attendre l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Faut-il modifier la législation électorale lorsque des députés quittent l’opposition pour rejoindre la coalition? Cette question sera examinée par la Cour, mais l’arrêt n’est pas encore connu. Pour sa part, la coalition est prête à des concessions au Président et elle espère qu’il sera possible de parvenir à une solution rapide avant l’arrêt de la Cour et que le décret du Président sera retiré. Faute d’accord, c’est la décision de la Cour qui s’appliquera et celle-ci a commencé ses travaux ce matin même.

M. EVANS (Royaume Uni) (interprétation)

qui s’exprime au nom du Groupe démocrate européen, demande à M. Yanukovych s’il envisage une solution rapide au conflit, compte tenu du fait qu’une Cour constitutionnelle prend souvent son temps. Il lui demande s’il veille à ce que les juges soient à l’abri de toute ingérence politique. Il croit savoir que certains juges sont accompagnés de gardes du corps.

M. Yanukovych, Premier ministre de l’Ukraine (interprétation)

dit sa détermination à se battre pour trouver une solution commune. Il ne cherche pas à forcer la main du Président. En ce qui concerne les pressions éventuelles sur les juges, il rappelle que le Président de la Cour a refusé que cette question soit évoquée et que dix-huit juges participent aux travaux de la Cour. Il attend que celle-ci remplisse ses obligations.

M. KOX (Pays Bas) (interprétation)

qui s’exprime au nom du Groupe pour la gauche unitaire européenne, demande à M. Yanukovych quelle contribution l’Assemblée parlementaire peut apporter à la résolution du conflit entre lui et le Président.

M. Yanukovych, Premier ministre de l’Ukraine (interprétation)

réaffirme que l’Ukraine, en tant que membre de l’Assemblée parlementaire, doit respecter le principe de la prééminence du droit. C’est à la lumière des exigences de l’Organisation qu’il faut analyser la situation présente en Ukraine. Il faut espérer que les actes du Président, que M. Yanukovych ne souhaite pas autrement qualifier, ne se reproduisent plus. De nouvelles élections auront lieu en 2010, un nouveau président sortira des urnes, avec de nouveaux députés.

Si la population d’un pays choisit une autre voie, le Président en exercice n’a pas à remettre ce choix en cause. Une solution politique peut être trouvée sans attendre l’arrêt de la Cour constitutionnelle, à condition qu’une volonté politique s’exprime en ce sens. Si elle fait défaut, il faudra attendre la décision de la Cour et la respecter.

Mme DURRIEU (France)

Monsieur le Premier ministre, votre pays est également concerné par un problème extérieur, mais tout proche, celui du conflit gelé de Transnistrie.

Par la voix de son président, votre pays avait proposé un plan pour trouver une solution et peut être un statut à la zone. Par ailleurs, votre pays participe avec la Moldova au contrôle de la frontière entre Tiraspol et Odessa.

Quelle est votre position par rapport à ce problème? Comment le voyez-vous évoluer?

M. Yanukovych, Premier ministre de l’Ukraine (interprétation)

répond que l’Ukraine espère que la résolution du conflit se fera sur le modèle “5+2”. L’Ukraine participe au processus de négociation en cours, qu’elle soutient et souhaite voir se poursuivre.

M. LINDBLAD (Suède) (interprétation)

fait état de rapports relatifs à la corruption en Ukraine très inquiétants. La corruption toucherait même le pouvoir judiciaire, comme en attesteraient les conversations téléphoniques interceptées d’un certain juge. L’orateur interroge le Premier ministre sur ce point, lui demandant si des réformes législatives sont envisagées.

M. Yanukovych, Premier ministre de l’Ukraine (interprétation)

répond que la corruption est un problème réel en Ukraine comme dans d’autres pays, particulièrement dans l’espace post-soviétique. Cette corruption touche aussi le pouvoir judiciaire, qu’il convient donc de réformer pour garantir son indépendance. Cette réforme est en cours sous le contrôle permanent du gouvernement, qui a rédigé un projet de loi, élaboré en collaboration avec une commission nationale ad hoc et a défini les priorités. La réforme envisagée a déjà été soumise au Parlement en première lecture. D’autre part, un projet de code fiscal a été rédigé, dont l’adoption permettra d’améliorer très sensiblement les procédures de lutte contre la corruption. Ce texte sera adopté demain par les conseils des ministres; le Parlement en sera ensuite saisi.

L’Ukraine vit une période politique assez tragique. S’agissant des conversations téléphoniques évoquées, seul le bureau du procureur pourrait donner des informations. La justice fera tout ce qui doit être fait, dans le cadre légal. Le gouvernement est bien entendu préoccupé, mais il ne peut s’ingérer dans l’enquête judiciaire en cours. Pour ce qui le concerne, il souhaite lutter contre la corruption dans tous les secteurs de la société, secteur politique compris, dans la plus grande transparence, et des conséquences juridiques devront être tirées des affaires alléguées, si elles sont démontrées. Des poursuites devront bien entendu avoir lieu, mais seul un tribunal est habilité à rendre des jugements. Sur le fond, il est évident que toute violation de la législation par un homme ou par une femme politique a un effet délétère.

S’agissant des conversations téléphoniques avec le juge auquel il a été fait allusion, elles traduisent probablement des tentatives de pression. Certaines déclarations émanant des services de sécurité, selon lesquelles les preuves de la corruption du juge en question sont réunies, le laissent subodorer, car le bureau du procureur a fait savoir qu’il n’en est rien. L’ensemble des institutions doit être réformé, services de police et de renseignements compris.

Mme BILOZIR (Ukraine) (interprétation)

attend du Premier ministre qu’il précise sa position sur l’arrêt que rendra la Cour constitutionnelle.

M. Yanukovych, Premier ministre de l’Ukraine (interprétation)

répond que la Constitution, loi fondamentale, doit être respectée par tous les citoyens d’Ukraine, son Président compris. Un décret présidentiel n’est pas une loi, c’est un texte annexe. Si l’on a des doutes sur la constitutionnalité d’un tel texte, la Cour constitutionnelle doit se prononcer. Si elle l’estime valable, le décret présidentiel sera appliqué, mais si elle juge que ce décret viole la Constitution le Président devra assumer la responsabilité de ses actes.

M. IWINSKI (Pologne) (interprétation)

demande à M. Yanukovych, si, selon lui, la Commission de Venise pourrait jouer un rôle dans la solution de la crise constitutionnelle que traverse l’Ukraine.

M. Yanukovych, Premier ministre de l’Ukraine (interprétation)

pense avoir déjà répondu à cette question en insistant sur le fait que la crise doit être résolue conformément aux principes qui fondent l’Assemblée parlementaire, dans un cadre juridique et non politique.

M. BOKERIA (Géorgie) (interprétation)

s’étonne. Il a entendu le Premier ministre expliquer que les élections de 2006, qu’il a gagnées, avaient été les plus libres de toute l’histoire du pays; pourtant, le Gouvernement ukrainien s’efforce maintenant de remplacer les dirigeants de la Commission électorale par les individus qui ont organisé les élections les plus frauduleuses de l’histoire ukrainienne, celles-là mêmes qui ont conduit à la Révolution orange. Comment expliquer ce choix?

M. Yanukovych, Premier ministre de l’Ukraine (interprétation)

répond que cette décision n’est pas la sienne, mais qu’elle a été prise par le Parlement, sans doute sous le coup de l’émotion suscité par la signature du décret présidentiel. C’est évidemment un signal négatif qui a été donné là.

Mme NAKASHIDZÉ (Géorgie) (interprétation)

ne peut comprendre comment un Premier ministre peut inciter des parlementaires à la désobéissance civile. Elle demande à M. Yanukovych pourquoi il essaye de bloquer les élections anticipées qui permettraient pourtant une sortie pacifique de la crise.

M. Yanukovych, Premier ministre de l’Ukraine (interprétation)

répond que cette décision a été prise de manière collégiale par le gouvernement, conformément à la Constitution. Tous les ministres sauf deux ont voté en ce sens. Il revient à la Cour Constitutionnelle de trancher.

Mme TEVDORADZE (Géorgie) (interprétation)

a entendu le Premier ministre plaider en faveur de la liberté d’opinion. Pourtant, un député membre de son parti, qui avait agressé un journaliste, n’a toujours pas été exclu du Parlement, alors que M. Yanukovych avait dit qu’il le serait. D’autre part, une émission de télévision a été supprimée après que des membres de l’opposition au gouvernement s’y étaient exprimés. Comment tout cela se justifie-t-il?

M. Yanukovych, Premier ministre de l’Ukraine (interprétation)

répond qu’il a été le premier à suggérer l’exclusion du Parlement du député fautif, mais seul son parti, le Parti des régions, peut en décider, et il ne s’est pas encore réuni en congrès. Pour ce qui le concerne, M. Yanukovych se déclare opposé à toute violence visant les représentants des médias. Quant à la programmation des chaînes de télévision, elle relève exclusivement de leur président, et la décision à laquelle il a été fait allusion a été prise collégialement, conformément à la charte de la télévision nationale. Ces questions ne relèvent pas de la compétence du gouvernement, qui n’a pas à s’ingérer dans les activités des médias.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

constate que l’horaire lui impose d’interrompre les questions à M. Yanukovych. Il le remercie d’avoir répondu aux questions franches et directes qui lui ont été posées et qui montrent que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe n’a pas d’équivalent en Europe. (Applaudissements)