Nicos

Anastasiades

Président de la République de Chypre

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 24 janvier 2017

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Mesdames et Messieurs les parlementaires, je voudrais tout d’abord exprimer ma grande joie d’être ici présent au Conseil de l’Europe et de pouvoir m’adresser à son Assemblée parlementaire. Ma joie est d’autant plus grande que la présidence chypriote du Comité des Ministres est en cours.

Ma présence ici aujourd’hui est la preuve de l’importance que la République de Chypre accorde au Conseil de l’Europe, et au rôle essentiel qu’il joue dans le respect des valeurs et des principes de la civilisation européenne.

Votre Organisation, en se fondant sur la Convention européenne des droits de l’homme, a développé des institutions telles que la Cour européenne des droits de l’homme. Elle contribue au rayonnement, à la protection et au respect des droits individuels pour nous tous, citoyens européens.

L’existence de cet ordre juridique est une conquête des citoyens européens, à laquelle la République de Chypre accorde une importance primordiale. Nous estimons tout particulièrement le rôle et l’action de la Cour, gardien de la Convention, seul mécanisme qui protège véritablement nos droits. C’est pourquoi l’application pleine et inconditionnelle des décisions de la Cour doit être une obligation pour tous les pays membres. Cette condition est nécessaire pour renforcer la démocratie et l’État de droit en Europe.

Monsieur le Président, le rôle de l’Assemblée parlementaire est tout aussi déterminant. Elle est l’unique forum de dialogue démocratique où se retrouvent les représentants de ses 47 États membres. C’est un pont où se retrouvent les peuples et leur diversité culturelle. Il favorise la compréhension et le rapprochement, sur la base de valeurs et de principes communs. En ce sens, face aux défis que l’Europe doit affronter collectivement, la présidence de Chypre œuvrera pour le renforcement et la promotion du rôle du Conseil de l’Europe.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, en 1961 Chypre devenait membre du Conseil de l’Europe. Ce fut une des premières décisions du nouvel État, prouvant notre engagement profond en faveur des valeurs et des principes du Conseil et du renforcement des institutions démocratiques, de l’État de droit et de la coopération entre les États européens.

La ratification, en octobre 1962, de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales fut une étape très importante pour la République de Chypre puisque la primauté de ce droit fut incluse dans notre droit intérieur. Depuis 1962 d’ailleurs, Chypre a ratifié plus de 135 conventions du Conseil de l’Europe, et se soumet volontairement à tous ses mécanismes de supervision, de contrôle et de suivi, conduisant ainsi à un renforcement continu de l’État de droit et de la protection des droits de l’homme à Chypre.

Les grands défis auxquels l’Europe doit aujourd’hui faire face – crise économique, terrorisme et flux migratoires – ont renforcé les sentiments d’insécurité et de peur chez les citoyens européens. La rhétorique xénophobe et les discours de haine, la démagogie et l’extrémisme s’expriment. Aussi, Monsieur le Président, votre initiative No Hate No Fear, initiative qui est aussi celle de toute l’Assemblée parlementaire, revêt une importance toute particulière. Je vous félicite de votre action en ce sens.

La République de Chypre soutient cette action et souhaite y associer un message particulier. Pour renforcer la sécurité démocratique en Europe, nous devons œuvrer en nous fondant sur nos valeurs communes. Nos structures démocratiques et l’État de droit doivent être renforcés. Nous devons investir dans une société d’inclusion, de cohésion et de tolérance, et nous devons combattre le fanatisme et l’intolérance. Dans ce cadre, la présidence de Chypre fait de la primauté du droit – l’un des trois axes fondamentaux du Conseil de l’Europe et l’une des valeurs de l’Union européenne – l’une de ses priorités.

S’agissant des défis auxquels l’Europe doit faire face, nous devons avoir un dialogue créatif avec nos citoyens et essayer de comprendre leurs peurs et leurs inquiétudes pour les aider à les combattre. Nous devons matérialiser le concept de citoyen actif. Le rôle de l’éducation et de l’instruction dans la construction des valeurs démocratiques doit ainsi être promu. Voilà l’une des initiatives et des priorités de la République de Chypre. Le dialogue et la culture du vivre ensemble doivent forger ce concept de citoyen actif, qui doit faire preuve de discernement, exprimer des opinions constructives, avoir une approche morale, et surtout faire preuve de solidarité et de tolérance face à la différence.

Les valeurs fondamentales et les droits de l’homme constituent un moyen de renforcer l’identité européenne, ses structures démocratiques et son unification tout en respectant les valeurs de l’Europe culturelle. Nous devons à cet égard faire face à un défi rencontré après la Seconde Guerre mondiale: l’approfondissement de la sécurité démocratique en Europe, qui constitue un des piliers de notre coopération efficace entre États, mais également entre organisations régionales et internationales. Le Conseil de l’Europe, l’Union européenne, par leur coopération, sont essentiels pour promouvoir nos valeurs fondamentales, en Europe et au-delà de ses frontières.

C’est pourquoi je souhaite évoquer la coopération avec d’autres organisations internationales, telles que les Nations Unies et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. C’est une plus-value pour réaliser nos objectifs communs.

Je souhaiterais aussi exprimer ma satisfaction et mes remerciements, car l’Assemblée parlementaire, à plusieurs reprises, a pris des décisions et des recommandations quant à la résolution du problème européen qu’est le cas chypriote. Je me réfère aux recommandations, aux rapports, aux résolutions de l’Assemblée parlementaire, ainsi qu’aux décisions de la Cour européenne, portant notamment sur la question humanitaire des disparus de la tragédie chypriote, sur les personnes enclavées, sur les personnes déplacées, sur la région enclavée de Famagusta, sur la destruction de l’héritage culturel, et sur l’altération démocratique dans les parties occupées par la Turquie.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je ne peux pas ne pas évoquer devant cette Assemblée les récents efforts entrepris pour mettre un terme à la situation insupportable à Chypre depuis 43 ans. Permettez-moi d’être clair: mon intention n’est pas de mettre en cause la responsabilité des uns ou des autres, mais de vous informer des progrès réalisés et des difficultés qui subsistent.

Depuis vingt mois, de nouvelles tentatives ont été menées, qui ont conduit à des résultats notables s’agissant de la gouvernance, du partage des pouvoirs, de l’économie et de l’Union européenne. Malgré les avancées obtenues dans ces différents domaines, le problème des propriétés reste toutefois important.

Au cours des derniers mois, nous avons concentré nos efforts sur la discussion de deux sujets en particulier: l’ajustement territorial, d’une part, et la sécurité et les garanties, d’autre part. Bien évidemment, la sécurité est une question primordiale pour l’Europe. C’est pourquoi je voudrais développer ce point plus particulièrement devant vous.

Le problème de la sécurité, dans la question chypriote, doit être envisagé dans le cadre du Traité de garantie signé en 1960 entre la République de Chypre, la Turquie, la Grèce et la Grande-Bretagne. Malheureusement, toutes les difficultés que nous avons connues depuis découlent de ce traité qui a donné l’impression aux puissances garantes qu’elles avaient le droit d’intervenir dans le nouvel État. Le point culminant de cette politique a été, en 1974, le coup d’État de la junte militaire d’Athènes, puis l’invasion turque de Chypre, au motif de rétablir l’ordre constitutionnel. En réalité, au lieu de rétablir l’ordre constitutionnel, la Turquie a envahi 37 % du territoire de Chypre et obligé 167 000 Chypriotes grecs, soit un tiers d’entre eux, à abandonner leurs maisons et leur terre, et à se réfugier dans la partie sud de l’île. Ces événements démontrent que des dispositions dépassées et désuètes ne peuvent constituer des réponses adéquates aux inquiétudes justifiées des parties.

De toute évidence, la sécurité d’une partie ne peut pas constituer une menace pour l’autre. C’est pourquoi, au-delà de tous les points sur lesquels nous sommes déjà tombés d’accord, nous avons soumis une proposition globale pour apporter des réponses aux inquiétudes des deux communautés.

Permettez-moi de vous présenter les points de convergence sur lesquels nous avons abouti à un accord et qui constituent une partie importante de la résolution globale du problème de Chypre. Tout d’abord, la structure intérieure de la République de Chypre sera transformée en une fédération bizonale et bicommunautaire, garantissant l’égalité politique des deux communautés. L’indépendance et l’intégrité territoriale seront garanties par le droit international, la Charte des Nations Unies, mais également par l’acquis communautaire. Des dispositions constitutionnelles seront par ailleurs adoptées interdisant la sécession ou l’unification de parties ou de la totalité de l’île avec un autre pays. Pour garantir la bizonalité, les deux communautés auront des limites administratives clairement définies, et pour garantir l’égalité politique entre elles, il sera interdit au gouvernement fédéral d’intervenir dans les prérogatives des États constitutifs de la fédération. De plus, la participation active des deux communautés à la gouvernance de l’État fédéral sera garantie, la suprématie de l’une par rapport à l’autre étant interdite.

Dans ce contexte, les garanties militaires et les droits d’intervention d’un pays tiers, non seulement ne sont plus nécessaires, mais sont dépassées et nuisent à l’indépendance de Chypre, État souverain, membre des Nations Unies, de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales. Elles sont également contraires à la Charte des Nations Unies et au droit international.

La réalité chypriote est bien différente aujourd’hui de celle de 1960 ou de 1974. La présence de troupes turques ou le droit d’intervention de la Turquie constitueraient une atteinte aux intérêts de la communauté chypriote grecque sachant que la puissance et la proximité de la Turquie pourraient constituer une menace permanente pour cette communauté. La présence de troupes étrangères constituerait une tutelle et une ingérence d’une puissance garante contre une communauté et pourrait renforcer les tentations de sécession. Les garanties destinées à protéger l’une des deux communautés seraient contraires à l’égalité politique et pourraient engendrer la suprématie de l’une des communautés sur l’autre, soit un déséquilibre entre elles. Elles violeraient enfin le principe de la souveraineté et de l’indépendance d’un État souverain. Demande-t-on à la Russie de jouer le rôle de puissance garante pour l’Estonie ou la Lettonie? Imagine-t-on un pays tiers devenir puissance garante d’un Land allemand?

Au cours des mois et des années à venir, nos efforts seront décisifs pour la résolution du problème chypriote. Je suis convaincu que si toutes les parties impliquées, et tout particulièrement la Turquie, adoptent une approche créative et constructive, nous pourrons trouver une solution respectueuse des valeurs et des principes de l’Union européenne. Je veux exprimer encore une fois ma détermination à résoudre le problème chypriote dans l’intérêt des Chypriotes grecs et turcs et à soutenir la création d’un État indépendant et moderne, membre de l’Union européenne et garantissant à tous les citoyens de l’île un climat de coexistence pacifique.

Nous sommes convaincus que la résolution du problème chypriote sur la base des valeurs du Conseil de l’Europe, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales constitue une condition sine qua non pour renforcer la sécurité démocratique de l’Europe et de la Méditerranée orientale.

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs, je vous remercie tout particulièrement et vous félicite pour l’œuvre importante que vous construisez ici, en cette Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Je vous réaffirme le soutien de la République de Chypre afin de contribuer de toutes les manières possibles à la réalisation de nos objectifs communs, pour une Europe de la démocratie, des libertés, de la pluralité, de la justice, des valeurs humanistes, de la civilisation et de la tolérance.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Monsieur le Président, je vous remercie pour cette allocution qui a vivement intéressé les membres de l’Assemblée.

Nous en venons aux questions. Je vous rappelle, chers collègues, que vous disposez au maximum de 30 secondes pour poser une question et non pour faire un discours.

Nous commençons par les porte-parole des groupes.

M. OVERBEEK (Pays-Bas), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)

Monsieur le Président, vous avez dit très clairement, dans ce discours très riche en informations, que l’une des questions essentielles était celle de la sécurité. Vous avez dit non moins clairement que le système actuel des puissances garantes ne pourra plus fonctionner à l’avenir. Il faut donc s’attendre à ce que les Nations Unies aient un rôle à jouer dans les dispositions futures concernant le statut de l’île. Pourriez-vous nous dire quelques mots des divers scénarios envisagés: un scénario type Kosovo, Irlande du Nord ou autre?

M. Anastasiades, Président de la République de Chypre (interprétation)

Je suis tout à fait d’accord avec vous. S’agissant de notre proposition globale en vue de garantir les droits des deux communautés, nous pensons bien évidemment que le Conseil de Sécurité des Nations Unies devrait adopter une résolution en ce sens. Ainsi tous les citoyens pourraient être convaincus que la communauté internationale garantit la paix, la sécurité, les droits de l’homme, mais qu’elle est aussi garante de tout ce qui aura été décidé.

M. VAREIKIS (Lituanie), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen (interprétation)

Nous suivons avec une grande attention les pourparlers visant la réunification de votre pays. Or, voilà quelques mois, une tentative de coup d’État a secoué la Turquie. Les mesures prises par le Gouvernement turc pour rétablir l’ordre ont-elles une influence sur les pourparlers avec la communauté chypriote turque?

M. Anastasiades, Président de la République de Chypre (interprétation)

Je tiens tout d’abord à condamner cette tentative de coup d’État et à exprimer mes condoléances pour toutes les victimes. Nous assistons aujourd’hui à des tentatives pour contrôler les personnes de l’opposition – certaines ont ainsi perdu leur emploi. Mais je dois dire que cela n’a pas eu d’effet négatif sur le dialogue entre les communautés chypriote grecque et chypriote turque. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est d’obtenir des améliorations dans tous les domaines pour parvenir à la solution.

Mme DURRIEU (France), porte-parole du Groupe socialiste (interprétation)

Nous avons fortement espéré un accord à Genève, et nous sommes déçus. Est-ce une crise, une impasse?

Nous avons compris que les problèmes de sécurité et de retrait des soldats turcs étaient majeurs. Aussi, après vous avoir entendu parler de «quelques mois ou quelques années», je vous demande: quand envisagez-vous une prochaine rencontre? Et croyez-vous toujours à la réunification de l’île?

M. Anastasiades, Président de la République de Chypre (interprétation)

Il est vrai que la première rencontre à Genève a suscité une forte déception, mais les attentes n’auraient pas dû être aussi importantes, car il ne s’agissait que du début d’un processus de négociation.

Le fait qu’une conférence pour Chypre existe est déjà un succès. La procédure est ouverte, le dialogue se poursuit entre les parties chypriotes grecque et turque, mais également entre les puissances garantes.

Les garanties sont bien évidemment au cœur des pourparlers, mais je pense que nous allons accomplir suffisamment de progrès pour parvenir à une solution.

M. HOWELL (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe des conservateurs européens (interprétation)

Je voudrais vous poser une question à caractère économique: dans quelle mesure le développement de ressources en gaz offshore avec Israël pourra bénéficier à l’ensemble de Chypre? Comment les bénéfices seront-ils répartis?

M. Anastasiades, Président de la République de Chypre (interprétation)

Bien évidemment, ce serait un avantage pour l’ensemble des Chypriotes, car ces gisements appartiennent à la République de Chypre. Donc, tous les citoyens de cet État pourront en bénéficier. Si nous parvenons à une solution, tous les citoyens de Chypre seront bénéficiaires de la zone exclusive, sachant que des avantages économiques et autres pourraient être extrêmement importants. Mais cela pourrait être un avantage également pour toute l’Europe et la sécurité énergétique de l’Europe.

Grâce à sa position géostratégique en matière de gaz naturel et, éventuellement, de pétrole, Chypre pourrait en tout cas bénéficier d’avantages conséquents pour tous les Chypriotes.

Mme OEHRI (Liechtenstein), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (interprétation)

Qu’en est-il de la restitution des biens des personnes qui ont été chassées de leur foyer? Comment parvenir à l’unité sur ce sujet et comment est-il perçu dans la partie turque de l’île?

M. Anastasiades, Président de la République de Chypre (interprétation)

Nous essayons d’aboutir à la restitution, mais nous savons aujourd’hui que certains biens ne pourront pas être rendus à leurs propriétaires initiaux. Ce qui est très important, c’est que le droit à la propriété soit aujourd’hui reconnu. Nous avons trouvé cinq points d’accord sur cette question, concernant notamment l’indemnisation – partielle ou totale – et l’échange de propriétés. Nous essayons de parvenir à la solution la plus juste possible à ce problème, mais celui-ci est directement lié aux ajustements territoriaux: des parties entières de l’île qui appartenaient à la communauté chypriote grecque n’ont toujours pas été rendues à leurs propriétaires.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Nous allons maintenant regrouper les questions par séries de trois.

M. ROUQUET (France)

La nuit dernière, à New York, M. Eide, chargé des négociations à l’Onu, a émis l’espoir de pouvoir convoquer dans les prochaines semaines une nouvelle conférence multilatérale sur l’avenir de l’île. Il a évoqué plusieurs aspects allant du domaine constitutionnel à la sécurité extérieure, en passant par la sécurité intérieure et les mécanismes garantissant le respect d’un éventuel accord. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces aspects, Monsieur le Président?

M. COMTE (Suisse)

Il y a quelques années, un premier accord de réunification de l’île a été rejeté par la population chypriote grecque lors d’un référendum. Ma question est donc la suivante: quelles leçons ont été tirées par la République de Chypre de cette première tentative qui n’a pas été concluante? Les craintes et les interrogations de la population chypriote grecque ont-elles été mieux prises en compte dans les négociations en cours? L’accord en discussion est-il, à vos yeux, meilleur que celui qui a été précédemment rejeté?

Sir Roger GALE (Royaume-Uni) (interprétation)

Monsieur le Président, l’Assemblée vous souhaite beaucoup de réussite dans les efforts intenses que vous déployez pour parvenir à la réunification de Chypre. Diriez-vous des interventions extérieures qu’elles vous aident ou bien plutôt qu’elles vous entravent dans ce processus? Ne devrait-on pas laisser les deux communautés – chypriotes grecs et chypriotes turcs – décider de la manière dont la répartition doit se faire?

M. Anastasiades, Président de la République de Chypre (interprétation)

Les déclarations de M. Eide montrent clairement que le processus est en cours et qu’il s’agit d’un dialogue ouvert impliquant les deux communautés mais aussi l’Union européenne – vous le savez, la République de Chypre est un État membre de l’Union. Je n’ai pas d’autres commentaires à faire sur ce point.

Je voudrais exprimer mon espoir que nous parvenions enfin, dans les semaines ou les mois à venir, à plus de convergences, voire que le processus débouche sur un accord. Si vous lisez bien les déclarations faites aux Nations Unies, elles font référence à des dispositions de nature à parvenir à une solution pérenne et qui lèveraient toute menace pesant sur l'une ou l’autre des communautés.

Monsieur Comte, vous avez fait référence, je suppose, au plan Annan de 2004. Bien évidemment, nous en avons tiré de nombreuses leçons. Il n’existe pas de solution extérieure: les deux communautés connaissent très bien les problèmes auxquels elles sont confrontées et sont en mesure de trouver des solutions adaptées. Le plan Annan n’était pas équilibré. Il a suscité de la méfiance sur l’île car il risquait de créer des injustices. Voilà pourquoi il a été rejeté.

Aujourd’hui – et, en disant cela, je réponds également à la troisième question –, nous nous fondons exclusivement sur un dialogue entre Chypriotes, sans intervention extérieure. Ce faisant, nous pouvons bien mieux comprendre les inquiétudes de la partie adverse. Nous avons vécu pendant des décennies de manière pacifique avec les Chypriotes turcs. Or la situation actuelle est insupportable – pour nous, mais également pour eux. Il est donc primordial de trouver une solution acceptée par les deux communautés. Tel est le sens de nos efforts communs, car une solution n’ayant qu’un vainqueur et un vaincu n’est pas acceptable. Ce n’est qu’en veillant au respect de ce principe, ainsi qu’au respect des droits de l’homme et des autres valeurs fondamentales de l’Union européenne, que nous pourrons vivre ensemble de manière pacifique et créer un État susceptible de durer, offrant de l’espoir à ses citoyens – je pense en particulier aux nouvelles générations.

La négociation actuelle, enfin, doit rester entre les mains des Chypriotes, sans intervention extérieure – à l’exception, bien évidemment, du Conseil de sécurité des Nations Unies, mais celui-ci doit intervenir à la fin du processus, afin d’être le garant de la mise en œuvre de la solution retenue.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Mme Karapetyan, inscrite dans le débat, n’est pas présente dans l’hémicycle.

M. BILDARRATZ (Espagne) (interprétation)

De toute évidence, des problèmes se posent – j’en veux pour preuve l’incapacité à respecter le calendrier qui avait été initialement prévu. Ma question est la suivante: étant donné la situation, pensez-vous, si les négociations de paix ne sont pas loin de susciter l’unanimité, que l’accord doive être soumis à référendum dans les deux parties de l’île? Envisagez-vous d’autres stratégies pour éviter d’augmenter les divisions?

M. BILLSTRÖM (Suède) (interprétation)

Nous vous remercions beaucoup, Monsieur le Président, pour votre présence ici. Je suis impatient de me rendre dans quelques semaines sur votre île magnifique, en tant que chef d’une délégation du Parlement suédois. Ma question sera très brève: quelles sont les principales pierres d’achoppement qui empêchent la réunification?

M. TILKI (Hongrie) (interprétation)

La Hongrie se félicite des efforts menés par les chefs des deux communautés de l’île afin de parvenir à une solution conduisant à la réunification de Chypre. Mais comment envisagez-vous la suite de la conférence multilatérale de Genève?

M. Anastasiades, Président de la République de Chypre (interprétation)

Sur la question de savoir si les deux communautés répondront favorablement, je précise que deux référendums simultanés seront organisés par les deux communautés, dont nous espérons des résultats positifs. Mais, bien évidemment, ces résultats procéderont du contenu de l’accord, de l’indépendance qui sera conférée à la République de Chypre et du respect des droits de l’homme. Le contenu de l’accord est par conséquent primordial.

Jusqu’à présent, nous avons obtenu des progrès sensibles, mais nous serons plus confiants encore lorsque toutes les difficultés seront levées. Nous avons constaté, à cet égard des progrès en matière de dialogue interreligieux. Ainsi que vous le savez, les Chypriotes turcs sont musulmans. Nous comptons donc deux communautés religieuses différentes, mais nous n’avons jamais eu à connaître de tensions religieuses, chaque communauté respectant la religion de l’autre. Les difficultés qui sont aujourd’hui à dépasser portent sur le droit de propriété, sur les ajustements territoriaux, sur la présence de troupes turques sur l’île, ainsi que sur le droit d’intervention de puissances extérieures qui doit être aboli. Nous insistons également pour un fonctionnement de l’État efficace et pérenne.

L’application de l’accord étant une des conditions essentielles de sa réussite, elle devra être fidèle au contenu même de cet accord et s’inscrire dans les faits.

Quant aux résultats des pourparlers de Genève, nous ne sommes qu’au début des négociations du processus de réunification. Des avancées ont été réalisées et je pense que le fait même que toutes les parties viennent s’asseoir à la table des négociations est positif. Je me réfère notamment à la Turquie qui, jusqu’à présent, se refusait à débattre des questions portant en particulier sur les garanties. Aujourd’hui, la Turquie accepte les déclarations des Nations Unies relatives à la neutralisation des menaces pour l’une et l’autre communauté, les garanties pour l’une des parties ne devant pas constituer une menace pour l’autre.

Tout bien entendu dépendra du contenu de l’accord final. À cet égard, la Turquie acceptera-t-elle la fin du régime des garanties et le retrait de ses troupes d’occupation, sachant qu’au-delà de sa puissance, se pose la question de sa proximité – ce pays se situe à 40 milles de l’île de Chypre? Les garanties doivent donc prendre en compte cette réalité géographique. La République de Chypre entretient des relations extrêmement positives avec le Liban, l’Égypte et tous les pays de la région. Je comprends donc mal contre quelles menaces Chypre doit être défendue. Notre détermination comme celle du Gouvernement turc seront primordiales pour dépasser les inquiétudes et les peurs.

M. ARIEV (Ukraine) (interprétation)

J’ai entendu des déclarations de responsables politiques qui proposent que l’Union européenne lève les sanctions contre la Fédération de Russie. Pensez-vous qu’une telle solution préviendrait des agressions russes à l’avenir?

Mme KAVVADIA (Grèce) (interprétation)

Nous avons suivi avec un grand intérêt les négociations, et le peuple de Chypre – chypriotes turcs et chypriotes grecs – semble décider à avancer. Votre rôle a été très important à cet égard.

La situation actuelle n’est pas la meilleure, car l’Union européenne souffre d’une forme de crise existentielle, ses valeurs et ses principes fondamentaux étant mis à rude épreuve. Avez-vous le sentiment qu’une Chypre réunifiée pourrait être un exemple positif de tolérance pour le reste de l’Europe?

M. SABELLA (Palestine, partenaire pour la démocratie) (interprétation)

L’idée que Chypre, malgré ses propres difficultés, pourrait jouer un rôle dans la résolution du conflit israélo-palestinien, de la question de la bande de Gaza et de la Cisjordanie sous l’autorité palestinienne a parfois été évoquée. Est-il réaliste de compter sur Chypre pour jouer un rôle ou s’agit-il d’une utopie?

M. Anastasiades, Président de la République de Chypre (interprétation)

S’agissant de la levée des sanctions, nous devons toujours respecter l’intégrité territoriale et la souveraineté de chaque État. Le G4 de Normandie est toujours en cours et le processus de Minsk doit se poursuivre, les deux parties devant respecter les accords.

Je suis convaincu que le dialogue peut aboutir à de meilleurs résultats, nous devons donc persévérer dans cette voie. Si les décisions de l’Union européenne doivent être appliquées, les sanctions doivent l’être également, même s’il ne s’agit pas, selon moi, contrairement au dialogue, de la façon la plus efficace pour trouver des solutions – regardez ce qui se passe en Crimée.

Parvenir à régler le problème chypriote serait, bien évidemment, un succès pour l’Europe. Et la façon dont nous y sommes parvenus pourrait même servir de modèle pour d’autres conflits, d’autres différends. Je veux parler du «vivre ensemble» que nous tentons d’instaurer à Chypre entre les chrétiens et les musulmans qui pourrait donner des idées à ces deux communautés religieuses dans d’autres pays.

S’agissant de la bande de Gaza, je l’ai dit, Chypre entretient de très bonnes relations avec la Palestine mais également avec Israël. Et nous contribuons, dans la mesure du possible, à trouver une solution au conflit. Nous sommes cependant convaincus que seules les résolutions des Nations Unies et la reconnaissance d’un État palestinien – en apportant les garanties nécessaires à l’État israélien – permettront d’aboutir à une solution.

LE PRÉSIDENT

M. Villumsen, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

M. DESTEXHE (Belgique)

Monsieur le Président, quelle est la situation de l’héritage culturel grec et chrétien orthodoxe dans la partie Nord occupée de Chypre? Vous y avez fait allusion dans votre discours, mais je souhaiterais avoir un peu plus de précisions.

M. FOURNIER (France)

Depuis plus de deux ans, l’Union européenne a adopté plusieurs types de sanctions, dont des sanctions économiques, à l’égard de la Fédération de Russie. Ces décisions étaient et restent liées à l’action de ce pays jugée déstabilisatrice dans la crise ukrainienne.

Le renouvellement ou non de ces mesures est lié pour l’essentiel à la bonne application des Accords de Minsk. Lors de réunions périodiques sur le renouvellement ou non de ces sanctions, un débat approfondi est organisé au Conseil de l’Union européenne.

Quelle est l’approche de Chypre sur cette délicate question?

M. ÇAGLAR (Représentant de la communauté chypriote turque) (interprétation)

Monsieur le Président, je tiens tout d’abord à vous féliciter, vous et M. Akinci, pour le courage dont vous avez preuve tout au long de ces négociations. Diverses questions ont été abordées à Genève, des commissions techniques réunissant les parties se sont tenues, tout cela a apporté une contribution très précieuse vers une solution pacifique.

Quand, selon vous, ces discussions vont-elles reprendre? Et qui sera le Président fédéral de ce nouvel État? Une présidence tournante sera-t-elle instaurée?

M. Anastasiades, Président de la République de Chypre (interprétation)

La situation des territoires occupés, et donc de l’héritage culturel, est bien entendu une situation que nous n’avons pas souhaitée. Cependant, des avancées ont été réalisées dans la bonne direction, avec notamment la rénovation de certains bâtiments et monuments. Je voudrais d’ailleurs rendre hommage au comité technique qui a été constitué pour le travail extraordinaire qu’il a réalisé; tous les monuments cultuels chrétiens seront rendus à la communauté chrétienne, même ceux qui sont situés dans les territoires occupés. Bien entendu, d’autres pas devront être faits, et nous ne pouvons pas encore, aujourd’hui, parler de «respect de l’héritage culturel». Mais nous avançons dans la bonne direction.

S’agissant de la levée ou du renouvellement des sanctions à l’encontre de la Fédération de Russie, j’ai déjà répondu à cette question. Nous devons respecter les décisions prises par l’Union européenne, le dialogue en cours, le processus de Minsk et le Format Normandie visant à restaurer l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Je le répète: le dialogue doit continuer.

Je dirai à mon compatriote chypriote turc que l’élection de M. Akinci a été bénéfique aux négociations. Nous sommes tous les deux déterminés à trouver une solution acceptable pour les deux communautés. Les commissions techniques, qui continuent de travailler, nous conduiront, j’en suis certain, à la reprise du dialogue qui contribuera à trouver une solution. Quand? Une rencontre est prévue jeudi avec les Nations Unies et M. Akinci afin de décider de la suite du dialogue. Je ne ferai donc pas de déclarations, afin de ne pas influencer les négociations.

Au cours de nos discussions, tous les différends, toutes les difficultés devront être surmontés et résolus. Nous travaillons tous deux, avec détermination, à ouvrir des perspectives d’avenir à notre patrie commune.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Merci beaucoup, Monsieur le Président, de votre allocution, qui nous inspire et nous donne à réfléchir, et de votre soutien au Conseil de l’Europe et à la Convention européenne des droits de l’homme. Nos valeurs fondamentales font partie de notre identité et de notre culture européennes, fondées, vous l’avez dit, sur les principes essentiels que sont la tolérance, le respect de la diversité et l’humanité. Nous mesurons à sa juste valeur votre appui à l’initiative parlementaire de lutte contre la haine et la peur. Nous sommes très intéressés par les idées que vous avez mises en avant pour permettre le règlement de la question chypriote et la réunification de l’île. Je suis heureux de l’entretien que nous avons eu ce matin dans mon bureau.

Soyez assuré de notre soutien sans réserve. Vous pouvez faire usage de tous nos outils et de notre expertise. Je vous souhaite le succès dans vos initiatives à venir!