Serzh
Sargsyan
Président de l’Arménie
Discours prononcé devant l'Assemblée
mercredi, 24 janvier 2018
Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, je commencerai par vous saluer, Monsieur Nicoletti, et vous féliciter chaleureusement pour votre élection à la présidence de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Votre mandat commence à un moment plutôt difficile, mais je suis persuadé que, grâce à votre expérience considérable et à vos qualités personnelles, vous êtes l’homme de la situation pour garantir le succès et la réputation de l’Organisation.
Je voudrais aussi rendre hommage à Mme Kyriakides, qui a été une brillante Présidente de votre Assemblée.
La dernière fois que j’ai eu l’honneur de m’adresser à vous à cette tribune, c’était en 2013, à l’occasion de la présidence arménienne du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Cette présidence a été un moment clé pour notre intégration au sein de la grande famille du Conseil de l’Europe. Je pense que nous avons été à la hauteur de notre mission. Demain, 25 janvier, nous fêterons l’anniversaire de notre adhésion au Conseil de l’Europe, il y aura exactement dix-sept ans.
Au moment où nous avons rejoint cette grande organisation européenne, nous étions conscients du chemin qui s’ouvrait devant nous. Nous savions qu’il ne serait pas facile de construire et de renforcer la démocratie sans le soutien direct et actif du Conseil de l’Europe et de ses différentes structures.
La volonté politique et notre engagement constructif conjoint nous ont permis de surmonter de nombreux obstacles et d’améliorer grandement la situation. Aujourd’hui, au moment où je m’adresse à vous, je peux fièrement affirmer que nous avons honoré nos principaux engagements à l’égard du Conseil de l’Europe en termes de démocratisation du pays. Ce n’est pas simplement moi qui l’affirme; nos progrès ont été dument reconnus par les rapports de suivi des organes du Conseil de l’Europe.
Nous poursuivons nos efforts pour nous intégrer dans l’espace juridique européen. L’Arménie a déjà signé près de 70 conventions. Il ne s’agit pas simplement de tenir nos promesses à l’égard de l’Organisation. Ce faisant, nous mettons aussi en œuvre notre propre credo, nos propres convictions. Nous poursuivrons donc dans le même sens. Le rythme des réformes et des progrès devrait d’ailleurs s’accélérer dès le mois d’avril puisque les amendements constitutionnels entreront alors en vigueur.
C’est aussi à ce moment-là que nous allons mettre en œuvre le programme d’activité prévu par notre nouvel accord de partenariat global et renforcé avec l’Union européenne. Vous le savez, une démocratie est un organisme vivant. Depuis 25 ans, nous engageons de nombreux efforts pour créer notre État, et alimenter cet organisme. Nous savons très bien que la démocratie requiert une vigilance constante et des remises en cause permanentes pour adapter le régime aux changements qui ne cessent de se produire.
C’est dans ce sens qu’avec le soutien appuyé du Conseil de l’Europe, nous avons engagé le processus de réforme constitutionnelle en Arménie. Au mois d’avril, ces réformes constitutionnelles conçues avec le Conseil de l’Europe entreront en vigueur. Nous avons ancré notre système autour des principes du Conseil de l’Europe que sont l’État de droit, la démocratie et la protection des droits de l’homme et avons décidé de mettre en place un régime parlementaire. C’est ce que je vous avais annoncé dans cette enceinte dès 2013.
Depuis notre adhésion, nous avons entendu des encouragements, mais aussi les critiques de nos partenaires, et cela nous a aidés. Pendant tout ce temps, nous avons étroitement coopéré avec la Commission de Venise et ses experts. C’est ainsi que nous avons affiné le paquet de réformes constitutionnelles. Nous travaillons dans une atmosphère de confiance mutuelle et nous allons poursuivre dans ce sens pour mettre en place de nouvelles lois, nécessaires au nouveau cadre constitutionnel.
Un nouveau Code électoral est déjà entré en vigueur en Arménie. Cela a permis des progrès considérables. Ce Code a été approuvé de manière transparente en incluant toutes les parties prenantes. Nous avons fait quelque chose d’inédit: pour la première fois dans l’histoire de notre pays, après un scrutin, nous avons publié les listes d’émargement signées. Ce n’est pas une pratique commune, et cela peut d’ailleurs occasionner certains problèmes en termes de protection des données, mais nous avons tenu à le faire afin de renforcer la confiance des électeurs dans le processus électoral.
Le nouveau Code électoral a fait ses preuves lors des élections législatives d’avril 2017, qui ont été suivies par un grand nombre d’observateurs, dont ceux de votre Assemblée. Il importe de souligner que ce nouveau Code électoral a aussi permis de réserver un certain nombre de sièges de notre Assemblée nationale à des représentants des minorités nationales. C’est encore un pas vers une gouvernance plus inclusive.
Actuellement, est en cours une réforme de la justice, du Code pénal et du Code de procédure pénale. Nous revoyons également les lois sur les référendums et sur la Cour constitutionnelle. Nous savons parfaitement que l’État de droit ne peut être protégé que si notre justice est efficace, indépendante et exempte de toute forme de corruption. Bien entendu, dans ce contexte, nous accordons le plus grand prix à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui est essentielle à nos yeux et dont nous nous inspirons pour réformer notre justice.
Nous avons déjà, en vertu de cette jurisprudence, réformé un grand nombre de textes et perfectionné nos pratiques. Cela a permis d’améliorer la situation des droits de l’homme dans notre pays. Ces efforts ne sont pas passés inaperçus: la République d’Arménie figure dans le peloton de tête des pays membres du Conseil de l’Europe lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre correctement les arrêts de la Cour européenne.
Nous sommes également convaincus que la protection des droits de l’homme et la consolidation des valeurs démocratiques ne seront pas possibles si nous ne luttons pas en permanence contre la corruption. C’est une priorité à tous les niveaux de la société et à tous les niveaux du monde politique. L’Arménie cherche à se doter d’une nouvelle boîte à outils. Au cours de l’année 2017, l’Assemblée nationale arménienne a adopté à l’unanimité un paquet de lois qui permettent, pour la première fois, la création d’une entité nationale anti-corruption, et ce dans le respect de toutes les normes internationales. Cette entité commencera à fonctionner en 2018, et c’est le parlement qui en élira les membres.
Ce paquet anti-corruption a aussi permis l’adoption d’une loi sur les lanceurs d’alerte et leur protection. Nous avons également créé une incrimination d’enrichissement illicite. Nous sommes déterminés à poursuivre dans cette voie et ne ménagerons pas nos efforts pour éliminer ce fléau qu’est la corruption.
Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée, depuis notre adhésion au Conseil de l’Europe, l’Arménie a tout fait pour honorer ses obligations et respecter ses engagements au service des valeurs fondamentales de l’Organisation. Ces dernières années, cette Organisation a connu une crise malheureuse et sans précédent, en partie imputable au comportement irresponsable de certains membres de l’Assemblée qui ont bafoué les valeurs du Conseil de l’Europe et gravement compromis sa réputation.
La grande famille qu’est le Conseil de l’Europe est face à un sérieux défi, peut-être le défi le plus grave depuis sa fondation. Ces cas de corruption de membres de l’Assemblée ainsi que les trucages des votes qui en ont résulté ont été exposés au grand jour. Depuis 2014, il est vrai que toute une série de rapports et de résolutions biaisés et infondés avaient suscité une certaine méfiance de la société arménienne à l’égard de l’Assemblée. Mais toutes ces révélations suscitent l’espoir que ces pratiques de corruption seront éphémères. Nous pensons que les cas de corruption seront dument dénoncés, que les résolutions litigieuses adoptées deviendront caduques et que les individus responsables et les puissances qui les téléguident seront enfin discrédités. Je suis convaincu que la commission d’enquête indépendante permettra de mettre un terme à tous ces problèmes et rétablira la confiance des États membres dans l’Organisation.
Depuis notre adhésion, nous faisons tout pour trouver une solution pacifique au conflit du Haut-Karabakh et nous ferons tout pour avoir une influence sur les autorités du Haut-Karabakh dans la recherche d’une solution. Le Conseil de l’Europe n’est pas une instance à même résoudre ce conflit. Mais je voudrais quand même revenir un moment sur nos engagements.
Il y a 30 ans, tout se passait bien apparemment, la paix sembler régner au Haut-Karabakh. L’image était cependant trompeuse car l’Arménie n’avait jamais accepté la décision prise par Staline d’annexer cette terre à l’Azerbaïdjan.
La population était inquiète – et moi-même à titre personnel, j’étais inquiet – car les autorités de Bakou faisaient tout pour chasser les Arméniens de leur foyer historique. Ainsi, alors qu’en 1926, les Arméniens représentaient 90 % de la population de la province, ils n’étaient plus que 77 % en 1988.
En février 1988, les habitants du Haut-Karabakh se sont élevés contre les politiques menées par Bakou et ont décidé d’exercer leur droit à l’autodétermination. J’étais alors en première ligne lors de ce soulèvement. Le Parlement du Haut-Karabakh a pris une décision, les habitants sont descendus pacifiquement dans la rue pour l’appuyer. Quelle a été la réaction de l’Azerbaïdjan? Les Azéris n’ont pas seulement refusé la décision parlementaire, ils se sont livrés à des massacres dans la ville de Soumgaït à des centaines de kilomètres de là. Ils ont commis des actes de vengeance contre les Arméniens.
D’un côté, décision parlementaire et manifestations pacifiques, de l’autre, violences et massacres. Pour travailler à la résolution du conflit, il faut connaître ces faits. Toute tentative de placer les parties prenantes sur un pied d’égalité est vouée à l’échec car il est impossible de traiter de la même manière les auteurs d’un massacre et leurs victimes.
Le 27 février prochain, nous honorerons la mémoire des victimes du massacre de Soumgaït. La politique du massacre est devenue une politique d’État. L’Azerbaïdjan a déclaré une guerre pour détruire les populations arméniennes du Haut-Karabakh. Face à cette menace d’extermination, le Haut-Karabakh a dû se défendre. Je le répète, j’ai été en première ligne sur ce sujet et je n’ai jamais regretté ce choix personnel.
Cependant, l’heure est venue de résoudre ce conflit. Pour cela, il faut respecter scrupuleusement le régime établi par le cessez-le-feu et l’ensemble des engagements pris par le passé. Il faut remédier à l’injustice pour parvenir à la paix, j’y travaillerai sans relâche.
Les parties doivent assumer la coresponsabilité d’une transition pacifique et trouver une solution médiane. Des négociations sont en cours sous les auspices des coprésidents du Groupe de Minsk mis en place par l’OSCE, seul forum internationalement reconnu pour trouver une solution au conflit. La communauté internationale et notamment le Conseil de l’Europe soutiennent ces efforts.
Alors que la paix est indispensable, malheureusement l’Azerbaïdjan n’y est pas prête ainsi qu’en témoigne l’agression d’avril 2016 contre des civils et des prisonniers de guerre en violation du droit international. Cet événement, qui a ravivé le souvenir atroce des massacres de Soumgait, a entravé le processus de négociation. Force est de constater que l’Assemblée du Conseil de l’Europe a fermé les yeux et a apporté de l’eau au moulin de ceux qui refusaient toute solution pacifique. Je lance ici un appel à tous les membres de l’Assemblée afin qu’ils comprennent bien les répercussions des discours partisans sur la sécurité et la paix, toujours précaires au Haut-Karabakh.
En permanence menacé par la guerre, le Haut-Karabakh cherche à construire un régime démocratique respectueux des droits de l’homme. L’Arménie se tient à ses côtés et ne cessera jamais de défendre sa sécurité, ses droits et intérêts. Comme le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe l’a relevé, il ne peut exister de zones grises en Europe en matière de protection des droits de l’homme.
J’espère que dans un avenir pas trop lointain cette Organisation se rangera du côté du Haut-Karabakh et lui apportera son expertise et son savoir-faire; ses habitants le méritent! Ils ont gagné ce droit depuis longtemps!
La protection des droits de l’homme constitue une priorité pour les autorités du Haut-Karabakh. Elles ont d’ailleurs signé la Convention européenne des droits de l’homme en 2015 et se sont engagées à l’appliquer intégralement. Pour elles, la sauvegarde des droits de l’homme ne renvoie pas à des paroles creuses mais à un choix conscient et déterminé.
Le Haut-Karabakh ne peut demeurer en dehors des processus internationaux seulement parce que les autorités de Bakou en ont décidé ainsi, alors que ces autorités bafouent les droits de l’homme et les libertés fondamentales allant jusqu’à faire enlever des figures de l’opposition à l’étranger.
Cela me conduit à évoquer ici la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour est saisie de plusieurs requêtes concernant la situation au Haut-Karabakh. Je comprends bien que la CEDH s’occupe de ces questions, mais elle doit le faire uniquement pour éviter justement les fameuses zones grises et garantir les droits de l’homme partout en Europe. Toutefois, dans ses arrêts et décisions, la CEDH ne doit pas adopter de positions politiques qui pourraient avoir un avoir direct négatif sur le processus de négociation. Il faut que la Cour fasse preuve de beaucoup de modération et évite toute politisation de ses arrêts. Il est important qu’elle les traite sans adopter de position politique qui pourrait impacter négativement les négociations. Elle doit faire preuve de modération et éviter de rendre des arrêts politiques.
Notre situation économique reflète les défis qui sont les nôtres. Notre population désire la prospérité et le bien-être mais la situation régionale difficile entrave notre développement économique. Mais nous mobilisons toutes nos ressources pour essayer d’améliorer la situation, notamment en intégrant différentes structures.
En 2013, après notre adhésion à l’Union économique eurasienne, les sceptiques étaient nombreux dans cette Assemblée. Depuis, l’Arménie a prouvé qu’elle pouvait combiner son engagement dans différentes structures et être un modèle de coopération.
Le 24 novembre dernier, en marge du Sommet du Partenariat oriental, à Bruxelles, l’Arménie et l’Union européenne ont conclu un accord de partenariat global et renforcé, qui ouvre un chapitre nouveau dans les relations bilatérales. L’appartenance de l’Arménie à l’Union économique eurasienne n’est donc pas, de toute évidence, un obstacle à d’autres formes d’engagement.
Nous continuerons à nous engager dans différents cadres internationaux et notamment au sein de l’Organisation internationale de la francophonie, qui constitue pour nous une plateforme unique pour défendre non seulement la langue et la culture, mais aussi les droits de l’homme. Nous aurons d’ailleurs l’honneur d’accueillir le 17e Sommet de la Francophonie en octobre 2018 à Erevan. Le thème général de ce sommet sera «Vivre ensemble» et un «pacte francophone pour le vivre ensemble» sera adopté pour renforcer les droits de l’homme, le dialogue interculturel et le dialogue interreligieux. Pour nous, ce ne sont pas que des mots. Les Arméniens savent trop bien quel est le prix des discours de haine, d’intolérance et de discrimination. Nous luttons sans relâche contre ces fléaux.
Mesdames et Messieurs, nous allons célébrer l’année prochaine le 70e anniversaire de la création du Conseil de l’Europe. Ce sera un moment historique pour notre grande famille qui œuvre pour la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales en Europe depuis près de sept décennies. Notre Organisation a été créée à l’origine par 10 États seulement. Aujourd’hui, elle réunit 47 États européens et une population de 820 millions d’Européens. C’est donc un succès considérable, que nous devons chérir.
Nous ne devons pas ménager nos efforts pour mettre au point un programme positif visant à renforcer le rôle et le poids du Conseil de l’Europe. Mais la mission de notre Organisation va plus loin encore: elle doit jouer un grand rôle non seulement sur le plan politique, mais aussi en termes de civilisation. Je crois que le Conseil de l’Europe a besoin de nouveaux stimuli pour redéfinir son rôle et sa place dans l’architecture politique européenne. Il faut adapter nos mécanismes et nos dispositifs aux exigences du temps présent pour renforcer notre efficacité. D’ailleurs, l’Arménie suit avec intérêt et gratitude les efforts méritoires du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pour réformer l’Organisation. Nous sommes par ailleurs favorables à la réunion d’un 4e Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe. Il constituerait une excellente opportunité pour identifier les principaux problèmes de notre continent et actualiser notre conception d’une Europe plus forte et plus inclusive.
Je crois que les pères fondateurs du Conseil de l’Europe seraient très fiers de voir que nous sommes aujourd’hui 47 États membres, unis sous le même toit. C’est un succès dont l’importance ne doit jamais être sous-estimée et chacun d’entre nous doit tout faire pour préserver cette unité. L’Arménie poursuivra son chemin vers des formes plus accomplies d’engagement et de coopération. Elle est disposée à contribuer, par tous les moyens possibles, au succès du Conseil de l’Europe, notre maison commune de la démocratie et de la primauté du droit.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Monsieur le Président, je vous remercie pour votre discours, qui a vivement intéressé les membres de notre Assemblée.
Un nombre important de collègues ont exprimé le souhait de vous poser une question. Je leur rappelle que les questions ne doivent pas dépasser 30 secondes et qu’ils doivent poser une question et non faire un discours. Nous commençons par les porte-paroles des groupes.
Mme SCHOU (Norvège), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen (interprétation)
Monsieur le Président, après deux mandats, vous achevez actuellement dix ans de présidence.
Quel bilan tirez-vous de cette période? Quelles grandes réalisations l’Arménie a-t-elle accomplies dans son agenda européen, notamment dans le cadre de l’accord signé avec l’Union européenne?
M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)
Au cours des dix dernières années, l’Arménie a enregistré des progrès substantiels dans son programme européen, à la fois dans ses relations bilatérales avec les pays de l’Union et dans ses relations multilatérales. En 2016 et 2017, le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire ont souligné, par l’intermédiaire de différents textes, les progrès accomplis par l’Arménie. Permettez-moi de vous donner une illustration de ces progrès. En 2008, lorsque j’ai été élu au poste de Président de la République d’Arménie, nous étions confrontés à des défis importants. Nos relations avec le Conseil de l’Europe étaient tendues et la menace de sanctions était réelle. Dix ans plus tard, nous parlons principalement des réalisations de l’Arménie.
En ce qui concerne les relations de l’Arménie avec l’Union européenne, comme je l’ai indiqué, le 24 novembre, nous avons conclu un nouvel accord global qui ouvre des perspectives substantielles pour notre pays. Nous nous considérons comme des Européens indépendamment de savoir si les Européens nous considèrent comme tels. Notre coopération avec les pays et les organes européens repose sur cette conviction.
Mme BARNETT (Allemagne), porte-parole du Groupe des socialistes, démocrates et verts (interprétation)
Des entretiens avec des représentants de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan m’ont convaincue que le conflit qui oppose vos deux pays doit cesser et que les deux parties le souhaitent. Il me semble que vos positions respectives ne sont pas si éloignées qu’on peut le penser.
L’Assemblée parlementaire croit fermement au dialogue. Comment peut-elle vous soutenir dans la recherche d’une solution à ce conflit, dans l’intérêt des populations et de leur avenir?
M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)
En effet, les Azerbaïdjanais souhaitent, comme nous, que le conflit prenne fin rapidement. Malheureusement, il existe des différences entre ce que les uns et les autres souhaitent.
Que peut faire la communauté internationale? Je pense que le principal obstacle aux négociations est la position maximaliste et peu réaliste de l’Azerbaïdjan. Si la communauté internationale pouvait aider ce pays à se guérir de ses illusions et à adopter un point de vue plus réaliste, alors rapidement tous ses efforts seraient sans doute couronnés de succès.
Ce conflit mortifère est un obstacle au développement de nos deux nations. Il représente une perte humaine, financière et matérielle considérable. Les négociations sont également entravées par le fait malencontreux que les accords auxquels nous sommes parvenus ne sont pas respectés.
Comme vous le savez, en 2016, l’Azerbaïdjan a lancé des opérations militaires considérables dans le but de récupérer le Haut-Karabakh par la force. Depuis lors, des réunions se sont tenues à Vienne, à Saint-Pétersbourg et à Genève, où étaient présents – pour deux réunions au moins – des hauts-représentants et des médiateurs. Nous étions convenus que la meilleure manière de poursuivre les négociations était de recréer des éléments de confiance. C’est la raison pour laquelle un mécanisme international a été élaboré en vue de mener des enquêtes dans les cas de violation du cessez-le-feu, et d’élargir le mandat du représentant spécial.
Malheureusement, tout cela ne s’est pas concrétisé. Bien au contraire, immédiatement après ces réunions, les plus hauts dirigeants d’Azerbaïdjan ont déclaré que ces propos avaient été tenus par la coprésidence et que la question du Haut-Karabakh était une question intérieure.
Dans de telles circonstances, espérer une résolution rapide de ce conflit n’est pas réaliste.
M. TÜRKEŞ (Turquie), porte-parole du Groupe des conservateurs européens (interprétation)
Monsieur le Président, le protocole établi entre l’Arménie et la Turquie n’a jamais été mis en œuvre. Cela veut-il dire que les relations de nos deux pays vont continuer de stagner? Ou est-il envisageable que l’Arménie normalise ses relations dans la région – peut-être après l’élection présidentielle arménienne qui doit se dérouler au mois de mars prochain?
M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)
Nous ne comprenons pas très bien les exigences de la Turquie. Après mon élection, j’ai remis les pourparlers entre nos deux pays à l’ordre du jour. J’ai d’ailleurs rencontré le Président turc et des pourparlers ont été organisés en Suisse, en présence des représentants du Conseil de sécurité. Deux documents relatifs au rétablissement des relations entre l’Arménie et la Turquie ont été signés dans lesquels il était convenu que les relations devaient être rétablies sans condition préalable, et qu’ensuite seulement, les difficultés qui existent entre les deux pays feraient l’objet de discussions.
Or, après la signature du protocole, la partie turque n’a eu de cesse de fixer des conditions préalables. De mémoire, il n’existe aucun exemple international similaire: une fois qu’un document est signé, que les parties se sont engagées, la morale et l’éthique exigent qu’elles respectent leurs obligations. Neuf ans plus tard, les Turcs exigent toujours que nous prenions des mesures.
Nous n’accepterons jamais de conditions préalables. La Turquie est un pays puissant, au fort potentiel, contrairement à l’Arménie. Mais cela ne veut pas dire qu’elle puisse exiger des conditions préalables, sinon des pays beaucoup plus puissants que la Turquie sur le plan économique ou démographique abuseraient aussi de leur pouvoir. Par ailleurs, je ne pense pas que les autorités et le peuple turcs accepteraient qu’on leur impose quoi que ce soit.
Avant le printemps, ce protocole sera vidé de son sens par la Turquie. Il serait pourtant judicieux que les Turcs maintiennent la stabilité fragile établie dans la région et abandonnent cette position unilatérale de soutien à l’Azerbaïdjan. Je vous rappelle en effet que, au moment des hostilités, en 2016, la Turquie a été le seul pays au monde à apporter son soutien aux actions militaires de l’Azerbaïdjan. En 4 jours, le Premier ministre et le Président turcs ont, à cinq reprises, déclaré leur soutien à l’Azerbaïdjan.
Que pouvons-nous faire dans de telles circonstances? Ce serait faire insulte à notre peuple que d’accepter de faire des concessions unilatérales pour le rétablissement des relations.
Mme RODRÍGUEZ HERNÁNDEZ (Espagne), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (interprétation)
Monsieur le Président, vous avez parlé des mesures prises contre la violence, la corruption, la délinquance et pour lutter contre le terrorisme. S’agissant de l’accord d’association entre l’Europe et l’Arménie – un accord ambitieux –, quelles mesures l’Arménie est-elle prête à prendre pour aller encore plus loin?
M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)
J’ai évoqué dans mon allocution les efforts que nous avons réalisés en Arménie pour éradiquer la corruption, même si ceux-ci n’ont pas porté les fruits attendus. La corruption est, hélas, un phénomène qui existe en Arménie, comme dans bien d’autres pays.
L’année dernière, nous avons promulgué une loi prévoyant la mise en place d’une commission de prévention de la corruption; une législation dans le droit-fil des meilleures normes européennes. Les membres de cette commission sont élus par le Parlement arménien. Nous avons également adopté une loi relative à la protection des lanceurs d’alerte; nous avons qualifié l’enrichissement illicite de délit; et quelque 500 responsables arméniens sont maintenant tenus de soumettre leur déclaration de patrimoine et de revenus.
Pour l’Arménie, c’est là un nombre assez considérable. Cela correspond aux vœux de la société arménienne. En effet, la société civile contribue à faire la lumière sur ces délits et aide à leur prévention.
Quant aux sanctions, tous les ans les condamnations augmentent, notamment celles concernant des délits de corruption. Le taux de criminalité générale, en 2017, a baissé de 20 %: ce taux porte sur des crimes tels qu’homicides ou autres délits graves. Le système de répression des délits lutte avec acharnement contre la criminalité.
Quant à la différence entre l’accord signé avec l’Union européenne et l’accord précédent, le premier nous offre beaucoup plus d’opportunités. Nous envisageons un plan d’action avec l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. Ce dernier nous a d’ailleurs soutenus dans notre processus de réformes. L’accord nécessite une ratification par le Parlement arménien et par les parlements nationaux des 27 États membres de l’Union européenne. Cet accord de partenariat élargi et renforcé couvre tous les domaines d’activité. Il a force de loi, il est contraignant au plan juridique. Nous avons toute confiance dans le fait que cette coopération avec l’Union européenne et les autres organisations européennes ne va que s’approfondir, non pas pour montrer que nous coopérons, mais parce que nous nous considérons comme porteurs des valeurs européennes.
M. PSYCHOGIOS (Grèce), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)
Quel sera l’impact en matière de droits de l’homme et de libertés de cette transition vers un régime parlementaire? Qu’en est-il des libéralisations prévues par la Constitution? Vous savez que le libéralisme économique n’a fait que creuser les inégalités. Que ferez-vous dans ce contexte?
M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)
La transition vers un régime à dominante parlementaire est logique, c’est une étape obligée. Un régime parlementaire est plus inclusif et transparent, c’est une forme de gouvernance qui correspond mieux à nos ambitions en matière de renforcement de la démocratie. Je ne suis pas certain d’avoir bien compris la seconde partie de votre question. L’accent mis sur un régime parlementaire permettra de renforcer la protection des droits de l’homme et des libertés. Ce régime aura plus de poids vis-à-vis de la société civile, sera plus responsable, et permettra plus de coopération avec nos partenaires européens.
M. FOURNIER (France)
Monsieur le Président, mes chers collègues, comment l’Arménie réussit-elle à concilier son appartenance au Partenariat oriental de l’Union européenne, d’une part, et son adhésion à l’Union économique eurasiatique, d’autre part? Comment qualifieriez-vous l’état actuel des relations entre l’Arménie et la Fédération de Russie?
M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)
Nous sommes déjà en train de concilier ces deux formes de partenariat. Il ne fait aucun doute que notre adhésion à différentes entités d’intégration se poursuivra avec détermination. Depuis 2010, nous négocions avec l’Union européenne pour signer un nouvel accord, période qui a coïncidé avec notre adhésion à l’Union économique eurasiatique. Les représentants des deux unions savaient très clairement que nous souhaitions nous associer aux deux entités.
Lors de la phase initiale, les deux institutions se sont félicitées de notre position. Cependant, le moment est venu où nos collègues de l’Union européenne ont estimé que notre adhésion à ces deux institutions étaient inconciliables. Nous avons donc été contraints de choisir d’adhérer à l’Union économique eurasiatique. L’économie arménienne est attachée, pour de nombreuses raisons, aux pays de cette Union. Notre histoire est séculaire et nos amitiés historiques. Jusqu’à 80 % des citoyens – une écrasante majorité – soutiennent cette idée d’une plus grande coopération avec l’Union économique eurasiatique.
Cela étant dit, je dois mentionner, en reconnaissant le mérite des responsables de l’Union européenne, que la situation a beaucoup évolué. Les perceptions de l’Union européenne ont changé, notamment lors du sommet de Riga. Une approche sur mesure, différenciée, a été choisie, démontrant qu’il est possible de concilier des participations à différentes institutions d’intégration. Nous avons lancé des pourparlers très riches et sommes arrivés à d’excellents résultats. Vous l’avez constaté, le 24 novembre dernier, nous avons signé un accord avec l’Union européenne.
Pour agir sur les deux fronts, il suffit d’être franc et limpide avec ses partenaires, sans dissimuler les processus de négociation en cours et ses propres volontés. Si les engagements ne sont pas incompatibles, pourquoi ne pas conjuguer ces deux formes d’association? Je considère que nous avons une expérience similaire avec l’Organisation du traité de sécurité collective. Nous en sommes membres, et nous coopérons avec l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Cette histoire est vieille de plusieurs années, et j’espère qu’une coopération plus étroite pourra se mettre en place à l’avenir entre l’Union européenne et l’Union économique eurasiatique. Cette coopération est l’avenir. Les problèmes actuels et à venir ne sont pas propices au développement. Ces difficultés font en sorte qu’il y a une gabegie de ressources énormes, qui sont détournées de notre programme, celui qui consiste à améliorer la vie des citoyens.
M. SEYIDOV (Azerbaïdjan) (interprétation)
Vous êtes un leader de la guerre contre l’Azerbaïdjan. Pourquoi n’avez-vous pas mentionné les massacres de Khodjaly, dans lesquels 800 enfants, vieillards et femmes ont été assassinés par les Arméniens? Pourquoi avoir omis de parler du nettoyage ethnique au Haut-Karabakh et dans les sept régions avoisinantes?
Vous essayez d’abuser la communauté internationale! Comment pouvez-vous organiser votre politique si vous n’êtes pas prêt à appliquer les résolutions du Conseil de l’Europe, ni celles des Nations Unies, de l’Union européenne, et des autres organisations internationales qui se sont exprimées sur l’occupation de notre territoire? Comment faire si vous n’êtes pas disposés à accepter ces points de vue internationaux?
M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)
Je vais vous demander de vous calmer, et de garder votre sang-froid.
Il serait bon de ne pas déformer mes propos. Je n’ai jamais été chef de guerre, je n’ai pas eu cet honneur: j’ai participé à une lutte légitime, aux côtés du peuple de Haut-Karabakh. Pourquoi n’ai-je pas mentionné ce qu’il s’est passé à Khodjaly, que vous qualifiez de génocide? Pour une raison très simple: immédiatement après ces événements douloureux, le Président de la République d’Azerbaïdjan a communiqué de manière très détaillée sur les faits, et indiqué les véritables instigateurs de ces massacres. Je regrette vraiment: le génocide est une mauvaise chose. Se rendre coupable d’un génocide est grave, et survivre à un génocide n’est pas un honneur, mais une souffrance. Or, en Azerbaïdjan, vous parlez de génocide et je le regrette: pourquoi devez-vous parler de génocide, alors que cela n’a pas existé, du moins pas du fait des Arméniens?
En ce qui concerne le respect de nos engagements vis-à-vis des organisations internationales, vous vous trompez. Aucune organisation internationale – et en particulier pas le Conseil de sécurité des Nations Unies, que vous avez évoqué – n’a adopté une décision qui aurait été rejetée par l’Arménie. Je vous conseille, lorsque vous abordez un sujet, de le faire en connaissance de cause, et d’étudier la question. Le monde entier sait que le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a jamais débattu de la question du Haut-Karabakh.
En 1993, ce Conseil a adopté quatre résolutions pour mettre fin aux hostilités dans cette région. Après chaque résolution, l’Azerbaïdjan a déclaré qu’il ne mettrait pas fin aux combats, a lancé ou tenté de lancer de nouvelles offensives, et a, comme chaque fois, essuyé des pertes. Dans ces quatre résolutions, le seul engagement de l’Arménie était d’user de son influence et de son autorité pour que les hostilités prennent fin. Nous avons honoré cet engagement, et c’est à porter au crédit du gouvernement de l’époque.
Le premier responsable du conflit est l’Azerbaïdjan, et c’est de son seul fait si les combats n’ont pas cessé. Comme vous le savez, en 1994, un accord de cessez-le-feu a été signé, mais pas sous l’influence des résolutions du Conseil de sécurité. Malheureusement, les dispositions de cet accord ne sont pas respectées. Pourtant, il dit très clairement que les hostilités doivent cesser, que des solutions politiques doivent s’y substituer, que des pourparlers doivent être engagés. Vos propos illustrent parfaitement votre position maximaliste dans ce processus de négociation. La xénophobie a pris une telle ampleur en Azerbaïdjan que vous avez expressément dit que vous vouliez récupérer les territoires, sans les Arméniens! Cela est impossible, cela n’arrivera jamais.
Le peuple de Haut-Karabakh se bat pour sa liberté et son autodétermination, et cette lutte ne peut que trouver une issue positive, j’en suis convaincu.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Nous devons maintenant interrompre la liste des questions. Monsieur le Président, au nom de l’Assemblée, je vous remercie très chaleureusement pour votre discours et vos réponses aux questions.