Serzh
Sargsyan
Président de l’Arménie
Discours prononcé devant l'Assemblée
mercredi, 24 janvier 2018

Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, je commencerai par vous saluer, Monsieur Nicoletti, et vous féliciter chaleureusement pour votre élection à la présidence de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Votre mandat commence à un moment plutôt difficile, mais je suis persuadé que, grâce à votre expérience considérable et à vos qualités personnelles, vous êtes l’homme de la situation pour garantir le succès et la réputation de l’Organisation.
Je voudrais aussi rendre hommage à Mme Kyriakides, qui a été une brillante Présidente de votre Assemblée.
La dernière fois que j’ai eu l’honneur de m’adresser à vous à cette tribune, c’était en 2013, à l’occasion de la présidence arménienne du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Cette présidence a été un moment clé pour notre intégration au sein de la grande famille du Conseil de l’Europe. Je pense que nous avons été à la hauteur de notre mission. Demain, 25 janvier, nous fêterons l’anniversaire de notre adhésion au Conseil de l’Europe, il y aura exactement dix-sept ans.
Au moment où nous avons rejoint cette grande organisation européenne, nous étions conscients du chemin qui s’ouvrait devant nous. Nous savions qu’il ne serait pas facile de construire et de renforcer la démocratie sans le soutien direct et actif du Conseil de l’Europe et de ses différentes structures.
La volonté politique et notre engagement constructif conjoint nous ont permis de surmonter de nombreux obstacles et d’améliorer grandement la situation. Aujourd’hui, au moment où je m’adresse à vous, je peux fièrement affirmer que nous avons honoré nos principaux engagements à l’égard du Conseil de l’Europe en termes de démocratisation du pays. Ce n’est pas simplement moi qui l’affirme; nos progrès ont été dument reconnus par les rapports de suivi des organes du Conseil de l’Europe.
Nous poursuivons nos efforts pour nous intégrer dans l’espace juridique européen. L’Arménie a déjà signé près de 70 conventions. Il ne s’agit pas simplement de tenir nos promesses à l’égard de l’Organisation. Ce faisant, nous mettons aussi en œuvre notre propre credo, nos propres convictions. Nous poursuivrons donc dans le même sens. Le rythme des réformes et des progrès devrait d’ailleurs s’accélérer dès le mois d’avril puisque les amendements constitutionnels entreront alors en vigueur.
C’est aussi à ce moment-là que nous allons mettre en œuvre le programme d’activité prévu par notre nouvel accord de partenariat global et renforcé avec l’Union européenne. Vous le savez, une démocratie est un organisme vivant. Depuis 25 ans, nous engageons de nombreux efforts pour créer notre État, et alimenter cet organisme. Nous savons très bien que la démocratie requiert une vigilance constante et des remises en cause permanentes pour adapter le régime aux changements qui ne cessent de se produire.
C’est dans ce sens qu’avec le soutien appuyé du Conseil de l’Europe, nous avons engagé le processus de réforme constitutionnelle en Arménie. Au mois d’avril, ces réformes constitutionnelles conçues avec le Conseil de l’Europe entreront en vigueur. Nous avons ancré notre système autour des principes du Conseil de l’Europe que sont l’État de droit, la démocratie et la protection des droits de l’homme et avons décidé de mettre en place un régime parlementaire. C’est ce que je vous avais annoncé dans cette enceinte dès 2013.
Depuis notre adhésion, nous avons entendu des encouragements, mais aussi les critiques de nos partenaires, et cela nous a aidés. Pendant tout ce temps, nous avons étroitement coopéré avec la Commission de Venise et ses experts. C’est ainsi que nous avons affiné le paquet de réformes constitutionnelles. Nous travaillons dans une atmosphère de confiance mutuelle et nous allons poursuivre dans ce sens pour mettre en place de nouvelles lois, nécessaires au nouveau cadre constitutionnel.
Un nouveau Code électoral est déjà entré en vigueur en Arménie. Cela a permis des progrès considérables. Ce Code a été approuvé de manière transparente en incluant toutes les parties prenantes. Nous avons fait quelque chose d’inédit: pour la première fois dans l’histoire de notre pays, après un scrutin, nous avons publié les listes d’émargement signées. Ce n’est pas une pratique commune, et cela peut d’ailleurs occasionner certains problèmes en termes de protection des données, mais nous avons tenu à le faire afin de renforcer la confiance des électeurs dans le processus électoral.
Le nouveau Code électoral a fait ses preuves lors des élections législatives d’avril 2017, qui ont été suivies par un grand nombre d’observateurs, dont ceux de votre Assemblée. Il importe de souligner que ce nouveau Code électoral a aussi permis de réserver un certain nombre de sièges de notre Assemblée nationale à des représentants des minorités nationales. C’est encore un pas vers une gouvernance plus inclusive.
Actuellement, est en cours une réforme de la justice, du Code pénal et du Code de procédure pénale. Nous revoyons également les lois sur les référendums et sur la Cour constitutionnelle. Nous savons parfaitement que l’État de droit ne peut être protégé que si notre justice est efficace, indépendante et exempte de toute forme de corruption. Bien entendu, dans ce contexte, nous accordons le plus grand prix à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui est essentielle à nos yeux et dont nous nous inspirons pour réformer notre justice.
Nous avons déjà, en vertu de cette jurisprudence, réformé un grand nombre de textes et perfectionné nos pratiques. Cela a permis d’améliorer la situation des droits de l’homme dans notre pays. Ces efforts ne sont pas passés inaperçus: la République d’Arménie figure dans le peloton de tête des pays membres du Conseil de l’Europe lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre correctement les arrêts de la Cour européenne.
Nous sommes également convaincus que la protection des droits de l’homme et la consolidation des valeurs démocratiques ne seront pas possibles si nous ne luttons pas en permanence contre la corruption. C’est une priorité à tous les niveaux de la société et à tous les niveaux du monde politique. L’Arménie cherche à se doter d’une nouvelle boîte à outils. Au cours de l’année 2017, l’Assemblée nationale arménienne a adopté à l’unanimité un paquet de lois qui permettent, pour la première fois, la création d’une entité nationale anti-corruption, et ce dans le respect de toutes les normes internationales. Cette entité commencera à fonctionner en 2018, et c’est le parlement qui en élira les membres.
Ce paquet anti-corruption a aussi permis l’adoption d’une loi sur les lanceurs d’alerte et leur protection. Nous avons également créé une incrimination d’enrichissement illicite. Nous sommes déterminés à poursuivre dans cette voie et ne ménagerons pas nos efforts pour éliminer ce fléau qu’est la corruption.
Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée, depuis notre adhésion au Conseil de l’Europe, l’Arménie a tout fait pour honorer ses obligations et respecter ses engagements au service des valeurs fondamentales de l’Organisation. Ces dernières années, cette Organisation a connu une crise malheureuse et sans précédent, en partie imputable au comportement irresponsable de certains membres de l’Assemblée qui ont bafoué les valeurs du Conseil de l’Europe et gravement compromis sa réputation.
La grande famille qu’est le Conseil de l’Europe est face à un sérieux défi, peut-être le défi le plus grave depuis sa fondation. Ces cas de corruption de membres de l’Assemblée ainsi que les trucages des votes qui en ont résulté ont été exposés au grand jour. Depuis 2014, il est vrai que toute une série de rapports et de résolutions biaisés et infondés avaient suscité une certaine méfiance de la société arménienne à l’égard de l’Assemblée. Mais toutes ces révélations suscitent l’espoir que ces pratiques de corruption seront éphémères. Nous pensons que les cas de corruption seront dument dénoncés, que les résolutions litigieuses adoptées deviendront caduques et que les individus responsables et les puissances qui les téléguident seront enfin discrédités. Je suis convaincu que la commission d’enquête indépendante permettra de mettre un terme à tous ces problèmes et rétablira la confiance des États membres dans l’Organisation.
Depuis notre adhésion, nous faisons tout pour trouver une solution pacifique au conflit du Haut-Karabakh et nous ferons tout pour avoir une influence sur les autorités du Haut-Karabakh dans la recherche d’une solution. Le Conseil de l’Europe n’est pas une instance à même résoudre ce conflit. Mais je voudrais quand même revenir un moment sur nos engagements.
Il y a 30 ans, tout se passait bien apparemment, la paix sembler régner au Haut-Karabakh. L’image était cependant trompeuse car l’Arménie n’avait jamais accepté la décision prise par Staline d’annexer cette terre à l’Azerbaïdjan.
La population était inquiète – et moi-même à titre personnel, j’étais inquiet – car les autorités de Bakou faisaient tout pour chasser les Arméniens de leur foyer historique. Ainsi, alors qu’en 1926, les Arméniens représentaient 90 % de la population de la province, ils n’étaient plus que 77 % en 1988.
En février 1988, les habitants du Haut-Karabakh se sont élevés contre les politiques menées par Bakou et ont décidé d’exercer leur droit à l’autodétermination. J’étais alors en première ligne lors de ce soulèvement. Le Parlement du Haut-Karabakh a pris une décision, les habitants sont descendus pacifiquement dans la rue pour l’appuyer. Quelle a été la réaction de l’Azerbaïdjan? Les Azéris n’ont pas seulement refusé la décision parlementaire, ils se sont livrés à des massacres dans la ville de Soumgaït à des centaines de kilomètres de là. Ils ont commis des actes de vengeance contre les Arméniens.
D’un côté, décision parlementaire et manifestations pacifiques, de l’autre, violences et massacres. Pour travailler à la résolution du conflit, il faut connaître ces faits. Toute tentative de placer les parties prenantes sur un pied d’égalité est vouée à l’échec car il est impossible de traiter de la même manière les auteurs d’un massacre et leurs victimes.
Le 27 février prochain, nous honorerons la mémoire des victimes du massacre de Soumgaït. La politique du massacre est devenue une politique d’État. L’Azerbaïdjan a déclaré une guerre pour détruire les populations arméniennes du Haut-Karabakh. Face à cette menace d’extermination, le Haut-Karabakh a dû se défendre. Je le répète, j’ai été en première ligne sur ce sujet et je n’ai jamais regretté ce choix personnel.
Cependant, l’heure est venue de résoudre ce conflit. Pour cela, il faut respecter scrupuleusement le régime établi par le cessez-le-feu et l’ensemble des engagements pris par le passé. Il faut remédier à l’injustice pour parvenir à la paix, j’y travaillerai sans relâche.
Les parties doivent assumer la coresponsabilité d’une transition pacifique et trouver une solution médiane. Des négociations sont en cours sous les auspices des coprésidents du Groupe de Minsk mis en place par l’OSCE, seul forum internationalement reconnu pour trouver une solution au conflit. La communauté internationale et notamment le Conseil de l’Europe soutiennent ces efforts.
Alors que la paix est indispensable, malheureusement l’Azerbaïdjan n’y est pas prête ainsi qu’en témoigne l’agression d’avril 2016 contre des civils et des prisonniers de guerre en violation du droit international. Cet événement, qui a ravivé le souvenir atroce des massacres de Soumgait, a entravé le processus de négociation. Force est de constater que l’Assemblée du Conseil de l’Europe a fermé les yeux et a apporté de l’eau au moulin de ceux qui refusaient toute solution pacifique. Je lance ici un appel à tous les membres de l’Assemblée afin qu’ils comprennent bien les répercussions des discours partisans sur la sécurité et la paix, toujours précaires au Haut-Karabakh.
En permanence menacé par la guerre, le Haut-Karabakh cherche à construire un régime démocratique respectueux des droits de l’homme. L’Arménie se tient à ses côtés et ne cessera jamais de défendre sa sécurité, ses droits et intérêts. Comme le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe l’a relevé, il ne peut exister de zones grises en Europe en matière de protection des droits de l’homme.
J’espère que dans un avenir pas trop lointain cette Organisation se rangera du côté du Haut-Karabakh et lui apportera son expertise et son savoir-faire; ses habitants le méritent! Ils ont gagné ce droit depuis longtemps!
La protection des droits de l’homme constitue une priorité pour les autorités du Haut-Karabakh. Elles ont d’ailleurs signé la Convention européenne des droits de l’homme en 2015 et se sont engagées à l’appliquer intégralement. Pour elles, la sauvegarde des droits de l’homme ne renvoie pas à des paroles creuses mais à un choix conscient et déterminé.
Le Haut-Karabakh ne peut demeurer en dehors des processus internationaux seulement parce que les autorités de Bakou en ont décidé ainsi, alors que ces autorités bafouent les droits de l’homme et les libertés fondamentales allant jusqu’à faire enlever des figures de l’opposition à l’étranger.
Cela me conduit à évoquer ici la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour est saisie de plusieurs requêtes concernant la situation au Haut-Karabakh. Je comprends bien que la CEDH s’occupe de ces questions, mais elle doit le faire uniquement pour éviter justement les fameuses zones grises et garantir les droits de l’homme partout en Europe. Toutefois, dans ses arrêts et décisions, la CEDH ne doit pas adopter de positions politiques qui pourraient avoir un avoir direct négatif sur le processus de négociation. Il faut que la Cour fasse preuve de beaucoup de modération et évite toute politisation de ses arrêts. Il est important qu’elle les traite sans adopter de position politique qui pourrait impacter négativement les négociations. Elle doit faire preuve de modération et éviter de rendre des arrêts politiques.
Notre situation économique reflète les défis qui sont les nôtres. Notre population désire la prospérité et le bien-être mais la situation régionale difficile entrave notre développement économique. Mais nous mobilisons toutes nos ressources pour essayer d’améliorer la situation, notamment en intégrant différentes structures.
En 2013, après notre adhésion à l’Union économique eurasienne, les sceptiques étaient nombreux dans cette Assemblée. Depuis, l’Arménie a prouvé qu’elle pouvait combiner son engagement dans différentes structures et être un modèle de coopération.
Le 24 novembre dernier, en marge du Sommet du Partenariat oriental, à Bruxelles, l’Arménie et l’Union européenne ont conclu un accord de partenariat global et renforcé, qui ouvre un chapitre nouveau dans les relations bilatérales. L’appartenance de l’Arménie à l’Union économique eurasienne n’est donc pas, de toute évidence, un obstacle à d’autres formes d’engagement.
Nous continuerons à nous engager dans différents cadres internationaux et notamment au sein de l’Organisation internationale de la francophonie, qui constitue pour nous une plateforme unique pour défendre non seulement la langue et la culture, mais aussi les droits de l’homme. Nous aurons d’ailleurs l’honneur d’accueillir le 17e Sommet de la Francophonie en octobre 2018 à Erevan. Le thème général de ce sommet sera «Vivre ensemble» et un «pacte francophone pour le vivre ensemble» sera adopté pour renforcer les droits de l’homme, le dialogue interculturel et le dialogue interreligieux. Pour nous, ce ne sont pas que des mots. Les Arméniens savent trop bien quel est le prix des discours de haine, d’intolérance et de discrimination. Nous luttons sans relâche contre ces fléaux.
Mesdames et Messieurs, nous allons célébrer l’année prochaine le 70e anniversaire de la création du Conseil de l’Europe. Ce sera un moment historique pour notre grande famille qui œuvre pour la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales en Europe depuis près de sept décennies. Notre Organisation a été créée à l’origine par 10 États seulement. Aujourd’hui, elle réunit 47 États européens et une population de 820 millions d’Européens. C’est donc un succès considérable, que nous devons chérir.
Nous ne devons pas ménager nos efforts pour mettre au point un programme positif visant à renforcer le rôle et le poids du Conseil de l’Europe. Mais la mission de notre Organisation va plus loin encore: elle doit jouer un grand rôle non seulement sur le plan politique, mais aussi en termes de civilisation. Je crois que le Conseil de l’Europe a besoin de nouveaux stimuli pour redéfinir son rôle et sa place dans l’architecture politique européenne. Il faut adapter nos mécanismes et nos dispositifs aux exigences du temps présent pour renforcer notre efficacité. D’ailleurs, l’Arménie suit avec intérêt et gratitude les efforts méritoires du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pour réformer l’Organisation. Nous sommes par ailleurs favorables à la réunion d’un 4e Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe. Il constituerait une excellente opportunité pour identifier les principaux problèmes de notre continent et actualiser notre conception d’une Europe plus forte et plus inclusive.
Je crois que les pères fondateurs du Conseil de l’Europe seraient très fiers de voir que nous sommes aujourd’hui 47 États membres, unis sous le même toit. C’est un succès dont l’importance ne doit jamais être sous-estimée et chacun d’entre nous doit tout faire pour préserver cette unité. L’Arménie poursuivra son chemin vers des formes plus accomplies d’engagement et de coopération. Elle est disposée à contribuer, par tous les moyens possibles, au succès du Conseil de l’Europe, notre maison commune de la démocratie et de la primauté du droit.