Alexander

van der Bellen

Président de la République d’Autriche

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 25 janvier 2018

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Madame la Présidente du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, je commencerai par vous remercier de votre invitation à m’adresser ici aujourd’hui.

Permettez-moi tout d’abord de vous féliciter, Monsieur le Président, pour votre élection. Les membres de l’Assemblée vous connaissent; ils savent que, au cours des deux prochaines années, vous saurez habilement les guider dans leurs travaux pour obtenir les résultats nécessaires. Nous avons déjà eu un excellent échange de vues ce matin.

Chers membres de l’Assemblée, vous avez élu cette semaine votre nouvelle Commissaire aux droits de l’homme, Mme Dunja Mijatovic, qui prendra ses fonctions en avril prochain. Je saisis cette occasion pour la féliciter et l’assurer du plein soutien de l’Autriche dans ses nouvelles fonctions. Nous avions une excellente relation de travail avec l’actuel commissaire, M. Nils Muižnieks, qui a porté une attention toute particulière aux préoccupations et aux besoins de la société civile partout en Europe. Nous serons heureux de partager d’aussi bonnes relations avec Mme Mijatovic, dont j’espère qu’elle pourra exercer sa fonction dans tous les États membres du Conseil de l’Europe.

La démocratie, les droits de l’homme et la prééminence du droit ressortissent à l’essence même de l’Europe. Ils constituent les ingrédients indispensables de l’Europe à laquelle nous aspirons.Il faut protéger et garantir cet acquis jour après jour.

Comme l’a déjà indiqué le Président, c’est un vrai plaisir pour moi de revenir dans cette Assemblée. Vous le savez peut-être, cela fera un an demain que j’assure la fonction de Président fédéral de la République d’Autriche. C’est une véritable satisfaction personnelle d’avoir pu venir m’adresser à l’APCE au cours de cette première année de mandat.

Je vais maintenant m’exprimer en allemand.

Comme vous le savez, le Conseil de l’Europe est la plus ancienne organisation politique des États européens, et c’est grâce à lui que le processus d’unification politique du continent a pu être concrètement mis en place à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste. Depuis, presque tous les États européens sont devenus membres de cette grande instance. Auparavant, l’histoire du continent européen avait été marquée par des siècles de conflits et guerres récurrents. Engagement en faveur des droits de l’homme – on ne le rappellera jamais assez –, garantie des droits fondamentaux, respect des principes de base, lutte contre le terrorisme, soutien au progrès social et économique, ainsi qu’à la coopération culturelle, défense de l’environnement et de la nature en Europe: autant de missions qui sont celles du Conseil de l’Europe.

Ce matin, à mon arrivée au Conseil de l’Europe, j’ai été invité à rédiger quelques lignes dans le Livre d’or. Voici ce que j’y ai écrit: «L’Autriche est très attachée au Conseil de l’Europe, qui est la plateforme de dialogue la plus ancienne du continent, véritablement paneuropéenne de surcroît. En Autriche, la Convention européenne des droits de l’homme a valeur constitutionnelle. La démocratie, les droits de l’homme et la prééminence du droit ressortissent à l’essence même de l’Europe. Ils constituent les ingrédients indispensables de l’Europe à laquelle nous aspirons. Il faut protéger et garantir cet acquis jour après jour».

Près de soixante-dix ans après sa fondation, le Conseil de l’Europe est l’une des grandes constantes du continent. La permanence d’un socle de valeurs fondamentales, voilà ce dont l’Europe a besoin, aujourd’hui plus que jamais! Les trois grands piliers du Conseil de l’Europe que sont la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit présentent malheureusement des fissures inquiétantes. La démocratie, qui suppose un véritable pluralisme politique et d’authentiques élections dont le résultat permette un changement de gouvernement, ne semble pas assurée partout en Europe. La pleine jouissance des droits de l’homme y est localement menacée. En matière d’indépendance de la justice, l’évolution de plusieurs États suscite l’inquiétude.

Il importe particulièrement que nous nous souvenions du consensus dont nous sommes les héritiers, notamment depuis la chute du Rideau de fer, et que nous en retrouvions l’esprit. Il en va de la capacité de l’Europe à assumer des responsabilités mondiales et à exercer une influence dans des régions proches ou lointaines, par exemple en ouvrant l’adhésion aux Conventions élaborées par le Conseil de l’Europe à des pays qui n’en sont pas membres. Nous sommes fiers de l’exemple que constitue l’Europe, dont les États se montrent capables de concilier des intérêts divergents, voire opposés. Il est indispensable de préserver une telle faculté.

Néanmoins, nous savons tous qu’il existe en Europe des tensions et des foyers de conflits. Les travaux des organisations internationales leur sont largement consacrés, notamment ceux du Conseil de l’Europe. L’Autriche en a fait l’expérience l’an dernier, tandis qu’elle assumait la présidence de l’OSCE: de nombreux projets ont abouti, sauf ceux portant sur les foyers de conflit, dont les conditions ont empêché la réalisation de véritables progrès. Le Conseil de l’Europe n’est ni le Conseil de sécurité de l’Onu, ni l’OSCE; il dispose néanmoins d’instruments qui, bien utilisés, peuvent apporter une véritable contribution à la stabilisation des conflits et à leur résolution.

Par exemple, nous disposons de conventions et de procédures de suivi sur des thèmes aussi différents entre eux que la torture, la lutte contre la discrimination des minorités, la corruption ou le trafic d’êtres humains. Il est également essentiel de rappeler que le Conseil de l’Europe exerce son mandat dans une complète indépendance vis-à-vis des autres organisations internationales, ce qui lui confère un potentiel d’action sans équivalent, que nous devons exploiter. Tous les États membres doivent y participer et y travailler, de façon renforcée et ciblée.

Un foyer de crise, apparu au printemps 2014, concerne tout particulièrement l’Europe. Une solution véritablement durable du conflit opposant l’Ukraine à ses voisins suppose une véritable volonté de paix ainsi que des efforts de toutes les parties. À cette fin, il faut renforcer le dialogue et la confiance entre elles. L’éventuel retour de la délégation russe à l’Assemblée parlementaire est l’un des sujets les plus complexes sur lesquels le Conseil de l’Europe doit se pencher. J’espère sincèrement que celle-ci parviendra, dans un avenir proche, à élaborer un consensus permettant d’aboutir à une solution ne faisant ni gagnants ni perdants. La recherche d’une telle solution nous préoccupe tous, car il est urgent d’aboutir.

Je suis conscient des graves problèmes budgétaires auxquels le Conseil de l’Europe est confronté. Ils découlent en premier lieu de l’interruption au mois de juin dernier, par la Fédération de Russie, du versement de sa contribution au budget, et en second lieu du souhait de la Turquie de cesser d’en être l’un des grands contributeurs à partir de 2018. Je nourris l’espoir que la Fédération de Russie réexaminera sa décision avec la célérité qui s’impose et que nous parviendrons à un compromis acceptable avec la Turquie. Seul le dialogue permettra de parvenir à une solution.

En matière constitutionnelle, la Commission de Venise joue un rôle essentiel. Elle est sollicitée par des instances du Conseil de l’Europe comme par les États membres. Ses avis sont respectés, en Europe et hors d’Europe, en raison de la compétence et de l’objectivité dont ils procèdent. Ils sont très estimés, à leur juste valeur. Les membres de la Commission de Venise sont indépendants, y compris vis-à-vis des gouvernements qui les ont nommés.

C’est donc avec inquiétude que j’assiste aux attaques visant ses avis. Dès lors qu’ils divergent des choix politiques de tel ou tel gouvernement, ils sont remis en cause, alors même qu’ils sont systématiquement motivés. Grâce à des arguments, la Commission de Venise a souvent permis d’aboutir à une véritable stabilisation des crises et des conflits. Nous devons renforcer ce rôle.

La Convention européenne des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme sont depuis longtemps des marqueurs de l’Europe. Elles ont pour premier objectif la protection des citoyens, y compris contre leurs propres gouvernements. C’est donc avec inquiétude que j’assiste aux tentatives répétées de ne pas se conformer aux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme ou d’en faire une interprétation restrictive. Il est indispensable de lutter contre cette tendance. Nous avons tous intérêt à son fonctionnement durable et harmonieux. Nous devons tout faire pour qu’elle demeure en mesure d’examiner de nouvelles affaires et de les traiter dans des délais raisonnables. À cet égard, je me réjouis de rencontrer cet après-midi son président, Guido Raimondi.

Mesdames, Messieurs, permettez-moi, en guise de conclusion, d’évoquer ma patrie. Comme vous le savez, des élections législatives y ont eu lieu en octobre dernier et un nouveau gouvernement a été formé en décembre. En Autriche comme à l’étranger, la coalition gouvernementale a fait l’objet de commentaires, dont certains étaient positifs et d’autres critiques.

En tant que Président de la République, j’ai à cœur de rappeler qu’une vaste majorité d’Autrichiens – comme l’indiquent tous les sondages – sont attachés à l’Union européenne, se félicitent que leur pays en soit membre et sont clairement pro-européens. Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi d’effectuer l’an dernier ma première visite officielle à Bruxelles, au Conseil européen et à la Commission européenne, puis à Strasbourg, au Parlement européen.

Peut-être est-il bon de rappeler ce que j’ai dit devant le Parlement européen, le 14 février dernier: l’Europe est un continent de la diversité et non du manichéisme. C’est ce qui en fait un continent unique en son genre. C’est ainsi que depuis bien longtemps déjà, je me définis comme tyrolien, autrichien et européen. Ma patrie, c’est le Tyrol, Vienne, l’Autriche et l’Europe.

De plus, sur le plan politique, je suis profondément convaincu que ce n’est que dans une Europe unie que l’Autriche, pays relativement petit, pourra satisfaire ses intérêts. Au moment de la constitution du gouvernement, j’ai tenu à souligner clairement la volonté de l’Autriche d’être européenne. Nous voulons assurer la continuité de notre politique étrangère. Nous entendons continuer de souligner l’importance de ces droits fondamentaux. Le respect des droits et libertés sont des principes fondamentaux non négociables.

Vous le savez, au second semestre 2018, l’Autriche exercera la présidence du Conseil de l’Union européenne. Nous sommes en discussion avec nos partenaires de la «troïka», l’Estonie et la Bulgarie, et les préparatifs sont bien avancés. Dans ce cadre, l’Autriche tiendra pleinement compte dans son agenda et son calendrier des points clés du Conseil de l’Europe, qu’il s’agisse des droits de l’homme ou des questions fondamentales de la justice et de la démocratie.

Mesdames, Messieurs, l’Autriche a adhéré au Conseil de l’Europe en 1956. Comme je l’ai indiqué, la Convention européenne des droits de l’homme jouit en Autriche d’un rang juridique constitutionnel. De nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ont fortement contribué au peaufinage de l’État de droit en Autriche. Notre adhésion à l’Union européenne, en 1995, n’a diminué en rien notre soutien au Conseil de l’Europe. Au contraire, l’Autriche souhaite approfondir cet engagement positif.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, je vous remercie de votre attention et je reste à votre disposition pour répondre à vos questions.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Monsieur le Président, je vous remercie de votre discours qui a vivement intéressé les membres de notre Assemblée.

Un nombre important de collègues ont exprimé le souhait de poser une question. Je vous rappelle que les questions ne doivent pas dépasser 30 secondes et doivent avoir un caractère strictement interrogatif.

Nous commençons par les porte-parole des groupes.

M. ARIEV (Ukraine), porte-parole du Groupe du parti populaire européen (interprétation)

Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre discours à l’Assemblée.

Quelle est votre position au sujet de la poursuite des sanctions de l’Union européenne contre la Russie pour son agression à l’encontre de l’Ukraine? Par ailleurs, un professeur russe, Alexander Dugin, a déclaré ouvertement à Vienne que les Ukrainiens étaient une race de dégénérés qui méritent le génocide. Un tel discours est inacceptable.

M. van der Bellen, Président de la République d’Autriche (interprétation)

Votre première question porte sur les sanctions à l’encontre de la Russie. L’Autriche défend pleinement la position européenne. En décembre dernier, j’ai participé à la décision sur la poursuite des sanctions, car la mise en œuvre des Accords de Minsk n’avait pas montré de véritable avancée. Il n’est pas encore possible de considérer ces sanctions comme superflues.

Sur le plan économique, cela ne va pas dans le sens de l’intérêt de l’Autriche. Nous entretenons d’étroites relations avec la Russie en particulier via des investissements directs. Mais nous acceptons la décision de l’Union européenne tout en essayant, je n’ose pas dire sur tous les fronts mais par tout moyen, de maintenir le dialogue ouvert.

Votre seconde question porte sur M. Dugin. Je vous prie de m’excuser, je n’ai pas été informé de ce qui s’est passé à Vienne. Si ce que vous dites est exact, il est clair que c’est totalement inacceptable. Je ne saurais en aucune façon défendre un tel individu. J’ignore qui l’avait invité et dans quel contexte il s’est exprimé, mais si ce que vous dites est exact, je ne puis dire que c’est inacceptable.

Mme De SUTTER (Belgique), porte-parole du Groupe des socialistes, démocrates et verts (interprétation)

Monsieur le Président, au nom du Groupe des socialistes, démocrates et verts, je vous remercie de la fermeté de votre engagement en faveur de l’Europe, mais je suis préoccupée par les plans xénophobes du nouveau Gouvernement autrichien. C’est actuellement la seule démocratie européenne où l’extrême droite est au pouvoir, et cela préoccupe toute l’Europe. En tant que Président progressiste, vous avez la responsabilité historique de faire en sorte que votre pays respecte les droits de l’homme et ne normalise pas la rhétorique de l’extrême droite. Comment entendez-vous le faire?

M. van der Bellen, Président de la République d’Autriche (interprétation)

J’ai entendu exprimer ce point de vue assez commun hors des frontières mais aussi en Autriche. Il est vrai que l’un des partenaires de la coalition a connu par le passé des tendances xénophobes et est très critique à l’égard de l’Union européenne et plus généralement de l’unité européenne. Néanmoins, c’est la rhétorique d’un parti d’opposition et nous verrons comment agit concrètement le gouvernement.

Dans le passé, la situation était peut-être différente. En 2000, notre gouvernement de coalition avec le parti conservateur et le Parti de la liberté d’Autriche, le FPE, suscitait de vives préoccupations. À l’époque, les 15 membres de l’Union européenne ont voulu introduire des sanctions contre l’Autriche, mais au bout d’environ six mois, les choses se sont calmées. En effet, il convient de distinguer la rhétorique et l’action concrète, à savoir les nouvelles lois soumises au Parlement. Ce gouvernement de centre droit n’a commis aucune violation des droits de l’homme. Je ne m’étendrai pas sur l’action d’un ancien gouvernement, mais s’il s’en est pris au parti social-démocrate, il n’a pas attaqué les droits de l’homme.

Par conséquent, personnellement, je dirai: attendons, voyons, et j’userai de tous mes pouvoirs de Président de la République d’Autriche. Pour illustrer l’influence, en Autriche et hors de l’Autriche, de la société civile, je rappellerai qu’en 2015, 100 000 personnes avaient déposé des demandes d’asile en Autriche. La situation était critique mais, grâce à l’aide de la société civile, elle a pu être correctement gérée, notamment par des organisations de l’Église catholique et d’autres Églises, la Croix-Rouge et de nombreuses organisations non gouvernementales. En outre, des citoyennes et des citoyens ont ouvert leurs portes, participé à la couverture des frais de déplacement et nourri des demandeurs d’asile.

Voilà ce qu’est l’Autriche! Ne l’oubliez pas lorsque vous parlez du nouveau Gouvernement autrichien. Je comprends votre préoccupation, mais ce dont vous parlez n’est pas l’Autriche. L’évolution politique doit donc être prise au sérieux, mais ne doit pas susciter la panique.

Earl of DUNDEE (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe des conservateurs européens (interprétation)

Monsieur le Président, concernant la politique d’immigration, le bon exemple donné par votre pays est apprécié et respecté par nous tous. En 2015, comme vous l’avez dit, vous avez accueilli près de 90 000 demandeurs d’asile, ce qui est plus que l’Allemagne.

Pendant la prochaine présidence de l’Union européenne que vous assurerez à la fin de l’année, que ferez-vous pour améliorer le traitement des futures demandes d’asile, pour qu’ils fassent l’objet un traitement juste après leur arrivée?

Par ailleurs, vous avez appuyé l’élargissement de l’Union européenne aux Balkans occidentaux. Quelles mesures comptez-vous prendre pour faire avancer les réformes constitutionnelles et législatives dans cette région, au sujet notamment du contrôle de la criminalité organisée et de la corruption?

M. van der Bellen, Président de la République d’Autriche (interprétation)

Il va de soi que cette présidence ne sera pas simple: il y a les négociations en vue du Brexit qui peut-être aboutiront, mais peut-être pas; des questions financières se posent également dans le budget de l’Union européenne, entre autres à cause des négociations du Brexit; et la coordination des questions en matière d’asile ne sera pas des plus aisée également.

Néanmoins, la situation semble gérable, ce qui n’était pas le cas en 2015. Elle ne se posait pas à l’époque dans les mêmes termes. La population autrichienne a réagi immédiatement au fait que la situation échappait à tout contrôle: 1 million de personnes ont traversé la frontière autrichienne et quelque 100 000 d’entre elles sont restées. Mais toutes ces personnes ont traversé la frontière sans que nous n’ayons aucune information sur les allers et venues de part et d’autre. C’était pour le moins difficile.

Dans une certaine mesure, je comprends la position des pays voisins qui n’ont aucune tradition d’accueil d’un si grand nombre de réfugiés. L’Autriche a connu cette expérience après la Seconde Guerre mondiale, en 1956 avec la Hongrie, en 1968 avec la République tchèque, puis avec la crise en Pologne dans les années 80 et la Bosnie-Herzégovine à la fin des années 90. Chaque fois, ce sont des nombres élevés de personnes – 80 000, 100 000, 200 000 – qui ont fui vers l’Autriche. Nous savons donc comment accueillir, car nous bénéficions d’une expérience dont ne jouit pas la Pologne ou la République slovaque. Je peux donc le comprendre.

Toutefois, à long terme, si ce phénomène se poursuit, il ne sera pas acceptable que des États membres n’appliquent pas les décisions qui ont été prises conformément aux règles du Conseil européen, par un vote à la majorité. Agir de la sorte serait aller vers la fin de l’Union européenne. Ce n’est pas la voie à suivre pour l’avenir. Il faut prendre cela au sérieux. La répartition des réfugiés et des demandeurs d’asile entre les différents pays de l’Union européenne est certes extrêmement difficile, mais il est plus grave encore de ne pas respecter les règles.

S’agissant des Balkans occidentaux, je suis convaincu, le gouvernement est convaincu, le commissaire Hahn est convaincu du fait que les Balkans occidentaux doivent être une priorité de la politique de l’Union européenne. Tous les pays des Balkans occidentaux doivent avoir la perspective d’une adhésion à l’Union européenne. En ne prenant pas cette volonté au sérieux, nous créerons un vide politique. Comme on a pu le voir en Bosnie-Herzégovine, certains pays vont s’engouffrer dans ce vide, et ce n’est pas dans l’intérêt de l’Union européenne.

Il ne faut pas non plus être naïf. De quoi parle-t-on? De cinq ou sept pays. Un pronostic optimiste du commissaire Hahn porterait sur un accord d’ici 2023, soit une adhésion en vue de 2024 ou 2025. La question n’est pas seulement celle des devoirs à faire par les pays qui demandent l’adhésion, l’Union européenne elle-même doit faire ses devoirs. Ses membres actuels, les institutions actuelles, le cadre institutionnel actuel de l’Union européenne ne sera pas à même de relever le défi d’intégrer six nouveaux membres, même si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne – ce que je regrette véritablement. Nous sommes très nombreux. Le droit de vote, la Commission, la désignation de juges sont autant d’éléments à prendre en compte. Toutes ces questions devront être clarifiées parallèlement aux négociations en vue de l’adhésion de ces pays. Nous devrions véritablement prendre cette question au sérieux car, au sein de l’Union européenne actuelle, on a pu parler de «fatigue», de manque de dynamisme, de lassitude, laissant entendre que plus personne ne serait motivé.

M. DAEMS (Belgique), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (interprétation)

Monsieur le Président, tout récemment un membre du Gouvernement autrichien a dit que les demandeurs d’asile devaient être cantonnés de façon concentrée dans des centres dédiés afin que leurs demandes puissent être promptement traitées. Combien certains termes sont désagréables! Les mots peuvent tuer, nous le savons tous.

Les Autrichiens méritent-ils qu’un tel langage soit utilisé? Vous êtes-vous élevé contre cela? Êtes-vous investi de pouvoirs vous permettant de vous opposer à de telles déclarations? Des décisions prises par le Gouvernement autrichien pourraient-elles aller à l’encontre des droits fondamentaux qui prévalent dans votre pays?

M. van der Bellen, Président de la République d’Autriche (interprétation)

Certes, les mots sont importants, je l’ai dit publiquement. Cependant, en l’espèce, l’interprétation de la déclaration de notre nouveau ministre de l’intérieur est sans doute un peu exagérée.

Mes pouvoirs en tant que président fédéral sont comparables à ceux de la plupart des présidents qui ne disposent pas d’un réel pouvoir exécutif. Je peux exercer une certaine influence par la façon dont je me comporte, par l’intermédiaire de mes déclarations et du lieu où je choisis de les prononcer. Je m’entretiens avec les journalistes.

Il m’incombe de signer les textes de lois mais je ne dispose pas d’un droit de véto. Je vérifie simplement que les textes ont été adoptés dans le respect des règles procédurales. Il est très rare qu’un président fédéral refuse d’apposer sa signature au bas d’un texte de loi. Cela est arrivé une fois en 50 ans, je crois, du temps de Heinz Fischer. Il pensait qu’une disposition contenue dans un texte de loi était inconstitutionnelle et a refusé de signer la loi. Le Parlement a dû être ressaisi. Je pourrai développer ce sujet pendant des heures mais soyons synthétique: vous pouvez avoir toute confiance en notre Cour constitutionnelle!

Je le dis d’autant plus volontiers que j’ai été la victime d’une de ses décisions puisqu’elle avait invalidé ma première élection en mai 2016 en raison du faible écart de voix – 50 000 – m’ayant séparé de mon rival. Ce fut une bonne chose puisque, lors de la seconde élection en décembre, j’ai remporté l’élection avec 150 000 voix d’avance. Une fois de plus la Cour constitutionnelle a eu raison, mais c’est une autre histoire.

Toutes les lois peuvent être déférées à la Cour constitutionnelle. Tout le monde ne peut faire cette démarche, une procédure est prévue. Mais si j’ai personnellement des doutes sur la constitutionnalité d’un texte, une autre personne peut décider de saisir la Cour.

C’est une question difficile que celle de l’influence politique qui peut être exercée au sein de la Cour car elle est composée de 15 juges. Dans les mois à venir, plusieurs de ses membres seront atteints par la limite d’âge et je devrais signer les nominations de leurs successeurs.

Selon les usages en vigueur en Autriche, je vais avoir des entretiens avec le Parlement au sujet des possibles candidats, de leurs profils, des raisons pour lesquelles leurs noms ont été mis en avant. Nous discuterons de manière non publique avant que des divergences de vues puissent être éventuellement rendues publiques.

C’est ainsi que je peux exercer une certaine influence. Une proposition m’est faite. Je peux ne pas la suivre. La rédaction des textes a son importance, le président n’a pas l’initiative, il attend des propositions du gouvernement, qui ne sont que des propositions. Je peux dire «Non cette proposition ne me convient pas, faites m’en une autre». Je ne peux le faire très souvent, mais je peux le faire.

Mme KAVVADIA (Grèce), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)

Je voudrais insister sur la montée des partis d’extrême droite dans de nombreux pays, dont le vôtre. On demande plus de contrôle aux frontières, leur fermeture, la lutte contre les migrants et les réfugiés. Nous connaissons les programmes mis en avant par ces partis, y compris en Autriche. N’est-ce pas le plus grand de tous les dangers? Que pensez-vous de la décision prise par certains Autrichiens de boycotter les célébrations en mémoire de l’Holocauste?

M. van der Bellen, Président de la République d’Autriche (interprétation)

Vous pouvez être certaine, Madame, que j’ai mon propre avis sur les politiques menées à l’endroit des étrangers et réfugiés.

Toutes les personnes qui traversent les frontières et demandent l’asile ne peuvent l’obtenir, c’est certain. Mais que devons-nous faire? La question -difficile – n’est pas nouvelle. C’est un problème connu depuis des décennies, pas seulement en Autriche mais dans tous les pays européens où arrivent en nombre des demandeurs d’asile.

Personnellement, je n’ai pas envie de prendre de telles décisions. Des familles arrivent et sont séparées. Des personnes doivent repartir après être restées des années durant. En Autriche, ces questions se posent et elles sont difficiles. À l’échelle de l’Europe, nous devons admettre que nous avons laissé la Grèce et l’Italie se débrouiller seules trop longtemps.

L’Autriche ne devrait d’ailleurs pas se plaindre. Nous nous posons des questions seulement depuis le moment où ces personnes sont arrivées chez nous.

Aujourd’hui, la situation en Autriche est sous contrôle. Les réfugiés ont un toit au-dessus de leurs têtes, ils peuvent s’installer, leurs besoins quotidiens sont satisfaits. Il n’y a presque pas de faits de violence. Certes les réseaux sociaux véhiculent des messages désagréables mais nous ne connaissons pas de montée préoccupante de la criminalité sur le plan statistique visant les étrangers ou du fait des étrangers sur notre territoire. Nous avons des personnes intégrées dont les enfants sont scolarisés. Nous avons aussi des arrivées d’adultes, ce n’est pas facile pour eux de s’intégrer sur le marché du travail. Ce n’est pas facile de toute façon d’arriver dans un nouveau pays. Nous devons être prudents.

Nous devons être prudents, car nous ne voulons pas que les migrants originaires du Proche-Orient que nous accueillons en tant que réfugiés nous apportent en même temps l’antisémitisme. Je ne veux pas me montrer naïf. Lorsque l’on grandit dans un contexte où prévalent les idées anti-israéliennes, ce qui est souvent le cas, et que l’on peut comprendre, il y a fort à parier que l’on véhicule ensuite des idées antisémites. Or elles sont la dernière chose dont nous avons besoin en Autriche comme ailleurs. C’est pourquoi nous portons une attention particulière aux manifestations organisées par l’IKG à Vienne, les commémorations de la libération d’Auschwitz, de la fin de la Seconde Guerre mondiale ou de la fin de l’occupation de l’Autriche par les troupes d’Hitler.

Mme FILIPOVSKI (Serbie), porte-parole du Groupe des démocrates libres (interprétation)

Un dialogue constant est nécessaire avec les pays des Balkans occidentaux pour favoriser la stabilité, la paix et le développement économique de la région.

Dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union européenne, l’Autriche pourrait-elle jouer un rôle pour favoriser l’accélération du processus d’élargissement de l’Union?

M. van der Bellen, Président de la République d’Autriche (interprétation)

Historiquement, l’Autriche a toujours soutenu une position claire à l’égard des pays des Balkans occidentaux, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Serbie. Les sociétés autrichiennes qui souhaitent créer des liens commerciaux avec ces pays sont toujours bien accueillies. Le Président Vucic est d’ailleurs attendu la semaine prochaine à Vienne et je m’en félicite. L’Union européenne a tout intérêt à s’élargir vers les pays des Balkans occidentaux. Cet élargissement est dans l’intérêt de ces pays comme des pays membres de l’Union européenne, parmi lesquels l’Autriche. Nous avons des relations fortes, pour des raisons à la fois historiques et économiques, avec tous les pays de cette région. Certes, la question du Kosovo demeure. Or après Chypre et les problèmes survenus entre la Slovénie et la Croatie, les leaders européens ne veulent plus accepter l’adhésion de pays qui ont des problèmes de frontières avec leur voisin. Pour que leur intégration soit possible, ces problèmes doivent être entièrement résolus. J’espère donc que la question du Kosovo sera rapidement réglée, d’ici deux ans. Y compris pour la Serbie, je suis particulièrement optimiste.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Nous allons regrouper les trois questions suivantes.

M. WASERMAN (France)

Monsieur le Président, ma question concerne le rôle de l’Autriche au sein de l’Europe. Nous jugerons la coalition gouvernementale sur les faits et nous faisons confiance aux institutions démocratiques autrichiennes. Néanmoins, la politique est aussi une affaire de valeurs et de convictions. Or le Parti de la liberté d’Autriche a des valeurs et des convictions qui sont parfois frontalement opposées à celles que nous défendons ici.

Pensez-vous que l’Autriche pourra pleinement jouer son rôle dans la refondation européenne? Pourrez-vous en être le garant?

M. BILDARRATZ (Espagne) (interprétation)

Dans votre allocution, vous avez affirmé, Monsieur le Président, que l’Europe doit être le continent de l’inclusion et non de l’exclusion. Je partage bien entendu cette affirmation. Pourtant, des milliers de personnes continuent de mourir en Méditerranée. L’Union européenne n’a pas tenu les engagements qu’elle avait pris dans le cadre de l’accord avec la Turquie.

Quelle est, Monsieur le Président, votre position sur le sujet?

M. CROWE (Irlande) (interprétation)

Comme beaucoup d’autres, j’ai été choqué et déçu par l’entrée du parti d’extrême droite au Gouvernement autrichien. Fort heureusement, vous avez gagné les élections présidentielles, mais je suis très préoccupé par la présence de ce parti au gouvernement. Le ministre de l’Intérieur, membre de ce parti, a affirmé son intention de faire enfermer les demandeurs d’asile. En tant que démocrate, quelle est votre réaction?

M. van der Bellen, Président de la République d’Autriche (interprétation)

La première question concernait les partis d’extrême droite et l’avenir de l’Union européenne. Lorsque je m’inquiète de l’avenir de l’Union européenne, c’est en raison des évolutions que je constate dans tous les pays de l’Union européenne, et pas seulement en Autriche.

La campagne électorale qui a eu lieu tout au long de l’année 2016 dans mon pays pour l’élection du Président fédéral de la République d’Autriche, a été à la fois intéressante et tragique. Au cours des six premiers mois, j’ai abordé les questions européennes dans toutes les interviews que j’ai données et dans tous les discours que j’ai prononcés. Je n’ai eu absolument aucun succès. Personne n’était intéressé! La situation a basculé après l’erreur commise par la majorité du peuple britannique de voter le Brexit. Soudainement, les gens se sont rendu compte que l’Union européenne était une magnifique institution et qu’elle pouvait être menacée. Cela a complètement changé l’atmosphère de la campagne. Le Parti de la liberté d’Autriche s’est débord félicité du Brexit, mais il a fait marche arrière au bout de quinze jours, constatant que le Brexit n’était pas du tout populaire en Autriche. Vous direz sans doute qu’il s’est montré opportuniste. Pour ma part, je pense au contraire qu’il a été très raisonnable de changer de position et je l’en félicite.

Toutefois, quand je suis de mauvaise humeur, je pense à ce journaliste allemand qui a déclaré, à la fin de l’année 1933: «Nous avions une démocratie en Allemagne, mais nous n’avions pas suffisamment de démocrates.» Parfois, j’ai peur de me réveiller un jour et de m’apercevoir que nous avions une Europe unie mais pas suffisamment d’Européens convaincus. D’où cette lassitude, dont je parlais, et la nécessité de rester unis. Les partis d’extrême droite n’ont qu’un poids relatif, la réussite de l’Europe nous concerne tous.

En ce qui concerne la crise migratoire, il me semble que la situation en mer entre la Grèce et la Turquie est à peu près sous contrôle et que le nombre de victimes a véritablement chuté depuis un an. De même, entre l’Italie et la Libye la situation s’est améliorée. J’admire les autorités italiennes qui ont réalisé un excellent travail et qui ont réussi à négocier avec la Libye, alors même que les institutions étatiques ne fonctionnent pas bien. Une négociation qui a permis de réduire le nombre de personnes qui traversent la Méditerranée au risque de se noyer.

Reste la question des Libyens qui vivent dans des conditions terribles, et des migrants qui traversent la frontière du sud de la Libye pour entrer dans le pays. Il est donc nécessaire de contrôler également la situation en Afrique du Nord, même si cela coûte cher.

Enfin, un orateur m’a posé une énième question sur la Parti de la liberté. Sincèrement, je me commence à me lasser de toutes ces questions sur ce parti. Bien sûr, nous devons le prendre au sérieux, mais nous devons également prendre du recul. En Autriche, le risque qu’un parti d’extrême droite arrive au pouvoir existe depuis cent ans. C’était le cas pendant la monarchie, comme en 1918 après sa chute. Le risque a toujours existé, même si le parti a porté des noms différents.

Il ne m’appartient pas de m’occuper de la politique française, mais je dois vous avouer que j’ai été extrêmement heureux de l’élection de M. Macron; j’ai poussé un soupir de soulagement. Car si M. Le Pen a obtenu 24 % des voix au second tour de l’élection présidentielle contre Jacques Chirac, Mme Le Pen, elle, en a totalisé 40 %. Et pourtant, personne ne se demande ce qui se passe en France! Alors, je vous remercie de vous occuper de ce qui se passe en Autriche, mais nous ne sommes pas dans une situation exceptionnelle.

J’ai été élu, en décembre 2016, par des électeurs de centre gauche qui, un an seulement après, ont mis au pouvoir une coalition de centre droit. Certes, certaines personnes qui ont voté pour moi n’étaient ni verts, ni sociaux-démocrates ni libéraux, mais elles ne souhaitaient pas voter pour l’autre candidat. Elles sont donc allées voter en serrant les dents et en croisant les doigts. Et l’année suivante, elles ont rendu possible une coalition du centre droit. Tout cela est normal en démocratie, «c’est la vie».

Alors je fais de mon mieux, je tiens mes promesses – j’en ai fait beaucoup – et surtout je veux être le Président de tous les Autrichiens. Car je me dois de servir les intérêts de tout mon peuple et non pas seulement de mes électeurs – même s’ils sont plus proches de mon cœur.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Cela conclut les questions posées à M. Van der Bellen.

Monsieur le Président, je vous remercie infiniment pour le message que vous avez envoyé à l’Assemblée: un message fort, d’unité et de confiance.

En conclusion je voudrais évoquer un homme connu, un natif du Haut-Adige qui a consacré toute sa vie à la cohabitation et au dialogue: Alexander Langer. Il a su jeter des ponts entre les êtres humains, les cultures et les idées. Pour Alexander Langer, il n’y avait pas d’alternative à une culture du vivre-ensemble. Il appelait de tous ses vœux une communauté unie où cohabiteraient pacifiquement toutes les nationalités.

Dans un article, il a lancé l’appel suivant: «Non à l’exclusion, non aux intégrations forcées, oui à la coexistence humaine qui accepte les difficultés, qui respecte les différences, qui tolère l’imperfection».

Monsieur le Président, je vous remercie.