Sauli

Niinistö

Président de la Finlande

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 23 janvier 2019

Madame la Présidente, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, Mesdames et Messieurs, (poursuivant en français) je souhaiterais féliciter Madame la Présidente pour sa réélection, (reprenant en anglais) et vous dire que je suis ravi d’avoir cet échange de vues aujourd’hui avec vous.

L’année 2019 est importante pour le Conseil de l'Europe, de par son histoire, mais aussi en raison de l’avenir. Nous venons de fêter le 70e anniversaire de cette Organisation, qui est un pilier de l’ordre international de notre continent. Cet ordre a été mis en place après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, selon l’idée principale «Plus jamais ça». Toute guerre s’accompagne de souffrances épouvantables pour les populations, toute guerre s’accompagne de violations terribles des droits de l’homme, et parfois même de crimes contre l’humanité. Les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit, c’est‑à‑dire les valeurs du Conseil de l'Europe, ne peuvent prospérer que si la paix règne. Éviter tout nouveau conflit et toute nouvelle guerre doit être notre priorité absolue. La paix est ce que nous pouvons offrir de mieux en matière de droits de l’homme. Tout le reste est secondaire. Ce principe a été consacré en 1949 dans le Statut même du Conseil: «La consolidation de la paix, fondée sur la justice et la coopération internationale, est d’un intérêt vital pour la préservation de la société humaine et de la civilisation.»

Mesdames et Messieurs, au cours des soixante‑dix dernières années, l’Europe a joui de la paix et d’un ordre fondé sur les règles. Le tableau ne fut jamais parfait, mais pendant très longtemps nous n’avons cessé d’aller dans le bon sens. Le Conseil de l'Europe et son système de conventions ont joué un rôle clé. Le Conseil a su défendre les valeurs fondamentales qui caractérisent notre identité européenne.

Mais aujourd’hui, je suis inquiet, car, lorsque que nous parlons de la réussite de la diffusion de nos valeurs, force est de parler à l’imparfait, au regard de la situation actuelle comme de l’avenir, qui est beaucoup moins sûr. Nous exprimons aujourd’hui des doutes concernant nos valeurs et leur pérennité, même au sein de nos pays, alors qu’il n’était autrefois question que de l’exportation de ces valeurs. Nous devons aujourd’hui, plus que jamais, nous concentrer sur leur défense, dans nos pays. Alors que nous sommes en proie à des difficultés, les mutations à l’échelle de la planète sont très rapides. Le changement ne va pas toujours dans le bon sens – il faut le reconnaître.

L’ordre international fondé sur les règles est de plus en plus remis en cause et attaqué. Nous constatons des retours en arrière, en matière d’engagement en faveur du droit international. Les normes et les standards qui étaient l’objet de larges consensus sont aujourd’hui remis en cause. Le futur de cet ordre international n’est pas seulement une question théorique de pure spéculation intellectuelle; cette question est très importante; il ne s’agit pas que d’un rapport de force entre États. Les événements au sein des organisations multilatérales, qui préservent nos valeurs, ont des implications très importantes dans notre quotidien. Si cet ordre est affaibli, nous en souffrirons toutes et tous.

Le Conseil de l'Europe est tout aussi important aujourd’hui qu’hier. Ses valeurs restent tout à fait actuelles, et peuvent assurer la stabilité et la prospérité de nos sociétés. Nous devons faire en sorte qu’elles soient pérennisées. Le Conseil de l'Europe doit rester un forum pour la paix et le dialogue constructif. Il incarne tout le contraire de la loi du plus fort.

Nous devons nous fonder sur les droits des individus. La Convention européenne des droits de l’homme et la Cour de Strasbourg permettent à tout un chacun d’obtenir justice, quand les juridictions nationales faillent. Chacun doit pouvoir jouir de cette possibilité. La Cour compte actuellement 57 000 affaires pendantes. Lorsque la Finlande a adhéré au Conseil de l'Europe, il y a trente ans, nous sommes devenus son 23e État membre. Aujourd’hui, elle compte deux fois plus d’États membres! La population concernée atteint 840 millions d’habitants. Le Conseil, la Convention et la Cour sont au service de tous les Européens, de chaque citoyen des États membres. C’est un succès considérable. Leur préservation est une responsabilité très lourde.

Le Conseil connaît une phase de réforme. Il est essentiel de régler les questions budgétaires les plus graves et une réforme administrative est nécessaire. Cependant, le plus important est d’envisager l’avenir: comment le Conseil se définira‑t‑il demain? Quelles seront ses missions? J’espère que le Conseil de l'Europe restera l’épine dorsale du système, pour tous ses membres. Cette réforme en cours doit renforcer ses moyens. Je songe en particulier à la Cour, au Commissaire des droits de l’homme et aux mécanismes de suivi. Les États membres ne peuvent être moins engagés qu’hier, et l’importance des traités ne peut être affaiblie.

Nous devons défendre les éléments fondamentaux du Conseil de l’Europe. Il y a évidemment des choses que les signataires du Statut de 1949 ne pouvaient imaginer alors qu’elles nous paraissent évidentes aujourd’hui; et, à l’avenir, nous aurons certainement d’autres surprises. Pour que son action reste pertinente, le Conseil de l’Europe doit donc, comme toute organisation, faire preuve d’agilité et se montrer capable de faire face aux nouveaux problèmes à mesure qu’ils apparaissent. Il faut vivre avec son temps: c’est une banalité, mais c’est indispensable, et ce n’est pas facile.

Peut‑être le Conseil de l’Europe pourra‑t‑il s’appuyer sur des outils tout à fait nouveaux pour rester dynamique. Certains progrès technologiques sont perturbants. L’intelligence artificielle, le changement climatique et ses répercussions peuvent avoir des conséquences encore inimaginables sur les droits de l’homme, la démocratie, l’État de droit. Mais d’autres surprises sont également possibles. Des éléments qui était déjà présents peuvent devenir beaucoup plus importants tout à coup.

Ainsi, ces dernières années, le défi migratoire a‑t‑il pris de plus en plus d’importance en Europe. C’est à l’Union européenne, plus qu’à toute autre institution, d’assumer cette responsabilité et de résoudre cette question. Si ses États membres n’arrivent pas à se mettre d’accord sur des règles communes pour traiter les migrations, nous risquons d’entrer dans une spirale très dommageable: les pays membres vont se livrer une concurrence par le bas pour être la destination la moins attrayante possible. Ce serait une très mauvaise nouvelle pour le Conseil de l’Europe et la pérennité de ses valeurs.

Je suis donc certain que nous serons confrontés à de nombreuses difficultés à l’avenir et que nous aurons à aborder bien des sujets délicats si nous voulons que le Conseil puisse continuer d’apporter une plus‑value dans tous les débats – politiques, juridiques, éthiques – et que ses valeurs demeurent pertinentes. Le Conseil a fait beaucoup déjà; il a aussi d’immenses responsabilités pour l’avenir – pour déterminer l’avenir du continent, comme il le fait depuis 70 ans.

Vous avez discuté hier des priorités de la présidence finlandaise du Comité des Ministres. Un mot de l’une de nos priorités absolues: la parité, l’égalité entre les hommes et les femmes. Cette égalité est une réussite en Finlande: elle a permis à ce pays autrefois pauvre de devenir prospère; je ne crois pas que nous y serions parvenus sans ce facteur. Or ce qui a fonctionné en Finlande peut fonctionner partout ailleurs. Nous ne pouvons pas nous permettre de saper les droits de la moitié de la population. Il faut tendre vers l’égalité, c’est une évidence. Les conséquences économiques en sont très significatives: l’égalité permet un développement véritablement durable.

L’un des aspects clés de cette action est évidemment la prévention de toute forme de violence envers les femmes. À cet égard, la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe est un document visionnaire, qui nous fixe des objectifs très clairs pour éliminer toutes les formes de violence dont sont victimes les femmes et les filles. En Finlande, nous avons pris un certain nombre de mesures concrètes depuis que nous avons ratifié cette convention, mais il nous reste beaucoup à faire. Réduire la violence envers les femmes en Finlande fait partie de mes engagements personnels: j’y défends la campagne «HeForShe» de l’Organisation des Nations Unies. Il est vraiment désolant et profondément inquiétant qu’il y ait encore tant de violences à l’égard des femmes et des filles, non seulement en Finlande mais dans le monde entier. Pour des sociétés plus égalitaires et plus durables, cela doit cesser.

Il est indéniable que le Conseil de l’Europe est en proie à de grandes difficultés. Nous risquons de perdre l’un de nos membres. Soyons clair: il n’y a aucun doute sur l’origine de ces difficultés; la Finlande est l’un des premiers pays à avoir condamné publiquement l’annexion de la Crimée. Mais, malgré tout, si la Russie quitte le Conseil de l’Europe, ce sera une défaite pour les deux parties – pour toutes les parties. Et, au bout du compte, ce sera encore un très rude coup porté à l’ordre international fondé sur des règles.

J’ai confiance dans la capacité du Conseil de l’Europe à surmonter la crise actuelle, capacité dont il a fait preuve au cours de toutes les crises passées. La Finlande fera évidemment tout ce qui est en son pouvoir, avec les autres États membres et les autres parties prenantes, pour trouver une issue favorable au problème.

Celui‑ci ne peut pas être résolu sans l’Assemblée parlementaire. Je lance donc un appel à une coopération très étroite entre le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire: ils doivent travailler ensemble à une solution consensuelle et durable.

Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, vous êtes les meilleurs connaisseurs de votre propre institution: au cours des échanges que je vais maintenant avoir avec vous, j’espère recueillir vos idées concrètes sur les solutions possibles.

Je vous remercie.