John
Bruton
Premier ministre de l'Irlande
Discours prononcé devant l'Assemblée
jeudi, 25 janvier 1996
Monsieur le Secrétaire Général, chers invités, chers collègues, Mesdames, Messieurs, je vous remercie, Madame la Présidente, de votre allocution de bienvenue si aimable et si bien documentée. Je remercie également M. Miguel Angel Martinez, votre prédécesseur, de m’avoir invité à m’adresser à votre Assemblée aujourd’hui. J’en suis très honoré, d’autant que, depuis Soan Lemass en 1966, aucun Premier ministre irlandais n’a pris la parole devant cette Assemblée dont j’ai été moi- même membre en 1990, alors que le Conseil de l’Europe ne comptait encore que vingt-trois États membres. Ils sont maintenant trente-huit: voilà une évolution très positive à mon sens.
Peut-être plus que toute autre organisation au monde, le Conseil de l’Europe nous rappelle la dignité inhérente à notre condition d’homme. Par son Statut et diverses conventions, en particulier la Convention européenne des Droits de l’Homme, il a aidé à définir les obligations et les droits fondamentaux. Ces droits existaient bien avant la création des États dont nous sommes les représentants. Ils sont les fondements de la légitimité morale de toute autorité, de tout État, de toute organisation telle que le Conseil de l’Europe. Une société qui bafoue les droits de l’homme sape les fondements de sa propre légitimité morale.
D’une certaine manière, le Conseil de l’Europe ressemble à une université dans laquelle des pays viendraient apprendre la démocratie, la primauté du droit et les droits de l’homme. Et, de même qu’on n’exclut pas des cours les étudiants qui s’efforcent de réussir, on ne devrait pas non plus exclure de notre université des droits de l’homme les membres qui ont la volonté de satisfaire aux normes fixées en la matière par l’Organisation.
Bien entendu, conformément au Statut du Conseil de l’Europe, les États doivent – et ceci est primordial – reconnaître «le principe de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne sous sa juridiction doit jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales». Voilà un point à propos duquel il convient de se montrer intransigeant. Mais on ne pourra imposer ces principes qu’aux membres du club, les seuls auxquels ces règles sont applicables.
Le Conseil de l’Europe est avant tout un forum de dialogue où chacun peut exposer ses problèmes. Le seul fait de se trouver réunis dans la même salle sous le même toit – gomme peu à peu les différences. Et cela est particulièrement vrai dans le cas de l’Irlande, dont j’aimerais vous parler à présent.
En Irlande, les leçons de l’histoire montrent clairement que les différends politiques ne peuvent être réglés que par des moyens pacifiques et démocratiques.
Dans le processus de paix irlandais, mon gouvernement s’est fixé comme priorité d’arriver à un règlement politique auquel toutes les parties et communautés de notre île puissent apporter leur soutien en y adhérant loyalement et d’un commun accord. La tâche ne sera pas aisée. L’absence de confiance restant le problème majeur, il nous faudra jeter des bases solides pour instaurer la confiance entre des communautés divisées depuis des siècles.
C’est sur cette toile de fond que les deux gouvernements ont travaillé ensemble pour frayer la voie à de véritables négociations auxquelles toutes les parties concernées puissent participer.
En novembre dernier, les deux gouvernements ont engagé un «processus à double voie» dans le ferme dessein de lancer des négociations multipartites d’ici à la fin du mois prochain.
Dans un premier temps, les deux gouvernements et tous les partis politiques ont entamé des entretiens préliminaires, au cours desquels un certain nombre d’idées ont été examinées, y compris la possibilité de tenir des élections en Irlande du Nord. Mais à ce stade ce ne sont rien de plus que des idées, car les discussions de ce volet du processus sont loin d’être achevées, puisqu’elles ne se termineront que dans un mois.
Dans un deuxième temps, les gouvernements ont mis en place un organe international, présidé par le sénateur George Mitchell, qui compte parmi ses membres un éminent ancien Premier ministre finlandais. Cet organe est chargé de procéder à une évaluation indépendante de la question du désarmement des formations paramilitaires qui possèdent encore d’importants arsenaux en Irlande du Nord. Ces dépôts d’armes constituent une entrave à l’instauration de la confiance et à l’établissement de conditions favorables au bon déroulement des négociations.
Cet organe international a publié hier son rapport dont le Gouvernement irlandais se félicite, car il semble donner à chacun une base pour avancer sans abandonner ses principes; de plus, il se fonde sur des compromis raisonnables et traite, entre autres, de la question de savoir ce qu’il adviendra de ces armes, résidus du passé.
Le rapport constitue un défi pour les partis qui avaient été précédemment associés à la violence paramilitaire. Il constitue un défi, parce qu’il leur recommande de changer et d’accepter un certain nombre de principes. Il constitue également un défi pour les parties qui, en raison des blessures du passé et du souvenir de la terrible violence exercée par les groupes paramilitaires contre leur communauté, trouvent quasiment impossible de s’asseoir autour de la même table que ces derniers. Il faut bien reconnaître que nous ne pourrons progresser sur la voie d’une résolution politique du conflit que si nous acceptons de nous asseoir à la même table que ceux qui, par le passé, nous ont tant blessés. Nous ne ferons jamais la paix si nous ne cherchons à la faire qu’avec nos amis. Comme le soulignait Yitzhak Rabin, on ne peut faire la paix qu’avec ses ennemis, pas avec ses amis.
Cet organe international a élaboré un ensemble de principes extrêmement précis qui vise à permettre à tous ceux qui le souhaitent de s’asseoir à la même table. Je pense qu’il serait utile de présenter ici, devant le Conseil de l’Europe, la liste des principes qui devront présider aux négociations de paix en Irlande du Nord.
Ces principes incluent un attachement total et absolu aux idées suivantes: le recours exclusif à des moyens démocratiques et pacifiques pour résoudre des problèmes politiques – cela exclut expressément le recours à la violence – le désarmement total de toutes les organisations paramilitaires; l’acceptation que ce désarmement doit être vérifiable par un organe indépendant; la volonté de renoncer au recours à la force, mais aussi de s’opposer à toute tentative de quelqu’un d’autre de recourir à la force ainsi que celle de renoncer à brandir la menace du recours à la force pour influencer le déroulement de négociations; le respect de tout accord conclu dans le cadre de négociations et l’acceptation de recourir uniquement à des méthodes démocratiques et pacifiques pour tenter d’influer sur le résultat des négociations; enfin, les parties sont instamment priées de mettre fin aux assassinats et aux passages à tabac dits «punitifs» qui se sont poursuivis jusqu’ici. Elles devront prendre toutes les mesures efficaces pour y parvenir.
Je suis convaincu que l’acceptation expresse de ces six principes par toutes les organisations précédemment associées à la violence et par tous les partis politiques qui les soutiennent contribuerait à créer un climat de confiance qui permettrait de réunir toutes les parties autour de la table des négociations.
Mais, aussi astucieux ou aussi logique soit-il – encore qu’il faille parfois se méfier de l’excès de logique, comme ici par exemple – tout dispositif qui ne séduirait pas toutes les parties serait inopérant. Et ce qui ne fonctionne pas est inutile. A ce propos, je me félicite du pragmatisme qui caractérise la politique menée par mon voisin le plus proche. Ce qui ne fonctionne pas est inutile – ce principe vaut pour toute nouvelle proposition qui serait faite à ce stade des entretiens. Il faut que les propositions soient constructives et réalistes; si elles ne le sont pas, il faudra en formuler de nouvelles. Il faut également que les deux parties soient présentes lors des négociations pour que puisse être créé un partenariat pour la paix.
Je déclarais tout à l’heure que l’acceptation de ces six principes constitue un défi pour les parties associées à des groupes paramilitaires, notamment le Sinn Fein.
Les unionistes, ceux qui en Irlande du Nord sont en faveur du maintien de l’union avec la Grande- Bretagne – à savoir la majorité – sont confrontés à un défi tout aussi net. Pourquoi ne pas s’asseoir à la table des négociations avec le Sinn Fein? Après seize mois sans violence, les unionistes ont certainement aujourd’hui suffisamment confiance pour prendre le risque de discuter avec le Sinn Fein. Les paroles de Yitzhak Rabin me reviennent à l’esprit ainsi que celles de Shimon Peres qui me disait qu’en s’asseyant à la table des négociations avec les Syriens et les Palestiniens son premier objectif n’avait été de résoudre ni le problème A, ni le problème B, ni le problème C, mais de s’assurer qu’à cette table se trouvait quelqu’un qui pourrait devenir son partenaire pour la paix. Il en est bien ainsi: jamais nous ne parviendrons à devenir des partenaires si les gens réunis autour de la table n’ont pas la volonté d’engager des négociations.
J’ai dit aux unionistes que personne ne les obligeait à se prononcer avant d’avoir commencé à négocier avec le Sinn Fein; mais que cela ne les empêcherait pas de prendre dès à présent des initiatives, même en l’absence de modalités convenues entre les gouvernements. Les deux gouvernements ont la ferme intention d’organiser des négociations en trois volets, mais toutes les parties ont le droit et l’obligation de discuter entre elles de leur plein gré même avant l’adoption de ces modalités d’organisation. Cela vaut tant pour les unionistes que pour le Sinn Fein.
Chaque partie a aussi le droit de ne pas être marginalisée, le droit de ne pas être soumise à un test politique insoluble dont les inventeurs savent bien qu’il ne pourra jamais être réussi. Il s’ensuit que chaque partie a l’obligation de tenir compte des idées émises par d’autres, adversaires traditionnels ou non, et de s’efforcer d’y voir des aspects positifs au lieu de les rejeter en bloc, machinalement.
Dans toute négociation, l’élan est vital. Si l’élan est maintenu, l’insoluble devient soluble. Si l’élan disparaît, des points de détail pourront être érigés en questions de principe et se transformer en barrières infranchissables. Les Gouvernements irlandais et britannique ont décidé de continuer sur la même lancée le processus de paix en Irlande, en fixant l’objectif ambitieux, mais ferme, de commencer les négociations avec toutes les parties en cause d’ici à la fin du mois prochain. Jusque-là, de nouvelles idées pourront être examinées, mais il ne faudra pas s’en servir pour se détourner ou s’éloigner de l’objectif commun que nous nous sommes fixé. L’absence de dialogue structuré est un terrain fertile pour les prophètes de la guerre. Le dialogue ne peut faire de mal; il ne peut, au contraire, que se révéler utile. C’est pourquoi les Gouvernements irlandais et britannique ont déjà renforcé les travaux en cours dans le cadre du processus politique.
A cet égard, les idées du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme peuvent être une source d’inspiration précieuse. On pourrait, par exemple, envisager l’adoption d’une charte ou d’un accord sur les droits des individus et des communautés en Irlande du Nord. Voilà l’une des idées que l’on pourrait examiner au cours du processus politique. Les Gouvernements irlandais et britannique – surtout le Gouvernement irlandais — tiennent à ce que la future déclaration des droits puisse être efficace en Irlande du Nord. Selon le Gouvernement irlandais, celle-ci devra définir à la fois les droits des communautés et les droits de l’individu. Nous reconnaissons que le Conseil de l’Europe est le chef de file dans l’élaboration de la jurisprudence en matière de droits des communautés.
Il faut garder à l’esprit – et cela est essentiel – que l’efficacité des instruments juridiques, aussi bien libellés soient-ils, dépendra de l’atmosphère qui régnera au moment de leur application: c’est pourquoi il convient d’instaurer la confiance et la tolérance. Ces instruments ne pourront fonctionner que si les gens sont disposés à se rencontrer, que ce soit dans une salle, au sein d’une assemblée ou dans le cadre d’une organisation.
Il faut donc accueillir les gens au lieu de les laisser à la porte. Voilà précisément les considérations qui sous-tendent le débat à la suite duquel votre Assemblée sera appelée à se prononcer sur la demande d’adhésion de la Russie. Si la Russie devient membre du Conseil de l’Europe, tous les problèmes – y compris les problèmes de droits de l’homme – pourront être examinés. Si la Russie reste en dehors de l’Organisation, ce sera au détriment de l’élan acquis dans la tâche douloureuse et nécessairement progressive d’étendre l’ordre juridique ouest-européen à la Russie. Parmi les plus anciennes démocraties représentées au sein de cette Assemblée, quelle est celle qui peut prétendre y être parvenue du jour au lendemain? Dans beaucoup de cas, il aura fallu près d’un siècle de réformes constitutionnelles. Ne demandons donc pas aux autres de passer des examens que nous n’avons pas nous-mêmes réussis.
J’aimerais, si vous le permettez, dire quelques mots du rôle de l’Irlande dans l’Union européenne. D’importants défis se présentent à l’Irlande, qui, pendant le second semestre de cette année, occupera la présidence de l’Union européenne à la suite de l’Italie. La Conférence intergouvemementale, le système monétaire européen ainsi que l’élargissement de l’Union figurent au nombre des questions à examiner et revêtent une importance capitale pour tous les pays membres.
Il nous tient à cœur de réussir; mais, pour réussir, il faut prouver que l’Union européenne se préoccupe vraiment des problèmes du citoyen, qu’elle ne se livre pas uniquement à des exercices abstraits de bureaucrates, usant d’un langage que les gens ne comprennent pas, lui-même émaillé d’initiales dont seuls les hauts fonctionnaires et les hommes politiques saisiront le sens, et organisant des débats à un niveau si élevé que les Européens ne se sentent pas le moins du monde concernés. Il faut se pencher sur les problèmes qui intéressent directement les citoyens, le chômage et la délinquance, par exemple. L’Union européenne doit tout à la fois prouver sa volonté et sa capacité d’aider les pays membres à combattre le chômage. Cela vaut également pour le Conseil de l’Europe. Le chômage dans un pays donné crée également des tensions sociales chez ses voisins. J’espère que l’Union européenne, en concertation avec le Conseil de l’Europe – Organisation de plus grande envergure – pourra démontrer aux citoyens européens qu’elle est capable de s’attaquer au problème du chômage.
Quant au Conseil de l’Europe, il importe qu’il étudie de près le problème de la délinquance en relation avec l’abus de stupéfiants. La délinquance procède souvent de la toxicomanie. En Irlande, près de 80 % des détenus sont ou ont été toxicomanes. Et les quatre cinquièmes d’entre eux ont connu le chômage de longue durée. Il existe un lien direct entre les taux élevés de chômage, le nombre des toxicomanes et la délinquance, problèmes qui forment un tout et qu’il convient de traiter ensemble.
Le Conseil peut apporter une contribution essentielle grâce aux normes juridiques qu’il a adoptées en matière de lutte contre la criminalité organisée et le blanchiment de l’argent, ainsi qu’à ses recommandations dans le domaine de la santé visant notamment à réduire la demande de drogues dures.
Nous sommes convaincus que l’Union européenne a besoin de la contribution et de l’aide du Conseil de l’Europe dans la lutte contre la délinquance, la toxicomanie et le chômage de longue durée. C’est en effet la seule façon de montrer que les institutions européennes sont capables de répondre directement aux préoccupations réelles de nos citoyens en matière de chômage, de délinquance et de toxicomanie, sinon pour eux-mêmes, du moins pour leurs enfants.
J’espère que ces quelques mots ont pu mettre en lumière l’engagement de mon gouvernement en faveur de l’idéal européen. Nous reconnaissons que le Conseil de l’Europe est un partenaire essentiel dans la concrétisation de cet idéal. J’espère que la présidence de l’Irlande à l’Union européenne nous permettra de renforcer la coopération entre l’Union et son grand frère, le Conseil de l’Europe.
LA PRÉSIDENTE (traduction)
Merci beaucoup, Monsieur Bruton, pour cette allocution fort intéressante. Certains membres de l’Assemblée ont exprimé le désir de vous poser des questions. La parole est M. Mitchell, pour poser la première question.
M. MITCHELL (Irlande) (traduction)
Je vous remercie de nous avoir éclairés, notamment en ce qui concerne l’évolution de la situation en Irlande du Nord. J’aimerais vous poser une question sur un sujet tout différent se situant dans le contexte de la Conférence intergouvemementale de l’Union européenne qui aura lieu cette année sous la présidence de l’Irlande.
J’aimerais savoir si le calendrier pour la mise en place de l’union monétaire européenne établi conformément au Traité de Maastricht est définitif, ou bien si la prochaine conférence intergouvemementale pourrait décider de le modifier.
M. Bruton, Premier ministre de l'Irlande (traduction)
Il serait très difficile, d’un point de vue juridique, de modifier le calendrier sans modifier également le traité lui-même. Mais il faut tenir compte de la réalité politique. C’est-à-dire qu’il faut qu’un nombre suffisant d’États membres participent à l’union monétaire pour que la monnaie soit viable. Actuellement, la plupart d’entre eux consentent des efforts importants pour respecter les critères, et je pense qu’à ce stade, il n’est pas possible d’envisager un ajournement.
LA PRÉSIDENTE (traduction)
Nous avons déjà pris un certain retard, aussi proposerai-je de ne pas autoriser de questions supplémentaires. La parole est à M. Gross, qui dispose de trente secondes pour poser sa question.
M. GROSS (Suisse) (traduction)
En tant qu’Européen, je tiens à vous féliciter des efforts que vous avez déployés en faveur du processus de paix en Éire et en Ulster. En tant que Suisse, j’aimerais vous demander comment, à la lumière des nouvelles procédures adoptées par le Conseil des ministres, vous voyez le rôle des petits États, dès lors que leur pouvoir institutionnel a été réduit, et comment – cela vaut particulièrement pour l’Irlande – ils pourront continuer à défendre leurs intérêts.
J’aimerais savoir quelle position le Premier ministre de l’Irlande adoptera à cet égard lors de la prochaine conférence intergouvemementale.
M. Bruton, Premier ministre de l'Irlande (traduction)
Les nouvelles procédures prévoient que le Conseil des ministres vote à la majorité; tant les petits que les grands pays peuvent se retrouver en minorité de temps à autre. En pratique, cependant, dans 95 % des cas, ce qui prime, c’est la recherche d’un consensus pouvant aboutir à l’unanimité.
Je pense que les petits pays n’ont rien à craindre en tant que membres de l’Union européenne. Je dirai même qu’à certains égards nous disposons d’une force disproportionnée par rapport à notre taille. Chaque petit pays est représenté par un commissaire européen et rien ne saurait faire changer cela. Les petits pays sont surreprésentés au Parlement européen et leur vote pèse pour beaucoup au sein du Conseil des ministres. Il faut dire, en toute honnêteté, qu’en raison précisément de leur précieuse contribution les petits pays bénéficient d’un poids démesuré au sein de l’Union européenne.
Mme MACHAIRA (Grèce) (traduction)
Vous avez évoqué le rôle que sont appelés à jouer les petits pays. J’aimerais connaître votre point de vue sur le rôle de ceux qui se situent géographiquement à la périphérie de l’Europe. Quelles modifications doivent-ils apporter à leurs structures étatiques internes pour être en mesure de faire face à la nouvelle réalité, et quelle contribution le Conseil de l’Europe peut-il apporter à cet égard?
M. Bruton, Premier ministre de l'Irlande (traduction)
Il est difficile de répondre à une telle question parce qu’il existe de grandes différences entre les petits États de la périphérie de l’Europe. Il importe cependant qu’ils modernisent leur économie, qu’ils investissent dans la technologie et qu’ils prennent conscience que les technologies de pointe peuvent fleurir ailleurs qu’au centre du continent. La technologie de l’information, par exemple, ou la biotechnologie peuvent être développées dans les pays périphériques aussi facilement que dans les grands États du centre de l’Europe. Des pays tels que la Grèce et l’Irlande souffrent moins aujourd’hui de cette situation excentrée qu’il y a vingt ans.
M. CUNLIFFE (Royaume-Uni) (traduction)
Tout d’abord, Monsieur le Premier ministre, j’aimerais vous demander si, à votre avis, le Gouvernement britannique est responsable de l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations de paix en raison de l’approche qu’il a adoptée, approche qui n’était peut- être pas aussi honnête qu’elle aurait dû être. Il a en effet posé, comme condition préalable au début des négociations, que toutes les armes devaient être déposées à la fin des hostilités. Une telle approche pourrait donner à l’une des parties concernées des raisons de croire qu’elle a, dans une certaine mesure, été trompée et flouée parce que le Gouvernement britannique n’a pas su être direct.
M. Bruton, Premier ministre de l'Irlande (traduction)
Le problème en Irlande, c’est que les deux communautés sont séparées par un lourd contentieux qu’il leur serait facile à chacune d’exploiter pour ne pas satisfaire aux exigences de l’autre. L’instance internationale de désarmement a déclaré qu’il fallait avant tout faire table rase des préjugés du passé et des idées fixes. Et c’est ce qui est réellement important.
Je n’entrerai pas dans une discussion sur le point de savoir ce qui aurait ou n’aurait pas dû être dit quand je n’étais pas encore Premier ministre. A présent, le fait est que les unionistes craignent que l’IRA détienne toujours des armes, et que, de leur côté, les nationalistes craignent qu’il en aille de même pour les organisations paramilitaires loyalistes. Ces craintes sont bien réelles. Gouvernement britannique ou irlandais, peu importe qui a soulevé la question, la population d’Irlande du Nord vit encore dans la crainte. Mais celle-ci ne doit pas servir à justifier le refus d’un dialogue. Je crois qu’on ne pourra redonner à la question sa véritable dimension – il importe de ne pas faire obstacle au progrès – qu’une fois que les gens se seront réunis autour d’une table et auront commencé à se sentir en confiance, un peu comme cela se passe dans cette Assemblée. C’est pourquoi le Gouvernement irlandais, sans minimiser l’ampleur des différends, insiste tant pour que les négociations commencent dès la fin du mois prochain.
M. PAVLIDIS (Grèce) (traduction)
Le discours de M. le Premier ministre était si riche d’informations, notamment en ce qui concerne les problèmes bien connus de l’Irlande, qu’il a déjà répondu à ma question.
LA PRÉSIDENTE (traduction)
Fort bien. La parole est à M. Banks, qui posera une question spontanée.
M. BANKS (Royaume-Uni) (traduction)
J’aimerais demander à M. le Premier ministre combien de consultations ont eu lieu entre Londres et Dublin avant que M. Major ne propose hier au Parlement britannique de doter l’Irlande du Nord d’une nouvelle instance élue. J’aimerais également qu’il nous fasse part de sa réaction.
M. Bruton, Premier ministre de l'Irlande (traduction)
Nous savons depuis un certain temps déjà que le Gouvernement britannique prêtait une oreille favorable à de telles suggestions. Les Gouvernements britannique et irlandais s’accordent pour dire qu’une instance élue pourrait jouer un rôle utile dans l’évolution politique des négociations, mais, conformément au calendrier que M. Major et moi-même avons établi, celles-ci dureront encore quatre semaines de plus. C’est pourquoi il est bien trop tôt pour faire quelque proposition définitive que ce soit.
Il est également clair que des propositions de cette nature, si elles doivent aboutir, doivent être acceptées par les deux communautés, qu’elles soient de bon sens n’a aucune espèce d’importance: si Tune des parties refuse d’y adhérer, elles ne pourront servir de base de réconciliation. Les deux gouvernements ont estimé qu’il fallait mettre en train le dialogue politique – qui se poursuivra encore pendant quatre semaines – presser chacune des parties de donner son avis et s’efforcer de s’accorder sur une méthode – avec ou sans élection – qui nous permettra d’entamer les négociations multipartites fin février.
Il importe de respecter ce calendrier. En dévier ou avancer d’autres propositions pourrait donner le sentiment qu’on veut retarder les progrès et ferait naître la méfiance – peut-être à tort, mais la méfiance serait là.
Comme je le disais dans mon discours, je crois que, dans toute négociation, la dynamique est presque aussi importante que le contenu. Si Ton va de l’avant sur un certain nombre de points, si Ton a de nouveaux obstacles à surmonter au fur et à mesure que Ton progresse, chacun aura le sentiment que les choses bougent. Si, en revanche, rien ne change, si on se contente de tenir des discussions abstraites sur les mérites de telle ou telle proposition par rapport aux autres, il n’y aura pas de dynamique et la méfiance s’installera.
Pour ce qui est des consultations entre les Gouvernements britannique et irlandais au sujet de ce qui a été dit hier à la Chambre des communes, nous savions que le Premier ministre s’exprimerait dans ce sens, mais il n’y a eu aucune consultation quant au contenu de son discours. C’est lui qui en porte l’entière responsabilité et nous en avons reçu copie peu avant qu’il ne se lève pour le prononcer. Voilà comment les choses se sont passées.
LA PRÉSIDENTE (traduction)
La liste des questions est à présent épuisée. Au nom de l’Assemblée, je remercie très chaleureusement M. Bruton de son exposé et des observations qu’il a faites au fil des réponses qu’il a données aux questions qui lui ont été posées.