Demetris

Christofias

Président de la République de Chypre

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 30 septembre 2008

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, mesdames, messieurs les membres de l’Assemblée, je souhaite remercier le Président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de m’avoir invité à prendre la parole devant vous. Je le remercie également de ses aimables propos de bienvenue. C’est un honneur pour moi que de m’exprimer devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour la première fois depuis mon élection à la Présidence de la République de Chypre.

L’institution du Conseil de l’Europe, ainsi que la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 et ses protocoles additionnels, sont des réalisations uniques dont tout Européen peut être fier. Quarante-sept pays européens ont embrassé un système codifié de valeurs et ont adopté et mis en œuvre des procédures importantes pour la sauvegarde des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme, le Comité des Ministres, le Commissaire aux droits de l’homme et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe elle-même, accomplissent une mission très importante, dont je souhaite les féliciter.

La République de Chypre s’est fermement engagée à respecter les principes et les valeurs du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Elle reconnaît le rôle unique du Conseil de l’Europe dans l’accomplissement de la noble mission qui lui a été confiée. L’Assemblée parlementaire constitue l’outil démocratique de promotion des principes fondamentaux du Conseil de l’Europe et, en tant que telle, sa contribution est vivement appréciée par le peuple chypriote.

Je saisis l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer ici pour remercier le Conseil de l’Europe, qui a toujours œuvré à la sauvegarde des droits de l’homme des chypriotes. Ces derniers ont souffert à la suite de l’invasion et de l’occupation d’une grande partie du territoire chypriote par des troupes armées turques, alors que la Garde nationale de la République de Chypre ne compte que 9 000 hommes. Nous sommes très reconnaissants à la Cour européenne des droits de l’homme d’avoir contribué à la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales de tous les Chypriotes. J’ajoute que les arrêts de la Cour européenne des Droits de l’homme doivent être pleinement respectés et suivis d’effet.

Le 1er octobre prochain, nous célébrerons l’anniversaire de la création de la République indépendante de Chypre, en 1960. En dépit des nombreuses difficultés rencontrées par la République de Chypre tout au long de son histoire, nous souhaitons que Chypre soit réunifiée, dans le cadre d’un Etat fédéral dans lequel les libertés et les droits fondamentaux de tous les chypriotes, sans exception, seront respectés. Malheureusement, des interventions étrangères et des choix erronés de la part des deux communautés ont empêché un développement favorable aux Chypriotes.

Au lieu d’une coopération quotidienne dans le cadre des institutions d’un nouvel Etat, qui aurait été la continuation d’une longue histoire commune, les deux communautés ont croisé le fer à la suite de l’intervention étrangère et de l’action de groupes disons «chauvinistes». Les interventions étrangères dans les affaires internes de Chypre ont atteint leur sommet avec le coup d’Etat militaire de la junte grecque et l’invasion turque en juillet et en août 1974.

J’ai personnellement toujours combattu le nationalisme et le chauvinisme. Ce combat, au nom du mouvement populaire de Chypre, je l’ai mené aux côtés du dirigeant actuel de la communauté chypriote turque, M. Talat, et ce, depuis le début des années 80. Ensemble, nous allons œuvrer pour le bien de tous les chypriotes. Je suis engagé en faveur de la vision commune que nous avons élaborée avec M. Talat et avec son prédécesseur, feu M. Ozgur dont je salue la mémoire.

La même vision s’est reflétée lors des décisions communes et des déclarations publiques des deux communautés après des rencontres entre les deux délégations emmenées par ses deux dirigeants. Est prévue une réunification fondée sur les résolutions des Nations unies et les accords de 1977 et de 1979 entre les dirigeants des deux communautés sous les auspices du Secrétaire général des Nations unies.

Ensemble, avec M. Talat, nous avons envisagé la transformation de l’Etat unitaire en une fédération par le biais de la mise en œuvre du principe d’égalité politique entre les deux communautés tel que défini dans les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Ensemble, nous souhaitons une Chypre pour les Chypriotes sans la présence de troupes étrangères, sans la présence massive de ressortissants étrangers, de colons, qui changeraient la composition démographique de la population.

Nous avons envisagé une Chypre unifiée et fédérale où les différences et identités de chaque communauté seraient respectées. Par la même occasion, elle permettrait de cultiver les traditions et les pratiques que nous avons en commun et que les Chypriotes des deux communautés ont développées au fil des siècles dans le cadre d’une coexistence et d’une coopération pacifiques. Nous avons envisagé une Chypre où tout conflit entre les communautés serait replacé dans le contexte d’une économie unifiée, avec une concurrence saine et un alignement des intérêts de tous, indépendamment de la communauté d’appartenance.

Monsieur le Président, mesdames, messieurs, j’ai foi dans l’identité chypriote qui est née au fil des siècles. Je suis fier d’être Chypriote, de mes racines et de mon identité, mais je respecte aussi le droit de M. Talat d’être fier de ses racines et de son identité. En tant qu’homme politique et en tant que Président de la République de Chypre, le bien de mon pays est ce qui me tient à cœur. Je suis un Chypriote qui souhaite servir tous ses concitoyens et qui souhaite créer les conditions qui permettent à Chypre de vivre de façon unie.

Tous les Chypriotes ont souffert; nous avons été victimes de plusieurs tragédies qui ont frappé notre île. Nous devons tous œuvrer pour la restauration des droits de l’homme dont nous avons été privés pendant de longues décennies.

Monsieur le Président, un nouvel effort intensif pour résoudre le problème de Chypre vise à surmonter les terribles problèmes auxquels nous sommes confrontés depuis trente-quatre ans. Ces pourparlers ont lieu sous les auspices du Secrétaire Général des Nations unies dans le cadre de sa mission des bons offices que le Conseil de sécurité des Nations unies lui a confiée dans le cadre des résolutions qui définissent le cadre juridique et politique dans lequel ces négociations ont lieu.

La mission de bons offices du Secrétaire Général des Nations unies prévoit des négociations entre les dirigeants des deux communautés. Les Chypriotes eux-mêmes devront veiller au succès des négociations. Le rôle du Secrétaire Général et de la communauté internationale consiste à offrir leur aide et leur soutien. Les bons offices ne sont pas un arbitrage. L’expérience récente a montré que tout plan importé qui ne sert pas les intérêts des Chypriotes est rejeté par le peuple chypriote.

Le cadre d’une solution prévue par les résolutions des Nations Unies implique une fédération bizonale et bicommunale avec une seule identité, une souveraineté indivisible et unique et une seule nationalité. Les institutions fédérales garantiront le respect du principe d’égalité politique tel que défini dans les résolutions des Nations Unies. Cette égalité politique n’est pas une égalité numérique, mais une participation effective de la communauté chypriote grecque et de la communauté chypriote turque à tous les organes de l’Etat fédéral. Il est important de rappeler qu’une telle fédération bizonale et bicommunale est la seule solution qui ait fait l’objet d’un accord depuis 1977 et qu’elle a été récemment réaffirmée par les dirigeants des deux communautés. C’est le seul compromis possible sur la base duquel un nouvel accord politique pourra être construit.

Les résolutions du Conseil de sécurité et des Nations Unies ainsi que la constitution de Chypre excluent la partition, la sécession ou l’unification avec un autre pays.

Monsieur le Président, mesdames, messieurs, je tiens à vous assurer que je suis animé par la volonté politique nécessaire pour résoudre ce problème. Je fonde mes affirmations sur mes actions au sein du Mouvement populaire de Chypre, qui est fier de sa longue histoire de combats et de sacrifices pour soutenir l’amitié, la coopération et la coexistence pacifique entre les Chypriotes grecs et turcs. Je figure parmi les Chypriotes qui ont été touchés par l’invasion militaire de 1974. Ma famille et moi-même avons été déplacés. Nous sommes devenus des réfugiés dans notre propre pays.

Permettez-moi de vous faire part des quelques suggestions spécifiques qui permettront, je le pense, d’améliorer l’atmosphère entourant les négociations et qui augmenteront leur chance de succès. Lors de ma récente rencontre avec le Secrétaire Général des Nations Unies à New York la semaine dernière, j’ai suggéré qu’il propose un accord pour mettre un terme aux exercices militaires annuels qui sont organisés chaque automne à Chypre et autour de Chypre. Je pense en particulier à l’exercice Nikiforos mené par la garde nationale de Chypre et à l’exercice Toros organisé par les forces militaires turques à Chypre. En outre, je propose que des mesures soient prises pour que l’on mette fin à l’escalade militaire.

Un désengagement des forces s’impose, en particulier dans la région de Nicosie, y compris la démilitarisation pleine et entière de l’ancienne ville de Nicosie à l’intérieur des murs d’enceinte vénitiens, la désignation d’une zone démilitarisée et d’autres mesures encore. Si nous sommes conscients que des mesures ont déjà fait l’objet d’un accord avec M. Talat, elles n’ont pu encore être mises en œuvre. Nous sommes également conscients que tout cela est loin d’être facile.

De notre côté, nous mettrons tout en œuvre pour que les pourparlers soient couronnés de succès. Nous ne pouvons nous permettre le luxe d’échouer. L’absence de solution n’est pas une solution. Elle entraînerait vraisemblablement la partition permanente de l’île, ce qui serait le scénario le plus mauvais tant pour les Chypriotes grecs que pour les Chypriotes turcs.

Les électeurs ont voté pour nous, m’ont élu Président sur la base de promesses que nous avons faites de tout mettre en œuvre pour réaliser des avancées vers la solution des problèmes de Chypre. Nous ne pouvons décevoir ni nos électeurs ni la communauté internationale. Nous devons et nous pouvons réussir. C’est ce qui guide mes actions politiques. C’est d’ailleurs un encouragement qui m’a poussé à me présenter à la présidence de la République de Chypre, mais le peuple chypriote veut une solution. C’est fondamental, mais non suffisant.

La Turquie aussi doit apporter sa contribution au processus. Elle maintient à Chypre plus de 40 000 hommes et des dizaines de milliers de colons. Cela peut indéniablement avoir une incidence sur le résultat des négociations. Nous sommes convaincus que la solution doit permettre à tous d’être gagnants. Elle permettra aux Chypriotes grecs comme aux Chypriotes turcs de vivre ensemble dans un Etat prospère et indépendant, au sein de la famille européenne, sans la présence de troupes étrangères et de colons illégaux dans des conditions de sécurité, où l’identité et les droits de tous seront respectés.

Une solution au problème de Chypre aidera aussi la Turquie à rejoindre l’Union européenne, dont Chypre est déjà un membre à part entière. Nous souhaitons que la Turquie respecte ses obligations découlant de sa demande d’adhésion à l’Union européenne. C’est ainsi que la Turquie contribuera de façon positive aux efforts visant à trouver une solution qui respectera le principe de base du droit international, les principes et les valeurs de l’Union européenne et de la Convention européenne des droits de l’homme.