Glafcos
Clerides
Président de la République de Chypre
Discours prononcé devant l'Assemblée
mardi, 12 avril 1994
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, permettez-moi, dès le début de mon intervention, de vous remercier chaleureusement pour m’avoir invité à prendre la parole devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. C’est pour moi un très grand honneur et un privilège que d’être parmi vous aujourd’hui et de partager avec vous pensées et préoccupations, à un moment où l’Europe se trouve une fois de plus à un tournant de son histoire.
Il n’y a pas très longtemps, nous étions mortellement inquiets, dans les instances internationales, au sujet de l’avenir de notre civilisation à cause de la guerre froide et de la course aux armements nucléaires. Aujourd’hui, la guerre froide est terminée et, dans de grandes parties du monde, les vieux régimes se sont effondrés et une évolution a été – entamée vers l’instauration de sociétés pluralistes et d’une économie de marché. Toutefois, la liberté nouvellement acquise a ravivé d’anciennes inimitiés et ouvert la porte au chauvinisme nationaliste, à la discrimination raciale, à la xénophobie, à la violation du principe de la prééminence du droit et à l’abominable pratique du nettoyage ethnique.
A la suite de l’effondrement du communisme, qui a fait cesser la guerre froide, l’Europe a à nouveau pris place sur le devant de la scène mondiale. Notre continent est, une fois de plus, non seulement le centre principal de l’activité politique, mais aussi un lieu où de graves préoccupations en matière de sécurité de vie politique, économique et sociale ont pris des dimensions nouvelles et dangereuses.
Nous devons faire face à d’immenses défis anciens et nouveaux; affermissement de la paix et de la sécurité, lutte contre les forces destructrices du nationalisme agressif et de l’intolérance, sauvegarde et promotion des droits de l’homme et de la démocratie, progrès du développement économique dans toute l’Europe, protection de l’environnement et participation de l’Europe à l’édification d’un ordre mondial nouveau et plus humain.
Nous disposons en même temps de meilleures possibilités d’atteindre ces objectifs.
La conséquence la plus prometteuse de la destruction du mur qui divisait l’Europe est toutefois la ré-émergence de l’Europe en tant qu’idéal.
L’Europe n’est plus une simple zone géographique divisée entre des systèmes diamétralement opposés, en conflit aux plans idéologique, politique, social et économique. L’Europe est maintenant un facteur de liaison forgé par l’Histoire, par le partage d’un patrimoine culturel et de valeurs communes, par la mise en commun de principes et d’idéaux rapprochant les peuples de cet ensemble politique qui s’étend de l’Oural à l’Atlantique et de la Scandinavie à Chypre. L’idéal européen se traduit aujourd’hui par un élan vers l’intégration unissant les populations de l’Europe dans un destin commun.
Cet élan prend la forme de relations de plus en plus étroites entre les Etats européens et d’une gamme de plus en plus large d’activités menées en commun aux plans économique, social, culturel et politique.
Cette évolution insuffle une nouvelle dynamique aux organisations et institutions européennes existantes, alors que de nouvelles organisations émergent pour faire face aux besoins actuels et futurs, ce qui contribue notablement à la concrétisation de cet idéal. Ces organisations sont les gardiens de notre système commun de principes et de valeurs, tout en étant les mieux placés pour optimiser notre effort collectif.
Le Conseil de l’Europe, avec son Assemblée parlementaire, qui se consacre avant tout à la protection et au développement de la démocratie pluraliste, à la prééminence du droit et aux droits de l’homme, devient maintenant le point focal qu’il mérite d’être, permettant aux espoirs d’intégration de l’ensemble de l’Europe et de prévalence de la sécurité démocratique de se réaliser.
Le Conseil de l’Europe et notamment son Assemblée parlementaire, en contact direct avec les peuples de l’Europe, ont maintenu en vie, pendant toutes les années de la guerre froide, l’espérance en un avenir meilleur et plus humain.
La façon dont la situation mondiale évolue démontre clairement que, si la communauté des nations européennes ne réussit pas à dégager une compréhension commune des défis auxquels elle doit faire face et des solutions qui s’imposent, les violations des droits de l’homme, l’intensification de l’insécurité, les guerres civiles, la famine et les souffrances créeront une situation explosive qui n’épargnera personne. En effet, nous prenons peu à peu conscience de la complexité et des dimensions que prennent de telles questions dans un monde interdépendant.
Le Sommet du Conseil de l’Europe qui s’est tenu il y a quelques mois à Vienne, et à la réalisation duquel le Conseil a joué un rôle primordial, marque une date historique.
Ce sommet a réuni pour la première fois les chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres, qui ont débattu ouvertement et franchement des problèmes qui se posent à l’Europe d’aujourd’hui, et des réformes institutionnelles indispensables qui accroîtront l’efficacité du Conseil de l’Europe.
Cette réunion d’importance exceptionnelle a proclamé qu’il ne serait possible d’accroître la coopération et de réaliser l’intégration que grâce à la consolidation de la démocratie dans l’ensemble de l’Europe et à la protection effective des droits de l’homme ainsi qu’à l’avènement partout de la prééminence du droit.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, le patrimoine humaniste européen qui constitue la force motrice de notre civilisation et qui tire ses origines de la pensée classique grecque à laquelle Chypre est fière d’avoir contribué place la personne humaine au centre de nos préoccupations.
La protection des droits de l’homme partout dans le monde devient, de nos jours, source de souci légitime pour la communauté internationale.
Le Conseil de l’Europe et son mécanisme de sauvegarde des droits de l’homme n’ont à cet égard pas d’équivalent.
Nous ne devons pas oublier toutefois que l’efficacité de nos institutions, qui doit être accrue et est en cours de renforcement par la mise à disposition de moyens plus étendus, dépend essentiellement de deux grandes conditions: l’application constante du principe de la non-sélectivité dans les affaires de violation des droits de l’homme, et le ferme engagement de tous les membres de nos institutions pour la mise en œuvre de notre système de principes communs, sans réticence ni réserve.
Le pire service que l’on pourrait rendre à la cause des droits de l’homme serait de poursuivre une politique de doubles normes et de sélectivité dictée par de mesquins intérêts nationaux. Ce serait là le moyen le plus sûr de saper le terrain sur lequel repose l’édifice de protection des droits de l’homme.
Comment pouvons-nous justifier le fait que dans certains cas, par exemple, le rétablissement des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tels que le droit pour les réfugiés de retourner chez eux et de récupérer leurs biens, devient la condition sine qua non du règlement d’un litige tandis que, dans d’autres cas, cette condition, pour des raisons d’opportunité, semble être oubliée?
Une telle attitude nous ôte la possibilité de mettre en place un code centré sur l’application des droits de l’homme, alors même que nous savons tous ce que c’est que la violence, les violations des droits de l’homme et l’intolérance.
L’expérience de Chypre est très instructive à cet égard. La Commission européenne des Droits de l’Homme est l’un des organes qui s’est occupé des violations de droits de l’homme à Chypre par la Turquie, violations qui se poursuivent encore depuis l’invasion turque de 1974.
Après la troisième requête de la République de Chypre en 1977, la Commission a examiné attentivement les violations de droits de l’homme à Chypre par la Turquie. Elle a adopté en 1983 un énorme rapport exposant clairement les faits et reconnaissant la responsabilité de la Turquie. Pourtant, ce rapport n’a été rendu public qu’en 1992; il est resté confidentiel pendant neuf ans, alors que les violations des droits du peuple de Chypre se poursuivaient et se poursuivent encore.
Comment expliquer ces neuf années de retard? S’il semble si difficile de divulguer un rapport, comment alors pouvons-nous espérer convaincre de notre engagement? Comment pouvons-nous espérer être efficaces et crédibles?
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l’Europe se trouve confrontée aujourd’hui à de vastes enjeux. Chypre est déterminée à jouer un rôle et à apporter sa contribution aux efforts déployés pour remporter ces enjeux et modeler notre destin commun, celui de l’Europe.
La République de Chypre a déjà sollicité son adhésion à l’Union européenne en tant que membre à part entière. Sa vocation européenne et son éligibilité ont été l’une et l’autre reconnues dans l’avis de la Commission. Le Conseil a confirmé que Chypre remplit toutes les conditions d’adhésion et, d’ores et déjà, une décision a été prise pour poursuivre les discussions de fond préalables aux négociations sur l’adhésion.
La détermination de mon pays à participer à la construction de la nouvelle Europe ne se limite pas à l’action que nous menons pour adhérer à l’Union européenne, ni à notre activité au Conseil de l’Europe. Chypre participe aussi activement à la CSCE et à d’autres institutions européennes. Nos relations bilatérales avec d’autres Etats européens illustrent aussi notre engagement envers l’Europe.
Chypre, pays qui a su reconstruire son économie et rétablir sa prospérité sur les ruines laissées par l’invasion et l’occupation turques, peut certainement faire profiter de son expérience les pays d’Europe centrale et orientale dans leur difficile transition vers une économie de marché.
A cet effet, nous avons déjà ouvert le dialogue avec certains pays d’Europe centrale et orientale qui souhaitent une coopération économique plus étroite avec Chypre, laquelle peut déboucher aussi sur une plus grande coopération politique.
Monsieur le Président, après les propos que je viens de tenir, je voudrais saisir cette occasion pour revenir sur le problème de Chypre et souligner que c’est dans le cadre de cette orientation européenne globale de notre pays que nous nous efforçons de rechercher la solution du problème chypriote.
Je tiens à proclamer tout de suite de la manière la plus catégorique que mon gouvernement et moi- même sommes fermement décidés à n’épargner aucun effort pour trouver une solution juste et viable au problème de Chypre et pour aboutir au succès des négociations qui se déroulent sous les bons offices du Secrétaire général des Nations Unies, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Dans cet esprit, nous avons accepté le principe de base que la solution politique du problème de Chypre doit permettre, d’une part, aux deux communautés ethniques de jouir du plus grand degré d’autonomie possible sur le plan de l’administration interne et, d’autre part, à la République fédérale de Chypre bicommunautaire d’avoir une seule personnalité juridique internationale, de retrouver son intégrité territoriale libérée de toutes forces étrangères, conformément aux résolutions des Nations Unies, d’inclure les droits de l’homme dans sa Constitution, de veiller à la conformité de sa Constitution avec l’acquis communautaire et d’adhérer à l’Union européenne.
On se pose souvent la question de savoir pourquoi une solution nous échappe depuis tant d’années.
Certains observateurs internationaux pensent que si l’on n’a pas réussi à trouver de solution c’est parce que l’histoire récente de Chypre, aussi bien avant qu’après l’indépendance, est fortement marquée par les conflits intercommunautaires et qu’il existe donc une profonde défiance entre les deux communautés. D’autres sont d’avis que le problème de Chypre, à l’origine intercommunautaire, a été compliqué par l’invasion turque de Chypre et l’occupation continue par les forces turques d’une large partie du territoire de la république. Il y a ceux qui attribuent aussi l’échec à l’absence de volonté des parties concernées de trouver une solution.
L’existence d’une certaine défiance entre les deux communautés est incontestable. Les dirigeants des deux communautés, dont moi-même, ont commis des erreurs politiques dans le passé; il serait futile de tenter de distribuer des blâmes et de se jeter des accusations et des contre-accusations les uns aux autres. Ce qu’il faut, c’est reconnaître le fait que les deux parties ont commis des erreurs et de montrer la volonté de ne pas répéter les erreurs du passé.
Il ne fait aucun doute que l’invasion turque de Chypre a compliqué la situation. A la suite de cette invasion, le tiers de la population chypriote grecque de l’île a été expulsé de son foyer et de ses biens et est devenu réfugié dans son propre pays. Mille six cent dix-neuf Chypriotes grecs ont disparus, un Etat séparé a été proclamé dans le nord, sous la protection des forces d’occupation turques, et continue d’être maintenu par la Turquie, malgré la Résolution 550 du Conseil de sécurité des Nations Unies appelant à sa dissolution et invitant tous les Etats membres des Nations Unies à ne pas le reconnaître. Malgré la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies appelant les deux parties à éviter tout acte de nature à modifier la composition démographique de l’île, la Turquie a colonisé le nord en envoyant à Chypre 80 000 Turcs de Turquie, qui ont été installés dans les biens que les Chypriotes grecs ont été contraints d’abandonner. Ce processus se poursuit encore aujourd’hui. Les forces turques ont construit une ligne militaire à travers Chypre, obligeant à un face à face militaire et empêchant tout contact entre les deux communautés.
La présence militaire massive à Chypre de 40 000 soldats turcs et de 400 000 véhicules blindés et tanks, avec une couverture aérienne et un soutien naval, oblige la République de Chypre à entretenir la garde nationale, à acheter des armes et à rechercher l’aide militaire de la Grèce ainsi qu’une planification commune avec ce pays en matière de défense.
Je crois le moment venu, si on souhaite progresser vers la solution du problème de Chypre, de procéder à la démilitarisation du territoire de la république. Ayant cette idée à l’esprit, j’ai adressé au Secrétaire général des Nations Unies, le 17 décembre 1993, une lettre qui contenait l’offre suivante:
«Il ne fait aucun doute que la présence massive de forces militaires turques dans la partie occupée de Chypre a suscité parmi la communauté chypriote grecque de vifs sentiments d’inquiétude et de méfiance quant aux intentions de la Turquie. Elle impose également au Gouvernement de la République de Chypre la nécessité d’accroître les capacités défensives du pays en achetant des armes, et l’amène de plus à demander l’aide militaire de la Grèce et à faire inclure Chypre dans le système défensif grec. Plusieurs éléments nous portent par ailleurs à croire que ces préparatifs, bien qu’ils revêtent une nature uniquement défensive, donnent lieu à des interprétations erronées, causant à leur tour inquiétude et méfiance au sein de la communauté chypriote turque quant aux intentions de la Grèce.
Après avoir soigneusement étudié cette question, je suis parvenu à la conclusion que, afin de mettre un terme à ce climat de crainte et de méfiance dont les effets sont contraires à ceux recherchés, et d’améliorer ainsi les perspectives d’un règlement négocié, le Gouvernement de la République de Chypre devrait prendre les mesures suivantes:
a. abroger la loi sur la garde nationale, disperser la garde nationale et confier l’ensemble de ses armes et équipements militaires à la Force de maintien de la paix des Nations Unies;
b. s’engager à maintenir les effectifs des forces de police de la république à leur niveau actuel, et ne doter ces dernières que d’armes personnelles légères;
c. prendre en charge l’ensemble des coûts résultant d’un accroissement substantiel des effectifs de la Force de maintien de la paix des Nations Unies;
d. reconnaître à la Force de maintien de la paix des Nations Unies un droit d’inspection, afin qu’elle puisse s’assurer du respect des engagements qui viennent d’être énoncés;
e. autoriser la Force de maintien de la paix des Nations Unies à utiliser les voitures blindées, les véhicules blindés de transport de troupe et les chars qui auront été confiés à sa garde pour effectuer des patrouilles dans la zone tampon et empêcher toute pénétration dans celle-ci;
f. déposer sur un compte des Nations Unies les sommes économisées grâce à la dispersion de la garde nationale et à la cessation des acquisitions d’armes, et les réserver, déduction faite des sommes utilisées pour l’entretien de la Force de maintien de la paix des Nations Unies, à une utilisation au profit des deux communautés, une fois trouvée une solution à ce problème.
Cette proposition est faite à la condition que le côté turc accepte, parallèlement aux mesures décrites plus haut, de retirer les forces turques de l’île de Chypre, de disperser les forces armées chypriotes turques et de confier leurs armes et équipements militaires à la garde de la Force de maintien de la paix des Nations Unies.
Je voudrais par ailleurs réaffirmer ce que j’ai indiqué à M. Feissel avant de partir pour New York, c’est-à-dire que je suis prêt à débattre des modalités de mise en œuvre de ces mesures destinées à instaurer un climat de confiance ainsi que, bien sûr, de la solution au problème chypriote.
J’espère, Excellences, que le côté turc répondra favorablement à ma proposition, la seule conclusion logique pouvant être tirée de son refus étant que la présence massive de forces turques ne vise pas à protéger la sécurité prétendument menacée de la communauté chypriote turque mais à perpétuer un statu quo qui, ainsi que le précise votre rapport, résulte d’un acte militaire, se maintient par la force militaire et a été jugé inacceptable par le Conseil de sécurité. Une telle conclusion contraindra mon gouvernement à accroître substantiellement les capacités de défense de la république et à conclure avec la Grèce des accords concernant un système de défense commun.»
Ma proposition fut malheureusement rejetée par la Turquie.
S’agissant maintenant de l’opinion selon laquelle l’impossibilité de trouver une solution au problème chypriote résulte, de la part des communautés concernées, d’un manque de volonté politique de parvenir à un tel règlement, je ferai les observations suivantes.
Le manque de volonté politique manifesté par le côté turc constitue un fait avéré. Le Secrétaire général des Nations Unies, dans son rapport au Conseil de sécurité du 19 novembre 1992 (document S/24830), indiquait que l’échec de la tentative de parvenir à une solution, malgré les efforts intenses accomplis, était imputable au désaccord manifesté par les Turcs vis-à-vis de l’ensemble des principes préparé par le Secrétaire général; il soulignait sans ambiguïté l’absence de volonté politique de la part du côté turc, qu’il considérait comme le principal obstacle à un règlement négocié.
Dans son rapport du 1er juillet 1993 (document S/26026), le Secrétaire général des Nations Unies informait le Conseil de sécurité que, malgré des efforts et des travaux préparatoires intensifs, il n’avait pas été possible d’obtenir du côté turc qu’il acceptât ces mesures destinées à instaurer un climat de confiance et que le représentant de la communauté chypriote turque, lors des consultations qui avaient ensuite eu lieu à Ankara et Nicosie, ne s’était pas prononcé en faveur de cet ensemble de mesures, pas davantage qu’il ne s’était à nouveau présenté à la réunion commune de New York ainsi qu’il s’était engagé à le faire.
Aujourd’hui, près d’un an plus tard, la situation concernant ces mesures destinées à instaurer un climat de confiance est la suivante: le côté chypriote grec a approuvé le document préparé par les représentants du Secrétaire général le 18 mars concernant la mise en œuvre de mesures destinées à instaurer un climat de confiance. S’agissant de la position des parties en cause, le rapport du Secrétaire général du 4 avril 1994 (document S/1994/1330) constate:
«Le représentant de la communauté chypriote grecque a indiqué que, tout en éprouvant des réserves sur nombre des modifications apportées au texte du 21 mars, il était néanmoins préparé à accepter le texte ainsi révisé si le représentant de la communauté chypriote turque faisait de même.
5. Avant de quitter Chypre le 23 mars, M. Clark a publiquement déclaré n’avoir pas reçu du côté chypriote turc l’accord qu’il avait espéré pour la mise en œuvre de cette série de mesures.
6. Le 28 mars, M. Feissel a de nouveau rencontré le représentant de la communauté chypriote turque afin de poursuivre les discussions en vue de parvenir à un accord sur les principes de mise en œuvre de la série de mesures destinées à instituer un climat de confiance. A l’issue de cette réunion, M. Feissel a publiquement confirmé qu’aucun fait nouveau n’était apparu et que le côté chypriote turc n’avait pas communiqué la réponse nécessaire à la conclusion d’un accord sur la mise en œuvre des mesures destinées à instaurer un climat de confiance.»
Hier, le Conseil de sécurité a approuvé le texte d’une lettre destinée au Secrétaire général et indiquant que le dirigeant chypriote grec accepte la mise en œuvre des mesures de confiance proposées par le représentant du Secrétaire général, mais que le dirigeant chypriote turc émet de nombreuses objections à cette mise en œuvre.
De tout ce qui vient d’être rappelé, il ressort clairement que le Secrétaire général a signalé au Conseil de sécurité que le statu quo, inacceptable, est maintenu par la force militaire; l’impossibilité de parvenir à une solution en novembre 1992 est clairement imputable au côté turc, qui n’a pas fait preuve de la volonté politique nécessaire à la conclusion de l’accord qui était à portée de main; l’impossibilité de parvenir à un accord, en avril 1994, sur la mise en œuvre de mesures destinées à instaurer un climat de confiance est également imputable au côté turc.
Dans ses récentes résolutions, le Conseil de sécurité a averti que, en l’absence de tout progrès sur cette question, il examinerait d’autres méthodes en vue de parvenir à une solution. Je suis fermement convaincu que l’heure est à présent venue pour le Conseil de sécurité de se décider à agir. Il doit examiner sérieusement la possibilité d’une démilitarisation car, aussi longtemps que sera présente une importante force d’occupation turque à Chypre, le côté turc continuera à faire preuve d’un manque de volonté politique pour parvenir à une solution au problème de Chypre et les deux communautés ne cesseront de porter les armes et de vivre en ennemis potentiels.
Malgré l’opposition turque, l’Union européenne a accepté notre demande et a désigné un observateur afin de suivre les pourparlers. Nous sommes satisfaits que le mandat qui lui a été fixé ne se limite pas à informer l’Union européenne sur d’éventuels progrès à cet égard, et donc sur le côté auquel incomberait la responsabilité d’une absence de progrès, mais qu’il s’étende à l’examen de la compatibilité entre la solution débattue et l’acquis communautaire.
Je suis persuadé que la solution au problème de Chypre pourrait être vivement encouragée si les négociations en vue de l’adhésion de ce pays à l’Union européenne pouvaient débuter sans tarder.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée, les différences ethniques, les micronationalismes et les problèmes des minorités ont mis fin brutalement à l’euphorie suscitée par la fin de la guerre froide. Il semble à présent que, si nous n’agissons pas de façon immédiate et déterminée, les questions des minorités et de leurs droits ainsi que l’apparition de heurts sérieux entre les cultures ne cesseront d’être notre lot pour les décennies à venir. Chypre dispose de toutes les chances pour constituer un modèle de succès et une source d’espoirs dans notre recherche commune de solutions. Les problèmes des communautés ethniques ou autres ne sauraient être résolus à coups de partition et de séparation physique forcée, mais par la participation à des institutions démocratiques et par une protection constitutionnelle et judiciaire efficace. Chypre, au carrefour de continents et de civilisations, peut constituer un pont d’une importance vitale pour la communication et la compréhension, contribuant à mettre fin aux confrontations, à condition d’être elle-même débarrassée de ses faiblesses ou divisions.
Notre rêve est de résoudre le problème chypriote, non seulement parce que cela profitera aux deux communautés et au peuple de Chypre, quelles que soient leur langue, leur religion ou leur appartenance ethnique, mais également parce que nous souhaitons intégrer Chypre à l’Union européenne sous forme d’un Etat fondé sur les principes européens de démocratie, de liberté, de justice, de droits de l’homme et de respect de l’Etat de droit. (Applaudissements)
LE PRÉSIDENT (traduction)
Merci, Monsieur Clerides, de votre allocution enrichissante. Un grand nombre de collègues – beaucoup plus que d’habitude – ont souhaité vous poser des questions. Voilà qui m’oblige à leur demander à tous de respecter le Règlement et de formuler leurs questions avec la plus grande concision possible.
Pour permettre à tous les membres de notre Assemblée de poser une question, nous devons renoncer aux questions supplémentaires. Il est préférable de laisser chacun poser une question plutôt que de permettre à un collègue sur deux de poser deux questions. La parole est à M. Cox.
M. COX (Royaume-Uni) (traduction)
Compte tenu de ce que vous avez dit de la Turquie, il me paraît profondément regrettable que de nombreux délégués de la Turquie, pour ne pas dire tous, se soient abstenus de venir aujourd’hui écouter le Président de Chypre. Nos collègues ne peuvent à la fois prétendre vouloir le règlement du conflit et refuser d’entendre le Président de Chypre.
Dans vos larges commentaires, Monsieur Cierides, vous n’avez fait aucune allusion aux Etats-Unis d’Amérique. Si les mesures destinées à créer la confiance échouent une fois de plus, quel rôle les Etats-Unis devront-ils jouer pour favoriser le règlement du problème chypriote?
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Vous et moi, nous nous connaissons, Monsieur Cox, depuis bien des années, et notre expérience politique nous a appris à distinguer l’action que j’aimerais voir mener par les Etats-Unis et celle que les Etats-Unis vont vraisemblablement mener.
J’aimerais que les Etats-Unis considèrent la question de Chypre sous l’angle de l’invasion et de l’occupation prolongée. Il faudrait qu’ils exercent leur grande influence sur la Turquie pour obtenir le retrait de ses troupes de la République de Chypre et accepter mon offre de démilitarisation. Il n’est pas dit que les Etats-Unis soient prêts à agir dans ce sens.
M. RODRIGUES (Portugal)
Monsieur le Président, je veux tout d’abord exprimer ma joie d’entendre ici le témoignage du représentant d’un peuple qui mène une lutte si héroïque, laquelle symbolise pour l’humanité des valeurs éternelles.
Ma question est la suivante: l’augmentation du budget de la défense, à laquelle vous avez fait allusion, ne risque-t-elle pas de nuire aux négociations en vue de la restauration d’une république unifiée au sein d’un Etat qui soit, comme vous l’avez souligné vous-même, indépendant, fédéral et dit communautaire? Ne risque-t-elle pas de favoriser les thèses du partage de l’île entre la Grèce et la Turquie, ainsi que la division future de cette république?
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Je vous remercie de votre question. Dans ma lettre au Secrétaire général, j’ai reconnu – vous l’avez entendu – que la présence massive de forces turques dans le nord de l’île suscitait de vives inquiétudes dans la communauté chypriote grecque et que notre propre réarmement suscitait de vives inquiétudes dans la communauté chypriote turque.
En tant que Président de la République de Chypre, je manquerais à mon devoir si je ne prenais pas des mesures élémentaires pour protéger la partie libre de l’île. Je déclare ici dès maintenant que nous n’avons nullement l’intention d’attaquer, mais que nous avons la ferme intention de nous défendre.
La Turquie dispose à Chypre de 40 000 hommes, ainsi que d’un grand nombre de blindés et de chars. Ces troupes bénéficient d’un soutien aérien et naval. Les Turcs ont fait venir à Chypre assez de matériel lourd pour équiper deux autres divisions et peuvent acheminer par pont aérien 8 000 hommes par jour. Je n’ai ni aviation, ni marine. Je n’ai à ma disposition que 8 000 soldats pour garder 180 kilomètres de frontière. En procédant à une mobilisation, je pourrais mettre un contingent plus nombreux sur le terrain, mais il me faudrait du temps.
S’il est peu vraisemblable que nous attaquions les Turcs, la Turquie étant si proche, avec ses 65 millions d’habitants alors que nous n’en avons que 500 000, les Turcs, eux, peuvent nous attaquer. Je le répète, je manquerais à mon devoir si je ne prenais pas les mesures nécessaires – non pas pour gagner la bataille, mais pour gagner du temps au cas où nous serions attaqués.
C’est la raison pour laquelle j’ai proposé un désarmement général, à condition que la partie adverse fasse de même.
M. LAAKSO (Finlande), président du Groupe de la gauche unitaire européenne de notre Assemblée (traduction)
Monsieur le Président, comment faites-vous pour favoriser les contacts entre les deux communautés chypriotes? Il me semble que le meilleur moyen d’instaurer la confiance consiste à encourager les contacts entre les simples citoyens des deux communautés. Comment vous y prenez-vous?
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Je vous remercie de cette question. C’est précisément dans ce but que nous avons recherché les moyens de rapprocher les deux communautés en dépit de la ligne de démarcation militaire qui empêche de tels contacts. Lors de nos entretiens avec le Secrétaire général, il est apparu que nous avions besoin d’un lieu neutre où Grecs et Turcs puissent se rencontrer. A l’époque, Famagouste était une ville fantôme. Elle l’est encore. Le Secrétaire général s’est dit que si l’on confiait à l’ONU le soin d’administrer Famagouste et d’y faire la police, et si les habitants y revenaient, Turcs et Grecs pourraient s’y rencontrer librement et que les contacts que nous espérions s’établiraient ainsi. Ces contacts, qu’ils soient d’ordre commercial, amical ou culturel, auraient pu créer un climat différent à Chypre. Nous en avons admis le principe en mai dernier. Or, la partie turque a rejeté l’idée de mesures de confiance.
M. JASKIERNIA (Pologne) (traduction)
Monsieur le Président, le récent recours à la force en Bosnie-Herzégovine a suscité un vif intérêt à l’échelon international. Le Président Eltsine, critiquant cette décision, a regretté que la Russie n’ait pas été consultée. Que pensez-vous de cette affaire? Selon vous, un tel recours à la force doit-il relever de la seule décision de l’OTAN ou d’un plus large consensus international?
J’aimerais également connaître votre point de vue sur la tension entre la Grèce et la Macédoine. Comment voyez-vous la situation présente et à venir?
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Je vais d’abord répondre à votre seconde question. Vous m’avez demandé mon avis sur la tension entre la Grèce et l’Ex-République yougoslave de Macédoine qui faisait partie de l’ex-Yougoslavie. L’ex-Yougoslavie du Président Tito projetait d’établir une grande Macédoine, englobant la Macédoine grecque. Le gouvernement de Tito a fait paraître plusieurs ouvrages et diffuser divers tracts et brochures à cet effet.
A l’heure actuelle, la Constitution de Skopje fait référence à une grande Macédoine. Avant de laisser Skopje aller plus loin, il faudrait supprimer de sa Constitution toute référence de ce genre. Il faudrait ensuite ouvrir des négociations sur tous les autres points. Je ne veux pas analyser plus longuement ce problème. Toutefois, en tant que Grec, j’ai accompli une partie de mes études au Royaume-Uni. J’ai étudié notamment l’histoire de la Grèce antique. Or, on m’a appris en Angleterre qu’Alexandre le Grand et la Macédoine faisaient partie de la Grèce antique. Je suis trop vieux pour retourner à l’école et recevoir un autre enseignement.
M. JASKIERNIA (traduction)
Que répondez- vous à ma première question?
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Votre question concernait l’intervention des forces de l’OTAN en Bosnie. Le résultat de cette intervention reste à voir. Certes, je suis persuadé que si l’OTAN avait refusé l’aide sollicitée par les Nations Unies et qu’aucune mesure n’avait été prise, le crédit de l’ONU et de ses résolutions en aurait beaucoup pâti. Je doute cependant que les opérations réalisées facilitent une solution.
Sir Keith SPEED (Royaume-Uni) (traduction)
Monsieur le Président, votre prédécesseur, M. Vassiliou, m’a dit il y a quatre ans, dans cette Assemblée, qu’il admettait le principe de l’égalité politique entre les deux communautés de Chypre. Partagez-vous son avis? Vous est-il très difficile d’inclure l’aéroport de Varoscia-Nicosie dans les négociations en cours dans le cadre des mesures de confiance?
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Le Secrétaire général de l’ONU a défini l’égalité politique et nous avons accepté la définition qui figure dans son rapport. Il a clairement affirmé que l’égalité politique ne signifiait pas l’égalité de représentation, en ce sens qu’une communauté constituant 18% de la population ne saurait avoir la même représentation qu’une communauté qui en constitue 82%. Je n’ai aucune difficulté à ce sujet. Malgré mes divergences de vues avec M. Vassiliou, je l’ai publiquement approuvé d’avoir accepté cette définition de l’égalité politique.
Mme ERR (Luxembourg) (traduction)
Voici un an, l’Assemblée a adopté une recommandation sur la structure démographique de l’île. Pourriez-vous nous éclairer sur ce problème crucial de votre pays? Quelle aide le Conseil de l’Europe peut-il apporter, notamment par le biais de notre Assemblée, pour résoudre le problème ou favoriser la mise en œuvre de mesures de confiance?
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Je vais m’efforcer d’être bref. La structure politique devait passer de celle d’un Etat unifié à celle d’un Etat fédéral. L’accord conclu entre l’archevêque Makarios, alors Président de la République de Chypre, et l’actuel dirigeant de la communauté chypriote turque, M. Denktash, contenait les éléments suivants: tout d’abord, Chypre serait une république fédérale, indépendante, souveraine, bicommunautaire; ensuite, l’île comprendrait deux zones: celle du nord serait administrée par les Chypriotes turcs et celle du sud par les Chypriotes grecs. La délimitation de ces zones serait faite en fonction de la productivité, de la viabilité et des biens fonciers des deux communautés. Le gouvernement fédéral serait investi des pouvoirs nécessaires pour maintenir l’unité du pays. La liberté de mouvement, la liberté d’implantation et le respect de la propriété seraient inscrits dans la Constitution, mais Ton tiendrait compte de certaines difficultés de la communauté turque.
Depuis 1977, date du premier accord, toutes les négociations ont été conduites sur la base que je viens de décrire. L’accord a été réitéré par le Président Kyprianou, le Président Vassiliou et moi-même.
L’impossibilité de mettre en œuvre cet accord est due à trois facteurs. L’aspect territorial a eu son importance. L’ancien Secrétaire général – comme l’actuel – a proposé une définition de la zone devant être gérée par la communauté chypriote turque. Nous n’avons élevé que quelques objections à l’encontre de cette proposition; le côté turc l’a rejetée. Nous étions également en désaccord sur le droit conféré aux personnes déplacées de rentrer dans leurs foyers.
La question de l’adhésion de Chypre à la Communauté européenne divisait, elle aussi, les deux communautés. J’ai déjà fait état de notre position sur les mesures de confiance. Nous avons approuvé ces mesures en mai dernier, ainsi que les documents élaborés par le Secrétaire général pour leur mise en œuvre; l’autre partie ne l’a toujours pas fait.
M. ALEXANDER (Royaume-Uni) (traduction)
Ai-je raison de déduire de votre intéressante intervention et de vos dernières remarques que vous acceptez les mesures de confiance dans leur intégralité? Si tel est le cas, la population chypriote grecque ou la majorité d’entre elle les accepte-t-elle, elle aussi, intégralement?
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Vous avez raison de noter que j’accepte les mesures de confiance à savoir la compensation et le fait que la ville de Famagouste soit administrée par les Nations Unies, comme l’aéroport. J’accepte les documents élaborés par les représentants du Secrétaire général de l’ONU pour la mise en œuvre des mesures de confiance et je suis prêt à les signer dès que la partie turque y sera elle-même disposée. Quelle était votre troisième question?
M. ALEXANDER (traduction)
Elle concernait l’avis de la majorité de vos concitoyens.
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Je pense que la majorité de la population de Chypre approuve les mesures de confiance. Un récent sondage Gallup a montré que 67 % des Chypriotes étaient en faveur de ces mesures.
M. ESPERSEN (Danemark) (traduction)
Je crois que nous sommes nombreux à estimer que l’adhésion de Chypre à l’Union européenne stabiliserait la situation de votre pays tout en lui apportant des avantages économiques. C’est donc avec satisfaction que nous avons appris que, pour la Commission européenne, toutes les conditions structurelles et économiques sont remplies. Il est décevant de lire, dans le même rapport, qu’en raison d’une occupation illégale les négociations ne peuvent commencer. Il est curieux d’invoquer cette raison, après avoir relevé que vous remplissiez toutes les conditions. Quand les négociations pourront-elles réellement commencer? Si l’on ne parvient à aucune solution politique cette année, seront-elles néanmoins engagées? Selon vous, combien de temps vont-elles durer et combien de temps faudra-t-il à la République de Chypre pour devenir membre de l’Union européenne?
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Je pense que les négociations devraient commencer en janvier prochain. Il était précisé dans l’avis que la situation serait réexaminée en janvier 1995. On nous a également fait savoir que, si la situation évoluait, les négociations préalables à l’admission dans l’Union européenne commenceraient certainement en janvier et que, si l’absence de tout progrès était imputable non pas à la République de Chypre mais à la partie adverse, le fait serait pris en considération et n’empêcherait pas l’engagement des négociations.
On nous a tout aussi clairement annoncé que l’admission de Malte et de Chypre interviendrait après 1996; toutefois, le fait de savoir que nous sommes sur le point d’entrer dans l’Union européenne ferait sensiblement avancer la solution des problèmes de Chypre. Il dissiperait les angoisses de part et d’autre: les Chypriotes grecs seraient rassérénés de constater que la Turquie n’a pas de visée expansionniste sur Chypre et les Chypriotes turcs rassurés de voir que la majorité de file n’a pas l’intention d’annihiler la communauté turque ou de faire de ses membres des citoyens de troisième zone.
Mme HALONEN (Finlande) (traduction)
J’ai déjà reçu presque toute la réponse à ma question, puisque je souhaitais moi aussi vous interroger sur l’importance que revêt l’intégration européenne pour votre pays. Le seul aspect de ma question qui soit encore sans réponse concerne les incidences que pourrait, selon vous, avoir l’adhésion à l’Union européenne sur l’économie de votre pays.
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Les avantages économiques de l’adhésion de Chypre ne seront peut-être pas très grands au début, mais ils augmenteront certainement avec le temps. Nous sommes un minuscule Etat et la Communauté européenne est immense. Il sera facile d’y trouver un débouché pour nos exportations.
M. LOPEZ HENARES (Espagne) (interprétation)
considère que l’absence d’une solution au problème chypriote représente un échec pour l’Union européenne, qui s’est contentée d’envoyer un observateur. Il demande à M. Clerides s’il n’estime pas que la médiation devrait être européanisée, sous le parrainage des Nations Unies bien évidemment.
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Bien sûr, nous serions ravis qu’un médiateur européen s’attache à la solution du problème de Chypre, mais c’est impossible tant que le Conseil de sécurité de T ONU laisse le Secrétaire général user de ses bons offices pour résoudre ce problème. Je ne puis solliciter une telle médiation sans mettre fin aux bons offices du Secrétaire général. Or, ce n’est pas nous, c’est le Conseil de sécurité qui donne pouvoir au Secrétaire général. La question doit être réglée entre l’Union européenne et le Secrétaire général.
M. CUCO (Espagne)
Je tiens tout d’abord à saluer M. le Président de la République de Chypre, que j’ai eu l’occasion de rencontrer personnellement à Nicosie, lors de la rédaction de mon rapport sur la démographie de l’île.
Je voudrais vous interroger, Monsieur le Président, sur l’évolution des données démographiques à Chypre au cours des dernières années, compte tenu notamment de l’arrivée des colons venus d’Anatolie.
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Jusqu’à une date récente, la croissance des populations autochtones de Chypre, qu’il s’agisse de Chypriotes grecs ou de Chypriotes turcs, était sensiblement la même. Or, il faut reconnaître que les immigrants venus de Turquie connaissent une croissance démographique différente. Ils ont l’habitude d’avoir de nombreux enfants et ne se soucient guère de savoir ce qu’ils en feront, quelle éducation ils leur donneront et comment ils les établiront. On a donc observé dans le nord une expansion démographique qui modifie les données.
M. ROKOFYLLOS (Grèce)
Nous avons tous apprécié, me semble-t-il, Monsieur le Président de la République de Chypre, la sincérité de votre engagement européen et de vos convictions européennes. C’est justement sur la base de celles-ci que je vous pose cette question: à votre avis, qu’est-ce que le Conseil de l’Europe pourrait faire, ou ne pas omettre, afin que le vieil adage anachronique beati possidentes ne triomphe encore une fois et que l’abominable pratique de la purification ethnique, dont vous avez parlé, ne se trouve consacrée?
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Le Conseil de l’Europe pourrait jouer un rôle dans des domaines précis. Le premier de ces domaines est celui de la militarisation du territoire de la république. Le Conseil devrait user de toute son influence. Je ne dis pas qu’il devrait ignorer les inquiétudes des Chypriotes turcs quant à leur sécurité. Mes propositions en tiennent compte puisque j’ai suggéré un net accroissement de la force internationale, que nous devrions d’ailleurs être prêts à financer. Les Chypriotes turcs pourraient ainsi se sentir en sécurité.
Le Conseil de l’Europe pourrait jouer un rôle important dans un second domaine: en soutenant l’idée du droit des réfugiés à rentrer dans leurs foyers. Ainsi pourrait-on éviter la purification ethnique.
Nous avons assisté à une colonisation par l’immigration de populations d’un autre pays. Cette pratique est inadmissible. Le Conseil de l’Europe devrait une fois de plus user de son influence pour persuader la partie turque qu’elle n’a aucune chance d’être reconnue comme Etat séparé et que la meilleure solution pour elle est de renvoyer les immigrants là d’où ils viennent.
M. SZYMANSKI (Pologne) (traduction)
Que pense la République de Chypre du partenariat pour la paix? Un nouvel encouragement serait bon pour l’initiative polonaise. Quelle est l’attitude officielle de votre république, Monsieur Clerides, vis-à-vis du partenariat pour la paix?
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Naturellement, nous soutenons la théorie qui sous-tend le partenariat pour la paix et nous sommes prêts à participer à sa mise en pratique. Nous pensons que l’Europe unie devrait étendre son action à des zones qui relevaient auparavant du Pacte de Varsovie. Nous pensons aussi que la Russie doit participer au partenariat pour la paix.
M. PAVLIDES (Grèce) (traduction)
En tant que membre de l’Assemblée et surtout de la commission des migrations, des réfugiés et de la démographie, j’attache une grande importance à l’allusion que vous avez faite, Monsieur Clerides, aux réfugiés grecs qui sont, comme vous l’avez dit, réfugiés dans leur propre pays. A ce propos, la tragédie des personnes disparues à la suite de l’invasion turque de 1975 demeure. A-t-on avancé dans la recherche d’une solution à ce problème singulier pour le Conseil de l’Europe? Quelles mesures sont prises pour tenter de mettre un terme à ce drame qui va entrer dans sa vingtième année?
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
J’ai soigneusement évité d’aborder ce sujet dans mon allocution, si ce n’est pour signaler le nombre de personnes disparues, car je considère qu’il est d’ordre humanitaire. Je ne voulais pas en faire état dans le cadre d’une solution politique au problème de Chypre, de peur d’être soupçonné de vouloir exploiter politiquement un problème humanitaire. Toutefois, puisque vous avez posé la question, laissez-moi vous répondre ceci: ce problème dure depuis vingt ans et les proches parents des personnes disparues ont beaucoup souffert; la situation a également entamé la confiance mutuelle des deux communautés.
Il existe plusieurs catégories de personnes disparues. Ainsi, on possède des informations irréfutables prouvant que certaines personnes ont été déportées en Turquie par les forces turques et n’en sont jamais revenues: aucune explication n’a été donnée sur ce qui est arrivé à ces personnes et sur la raison pour laquelle elles se trouvaient en Turquie. On sait de source sûre que certaines personnes arrêtées par des groupes armés de Chypriotes turcs ou par l’armée turque n’ont jamais atteint la région où les forces turques détenaient des Chypriotes grecs. On possède enfin des informations irréfutables prouvant que des personnes ayant séjourné dans ces zones de concentration en ont été évacuées, mais n’ont plus reparu. Tant que la Turquie se refusera à fournir des explications, le problème restera entier.
Un certain nombre de Chypriotes turcs ont également disparu. Il est clair que, durant ces journées tragiques, des éléments incontrôlés des deux communautés ont commis des atrocités. Chypriotes turcs et grecs devraient s’interroger mutuellement à propos de cette catégorie de disparus: j’ai suggéré que les deux parties consentent à procéder à des exhumations, car je pense que des personnes ont été exécutées de part et d’autre, et qu’il est indispensable de passer l’éponge. La réponse, donc, ne peut venir que de la Turquie.
M. FRANCK (Suède) (traduction)
Vous avez évoqué ma question dans votre dernière réponse. Puis-je vous demander, toutefois, ce que les organisations internationales telles que la Croix-Rouge et même le Conseil de l’Europe peuvent faire pour aider à retrouver les disparus, savoir s’ils sont en vie et où ils habitent ou se cachent.
M. Clerides, Président de la République de Chypre (traduction)
Je serai bref. Il faudrait, à mon avis, instituer une commission internationale d’enquête et lui communiquer tous les dossiers et toutes les preuves, avec mission d’inviter la Turquie à fournir des explications.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Voilà qui met fin aux questions que nos collègues souhaitaient vous poser, Monsieur Clerides. Au nom de l’Assemblée, je vous remercie vivement de vos commentaires: je suis sûr qu’ils ont clarifié notre perception de la situation à Chypre et renforcé notre volonté de mener une action politique conforme aux principes du Conseil de l’Europe et aussi efficace que possible sur la voie du règlement du conflit, qui soit dans l’intérêt bien compris de nos peuples et de notre institution, dont le crédit a aussi été ébranlé, ainsi qu’en témoignent les nouveaux Etats candidats à l’adhésion. Nous gardons dans notre cœur les drames qui ont été évoqués.