Janez
Drnovšek
Premier ministre de Slovénie
Discours prononcé devant l'Assemblée
mardi, 6 octobre 1992
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, j’ai le grand honneur et le plaisir de vous présenter aujourd’hui la Slovénie, un nouvel Etat indépendant et souverain, et de pouvoir reconfirmer et expliquer la candidature de la Slovénie à une adhésion à votre Organisation. Le Conseil de l’Europe a toujours représenté pour la Slovénie une union de pays démocratiques qui ont choisi les mêmes règles de démocratie, de protection des droits de l’homme, de respect mutuel et de communication à un très haut niveau culturel. L’admission au sein du Conseil de l’Europe représente pour la Slovénie la réalisation de nos aspirations éternelles et sera pour nous une confirmation de ce que notre pays est devenu un membre égal de la famille européenne des Etats démocratiques.
C’est par un étrange hasard de la vie que c’est moi qui présente aujourd’hui, pour la deuxième fois, la candidature de la Slovénie à devenir membre de votre institution. Il est pourtant plus probable qu’il ne s’agit pas d’un hasard, mais de l’expression d’un grand désir et d’une détermination résolue d’atteindre ce but.
J’ai présenté notre candidature pour la première fois dans le cadre de notre ancien Etat commun – la Yougoslavie – le 7 mai 1990. Quand j’ai posé ma candidature, un an auparavant, aux premières élections libres et au suffrage universel pour être membre Slovène de la Présidence yougoslave d’alors, je me suis présenté avec un programme qu’on pourrait résumer en trois points, intégration à l’Europe, démocratie, économie de marché. Les Slovènes ont appuyé une telle orientation avec un grand enthousiasme, par une participation aux élections en grand nombre et par une grande majorité des voix. Cela prouve que les Slovènes, en tant que nation, ont toujours demandé la souveraineté, mais que nous n’étions pas séparatistes à tout prix. Nous avons, à ce moment-là, essayé, pour la dernière fois, d’atteindre nos buts, de faire valoir notre mode de vie, notre conception de la démocratie, notre appartenance à la tradition et à la culture européennes. C’était notre dernier essai pour transformer l’ancien Etat multinational d’une manière démocratique. Cet Etat reposait dans une large mesure sur le système du parti unique, si bien que cet Etat est resté une unité pendant plusieurs dizaines d’années, malgré le fait que c’était une création assez artificielle.
Quand je suis allé à Belgrade en mai 1989 pour assumer cette fonction délicate, portant ce message de la part du peuple Slovène, je me suis senti bien mal à l’aise. Les premiers signes du printemps à venir dans l’Europe de l’Est et dans l’Europe centrale se faisaient déjà sentir. Mais le mur de Berlin était toujours là. Le Pacte de Varsovie était encore ferme. Le bloc socialiste entier avait déjà subi quelques provocations intérieures dans certains pays, mais il a toujours fonctionné d’une manière résolue, puissante et effrayante. En Yougoslavie, des voix démocratiques se sont fait entendre dans les républiques du Nord-Ouest, mais dans le Sud et dans l’Est, la situation était sombre, effrayante, sinistre. Le nationalisme serbe militant, fermement lié à l’ancienne structure du parti communiste et militaire a provoqué de grands désordres dans la province autonome du Kosovo à cause du refus du droit à l’autonomie pour les Albanais. L’état d’urgence y avait déjà été introduit, il y avait de nombreuses violations des droits de l’homme. Au Monténégro et en Vojvodine, le régime serbe d’alors a pris le pouvoir par des révolutions sous forme de «meetings». Des mouvements de plus en plus différents et des demandes contraires à celles du nord-ouest du pays se sont fait valoir.
Quand je suis arrivé à Belgrade, dans une telle atmosphère, comme représentant de la Slovénie, j’ai d’un côté essayé de faire valoir les idées et les propositions Slovènes et d’un autre côté essayé d’empêcher la tragédie menaçante, le danger, de plus en plus évident, d’une guerre civile horrible. Pendant quelque temps, il semblait que nous ayons réussi, peut-être grâce à de grands efforts et à l’assistance généreuse de la communauté internationale. Ici, je voudrais surtout souligner l’assistance du Conseil de l’Europe, de ses Représentants, et, avant tout, de Mme Lalumière et du Président de l’Assemblée. Après de graves tensions, nous avons réussi à abolir l’état d’urgence au Kosovo, à libérer les prisonniers politiques et nous avons essayé d’établir un dialogue politique entre les Serbes et les Albanais. Ce fut durant cette année que la Slovénie a résolument exprimé sa demande pour la reconnaissance de sa souveraineté et pour un chemin différent si ses exigences et ses conceptions de la vie démocratique et de la souveraineté des peuples n’étaient pas réalisées.
En Slovénie et en Croatie, les premières élections pluralistes ont été organisées au printemps de l’année 1989, malgré le bruit des armes et des menaces de plus en plus évidentes des généraux. Nous avons également commencé à transformer notre économie en une économie de marché. Quand j’ai présenté la candidature de la Yougoslavie d’alors à l’adhésion au Conseil de l’Europe, j’ai en fait transmis les demandes Slovènes dans la fédération de cette époque. Il y eut un certain progrès démocratique, et, en ce temps-là, il semblait que peut-être la transformation vers la démocratie avait aboutie.
C’était vous, chers députés, qui avez, dans cette Assemblée, salué bien chaleureusement nos résultats de l’époque, ainsi que notre orientation. Les événements, pourtant, n’ont pas justifié nos espérances, pleines d’optimisme. A cette époque, le gouvernail de l’Etat a été pris par la Serbie. De nouvelles pressions, de nouvelles aggravations en ont résulté. On nous a imposé des idées différentes. On nous a menacés en affirmant que nous pouvions vivre seulement dans un pays organisé selon les principes acceptables pour la nation la plus forte. Nos propositions raisonnables, notamment de rendre possible la vie commune dans une sorte de confédération plus souple, n’ont pas trouvé de réponse positive. Ce fut dans cette atmosphère qu’en décembre 1990 la Slovénie a fixé la date du plébiscite sur la souveraineté et l’indépendance. Les Slovènes se sont prononcés pour l’indépendance à une large majorité des voix. Nous désirions l’atteindre d’une manière pacifique, par des négociations permettant de régler de nombreux problèmes relationnels du passé.
Pourtant, notre offre n’a pas été acceptée. Six mois après, le 25 juin 1991, quand la Slovénie a proclamé l’indépendance, une intervention militaire en a résulté. L’armée yougoslave est intervenue en Slovénie et, à notre avis, c’était un coup décisif et tragique dans le déroulement de la crise yougoslave. Des négociations et des essais pour une solution pacifique à cette situation compliquée, on en est arrivé à une solution militaire pour résoudre les problèmes – l’emploi de la force.
Pourquoi? Les hommes politiques serbes qui étaient décisionnaires dans l’armée yougoslave ont estimé, en certains points, qu’ils obtiendraient davantage par la force que par les négociations et un dialogue démocratique. Ils ont supposé que militairement ils étaient plus forts puisqu’ils disposaient d’une armée entière et de ses armements, et qu’ils allaient aisément faire valoir cette priorité. Ils ont également pensé que le public international ne s’y opposerait pas trop résolument, car ils se présenteraient au nom de l’intégrité territoriale et de la conservation de l’ancien Etat commun, ce qui devrait être soutenu, selon les estimations d’alors, par le monde entier.
Cependant, ils n’ont pas atteint leur but avec l’intervention militaire en Slovénie. La Slovénie s’est défendue avec succès pendant cette guerre de dix jours et l’armée yougoslave a subi un revers. Un armistice a été établi grâce aussi aux efforts de la Communauté européenne, de l’Europe et du Conseil de l’Europe. Aujourd’hui encore, je me souviens des conversations avec Mme Lalumière, lorsque la Slovénie a été attaquée, lors des combats. Son appui et ensuite l’appui de l’Assemblée entière du Conseil de l’Europe ont représenté pour nous un grand soutien moral, une lueur d’espoir que la situation dans laquelle nous nous trouvions se résoudrait favorablement. La défense militaire efficace de la Slovénie, grâce aux efforts diplomatiques internationaux, a conduit tout d’abord à l’armistice et ensuite à l’accord sur une retraite complète de l’armée yougoslave du territoire Slovène.
La Slovénie a accepté, lors de l’armistice de Brioni, le 7 juillet 1991, un moratoire de trois mois pour son indépendance. Suivant l’accord conclu à Belgrade le 18 juillet, l’armée yougoslave a commencé à se retirer de la Slovénie et l’opération s’est achevée au bout de trois mois. La Slovénie est devenue ainsi un pays complètement souverain sur son territoire et avait entièrement le droit de demander la reconnaissance internationale d’une telle souveraineté. Cette reconnaissance nous a été accordée en janvier de cette année, tout d’abord par l’Europe qui a de nouveau satisfait à nos espérances; ensuite, ce sont les autres pays, jusqu’au 22 mai dernier, quand la Slovénie est devenue membre de l’Organisation des Nations Unies.
Cet événement a eu lieu à peu près deux ans après les élections parlementaires pluralistes en Slovénie. Pendant ce temps-là, le Parlement Slovène, dans le cadre duquel dix partis politiques exerçaient leurs activités, a accompli sa tâche d’une manière responsable et performante, et ce dans des circonstances assez compliquées et bien des fois tout à fait imprévues. Le processus d’indépendance et de séparation avec l’ancien Etat a été très correctement réalisé du point de vue juridique, selon toutes les procédures prévues par la Constitution et conformément à tous les actes légaux nécessaires, dans les délais nécessaires. Même les situations les plus critiques n’ont pas empêché la Slovénie de poursuivre ses activités et de prendre des décisions démocratiques. Une nouvelle Constitution a été adoptée, ainsi que de nombreuses lois qui règlent tous les domaines de la vie dans le nouvel Etat. Reste à régler les procédures de succession, auxquelles la Slovénie prend une part active dans le cadre de la Conférence de Genève sur la Yougoslavie. La Slovénie est prête à engager le processus de la division des biens et des obligations hérités de l’ancien Etat commun d’une manière correcte et juste.
La Slovénie a adopté de nombreuses lois importantes, y compris les lois électorales, récemment adoptées par le Parlement Slovène, sur la base desquelles, la date des élections, à la fin de cette année, a déjà été fixée. Par ces élections, le processus de la transformation démocratique dans toutes les institutions d’Etat, conformément à la nouvelle Constitution Slovène, sera arrivé à son terme et une nouvelle structure parlementaire sera établie. La loi sur la dénaturalisation a également été adoptée, le processus de privatisation est en train d’être réalisé. Une nouvelle loi universelle sur la privatisation est en débat détaillé au Parlement depuis quelque temps; c’est cette loi qui promouvra ce processus exigeant de la transformation de l’ancienne propriété publique et permettra de l’achever. Nous sommes sûrs que notre nouvelle Constitution et toute la législation basée sur elle a été adaptée au maximum aux standards européens, aux règles du jeu européennes.
La Slovénie a toujours été la république de l’ancienne Yougoslavie la plus développée économiquement, étant toujours orientée vers un échange international avec les pays développés. Par conséquent, elle était toujours ouverte au monde par de nombreuses liaisons internationales, grâce à la connaissance des chefs d’entreprise Slovènes et des experts en général des conditions exigeantes du marché dans les pays développés d’Europe et d’ailleurs. Cela permet à la Slovénie de se conformer plus facilement aux nouvelles conditions économiques. Le caractère travailleur du peuple Slovène, sa tradition économique compétitive, la confiance dans ses propres forces et des cadres performants sont des éléments qui permettront à la Slovénie un passage relativement rapide des restes de l’ancien système économique à une économie de marché développée.
Les difficultés ne sont pourtant pas des moindres. La Slovénie a perdu brusquement des marchés importants dans les anciennes républiques yougoslaves. Par conséquent, le produit intérieur brut a diminué de 15% en un an. Si nous y ajoutons encore les dommages de guerre subis par la Slovénie, ainsi que l’incertitude à cause de la dissolution de l’ancien Etat et les événements dramatiques qui se déroulent tout près de la Slovénie, il devient clair que l’économie Slovène a dû faire et doit faire des exploits afin de compenser tous ces facteurs qui sont au détriment de son économie.
Le produit national brut Slovène par habitant était de l’ordre de plus de 8 000 dollars il y a quelques années, il s’élève aujourd’hui à environ 6 000 dollars, ce qui est toujours assez élevé si on le compare avec d’autres pays en transition. La Slovénie fait d’immenses efforts afin de stabiliser les mouvements économiques, de restructurer l’économie, ce qui servirait de base pour un nouveau développement et une nouvelle croissance économique.
En octobre dernier, à l’expiration du moratoire, la Slovénie a introduit sa propre monnaie. Le tolar Slovène a été introduit à une époque très turbulente et, au départ, l’inflation mensuelle atteignait 21 %. Par une politique économique conséquente, y compris une politique monétaire résolue, le Gouvernement Slovène et la Banque centrale de Yougoslavie ont réussi à faire baisser l’inflation mensuelle à environ 2 % dans le dernier trimestre, en espérant une nouvelle baisse. Nous sommes fermement résolus à assurer les conditions nécessaires pour que notre monnaie devienne stable et convertible.
Une complète convertibilité du tolar Slovène a déjà été atteinte et son cours se détermine tout à fait librement sur le marché. La Slovénie a réussi à constituer des réserves de changes d’un montant de plus d’un milliard de dollars en commençant pratiquement à zéro, car les réserves de changes Slovènes sont restées à la Banque centrale de Yougoslavie à Belgrade.
La Slovénie est aussi un pays exportateur actif et le solde de sa balance des paiements est constamment positif. Le commerce extérieur a déjà été considérablement libéralisé, ce qui reste notre objectif pour le futur également. La Slovénie s’est bien intégrée dans le marché européen, car deux tiers des échanges commerciaux sont réalisés avec la Communauté européenne. Pour le moment, notre première préoccupation est d’achever le procédé d’intégration dans les institutions financières internationales, surtout à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international. Nous sommes en cours de négociation avec la Communauté économique européenne afin de conclure un accord sur le commerce et la coopération. Nous espérons que cet accord sera conclu et ratifié d’ici à la fin de l’année. Le processus d’indépendance de la Slovénie s’achève par tous ces procédés également sur le plan économique et financier. En Slovénie, les mêmes règles sont en vigueur ou bien entreront bientôt en vigueur pour tous les entrepreneurs et investisseurs, comme partout dans le monde développé.
Monsieur le Président, chers députés, je suis d’avis que la Slovénie atteint les standards européens dans d’autres domaines aussi. La collaboration culturelle avec l’Europe et le monde est bien développée, la Slovénie suivant et faisant aussi partie de la tradition culturelle européenne.
Comme le problème des nationalités et des minorités est extrêmement compliqué sur le territoire de l’ancienne Yougoslavie, il faut mettre à part le cas de la Slovénie et souligner que, chez nous, ces problèmes n’existent pas. Il est vrai qu’il y a des communautés italienne et hongroise en Slovénie et nous sommes sûrs que notre réglementation concernant les minorités peut servir de modèle à bien des pays.
La protection des droits de l’homme a été intégrée dans toutes les institutions de l’Etat et nous sommes prêts à accepter tous les critères et mécanismes que le Conseil de l’Europe a développés dans le domaine de la protection des droits de l’homme.
Enfin, permettez-moi de mentionner quelques points en rapport avec l’ancien Etat yougoslave. La Slovénie fait l’effort, en plus de trouver une solution aux questions de succession de l’ancien Etat, de participer activement à la résolution de la crise et de mettre fin à la guerre sur l’ancien territoire yougoslave. Nous prenons une part active dans tous les efforts internationaux afin de trouver des solutions politiques, nous nous appliquons à trouver une solution pacifique, car nous désirons fortement que la paix soit restaurée dans cette partie d’Europe. Nous sommes très affectés par la situation des réfugiés de la Bosnie-Herzégovine, dont le nombre environne déjà 72 000. Cela signifie plus de 3 % de la population Slovène; nous sommes à la limite de nos possibilités pour accueillir et entretenir les réfugiés venant des régions ravagées par la guerre. Malgré nos propres difficultés économiques, nous avons fait de grands efforts et avons beaucoup investi matériellement afin de résoudre ce problème. Nous sommes d’avis que la communauté internationale devrait répartir la charge des réfugiés plus uniformément et prendre part à la résolution de ce problème.
La Slovénie est beaucoup trop petite pour supporter presque seule la charge des réfugiés dans le futur, surtout si la guerre en Bosnie-Herzégovine continue et si de nouvelles vagues de réfugiés cherchent un port de salut dans notre pays.
Monsieur le Président, chers députés, permettez- moi d’exprimer ma profonde conviction que la Slovénie satisfait à tous les critères pour l’admission au Conseil de l’Europe et qu’elle est disposée à respecter toutes ses conventions. En cela j’exprime le profond intérêt et les espérances de tous les Slovènes qu’enfin la Slovénie sera admise au Conseil de l’Europe comme membre à part entière et que ce sera de cette manière que le processus non pas d’admission de la Slovénie dans l’Europe, mais du retour de la Slovénie en Europe arrivera à son terme. En somme, nous retournons là où nous étions depuis toujours, par notre mode de vie, par nos habitudes et par notre manière de penser.
Je voudrais vous remercier encore une fois pour le soutien moral et politique que votre Organisation a témoigné aux Slovènes, que vous, Monsieur le Président et vous, Madame le Secrétaire Général, ainsi que tous les députés et tous les pays membres du Conseil de l’Europe avez témoigné dans le processus d’indépendance de la Slovénie, dans le processus de la reconnaissance internationale, surtout aux moments les plus critiques, quand nous avons tout de même réussi à nous sauver de l’enfer de cette effrayante guerre civile. J’espère que les autres Etats qui se sont formés sur ce territoire auront bientôt les mêmes chances pour que nous puissions tous unir nos efforts afin de consolider la paix, la démocratie et assurer une vie réussie à chaque individu.
M. LE PRÉSIDENT
Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de tout cœur de votre exposé empreint de bon sens et de raison, qui correspond à l’image que nous nous faisions de vous-même et surtout de votre peuple. Votre exposé a vivement intéressé les membres de notre Assemblée.
Mesdames, Messieurs, M. Drnovsek a indiqué qu’il était prêt à répondre à des questions spontanées des membres de l’Assemblée, ce dont je le remercie. Je vous rappelle que celles-ci, comme les questions supplémentaires, ne doivent pas dépasser trente secondes. La parole est à M. König, pour poser la première question.
M. KÖNIG (Autriche) (traduction)
Etes-vous prêt à donner la priorité au projet d’autoroute entre l’Autriche et Zagreb, via la Slovénie, comme cela avait été précédemment prévu, pour permettre le passage nécessaire des moyens de transports publics et des automobiles?
M. Drnovšek, Premier ministre de Slovénie (traduction)
La Slovénie souhaite construire la nouvelle autoroute prévue afin que la traversée du pays puisse se faire dans des conditions confortables. Notre priorité est d’achever les autoroutes de Trieste à Lendava, et de là vers la Hongrie, et de l’Ouest vers l’Est. L’autoroute que vous avez mentionnée fait partie de nos priorités. Elle reliera Maribor à Zagreb et constituera une importante voie de passage dans la région.
Notre Gouvernement a pris les décisions voulues, et ce projet particulier est actuellement examiné par le Parlement slovène qui, selon notre législation, doit donner son accord. Cet accord obtenu, nous espérons démarrer les travaux de construction rapidement.
M. KONIG (traduction)
Monsieur le Premier ministre, le peuple autrichien a soutenu votre pays et la Croatie, lorsqu’ils ont été envahis, en leur apportant une aide sur les plans humanitaire et politique, et nous déplorons qu’en raison du report de ce projet, des tensions soient apparues entre votre pays et la Croatie. Il est dans l’intérêt de l’Autriche que ses voisins du Sud coopèrent au lieu de s’affronter sur des problèmes techniques qui pourront être réglés grâce à l’instauration d’un système de péage. Je demande à votre Gouvernement de reconsidérer son attitude et d’en revenir au projet convenu initialement.
M. Drnovšek, Premier ministre de Slovénie (traduction)
Je suis persuadé que ce projet sert les intérêts de l’Autriche, de la Croatie et de la Slovénie et je suis heureux que vous ayez posé la question. Je suis persuadé que vos observations contribueront à améliorer l’atmosphère au Parlement slovène, qui pourra ainsi prendre des décisions rapidement. Le Gouvernement pourra alors lancer les travaux de construction.
Sir Russell JOHNSTON (Royaume-Uni) (traduction)
Le Premier ministre approuve-t-il les propos tenus samedi devant notre Assemblée par Lord Owen, selon lesquels aucune proposition concernant l’indépendance du Kosovo ne peut être examinée dans le cadre d’un règlement d’ensemble des problèmes que connaît l’ex-Yougoslavie?
M. Drnovšek, Premier ministre de Slovénie (traduction)
Nous pensons, nous Slovènes, que la question du Kosovo revêt une grande importance. C’est là que la crise yougoslave a débuté et la situation a empiré en raison de la répression, notamment par l’usage de la force. Nous ne pouvons nous contenter d’attendre des temps meilleurs. La crise peut éclater là-bas à tout moment.
Ce problème devra être traité dans le cadre d’un règlement global de la question yougoslave. Les mêmes droits démocratiques que ceux dont jouissent les autres minorités de la région devront être accordés aux Albanais du Kosovo. La province devra retrouver son autonomie, qui lui a été enlevée. La décision devra être prise de façon démocratique, de sorte qu’elle soit acceptable pour les Albanais comme pour les autres groupes nationaux.
Sir Russell JOHNSTON (traduction)
Je remercie le Premier ministre pour sa réponse. Convient-il que les élections officieuses organisées au Kosovo le 24 mai se sont déroulées de façon régulière et ne pense-t-il pas que ce serait mal récompenser la politique pacifique suivie par le Dr Rogova si le choix de l’autodétermination était exclu?
M. Drnovšek, Premier ministre de Slovénie (traduction)
L’expérience nous a appris que si nous ne tenons pas compte du problème du Kosovo, celui-ci aura tôt fait de nous rappeler la nécessité de prendre des mesures politiques. Je reconnais que nous devons tenir compte des choix démocratiques faits au Kosovo, notamment dans les négociations de Genève sur la Yougoslavie.
M. HORCSIK (Hongrie) (traduction)
En tant que rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, j’aimerais poser la question qui suit. Ayant étudié la situation en ce qui concerne les droits de l’homme dans votre pays au cours des derniers mois, je pense qu’après une terrible guerre votre pays demeure l’un des meilleurs exemples en Europe centrale et orientale de ce qu’il est convenu d’appeler une Suisse d’Europe de l’Est, où différentes minorités vivent ensemble de façon pacifique. Juste après que la Slovénie est devenue un Etat européen indépendant, comment sa nouvelle Constitution, adoptée il y a quelques mois seulement comme vous l’avez rappelé, et votre législation garantissent-elles les droits des minorités en Slovénie? Quel type de garantie votre Parlement et vos lois offrent-ils aux minorités?
M. Drnovšek, Premier ministre de Slovénie (traduction)
Notre Constitution et notre législation prévoient des dispositions particulières pour les minorités. Les minorités italienne et hongroise peuvent participer aux décisions à tous les niveaux, de l’échelon local jusqu’au Parlement. Chaque minorité dispose d’un siège au Parlement, sans qu’il soit tenu compte du parti qu’elle représente. Toutes les garanties ont été données aux minorités et aucune question ne peut être tranchée sans leur assentiment. Il existe également des dispositions particulières dans le système éducatif, et dans d’autres domaines publics, pour préserver les langues des minorités, et je pense que celles-ci sont satisfaisantes. Nous ne prévoyons aucune difficulté et nous estimons que tout a été prévu dans notre Constitution ou dans notre législation à cet égard.
M. Friedrich PROBST (Autriche) (traduction)
Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, pour votre excellente intervention. Nous partageons votre optimisme, notamment nos compatriotes de Styrie, ou Stajerska dans votre langue, qui entretiennent des liens particuliers avec la Slovénie. La Slovénie est tributaire dans une large mesure des échanges bilatéraux. Toutefois, l’un des moyens les plus efficaces d’arrêter la guerre en Bosnie-Herzégovine est d’appliquer des sanctions contre la Serbie. Comment la Slovénie résout-elle ce problème?
M. Drnovšek, Premier ministre de Slovénie (traduction)
La Slovénie a connu de graves difficultés économiques immédiatement après le court conflit qui s’est déroulé sur notre sol, au cours duquel nous avons perdu de nombreux marchés, et notre économie a dû s’adapter aux nouvelles conditions. Nous observons bien entendu l’embargo décrété par les Nations Unies contre la Serbie et nous continuerons de l’observer. Nous nous efforçons de compenser ces difficultés économiques en passant de nouveaux accords bilatéraux et en exportant vers d’autres pays. Nos exportations vers les pays développés s’améliorent et l’Autriche constitue certainement l’un des principaux débouchés de la Slovénie.
M. Friedrich PROBST (traduction)
Un certain nombre de propositions ont été émises pour mettre fin au terrible conflit déclenché par les terroristes serbes. Comment peut-on mettre fin au bain de sang? Les solutions proposées sont notamment des bombardements ciblés, le renforcement des sanctions et la levée de l’embargo sur les armes imposé à la Bosnie-Herzégovine et à la Croatie.
M. Drnovšek, Premier ministre de Slovénie (traduction)
Il n’existe pas de solution évidente pour mettre un terme à la crise en Bosnie-Herzégovine, mais nous estimons que l’action de la communauté internationale devrait être plus déterminée. L’acceptation du fait accompli serait extrêmement dangereuse. Il est certain que les messages adressés par la communauté internationale à la Serbie pour lui demander de mettre fin à son agression n’ont pas été assez clairs. La proposition faite par les Nations Unies de surveiller l’espace aérien devrait être appliquée immédiatement et des efforts humanitaires accrus, sous la protection des forces des Nations Unies, devraient être consentis. La Slovénie a également suggéré en diverses occasions que des zones spéciales, protégées elles aussi par les forces de l’ONU, où les populations pourraient continuer de vivre et où les réfugiés pourraient revenir, soient créées en Bosnie-Herzégovine. Avec l’arrivée de l’hiver, nous nous inquiétons d’une augmentation du nombre des réfugiés. Plus la communauté internationale met de temps à agir de façon résolue, et plus la crise sera difficile à régler. Si des mesures fermes avaient été prises il y a six mois, il serait plus aisé d’espérer un règlement aujourd’hui. Dans six mois, il sera plus difficile encore de parvenir à une solution et d’espérer que les peuples de Bosnie-Herzégovine puissent vivre en paix après tant de massacres. Des mesures doivent être adoptées dès maintenant pour renforcer les initiatives déjà prises, parallèlement aux tentatives de règlement politique.
M. IWINSKI (Pologne) (traduction)
M. le Premier ministre a parlé d’un renforcement de la coopération politique et économique entre la Slovénie et les pays d’Europe de l’Ouest. Je souhaiterais connaître son point de vue sur les tentatives de rapprochement régionales en Europe centrale et orientale. Que pense M. le Premier ministre du triangle de Vishegrad?
M. Drnovšek, Premier ministre de Slovénie (traduction)
La Slovénie prend part à ces initiatives, notamment en Europe centrale. La coopération entre la Slovénie et les pays d’Europe centrale et orientale est d’une grande importance, et nous sommes prêts à participer aux actions qui seront entreprises. J’ai rencontré récemment les présidents ou Premiers ministres des pays du triangle de Vishegrad pour discuter avec eux des possibilités de renforcer leur coopération avec la Slovénie. Bien que nous partagions nombre de leurs difficultés, notamment en ce qui concerne l’Europe de l’Ouest, de nombreuses possibilités existent et la Slovénie est prête à les exploiter.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Souhaitez- vous poser une question supplémentaire, Monsieur Iwinski?
M. IWINSKI (traduction)
Non, mais j’aimerais faire remarquer que le polonais et le Slovène sont deux langues très proches.
M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)
Je saisis cette occasion pour remercier le Premier ministre des dispositions prises par la Slovénie lors de la visite faite à Ljubljana le mois dernier par la commission des relations avec les pays européens non membres. Le Premier ministre peut-il confirmer les indications selon lesquelles la Slovénie serait disposée à discuter avec son voisin croate du problème de la rectification de leurs frontières communes? Dans l’affirmative, est-il d’accord pour admettre que procéder à de telles modifications par accord mutuel constitue un moyen réaliste de résoudre les problèmes, d’ordre ethnique notamment?
M. Drnovšek, Premier ministre de Slovénie (traduction)
En Slovénie, nous ne parlons pas d’une rectification mais bien d’une définition des frontières-avec la Croatie. Les frontières étaient, bien entendu, parfaitement définies et très officielles entre l’ancienne Yougoslavie et les Etats voisins. Toutefois, en ce qui concerne les frontières intérieures, la situation est parfois moins claire et il a été proposé à la Croatie de créer une commission d’experts spéciale – nous avons passé un accord avec le Gouvernement croate à ce sujet – pour examiner tous les points, de sorte que nous puissions parvenir à une décision commune et établir une proposition susceptible de déboucher sur un accord formel à propos des frontières.
Toutefois, je le répète, il n’existe pas de problème majeur, il s’agit simplement de petites difficultés techniques et non pas de problèmes politiques. Il n’en reste pas moins que ce type de question peut aisément être politisé, mais nous nous efforçons de calmer le jeu et d’opter pour une procédure rationnelle en faisant appel à des experts.
M. BRATINKA (Hongrie)
Monsieur le Premier ministre, le passage de l’économie centralisée à l’économie de marché provoque dans les pays de l’Europe centrale et de l’Est des difficultés et des tensions sociales. Quelles sont les expériences Slovènes en ce domaine?
M. Drnovšek, Premier ministre de Slovénie (traduction)
Nous avons des problèmes, car il n’est pas facile de transformer notre économie, d’autant que nous avons perdu des marchés importants dans l’ancienne Yougoslavie. Cela se répercute aussi sur le chômage dont le taux atteint actuellement 13% de la population active. Nous espérons qu’il ne se développera pas davantage, que le processus de restructuration de l’économie, fondé sur la privatisation, sera accéléré, notamment grâce à la nouvelle loi sur la privatisation.
Nous espérons aussi que la croissance économique nous aidera ensuite à enrayer les problèmes sociaux et le chômage.
Nous connaissons des difficultés, mais je pense que la situation reste suffisamment équilibrée pour ne pas mettre en danger le processus de transition et l’espoir d’une nouvelle croissance économique.
M. CARO (France)
Monsieur le Premier ministre, si, dès les premiers jours de l’agression de la Slovénie par l’armée nationale yougoslave, l’Europe avait sommé celle-ci d’arrêter son action, sous la menace de représailles, pensez-vous que cela aurait pu éviter les actions militaires qui ensanglantent l’ensemble de l’ex-Yougoslavie?
M. Drnovšek, Premier ministre de Slovénie (traduction)
Il est très difficile de répondre à cette question. Je me suis souvent demandé s’il existait une possibilité d’arrêter ce désastre, c’est-à-dire les événements tragiques qui se déroulent en Yougoslavie.
L’ensemble de la communauté internationale a essayé d’intervenir pour enrayer le développement d’une guerre civile. En ce qui concerne la Slovénie, peut-être a-t-on eu, un moment, l’impression que cette dernière pourrait accepter une intervention militaire de courte durée afin d’arrêter le développement de la situation. Néanmoins, je pense que même une attitude internationale plus ferme à l’égard de l’armée yougoslave et des forces qui se trouvent derrière elle n’aurait pas permis d’empêcher ce développement.
Je pense qu’un plan avait été mûrement préparé avec l’armée, prévoyant la possibilité de défendre les intérêts des Serbes de la Grande Serbie. Je ne pense pas qu’il aurait été possible à la communauté internationale, par des interventions politiques et des essais diplomatiques, d’empêcher ce développement. On peut d’ailleurs constater actuellement, alors que la communauté internationale a essayé plusieurs fois d’agir avec l’aide de la diplomatie, qu’il n’était pas possible d’arrêter cette machine militaire.
M. MIMAROGLU (Turquie) (traduction)
Monsieur le Premier ministre, quel rôle le Conseil de l’Europe pourrait-il ou devrait-il jouer selon vous dans le conflit en Bosnie-Herzégovine?
M. Drnovšek, Premier ministre de Slovénie (traduction)
J’estime que le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer et qu’il devrait poursuivre les efforts qu’il déploie sur le plan politique pour trouver une solution à la crise en Bosnie-Herzégovine et appuyer toutes les initiatives et les activités d’ordre humanitaire. Néanmoins, je dois dire qu’il est très difficile pour une institution de préciser ce qu’il faudrait faire de plus maintenant que la situation est parfaitement claire et que Ton sait tout aussi parfaitement qu’il est difficile de peser sur elle par de simples moyens politiques ou par des prises de position.
Le Conseil de l’Europe doit poursuivre ses efforts. Il pourrait jouer un rôle déterminant en définissant les nouvelles données politiques en Bosnie-Herzégovine et dans l’ancienne Yougoslavie. S’agissant du respect des droits de l’homme et des minorités, toute solution devra intégrer les Serbes, les Croates et les musulmans en Bosnie-Herzégovine, et les Albanais au Kosovo et dans d’autres zones à risques de la région. Le Conseil de l’Europe aura encore beaucoup à faire. Il devra tenter de trouver une solution acceptable par tous du point de vue du respect de la démocratie et de la protection des droits de l’homme.
M. LE PRÉSIDENT
Nous voici parvenus au terme du débat et je remercie M. le Premier ministre de Slovénie de l’ouverture et de la sincérité – que nous connaissions d’ailleurs – qu’il a manifestées en répondant aux questions de nos collègues.
Monsieur le Premier ministre, vous savez que vous avez l’amitié et le soutien de l’Assemblée parlementaire dans votre démarche qui n’est certainement pas facile.