M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous
remercie, Monsieur le Premier ministre, de votre exposé extrêmement intéressant
et, à bien des égards, extrêmement stimulant.
M. Ecevit va à présent répondre aux trente et une questions
figurant dans le document 4334. M. le Premier ministre a aimablement
accepté de rester parmi nous jusqu’à au moins 12 heures 45. Je demanderai'
à tous les membres de cette Assemblée de veiller à faire le meilleur
usage de ce temps précieux et à faire preuve dans toute la mesure
du possible d’autodiscipline en ne posant que des questions complémentaires
très courtes.
Si les Représentants n’ont pas signé correctement le rôle,
une réponse pourra être donnée par le Premier ministre mais aucune
question complémentaire ne sera autorisée. Je fais allusion aux
Suppléants qui n’ont pu signer le rôle parce que les Représentants
l’avaient déjà fait.
J’invite à présent M. le Premier ministre à répondre à la
question n° 1 de M. Coutsocheras. C’est une question générale sur
Chypre; j’en donne lecture:
«M. Coutsocheras
Demande au Premier ministre de Turquie si le Gouvernement
turc se conformera dans les meilleurs délais aux résolutions de
l’ONU en ce qui concerne le retrait de l’armée turque d’occupation
de Chypre, ainsi que des 40 000 colons turcs, introduits dans le
territoire occupé, et en ce qui concerne le réétablissement dans
leurs foyers des Chypriotes grecs, réfugiés depuis l’invasion.»
La parole est à M. Ecevit.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Merci, Monsieur le Président. Comme vous le savez, je n’ai eu
connaissance de la plupart des questions que ce matin, et c’est
pourquoi je ne serai peut-être pas en mesure d’y répondre de façon
détaillée. Le Représentant de la communauté chypriote turque aurait
pu répondre de façon plus précise aux questions relatives à Chypre,
si sa présence n’avait pas été rendue impossible par l’attitude
chypriote grecque. Les parlementaires de Grèce semblent suivre de
près et activement le problème de Chypre, et je m’en réjouis. Je
souhaite que le Gouvernement de Grèce fasse également des efforts
dans cette direction, conjointement avec le Gouvernement turc. La
Turquie et la Grèce doivent toutes deux donner leur appui aux deux
communautés de l’île afin d’accélérer la venue d’une solution.
Si vous me permettez, je répondrai à la question n° 1 en même
temps qu’à quelques autres parce qu’elles me semblent se recouper
à certains égards. Si vous me le permettez également, je désirerais
tout d’abord répondre aux questions posées par différents membres
de cette honorable Assemblée, M. Coutsocheras, comme vous l’avez
indiqué, puis Mme Tsirimokou et ensuite
MM. Papaefstratiou et Frangos...
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Dans ce
cas, Monsieur le Premier ministre, permettez- moi de donner lecture
des questions n° 2 de Mme Tsirimokou,
et n° 16 de MM. Frangos et Papaefstratiou:
«Question n° 2
Mme Tsirimokou,
Rappelant que le Premier ministre de Turquie a déclaré que
«l’opération» menée contre Chypre en juillet et août 1974 n’était
pas une conquête, mais une mission pacifique conforme aux Traités
de Zurich et de Londres de 1959;
Rappelant qu’en Grèce, l’opinion est convaincue que ces traités
ne donnent à aucune des puissances garantes le droit d’entreprendre
une action militaire unilatérale;
N’étant pas personnellement en mesure d’affirmer que ce droit
existe ou non, mais constatant que, suivant les termes du traité
de garantie, toute forme d’intervention peut avoir heu «dans le
seul but de rétablir la situation créée par le présent traité» (article
3, paragraphe 2, du traité de garantie),
Demande au Premier ministre de Turquie:
pourquoi la Turquie, vingt-cinq jours après la première invasion,
a entrepris une deuxième invasion et conquis la partie la plus riche
de Chypre, alors que les régimes dictatoriaux de Chypre et de Grèce
avaient été renversés et que Mme Makarios
et le Premier ministre Karamanhs (artisans des Traités de Zurich
et de Londres) étaient prêts à appliquer ces traités, c’est-à- dire
à rétablir le statu quo ante;
pourquoi, cinq ans environ après l’invasion de Chypre, le
Gouvernement turc n’a rien fait, pas même abordé la question du
rétablissement du statu quo ante;
pourquoi le Gouvernement turc demande non pas simplement plus
de garanties pour la communauté turque, mais le renversement total
de la situation établie par les Traités de Zurich et de Londres;
comment concilier les faits ci-dessus avec l’assurance que
les «opérations» de juillet et août 1974 étaient une mission pacifique
fondée sur le traité de garantie.
Question n° 16
MM. Frangos et Papaefstratiou
Demandent au Premier ministre de Turquie d’exposer les raisons
pour lesquelles la Turquie maintient une importante armée d’occupation
en République de Chypre, compte tenu notamment des difficultés économiques
auxquelles son pays doit faire face, comme il le prétend, et en
dépit de la résolution des Nations Unies et des règles du droit
international.»
La parole est à M. Ecevit.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Ces questions portent sur le retrait des forces turques du Nord
de Chypre. Nous avons déclaré à plusieurs occasions, tant mon Gouvernement
que moi-même, que les forces turques stationnées à Chypre seraient
retirées dans le cadre d’une solution définitive. Ces forces sont sur
l’île dans le seul but d’assurer la sécurité de la communauté chypriote
turque. Dès que cette sécurité sera assurée et que les conditions
empêchant l’oppression d’une partie par l’autre seront créées dans
le cadre d’une solution définitive — une solution juste, viable
et durable — il n’y aura plus aucune nécessité de maintenir ces
forces sur l’île sauf celles acceptées par les deux parties d’un
commun accord.
Depuis 1974, faisant un geste de bonne volonté, la Turquie
a graduellement et sans discontinuer rappelé une importante partie
de ses troupes stationnées sur l’île. Si l’on inclut le dernier
rappel de 15 000 hommes, le nombre de militaires rentrés en Turquie
s’élève à près de 19 000.
Il n’y a aucun rapport direct ou indirect entre la présence
des forces turques à Chypre et les difficultés économiques que la
Turquie connaît actuellement. Nous les aurions connues de toute
façon parce que, comme je viens de l’indiquer, la plus grande partie
des troupes turques stationnant sur l’île a déjà été retirée et
la partie restante n’est pas assez importante pour que la charge
en soit insupportable pour notre économie.
En outre, la présence des troupes turques sur l’île, pour
les raisons que j’ai déjà indiquées, ne peut avoir d’effet négatif
sur la contribution de la Turquie aux forces de l’OTAN.
M. Coutsocheras a également posé une question concernant la
présence de colons turcs dans la partie Nord de Chypre. L’Etat fédéré
turc de Chypre, pour la mise en œuvre de son programme de reconstruction
et de remise en état, a besoin de main-d’œuvre pour certaines activités
économiques, du moins pendant un certain temps. A mon sens, la venue
de colons est due au fait que, avant 1974, en raison de la situation
qui, on le sait, régnait sur l’île, les Chypriotes turcs n’ont pu
acquérir les compétences nécessaires, ou certaines des compétences
nécessaires, dans divers domaines.
En conséquence, un certain nombre de travailleurs turcs sont
employés dans le Nord de Chypre afin de combler les vides dans certains
secteurs. En outre, un grand nombre de Chypriotes turcs qui avaient
été forcés de quitter l’île avant 1974 sont revenus dans leurs foyers.
Ces deux flux migratoires, si on les ajoute, ne représentent pas
40 000 personnes comme il est dit dans la question. Dans l’ensemble,
les nouveaux arrivants sont beaucoup moins nombreux que les Chypriotes
turcs qui ont dû quitter l’île du fait des persécutions dont ils
ont été l’objet pendant des années et qui, pour beaucoup d’entre
eux, restent dispersés de par le monde.
Je voudrais à présent essayer de répondre à la question de
Mme Tsirimokou concernant la restauration
de la situation antérieure dans l’île. Je ne crois pas que quiconque
puisse prétendre que la situation qui existait auparavant à Chypre
était une solution satisfaisante pour l’une ou pour l’autre des
deux communautés. Pendant des années avant l’été de 1974, les accrochages
et les conflits étaient constants, non seulement entre les Turcs
et les Grecs mais également entre les Grecs eux-mêmes. C’est pourquoi
un retour à la situation antérieure à Chypre signifierait la création
ou la recréation de conditions qui amèneraient la répétition des tragiques
événements du passé, qui consistaient en conflits et en persécutions
constantes, particulièrement de la communauté turque — et il ne
faut pas oublier que c’est essentiellement parce que les Chypriotes
grecs ont essayé par la force et avec l’appui militaire de la Grèce
continentale de mettre fin au statu quo que Chypre a récemment connu
ces événements tragiques.
Ce furent également, souvenons-nous-en, les Chypriotes grecs
qui, de 1963 à 1974, ont tout fait pour violer systématiquement
et, à la fin, pour battre en brèche l’ordre constitutionnel de 1960.
En fait, longtemps avant juillet 1974, la Constitution existante
avait cessé d’être appliquée, du moins en ce qui concerne les droits
des Turcs.
Suite à l’intervention turque à Chypre, que la Turquie a décidée
en tant que puissance garante, deux administrations autonomes ont
été formées. Ce fait est concrétisé dans la Déclaration de Genève
du 30 juillet 1974 qui a été signée par les ministres des Affaires
étrangères de Grèce et de Turquie. Je ferai remarquer qu’en 1976,
lorsqu’une commission restreinte de la Chambre des communes suggéra
à M. James Callaghan que la Grande-Bretagne aurait pu ou aurait
dû éviter la tragédie en 1974, celui-ci répondit que si la Grande-Bretagne
était intervenue au titre de l’article approprié du traité de garantie,
elle «aurait été obligée de restaurer la Constitution de 1960...
Le rétablissement de la situation antérieure n’aurait pas été possible...
Cela se serait retourné contre nous et nous nous serions retrouvés
dans la situation des années 50».
J’en arrive à présent à la deuxième partie de la question
de Mme Tsirimokou, à savoir aux raisons
de la deuxième opération militaire entreprise au cours de l’été
1974. Avec votre permission, je m’étendrai assez longuement sur
ce sujet, parce que j’espère pouvoir jeter quelque lumière sur un
épisode relativement peu connu des malheureux événements et des
occasions perdues de l’été 1974.
Après la première action militaire turque à la fin du mois
de juillet 1974, en réponse au coup d’Etat soutenu par la junte
d’Athènes, une réunion se tint à Genève entre représentants turcs
et grecs afin d’examiner les modalités d’un cessez-le-feu et d’apporter
la paix et la stabilité dans l’ile. J’étais Premier ministre de
Turquie à l’époque et, avec mes collègues, j’insistai pour que l’on
aménage une ceinture de sécurité raisonnable sous contrôle des Nations
Unies, autour de la petite poche contrôlée par les forces turques
entre Kyrenia et Nicosie. Nous déclarâmes que, si une telle ceinture
de sécurité d’une longueur suffisante n’était pas créée, et en même temps
si la sécurité des Turcs restés enclavés dans les régions contrôlées
par les Grecs n’était pas assurée, il serait assez difficile de
sauvegarder le cessez-le-feu et de progresser vers une solution
pacifique.
Malheureusement, nous ne fûmes pas entendus et le maintien
du cessez-le-feu commença à présenter des difficultés. Plus tard,
au mois d’août, une deuxième Conférence de Genève fut convoquée
entre des représentants de la Turquie et de la Grèce, à laquelle
assistèrent également des représentants des communautés turque et
grecque de Chypre. Au cours de cette discussion, nous fîmes un certain
nombre de propositions constructives, parmi lesquelles celle d’une
formule multicantonale. Hélas, il s’avéra très difficile de parvenir
à un accord ou même à l’instauration d’une atmosphère favorable
à un accord parce que, de toute évidence, après l’heureux retour
de la Grèce à la démocratie, nos amis grecs en étaient venus à penser
que maintenant qu’ils avaient regagné la confiance de leurs amis
dans les pays démocratiques, ils pouvaient adopter un point de vue
plus intransigeant.
Lorsque, vers la fin de la conférence, ils demandèrent à disposer
d’un peu de temps pour pouvoir retourner dans leurs pays respectifs
et consulter leurs gouvernements au sujet des nouvelles propositions
turques, nous déclarâmes pouvoir attendre non pas pendant des jours
ou des semaines, mais pendant des mois, si la sécurité des forces
turques encerclées dans une très petite zone entre Kyrenia et Nicosie
était assurée, et si l’on pouvait nous garantir la sécurité des
villages turcs encerclés dans la région située entre la poche de Kyrenia-Nicosie
et Famagouste, parce que, selon certaines rumeurs et certaines informations,
ces Chypriotes turcs ainsi encerclés risquaient fort d’être massacrés,
comme cela s’est malheureusement produit.
Afin d’assurer la sécurité de nos forces et celle des Turcs
encerclés dans la zone appelée «Chatos», entre la poche de Kyrenia-Nicosie
et Famagouste, nous suggérâmes dans les discussions que la zone
comprise entre la poche de Kyrenia- Nicosie et Famagouste soit démilitarisée
sous la surveillance des Nations Unies.
La zone démilitarisée que nous suggérions n’incluait pas Karpas.
Certains de nos amis et plusieurs observateurs considéraient cette
proposition intérimaire comme très raisonnable, et l’on nous demanda quelles
garanties la Turquie pouvait donner que les unités turques n’occuperaient
pas cette zone démilitarisée. Je répondis personnellement que nous
étions disposés à donner toutes les garanties qu’on nous demanderait et
que, de toute façon, les Nations Unies auraient le contrôle de ce
secteur.
La zone dont nous suggérions la démilitarisation et la région
contrôlée par les unités turques entre Kyrenia et Nicosie ne représentaient
que 17% de la superficie de l’île. Malheureusement, cette proposition
de bonne volonté fut immédiatement repoussée et, étant donné les
circonstances, nous n’eûmes d’autre choix que de lancer la deuxième
action militaire afin d’assurer la sécurité de nos imités encerclées
dans une très petite zone et celle des villages turcs encerclés
entre cette zone et Famagouste. Mais, hélas, durant cette deuxième
action militaire, nous devions découvrir que, dans bien des cas,
nous arrivions trop tard pour assurer la sécurité de ces villages,
dont la population avait été massacrée.
Aujourd’hui encore, je considère qu’il s’agit là d’une phase
relativement peu connue des événements de 1974 et d’une occasion
manquée, et j’aimerais remercier l’honorable Représentant de la
Grèce de m’avoir donné la possibilité d’évoquer ce chapitre de l’histoire
récente.
Mme Tsirimokou dit dans sa question
que l’opération turque de 1974 ne saurait être définie comme une
mission pacifique. Qu’on le veuille ou non, il faut bien reconnaître
avec réalisme que les cinq années qui se sont écoulées depuis représentent
la seule période de paix que l’île ait connue à notre époque, bien
que, bien sûr, j’eusse souhaité que l’on trouvât de meilleurs moyens
d’assurer la paix.
Je voudrais à présent répondre à la question...
Mme TSIRIMOKOU (Grèce) (traduction)
Je désire faire
un rappel au Règlement, Monsieur le Président...
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Vous ne
pouvez interrompre l’orateur. Vous pourrez prendre la parole ultérieurement.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Monsieur le Président, je voudrais répondre simultanément à
plusieurs questions posées par M. Frangos, M. Papaefstratiou, M. Jessel,
Lady Fleming et Mme Gradin à propos des
personnes disparues à Chypre.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Si vous
le permettez, Monsieur le Premier ministre, je vais donner lecture
des questions posées par les orateurs que vous venez de citer. Il
s’agit des questions n° 3 de Lady Fleming, n° 14 de M. Jessel et
n° 15 de MM. Frangos et Papaefstratiou:
«Question n° 3
Lady Fleming
Demande au Premier ministre de Turquie:
quel est le sort réservé aux 2 000 personnes disparues à Chypre
à la suite des événements de 1974 et qui sont portées sur les listes
de la Croix-Rouge internationale; et
s’il ne dispose pas d’informations à ce sujet, quelles mesures
le Gouvernement turc a l’intention d’entreprendre, pour qu’une réponse
satisfaisante puisse être donnée.
Question n° 14
M. Jessel
Demande au Premier ministre de Turquie s’il fera une déclaration
sur les personnes portées disparues à Chypre.
Question n° 15
MM. Frangos et Papaefstratiou
Demandent au Premier ministre de Turquie d’informer l’Assemblée
sur le sort des 2 000 Grecs et Chypriotes grecs qui sont portés
disparus depuis l’invasion turque de Chypre.»
La parole est à M. Ecevit.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Les deux communautés de l’île déplorent des disparus. M. Denktash,
président de la communauté chypriote turque, a déclaré dans une
récente lettre à ce sujet adressée au Secrétaire général des Nations
Unies que, après le coup d’Etat grec du 15 juillet 1974, le nombre de
Chypriotes turcs disparus était d’environ 800, parmi lesquels la
grande majorité étaient des civils et notamment de très jeunes enfants
et des vieillards de 90 ans. L’administration chypriote grecque
a jusqu’ici refusé de rendre compte de ces disparitions. Quelque
300 cadavres de Chypriotes turcs disparus ont été exhumés de charniers
à Aloa, Maratha, Sandallaria et en d’autres endroits de l’île. La
communauté turque déplore également une longue liste de personnes
disparues par suite des conflits intercommunautaires de 1963 et
de 1967.
Tous ces problèmes sont dus aux conditions existant antérieurement.
Bien que les Chypriotes grecs aient essayé d’exploiter, peut-être
à des fins de propagande, cette question humanitaire, les Chypriotes
turcs ne l’ont jamais fait à ma connaissance. En fait, les deux
communautés ont entrepris en 1977 une action commune à ce sujet
et l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution,
avec l’accord des deux communautés, tendant à la création d’un comité
chargé de rechercher les disparus. Ce comité n’a toutefois pu être
constitué ni s’acquitter de sa mission en raison de difficultés
qui n’étaient pas le fait des Turcs. Les Chypriotes turcs restent
prêts à coopérer à la création du comité prévu dans cette résolution
de l’Assemblée générale et donneront leur plein appui à ses activités.
Je voudrais, Monsieur le Président, répondre une fois encore
simultanément à plusieurs questions posées par M. Rendis, M. Karvelas,
M. Papaefstratiou et Mme Tsirimokou.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
En fait,
Monsieur le Premier ministre, il s’agit de la question n°4, posée
par MM. Rendis, Karvelas, Papaefstratiou et Mme Tsirimokou;
j’en donne lecture:
«MM. Rendis, Karvelas, Papaefstratiou
et Mme Tsirimokou,
Rappelant:
que la Turquie a accepté, en 1976, que les 14 000 Chypriotes
grecs vivant dans la péninsule de Karpas sous l’occupation turque
jouissent de diverses libertés telles que la liberté d’enseignement,
la liberté religieuse et la liberté de recevoir des soins médicaux;
que le nombre desdits Chypriotes grecs a été réduit entre-temps
à 1 600;
que selon les rapports du Secrétaire général des Nations Unies,
il est évident que ces libertés n’ont jamais été accordées ou l’ont
été de manière si restrictive que les neuf dixièmes des Chypriotes
grecs de la région ont préféré la solution pourtant fort déplaisante
consistant à devenir des réfugiés à celle — encore plus défavorable —
qui aurait consisté à rester dans leurs villages sous une administration
militaire turque arbitraire, un exemple de cette situation étant
le fait que des élèves qui avaient été contraints d’aller au Sud
parce que la liberté d’enseignement promise ne leur avait pas été
accordée, n’ont pas reçu l’autorisation de rendre visite à leurs parents
pendant les vacances scolaires, de sorte que ces derniers ont dû
abandonner leurs maisons à Karpas pour rejoindre leurs enfants dans
le Sud;
que dernièrement, l’attitude des autorités militaires et administratives
turques — si elle ne s’est pas assouplie — ne s’est du moins pas
durcie,
Demandent au Premier ministre de Turquie si l’on peut s’attendre
à ce que l’administration turque à Karpas améliore de façon substantielle
son attitude vis-à- vis des Chypriotes grecs de cette région — ce
qui devrait entraîner le respect des libertés fondamentales — et
si, dans l’affirmative, il est permis d’envisager le retour dans
leurs foyers de ceux qui en sont partis depuis 1976 ou si ces foyers
ont déjà été attribués à des colons turcs originaires d’Anatolie.»
La parole est à M. Ecevit.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Ces questions concernent les conditions de vie des Chypriotes
grecs se trouvant dans la péninsule de Karpas. Après l’opération
turque à Chypre, un certain nombre de Chypriotes grecs habitant
la péninsule de Karpas émigrèrent vers le Sud, de leur propre volonté, conformément
à l’accord passé entre le Président Denktash et M. Clerides à Vienne
en 1975. Ces Chypriotes grecs qui vivent actuellement dans la région
de Karpas ont choisi eux-mêmes de s’exclure de cet accord de 1975.
Au nombre d’environ 1 600, ils ne sont victimes d’aucune répression
et leurs conditions de vie sont semblables à celles des Chypriotes
turcs vivant dans la même zone, comme en témoigne le rapport du Secrétaire
général des Nations Unies du 1er décembre
1978.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Nous passons
maintenant à la question n° 5 de MM. Venizelos, Rendis, Frangos
et Mme Mantzoulinou. J’en donne lecture:
«MM. Venizelos, Rendis, Frangos
et Mme Mantzoulinou,
Considérant qu’en 1936, une minorité musulmane de 106 000
personnes vivait en Thrace occidentale tandis qu’une minorité grecque
orthodoxe de 111 000 personnes vivait à Istanbul, Imvros et Tenedos,
l’une et l’autre étant protégées par le Traité de Lausanne,
Considérant que depuis lors, les effectifs de la minorité
turque en Thrace occidentale sont passés à 120 000, alors que ceux
de la minorité grecque en Turquie diminuaient, se situant actuellement
entre 6 000 et 8 000,
Demandent au Premier ministre de Turquie:
comment le Gouvernement turc explique cette altération unilatérale
de l’équilibre entre les effectifs des deux minorités en question,
étant entendu que — comme on peut le supposer — l’exode de la minorité
grecque orthodoxe qui se poursuit systématiquement depuis dix ans,
est dû aux mesures administratives et autres prises par les autorités
turques et compte tenu notamment du fait que ceux qui ont quitté
Istanbul, Imvros et Tenedos étaient des citoyens turcs qui ont été
conduits à abandonner leur biens immeubles en Turquie;
comment le Gouvernement turc envisage de rétablir l’équilibre
et quelles mesures il compte prendre pour susciter un sentiment
de confiance et de sécurité au sein de la minorité grecque orthodoxe
en Turquie.»
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Cette question porte sur le changement unilatéral de l’équilibre
entre les minorités respectives de Turquie et de Grèce. Il serait
erroné d’envisager les deux minorités vivant dans nos pays respectifs
du seul point de vue de l’équilibre numérique. Il convient plutôt
d’examiner de quels droits internationalement garantis elles disposent
et quelles sont les pratiques actuellement observées à la fois en
Turquie et en Grèce à cet égard.
En Turquie, les citoyens appartenant à la communauté orthodoxe
grecque jouissent des mêmes droits devant la loi que les autres
citoyens turcs. Ils ne sont l’objet d’aucune mesure administrative
ou autre discriminatoire de la part des autorités turques, et mon
Gouvernement est disposé à tout mettre en œuvre pour que la minorité orthodoxe
grecque de Turquie constitue un pont d’amitié entre les deux pays.
En fait, depuis sa prise de fonctions, mon Gouvernement rencontre
régulièrement les dirigeants de la communauté grecque afin de connaître
leurs doléances, le cas échéant, et d’essayer d’apporter une prompte
solution à tous leurs problèmes. Je suis heureux de pouvoir dire
que nous avons réussi à instaurer un dialogue amical et constructif avec
eux.
Il est vrai que la minorité orthodoxe grecque de Turquie s’est
beaucoup plus réduite que notre minorité de Thrace occidentale.
Malheureusement ce fait semble être une conséquence de la dégradation
des relations entre les deux pays au fil des années. On pourrait
ajouter que des facteurs économiques et la situation de l’emploi
ont également joué un rôle dans cette évolution. Un grand nombre
d’orthodoxes grecs qui ont émigré de Turquie vivent à présent en
Grèce, mais qu’ils se trouvent en Grèce ou dans toute autre partie
du monde, ils sont, tant qu’ils le voudront ainsi, des citoyens
turcs. Ce privilège leur est pleinement acquis aussi longtemps qu’ils
le souhaiteront. En d’autres termes, rien ne les empêche, juridiquement
ou politiquement, de revenir habiter la Turquie. En fait, depuis
que je suis devenu Premier ministre au début de l’année dernière,
j’ai plusieurs fois indiqué aux autorités grecques que toute personne
d’origine grecque et possédant la nationalité turque serait la bienvenue
si elle souhaitait revenir s’établir en Turquie.
D’un autre côté, on peut également noter le fait que, étant
donné le taux de natalité normal, la minorité turque de Grèce aurait
atteint le niveau de 250 000 individus s’il n’y avait pas eu cette
émigration de la Grèce vers la Turquie.
En dehors des difficultés administratives que la minorité
turque a rencontrées en Grèce, je regrette de noter que, par exemple,
depuis 1965 les Turcs n’ont plus le droit d’acheter des propriétés
en Thrace occidentale, ce qui est contraire aux droits fondamentaux
de l’homme. D’autre part, en raison de pressions administratives,
de pratiques discriminatoires et de la nationalisation de leurs
biens sous une diversité de prétextes, les Turcs de Grèce sont inquiets
et incertains de leur avenir.
Mon Gouvernement est en contact constant avec les dirigeants
de la minorité grecque de Turquie, comme je viens de le dire. En
dehors de cela, nous avons approché le Gouvernement grec à ce sujet
et suggéré de traiter les problèmes des minorités respectives comme
des problèmes humanitaires plutôt que politiques, et fait valoir qu’il
n’était pas nécessaire d’attendre, pour les résoudre, que nos problèmes
politiques aient été réglés. Mais il apparaît, malheureusement,
que l’administration grecque n’entend pas adopter la même attitude
vis-à-vis de la minorité turque de Grèce, c’est-à-dire qu’elle ne
veut pas apporter de solution aux problèmes de cette minorité turque
de Grèce avant que tous nos problèmes bilatéraux ne soient réglés.
Néanmoins, malgré l’absence de réaction positive de la part des
Grecs à notre proposition de dissocier les problèmes humanitaires des
problèmes politiques, nous avons agi conformément à ce principe
sans attendre que le Gouvernement grec en fasse de même.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
La question
suivante est la question n° 6 de M. Roper. J’en donne lecture:
«M. Roper
Demande au Premier ministre de Turquie, dont le pays fait
partie non seulement de la famille des nations démocratiques d’Europe
occidentale, mais également de la région du Proche-Orient, ce qu’il
pense de la situation au Proche-Orient à la lumière des événements
récents.»
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
M. Roper pose une question concernant la situation au Proche-
Orient à la lumière des récents événements. Comme je me suis déjà
étendu assez longuement sur ce sujet dans mon exposé, je n’y reviendrai
pas, sauf peut-être pour ajouter quelques remarques.
Comme je l’ai déjà indiqué dans mon exposé, il est difficile,
selon moi, d’envisager des solutions viables aux problèmes du Proche-Orient
tant que des interventions extérieures continueront de s’opposer
et de se heurter dans cette région et tant que les droits légitimes
des Palestiniens n’auront pas été reconnus. Il sera également difficile
de trouver des solutions pacifiques et viables à la question du
Proche-Orient tant que persisteront les efforts visant à détruire
l’unité de certains des pays intéressés. Si l’on veut apporter des
solutions durables, générales, satisfaisantes et acceptables aux
problèmes du Proche-Orient, il est essentiel d’assurer un avenir meilleur
et sûr aux peuples de la région, particulièrement dans la perspective
de l’épuisement de ses richesses pétrolières.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Je donne
à présent lecture de la question n° 7, de M. Aano:
«M. Aano
Eu égard à la volonté déclarée des autorités turques de faire
respecter les droits de l’homme et compte tenu du malaise constaté
chez les Assyriens turcs immigrés dans plusieurs pays d’Europe occidentale,
Demande au Premier ministre de Turquie qu’il explique son
propre point de vue et la politique de son Gouvernement à l’égard
de la minorité religieuse des Assyriens dans son pays.»
La parole est à M. Ecevit.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Je ne désire pas entrer dans une discussion savante à propos
d’un sujet que, de toute façon, je connais mal, mais il y a des
gens en Turquie qui haussent les sourcils lorsque, dans certains
pays Scandinaves ou d’Europe occidentale, on leur donne le nom d’Assyriens.
Ils disent qu’il existe plusieurs groupes. L’un d’entre eux est
appelé Süryani en turc, ce qui correspond peut-être aux Syriens
et ensuite il y aurait les Assyriens.
Lorsque je me trouvais dans les pays nordiques il y a quelques
mois, plusieurs Süryani ou Syriens vinrent se plaindre auprès de
moi de ce que ces «Assyriens» prétendaient les représenter eux aussi
afin de paraître plus nombreux qu’ils n’étaient en réalité.
Cela dit, j’ajouterai qu’environ 45 000 Turcs d’origine assyrienne
ou syrienne et de religion chrétienne vivaient pour la plupart dans
le Sud- Est du pays. Je dis «pour la plupart» parce que certains
d’entre eux se sont établis à Istanbul ou dans d’autres grands centres
urbains et y connaissent une certaine réussite, particulièrement dans
les affaires et dans certaines professions libérales. Ils ont environ
soixante-douze églises, monastères et fondations, et élisent eux-mêmes
leur conseil d’administration au sein de leur propre communauté.
A ce jour, personne en Turquie n’a connaissance d’un problème assyrien
ou syrien. Jusqu’à ce que ce problème soit soulevé dans certains
pays du Nord ou de l’Ouest de l’Europe, nous ne savions pas qu’un
tel problème pouvait se poser et nous n’avons jamais envisagé de
traiter différemment les citoyens d’origine turque et ceux d’origine assyrienne
ou syrienne. A ce jour, aucune plainte officielle n’a été enregistrée
en Turquie venant de cette communauté, bien que j’aie été personnellement
en constant contact avec ses dirigeants, non seulement lorsque j’étais
membre du gouvernement, mais durant les années où mon parti se trouvait
dans l’opposition.
Je suis sûr que ce prétendu problème a surgi dans certains
pays d’Europe pour la raison suivante: après la crise économique
mondiale qui a commencé par suite des hausses faramineuses des prix
du pétrole au début des années 70, de nombreux pays européens ont
cessé d’importer de la main-d’œuvre étrangère. Certains travailleurs
étrangers résidant dans des pays touchés par le chômage se mirent
à rechercher des prétextes susceptibles d’être acceptés dans les
pays industrialisés, et certains d’entre eux se sont servis du prétexte
de l’oppression politique, qu’elle existât ou non, dans leur pays
d’origine. Je pense que mon explication est juste, parce que je
suis sûr que les représentants des pays nordiques ou des Pays-Bas
reconnaîtront eux- mêmes n’avoir sans doute jamais entendu parler
de ce problème avant le déclenchement de la crise, parce qu’avant cette
époque, les intéressés pouvaient trouver du travail dans ces pays
sans se prétendre victimes d’une oppression politique.
J’ai personnellement invité plusieurs hommes politiques, ainsi
que des groupes de journalistes et de reporters de la télévision
de ces pays à venir en Turquie et à voir par eux-mêmes ce qu’il
en était, en voyageant librement dans le pays et en parlant librement
avec les membres ou les dirigeants des communautés dites assyrienne ou
syrienne. M. Aano était au nombre des représentants qui se sont
rendus en Turquie et qui s’y sont fait eux-mêmes une opinion. J’espère
que M. Aano ne me contredira pas si je dis qu’il en est revenu avec
des impressions plutôt favorables.
Le Gouvernement suédois a accueilli environ 2 500 Assyriens
ou Syriens non en tant que réfugiés politiques, parce qu’il n’a
pas admis l’existence d’une telle oppression politique, mais pour
des raisons purement humanitaires. La Suède a décidé de ne plus
accepter d’Assyriens ou de Syriens à moins qu’ils n’aient un lien de
parenté direct avec ceux se trouvant déjà sur son territoire.
Un représentant du ministère suédois des Affaires étrangères
a visité la Turquie en 1978 et indiqué qu’aucun des Assyriens turcs
qu’il a rencontrés ne s’est plaint d’être persécuté. Il a également
déclaré n’avoir trouvé aucun signe permettant de croire que les
Assyriens ou Syriens retournant en Turquie à partir de la Suède étaient
punis ou en butte à l’une ou l’autre difficulté.
Au cours d’une discussion à la télévision suédoise en mai
1978, le ministre du Travail déclara que les Assyriens ou Syriens
de Turquie n’étaient pas persécutés, ni pour des motifs religieux
ni pour aucun autre motif. A un congrès de partis politiques, une
proposition tendant à accorder le statut de réfugiés politiques
aux Assyriens fut rejetée pour ces raisons. Un journal suédois,
du 19 février 1979, contenait un article fondé sur des informations
en provenance du ministère suédois des Affaires étrangères, qui
indiquait qu’aucune pression politique ou religieuse n’était exercée
sur les ressortissants turcs assyriens ou syriens.
En 1977, les Pays-Bas accordèrent des permis de séjour à environ
400 Assyriens ou Syriens de Turquie et annoncèrent qu’ils agissaient
ainsi pour des raisons humanitaires, et qu’il était clair qu’aucune
pression n’était exercée sur les intéressés en Turquie. En 1978,
autant que je sache, les Pays-Bas ont décidé de refuser l’entrée
dans le pays à ceux qui demandaient l’asile politique.
Les autorités norvégiennes non plus n’ont pas accepté les
demandes d’asile politique introduites par des Turcs assyriens ou
syriens et ont examiné leur cas dans le cadre de la loi visant à
arrêter la venue de travailleurs migrants. Un fonctionnaire de l’un
des gouvernements intéressés a informé les autorités turques que
son pays, selon ce qu’il connaît de la situation, est arrivé définitivement
à la conclusion qu’aucune pression, de quelque sorte qu’elle soit,
n’est exercée à l’encontre des Assyriens de Turquie, parce que si
tel était le cas, ces derniers n’auraient jamais laissé leur famille
en Turquie ni n’y seraient retournés en vacances avec leur famille.
Il a également fait observer que si les Assyriens, comme ils le
prétendent, étaient véritablement harcelés par les autorités turques,
ils n’auraient pu si facilement obtenir des passeports auprès de
ces mêmes autorités ni voyager si librement à l’étranger. Bref,
ils sont libres de revenir en Turquie.
La principale raison de leurs doléances à l’égard de la Turquie
est commune à tous les habitants de la région, c’est-à-dire le Sud-Est
de la Turquie. Cette région se trouve être la moins développée du
pays, avec une population, quelle que soit son appartenance ethnique,
généralement pauvre et de faibles possibilités d’emploi. Cette situation
a poussé mon Gouvernement, après son entrée en fonctions au début
de l’année dernière, à consentir un effort particulier pour développer
cette partie du pays.
J’ajouterai que les Assyriens ou Syriens demeurés en Turquie
regrettent beaucoup que certains de leurs amis ou parents se servent
d’un prétexte aussi mal fondé pour tenter de trouver du travail
dans quelques-uns des pays d’Europe occidentale et de Scandinavie.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Pour gagner
du temps, je donne lecture à la suite, dans l’ordre des numéros,
des questions nos 8 et 9 de M. Carvalhas:
«M. Carvalhas,
Ayant eu connaissance d’affirmations selon lesquelles le Gouvernement
turc se sert de l’état de siège pour réprimer la presse progressiste,
comme le journal Urüq, le journal de la jeunesse Jeunesse progressiste,
alors que les journaux d’extrême droite comme Hergün circulent librement,
Demande au Premier ministre de Turquie s’il peut donner des
explications à ce sujet.
M. Carvalhas
Demande au Premier ministre de Turquie comment un pays membre
du Conseil de l’Europe peut justifier le fait qu’il soit l’unique
pays d’Europe où le parti communiste est illégal et au nom de quel
principe et sur quelles bases cette situation antidémocratique se
maintient.»
La parole est à M. Ecevit.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
M. Carvalhas a demandé si le Gouvernement turc ou si les autorités
chargées d’appliquer la loi martiale n’ont pas supprimé des journaux
ou s’ils ne les ont pas traités de façon discriminatoire. Il est
vrai que des mesures ont été prises à l’encontre de certains journaux
à faible tirage, mais elles n’ont concerné que certaines publications
illégales ou qui incitaient la population à l’action directe ou
au terrorisme. Il existe en Turquie une importante législation punissant
les décisions administratives ou même judiciaires injustifiées à
l’encontre des journaux même lorsque ces décisions ont été prises
en application de la loi martiale.
Le périodique mentionné dans la question n° 8 de M. Carvalhas
a été poursuivi non pas parce qu’il faisait de la propagande pour
le parti communiste, mais parce qu’il avait publié les statuts d’un
parti illégal. M. Carvalhas a indiqué que la Turquie est le seul
pays démocratique d’Europe où le parti communiste soit illégal,
et me demande si je peux justifier cette situation. Pour être franc,
je trouve injustifiable que le parti communiste soit déclaré illégal
dans un pays démocratique, quel que soit ce pays. Je ne peux l’admettre,
ni à titre personnel ni en tant que membre de mon parti, le parti
républicain populaire. Je pense en effet que dans un pays démocratique,
les idéologies ou les associations ne peuvent être interdites ou
limitées, pas plus que ne le peuvent les idées ou l’expression de
ces idées. Certaines actions seulement peuvent faire l’objet de
restrictions ou être empêchées.
J’admets que M. Carvalhas a mis le doigt sur la seule chose
que notre démocratie ait encore à se reprocher. En fait, cependant,
cette limitation n’existe pas parce qu’il existe plusieurs partis
en Turquie qui seraient normalement classés comme partis communistes.
Mais mon parti et moi-même pensons qu’il serait beaucoup plus sain
que chacun puisse s’appeler comme il le veut et appeler son parti
comme il devrait l’être en réalité plutôt que de devoir en déguiser
le véritable nom ou le véritable objectif. Cette limitation juridique
est l’un des derniers vestiges de notre passé, et lorsque mon parti
sera majoritaire au Parlement, nous rectifierons cette situation.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Monsieur
le Premier ministre, je pense que vous accepterez d’interrompre
votre exposé parce que je crois qu’il serait extrêmement utile que
des questions complémentaires soient à présent posées. Il y avait
six grands groupes de questions, et presque toutes ont reçu une
réponse. Nous sommes reconnaissants à l’orateur de les avoir regroupées.
Nous disposons à présent d’au moins une demi-heure pour des questions
complémentaires. J’espère que les orateurs seront très brefs afin
de donner au plus grand nombre possible de ceux qui ont posé des
questions une possibilité de poser une question complémentaire. Je
suivrai l’ordre dans lequel les questions ont été déposées, et je
donne tout d’abord la parole à M. Coutsocheras. Si je procède de
la sorte, c’est parce que je voulais ménager un répit à M. le Premier
ministre et également donner aux membres de cette Assemblée la possibilité
de poser des questions complémentaires.
M. COUTSOCHERAS (Grèce)
Monsieur le Premier
ministre, vos réponses ne sont pas du tout satisfaisantes. Vous
étiez Premier ministre au moment de l’invasion turque à Chypre;
sous prétexte de réagir au coup d’Etat des colonels pour renverser
Mgr Makarios, en vérité vous visiez à
appliquer le plan Attila qui aboutit à l’occupation de 40% du territoire
de Chypre. La preuve en est que l’invasion a continué même après la
chute de la dictature des colonels, même après la résolution de
l’ONU concernant le retrait de vos troupes. Une preuve supplémentaire
en est que, jusqu’à aujourd’hui, la Turquie ne se conforme pas aux
maintes résolutions de l’ONU ni à l’Acte final d’Helsinki.
Ainsi, Monsieur le Premier ministre, l’armée d’occupation
turque...
M. LE PRÉSIDENT
Monsieur
Coutsocheras, il s’agit d’une très brève question complémentaire,
mais non pas d’un discours.
M. COUTSOCHERAS (Grèce)
Le problème de
Chypre ne pourra être résolu que lorsque seront appliquées les résolutions
de l’ONU. En ce qui concerne les réfugiés chypriotes grecs, vous
n’avez fait aucune réponse...
M. LE PRÉSIDENT
Non, Monsieur
Coutsocheras, je ne puis vous laisser continuer, car un certain
nombre de vos collègues, de Grèce ou d’ailleurs, désirent encore
poser des questions.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Je n’ai pas l’intention d’attaquer les vues exprimées par
mon honorable interlocuteur; je m’efforcerai simplement de répondre
à sa question.
L’un des éléments fondamentaux des diverses résolutions des
Nations Unies était l’obtention d’un règlement négocié. Si les Chypriotes
grecs se montrent coopératifs dans la recherche d’un tel règlement
négocié, il serait peut-être possible d’y parvenir et de satisfaire
d’autres conditions.
Mme TSIRIMOKOU (Grèce) (traduction)
Les réponses de
M. le Premier ministre ne font que montrer une fois de plus avec
quel talent s’exerce la propagande turque. Cela est confirmé par
le fait que les résolutions des Nations Unies ont été totalement
ignorées par son pays démocratique, qui a manifesté un mépris total
pour la justice et la morale.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Il y a un élément de propagande dans cette déclaration, et je
ne sais comment y répondre.
Lady FLEMING (Grèce) (traduction)
M. le Premier ministre
a déclaré qu’il était prêt à coopérer pour rechercher les Chypriotes
grecs disparus qui ont été transférés en Turquie. Je serais en mesure
de l’aider. Nous avons des photographies et des noms que nous pouvons
lui donner. Les photographies ont paru dans des journaux turcs et
elles montrent des personnes qui étaient jeunes et en bonne santé
et qui ne sont pas revenues. Que leur est-il arrivé? Des journalistes
turcs ont pris les photos, et les personnes figurant sur ces photos
ont été reconnues par leurs familles. Quel a été leur sort? Il aurait
mieux valu pour elles et pour leurs familles qu’elles aient été
tuées. Ont-elles essayé de s’échapper, et ont-elles été abattues?
Si c’est le cas, que sont devenus leurs corps? Quant aux minorités,
M. le Premier ministre a oublié de citer des chiffres. Il y avait
200 000 Grecs en Turquie en 1933. Aujourd’hui, ils ne sont plus
que de 10 à 15 000. De même, il y avait 100 000 Turcs en Grèce,
et ils sont aujourd’hui 120 000.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Je vous remercie, Lady Fleming. Je crains que vos griefs concernant
des personnes disparues en Turquie ne soient très mal fondés. Une
telle chose ne pourrait être gardée secrète dans une société aussi
ouverte que la Turquie. La fausseté de ces allégations a été prouvée par
les rapports d’organisations représentatives. Quoi qu’il en soit,
le problème des disparus a été évoqué dans une résolution des Nations
Unies, qui a été acceptée, et l’administration turque a déjà déclaré
qu’elle est prête à y adhérer.
M. RENDIS (Grèce) (traduction)
J’avais espéré
que M. Ecevit nous aurait donné des réponses plus constructives.
Ses réponses ne m’incitent guère à l’optimisme. Je souhaiterais
poser une question complémentaire concernant les personnes vivant
sur l’île turque d’Imros. En 1965, Imros fut déclarée prison ouverte
et des prisonniers purgeant une peine de longue durée y furent transférés
de l’intérieur de la Turquie. Ils furent laissés en liberté sur
l’île, et la crainte poussa de nombreux habitants à prendre la fuite.
Aujourd’hui, moins de cent personnes vivent encore sur l’île. J’avais
espéré que M. le Premier ministre aurait dit qu’il essaierait d’évacuer
ces détenus d’Imros afin que les habitants de l’île puissent y vivre
en paix.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
L’île d’Imros n’est pas une prison ouverte, bien qu’il s’y trouve
effectivement une prison. Je me suis attardé longuement sur cette
question précédemment et, le temps nous étant mesuré, je n’y reviendrai
pas. J’ai essayé d’être constructif en répétant ce que j’ai dit
aux autorités grecques. Si des citoyens turcs d’origine grecque
souhaitent revenir en Turquie nous serons très heureux de les accueillir.
M. VENIZELOS (Grèce) (traduction)
Monsieur le Président,
je dirai pour commencer que je ne suis pas d’accord avec la procédure
qui a été suivie. M. le Premier ministre Ecevit a monologué pendant
une heure et demie.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
La procédure
utilisée est tout à fait normale. La personne interrogée peut en
effet répondre aux questions en les groupant ou une par une. Si
M. le Premier ministre n’avait pas laissé de temps pour des questions
complémentaires, votre réclamation aurait été justifiée. Mais tel
n’est pas le cas.
M. VENIZELOS (Grèce) (traduction)
M. le Premier ministre
a soulevé d’énormes questions qu’on ne peut laisser sans réponse,
et il n’est pas possible d’y répondre en ces quelques minutes.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
L’objet
de cette réunion n’est pas de vous permettre de répondre à M. le
Premier ministre. C’est lui qui est ici pour répondre à vos questions.
M. VENIZELOS (Grèce) (traduction)
M. le Premier ministre
a soulevé des questions et formulé des déclarations qui ne correspondent
pas à la réalité. Il a dit que la démocratie existe en Turquie.
Je crois qu’il est douteux que la Turquie possède une démocratie
au sens que nous donnons à ce terme en Europe. Il n’est pas possible
de dire que la démocratie existe lorsque la loi martiale est appliquée.
M. le Premier ministre a dit que la loi martiale n’avait été décrétée
que dans un petit nombre de provinces, mais c’est dans deux de ces
provinces que réside la plus grande partie de la population turque.
Ce sont les provinces qui contiennent les villes de Constantinople et
d’Ankara.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Ce n’est
pas une question complémentaire. Voulez-vous poser une question complémentaire
à la question n° 5 que vous avez déposée?
M. VENIZELOS (Grèce) (traduction)
Il est évident
que l’Assemblée essaie d’escamoter le problème. M. le Premier ministre
a indiqué qu’il a pris des mesures afin de régler le contentieux
gréco-turc dès qu’il est entré en fonctions. Quelles sont ces mesures?
La principale difficulté entre la Grèce et la Turquie, à présent,
concerne le problème de Chypre, qui a été discuté. Les autres concernent
le plateau continental, l’espace aérien au-dessus de la mer Egée
et les minorités. Je voudrais expliquer à l’Assemblée combien il
est scandaleux...
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Nous ne
voulons pas escamoter les problèmes. Nous suivons la procédure établie
et n’avons pas l’intention d’en changer. Il ne s’agit pas ici d’un
débat. Vous avez posé votre question complémentaire, et je demande
à M. le Premier ministre d’y répondre.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Mon honorable interlocuteur a dit qu’un pays ne peut être considéré
comme démocratique si la loi martiale y est appliquée. Cependant,
s’il me permet de le lui rappeler, la loi martiale est couverte
par l’article 15 de la Convention européenne des Droits de l’Homme,
et tout pays membre qui y recourt est tenu d’en aviser le Conseil
de l’Europe – ce que nous avons effectivement fait.
Je voudrais répondre brièvement à la question relative aux
mesures que la Turquie a prises pour faciliter la solution de notre
contentieux avec la Grèce. Mon interlocuteur a mentionné quatre
sujets principaux de difficultés entre la Turquie et la Grèce: premièrement,
le problème de Chypre; deuxièmement, le plateau continental; troisièmement,
la question de l’espace aérien; et, quatrièmement, les minorités.
Je souhaiterais que cela soit également l’avis du Gouvernement
grec. Jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi à convaincre le Gouvernement
grec que la question de Chypre devrait être abordée entre la Turquie
et la Grèce. Le Gouvernement grec d’Athènes ne semble s’intéresser
qu’aux questions qu’il considère comme «bilatérales» entre la Turquie
et la Grèce, et n’englobe pas Chypre parmi ces questions.
Je souhaiterais également que nous puissions aborder dans
nos discussions avec le Gouvernement grec le quatrième point que
mon honorable interlocuteur a mentionné, à savoir la question des
minorités. Lorsque nous avons essayé de le faire, la réponse des
autorités grecques a été qu’elles n’accepteraient d’examiner cette
question que lorsque tous les autres points en litige entre les
deux pays auraient été réglés.
Je me demande également si l’on est tout à fait en droit d’appeler
complètement démocratique un pays où dans sa partie Nord, en Thrace
septentrionale, un groupe minoritaire n’est même pas autorisé à
se déplacer librement.
M. ROPER (Royaume-Uni) (traduction)
Je remercie
M. le Premier ministre d’avoir abordé en profondeur les problèmes du
Proche-Orient dans ses remarques initiales, ainsi que d’avoir répondu
à ma question. Puis-je lui demander de dire spécifiquement quelle
devrait être, selon lui, la prochaine étape dans la solution des
problèmes subsistant au Proche-Orient, après la signature du traité
israélo-égyptien?
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Merci, Monsieur Roper. Je pense que la prochaine étape devrait
être celle qui aurait dû être la première, à savoir la reconnaissance
des droits légitimes du peuple palestinien.
M. CARVALHAS (Portugal)
Monsieur le
Premier ministre, je vous remercie d’avoir répondu à mes questions mais,
excusez-moi, je ne comprends pas vos réponses.
Prenons, par exemple, la revue Hergün. Vous dites qu’elle
ne circule pas parce qu’elle a publié les statuts d’un parti. Quel
parti? Prenons, par exemple, le parti communiste. Vous dites: «Mon
parti est pour la légalisation du parti communiste.» Cela veut-il
dire que les autres partis qui font la coalition avec le vôtre sont
contre? Ou cela veut-il dire que vous pensez que vous n’avez pas
la force suffisante pour légaliser ce parti?
Comment comprendre qu’un parti, qui a la force pour la mise
en œuvre de l’état de siège et de la loi martiale, n’a pas la force
pour légaliser un parti?
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Merci, Monsieur Carvalhas. Votre question est très pertinente.
Les autres partis représentés au Parlement sont pour le moment tous
opposés à la légalisation du parti communiste. Le parti qui est
au Gouvernement ne dispose pas d’une majorité absolue. Nous n’avons
pu obtenir cette majorité absolue qu’avec l’appui de certains indépendants
dont beaucoup ne sont pas d’accord avec une telle décision. C’est
là la seule raison de notre attitude.
M. LE PRÉSIDENT
Monsieur
Péridier, voulez-vous poser une question complémentaire?
M. PÉRIDIER (France)
Je veux bien poser
une question complémentaire, Monsieur le Président, mais il conviendrait
que M. le Premier ministre réponde d’abord à ma question écrite.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Alors,
il serait préférable de demander à M. le Premier ministre d’être
bref et de répondre en une seule fois à toutes les questions du
document 4334 auxquelles il n’a pas encore répondu c’est-à-dire
les questions nos 10, 11, 12, 13, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30 et 31. Je voudrais
en effet que les membres de l’Assemblée aient le temps de poser
des questions complémentaires, pour que le débat soit équilibré.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Je n’en étais pas encore arrivé à la question de M. Péridier, à
laquelle je serai heureux de répondre.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Monsieur
le Premier ministre, voulez-vous avoir l’amabilité de répondre à
présent brièvement aux questions que je viens d’énumérer et auxquelles
vous n’avez pas encore répondu? J’insiste sur «brièvement» parce
que je voudrais que les membres de l’Assemblée aient la possibilité
de vous poser des questions complémentaires dans le temps qui nous
reste.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
J’essayais d’en terminer avec diverses questions que M. Carvalhas
avait posées. Je répondrai maintenant brièvement à une autre question.
Il a demandé si des équipements d’espionnage américains précédemment
installés en Iran devaient être transférés en Turquie, et si des
facilités avaient été accordées à la République Fédérale d’Allemagne
pour tester et développer de nouvelles armes en Turquie. Ma réponse
à ces deux questions est «non». Ces questions sont de toute évidence
suscitées par des informations dénuées de tout fondement. Le système
AWACS, auquel la Turquie s’est rattachée, est un dispositif de l’OTAN
de caractère exclusivement défensif et n’a rien à voir avec l’Iran comme
indiqué dans la question de M. Carvalhas.
M. Carvalhas a également posé une question concernant les
arrestations survenues le 1er mai. Je
ferai remarquer, pour clarifier la situation, que, le 1er mai,
les manifestations n’étaient pas interdites en Turquie. Toutefois,
toutes les réunions publiques en plein air et tous les rassemblements
étaient interdits, la loi martiale une fois décrétée, dans les provinces
où celle-ci était en vigueur. De toute évidence, il ne pouvait être
fait exception pour les manifestations du 1er mai.
Ceux qui ont agi à cette occasion à l’encontre de la décision des autorités
chargées du maintien de l’ordre savaient qu’ils s’exposaient ainsi
à des poursuites. Quarante-trois rassemblements importants ont eu
lieu le 1er mai dans diverses parties
de la Turquie en dehors des provinces visées par la loi martiale.
Certains de ceux qui avaient été arrêtés pour n’avoir pas respecté
l’interdiction découlant de la loi martiale ont déjà été libérés
et il se peut que dans un proche avenir, un grand nombre, sinon la
totalité des autres, soient libérés parce que leur affaire a déjà
été soumise à la Cour martiale d’Istanbul. Ni le Gouvernement, ni
les autorités chargées du maintien de l’ordre ne peuvent intervenir
lorsqu’un procès a commencé.
Une autre question de M. Carvalhas concerne l’existence d’un
accord de compensation entre la Turquie et la Libye. La réponse
à cette question est «non». Nous avons des accords commerciaux mutuels
avec plusieurs pays, mais non sur une base de compensation.
Quant à sa question concernant nos discussions avec le FMI,
nous pensons, comme je l’ai déjà indiqué, que les organisations
financières internationales devraient tenir compte des situations
ou des difficultés sociales des pays, qui ne peuvent être entièrement
dissociées des problèmes économiques. Elles devraient également prendre
en considération les différences dans les niveaux de développement.
Nos discussions avec le FMI sont toujours en cours, comme je l’ai
indiqué.
M. Péridier demande quel intérêt a la Turquie d’occuper une
partie d’une île qui ne possède ni pétrole, ni uranium, ni ressources
minières quelconques. Il est vrai qu’il n’existe pas de grandes
richesses minières à Chypre, mais ce qui y existait par contre,
c’était une souffrance humaine suffisante pour nous forcer à intervenir en
qualité de puissance garante. Les troupes turques ne sont stationnées
à Chypre ni pour spolier l’île d’une partie de son territoire, ni
pour en exploiter les ressources.
J’ai répondu aux questions posées par M. Jessel, M. Frangos
et M. Papaefstratiou. J’ai également répondu à certains aspects
de la question de Mme Mercouri. J’en
arrive à présent aux autres aspects de sa question. Elle a dit que
le coup d’Etat du 15 juillet 1974 n’avait pas fait long feu, et
cela est vrai. Mais je me demande s’il en aurait été ainsi si la
Turquie n’était pas intervenue. Je pense que s’il n’y avait pas
eu d’intervention turque, le régime de la junte en Grèce n’aurait
sans doute pas cessé d’exister. Il aurait peut- être étendu son
emprise à la fois sur la Grèce et sur Chypre.
Mme Mercouri demande également
si l’intervention turque à Chypre est conciliable avec les principes
de la morale socialiste. Je me demande si les socialistes de la
Grèce ou de la communauté grecque de Chypre ont jamais pensé à traiter
les Chypriotes turcs de façon équitable et avec un souci de justice
sociale avant 1974.
Il est de notoriété publique que des unités militaires de
la Grèce continentale étaient stationnées à Chypre longtemps avant
juillet 1974, contrairement à tous les accords internationaux et
à la Constitution alors en vigueur. Je crois comprendre que Mme Mercouri
est hostile à une présence durable des forces turques sur l’île. Nous
serions très heureux de contribuer à créer les conditions qui permettraient
à toutes ces forces de rentrer en Turquie — et même, nous en réduisons
constamment les effectifs. J’espère qu’elle reconnaîtra, après tout ce
qui s’est passé sur l’île au cours de ces deux ou trois dernières
décennies, et antérieurement, qu’il nous est tout simplement impossible
d’abandonner à nouveau au seul hasard la sécurité des Turcs qui
s’y trouvent.
Je répondrai à présent brièvement aux questions de M. Stoffelen.
Afin d’aider à l’instauration d’une atmosphère de confiance mutuelle
entre la Turquie et la Grèce, nous avons lancé plusieurs initiatives
dans ce sens. Aussitôt après que mes collègues et moi-même fûmes
entrés en fonctions en Turquie l’année dernière, j’ai pris la liberté
d’inviter M. Karamanlis, Premier ministre grec, afin de discuter
avec moi des problèmes présentant un intérêt mutuel pour nos deux
pays. Il accepta aimablement mon invitation et nous eûmes une réunion
assez utile en mars 1979 à Montreux. Cette réunion a été suivie
d’effets à plusieurs niveaux.
Il y a eu, je le crois, un progrès lent mais prometteur dans
la bonne direction au cours de toutes les discussions. Je suis heureux
de dire qu’aussi bien M. Karamanlis que moi-même avons pris grand
soin de ne pas attiser les passions dans chacun de nos deux pays.
On peut se rendre compte, je le crois, que l’atmosphère entre la Turquie
et la Grèce est aujourd’hui meilleure qu’elle ne l’était fin 1977.
Nous avons récemment encouragé nos journalistes à se rencontrer,
à se rendre mutuellement visite et à échanger des idées, avec l’aide
de l’Institut international de la presse, en vue d’améliorer encore
le climat psychologique entre les deux pays. M. Karamanlis et moi-même
pensons tous deux qu’il est essentiel de créer une atmosphère psychologique favorable
à des négociations fructueuses.
Je crois qu’il n’y a aucun conflit d’intérêts fondamental
entre la Turquie et la Grèce. Au contraire, je suis convaincu que
les deux pays ont tout à gagner à entretenir des relations amicales
et à coopérer, de sorte que nous devrions tout mettre en œuvre afin
d’assainir l’atmosphère psychologique et de dégager la voie pour
un règlement négocié de nos problèmes. Je pense qu’il est juste
de dire que les difficultés et les retards sur la voie d’une solution
ne sont pas venus de la Turquie, particulièrement depuis l’entrée
en fonctions de mon Gouvernement.
M. Stoffelen, M. Coutsocheras et M. Venizelos m’ont posé une
question sur le problème des réfugiés à Chypre. On sait que de nombreux
Chypriotes grecs ont émigré vers le Sud en vertu d’un accord conclu
entre M. Denktash et M. derides durant leur troisième conversation
de Vienne en juillet et août 1975. De même, conformément à cet accord,
65 000 Chypriotes turcs ont émigré vers le Nord, tous de leur propre
initiative, abandonnant leur maison natale se trouvant dans le Sud.
Le problème des réfugiés est lié à la solution du problème
chypriote dans son ensemble. Dans l’intervalle, il ne faut pas oublier
que, en plus des 65 000 Chypriotes turcs que je viens de mentionner,
des dizaines de milliers de Chypriotes turcs ont été forcés de fuir
ou d’émigrer au cours des années comprises entre 1963 et 1974. En cette
matière, toute solution juste que l’on pourra trouver pour le problème
chypriote devra être une solution qui permettra aux deux communautés
de ne plus vivre à nouveau les tragédies qu’elles ont vécues avant
l’été 1974, et les dispositions pertinentes de l’accord Denktash-Makarios
du 12 avril 1977 devraient constituer un élément de plus à prendre
compte pour résoudre cet aspect du problème.
Récemment encore, dans une déclaration formulée le 20 juillet
de l’année dernière, M. Denktash a été plus loin et a indiqué que
son administration était prête à envisager un repeuplement du district
Varosha de Famagouste par des Chypriotes d’origine grecque dès que
les négociations intercommunautaires auraient commencé. Cela assurerait
une solution aux problèmes de réinstallation de grands nombres de
réfugiés grecs, vu les intéressantes possibilités économiques offertes
par ce district.
J’aimerais en finir avec les questions concernant ce sujet
et avec les autres relatives à Chypre en disant qu’elles montrent
toute l’importance d’une reprise des négociations entre les communautés
turque et grecque à Chypre si l’on veut apporter des réponses et
des solutions aux questions et aux problèmes soulevés au cours de
cette réunion.
Je pense que ces problèmes auraient dû être abordés en premier
lieu dans le cadre voulu, à savoir dans le cadre des négociations
intercommunautaires qui ont malheureusement été retardées pendant
plusieurs années par suite de l’intransigeance des Chypriotes grecs.
M. Stoffelen a aimablement posé des questions constructives
sur ce que nous attendons de la part de la Communauté économique
européenne et de l’OCDE. Je le remercie de ses préoccupations, mais
comme j’ai déjà évoqué ces questions dans mon exposé initial, il
est inutile que j’y revienne maintenant.
M. van Waterschoot s’est aimablement inquiété des conditions
de vie en Turquie et des perspectives qui s’offriraient à la démocratie
turque si l’aide extérieure attendue ne se matérialisait pas. Il
demande quelles sont mes prévisions. Je les ai déjà exprimées d’une
façon assez voilée, si bien que je n’y reviendrai pas, mais je le remercie
néanmoins de ses préoccupations quant à l’avenir de la démocratie
en Turquie.
M. van Waterschoot demande également si nous pouvons compter
élargir notre majorité au Parlement. Cela est possible, mais je
voudrais lui rappeler que presque tous les gouvernements des pays
démocratiques d’Europe reposent aujourd’hui sur des majorités faibles
ou instables, et que certains d’entre eux ne disposent même d’aucune
majorité du tout. A l’heure actuelle, nous n’avons pas de problèmes
de gouvernement en Turquie, bien que nous ayons du mal à faire passer
des textes législatifs au Parlement, parce que, en tant que parti,
nous ne disposons pas d’une majorité absolue, même si, en tant que
Gouvernement, nous jouissons du soutien de la majorité.
M. Lewis a posé quelques questions concernant le patriarcat
orthodoxe d’Istanbul. J’ai déjà abordé cette question dans mon exposé
et dans ma réponse à certaines questions. Je suis sûr que ses préoccupations
à ce sujet ont été éveillées par la propagande adverse qui a été
faite sur cette question dans certains milieux. En Turquie, il existe
une égalité complète en ce qui concerne les droits religieux, et
ce qui se passe à propos du patriarcat orthodoxe est pleinement
conforme aux dispositions de notre Constitution et de nos lois.
En outre, depuis que mon Gouvernement est entré en fonctions, comme
je l’ai indiqué, nous avons instauré un dialogue permanent non seulement
avec les représentants de la communauté grecque, mais également
avec le patriarcat orthodoxe, et nous nous efforçons de trouver
des solutions immédiates pour tout problème qu’ils peuvent être
amenés à soumettre au Gouvernement. Je suis sûr que les griefs auxquels
il est fait allusion émanent non pas de la minorité grecque de Turquie,
mais essentiellement de certains milieux des Etats-Unis, qui doivent
toujours faire en sorte d’entretenir la cabale grecque montée contre
la Turquie.
J’ai déjà répondu à la question de M. Venizelos en répondant
à d’autres questions.
Je pense avoir déjà répondu aux questions très constructives
de M. Bardens concernant les perspectives d’amélioration des relations
entre la Turquie et la Grèce. Il s’est aimablement référé à un poème
que j’ai écrit dans ma jeunesse et dans lequel j’exprimais mon espoir
de voir venir une époque où nous pourrions recréer une civilisation
égéenne entre les peuples turc et grec. On m’a reproché au Parlement,
début 1974, avant l’intervention à Chypre, d’avoir écrit ce poème
dans ma jeunesse, avant que je ne m’occupe de politique. Je suis
monté à la tribune du Parlement et j’ai dit:
«C’est un poème que j’ai écrit
lorsque j’étais un jeune homme ne s’occupant pas de politique, mais
je le signerais aujourd’hui encore.»
Lorsqu’un Turc et un Grec se rencontrent, où que ce soit,
ils ne peuvent s’empêcher de se saluer chaleureusement. Je pense
que nous devons faire tout ce qui est notre pouvoir pour arriver
à ce type d’atmosphère lorsque ces deux peuples se rencontrent de
nation à nation.
M. Gessner a posé une question pratique et pertinente concernant
les difficultés que la Turquie a rencontrées à propos du paiement
de dettes étrangères de certaines firmes turques. Il s’agit là d’un
problème réel, dont nous nous occupons déjà. Quelques efforts ont
été faits en vue d’une révision du calendrier des remboursements,
et nous avons récemment convaincu nos amis d’examiner la possibilité
de revoir les échéances des dettes commerciales non garanties par
l’Etat. Nous espérons qu’un accord se fera sur ce problème.
M. Schulte pose une question concernant la réintégration de
la Grèce dans la structure militaire de l’OTAN. Je dirai très clairement
que nous ne sommes pas opposés du tout au retour de la Grèce dans
la structure militaire de l’OTAN. Au contraire, nous pensons qu’il
serait ridicule de continuer à parler de l’aile Sud-Est de l’OTAN
si l’un des pays, quel qu’il soit, composant cette aile — la Turquie
ou la Grèce — n’était pas incorporé à la structure militaire de
l’OTAN. Nous pensons qu’il est de l’intérêt non seulement du pays,
mais également de l’OTAN que la Grèce rejoigne l’Organisation. Le
problème provient du fait que la Grèce, tout en réintégrant la structure
militaire de l’OTAN, a voulu que l’Organisation approuve ses revendications
à propos d’un certain haut commandement militaire et d’un certain
arrangement de surveillance dans la mer Egée, bien qu’un tel arrangement
n’ait jamais été officialisé par l’OTAN et n’ait jamais été reconnu
par la Turquie. C’est là une question qui regarde essentiellement
l’OTAN.
C’est sur cette toile de fond que nous envisageons le problème,
et nous avons fait preuve d’une grande souplesse. Les conversations
entre le général Haig, le commandement allié suprême des forces
de l’OTAN en Europe, et les parties intéressées sont en cours, et
j’ai la sincère conviction que nous pourrons bientôt aboutir à une
solution. Je voudrais profiter de cette occasion pour dire que la
Turquie a fait tout ce qui était en son pouvoir, particulièrement
au cours de ces dernières semaines, pour faciliter le retour de
la Grèce dans la structure militaire de l’OTAN.
J’ai déjà répondu aux questions de Mme Gradin
en répondant à d’autres questions.
Sir Frederic Bennett a posé un certain nombre de questions
pertinentes sur le point de savoir si j’ai de nouvelles propositions
à formuler afin d’améliorer la sécurité et la stabilité nationales
ou régionales dans notre partie du monde. Comme j’ai déjà évoqué
longuement cette question dans mon exposé initial, ma réponse est brève.
Pour résumer, je dirai que, si l’on veut que la situation s’améliore
au Proche-Orient, il faudrait faire en sorte que cessent les interventions
extérieures et que l’intégrité de certains pays ne soit plus mise
en cause par suite d’influences extérieures, et que ces pays cherchent
à résoudre leurs propres problèmes nationaux ou régionaux en tenant
dûment compte des problèmes du monde en général et avec un sentiment
de responsabilité à l’égard de l’ensemble du monde. Je crois que
pour beaucoup des pays de la région, les problèmes de développement
sont très liés aux motifs qui inspirent parfois leur politique extérieure.
C’est là un sujet de réelle préoccupation.
La plupart des pays producteurs de pétrole se préoccupent
de l’époque où leurs ressources pétrolières naturelles seront épuisées
et reconnaissent la nécessité d’accroître leurs efforts de développement
afin d’assurer un avenir plus stable et plus favorable à leurs peuples.
D’un autre côté, certains d’entre eux se heurtent à des difficultés
au cours du processus de développement parce que les progrès sur
la voie du développement économique créent parfois d’énormes problèmes
sociaux et politiques. Certains, comme la Turquie, peuvent être
en mesure d’y faire face, mais pour d’autres, ce n’est peut- être
pas aussi facile.
Je crains qu’il n’existe pas de solution miracle à une situation
aussi complexe que celle du Proche-Orient et, comme je l’ai dit
tout à l’heure, je crois que le règlement prioritaire de la question
palestinienne permettra de résoudre plus facilement tous les autres
problèmes de la région.
Je remercie M. Valleix de se préoccuper du maintien de la
démocratie en Turquie. Dans mon exposé initial, j’ai évoqué notre
préoccupation commune à l’égard de la démocratie. Nous devons tous
faire preuve d’une plus grande solidarité pour préserver la démocratie,
non seulement en exprimant notre attachement à elle, mais en nous
aidant les uns les autres quand besoin est, afin qu’elle reste un
régime viable dans certains Etats membres, en dépit de leurs graves
difficultés économiques.
Je voudrais ajouter à cette occasion que le rôle, les fonctions
et l’importance du Conseil de l’Europe ne devraient pas décroître
au fur et à mesure que la Communauté économique européenne gagnera
en importance, compte tenu particulièrement du passage à un Parlement
européen élu, parce que je crois que les diverses organisations
européennes ne sont pas contradictoires, pas plus qu’elles ne font
double emploi. Elles ont des orientations et des fonctions différentes.
Par exemple, on peut dire que l’OTAN est une organisation concernée
par la sécurité, et que la Communauté économique européenne est
une institution concernée par l’économie, tandis que le Conseil
de l’Europe est une organisation concernée par des valeurs. Si nous
voulons sauvegarder les valeurs démocratiques auxquelles nous attachons
tant de prix, nous devons donner une importance et un poids accrus
au Conseil de l’Europe après l’avènement d’un Parlement européen
élu dans le cadre de la Communauté.
Je pense avoir répondu à la plupart des questions posées par
M. Delehedde. Il me demande si je suis satisfait du système régissant
notre association avec la Communauté économique européenne. Franchement,
ma réponse est «non». Nos rapports avec la Communauté, notamment
au cours de ces dernières années et plus particulièrement au cours
de ces derniers mois, ont été assez décevants, bien que certains
signes —j’essaie toujours d’être optimiste — indiquent la possibilité
d’une certaine amélioration dans l’avenir.
Je pense que la Turquie a été traitée de façon très déloyale,
par exemple dans le domaine des concessions agricoles. En fait,
les concessions accordées à des pays méditerranéens non associés
sont parfois bien supérieures à celles accordées à la Turquie. Théoriquement,
il ne devrait y avoir aucun obstacle aux exportations d’articles
industriels de Turquie vers les autres pays de la Communauté économique
européenne, mais chaque fois que nous avons la bonne fortune de
découvrir une possibilité d’exporter certains produits industriels
en quantités appréciables vers un pays membre, l’un ou l’autre obstacle
nous est immédiatement opposé.
Bien que le droit à la liberté de circulation ait été reconnu
par écrit aux travailleurs turcs, ce droit ne leur est pas accordé
dans les faits, et il est regrettable que les Turcs travaillant
dans les pays européens se voient privés de certains droits sociaux
importants, tels que le droit de transférer en Turquie leurs cotisations
à la caisse de pensions lorsque, à cause du chômage, ils souhaitent
retourner chez eux avant l’âge de la retraite légal de leur pays
de résidence. La réduction des allocations pour les enfants restés
au pays d’origine a entraîné l’émigration de presque tous les enfants
vers les pays industrialisés, créant ainsi d’énormes problèmes culturels,
pédagogiques et sociaux pour lesquels aucune solution n’a encore
été trouvée durant nos discussions avec les Etats membres de la
Communauté.
M. Page me demande quelle est actuellement la situation de
l’emploi en Turquie et si la diminution du nombre de personnes travaillant
dans l’agriculture est compensée par l’augmentation du nombre de
celles occupées à la réalisation de nouveaux projets industriels.
Il n’en est rien. L’agriculture malheureusement a été négligée pendant
de nombreuses années en Turquie, si bien que la population, comme
je l’ai dit dans mon exposé initial, a dû émigrer massivement vers
certains centres urbains; et malgré cela, on n’a pas créé suffisamment d’industries
dans ces centres urbains pour absorber tous les nouveaux venus,
de sorte que nous avons aujourd’hui à faire face à un énorme problème
de chômage.
Afin de remédier à cette situation, mon Gouvernement a concentré
ses efforts sur le développement rural et agricole. Nous croyons
qu’un pays en voie de développement n’a pas besoin et n’est pas
obligé de choisir entre moderniser son agriculture et accélérer
son rythme d’industrialisation. Au contraire, un secteur agricole plus
productif pourrait, selon moi, constituer un aiguillon pour l’industrialisation,
et c’est pourquoi nous avons commencé à mettre en place des centres
de croissance agricole dans des groupes de villages. Ces centres, nous
l’espérons, non seulement donneront aux paysans la possibilité d’unir
leurs ressources et leurs efforts en vue d’une meilleure productivité,
mais encore leur permettront de passer au stade de l’exploitation
industrielle de leurs produits ou à d’autres industries.
M. Warren me demande ce que je pense de la menace du bloc
soviétique pour la Turquie suite à la dissolution de l’alliance
de défense du CENTO. Je dirai que le CENTO n’avait pas réellement
d’efficacité militaire ou défensive, et que sa disparition n’a donc
pas notablement modifié la situation. Les menaces auxquelles la Turquie
est exposée ne peuvent être dissociées du contexte mondial dans
son ensemble, vu l’importance cruciale de sa situation géopolitique.
C’est pourquoi nous attachons beaucoup d’importance à la détente
et au rapprochement entre l’Est et l’Ouest et c’est pourquoi nous
œuvrons en faveur de l’instauration d’une atmosphère de confiance
mutuelle entre l’Est et l’Ouest.
Y a-t-il encore des questions, Monsieur le Président?
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Non, il
n’y en a pas. Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, d’avoir
très bien répondu à ces questions. Il nous reste peu de temps, car
nous devons penser aux interprètes qui sont mis à rude épreuve et
depuis longtemps déjà.
Quoi qu’il en soit, M. Péridier et Mme Mercouri
sont encore inscrits sur ma liste. Monsieur Péridier, voulez-vous poser
une question complémentaire?
M. PÉRIDIER (France)
J’estime que M. le
Premier ministre n’a pas répondu à mes questions car il a oublié de
répondre à la deuxième qui était aussi importante que la première.
L’explication que vous avez donnée pouvait se justifier au
lendemain de l’occupation de Chypre, mais pas cinq ans après, alors
que l’EOKA n’existe plus, que la politique de l’Énosis a été abandonnée
par la Grèce et que Mgr Makarios a disparu.
Par conséquent, il aurait été beaucoup plus intéressant que vous
nous disiez combien coûte l’occupation de Chypre à la Turquie. Cela,
pour nous, était très important. Car nous voulons bien que la Communauté
économique européenne vous aide, mais pour améliorer la situation
des travailleurs turcs et non pas pour payer la solde de militaires
qui occupent une île, occupation qui n’ajoute qu’aux difficultés économiques
et sociales de la Turquie. (Applaudissements)
Mais j’aurais voulu surtout, Monsieur le Premier ministre,
que vous répondiez à ma deuxième question, très importante, qui
a trait à la rencontre que le Président Kyprianou a acceptée avec
M. Denktash. Je vous avais demandé de me dire si la Turquie pensait
que cette rencontre pourrait aboutir conformément à la résolution adoptée
par les Nations Unies, résolution dont je me permets de vous rappeler
qu’elle a été votée par tous les pays représentés au Conseil de
l’Europe.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Les forces turques stationnées à Chypre ne représentent pas
une charge sensible pour notre économie. De toute façon, elles auraient
été maintenues sur l’île, la Turquie devant conserver une armée
importante dans une région du monde aussi importante du point de
vue géopolitique, et la distance n’est pas grande entre la Turquie
et Chypre. M. Péridier ne doit donc pas s’inquiéter outre mesure
à ce propos. Je suis d’accord avec lui pour dire qu’il n’aurait
pas été nécessaire de conserver ces forces turques à Chypre, même
en nombre très restreint, si un accord avait pu être atteint entre
les deux communautés au cours des cinq dernières années. Malheureusement,
l’administration chypriote grecque ne s’est pas montrée très coopérative
à cet égard, c’est le moins qu’on puisse dire, et semble penser
qu’aussi longtemps qu’elle peut compter sur un appui extérieur contre
la Turquie, elle peut se permettre de laisser aller les choses et
de ne pas se lancer dans une solution négociée qui serait incompatible
avec ce qu’elle a souvent déclaré comme étant son objectif à long
terme. Mon optimisme me pousse à espérer que les prochaines conversations
entre M. Kyprianou et M. Denktash aboutiront à des résultats positifs.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Je regrette
de devoir en arriver maintenant à la dernière question complémentaire,
étant donné les limites que nous nous sommes fixées. Les réunions
de commissions commencent à 14 heures et les interprètes doivent
avoir une période de repos, qui sera déjà trop brève.
La parole est à Mme Merkouris.
Mme MERKOURIS (Grèce)
Vous avez l’art,
Monsieur le Premier ministre, de répondre aux questions qui vous
sont soumises par de subtils subterfuges qui, sans toucher le fond
des problèmes, donnent l’impression d’ambiguïté sur vos décisions
et vos attitudes incohérentes par rapport à vos déclarations de
politique générale et de votre Gouvernement.
De plus, je vous demande, Monsieur le Premier ministre, comment,
vous, comme démocrate et comme socialiste, vous pouvez concilier
ces buts si nobles que poursuit l’Europe en élisant son Parlement
avec l’occupation militaire qui se poursuit à Chypre et comment
vous pouvez espérer attendre le soutien de n’importe quelle organisation
européenne démocratique? J’ajoute que l’application de la loi martiale
est permise temporairement et non pas éternellement.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
Je suis d’accord avec Mme Mekcouris
pour dire que la loi martiale ne devrait être déclarée ni de façon
permanente ni pour de longues périodes dans aucun pays, et j’ai exprimé
l’espoir dans mes remarques initiales, que la situation évoluera
de façon telle que nous aurons le désir et la possibilité, sans
aucun risque, d’abroger la loi martiale qui a été déclarée à la
fin de l’année dernière.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Mme Merkouris
a dit qu’elle parlait de l’occupation de Chypre.
Mme MERKOURIS (Grèce)
Combien de temps
encore doit durer l’occupation de Chypre?
La Grèce fait tout pour concilier les choses entre elle et
la Turquie. Pourtant combien de temps encore va se poursuivre l’occupation
de Chypre? Pendant combien de temps y aura-t-il des disparus? Nous
possédons une liste immense des gens qui ont disparu de la Grèce,
liste fournie par la Croix-Rouge et dont nous pouvons vous donner
lecture.
M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)
J’en arrivais à cette partie de votre question. Si la possibilité avait
existé d’aborder dans le cadre opportun – c’est-à-dire dans le cadre
de conversations intercommunautaires à Chypre – toutes les questions
et tous les problèmes que vous et vos collègues grecs avez soulevés
au cours de cette réunion, nous aurions sans doute atteint depuis
longtemps le stade où nous serions tout disposés à retirer toutes
nos troupes de l’île. Si nous avions l’intention d’occuper ou d’envahir Chypre,
nous aurions très souvent l’occasion d’agir autrement que nous ne
l’avons fait depuis l’été 1974.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Monsieur
le Premier ministre, permettez-moi de vous exprimer toute ma gratitude...
M. COUTSOCHERAS (Grèce)
Monsieur le Président...
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Non, j’ai
déjà indiqué qu’il se fait très tard et que les interprètes doivent
se reposer avant que les séances de commissions ne commencent. Je
regrette que tous ceux qui avaient posé des questions à M. le Premier
ministre n’aient pu poser une question complémentaire, mais je pense
que ceux qui ont posé les questions les plus délicates ont eu cette
possibilité. Ils ne l’ont eue qu’une fois, mais le but de cette
réunion n’était pas de mener un débat complet avec M. le Premier
ministre, mais seulement de leur permettre de poser des questions.
Je désire exprimer ma gratitude à M. le Premier ministre,
et je sais que je peux, en votre nom à tous, le remercier d’avoir
répondu si longuement à toutes les questions qui lui ont été posées.
Vos réponses n’auront pas satisfait tout le monde, Monsieur le Premier
ministre – il est juste de le reconnaître – mais nous sommes très
heureux qu’elles aient été aussi détaillées. Je dois vous remercier
également de votre très intéressant exposé et de votre présence
en cet hémicycle. J’espère que le reste de votre séjour à Strasbourg
vous sera également très agréable.