Bülent

Ecevit

Premier ministre de Turquie

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 10 mai 1979

Monsieur le Président, Monsieur le Président du Comité des Ministres, Mesdames et Messieurs les membres éminents de l’Assemblée parlementaire et du Comité des Ministres, je tiens pour commencer à vous remercier, Monsieur le Président, de vos très aimables paroles d’introduction et de l’appréciation constructive et objective que vous avez portée sur la position de la Turquie dans le monde et sur la contribution que la Turquie peut apporter à la paix mondiale et au dialogue entre l’Est et l’Ouest et entre le Nord et le Sud.

C’est un honneur pour moi que de pouvoir prendre aujourd’hui la parole devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

A cet honneur s’ajoutent la joie et la fierté que j’éprouve en songeant que l’occasion qui m’est ainsi offerte coïncide avec le trentième anniversaire de cette importante Organisation. Il s’agit du premier parlement international digne de ce nom, dont l’autorité morale n’a cessé de se renforcer au cours de ces trente années.

Cependant, la démocratie a survécu et survivra en Turquie, car la société turque a déjà dépassé le point de non-retour et le peuple ne se laissera pas détourner de son choix initial.

Permettez-moi, Monsieur le Président, de vous féliciter, vous-même et les membres éminents de l’Assemblée parlementaire, sans oublier toutes les nations démocratiques qui ont contribué à la réussite et au prestige du Conseil de l’Europe.

Je vois en lui le vivant monument de l’attachement des Etats membres à la démocratie et une institution exemplaire qui ne cesse d’œuvrer dans tous les domaines pour enrichir la démocratie et développer les libertés et les droits de l’homme.

La Turquie, dont la démocratie a pratiquement le même âge que celle du Conseil, est fière d’appartenir à cette institution depuis l’année de sa fondation.

Elle est, parmi les pays en développement, le seul où la démocratie n’ait subi aucune éclipse aux cours de ces trois décennies. Ce n’est pas chose aisée que de la maintenir et de la respecter dans un pays aux prises avec les terribles difficultés et handicaps des nations en développement. La tentation est forte, face à ces difficultés, d’emprunter des raccourcis trompeurs qui, sans qu’on s’en rende compte, risquent d’éloigner la société de la voie de la démocratie, une voie qui suppose patience, persévérance et tolérance.

Rien d’étonnant donc à ce que le processus et l’évolution démocratiques aient connu en Turquie des périodes fastes et néfastes; c’est au cours de ces dernières, lorsque le recul des forces économiques et sociales tendait à nous éloigner de la démocratie, que notre appartenance au Conseil de l’Europe a été à plusieurs reprises la boussole qui nous a aidés à maintenir le cap. La meilleure sauvegarde de la démocratie est incontestablement en Turquie — comme dans tout autre pays démocratique — l’attachement du peuple à la liberté, mais c’est notre appartenance au Conseil qui nous a bien souvent empêchés de nous égarer.

Ceci étant, je voudrais surtout consacrer cette allocution aux problèmes que la Turquie connaît depuis quelques années et aux épreuves que la démocratie a connues en raison précisément de ces problèmes.

Je parlerai à ce propos des difficultés que tout pays en développement résolu à atteindre ses objectifs dans un cadre démocratique peut avoir à affronter. En ce sens, les solutions valables apportées aujourd’hui aux problèmes de la Turquie peuvent être une source d’encouragement pour les pays désireux de suivre la même voie.

La Turquie est l’un des pays qui, à notre époque, a connu les transformations les plus rapides. Aussi les problèmes et les conflits dus aux changements et aux transitions ont-ils été marqués par une certaine acuité.

Les mutations qu’a connues la Turquie n’ont pas seulement intéressé l’infrastructure. Elles ont porté en même temps sur l’infrastructure et la superstructure. Parfois même la superstructure a été la première touchée. Les bouleversements suscités par un tel processus de mutation générale et accélérée ont été quelque peu atténués par un régime démocratique qui, tout en permettant au mécontentement causé par les difficultés d’adaptation de s’exprimer, rendait plus difficile encore le maintien de la démocratie.

C’est surtout au cours des trente dernières années que la Turquie a connu une période de développement économique rapide, mais en même temps quelque peu désordonnée et déséquilibrée. A une date plus récente, les contraintes imposées par la crise économique et mondiale des années 70 ont causé un choc à l’économie et à la société.

La Turquie a un taux plutôt élevé de croissance démographique et c’est là un facteur qui a aggravé nos problèmes sociaux pendant cette période de transformation. Les grands centres urbains ont connu un afflux d’immigrants. Ceux de la première génération étaient très satisfaits de leur sort puisqu’ils pouvaient comparer les facilités que leur offraient les villes avec le mode de vie pénible et étriqué qu’ils avaient connu dans les régions rurales attardées. Ceux des deuxième et troisième générations, en revanche, ne trouvaient guère de consolation dans cette comparaison. Ils éprouvaient, dans leur esprit et dans leur cœur, la frustration provoquée par les contrastes qui existent dans les agglomérations urbaines, en particulier lorsque le chômage atteignait un seuil critique.

Les candidats à l’enseignement supérieur ont dans l’intervalle augmenté, alors que les diplômés avaient de plus en plus de peine à trouver des emplois à leur convenance.

Puis il y a eu naturellement cette imposante migration des chômeurs et des chômeurs partiels, notamment en provenance des zones rurales et des régions les plus déshéritées de la Turquie, vers les pays industrialisés de l’Occident. Les gens se trouvaient du jour au lendemain transplantés de leur lointain village d’Anatolie, localité coupée du reste du monde, dans les centres hautement industrialisés et sophistiqués du monde occidental. Tout en ne tardant guère à s’adapter à des cultures, à des milieux et à des modes de vie totalement nouveaux et différents, ils restaient étroitement en rapport avec leurs villes et leurs villages de Turquie. Ils sont devenus des maîtres à penser et se sont faits les avocats de nouvelles valeurs et de nouveaux modes de vie assez exigeants dans leur milieu d’origine, qu’ils visitaient régulièrement ou avec lequel ils correspondaient fidèlement par lettres ou même par bandes magnétiques. Ils sont devenus les tenants d’un changement encore plus accéléré et encore plus radical en Turquie. Il en est parfois résulté des conflits, notamment dans les régions sous-développées du pays, non seulement en raison de niveaux de développement et de milieux culturels nettement différents, mais aussi en raison des différences d’âge. On eût dit qu’en se rendant annuellement au pays ou en correspondant régulièrement avec lui, ils empruntaient un tunnel qui remontait le temps.

Sous l’influence de ces facteurs, au cours des dix ou douze dernières années, les impatients en quête de solutions trop radicales, voire miraculeuses, aux problèmes complexes et multiples d’une société pluraliste en évolution ont éprouvé un sentiment de frustration; les milieux qui souhaitaient recueillir les bénéfices matériels du développement économique rapide, tout en luttant en vain pour empêcher les conséquences sociales, culturelles et politiques inévitables de ce développement économique rapide ont, quant à eux, réagi encore plus vivement, se sentant encore davantage frustrés.

Ces groupes antagonistes aux deux extrémités du paysage politique ne pouvaient espérer atteindre leurs objectifs mal définis et indéfendables dans le cadre du régime démocratique existant ou en tentant de modifier ce régime par des moyens pacifiques. Ils ont donc eu tous les deux recours à la force et il en est résulté une escalade du terrorisme.

Ils ne pouvaient espérer modifier le contexte politique existant par des moyens pacifiques, étant donné que la grande majorité de la population demeure fermement attachée à la démocratie et qu’en Turquie la démocratie bénéficie de solides garanties constitutionnelles et institutionnelles.

Parmi ces garanties, je puis citer le pouvoir judiciaire totalement indépendant avec un système de nomination et de promotion autonome, les hautes cours, dont les membres sont élus, habilitées à abroger des lois et à annuler des décisions administratives, des universités autonomes, une presse libre et une radio et une télévision indépendantes, ainsi qu’un mouvement syndicaliste libre et puissant.

Cet attachement de la population à la démocratie ainsi que ces garanties constitutionnelles et institutionnelles ont permis à la démocratie turque de surmonter la terrible épreuve que constituaient des années de terrorisme ainsi que les graves problèmes économiques et sociaux auxquels nous étions confrontés.

Plus récemment, les troubles au Moyen-Orient, qui ont pris une ampleur nouvelle, et la vacance du pouvoir en Iran ont contribué à accroître l’agitation en Turquie, une partie des impatients et des radicaux de droite comme de gauche ayant cru pouvoir exploiter le nouveau climat régnant dans cette partie du monde pour parvenir plus facilement à leurs fins.

Bien qu’il soit encore trop tôt pour prévoir les conséquences futures, les événements en Iran revêtent une importance historique, dénotant l’aspiration fondamentale du peuple iranien vers une société libre, démocratique et moins dépendante de l’étranger. Ce qui s’est produit en Iran ne peut cependant manifestement pas arriver en Turquie; il existe, en effet, des différences considérables entre les structures politiques et sociales des deux pays voisins, par exemple l’opposition massive en Iran tendait à remplacer un

régime autoritaire par un régime démocratique, tandis qu’en Turquie la démocratie existait déjà et les groupes marginaux opposés au régime voulaient imposer des régimes autoritaires contre la volonté des masses; en Turquie, le développement économique est allé de pair avec les réformes sociales, politiques et institutionnelles qui doivent accompagner le développement, tandis qu’en Iran, ces réformes n’ont pas pu avoir lieu; en Turquie, le laïcisme est profondément enraciné et l’attachement du peuple à la religion a été concilié de manière satisfaisante avec les principes d’un Etat laïc, tandis qu’en Iran cela n’était pas le cas.

La proximité géographique a néanmoins incité plusieurs groupes à tenter de se lancer dans des aventures similaires en Turquie. Si ces tentatives ont échoué, elles ont cependant contribué à une recrudescence de l’agitation et du terrorisme. Ce sont ces circonstances également qui nous ont obligés à décréter la loi martiale dans certaines provinces par mesure de sécurité.

Malgré les différences entre la situation sociale et politique en Turquie et en Iran, de solides liens historiques et culturels unissent les deux pays, et je considère qu’une coopération étroite et fructueuse, qui pourrait et devrait s’instaurer entre les deux pays voisins, serait un gage de stabilité et de progrès au Moyen-Orient dans son ensemble.

Je suis convaincu que fort de son passé historique, le peuple iranien surmontera ses difficultés actuelles et assurera un avenir radieux à son pays. Dans l’intervalle, il est essentiel que l’Iran puisse sauvegarder son unité et son intégrité, c’est indispensable non seulement pour l’Iran mais pour la paix et la sécurité de toute cette région. J’espère donc vivement que toute tentative de rompre l’unité de ce pays sera vouée à l’échec.

L’unité de la nation turque repose sur le fait que les différences ethniques n’entrent pas en compte dans les attitudes traditionnelles et les relations sociales du peuple turc. Dans l’histoire de la Turquie, les conflits ethniques ou religieux ne sont apparus qu’à la suite de provocations extérieures au pays. Durant ces dernières années, et depuis quelques mois surtout, des provocateurs manipulés par l’étranger agissent de nouveau sur le territoire, ces provocations ne sont pas seulement dirigées contre la Turquie, mais contre plusieurs pays de la région. Parfois, des forces opposées rivalisent d’efforts pour provoquer et contrôler les mêmes groupes ethniques ou religieux, dans le but évident d’entretenir les divisions et de diviser plus encore, pour mieux affaiblir et dominer la région et certains des pays qui la composent.

Le Moyen-Orient n’est certainement pas un milieu confortable pour la démocratie, plusieurs gouvernements ou courants politiques et groupes d’intérêts puissants dans le monde s’efforçant constamment de s’immiscer dans les affaires intérieures et extérieures des pays de la région.

L’importance stratégique et les richesses pétrolières de la région sont au moins autant un fardeau qu’un atout pour ces pays et la Turquie est l’un des rares pays de cette région qui doit s’accommoder de cette situation et résister à ces courants de l’extérieur sans avoir l’avantage et les moyens d’action que lui donneraient d’importantes ressources pétrolières.

Dans ces circonstances, il faut constamment rester vigilant pour éviter que les portes et les fenêtres ouvertes d’une société démocratique comme celle de la Turquie ne laissent entrer des courants extranationaux et internationaux divergents qui viendraient perturber davantage encore une situation politique et sociale naturellement confuse et compliquée dans une période ardue d’adaptation et de développement accéléré.

Cependant, la démocratie a survécu et survivra en Turquie, car la société turque a déjà dépassé le point de non-retour et le peuple ne se laissera pas détourner de son choix initial.

J’espère aussi que nous pourrons mettre fin ou réduire prochainement le champ d’application de la loi martiale.

L’efficacité des forces de sécurité intérieure s’est progressivement et régulièrement améliorée et un nombre croissant de terroristes sont appréhendés et jugés. Ces faits devraient tôt ou tard exercer leur effet dissuasif. La paix est déjà revenue dans les écoles et les universités après des années de lutte et d’enseignement interrompu dans bien des établissements. Les heurts avec la population ne se sont plus reproduits depuis les événements tragiques de la fin de l’année dernière.

Nous savons bien sûr que le terrorisme ne peut être supprimé simplement par l’efficacité accrue des forces de sécurité et des mesures prises, tout comme nous savons qu’aucun pays ne peut ni ne doit compter indéfiniment et exclusivement sur l’attachement du peuple à la démocratie, ou sur l’efficacité des garanties constitutionnelles et institutionnelles.

L’ampleur des difficultés économiques rencontrées par la Turquie depuis quelques années provoquerait un malaise social et créerait un terrain propice au terrorisme dans n’importe quel pays. On peut même dire, je crois, que dans très peu de pays, la démocratie pourrait résister à 50 % d’inflation et à 20 % de chômage aussi longtemps que l’a fait la démocratie turque.

Nous devons donc trouver le moyen de sortir de la crise économique, la pire qu’ait connue notre histoire républicaine.

Des erreurs ont été commises dans la structuration et la gestion de l’économie turque, mais il serait injuste de rejeter toute la responsabilité des difficultés actuelles sur ceux qui ont commis ces erreurs. La crise économique mondiale a été un facteur plus important, car la Turquie fait partie des pays en développement pauvres en pétrole de plus en plus coincés entre l’augmentation effrénée des prix du pétrole, d’une part, et celle des prix des biens d’investissement et des produits semi-finis d’autre part — biens que nous devons importer en quantité massive pour faire fonctionner nombre de nos industries et maintenir notre rythme de croissance.

En restructurant l’économie et en exploitant mieux nos ressources naturelles, nous pouvons améliorer considérablement nos ressources en devises, non seulement par des exportations de biens mais aussi par l’exportation de notre technologie vers certains pays de la région et par le tourisme pour lequel la Turquie est privilégiée.

En effet, l’an dernier, alors que nous ne pouvions utiliser que la moitié environ de notre capacité industrielle en raison des coupures d’électricité et de la pénurie des produits importés, nous avons pu augmenter de plus de 30 % nos gains à l’exportation et, pour les trois premiers mois de cette aimée, le taux d’augmentation a atteint 38 %. Récemment, nous avons pu mettre fin aussi à des années de coupures d’électricité quotidiennes en exploitant mieux nos propres ressources naturelles pour la production d’énergie.

La Turquie possède manifestement un potentiel considérable d’accroissement de son autonomie économique et sa situation géopolitique offre également de larges possibilités pour une coopération tripartite qui devrait permettre à l’industrie et à la main-d’œuvre turques d’exploiter fructueusement la capacité technologique sous-employée de certains pays développés et les capitaux sous-employés de plusieurs pays de la région.

La Turquie offre de vastes possibilités aux investissements étrangers, notamment en raison des marchés prometteurs existant dans certains pays de la région et nous sommes prêts à accueillir ces investissements, dans la mesure où ils contribueront à notre développement économique et technologique et à l’équilibre de notre balance des paiements et favoriseront la coopération régionale.

Mais nous avons besoin d’un ballon d’oxygène et d’un peu de pétrole pour remettre en marche notre économie sur une base plus saine et sortir de la crise.

Jusqu’à présent nos partenaires et amis en Occident ont, à de rares exceptions près, assisté à cette évolution en spectateurs passifs voire sympathisants. Après la rencontre de la Guadeloupe, au début de cette année, plusieurs de nos amis ont déclaré que la Turquie avait de toute urgence besoin d’une aide sous forme de crédits importants. Plus de quatre mois se sont écoulés depuis et cette aide «urgente» n’a pas encore été dispensée, encore que récemment certains indices nous aient encouragé à l’espérer pour bientôt peut-être.

La Turquie a été obligée d’affecter aux seules importations pétrolières la quasi-totalité de ses recettes d’exportation au cours de ces quatre mois. Il lui a fallu de surcroît, au cours de cette même période, verser une somme équivalant à la totalité de ses recettes annuelles d’exportation de tabac et de coton — qui constituent ses deux principaux articles d’exportation — à titre d’acompte du remboursement de la dette étrangère.

Certains observateurs occidentaux s’étonnent que l’économie et la démocratie turques puissent encore survivre. Nous ne pouvons toutefois nous empêcher de penser qu’un apport plus substantiel que des manifestations de surprise et de sympathie pourrait et devrait être espéré de nos amis, si tant est que des entreprises communes ou des alliances sont censées garantir la solidarité dans les temps difficiles.

L’année dernière, et cette année notamment, nous avons pris des mesures de stabilisation économique qui présentent de gros risques politiques pour tout gouvernement démocratique. Nous avons pris volontairement ces risques politiques. Nous ne pouvons toutefois nous permettre de prendre des risques sociaux dans une mesure qui aggraverait de façon critique l’agitation dont notre société est déjà la proie.

Dans un pays démocratique qui en est au stade du développement, l’applicabilité sociale de mesures de stabilisation est pour le moins aussi essentielle que leur applicabilité économique.

Dans un tel pays une stabilité statique n’est pas rentable, et, même lorsqu’elle paraît rentable, elle comporte des inconvénients à un moment donné. Il faut que la stabilité soit dynamique et qu’elle imprime une certaine impulsion à la croissance et au développement.

La Turquie en particulier est obligée de maintenir un rythme assez élevé de croissance et d’adopter une stratégie de développement équilibré et sain, pour les raisons suivantes:

— il lui faut sauvegarder sa démocratie tout en mettant son économie sur pied et, à cet effet, elle doit être à même de satisfaire les besoins fondamentaux d’une population croissante dans une société ouverte et libre;

— il lui faut attaquer à la racine les troubles sociaux et le terrorisme en abaissant le taux élevé du chômage et en réduisant l’injustice sociale;

— il lui faut en définitive réduire à des dimensions tolérables l’écart entre elle-même et ses partenaires aux économies très développées, afin de pouvoir poursuivre la collaboration sur une base viable;

— il lui faut accroître rapidement ses recettes en devises afin de pouvoir acquitter ses dettes cumulatives et financer des importations essentielles;

— il lui faut élargir et renforcer l’infrastructure de son économie, qui est difficilement à même de supporter plus longtemps le poids de son industrie;

— il lui faut enfin maintenir dans une mesure viable sa capacité défensive dans une région en proie aux différends, aux troubles et aux incertitudes.

Comme je l’ai déjà dit, la Turquie dispose d’un potentiel économique suffisamment important pour avoir une chance de réaliser une stabilité dynamique dans ces conditions, et à l’avenir nos relations avec l’Occident seront inévitablement, et malgré nous, influencées par la mesure dans laquelle la Turquie pourra compter sur l’appui de ses alliés et partenaires, dans les efforts qu’elle déploie pour surmonter ses difficultés économiques actuelles tout en exécutant un tel programme de stabilisation et de développement.

Par «inévitablement» je veux dire que la Turquie n’entend pas relâcher ses liens avec ses partenaires du fait d’un choix politique, mais que des facteurs économiques pourraient en eux-mêmes affaiblir ces liens. De fait, les difficultés engendrées par la pénurie de devises fortes, à laquelle la Turquie a dû faire face ces dernières années en maintenant son volume d’échanges avec l’Occident, ont d’ores et déjà eu pour conséquence de modifier sensiblement la composition de ses relations commerciales extérieures, l’éloignant quelque peu de ses partenaires occidentaux.

Une telle évolution gênerait évidemment nos efforts pour franchir successivement les stades de notre association avec la Communauté économique européenne, compte tenu notamment du fait que certains pays membres ont tendance à opposer des difficultés à une association juste et viable avec la Turquie.

Chez certains du moins de nos alliés et partenaires occidentaux, la tentation de tirer parti des difficultés économiques de la Turquie semble l’emporter sur la volonté de l’aider à résoudre ses difficultés économiques immédiates et critiques. D’aucuns semblent vouloir profiter de ces difficultés pour imposer à la Turquie certaines politiques ou certaines stratégies restrictives de développement.

Une telle tentation s’explique en particulier — et peut-être essentiellement — par les préoccupations qu’a causées à certains de nos alliés et partenaires occidentaux la réévaluation à laquelle la nation turque a procédé dans le domaine de ses relations internationales et notamment régionales, afin de mieux s’adapter à l’évolution mondiale ainsi qu’aux exigences géographiques et historiques.

Comme vous l’avez dit, Monsieur le Président, la Turquie est à la fois en Europe et en Asie et elle a des racines historiques dans certaines régions d’Afrique.

La Turquie est un Etat laïc et sa population est en grande partie musulmane.

Elle est située au carrefour de l’Orient et de l’Occident au sens à la fois géographique et culturel du terme.

Elle est également située au carrefour du Nord et du Sud au sens géographique et socio-économique du terme.

A une époque où tous les pays du monde sont de plus en plus soudés les uns aux autres, où les distances entre l’Est et l’Ouest rétrécissent à tous égards et où la volonté de combler l’écart entre le Nord et le Sud s’affirme avec plus de vigueur, la Turquie est appelée à remplir certaines fonctions d’une portée universelle.

Un pays jouxtant l’Union Soviétique et géographiquement proche des pays socialistes d’Europe de l’Est, dont plusieurs faisaient avec elle partie jusqu’à une date récente d’un seul et même Etat, un pays ainsi placé ne saurait feindre d’ignorer le rapprochement de plus en plus marqué entre l’Est et l’Ouest et le passage de la guerre froide à la détente. Il ne saurait demeurer indéfiniment à la traîne de ses alliés et partenaires occidentaux en ce qui concerne la normalisation de ses relations et le développement de la coopération économique avec les pays de cette région.

Il faut au contraire penser qu’il se doit au premier chef de contribuer au processus de détente et de rapprochement car c’est là, en cette ère nucléaire, le seul espoir ouvert sur l’avenir de l’humanité.

Il est donc injuste de mettre en doute les intentions de la Turquie puisqu’elle prend des mesures en ce sens, surtout si l’on songe aux multiples initiatives déjà prises au fil des années par nombre de ses alliés et partenaires occidentaux.

La Turquie est également un pays à population en majorité musulmane et elle a des liens historiques étroits avec les pays islamiques et arabes dont plusieurs faisaient avec elle partie jusqu’au début du siècle du même Etat où nous vivions sur un pied de parfaite égalité et où les différences ethniques comptaient fort peu.

Il est donc pour le moins aussi injuste de se demander si la Turquie a l’intention de se détourner de l’Occident parce qu’elle a cherché à consolider ses liens et à élargir sa coopération avec les pays islamiques et arabes; cela apparaît encore plus injuste si l’on considère que de nombreux pays de l’Ouest se sont évertués à en faire autant.

Au lieu d’exprimer ou d’entretenir des doutes ou des pensées aussi anachroniques, nos alliés et partenaires de l’Ouest devraient se demander quelle action la Turquie, avec sa situation géopolitique et son patrimoine historique, peut engager en faveur de la détente, du rapprochement Est-Ouest en général, du dialogue Nord-Sud et de rapports mieux équilibrés avec l’ensemble du Moyen-Orient.

Les problèmes du Moyen-Orient qui, de toute évidence, préoccupent vivement le monde entier, ont été rendus inutilement compliqués et explosifs pour la bonne raison que la possibilité n’a pas été donnée aux pays de la région d’essayer de les régler entre eux pacifiquement. Lorsqu’on laisse les problèmes d’une région aussi importante internationalement traîner en longueur et s’envenimer, plusieurs pays extrarégionaux finissent par s’en mêler et les problèmes se compliquent encore car les propres problèmes et aspirations de chaque puissance étrangère viennent s’ajouter en l’aggravant à une situation déjà complexe.

Cette constatation, ainsi que notre désir de vivre en paix avec tous nos voisins, a incité mon gouvernement à prendre sans plus tarder des mesures pour améliorer les relations tendues entre la Grèce et la Turquie et ouvrir la voie à une solution de l’affaire chypriote.

En ce qui concerne les problèmes fondamentaux du Moyen-Orient, à savoir la question israélo-arabe et le sort du peuple palestinien, la recherche de solutions pacifiques et satisfaisantes et d’un accord global serait grandement facilitée si les pays de la région eux-mêmes étaient en mesure de prendre l’initiative et si la priorité était donnée aux droits et aspirations légitimes du peuple palestinien.

Il est évidemment essentiel que les initiatives prises en vue de trouver des solutions ne le soient pas dans le seul intérêt des pays de la région mais témoignent d’un sens des responsabilités à l’égard du reste du monde. En effet, toute mesure irresponsable décidée à la légère dans une région stratégiquement importante pourrait fort bien provoquer une confrontation dangereuse entre les grandes puissances malgré les efforts louables déployés par ces puissances pour éviter une telle confrontation.

Ces efforts, de la part des Etats-Unis d’Amérique et de l’Union Soviétique, ont une importance capitale pour l’humanité et j’espère que la ténacité dont ont fait preuve ces deux grandes puissances pour assurer la réussite des négociations SALT II marquera une étape importante dans la prévention d’une catastrophe nucléaire.

Je sais bien, évidemment, que les accords et arrangements SALT doivent, pour être vraiment efficaces, s’accompagner d’une réduction de la tension et des armements dans toutes les parties du monde stratégiquement importantes.

La sécurité européenne, vue sous cet angle, est absolument capitale; c’est pourquoi j’espère qu’un arrangement plus global que celui envisagé dans les pourparlers sur la réduction mutuelle et équilibrée des forces sera conclu ultérieurement.

Dans ce monde en évolution rapide et en cette ère de détente, la nature, les valeurs et les possibilités de l’association de la Turquie avec les pays démocratiques de l’Occident ne devraient pas être jugées en fonction de la volonté de celle- ci de continuer à jouer le rôle d’un garde-frontière solitaire brandissant encore la bannière de la guerre froide du passé et toujours doté en grande partie des armements de la guerre de Corée ou même de la seconde guerre mondiale.

Une telle attente serait une contradiction dans les termes, elle serait en contradiction avec notre époque de changement; cela reviendrait à oublier le rôle que la Turquie peut et doit jouer aux échelons régional et international au service de la paix mondiale, d’un ordre économique plus juste et mieux équilibré, ainsi que de la diffusion des principes et valeurs de la démocratie et de la liberté.

J’aimerais en terminant, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, rappeler que les liens de la Turquie avec les pays démocratiques de l’Occident sont plus durables que ceux créés par une simple association formelle. Ce lien traduit la ferme détermination du peuple turc de faire vivre la démocratie et de défendre la démocratie envers et contre tous. Si la Turquie peut prouver qu’une telle détermination est viable, si elle peut prouver qu’elle est viable politiquement, socialement et économiquement, pour un pays en développement, beaucoup de choses dans le monde pourraient s’en trouver changées.

C’est à cause de ce lien durable et essentiel que la Turquie attache un grand prix à son appartenance au Conseil de l’Europe — une institution qui, à ses yeux, représente la volonté collective des Etats membres de sauvegarder et rajeunir sans cesse la démocratie et de propager toujours plus loin les vertus et valeurs du mode de vie démocratique.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, de votre exposé extrêmement intéressant et, à bien des égards, extrêmement stimulant.

M. Ecevit va à présent répondre aux trente et une questions figurant dans le document 4334. M. le Premier ministre a aimablement accepté de rester parmi nous jusqu’à au moins 12 heures 45. Je demanderai' à tous les membres de cette Assemblée de veiller à faire le meilleur usage de ce temps précieux et à faire preuve dans toute la mesure du possible d’autodiscipline en ne posant que des questions complémentaires très courtes.

Si les Représentants n’ont pas signé correctement le rôle, une réponse pourra être donnée par le Premier ministre mais aucune question complémentaire ne sera autorisée. Je fais allusion aux Suppléants qui n’ont pu signer le rôle parce que les Représentants l’avaient déjà fait.

J’invite à présent M. le Premier ministre à répondre à la question n° 1 de M. Coutsocheras. C’est une question générale sur Chypre; j’en donne lecture:

«M. Coutsocheras

Demande au Premier ministre de Turquie si le Gouvernement turc se conformera dans les meilleurs délais aux résolutions de l’ONU en ce qui concerne le retrait de l’armée turque d’occupation de Chypre, ainsi que des 40 000 colons turcs, introduits dans le territoire occupé, et en ce qui concerne le réétablissement dans leurs foyers des Chypriotes grecs, réfugiés depuis l’invasion.»

La parole est à M. Ecevit.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Merci, Monsieur le Président. Comme vous le savez, je n’ai eu connaissance de la plupart des questions que ce matin, et c’est pourquoi je ne serai peut-être pas en mesure d’y répondre de façon détaillée. Le Représentant de la communauté chypriote turque aurait pu répondre de façon plus précise aux questions relatives à Chypre, si sa présence n’avait pas été rendue impossible par l’attitude chypriote grecque. Les parlementaires de Grèce semblent suivre de près et activement le problème de Chypre, et je m’en réjouis. Je souhaite que le Gouvernement de Grèce fasse également des efforts dans cette direction, conjointement avec le Gouvernement turc. La Turquie et la Grèce doivent toutes deux donner leur appui aux deux communautés de l’île afin d’accélérer la venue d’une solution.

Si vous me permettez, je répondrai à la question n° 1 en même temps qu’à quelques autres parce qu’elles me semblent se recouper à certains égards. Si vous me le permettez également, je désirerais tout d’abord répondre aux questions posées par différents membres de cette honorable Assemblée, M. Coutsocheras, comme vous l’avez indiqué, puis Mme Tsirimokou et ensuite MM. Papaefstratiou et Frangos...

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Dans ce cas, Monsieur le Premier ministre, permettez- moi de donner lecture des questions n° 2 de Mme Tsirimokou, et n° 16 de MM. Frangos et Papaefstratiou:

«Question n° 2

Mme Tsirimokou,

Rappelant que le Premier ministre de Turquie a déclaré que «l’opération» menée contre Chypre en juillet et août 1974 n’était pas une conquête, mais une mission pacifique conforme aux Traités de Zurich et de Londres de 1959;

Rappelant qu’en Grèce, l’opinion est convaincue que ces traités ne donnent à aucune des puissances garantes le droit d’entreprendre une action militaire unilatérale;

N’étant pas personnellement en mesure d’affirmer que ce droit existe ou non, mais constatant que, suivant les termes du traité de garantie, toute forme d’intervention peut avoir heu «dans le seul but de rétablir la situation créée par le présent traité» (article 3, paragraphe 2, du traité de garantie),

Demande au Premier ministre de Turquie:

pourquoi la Turquie, vingt-cinq jours après la première invasion, a entrepris une deuxième invasion et conquis la partie la plus riche de Chypre, alors que les régimes dictatoriaux de Chypre et de Grèce avaient été renversés et que Mme Makarios et le Premier ministre Karamanhs (artisans des Traités de Zurich et de Londres) étaient prêts à appliquer ces traités, c’est-à- dire à rétablir le statu quo ante;

pourquoi, cinq ans environ après l’invasion de Chypre, le Gouvernement turc n’a rien fait, pas même abordé la question du rétablissement du statu quo ante;

pourquoi le Gouvernement turc demande non pas simplement plus de garanties pour la communauté turque, mais le renversement total de la situation établie par les Traités de Zurich et de Londres;

comment concilier les faits ci-dessus avec l’assurance que les «opérations» de juillet et août 1974 étaient une mission pacifique fondée sur le traité de garantie.

Question n° 16

MM. Frangos et Papaefstratiou

Demandent au Premier ministre de Turquie d’exposer les raisons pour lesquelles la Turquie maintient une importante armée d’occupation en République de Chypre, compte tenu notamment des difficultés économiques auxquelles son pays doit faire face, comme il le prétend, et en dépit de la résolution des Nations Unies et des règles du droit international.»

La parole est à M. Ecevit.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Ces questions portent sur le retrait des forces turques du Nord de Chypre. Nous avons déclaré à plusieurs occasions, tant mon Gouvernement que moi-même, que les forces turques stationnées à Chypre seraient retirées dans le cadre d’une solution définitive. Ces forces sont sur l’île dans le seul but d’assurer la sécurité de la communauté chypriote turque. Dès que cette sécurité sera assurée et que les conditions empêchant l’oppression d’une partie par l’autre seront créées dans le cadre d’une solution définitive — une solution juste, viable et durable — il n’y aura plus aucune nécessité de maintenir ces forces sur l’île sauf celles acceptées par les deux parties d’un commun accord.

Depuis 1974, faisant un geste de bonne volonté, la Turquie a graduellement et sans discontinuer rappelé une importante partie de ses troupes stationnées sur l’île. Si l’on inclut le dernier rappel de 15 000 hommes, le nombre de militaires rentrés en Turquie s’élève à près de 19 000.

Il n’y a aucun rapport direct ou indirect entre la présence des forces turques à Chypre et les difficultés économiques que la Turquie connaît actuellement. Nous les aurions connues de toute façon parce que, comme je viens de l’indiquer, la plus grande partie des troupes turques stationnant sur l’île a déjà été retirée et la partie restante n’est pas assez importante pour que la charge en soit insupportable pour notre économie.

En outre, la présence des troupes turques sur l’île, pour les raisons que j’ai déjà indiquées, ne peut avoir d’effet négatif sur la contribution de la Turquie aux forces de l’OTAN.

M. Coutsocheras a également posé une question concernant la présence de colons turcs dans la partie Nord de Chypre. L’Etat fédéré turc de Chypre, pour la mise en œuvre de son programme de reconstruction et de remise en état, a besoin de main-d’œuvre pour certaines activités économiques, du moins pendant un certain temps. A mon sens, la venue de colons est due au fait que, avant 1974, en raison de la situation qui, on le sait, régnait sur l’île, les Chypriotes turcs n’ont pu acquérir les compétences nécessaires, ou certaines des compétences nécessaires, dans divers domaines.

En conséquence, un certain nombre de travailleurs turcs sont employés dans le Nord de Chypre afin de combler les vides dans certains secteurs. En outre, un grand nombre de Chypriotes turcs qui avaient été forcés de quitter l’île avant 1974 sont revenus dans leurs foyers. Ces deux flux migratoires, si on les ajoute, ne représentent pas 40 000 personnes comme il est dit dans la question. Dans l’ensemble, les nouveaux arrivants sont beaucoup moins nombreux que les Chypriotes turcs qui ont dû quitter l’île du fait des persécutions dont ils ont été l’objet pendant des années et qui, pour beaucoup d’entre eux, restent dispersés de par le monde.

Je voudrais à présent essayer de répondre à la question de Mme Tsirimokou concernant la restauration de la situation antérieure dans l’île. Je ne crois pas que quiconque puisse prétendre que la situation qui existait auparavant à Chypre était une solution satisfaisante pour l’une ou pour l’autre des deux communautés. Pendant des années avant l’été de 1974, les accrochages et les conflits étaient constants, non seulement entre les Turcs et les Grecs mais également entre les Grecs eux-mêmes. C’est pourquoi un retour à la situation antérieure à Chypre signifierait la création ou la recréation de conditions qui amèneraient la répétition des tragiques événements du passé, qui consistaient en conflits et en persécutions constantes, particulièrement de la communauté turque — et il ne faut pas oublier que c’est essentiellement parce que les Chypriotes grecs ont essayé par la force et avec l’appui militaire de la Grèce continentale de mettre fin au statu quo que Chypre a récemment connu ces événements tragiques.

Ce furent également, souvenons-nous-en, les Chypriotes grecs qui, de 1963 à 1974, ont tout fait pour violer systématiquement et, à la fin, pour battre en brèche l’ordre constitutionnel de 1960. En fait, longtemps avant juillet 1974, la Constitution existante avait cessé d’être appliquée, du moins en ce qui concerne les droits des Turcs.

Suite à l’intervention turque à Chypre, que la Turquie a décidée en tant que puissance garante, deux administrations autonomes ont été formées. Ce fait est concrétisé dans la Déclaration de Genève du 30 juillet 1974 qui a été signée par les ministres des Affaires étrangères de Grèce et de Turquie. Je ferai remarquer qu’en 1976, lorsqu’une commission restreinte de la Chambre des communes suggéra à M. James Callaghan que la Grande-Bretagne aurait pu ou aurait dû éviter la tragédie en 1974, celui-ci répondit que si la Grande-Bretagne était intervenue au titre de l’article approprié du traité de garantie, elle «aurait été obligée de restaurer la Constitution de 1960... Le rétablissement de la situation antérieure n’aurait pas été possible... Cela se serait retourné contre nous et nous nous serions retrouvés dans la situation des années 50».

J’en arrive à présent à la deuxième partie de la question de Mme Tsirimokou, à savoir aux raisons de la deuxième opération militaire entreprise au cours de l’été 1974. Avec votre permission, je m’étendrai assez longuement sur ce sujet, parce que j’espère pouvoir jeter quelque lumière sur un épisode relativement peu connu des malheureux événements et des occasions perdues de l’été 1974.

Après la première action militaire turque à la fin du mois de juillet 1974, en réponse au coup d’Etat soutenu par la junte d’Athènes, une réunion se tint à Genève entre représentants turcs et grecs afin d’examiner les modalités d’un cessez-le-feu et d’apporter la paix et la stabilité dans l’ile. J’étais Premier ministre de Turquie à l’époque et, avec mes collègues, j’insistai pour que l’on aménage une ceinture de sécurité raisonnable sous contrôle des Nations Unies, autour de la petite poche contrôlée par les forces turques entre Kyrenia et Nicosie. Nous déclarâmes que, si une telle ceinture de sécurité d’une longueur suffisante n’était pas créée, et en même temps si la sécurité des Turcs restés enclavés dans les régions contrôlées par les Grecs n’était pas assurée, il serait assez difficile de sauvegarder le cessez-le-feu et de progresser vers une solution pacifique.

Malheureusement, nous ne fûmes pas entendus et le maintien du cessez-le-feu commença à présenter des difficultés. Plus tard, au mois d’août, une deuxième Conférence de Genève fut convoquée entre des représentants de la Turquie et de la Grèce, à laquelle assistèrent également des représentants des communautés turque et grecque de Chypre. Au cours de cette discussion, nous fîmes un certain nombre de propositions constructives, parmi lesquelles celle d’une formule multicantonale. Hélas, il s’avéra très difficile de parvenir à un accord ou même à l’instauration d’une atmosphère favorable à un accord parce que, de toute évidence, après l’heureux retour de la Grèce à la démocratie, nos amis grecs en étaient venus à penser que maintenant qu’ils avaient regagné la confiance de leurs amis dans les pays démocratiques, ils pouvaient adopter un point de vue plus intransigeant.

Lorsque, vers la fin de la conférence, ils demandèrent à disposer d’un peu de temps pour pouvoir retourner dans leurs pays respectifs et consulter leurs gouvernements au sujet des nouvelles propositions turques, nous déclarâmes pouvoir attendre non pas pendant des jours ou des semaines, mais pendant des mois, si la sécurité des forces turques encerclées dans une très petite zone entre Kyrenia et Nicosie était assurée, et si l’on pouvait nous garantir la sécurité des villages turcs encerclés dans la région située entre la poche de Kyrenia-Nicosie et Famagouste, parce que, selon certaines rumeurs et certaines informations, ces Chypriotes turcs ainsi encerclés risquaient fort d’être massacrés, comme cela s’est malheureusement produit.

Afin d’assurer la sécurité de nos forces et celle des Turcs encerclés dans la zone appelée «Chatos», entre la poche de Kyrenia-Nicosie et Famagouste, nous suggérâmes dans les discussions que la zone comprise entre la poche de Kyrenia- Nicosie et Famagouste soit démilitarisée sous la surveillance des Nations Unies.

La zone démilitarisée que nous suggérions n’incluait pas Karpas. Certains de nos amis et plusieurs observateurs considéraient cette proposition intérimaire comme très raisonnable, et l’on nous demanda quelles garanties la Turquie pouvait donner que les unités turques n’occuperaient pas cette zone démilitarisée. Je répondis personnellement que nous étions disposés à donner toutes les garanties qu’on nous demanderait et que, de toute façon, les Nations Unies auraient le contrôle de ce secteur.

La zone dont nous suggérions la démilitarisation et la région contrôlée par les unités turques entre Kyrenia et Nicosie ne représentaient que 17% de la superficie de l’île. Malheureusement, cette proposition de bonne volonté fut immédiatement repoussée et, étant donné les circonstances, nous n’eûmes d’autre choix que de lancer la deuxième action militaire afin d’assurer la sécurité de nos imités encerclées dans une très petite zone et celle des villages turcs encerclés entre cette zone et Famagouste. Mais, hélas, durant cette deuxième action militaire, nous devions découvrir que, dans bien des cas, nous arrivions trop tard pour assurer la sécurité de ces villages, dont la population avait été massacrée.

Aujourd’hui encore, je considère qu’il s’agit là d’une phase relativement peu connue des événements de 1974 et d’une occasion manquée, et j’aimerais remercier l’honorable Représentant de la Grèce de m’avoir donné la possibilité d’évoquer ce chapitre de l’histoire récente.

Mme Tsirimokou dit dans sa question que l’opération turque de 1974 ne saurait être définie comme une mission pacifique. Qu’on le veuille ou non, il faut bien reconnaître avec réalisme que les cinq années qui se sont écoulées depuis représentent la seule période de paix que l’île ait connue à notre époque, bien que, bien sûr, j’eusse souhaité que l’on trouvât de meilleurs moyens d’assurer la paix.

Je voudrais à présent répondre à la question...

Mme TSIRIMOKOU (Grèce) (traduction)

Je désire faire un rappel au Règlement, Monsieur le Président...

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Vous ne pouvez interrompre l’orateur. Vous pourrez prendre la parole ultérieurement.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Monsieur le Président, je voudrais répondre simultanément à plusieurs questions posées par M. Frangos, M. Papaefstratiou, M. Jessel, Lady Fleming et Mme Gradin à propos des personnes disparues à Chypre.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Si vous le permettez, Monsieur le Premier ministre, je vais donner lecture des questions posées par les orateurs que vous venez de citer. Il s’agit des questions n° 3 de Lady Fleming, n° 14 de M. Jessel et n° 15 de MM. Frangos et Papaefstratiou:

«Question n° 3

Lady Fleming

Demande au Premier ministre de Turquie:

quel est le sort réservé aux 2 000 personnes disparues à Chypre à la suite des événements de 1974 et qui sont portées sur les listes de la Croix-Rouge internationale; et

s’il ne dispose pas d’informations à ce sujet, quelles mesures le Gouvernement turc a l’intention d’entreprendre, pour qu’une réponse satisfaisante puisse être donnée.

Question n° 14

M. Jessel

Demande au Premier ministre de Turquie s’il fera une déclaration sur les personnes portées disparues à Chypre.

Question n° 15

MM. Frangos et Papaefstratiou

Demandent au Premier ministre de Turquie d’informer l’Assemblée sur le sort des 2 000 Grecs et Chypriotes grecs qui sont portés disparus depuis l’invasion turque de Chypre.»

La parole est à M. Ecevit.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Les deux communautés de l’île déplorent des disparus. M. Denktash, président de la communauté chypriote turque, a déclaré dans une récente lettre à ce sujet adressée au Secrétaire général des Nations Unies que, après le coup d’Etat grec du 15 juillet 1974, le nombre de Chypriotes turcs disparus était d’environ 800, parmi lesquels la grande majorité étaient des civils et notamment de très jeunes enfants et des vieillards de 90 ans. L’administration chypriote grecque a jusqu’ici refusé de rendre compte de ces disparitions. Quelque 300 cadavres de Chypriotes turcs disparus ont été exhumés de charniers à Aloa, Maratha, Sandallaria et en d’autres endroits de l’île. La communauté turque déplore également une longue liste de personnes disparues par suite des conflits intercommunautaires de 1963 et de 1967.

Tous ces problèmes sont dus aux conditions existant antérieurement. Bien que les Chypriotes grecs aient essayé d’exploiter, peut-être à des fins de propagande, cette question humanitaire, les Chypriotes turcs ne l’ont jamais fait à ma connaissance. En fait, les deux communautés ont entrepris en 1977 une action commune à ce sujet et l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution, avec l’accord des deux communautés, tendant à la création d’un comité chargé de rechercher les disparus. Ce comité n’a toutefois pu être constitué ni s’acquitter de sa mission en raison de difficultés qui n’étaient pas le fait des Turcs. Les Chypriotes turcs restent prêts à coopérer à la création du comité prévu dans cette résolution de l’Assemblée générale et donneront leur plein appui à ses activités.

Je voudrais, Monsieur le Président, répondre une fois encore simultanément à plusieurs questions posées par M. Rendis, M. Karvelas, M. Papaefstratiou et Mme Tsirimokou.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

En fait, Monsieur le Premier ministre, il s’agit de la question n°4, posée par MM. Rendis, Karvelas, Papaefstratiou et Mme Tsirimokou; j’en donne lecture:

«MM. Rendis, Karvelas, Papaefstratiou et Mme Tsirimokou,

Rappelant:

que la Turquie a accepté, en 1976, que les 14 000 Chypriotes grecs vivant dans la péninsule de Karpas sous l’occupation turque jouissent de diverses libertés telles que la liberté d’enseignement, la liberté religieuse et la liberté de recevoir des soins médicaux;

que le nombre desdits Chypriotes grecs a été réduit entre-temps à 1 600;

que selon les rapports du Secrétaire général des Nations Unies, il est évident que ces libertés n’ont jamais été accordées ou l’ont été de manière si restrictive que les neuf dixièmes des Chypriotes grecs de la région ont préféré la solution pourtant fort déplaisante consistant à devenir des réfugiés à celle — encore plus défavorable — qui aurait consisté à rester dans leurs villages sous une administration militaire turque arbitraire, un exemple de cette situation étant le fait que des élèves qui avaient été contraints d’aller au Sud parce que la liberté d’enseignement promise ne leur avait pas été accordée, n’ont pas reçu l’autorisation de rendre visite à leurs parents pendant les vacances scolaires, de sorte que ces derniers ont dû abandonner leurs maisons à Karpas pour rejoindre leurs enfants dans le Sud;

que dernièrement, l’attitude des autorités militaires et administratives turques — si elle ne s’est pas assouplie — ne s’est du moins pas durcie,

Demandent au Premier ministre de Turquie si l’on peut s’attendre à ce que l’administration turque à Karpas améliore de façon substantielle son attitude vis-à- vis des Chypriotes grecs de cette région — ce qui devrait entraîner le respect des libertés fondamentales — et si, dans l’affirmative, il est permis d’envisager le retour dans leurs foyers de ceux qui en sont partis depuis 1976 ou si ces foyers ont déjà été attribués à des colons turcs originaires d’Anatolie.»

La parole est à M. Ecevit.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Ces questions concernent les conditions de vie des Chypriotes grecs se trouvant dans la péninsule de Karpas. Après l’opération turque à Chypre, un certain nombre de Chypriotes grecs habitant la péninsule de Karpas émigrèrent vers le Sud, de leur propre volonté, conformément à l’accord passé entre le Président Denktash et M. Clerides à Vienne en 1975. Ces Chypriotes grecs qui vivent actuellement dans la région de Karpas ont choisi eux-mêmes de s’exclure de cet accord de 1975. Au nombre d’environ 1 600, ils ne sont victimes d’aucune répression et leurs conditions de vie sont semblables à celles des Chypriotes turcs vivant dans la même zone, comme en témoigne le rapport du Secrétaire général des Nations Unies du 1er décembre 1978.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Nous passons maintenant à la question n° 5 de MM. Venizelos, Rendis, Frangos et Mme Mantzoulinou. J’en donne lecture:

«MM. Venizelos, Rendis, Frangos et Mme Mantzoulinou,

Considérant qu’en 1936, une minorité musulmane de 106 000 personnes vivait en Thrace occidentale tandis qu’une minorité grecque orthodoxe de 111 000 personnes vivait à Istanbul, Imvros et Tenedos, l’une et l’autre étant protégées par le Traité de Lausanne,

Considérant que depuis lors, les effectifs de la minorité turque en Thrace occidentale sont passés à 120 000, alors que ceux de la minorité grecque en Turquie diminuaient, se situant actuellement entre 6 000 et 8 000,

Demandent au Premier ministre de Turquie:

comment le Gouvernement turc explique cette altération unilatérale de l’équilibre entre les effectifs des deux minorités en question, étant entendu que — comme on peut le supposer — l’exode de la minorité grecque orthodoxe qui se poursuit systématiquement depuis dix ans, est dû aux mesures administratives et autres prises par les autorités turques et compte tenu notamment du fait que ceux qui ont quitté Istanbul, Imvros et Tenedos étaient des citoyens turcs qui ont été conduits à abandonner leur biens immeubles en Turquie;

comment le Gouvernement turc envisage de rétablir l’équilibre et quelles mesures il compte prendre pour susciter un sentiment de confiance et de sécurité au sein de la minorité grecque orthodoxe en Turquie.»

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Cette question porte sur le changement unilatéral de l’équilibre entre les minorités respectives de Turquie et de Grèce. Il serait erroné d’envisager les deux minorités vivant dans nos pays respectifs du seul point de vue de l’équilibre numérique. Il convient plutôt d’examiner de quels droits internationalement garantis elles disposent et quelles sont les pratiques actuellement observées à la fois en Turquie et en Grèce à cet égard.

En Turquie, les citoyens appartenant à la communauté orthodoxe grecque jouissent des mêmes droits devant la loi que les autres citoyens turcs. Ils ne sont l’objet d’aucune mesure administrative ou autre discriminatoire de la part des autorités turques, et mon Gouvernement est disposé à tout mettre en œuvre pour que la minorité orthodoxe grecque de Turquie constitue un pont d’amitié entre les deux pays. En fait, depuis sa prise de fonctions, mon Gouvernement rencontre régulièrement les dirigeants de la communauté grecque afin de connaître leurs doléances, le cas échéant, et d’essayer d’apporter une prompte solution à tous leurs problèmes. Je suis heureux de pouvoir dire que nous avons réussi à instaurer un dialogue amical et constructif avec eux.

Il est vrai que la minorité orthodoxe grecque de Turquie s’est beaucoup plus réduite que notre minorité de Thrace occidentale. Malheureusement ce fait semble être une conséquence de la dégradation des relations entre les deux pays au fil des années. On pourrait ajouter que des facteurs économiques et la situation de l’emploi ont également joué un rôle dans cette évolution. Un grand nombre d’orthodoxes grecs qui ont émigré de Turquie vivent à présent en Grèce, mais qu’ils se trouvent en Grèce ou dans toute autre partie du monde, ils sont, tant qu’ils le voudront ainsi, des citoyens turcs. Ce privilège leur est pleinement acquis aussi longtemps qu’ils le souhaiteront. En d’autres termes, rien ne les empêche, juridiquement ou politiquement, de revenir habiter la Turquie. En fait, depuis que je suis devenu Premier ministre au début de l’année dernière, j’ai plusieurs fois indiqué aux autorités grecques que toute personne d’origine grecque et possédant la nationalité turque serait la bienvenue si elle souhaitait revenir s’établir en Turquie.

D’un autre côté, on peut également noter le fait que, étant donné le taux de natalité normal, la minorité turque de Grèce aurait atteint le niveau de 250 000 individus s’il n’y avait pas eu cette émigration de la Grèce vers la Turquie.

En dehors des difficultés administratives que la minorité turque a rencontrées en Grèce, je regrette de noter que, par exemple, depuis 1965 les Turcs n’ont plus le droit d’acheter des propriétés en Thrace occidentale, ce qui est contraire aux droits fondamentaux de l’homme. D’autre part, en raison de pressions administratives, de pratiques discriminatoires et de la nationalisation de leurs biens sous une diversité de prétextes, les Turcs de Grèce sont inquiets et incertains de leur avenir.

Mon Gouvernement est en contact constant avec les dirigeants de la minorité grecque de Turquie, comme je viens de le dire. En dehors de cela, nous avons approché le Gouvernement grec à ce sujet et suggéré de traiter les problèmes des minorités respectives comme des problèmes humanitaires plutôt que politiques, et fait valoir qu’il n’était pas nécessaire d’attendre, pour les résoudre, que nos problèmes politiques aient été réglés. Mais il apparaît, malheureusement, que l’administration grecque n’entend pas adopter la même attitude vis-à-vis de la minorité turque de Grèce, c’est-à-dire qu’elle ne veut pas apporter de solution aux problèmes de cette minorité turque de Grèce avant que tous nos problèmes bilatéraux ne soient réglés. Néanmoins, malgré l’absence de réaction positive de la part des Grecs à notre proposition de dissocier les problèmes humanitaires des problèmes politiques, nous avons agi conformément à ce principe sans attendre que le Gouvernement grec en fasse de même.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

La question suivante est la question n° 6 de M. Roper. J’en donne lecture:

«M. Roper

Demande au Premier ministre de Turquie, dont le pays fait partie non seulement de la famille des nations démocratiques d’Europe occidentale, mais également de la région du Proche-Orient, ce qu’il pense de la situation au Proche-Orient à la lumière des événements récents.»

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

M. Roper pose une question concernant la situation au Proche- Orient à la lumière des récents événements. Comme je me suis déjà étendu assez longuement sur ce sujet dans mon exposé, je n’y reviendrai pas, sauf peut-être pour ajouter quelques remarques.

Comme je l’ai déjà indiqué dans mon exposé, il est difficile, selon moi, d’envisager des solutions viables aux problèmes du Proche-Orient tant que des interventions extérieures continueront de s’opposer et de se heurter dans cette région et tant que les droits légitimes des Palestiniens n’auront pas été reconnus. Il sera également difficile de trouver des solutions pacifiques et viables à la question du Proche-Orient tant que persisteront les efforts visant à détruire l’unité de certains des pays intéressés. Si l’on veut apporter des solutions durables, générales, satisfaisantes et acceptables aux problèmes du Proche-Orient, il est essentiel d’assurer un avenir meilleur et sûr aux peuples de la région, particulièrement dans la perspective de l’épuisement de ses richesses pétrolières.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Je donne à présent lecture de la question n° 7, de M. Aano:

«M. Aano

Eu égard à la volonté déclarée des autorités turques de faire respecter les droits de l’homme et compte tenu du malaise constaté chez les Assyriens turcs immigrés dans plusieurs pays d’Europe occidentale,

Demande au Premier ministre de Turquie qu’il explique son propre point de vue et la politique de son Gouvernement à l’égard de la minorité religieuse des Assyriens dans son pays.»

La parole est à M. Ecevit.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Je ne désire pas entrer dans une discussion savante à propos d’un sujet que, de toute façon, je connais mal, mais il y a des gens en Turquie qui haussent les sourcils lorsque, dans certains pays Scandinaves ou d’Europe occidentale, on leur donne le nom d’Assyriens. Ils disent qu’il existe plusieurs groupes. L’un d’entre eux est appelé Süryani en turc, ce qui correspond peut-être aux Syriens et ensuite il y aurait les Assyriens.

Lorsque je me trouvais dans les pays nordiques il y a quelques mois, plusieurs Süryani ou Syriens vinrent se plaindre auprès de moi de ce que ces «Assyriens» prétendaient les représenter eux aussi afin de paraître plus nombreux qu’ils n’étaient en réalité.

Cela dit, j’ajouterai qu’environ 45 000 Turcs d’origine assyrienne ou syrienne et de religion chrétienne vivaient pour la plupart dans le Sud- Est du pays. Je dis «pour la plupart» parce que certains d’entre eux se sont établis à Istanbul ou dans d’autres grands centres urbains et y connaissent une certaine réussite, particulièrement dans les affaires et dans certaines professions libérales. Ils ont environ soixante-douze églises, monastères et fondations, et élisent eux-mêmes leur conseil d’administration au sein de leur propre communauté. A ce jour, personne en Turquie n’a connaissance d’un problème assyrien ou syrien. Jusqu’à ce que ce problème soit soulevé dans certains pays du Nord ou de l’Ouest de l’Europe, nous ne savions pas qu’un tel problème pouvait se poser et nous n’avons jamais envisagé de traiter différemment les citoyens d’origine turque et ceux d’origine assyrienne ou syrienne. A ce jour, aucune plainte officielle n’a été enregistrée en Turquie venant de cette communauté, bien que j’aie été personnellement en constant contact avec ses dirigeants, non seulement lorsque j’étais membre du gouvernement, mais durant les années où mon parti se trouvait dans l’opposition.

Je suis sûr que ce prétendu problème a surgi dans certains pays d’Europe pour la raison suivante: après la crise économique mondiale qui a commencé par suite des hausses faramineuses des prix du pétrole au début des années 70, de nombreux pays européens ont cessé d’importer de la main-d’œuvre étrangère. Certains travailleurs étrangers résidant dans des pays touchés par le chômage se mirent à rechercher des prétextes susceptibles d’être acceptés dans les pays industrialisés, et certains d’entre eux se sont servis du prétexte de l’oppression politique, qu’elle existât ou non, dans leur pays d’origine. Je pense que mon explication est juste, parce que je suis sûr que les représentants des pays nordiques ou des Pays-Bas reconnaîtront eux- mêmes n’avoir sans doute jamais entendu parler de ce problème avant le déclenchement de la crise, parce qu’avant cette époque, les intéressés pouvaient trouver du travail dans ces pays sans se prétendre victimes d’une oppression politique.

J’ai personnellement invité plusieurs hommes politiques, ainsi que des groupes de journalistes et de reporters de la télévision de ces pays à venir en Turquie et à voir par eux-mêmes ce qu’il en était, en voyageant librement dans le pays et en parlant librement avec les membres ou les dirigeants des communautés dites assyrienne ou syrienne. M. Aano était au nombre des représentants qui se sont rendus en Turquie et qui s’y sont fait eux-mêmes une opinion. J’espère que M. Aano ne me contredira pas si je dis qu’il en est revenu avec des impressions plutôt favorables.

Le Gouvernement suédois a accueilli environ 2 500 Assyriens ou Syriens non en tant que réfugiés politiques, parce qu’il n’a pas admis l’existence d’une telle oppression politique, mais pour des raisons purement humanitaires. La Suède a décidé de ne plus accepter d’Assyriens ou de Syriens à moins qu’ils n’aient un lien de parenté direct avec ceux se trouvant déjà sur son territoire.

Un représentant du ministère suédois des Affaires étrangères a visité la Turquie en 1978 et indiqué qu’aucun des Assyriens turcs qu’il a rencontrés ne s’est plaint d’être persécuté. Il a également déclaré n’avoir trouvé aucun signe permettant de croire que les Assyriens ou Syriens retournant en Turquie à partir de la Suède étaient punis ou en butte à l’une ou l’autre difficulté.

Au cours d’une discussion à la télévision suédoise en mai 1978, le ministre du Travail déclara que les Assyriens ou Syriens de Turquie n’étaient pas persécutés, ni pour des motifs religieux ni pour aucun autre motif. A un congrès de partis politiques, une proposition tendant à accorder le statut de réfugiés politiques aux Assyriens fut rejetée pour ces raisons. Un journal suédois, du 19 février 1979, contenait un article fondé sur des informations en provenance du ministère suédois des Affaires étrangères, qui indiquait qu’aucune pression politique ou religieuse n’était exercée sur les ressortissants turcs assyriens ou syriens.

En 1977, les Pays-Bas accordèrent des permis de séjour à environ 400 Assyriens ou Syriens de Turquie et annoncèrent qu’ils agissaient ainsi pour des raisons humanitaires, et qu’il était clair qu’aucune pression n’était exercée sur les intéressés en Turquie. En 1978, autant que je sache, les Pays-Bas ont décidé de refuser l’entrée dans le pays à ceux qui demandaient l’asile politique.

Les autorités norvégiennes non plus n’ont pas accepté les demandes d’asile politique introduites par des Turcs assyriens ou syriens et ont examiné leur cas dans le cadre de la loi visant à arrêter la venue de travailleurs migrants. Un fonctionnaire de l’un des gouvernements intéressés a informé les autorités turques que son pays, selon ce qu’il connaît de la situation, est arrivé définitivement à la conclusion qu’aucune pression, de quelque sorte qu’elle soit, n’est exercée à l’encontre des Assyriens de Turquie, parce que si tel était le cas, ces derniers n’auraient jamais laissé leur famille en Turquie ni n’y seraient retournés en vacances avec leur famille. Il a également fait observer que si les Assyriens, comme ils le prétendent, étaient véritablement harcelés par les autorités turques, ils n’auraient pu si facilement obtenir des passeports auprès de ces mêmes autorités ni voyager si librement à l’étranger. Bref, ils sont libres de revenir en Turquie.

La principale raison de leurs doléances à l’égard de la Turquie est commune à tous les habitants de la région, c’est-à-dire le Sud-Est de la Turquie. Cette région se trouve être la moins développée du pays, avec une population, quelle que soit son appartenance ethnique, généralement pauvre et de faibles possibilités d’emploi. Cette situation a poussé mon Gouvernement, après son entrée en fonctions au début de l’année dernière, à consentir un effort particulier pour développer cette partie du pays.

J’ajouterai que les Assyriens ou Syriens demeurés en Turquie regrettent beaucoup que certains de leurs amis ou parents se servent d’un prétexte aussi mal fondé pour tenter de trouver du travail dans quelques-uns des pays d’Europe occidentale et de Scandinavie.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Pour gagner du temps, je donne lecture à la suite, dans l’ordre des numéros, des questions nos 8 et 9 de M. Carvalhas:

«M. Carvalhas,

Ayant eu connaissance d’affirmations selon lesquelles le Gouvernement turc se sert de l’état de siège pour réprimer la presse progressiste, comme le journal Urüq, le journal de la jeunesse Jeunesse progressiste, alors que les journaux d’extrême droite comme Hergün circulent librement,

Demande au Premier ministre de Turquie s’il peut donner des explications à ce sujet.

M. Carvalhas

Demande au Premier ministre de Turquie comment un pays membre du Conseil de l’Europe peut justifier le fait qu’il soit l’unique pays d’Europe où le parti communiste est illégal et au nom de quel principe et sur quelles bases cette situation antidémocratique se maintient.»

La parole est à M. Ecevit.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

M. Carvalhas a demandé si le Gouvernement turc ou si les autorités chargées d’appliquer la loi martiale n’ont pas supprimé des journaux ou s’ils ne les ont pas traités de façon discriminatoire. Il est vrai que des mesures ont été prises à l’encontre de certains journaux à faible tirage, mais elles n’ont concerné que certaines publications illégales ou qui incitaient la population à l’action directe ou au terrorisme. Il existe en Turquie une importante législation punissant les décisions administratives ou même judiciaires injustifiées à l’encontre des journaux même lorsque ces décisions ont été prises en application de la loi martiale.

Le périodique mentionné dans la question n° 8 de M. Carvalhas a été poursuivi non pas parce qu’il faisait de la propagande pour le parti communiste, mais parce qu’il avait publié les statuts d’un parti illégal. M. Carvalhas a indiqué que la Turquie est le seul pays démocratique d’Europe où le parti communiste soit illégal, et me demande si je peux justifier cette situation. Pour être franc, je trouve injustifiable que le parti communiste soit déclaré illégal dans un pays démocratique, quel que soit ce pays. Je ne peux l’admettre, ni à titre personnel ni en tant que membre de mon parti, le parti républicain populaire. Je pense en effet que dans un pays démocratique, les idéologies ou les associations ne peuvent être interdites ou limitées, pas plus que ne le peuvent les idées ou l’expression de ces idées. Certaines actions seulement peuvent faire l’objet de restrictions ou être empêchées.

J’admets que M. Carvalhas a mis le doigt sur la seule chose que notre démocratie ait encore à se reprocher. En fait, cependant, cette limitation n’existe pas parce qu’il existe plusieurs partis en Turquie qui seraient normalement classés comme partis communistes. Mais mon parti et moi-même pensons qu’il serait beaucoup plus sain que chacun puisse s’appeler comme il le veut et appeler son parti comme il devrait l’être en réalité plutôt que de devoir en déguiser le véritable nom ou le véritable objectif. Cette limitation juridique est l’un des derniers vestiges de notre passé, et lorsque mon parti sera majoritaire au Parlement, nous rectifierons cette situation.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Monsieur le Premier ministre, je pense que vous accepterez d’interrompre votre exposé parce que je crois qu’il serait extrêmement utile que des questions complémentaires soient à présent posées. Il y avait six grands groupes de questions, et presque toutes ont reçu une réponse. Nous sommes reconnaissants à l’orateur de les avoir regroupées. Nous disposons à présent d’au moins une demi-heure pour des questions complémentaires. J’espère que les orateurs seront très brefs afin de donner au plus grand nombre possible de ceux qui ont posé des questions une possibilité de poser une question complémentaire. Je suivrai l’ordre dans lequel les questions ont été déposées, et je donne tout d’abord la parole à M. Coutsocheras. Si je procède de la sorte, c’est parce que je voulais ménager un répit à M. le Premier ministre et également donner aux membres de cette Assemblée la possibilité de poser des questions complémentaires.

M. COUTSOCHERAS (Grèce)

Monsieur le Premier ministre, vos réponses ne sont pas du tout satisfaisantes. Vous étiez Premier ministre au moment de l’invasion turque à Chypre; sous prétexte de réagir au coup d’Etat des colonels pour renverser Mgr Makarios, en vérité vous visiez à appliquer le plan Attila qui aboutit à l’occupation de 40% du territoire de Chypre. La preuve en est que l’invasion a continué même après la chute de la dictature des colonels, même après la résolution de l’ONU concernant le retrait de vos troupes. Une preuve supplémentaire en est que, jusqu’à aujourd’hui, la Turquie ne se conforme pas aux maintes résolutions de l’ONU ni à l’Acte final d’Helsinki.

Ainsi, Monsieur le Premier ministre, l’armée d’occupation turque...

M. LE PRÉSIDENT

Monsieur Coutsocheras, il s’agit d’une très brève question complémentaire, mais non pas d’un discours.

M. COUTSOCHERAS (Grèce)

Le problème de Chypre ne pourra être résolu que lorsque seront appliquées les résolutions de l’ONU. En ce qui concerne les réfugiés chypriotes grecs, vous n’avez fait aucune réponse...

M. LE PRÉSIDENT

Non, Monsieur Coutsocheras, je ne puis vous laisser continuer, car un certain nombre de vos collègues, de Grèce ou d’ailleurs, désirent encore poser des questions.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Je n’ai pas l’intention d’attaquer les vues exprimées par mon honorable interlocuteur; je m’efforcerai simplement de répondre à sa question.

L’un des éléments fondamentaux des diverses résolutions des Nations Unies était l’obtention d’un règlement négocié. Si les Chypriotes grecs se montrent coopératifs dans la recherche d’un tel règlement négocié, il serait peut-être possible d’y parvenir et de satisfaire d’autres conditions.

Mme TSIRIMOKOU (Grèce) (traduction)

Les réponses de M. le Premier ministre ne font que montrer une fois de plus avec quel talent s’exerce la propagande turque. Cela est confirmé par le fait que les résolutions des Nations Unies ont été totalement ignorées par son pays démocratique, qui a manifesté un mépris total pour la justice et la morale.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Il y a un élément de propagande dans cette déclaration, et je ne sais comment y répondre.

Lady FLEMING (Grèce) (traduction)

M. le Premier ministre a déclaré qu’il était prêt à coopérer pour rechercher les Chypriotes grecs disparus qui ont été transférés en Turquie. Je serais en mesure de l’aider. Nous avons des photographies et des noms que nous pouvons lui donner. Les photographies ont paru dans des journaux turcs et elles montrent des personnes qui étaient jeunes et en bonne santé et qui ne sont pas revenues. Que leur est-il arrivé? Des journalistes turcs ont pris les photos, et les personnes figurant sur ces photos ont été reconnues par leurs familles. Quel a été leur sort? Il aurait mieux valu pour elles et pour leurs familles qu’elles aient été tuées. Ont-elles essayé de s’échapper, et ont-elles été abattues? Si c’est le cas, que sont devenus leurs corps? Quant aux minorités, M. le Premier ministre a oublié de citer des chiffres. Il y avait 200 000 Grecs en Turquie en 1933. Aujourd’hui, ils ne sont plus que de 10 à 15 000. De même, il y avait 100 000 Turcs en Grèce, et ils sont aujourd’hui 120 000.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Je vous remercie, Lady Fleming. Je crains que vos griefs concernant des personnes disparues en Turquie ne soient très mal fondés. Une telle chose ne pourrait être gardée secrète dans une société aussi ouverte que la Turquie. La fausseté de ces allégations a été prouvée par les rapports d’organisations représentatives. Quoi qu’il en soit, le problème des disparus a été évoqué dans une résolution des Nations Unies, qui a été acceptée, et l’administration turque a déjà déclaré qu’elle est prête à y adhérer.

M. RENDIS (Grèce) (traduction)

J’avais espéré que M. Ecevit nous aurait donné des réponses plus constructives. Ses réponses ne m’incitent guère à l’optimisme. Je souhaiterais poser une question complémentaire concernant les personnes vivant sur l’île turque d’Imros. En 1965, Imros fut déclarée prison ouverte et des prisonniers purgeant une peine de longue durée y furent transférés de l’intérieur de la Turquie. Ils furent laissés en liberté sur l’île, et la crainte poussa de nombreux habitants à prendre la fuite. Aujourd’hui, moins de cent personnes vivent encore sur l’île. J’avais espéré que M. le Premier ministre aurait dit qu’il essaierait d’évacuer ces détenus d’Imros afin que les habitants de l’île puissent y vivre en paix.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

L’île d’Imros n’est pas une prison ouverte, bien qu’il s’y trouve effectivement une prison. Je me suis attardé longuement sur cette question précédemment et, le temps nous étant mesuré, je n’y reviendrai pas. J’ai essayé d’être constructif en répétant ce que j’ai dit aux autorités grecques. Si des citoyens turcs d’origine grecque souhaitent revenir en Turquie nous serons très heureux de les accueillir.

M. VENIZELOS (Grèce) (traduction)

Monsieur le Président, je dirai pour commencer que je ne suis pas d’accord avec la procédure qui a été suivie. M. le Premier ministre Ecevit a monologué pendant une heure et demie.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

La procédure utilisée est tout à fait normale. La personne interrogée peut en effet répondre aux questions en les groupant ou une par une. Si M. le Premier ministre n’avait pas laissé de temps pour des questions complémentaires, votre réclamation aurait été justifiée. Mais tel n’est pas le cas.

M. VENIZELOS (Grèce) (traduction)

M. le Premier ministre a soulevé d’énormes questions qu’on ne peut laisser sans réponse, et il n’est pas possible d’y répondre en ces quelques minutes.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

L’objet de cette réunion n’est pas de vous permettre de répondre à M. le Premier ministre. C’est lui qui est ici pour répondre à vos questions.

M. VENIZELOS (Grèce) (traduction)

M. le Premier ministre a soulevé des questions et formulé des déclarations qui ne correspondent pas à la réalité. Il a dit que la démocratie existe en Turquie. Je crois qu’il est douteux que la Turquie possède une démocratie au sens que nous donnons à ce terme en Europe. Il n’est pas possible de dire que la démocratie existe lorsque la loi martiale est appliquée. M. le Premier ministre a dit que la loi martiale n’avait été décrétée que dans un petit nombre de provinces, mais c’est dans deux de ces provinces que réside la plus grande partie de la population turque. Ce sont les provinces qui contiennent les villes de Constantinople et d’Ankara.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Ce n’est pas une question complémentaire. Voulez-vous poser une question complémentaire à la question n° 5 que vous avez déposée?

M. VENIZELOS (Grèce) (traduction)

Il est évident que l’Assemblée essaie d’escamoter le problème. M. le Premier ministre a indiqué qu’il a pris des mesures afin de régler le contentieux gréco-turc dès qu’il est entré en fonctions. Quelles sont ces mesures? La principale difficulté entre la Grèce et la Turquie, à présent, concerne le problème de Chypre, qui a été discuté. Les autres concernent le plateau continental, l’espace aérien au-dessus de la mer Egée et les minorités. Je voudrais expliquer à l’Assemblée combien il est scandaleux...

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Nous ne voulons pas escamoter les problèmes. Nous suivons la procédure établie et n’avons pas l’intention d’en changer. Il ne s’agit pas ici d’un débat. Vous avez posé votre question complémentaire, et je demande à M. le Premier ministre d’y répondre.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Mon honorable interlocuteur a dit qu’un pays ne peut être considéré comme démocratique si la loi martiale y est appliquée. Cependant, s’il me permet de le lui rappeler, la loi martiale est couverte par l’article 15 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, et tout pays membre qui y recourt est tenu d’en aviser le Conseil de l’Europe – ce que nous avons effectivement fait.

Je voudrais répondre brièvement à la question relative aux mesures que la Turquie a prises pour faciliter la solution de notre contentieux avec la Grèce. Mon interlocuteur a mentionné quatre sujets principaux de difficultés entre la Turquie et la Grèce: premièrement, le problème de Chypre; deuxièmement, le plateau continental; troisièmement, la question de l’espace aérien; et, quatrièmement, les minorités.

Je souhaiterais que cela soit également l’avis du Gouvernement grec. Jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi à convaincre le Gouvernement grec que la question de Chypre devrait être abordée entre la Turquie et la Grèce. Le Gouvernement grec d’Athènes ne semble s’intéresser qu’aux questions qu’il considère comme «bilatérales» entre la Turquie et la Grèce, et n’englobe pas Chypre parmi ces questions.

Je souhaiterais également que nous puissions aborder dans nos discussions avec le Gouvernement grec le quatrième point que mon honorable interlocuteur a mentionné, à savoir la question des minorités. Lorsque nous avons essayé de le faire, la réponse des autorités grecques a été qu’elles n’accepteraient d’examiner cette question que lorsque tous les autres points en litige entre les deux pays auraient été réglés.

Je me demande également si l’on est tout à fait en droit d’appeler complètement démocratique un pays où dans sa partie Nord, en Thrace septentrionale, un groupe minoritaire n’est même pas autorisé à se déplacer librement.

M. ROPER (Royaume-Uni) (traduction)

Je remercie M. le Premier ministre d’avoir abordé en profondeur les problèmes du Proche-Orient dans ses remarques initiales, ainsi que d’avoir répondu à ma question. Puis-je lui demander de dire spécifiquement quelle devrait être, selon lui, la prochaine étape dans la solution des problèmes subsistant au Proche-Orient, après la signature du traité israélo-égyptien?

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Merci, Monsieur Roper. Je pense que la prochaine étape devrait être celle qui aurait dû être la première, à savoir la reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien.

M. CARVALHAS (Portugal)

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie d’avoir répondu à mes questions mais, excusez-moi, je ne comprends pas vos réponses.

Prenons, par exemple, la revue Hergün. Vous dites qu’elle ne circule pas parce qu’elle a publié les statuts d’un parti. Quel parti? Prenons, par exemple, le parti communiste. Vous dites: «Mon parti est pour la légalisation du parti communiste.» Cela veut-il dire que les autres partis qui font la coalition avec le vôtre sont contre? Ou cela veut-il dire que vous pensez que vous n’avez pas la force suffisante pour légaliser ce parti?

Comment comprendre qu’un parti, qui a la force pour la mise en œuvre de l’état de siège et de la loi martiale, n’a pas la force pour légaliser un parti?

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Merci, Monsieur Carvalhas. Votre question est très pertinente. Les autres partis représentés au Parlement sont pour le moment tous opposés à la légalisation du parti communiste. Le parti qui est au Gouvernement ne dispose pas d’une majorité absolue. Nous n’avons pu obtenir cette majorité absolue qu’avec l’appui de certains indépendants dont beaucoup ne sont pas d’accord avec une telle décision. C’est là la seule raison de notre attitude.

M. LE PRÉSIDENT

Monsieur Péridier, voulez-vous poser une question complémentaire?

M. PÉRIDIER (France)

Je veux bien poser une question complémentaire, Monsieur le Président, mais il conviendrait que M. le Premier ministre réponde d’abord à ma question écrite.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Alors, il serait préférable de demander à M. le Premier ministre d’être bref et de répondre en une seule fois à toutes les questions du document 4334 auxquelles il n’a pas encore répondu c’est-à-dire les questions nos 10, 11, 12, 13, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30 et 31. Je voudrais en effet que les membres de l’Assemblée aient le temps de poser des questions complémentaires, pour que le débat soit équilibré.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Je n’en étais pas encore arrivé à la question de M. Péridier, à laquelle je serai heureux de répondre.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Monsieur le Premier ministre, voulez-vous avoir l’amabilité de répondre à présent brièvement aux questions que je viens d’énumérer et auxquelles vous n’avez pas encore répondu? J’insiste sur «brièvement» parce que je voudrais que les membres de l’Assemblée aient la possibilité de vous poser des questions complémentaires dans le temps qui nous reste.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

J’essayais d’en terminer avec diverses questions que M. Carvalhas avait posées. Je répondrai maintenant brièvement à une autre question. Il a demandé si des équipements d’espionnage américains précédemment installés en Iran devaient être transférés en Turquie, et si des facilités avaient été accordées à la République Fédérale d’Allemagne pour tester et développer de nouvelles armes en Turquie. Ma réponse à ces deux questions est «non». Ces questions sont de toute évidence suscitées par des informations dénuées de tout fondement. Le système AWACS, auquel la Turquie s’est rattachée, est un dispositif de l’OTAN de caractère exclusivement défensif et n’a rien à voir avec l’Iran comme indiqué dans la question de M. Carvalhas.

M. Carvalhas a également posé une question concernant les arrestations survenues le 1er mai. Je ferai remarquer, pour clarifier la situation, que, le 1er mai, les manifestations n’étaient pas interdites en Turquie. Toutefois, toutes les réunions publiques en plein air et tous les rassemblements étaient interdits, la loi martiale une fois décrétée, dans les provinces où celle-ci était en vigueur. De toute évidence, il ne pouvait être fait exception pour les manifestations du 1er mai. Ceux qui ont agi à cette occasion à l’encontre de la décision des autorités chargées du maintien de l’ordre savaient qu’ils s’exposaient ainsi à des poursuites. Quarante-trois rassemblements importants ont eu lieu le 1er mai dans diverses parties de la Turquie en dehors des provinces visées par la loi martiale. Certains de ceux qui avaient été arrêtés pour n’avoir pas respecté l’interdiction découlant de la loi martiale ont déjà été libérés et il se peut que dans un proche avenir, un grand nombre, sinon la totalité des autres, soient libérés parce que leur affaire a déjà été soumise à la Cour martiale d’Istanbul. Ni le Gouvernement, ni les autorités chargées du maintien de l’ordre ne peuvent intervenir lorsqu’un procès a commencé.

Une autre question de M. Carvalhas concerne l’existence d’un accord de compensation entre la Turquie et la Libye. La réponse à cette question est «non». Nous avons des accords commerciaux mutuels avec plusieurs pays, mais non sur une base de compensation.

Quant à sa question concernant nos discussions avec le FMI, nous pensons, comme je l’ai déjà indiqué, que les organisations financières internationales devraient tenir compte des situations ou des difficultés sociales des pays, qui ne peuvent être entièrement dissociées des problèmes économiques. Elles devraient également prendre en considération les différences dans les niveaux de développement. Nos discussions avec le FMI sont toujours en cours, comme je l’ai indiqué.

M. Péridier demande quel intérêt a la Turquie d’occuper une partie d’une île qui ne possède ni pétrole, ni uranium, ni ressources minières quelconques. Il est vrai qu’il n’existe pas de grandes richesses minières à Chypre, mais ce qui y existait par contre, c’était une souffrance humaine suffisante pour nous forcer à intervenir en qualité de puissance garante. Les troupes turques ne sont stationnées à Chypre ni pour spolier l’île d’une partie de son territoire, ni pour en exploiter les ressources.

J’ai répondu aux questions posées par M. Jessel, M. Frangos et M. Papaefstratiou. J’ai également répondu à certains aspects de la question de Mme Mercouri. J’en arrive à présent aux autres aspects de sa question. Elle a dit que le coup d’Etat du 15 juillet 1974 n’avait pas fait long feu, et cela est vrai. Mais je me demande s’il en aurait été ainsi si la Turquie n’était pas intervenue. Je pense que s’il n’y avait pas eu d’intervention turque, le régime de la junte en Grèce n’aurait sans doute pas cessé d’exister. Il aurait peut- être étendu son emprise à la fois sur la Grèce et sur Chypre.

Mme Mercouri demande également si l’intervention turque à Chypre est conciliable avec les principes de la morale socialiste. Je me demande si les socialistes de la Grèce ou de la communauté grecque de Chypre ont jamais pensé à traiter les Chypriotes turcs de façon équitable et avec un souci de justice sociale avant 1974.

Il est de notoriété publique que des unités militaires de la Grèce continentale étaient stationnées à Chypre longtemps avant juillet 1974, contrairement à tous les accords internationaux et à la Constitution alors en vigueur. Je crois comprendre que Mme Mercouri est hostile à une présence durable des forces turques sur l’île. Nous serions très heureux de contribuer à créer les conditions qui permettraient à toutes ces forces de rentrer en Turquie — et même, nous en réduisons constamment les effectifs. J’espère qu’elle reconnaîtra, après tout ce qui s’est passé sur l’île au cours de ces deux ou trois dernières décennies, et antérieurement, qu’il nous est tout simplement impossible d’abandonner à nouveau au seul hasard la sécurité des Turcs qui s’y trouvent.

Je répondrai à présent brièvement aux questions de M. Stoffelen. Afin d’aider à l’instauration d’une atmosphère de confiance mutuelle entre la Turquie et la Grèce, nous avons lancé plusieurs initiatives dans ce sens. Aussitôt après que mes collègues et moi-même fûmes entrés en fonctions en Turquie l’année dernière, j’ai pris la liberté d’inviter M. Karamanlis, Premier ministre grec, afin de discuter avec moi des problèmes présentant un intérêt mutuel pour nos deux pays. Il accepta aimablement mon invitation et nous eûmes une réunion assez utile en mars 1979 à Montreux. Cette réunion a été suivie d’effets à plusieurs niveaux.

Il y a eu, je le crois, un progrès lent mais prometteur dans la bonne direction au cours de toutes les discussions. Je suis heureux de dire qu’aussi bien M. Karamanlis que moi-même avons pris grand soin de ne pas attiser les passions dans chacun de nos deux pays. On peut se rendre compte, je le crois, que l’atmosphère entre la Turquie et la Grèce est aujourd’hui meilleure qu’elle ne l’était fin 1977. Nous avons récemment encouragé nos journalistes à se rencontrer, à se rendre mutuellement visite et à échanger des idées, avec l’aide de l’Institut international de la presse, en vue d’améliorer encore le climat psychologique entre les deux pays. M. Karamanlis et moi-même pensons tous deux qu’il est essentiel de créer une atmosphère psychologique favorable à des négociations fructueuses.

Je crois qu’il n’y a aucun conflit d’intérêts fondamental entre la Turquie et la Grèce. Au contraire, je suis convaincu que les deux pays ont tout à gagner à entretenir des relations amicales et à coopérer, de sorte que nous devrions tout mettre en œuvre afin d’assainir l’atmosphère psychologique et de dégager la voie pour un règlement négocié de nos problèmes. Je pense qu’il est juste de dire que les difficultés et les retards sur la voie d’une solution ne sont pas venus de la Turquie, particulièrement depuis l’entrée en fonctions de mon Gouvernement.

M. Stoffelen, M. Coutsocheras et M. Venizelos m’ont posé une question sur le problème des réfugiés à Chypre. On sait que de nombreux Chypriotes grecs ont émigré vers le Sud en vertu d’un accord conclu entre M. Denktash et M. derides durant leur troisième conversation de Vienne en juillet et août 1975. De même, conformément à cet accord, 65 000 Chypriotes turcs ont émigré vers le Nord, tous de leur propre initiative, abandonnant leur maison natale se trouvant dans le Sud.

Le problème des réfugiés est lié à la solution du problème chypriote dans son ensemble. Dans l’intervalle, il ne faut pas oublier que, en plus des 65 000 Chypriotes turcs que je viens de mentionner, des dizaines de milliers de Chypriotes turcs ont été forcés de fuir ou d’émigrer au cours des années comprises entre 1963 et 1974. En cette matière, toute solution juste que l’on pourra trouver pour le problème chypriote devra être une solution qui permettra aux deux communautés de ne plus vivre à nouveau les tragédies qu’elles ont vécues avant l’été 1974, et les dispositions pertinentes de l’accord Denktash-Makarios du 12 avril 1977 devraient constituer un élément de plus à prendre compte pour résoudre cet aspect du problème.

Récemment encore, dans une déclaration formulée le 20 juillet de l’année dernière, M. Denktash a été plus loin et a indiqué que son administration était prête à envisager un repeuplement du district Varosha de Famagouste par des Chypriotes d’origine grecque dès que les négociations intercommunautaires auraient commencé. Cela assurerait une solution aux problèmes de réinstallation de grands nombres de réfugiés grecs, vu les intéressantes possibilités économiques offertes par ce district.

J’aimerais en finir avec les questions concernant ce sujet et avec les autres relatives à Chypre en disant qu’elles montrent toute l’importance d’une reprise des négociations entre les communautés turque et grecque à Chypre si l’on veut apporter des réponses et des solutions aux questions et aux problèmes soulevés au cours de cette réunion.

Je pense que ces problèmes auraient dû être abordés en premier lieu dans le cadre voulu, à savoir dans le cadre des négociations intercommunautaires qui ont malheureusement été retardées pendant plusieurs années par suite de l’intransigeance des Chypriotes grecs.

M. Stoffelen a aimablement posé des questions constructives sur ce que nous attendons de la part de la Communauté économique européenne et de l’OCDE. Je le remercie de ses préoccupations, mais comme j’ai déjà évoqué ces questions dans mon exposé initial, il est inutile que j’y revienne maintenant.

M. van Waterschoot s’est aimablement inquiété des conditions de vie en Turquie et des perspectives qui s’offriraient à la démocratie turque si l’aide extérieure attendue ne se matérialisait pas. Il demande quelles sont mes prévisions. Je les ai déjà exprimées d’une façon assez voilée, si bien que je n’y reviendrai pas, mais je le remercie néanmoins de ses préoccupations quant à l’avenir de la démocratie en Turquie.

M. van Waterschoot demande également si nous pouvons compter élargir notre majorité au Parlement. Cela est possible, mais je voudrais lui rappeler que presque tous les gouvernements des pays démocratiques d’Europe reposent aujourd’hui sur des majorités faibles ou instables, et que certains d’entre eux ne disposent même d’aucune majorité du tout. A l’heure actuelle, nous n’avons pas de problèmes de gouvernement en Turquie, bien que nous ayons du mal à faire passer des textes législatifs au Parlement, parce que, en tant que parti, nous ne disposons pas d’une majorité absolue, même si, en tant que Gouvernement, nous jouissons du soutien de la majorité.

M. Lewis a posé quelques questions concernant le patriarcat orthodoxe d’Istanbul. J’ai déjà abordé cette question dans mon exposé et dans ma réponse à certaines questions. Je suis sûr que ses préoccupations à ce sujet ont été éveillées par la propagande adverse qui a été faite sur cette question dans certains milieux. En Turquie, il existe une égalité complète en ce qui concerne les droits religieux, et ce qui se passe à propos du patriarcat orthodoxe est pleinement conforme aux dispositions de notre Constitution et de nos lois. En outre, depuis que mon Gouvernement est entré en fonctions, comme je l’ai indiqué, nous avons instauré un dialogue permanent non seulement avec les représentants de la communauté grecque, mais également avec le patriarcat orthodoxe, et nous nous efforçons de trouver des solutions immédiates pour tout problème qu’ils peuvent être amenés à soumettre au Gouvernement. Je suis sûr que les griefs auxquels il est fait allusion émanent non pas de la minorité grecque de Turquie, mais essentiellement de certains milieux des Etats-Unis, qui doivent toujours faire en sorte d’entretenir la cabale grecque montée contre la Turquie.

J’ai déjà répondu à la question de M. Venizelos en répondant à d’autres questions.

Je pense avoir déjà répondu aux questions très constructives de M. Bardens concernant les perspectives d’amélioration des relations entre la Turquie et la Grèce. Il s’est aimablement référé à un poème que j’ai écrit dans ma jeunesse et dans lequel j’exprimais mon espoir de voir venir une époque où nous pourrions recréer une civilisation égéenne entre les peuples turc et grec. On m’a reproché au Parlement, début 1974, avant l’intervention à Chypre, d’avoir écrit ce poème dans ma jeunesse, avant que je ne m’occupe de politique. Je suis monté à la tribune du Parlement et j’ai dit:

«C’est un poème que j’ai écrit lorsque j’étais un jeune homme ne s’occupant pas de politique, mais je le signerais aujourd’hui encore.»

Lorsqu’un Turc et un Grec se rencontrent, où que ce soit, ils ne peuvent s’empêcher de se saluer chaleureusement. Je pense que nous devons faire tout ce qui est notre pouvoir pour arriver à ce type d’atmosphère lorsque ces deux peuples se rencontrent de nation à nation.

M. Gessner a posé une question pratique et pertinente concernant les difficultés que la Turquie a rencontrées à propos du paiement de dettes étrangères de certaines firmes turques. Il s’agit là d’un problème réel, dont nous nous occupons déjà. Quelques efforts ont été faits en vue d’une révision du calendrier des remboursements, et nous avons récemment convaincu nos amis d’examiner la possibilité de revoir les échéances des dettes commerciales non garanties par l’Etat. Nous espérons qu’un accord se fera sur ce problème.

M. Schulte pose une question concernant la réintégration de la Grèce dans la structure militaire de l’OTAN. Je dirai très clairement que nous ne sommes pas opposés du tout au retour de la Grèce dans la structure militaire de l’OTAN. Au contraire, nous pensons qu’il serait ridicule de continuer à parler de l’aile Sud-Est de l’OTAN si l’un des pays, quel qu’il soit, composant cette aile — la Turquie ou la Grèce — n’était pas incorporé à la structure militaire de l’OTAN. Nous pensons qu’il est de l’intérêt non seulement du pays, mais également de l’OTAN que la Grèce rejoigne l’Organisation. Le problème provient du fait que la Grèce, tout en réintégrant la structure militaire de l’OTAN, a voulu que l’Organisation approuve ses revendications à propos d’un certain haut commandement militaire et d’un certain arrangement de surveillance dans la mer Egée, bien qu’un tel arrangement n’ait jamais été officialisé par l’OTAN et n’ait jamais été reconnu par la Turquie. C’est là une question qui regarde essentiellement l’OTAN.

C’est sur cette toile de fond que nous envisageons le problème, et nous avons fait preuve d’une grande souplesse. Les conversations entre le général Haig, le commandement allié suprême des forces de l’OTAN en Europe, et les parties intéressées sont en cours, et j’ai la sincère conviction que nous pourrons bientôt aboutir à une solution. Je voudrais profiter de cette occasion pour dire que la Turquie a fait tout ce qui était en son pouvoir, particulièrement au cours de ces dernières semaines, pour faciliter le retour de la Grèce dans la structure militaire de l’OTAN.

J’ai déjà répondu aux questions de Mme Gradin en répondant à d’autres questions.

Sir Frederic Bennett a posé un certain nombre de questions pertinentes sur le point de savoir si j’ai de nouvelles propositions à formuler afin d’améliorer la sécurité et la stabilité nationales ou régionales dans notre partie du monde. Comme j’ai déjà évoqué longuement cette question dans mon exposé initial, ma réponse est brève. Pour résumer, je dirai que, si l’on veut que la situation s’améliore au Proche-Orient, il faudrait faire en sorte que cessent les interventions extérieures et que l’intégrité de certains pays ne soit plus mise en cause par suite d’influences extérieures, et que ces pays cherchent à résoudre leurs propres problèmes nationaux ou régionaux en tenant dûment compte des problèmes du monde en général et avec un sentiment de responsabilité à l’égard de l’ensemble du monde. Je crois que pour beaucoup des pays de la région, les problèmes de développement sont très liés aux motifs qui inspirent parfois leur politique extérieure. C’est là un sujet de réelle préoccupation.

La plupart des pays producteurs de pétrole se préoccupent de l’époque où leurs ressources pétrolières naturelles seront épuisées et reconnaissent la nécessité d’accroître leurs efforts de développement afin d’assurer un avenir plus stable et plus favorable à leurs peuples.

D’un autre côté, certains d’entre eux se heurtent à des difficultés au cours du processus de développement parce que les progrès sur la voie du développement économique créent parfois d’énormes problèmes sociaux et politiques. Certains, comme la Turquie, peuvent être en mesure d’y faire face, mais pour d’autres, ce n’est peut- être pas aussi facile.

Je crains qu’il n’existe pas de solution miracle à une situation aussi complexe que celle du Proche-Orient et, comme je l’ai dit tout à l’heure, je crois que le règlement prioritaire de la question palestinienne permettra de résoudre plus facilement tous les autres problèmes de la région.

Je remercie M. Valleix de se préoccuper du maintien de la démocratie en Turquie. Dans mon exposé initial, j’ai évoqué notre préoccupation commune à l’égard de la démocratie. Nous devons tous faire preuve d’une plus grande solidarité pour préserver la démocratie, non seulement en exprimant notre attachement à elle, mais en nous aidant les uns les autres quand besoin est, afin qu’elle reste un régime viable dans certains Etats membres, en dépit de leurs graves difficultés économiques.

Je voudrais ajouter à cette occasion que le rôle, les fonctions et l’importance du Conseil de l’Europe ne devraient pas décroître au fur et à mesure que la Communauté économique européenne gagnera en importance, compte tenu particulièrement du passage à un Parlement européen élu, parce que je crois que les diverses organisations européennes ne sont pas contradictoires, pas plus qu’elles ne font double emploi. Elles ont des orientations et des fonctions différentes. Par exemple, on peut dire que l’OTAN est une organisation concernée par la sécurité, et que la Communauté économique européenne est une institution concernée par l’économie, tandis que le Conseil de l’Europe est une organisation concernée par des valeurs. Si nous voulons sauvegarder les valeurs démocratiques auxquelles nous attachons tant de prix, nous devons donner une importance et un poids accrus au Conseil de l’Europe après l’avènement d’un Parlement européen élu dans le cadre de la Communauté.

Je pense avoir répondu à la plupart des questions posées par M. Delehedde. Il me demande si je suis satisfait du système régissant notre association avec la Communauté économique européenne. Franchement, ma réponse est «non». Nos rapports avec la Communauté, notamment au cours de ces dernières années et plus particulièrement au cours de ces derniers mois, ont été assez décevants, bien que certains signes —j’essaie toujours d’être optimiste — indiquent la possibilité d’une certaine amélioration dans l’avenir.

Je pense que la Turquie a été traitée de façon très déloyale, par exemple dans le domaine des concessions agricoles. En fait, les concessions accordées à des pays méditerranéens non associés sont parfois bien supérieures à celles accordées à la Turquie. Théoriquement, il ne devrait y avoir aucun obstacle aux exportations d’articles industriels de Turquie vers les autres pays de la Communauté économique européenne, mais chaque fois que nous avons la bonne fortune de découvrir une possibilité d’exporter certains produits industriels en quantités appréciables vers un pays membre, l’un ou l’autre obstacle nous est immédiatement opposé.

Bien que le droit à la liberté de circulation ait été reconnu par écrit aux travailleurs turcs, ce droit ne leur est pas accordé dans les faits, et il est regrettable que les Turcs travaillant dans les pays européens se voient privés de certains droits sociaux importants, tels que le droit de transférer en Turquie leurs cotisations à la caisse de pensions lorsque, à cause du chômage, ils souhaitent retourner chez eux avant l’âge de la retraite légal de leur pays de résidence. La réduction des allocations pour les enfants restés au pays d’origine a entraîné l’émigration de presque tous les enfants vers les pays industrialisés, créant ainsi d’énormes problèmes culturels, pédagogiques et sociaux pour lesquels aucune solution n’a encore été trouvée durant nos discussions avec les Etats membres de la Communauté.

M. Page me demande quelle est actuellement la situation de l’emploi en Turquie et si la diminution du nombre de personnes travaillant dans l’agriculture est compensée par l’augmentation du nombre de celles occupées à la réalisation de nouveaux projets industriels. Il n’en est rien. L’agriculture malheureusement a été négligée pendant de nombreuses années en Turquie, si bien que la population, comme je l’ai dit dans mon exposé initial, a dû émigrer massivement vers certains centres urbains; et malgré cela, on n’a pas créé suffisamment d’industries dans ces centres urbains pour absorber tous les nouveaux venus, de sorte que nous avons aujourd’hui à faire face à un énorme problème de chômage.

Afin de remédier à cette situation, mon Gouvernement a concentré ses efforts sur le développement rural et agricole. Nous croyons qu’un pays en voie de développement n’a pas besoin et n’est pas obligé de choisir entre moderniser son agriculture et accélérer son rythme d’industrialisation. Au contraire, un secteur agricole plus productif pourrait, selon moi, constituer un aiguillon pour l’industrialisation, et c’est pourquoi nous avons commencé à mettre en place des centres de croissance agricole dans des groupes de villages. Ces centres, nous l’espérons, non seulement donneront aux paysans la possibilité d’unir leurs ressources et leurs efforts en vue d’une meilleure productivité, mais encore leur permettront de passer au stade de l’exploitation industrielle de leurs produits ou à d’autres industries.

M. Warren me demande ce que je pense de la menace du bloc soviétique pour la Turquie suite à la dissolution de l’alliance de défense du CENTO. Je dirai que le CENTO n’avait pas réellement d’efficacité militaire ou défensive, et que sa disparition n’a donc pas notablement modifié la situation. Les menaces auxquelles la Turquie est exposée ne peuvent être dissociées du contexte mondial dans son ensemble, vu l’importance cruciale de sa situation géopolitique. C’est pourquoi nous attachons beaucoup d’importance à la détente et au rapprochement entre l’Est et l’Ouest et c’est pourquoi nous œuvrons en faveur de l’instauration d’une atmosphère de confiance mutuelle entre l’Est et l’Ouest.

Y a-t-il encore des questions, Monsieur le Président?

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Non, il n’y en a pas. Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, d’avoir très bien répondu à ces questions. Il nous reste peu de temps, car nous devons penser aux interprètes qui sont mis à rude épreuve et depuis longtemps déjà.

Quoi qu’il en soit, M. Péridier et Mme Mercouri sont encore inscrits sur ma liste. Monsieur Péridier, voulez-vous poser une question complémentaire?

M. PÉRIDIER (France)

J’estime que M. le Premier ministre n’a pas répondu à mes questions car il a oublié de répondre à la deuxième qui était aussi importante que la première.

L’explication que vous avez donnée pouvait se justifier au lendemain de l’occupation de Chypre, mais pas cinq ans après, alors que l’EOKA n’existe plus, que la politique de l’Énosis a été abandonnée par la Grèce et que Mgr Makarios a disparu. Par conséquent, il aurait été beaucoup plus intéressant que vous nous disiez combien coûte l’occupation de Chypre à la Turquie. Cela, pour nous, était très important. Car nous voulons bien que la Communauté économique européenne vous aide, mais pour améliorer la situation des travailleurs turcs et non pas pour payer la solde de militaires qui occupent une île, occupation qui n’ajoute qu’aux difficultés économiques et sociales de la Turquie. (Applaudissements)

Mais j’aurais voulu surtout, Monsieur le Premier ministre, que vous répondiez à ma deuxième question, très importante, qui a trait à la rencontre que le Président Kyprianou a acceptée avec M. Denktash. Je vous avais demandé de me dire si la Turquie pensait que cette rencontre pourrait aboutir conformément à la résolution adoptée par les Nations Unies, résolution dont je me permets de vous rappeler qu’elle a été votée par tous les pays représentés au Conseil de l’Europe.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Les forces turques stationnées à Chypre ne représentent pas une charge sensible pour notre économie. De toute façon, elles auraient été maintenues sur l’île, la Turquie devant conserver une armée importante dans une région du monde aussi importante du point de vue géopolitique, et la distance n’est pas grande entre la Turquie et Chypre. M. Péridier ne doit donc pas s’inquiéter outre mesure à ce propos. Je suis d’accord avec lui pour dire qu’il n’aurait pas été nécessaire de conserver ces forces turques à Chypre, même en nombre très restreint, si un accord avait pu être atteint entre les deux communautés au cours des cinq dernières années. Malheureusement, l’administration chypriote grecque ne s’est pas montrée très coopérative à cet égard, c’est le moins qu’on puisse dire, et semble penser qu’aussi longtemps qu’elle peut compter sur un appui extérieur contre la Turquie, elle peut se permettre de laisser aller les choses et de ne pas se lancer dans une solution négociée qui serait incompatible avec ce qu’elle a souvent déclaré comme étant son objectif à long terme. Mon optimisme me pousse à espérer que les prochaines conversations entre M. Kyprianou et M. Denktash aboutiront à des résultats positifs.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Je regrette de devoir en arriver maintenant à la dernière question complémentaire, étant donné les limites que nous nous sommes fixées. Les réunions de commissions commencent à 14 heures et les interprètes doivent avoir une période de repos, qui sera déjà trop brève.

La parole est à Mme Merkouris.

Mme MERKOURIS (Grèce)

Vous avez l’art, Monsieur le Premier ministre, de répondre aux questions qui vous sont soumises par de subtils subterfuges qui, sans toucher le fond des problèmes, donnent l’impression d’ambiguïté sur vos décisions et vos attitudes incohérentes par rapport à vos déclarations de politique générale et de votre Gouvernement.

De plus, je vous demande, Monsieur le Premier ministre, comment, vous, comme démocrate et comme socialiste, vous pouvez concilier ces buts si nobles que poursuit l’Europe en élisant son Parlement avec l’occupation militaire qui se poursuit à Chypre et comment vous pouvez espérer attendre le soutien de n’importe quelle organisation européenne démocratique? J’ajoute que l’application de la loi martiale est permise temporairement et non pas éternellement.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

Je suis d’accord avec Mme Mekcouris pour dire que la loi martiale ne devrait être déclarée ni de façon permanente ni pour de longues périodes dans aucun pays, et j’ai exprimé l’espoir dans mes remarques initiales, que la situation évoluera de façon telle que nous aurons le désir et la possibilité, sans aucun risque, d’abroger la loi martiale qui a été déclarée à la fin de l’année dernière.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Mme Merkouris a dit qu’elle parlait de l’occupation de Chypre.

Mme MERKOURIS (Grèce)

Combien de temps encore doit durer l’occupation de Chypre?

La Grèce fait tout pour concilier les choses entre elle et la Turquie. Pourtant combien de temps encore va se poursuivre l’occupation de Chypre? Pendant combien de temps y aura-t-il des disparus? Nous possédons une liste immense des gens qui ont disparu de la Grèce, liste fournie par la Croix-Rouge et dont nous pouvons vous donner lecture.

M. Ecevit, Premier ministre de Turquie (traduction)

J’en arrivais à cette partie de votre question. Si la possibilité avait existé d’aborder dans le cadre opportun – c’est-à-dire dans le cadre de conversations intercommunautaires à Chypre – toutes les questions et tous les problèmes que vous et vos collègues grecs avez soulevés au cours de cette réunion, nous aurions sans doute atteint depuis longtemps le stade où nous serions tout disposés à retirer toutes nos troupes de l’île. Si nous avions l’intention d’occuper ou d’envahir Chypre, nous aurions très souvent l’occasion d’agir autrement que nous ne l’avons fait depuis l’été 1974.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Monsieur le Premier ministre, permettez-moi de vous exprimer toute ma gratitude...

M. COUTSOCHERAS (Grèce)

Monsieur le Président...

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Non, j’ai déjà indiqué qu’il se fait très tard et que les interprètes doivent se reposer avant que les séances de commissions ne commencent. Je regrette que tous ceux qui avaient posé des questions à M. le Premier ministre n’aient pu poser une question complémentaire, mais je pense que ceux qui ont posé les questions les plus délicates ont eu cette possibilité. Ils ne l’ont eue qu’une fois, mais le but de cette réunion n’était pas de mener un débat complet avec M. le Premier ministre, mais seulement de leur permettre de poser des questions.

Je désire exprimer ma gratitude à M. le Premier ministre, et je sais que je peux, en votre nom à tous, le remercier d’avoir répondu si longuement à toutes les questions qui lui ont été posées. Vos réponses n’auront pas satisfait tout le monde, Monsieur le Premier ministre – il est juste de le reconnaître – mais nous sommes très heureux qu’elles aient été aussi détaillées. Je dois vous remercier également de votre très intéressant exposé et de votre présence en cet hémicycle. J’espère que le reste de votre séjour à Strasbourg vous sera également très agréable.