Werner

Faymann

Chancelier fédéral de la République d'Autriche

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 30 janvier 2014

Madame la Présidente, chers membres de cette Assemblée parlementaire, chers membres du Bureau, permettez‑moi d’abord de vous remercier de me fournir l’occasion de m’exprimer devant vous. Madame la Présidente a eu des paroles extrêmement aimables pour l’Autriche. Il est vrai que pour nous, le rôle de cette Assemblée est fondamental, surtout à l’heure actuelle. Soyez certains qu’en tant que pays assumant la Présidence du Comité des Ministres, l’Autriche, eu égard à son histoire et à celle du XXe siècle, participera de façon extrêmement active aux projets de paix pour l’Europe.

Je le répète, le rôle du Conseil de l’Europe est fondamental, et je suis fier de rappeler que par le passé des Autrichiens ont occupé de hautes fonctions en son sein. Je rappellerai que Peter Schieder a été président de votre Assemblée parlementaire entre 2002 et 2005. Il faut ici reconnaître l’influence de cette Organisation.

Nous sommes en 2014, année de réflexion sur notre histoire, en Europe et dans le monde. C’est en 1914 qu’a débuté l’ère des guerres meurtrières, une ère d’arbitraire et de dictatures. Il y a 75 ans, en agressant la Pologne, Hitler déclenchait la seconde guerre mondiale. Cette guerre et l’Holocauste ont été les plus grandes catastrophes que l’humanité ait jamais connues. On ne remerciera donc jamais assez les représentants de cette génération qui, après la guerre, se sont tenu la main pour faire de la paix durable sur ce continent leur objectif prioritaire.

Si l’on prend au sérieux les leçons tirées du XXe siècle, on ne peut pas accepter la crise économique, une crise comparable à celle des années 30, qui mène au chômage de masse, au manque de perspective, à la pauvreté, à la misère, aux incitations à la haine et aux discours nationalistes.

Dans la crise actuelle, l’Europe a investi beaucoup de temps, d’énergie et d’argent dans les banques. Cela vaut pour les membres de l’Union européenne comme pour ceux qui n’en sont pas membres, parce que pour moi, la famille européenne est plus grande que cela. Tout a été fait pour sauver les banques et stabiliser les flux financiers, mais on ne peut pas en rester là. Il ne suffit pas de restaurer la stabilité des marchés financiers. Les taux de chômage en Europe sont dramatiques, beaucoup de jeunes sont sans travail; la crise n’est donc pas passée. C’est un véritable défi politique à relever.

Les choses évoluent rapidement, l’information circule plus vite, mais on ne peut s’habituer au chômage et à la misère. De nombreuses personnes en Europe vivent quasiment en dessous du seuil de pauvreté. Le chômage des jeunes doit être un véritable signal d’alarme en Europe. On ne peut pas accepter que des jeunes gens n’aient pas la possibilité de participer à la vie économique alors qu’ils seraient disposés à le faire.

Notre économie mondiale et la crise économique et financière depuis 2008 montrent qu’aujourd’hui, les réponses nationales aux défis de ce monde ne sont plus adaptées. Certains veulent nous induire en erreur et ont recours à des solutions qui, du point de vue social, sont totalement injustes. Et leurs discours ne sont que des incitations à la haine.

Avec beaucoup de pays, nous avons accompagné l’idée de l’introduction d’une taxe sur les transactions financières. Cette taxe ne permettra pas de résoudre le problème du chômage en Europe – la panacée n’existe pas, ceux qui prétendent le contraire ne sont pas crédibles – mais elle est nécessaire afin de cofinancer des mesures visant à réparer les dommages dus à cette crise économique. Je pense à la garantie de formation pour des jeunes gens, au système de formation dualiste, etc.

Et puis, il y a la spéculation et ceux qui parient sur l’effondrement de nos économies. Pour y mettre un terme, nous avons besoin de plus de croissance, de plus d’emplois en Europe. Car sans croissance qualitative et durable, nous ne pourrons pas relever les défis. Tout ne peut pas se faire sur le dos des jeunes. Nous ne pouvons pas accepter que les jeunes paient le prix de la crise, alors que nous attendons de la jeune génération qu’elle s’engage pour des valeurs comme la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit. Nos sociétés doivent être assez fortes pour offrir aux jeunes gens la possibilité de s’intégrer.

Depuis le début de la crise financière, le nombre de jeunes au chômage au sein de l’Union européenne a augmenté de plus de 2 millions, passant de 3,5 millions à 5,7 millions.

Pour l’Autriche, la lutte contre le chômage des jeunes est une priorité. Nous sommes ravis d’avoir une situation un peu meilleure dans notre pays, mais il n’empêche que chaque chômeur est pour nous un chômeur de trop. Or je suis persuadé qu’on ne trouvera de solutions qu’en les recherchant ensemble à l’échelle européenne. La solidarité ne s’arrête pas aux frontières nationales. La logique du marché ne tient pas compte du fait que la prospérité et la richesse des uns se paient par la pauvreté et la misère des autres.

Il faut également lutter contre les discours d’incitation à la haine que l’on entend de la part de certains responsables politiques. Ils sont irresponsables.

Il est impossible d’assurer une prospérité durable sans paix, sans justice sociale, sans liberté, sans primauté du droit. Il faut, en outre, une coopération plus étroite entre nous et le Conseil de l'Europe, entre le Conseil de l'Europe et l’Union européenne. Il est donc essentiel que nous nous concentrions sur les compétences et les forces de chacune des organisations. Durant des années, le Conseil de l'Europe a joué un rôle de pionnier en matière de droits de l’homme et de démocratie. Le Conseil de l'Europe, qui regroupe des Etats n’appartenant pas à l’Union européenne, continuera à jouer un rôle prépondérant à l’avenir, j’en suis convaincu.

Ces derniers temps, on parle beaucoup des discriminations à l’encontre des homosexuels dans certains pays pourtant membres du Conseil de l'Europe. Ces discriminations légales et de facto sont totalement contraires à la Convention européenne des droits de l’homme. Boycotter une manifestation sportive internationale n’est pas, selon moi, la façon la plus appropriée d’appuyer les attentes et exigences légitimes des militants des droits de l’homme, car cela portera avant tout préjudice au mouvement sportif international alors que les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle ont nettement reculé dans le monde sportif.

Une réorganisation est intervenue au cours des dernières années. En effet, nombre de mesures ont été prises qui semblent aller dans la bonne direction puisqu’elles renforcent le Conseil de l'Europe dans ses compétences fondamentales. Je puis d’ores et déjà vous assurer que l’Autriche continuera à participer de manière extrêmement constructive aux travaux du Conseil de l’Europe. Notre engagement commun pour les droits de l’homme, la justice sociale, la démocratie, la liberté et la paix est ce qui nous unit ici.

Je souhaite que nos travaux soient couronnés de succès.

LA PRÉSIDENTE (interprétation)

Merci beaucoup, Monsieur le Chancelier fédéral.

(Poursuivant en français) Des membres de notre Assemblée ont souhaité vous poser des questions.

Je rappelle à nos collègues que leurs questions doivent avoir un caractère interrogatif et ne pas dépasser 30 secondes.

M. IWIŃSKI (Pologne), porte-parole du Groupe socialiste (interprétation)

Monsieur le Chancelier, vous êtes un des responsables politiques favorables à l’introduction d’une taxe sur les transactions financières. Onze Etats membres de l’Union européenne, dont l’Allemagne et la France – malheureusement, la Pologne n’est pas du nombre – partagent ce point de vue. L’Italie a déjà mis en œuvre cette solution. Comment envisagez‑vous l’introduction de cette taxe et quand l’Autriche suivra‑t‑elle l’Italie sur cette voie?

M. Faymann, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

La taxe sur les transactions financières nous permettra de financer des actions orientées vers l’emploi et la formation. Par exemple, il importe de trouver les financements nécessaires à la création d’instituts de formation et cette taxe est pour moi un excellent moyen de contribuer à relever le défi en Europe. Bien sûr, des pays de l’Union européenne et en dehors considèrent que l’application d’une telle mesure nous placera en situation de concurrence défavorable par rapport à d’autres régions du monde. Mais, dès lors qu’il s’agit de démocratie, de primauté du droit, de libertés, de politique de l’environnement, de nos valeurs, nous ne mesurons jamais la portée de nos décisions à l’aune des avantages ou des inconvénients qu’elles seraient susceptibles d’engendrer au regard de la concurrence.

La question n’est donc pas de savoir si défendre nos valeurs s’accompagnera de désavantages. C’est pourquoi, je pense que la taxe sur les transactions financières doit être introduite par le plus grande nombre de pays possible afin de financer les mesures que je viens d’évoquer.

Sur le plan juridique, de nombreuses réserves ont été émises, qui ont été levées par la Commission européenne. Je suis convaincu que cette mesure va dans le bon sens et qu’elle contribuera à surmonter la crise dans les pays qui la mettront en œuvre, et en premier lieu dans les onze pays qui l’ont acceptée. Peut‑être cela fera‑t‑il école auprès d’autres pays européens.

M. AGRAMUNT (Espagne), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen (interprétation)

L’asile est l’une des questions qui occupe et préoccupe l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe comme du reste l’ensemble de l’Organisation. L’Autriche a connu il y a quelques années une augmentation de 36 % des demandes d’asile. Cette évolution est‑elle due à votre nouvelle politique d’intégration nationale? Par ailleurs, la guerre en Syrie a provoqué un afflux massif de réfugiés et de demandeurs d’asile en Europe. Que faut‑il faire devant cette vague de demandeurs d’asile et de réfugiés venant de Syrie?

M. Faymann, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

L’Autriche n’est pas le seul pays à connaître une forte augmentation des demandes. En tout cas, l’Autriche fait partie des pays ayant à traiter de nombreuses demandes et elle doit veiller à ce que le droit à l’asile soit pris au sérieux et accordé. De façon générale, l’Union européenne doit garantir une meilleure répartition de la charge entre les différents pays. Je ne parle pas uniquement de l’Autriche ou de l’Allemagne, je pense aussi à Malte ou à des pays du sud de l’Europe qui supportent une charge lourde, qui doit être partagée entre les pays de l’Europe.

Ceux qui, par le passé, en ont peut‑être fait moins devraient se monter solidaires, car le droit d’asile est inextricablement lié à la question des droits de l’homme et à la dignité humaine. À cet égard, nous devons apporter notre contribution. Bien entendu, le mieux serait que les gens n’aient pas à fuir leur pays, nous en sommes tous d’accord, mais nous ne pouvons pas promettre de construire rapidement un monde où plus personne n’aurait à fuir son pays. Dès lors, nous devons veiller, dans le cadre des procédures d’asile, à apporter des réponses communes en Europe.

Pour ce qui est de la procédure d’asile des réfugiés syriens, à la fin du mois d’août, l’Autriche avait accepté la venue de 500 Syriens sans passer par la procédure d’asile habituelle, afin de leur accorder une protection durable. Sur les 250 réfugiés acceptés au titre du regroupement familial, 170 sont déjà arrivés, et 250 ont été admis dans le cadre d’un programme commun avec le HCR.

Depuis le mois de janvier, ces procédures sont en cours et la situation évolue rapidement. Je suis persuadé qu’il s’agit là d’une tâche à surmonter en commun et à prendre extrêmement au sérieux.

M. PUSHKOV (Fédération de Russie), porte‑parole du Groupe démocrate européen

Nous sommes extrêmement frustrés que l’Ukraine devienne un champ de bataille entre la Russie et l’Union européenne. Comme nous l’avons vu aujourd’hui, la Russie est accusée d’exercer des pressions sur l’Ukraine, alors même qu’il est absolument évident que l’Union européenne exerce une influence massive et active à Kiev, où l’on a vu plusieurs de ses représentants. Pensez‑vous que la Russie et l’Union européenne doivent se combattre en Ukraine, ou fait‑il trouver une autre approche, plus adaptée et constructive?

M. Faymann, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

L’Autriche et l’Union européenne en appellent aux deux parties pour mettre un terme à la violence en Ukraine. La solution ne peut passer que par le dialogue. Cependant, il y aussi, en Ukraine, des militants des droits de l’homme, des personnes qui s’engagent pour la primauté du droit et la démocratie. Il faut leur envoyer un signal très clair, leur montrer que la famille européenne les soutient. L’un n’exclut d’ailleurs pas l’autre. L’Union européenne n’a pas besoin d’intervenir – au sens négatif du terme, comme vous l’avez dit. Elle peut intervenir de manière positive, pour montrer aux personnes en Ukraine qu’il y a des valeurs communes et que notre objectif est de toujours les renforcer partout. Je me réjouis d’ailleurs des efforts déployés par le Conseil de l’Europe. Le Secrétaire Général s’est saisi de la question et a assumé un rôle de médiateur, en quelque sorte. C’est là une contribution importante de votre Organisation. Il faut donc pousser au dialogue avec les personnes qui souhaitent se rapprocher de l’Union européenne. Le dialogue est selon moi la seule solution.

De nombreuses personnes en Ukraine observent de très près ce qui se passe et veillent à ce que nos valeurs communes soient respectées partout en Europe; ces personnes ont besoin de sentir que nous les soutenons.

M. XUCLÀ (Espagne), porte‑parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (interprétation)

Le 20 janvier dernier, dans le Burgenland, vous avez prononcé un discours très intéressant dans lequel vous avez dit que nous devons prendre des mesures contre la xénophobie et l’antisémitisme. Aujourd’hui même, nous commémorons l’Holocauste, afin que de telles choses ne se produisent plus jamais. J’aimerais donc savoir quelles sont vos réflexions sur ce sujet; quelles sont vos propositions pour combattre la xénophobie, l’antisémitisme et les discours de haine?

M. Faymann, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

Un engagement commun en faveur des droits de l’homme, pour la liberté d’expression et contre toute forme de discrimination est certainement la chose la plus forte que nous puissions opposer aux discours de haine, à la xénophobie et à l’antisémitisme. Cependant, il faut aussi créer les conditions économiques adéquates. C’est la raison pour laquelle, dans mon intervention, j’ai tenté d’insister particulièrement sur le fait qu’il faut aider les personnes dans le besoin. Il faut, en effet, lutter contre les discours de haine en enlevant à leurs auteurs toute possibilité de les légitimer. Quand il y aura dans toute l’Europe des normes sociales convenables, les auteurs de tels discours n’auront plus aucune légitimité.

Dans nos sociétés démocratiques, la haine ne doit pas être au fondement du discours politique, pas plus qu’elle ne doit influer sur le résultat d’élections. Il faut, tout au contraire, parvenir à un consensus autour de nos valeurs fondamentales, aussi bien dans le cadre des processus électoraux qu’à l’échelle de la société dans son ensemble. Encore faut‑il, pour cela, que les conditions économiques, sociales et politiques – car tout est lié – soient réunies. On voit, dans nombre de pays européens, que les jeunes gens sont déçus par la société et qu’ils finissent par se tromper d’ennemi. Ils ont l’impression de ne pas avoir de place dans la société et, par conséquent, de ne pas pouvoir s’y épanouir. Il faut donc essayer de réconcilier l’économique et le social. C’est là, à mon sens, que se trouve la réponse au racisme; c’est ainsi que nous pourrons lutter contre ceux qui, par la haine, essaient de saper les fondements de nos sociétés.

M. KOX (Pays‑Bas), porte‑parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)

Monsieur le Chancelier, vous avez dit qu’il n’était pas suffisant d’avoir sauvé les banques. Selon vous, il faut aussi sauver les citoyens de la pauvreté, de l’exclusion et du désespoir. Que pensez‑vous donc de l’idée selon laquelle tous les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient adhérer à la Charte sociale européenne? Une fois que l’Union européenne aura adhéré à la Convention européenne des droits de l’homme, pensez‑vous que, dans un second temps, elle pourrait également adhérer à la Charte sociale européenne?

M. Faymann, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

Nous avons toujours pris très au sérieux et soutenu la Charte sociale européenne, que mon pays a d’ailleurs signée et ratifiée. Pour nous, l’établissement de normes sociales à l’échelle européenne, voire mondiale, est une priorité; j’en ai d’ailleurs discuté avec votre Présidente. Il est également important de rapprocher les actions de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe en la matière. En effet, si l’on veut relever les défis qui se présentent à nous pour l’avenir, il faut se pencher sur les questions sociales.

LA PRÉSIDENTE

Nous en avons terminé avec les questions des porte‑parole des groupes.

Si vous en êtes d’accord, Monsieur le Chancelier, je vous propose que nous entendions les questions suivantes – et que vous y répondiez – par groupes de trois.

M. DÍAZ TEJERA (Espagne) (interprétation)

Monsieur le Chancelier, j’ai beaucoup apprécié votre discours dans lequel vous nous avez appelés à construire l’espoir et à préparer l’avenir. Mais il n’y a ni avenir ni espoir sans les jeunes, qui doivent être associés au processus politique. Or ils sont déçus, tout comme nous le sommes, par un grand nombre de choses, à commencer par la politique telle qu’elle est pratiquée par les partis traditionnels. Il faut plus de transparence et de démocratie directe. Quelles sont vos suggestions pour que la politique redevienne un domaine où règne la liberté, où prévale la dignité et où les décisions soient prises par les plus qualifiés, c'est‑à‑dire en fonction du mérite et des capacités, et non, par exemple, sur le fondement d’une alternance?

M. GOZI (Italie) (interprétation)

Vous avez dit, à très juste titre, qu’il fallait une approche plus largement partagée en matière de droit d’asile en Europe. C’est indubitablement très important. Mais à Lampedusa, on a l’impression que l’Europe n’existe pas. Il faut vraiment une approche générale à l’échelle européenne en matière d’immigration, que celle‑ci soit régulière ou illicite et faisant l’objet de trafics.

Que devrait, à votre avis, faire l’Europe pour mettre au point une véritable politique commune en matière d’immigration en Méditerranée et pour que Lampedusa fasse bien partie de l’Europe et ne soit plus simplement le bout de l’Italie?

Mme GERASHCHENKO (Ukraine) (interprétation)

Merci, Monsieur le Chancelier, pour votre discours. Aujourd’hui, nous avons discuté de la question de l’Ukraine et, comme vous le savez, de hauts responsables politiques ainsi que des membres de la famille de l’ancien premier ministre, M. Azarov, sont des hommes d’affaires. Que pensez‑vous de l’idée de sanctions contre des personnes qui sont impliquées dans des affaires de corruption et qui ont pris des mesures violant les droits de l’homme?

M. Faymann, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

A propos de l’Ukraine, il me semble avoir dit très clairement que je suis totalement convaincu que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne – mais, bien entendu, le Conseil de l’Europe s’étend au‑delà de l’Union européenne – doivent apporter une contribution décisive.

Il faut parvenir à une solution sans violence pour permettre au pays de choisir lui‑même la voie sur laquelle il souhaite s’engager à l’avenir et savoir s’il souhaite ou non se rapprocher de l’Union européenne. Ce n’est pas à nous de prendre cette décision. Nous ne pouvons pas non plus influencer sa décision. C’est aux Ukrainiens de la prendre. Ils doivent pouvoir être autonomes et choisir eux‑mêmes leur avenir et la voie sur laquelle ils souhaitent s’engager.

Cela correspond à nos valeurs communes, tout comme la question de la primauté du droit, la façon dont on traite les opposants politiques, les militants ou les activistes. Il est certain que, face à la situation actuelle en Ukraine, nos valeurs nous poussent à entreprendre quelque chose, mais devons‑nous adopter des sanctions? C’est une question politique, directement liée à celle de l’Etat de droit. S’il suffisait à des hommes politiques de donner des instructions pour que des sanctions soient prises et mises en application, ce serait assez préoccupant. Des sanctions ne peuvent résulter, le cas échéant, que de négociations communes et doivent, bien entendu, être extrêmement bien encadrées et conformes au droit international.

Je vous remercie, Monsieur Gozi, de m’avoir posé cette question sur l’asile. J’ai évoqué tout à l’heure la situation de Malte à titre d’exemple, mais j’aurais aussi bien pu parler de Lampedusa et de tous ces lieux où arrivent des réfugiés parce qu’ils fuient les persécutions politiques dans leur pays ou parce qu’ils ont peur de ne pouvoir vivre ou survivre dans leur région. Alors, évidemment, il y a des endroits situés au bord de la mer, sur les côtes, où les choses se sont organisées et l’on voit ces personnes arriver de façon concentrée dans certaines villes en Europe.

Il est important que l’Union européenne parvienne à se mette d’accord. Il faut protéger les frontières bien sûr – et je ne parle pas seulement de la protection des frontières extérieures –, mais il faut assurer la protection des droits de ces personnes. Cela demande là encore d’adopter des solutions communes. La discussion sur les quotas en est un exemple, car on ne peut accepter qu’un pays porte toute la charge et doive gérer seul tout cela. On le voit bien avec l’Italie et Lampedusa. On le voit avec Malte. Il s’agit là d’une responsabilité commune de l’Europe.

Les débats au sein du Conseil européen vont dans ce sens. Le premier ministre italien, très engagé sur cette question, tient à qu’elle soit considérée comme une responsabilité européenne, et je suis d’accord avec les responsables politiques italiens qui disent que les questions d’asile ne pourront pas être résolues par des solutions exclusivement nationales. Il ne s’agit pas que chacun réfléchisse dans son coin pour voir comment résoudre, seul, la question de l’asile des réfugiés. Des politiques et des directives communes existent et, en la matière, le principe de solidarité doit absolument s’appliquer.

Vous avez, Monsieur Díaz Tejera, parlé d’acceptation politique, de participation et de démocratie directe. Tout cela est lié à la création de conditions économiques et sociales favorables. On spécule – sur les denrées alimentaires, par exemple, mais dans bien d’autres domaines également – et cette spéculation profite à quelques‑uns et ce sont les citoyens qui en font les frais. Certains sont en colère de voir qu’il y a tant de cas de fraude fiscale et de criminalité dans la société, et l’on a tendance à pointer du doigt les gouvernements et à les rendre responsables de tout cela.

En tant que gouvernants, nous ne pouvons que vous dire que ces questions ne pourront être résolues qu’en travaillant ensemble, grâce à une activité économique commune et des mesures communes de lutte contre la fraude et la corruption. Il est difficile d’expliquer aux jeunes pourquoi certains, avant, pendant et même après la crise, gagnent très bien leur vie grâce à la spéculation et pourquoi, après la crise, des règles strictes ne permettent pas de mettre un terme à cette spéculation.

Nos sociétés doivent agir. Il faut faire de notre mieux pour montrer que la démocratie, ses élus et des institutions comme le Conseil de l’Europe et l’Union européenne prennent leurs responsabilités au sérieux. Si nous pouvons le montrer, les hommes politiques seront mieux perçus. On ne peut en demander trop non plus!

Les citoyens ont profité de la crise économique pour montrer à quel point ils étaient déçus des institutions politiques, et leur déception n’a fait que croître avec la crise. Il faut donc essayer d’y répondre en renforçant la coopération.

LA PRÉSIDENTE

M. Ghiletchi, inscrit dans le débat, est absent de l’hémicycle.

(M. Gaudi Nagy se lève, brandit une banderole, et prend la parole)

LA PRÉSIDENTE

Je vous rappelle, Monsieur Gaudi Nagy, qu’aux termes du Règlement et du code de conduite des membres de cette Assemblée, les débats doivent se dérouler de manière civile et disciplinée, et que les membres de l’Assemblée doivent s’abstenir de toute action susceptible de troubler la séance.

(M. Gaudi Nagy poursuit.)

LA PRÉSIDENTE

Monsieur Gaudi Nagy, je me vois dans l’obligation de vous rappeler à l’ordre officiellement et, conformément à l’article 21‑2 de notre Règlement, ce nouveau rappel à l’ordre figurera expressément dans le compte rendu de nos débats.

Je vous informe également que si vous n’obtempérez pas, je serai contrainte de prolonger les sanctions contre vous et de vous interdire de prendre la parole à la prochaine partie de session.

M. SHAI (Israël, observateur) (interprétation)

Je vous remercie, Monsieur le Chancelier, pour le message important que vous avez adressé à l’Assemblée parlementaire, et je rappelle aux membres de l’Assemblée que nous allons bientôt commémorer le souvenir de l’Holocauste.

Quelle est votre position à l’égard de l’Iran et du nombre important d’exécutions et de violations des droits de l’homme dans ce pays? En dépit des apparences, la situation ne s’est pas améliorée.

M. DENEMEÇ (Turquie) (interprétation)

La présidence autrichienne a fait de l’éducation l’une de ses priorités. Les experts soulignent qu’un meilleur apprentissage des langues par les enfants d’immigrés est déterminant pour leur intégration et que ceux d’entre eux qui maîtrisent leur langue maternelle sont mieux armés pour apprendre la langue du pays d’accueil.

L’Autriche envisage‑t‑elle d’introduire dans les programmes scolaires les langues des principales communautés du pays?

M. ARIEV (Ukraine) (interprétation)

Certains responsables ukrainiens impliqués dans des violations des droits de l’homme à l’encontre de manifestants pacifiques de la place Maïdan à Kiev possèdent des bien et des comptes bancaires en Autriche. Vous vous êtes interrogé sur une base légale à des sanctions. Envisagez‑vous, dans un premier temps, que votre gouvernement puisse enquêter sur l’origine de certains capitaux?

M. Faymann, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

Les sanctions à l’égard de l’Ukraine doivent résulter de négociations, conformément aux principes du droit international. Un pays ne peut faire cavalier seul et décider par lui‑même quels instruments lui paraissent adaptés pour agir.

Sur les violations des droits de l’homme en Iran, je tiens à être très clair. Si je me réjouis bien entendu des petits progrès réalisés dans le cadre des pourparlers internationaux, j’ai conscience que nous sommes encore loin du compte. Eviter la prolifération nucléaire est prioritaire, mais la communauté internationale doit aussi se prononcer contre la peine de mort et pour le respect des droits de l’homme. Nous nous réjouissons donc des progrès accomplis, mais nous ne les surestimons pas.

En ce qui concerne les compétences linguistiques, elles sont évidemment indispensables pour s’intégrer dans un pays d’accueil. Il existe diverses approches pour améliorer la qualité de l’enseignement des langues. Le ministre des Affaires étrangères autrichien s’est lui‑même penché sur ces questions. L’objectif est de permettre une meilleure participation des immigrés à la vie de la société. Le système éducatif et la formation continue sont les principaux secteurs dans lesquels il faut promouvoir les compétences linguistiques.

M. BENEYTO (Espagne) (interprétation)

Monsieur le Chancelier, je m’associe aux félicitations qui vous ont été adressées. L’Autriche a une grande tradition de médiation internationale. A cet égard, ne pensez‑vous pas que l’Assemblée parlementaire devrait être plus ambitieuse dans ses missions de règlement des conflits, en Europe, en Ukraine, mais aussi dans d’autre pays, comme l’Egypte? Pourquoi n’allons-nous pas plus loin que l’Union européenne?

M. DIŞLI (Turquie) (interprétation)

Je voulais vous interroger sur le nombre de réfugiés accueillis par l’Autriche, mais la question a déjà été posé par M. Agramunt. Aussi aborderai-je un autre sujet.

La communauté internationale a collaboré sur la question des armes chimiques en Syrie. Pensez‑vous qu’elle pourra obtenir un cessez‑le‑feu, ou tout au moins un corridor humanitaire, dans ce pays?

M. JAKAVONIS (Lituanie) (interprétation)

Il y a quelques années, M. Golovatov, un citoyen russe, a été arrêté en Autriche pour avoir commis des crimes très graves, puis il a été libéré. Le système judiciaire autrichien pratiquerait-il le «deux poids deux mesures»?

M. Faymann, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

Non, nous appliquons les mêmes règles pour tous. Dans les discussions entre la Lituanie et l’Autriche, je suis convaincu que des clarifications ont été apportées. Les ministres de la justice des deux pays ont d’ailleurs fait une déclaration commune le 23 septembre 2011, qui a permis de lever de nombreux malentendus.

Comment aider les réfugiés en Syrie? Beaucoup a déjà été fait et l’Union européenne leur a consacré des fonds importants. Notre préoccupation n’en reste pas moins grande, en effet, car les pourparlers en vue d’une solution négociée n’avancent que très lentement.

L’engagement du Conseil de l’Europe et celui de l’Union européenne nous permettront peut‑être d’éviter des souffrances humaines supplémentaires et, en tout cas, de nous montrer à la hauteur de notre mission de médiateurs. L’un d’entre vous m’a demandé si l’Autriche ne pourrait pas jouer un rôle plus important en la matière; Bruno Kreisky a déjà mené une action fondamentale au Moyen‑Orient, en coopération avec la communauté internationale.

L’Europe ne cesse de s’unifier, et des organisations comme l’Union européenne et comme le Conseil de l’Europe nous fournissent une base commune solide pour nous engager plus avant en Syrie et dans d’autres régions qui connaissent des conflits. L’idéal serait évidemment une politique étrangère commune, qui n’existe pas encore véritablement même au sein de l’Union européenne. Mais je suis convaincu que l’évolution en ce sens va se poursuivre. En tant que Chancelier fédéral de l’Autriche, je lui apporte tout mon soutien.

Je vous remercie, ainsi que Mme la Présidente, de vos paroles aimables au sujet de notre ambassadeur.

Mme OEHRI (Liechtenstein) (interprétation)

Monsieur le Chancelier, merci de votre intervention et de vos réponses. Au Liechtenstein, voisin de l’Autriche, les conséquences environnementales de l’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique sont de plus en plus critiquées. Que pensez‑vous de l’évolution de cette exploitation en Autriche et dans les pays avoisinants?

M. MORENO PALANQUES (Espagne) (interprétation)

Nous le savons tous, l’Union européenne ne peut faire marche arrière; mais il faut aller beaucoup plus vite, non seulement en matière économique, mais aussi sur la voie de l’union politique et sociale. On dit souvent que l’on veut plus d’Europe, mais sommes‑nous suffisamment conscients des responsabilités que nous impose la construction européenne?

Comment faire évoluer les mentalités de certains citoyens européens pour éviter les situations que l’on constate dans certains pays après les élections? L’Autriche a un Parlement particulièrement puissant mais aussi particulièrement fragmenté, ce qui amoindrit sa puissance.

M. Faymann, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

C’est précisément pour les raisons que vous évoquez que j’ai tenu à souligner le risque d’euroscepticisme croissant si nous ne trouvons pas des solutions communes. L’opposition pure et simple est la position la plus confortable: il suffit d’attendre que l’Union européenne et la communauté internationale échouent à résoudre les problèmes, puis de dénoncer cette situation. Mais ce n’est pas une attitude constructive qui prépare l’avenir de l’Europe.

Si l’avenir de l’Europe vous tient à cœur, quelle que soit votre appartenance idéologique, il vous faut reconnaître qu’au‑delà de l’union bancaire, de la régulation des marchés financiers, des mécanismes que nous avons créés à cette fin – toutes choses qui sont très importantes –, il est également urgent de relever les défis économiques et sociaux. Voilà pourquoi j’ai tant insisté, dans le temps limité qui m’était imparti, sur ces aspects économiques et sociaux, qui préoccupent les Européens soucieux de leur avenir. Les solutions économiques et sociales sont indissociables. Il faut non seulement surveiller les marchés financiers et les banques, mais aussi veiller à l’évolution de l’Europe sociale. Pour que la situation ne dégénère pas comme dans les années 30, il faut prévoir, au‑delà des mécanismes de protection, des mesures communes, notamment pour lutter contre le chômage des jeunes, lequel se prolonge un peu plus chaque année, ce qui nourrit le désespoir.

Quant au gaz de schiste, nous en avons beaucoup parlé en Autriche. Nous allons vérifier la situation selon les régions. Mais les conditions technologiques d’une exploitation des gaz de schiste qui permette de protéger les nappes phréatiques ne sont pas encore réunies. Comme souvent dans ces domaines, certains pensent qu’elles ne le seront jamais, d’autres affirment que cela dépend des montants investis dans la recherche et développement pour satisfaire les exigences écologiques.

Nous avons besoin de l’Europe comme site industriel; or le secteur industriel a lui‑même besoin d’énergie bon marché. Dans ce contexte, la question de l’exploitation des gaz de schiste pourrait se poser; mais, je le répète, elle serait aujourd’hui prématurée pour des raisons technologiques.

Je remercie tous ceux qui m’ont interrogé, ainsi que le Bureau et la Présidente de m’avoir permis de m’adresser à vous. Merci pour ce débat très constructif qui a été un grand plaisir pour moi.

LA PRÉSIDENTE

Monsieur le Chancelier, je vous remercie à mon tour, en notre nom à tous, pour votre discours et pour votre engagement résolu sur les questions sociales. Nous nous réjouissons de poursuivre notre excellente collaboration avec la Présidence du Comité des Ministres et de vous retrouver à Vienne.