Robert

Fico

Premier ministre de Slovaquie

Discours prononcé devant l'Assemblée

lundi, 21 janvier 2008

M. Fico félicite M. de Puig pour son élection à la tête de l’Assemblée parlementaire, organe essentiel du Conseil de l’Europe. Lui‑même ne se sent pas ici en terrain inconnu puisqu’il a siégé plus de dix ans dans cet hémicycle, d’abord comme membre de l’Assemblée puis comme chef de la délégation slovaque et qu’il a acquis une expérience des structures européennes à Strasbourg en tant que représentant du Gouvernement slovaque devant la Commission européenne des Droits de l’Homme et devant la Cour.

Pour la République slovaque, exercer, pour la première fois de son histoire, la présidence du Comité des Ministres est un enjeu majeur. Le gouvernement s’y est donc préparé avec le plus grand soin et il a même inclus cette fonction dans le manifeste gouvernemental d’août 2006.

On ne saurait oublier le rôle crucial joué par le Conseil de l’Europe dans la naissance de la République slovaque indépendante et démocratique. Il doit être remercié pour ses observations et ses recommandations qui, aidant à assumer des engagements parfois difficiles, ont permis de faire de la Slovaquie un État moderne. La République slovaque a respecté tous les critères d’intégration puis d’adhésion à l’Union européenne. Elle a réussi à bâtir une société civile qui garantit la protection des droits de l’homme, de la dignité humaine et des minorités nationales.

L’objectif du gouvernement issu des élections démocratiques de l’été 2006, après huit années de politique conservatrice, est de parvenir à un partage plus juste, sur la base des principes de solidarité, des fruits de la croissance économique élevée que le pays connaît. Ainsi, cette croissance vigoureuse ne sera pas contrecarrée par des réformes antisociales: ceux qui ont travaillé dur, pour des salaires assez bas et avec un coût de la vie élevé, seront ainsi récompensés. Le gouvernement veut mener une politique économique et sociale reposant sur la solidarité tout en respectant les critères stricts de Maastricht en matière de déficit public et d’inflation. D’ailleurs après la Slovénie, Chypre et Malte, la Slovaquie devrait être le prochain membre de la zone euro.

Le gouvernement est également engagé dans la lutte contre la discrimination, l’antisémitisme, le chauvinisme et la xénophobie. Cela passe en particulier par tout ce qui est fait en faveur de la large diffusion de la vérité sur l’Holocauste. Il considère aussi que les minorités sont une source d’enrichissement pour la société. Parmi les douze minorités présentes sur le territoire, les principales sont la population de langue hongroise et les Roms.

Le gouvernement a lancé des mesures concrètes depuis son arrivée au pouvoir et la place des minorités nationales n’est pas compromise. Il peut être fier d’avoir amélioré le système d’éducation pour les minorités, dans leur langue maternelle, depuis l’école jusqu’à l’université, ce qui n’est pas le cas de tous les États membres…

Outre d’investissements importants, l’université de langue hongroise a bénéficié, en 2007, d’une augmentation de 30 % de sa subvention de fonctionnement ainsi que d’une subvention spéciale pour améliorer ses locaux. Le département hongrois de la radio slovaque, fort de ses soixante-quinze ans d’existence, diffuse aujourd’hui sur 80 % du territoire 56 heures de programme par semaine, à des heures de grande écoute. Cela étant, il est également normal que les membres de minorités nationales soient en mesure de parler la langue officielle du pays où ils se trouvent. Toutes les critiques qui avaient été formulées à ce propos sont donc infondées.

Lutter pour résoudre les problèmes auxquels la minorité rom est confrontée est une des principales priorités du gouvernement et les instances qui en sont chargées y accordent la plus haute importance. L’an dernier, des mesures ont été prises en faveur de l’éducation et de la formation des enfants roms jusqu’aux études supérieures. L’intégration sociale des Roms et leur participation à la vie publique sont d’ailleurs des questions de portée paneuropéenne. Il convient donc de soutenir toutes les initiatives du Conseil de l’Europe comme le Forum sur les Roms et les gens du voyage européens. Le Parlement européen débat d’ailleurs d’une stratégie paneuropéenne en ce qui concerne cette population.

La Slovaquie soutient les actions conjointes entreprises par les organisations internationales concernant les Roms. Le gouvernement manifeste une réelle volonté de rechercher des mécaniques facilitant l’intégration sociale de cette population. La conférence européenne qui sera consacrée aux jeunes Roms en avril 2008 devrait apporter une contribution précieuse à ce problème.

L’orateur désire émettre quelques réflexions à propos du Conseil de l’Europe. L’Organisation cherche aujourd'hui sa place au sein des organisations européennes. Dans le monde d’aujourd'hui en perpétuelle mutation, personne ne peut en effet prévoir l’avenir avec certitude. Tout dépendra de la volonté des États membres, du développement des autres organisations et de la capacité d’adaptation du Conseil de l’Europe. L’orateur se dit favorable au processus de modernisation. Certains fonctionnements sont en effet trop routiniers et il existe une disproportion marquée entre les attentes et les réalisations. Le Conseil de l’Europe est pourtant capable de répondre aux exigences de l’époque. Il a ainsi surmonté la division de l’Europe en ouvrant ses portes à de nouveaux membres malgré les avertissements émis par ceux qui craignaient une érosion des normes. C’est grâce au Conseil de l’Europe qu’un grand nombre de pays de l’Est sont aujourd'hui membres à part entière de l’Union européenne.

Néanmoins, le Conseil de l’Europe ne pourra conserver l’ensemble des activités qu’il a assumées au début du XXIe siècle. Il devra rationaliser ses travaux et les concentrer sur la défense de la démocratie, la primauté du droit et les droits de l’homme. Ces principes sont les véritables titres de gloire de l’Organisation. Le Conseil de l’Europe a mis en place un système complexe et complet de protection des droits de l’homme. Les outils sont constamment améliorés et les experts en droits de l’homme courent d’une réunion à une autre. On peut dès lors se demander pourquoi le nombre d’affaires soumises à la Cour européenne ne cesse d’augmenter. Le Conseil de l’Europe est certes victime de son propre succès, mais un succès qui aboutit à créer une crise est‑il un véritable succès? Il faudrait en fait que plus personne n’ait besoin de recourir à la Cour européenne.

Il est évident que les ressources financières actuelles sont insuffisantes pour assurer le bon fonctionnement de la Cour. Les États qui ne sont pas capables de remplir leurs engagements devraient être obligés de la financer. L’orateur se dit convaincu que la solution réside dans la protection des droits de l’homme à l’échelon national. Mais il convient d’améliorer le fonctionnement de la Cour européenne, de ratifier le Protocole n° 14 pour permettre son application et de faire en sorte que les jugements de la Cour soient appliqués effectivement.

L’orateur estime qu’il faut arriver à protéger la Cour contre un afflux de plaintes. En tant qu’avocat, il sait que la Cour ne peut être d’aucun secours pour le citoyen si elle croule sous les dossiers. Il faudrait créer des filtres pour identifier très tôt les plaintes qui ne sont pas recevables.

Le Conseil de l’Europe demeure un lieu de coopération entre les États membres dans de nombreux secteurs. Ses conventions ont de nombreuses incidences pratiques. Il a acquis un savoir-faire diversifié et doit aujourd'hui concentrer ses activités sur les domaines spécifiques où son rôle est irremplaçable. L’objectif général du Conseil de l’Europe, tel qu’il est défini dans son statut, n’a rien perdu de sa légitimité. Il serait peut‑être temps de discuter d’une éventuelle révision de ce statut.

Pour terminer, l’orateur voudrait encore expliquer ce que le Conseil de l’Europe ne doit pas être. Il ne doit pas être une institution dans laquelle les sympathies et les antipathies compliquent l’aboutissement des projets. Il ne doit pas être une institution à géométrie variable ni une instance où un groupe impose aux autres sa vision partiale, où un groupe tente de résoudre ses problèmes aux dépens d’un autre. Son rôle ne consiste pas à faire des expérimentations. L’orateur se dit persuadé que le Conseil de l’Europe saura éviter ces écueils.

LE PRÉSIDENT

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre discours qui nous a vivement intéressés. J’ai été touché par vos commentaires relatifs aux problèmes des minorités nationales. Votre description était exhaustive. Je vous remercie également des propos que vous avez tenus sur la présidence du Conseil de l’Europe, nous souhaitant une présidence efficace.

Nombre de nos collègues ont déjà exprimé le souhait de poser une question. Afin d’appeler le plus grand nombre possible de questions, je n’autoriserai pas de questions supplémentaires. Je rappelle à mes collègues que leur question doit revêtir un caractère interrogatif et ne pas dépasser trente secondes. Nous devrons interrompre la liste des questions à 16 heures.

M. HOVANNISIAN (Arménie) (interprétation)

constate que la Slovaquie est une démocratie vivante comme le montre d’ailleurs ce qui se passe aujourd'hui au Parlement. Ce pays a su mettre sur pied des relations de bon voisinage avec ses voisins. Quel est le secret de la bonne entente entre la République tchèque et la Slovaquie?

M. Fico, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)

indique que le secret des bonnes relations avec la République tchèque trouve son origine dans l’histoire commune des deux peuples qui, en 1918, ont cru à un destin commun. Les développements historiques ultérieurs ont abouti en 1992 à une séparation pacifique. Les citoyens des deux républiques se retrouvent aujourd'hui dans l’enceinte de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. La réussite de cette relation est unique en son genre. Elle n’a été possible qu’en faisant tomber les barrières de l’incompréhension et en assurant le développement politique, économique et social du pays.

M. CHELEMENDIK (République slovaque) (interprétation)

signale que la Slovaquie est le second pays post‑communiste à entrer dans la zone euro. Pourquoi prend-elle cette voie aussi rapidement?

M. Fico, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)

répond que le Gouvernement slovaque est convaincu que l’euro procure davantage de bénéfices qu’il ne présente d’inconvénients. C’est pourquoi les critères exigeants de Maastricht ont été respectés afin de permettre l’introduction de l’euro au 1er janvier 2009. Le gouvernement slovaque ne sous‑estime pas l’inquiétude de l’opinion publique mais il en discute ouvertement. Il n’est pas plus difficile de remplir les critères de Maastricht que d’introduire de nombreux mécanismes de contrôle pour empêcher les utilisations détournées du taux de change.

L’opinion publique est surtout inquiète par la différence de niveau de vie avec les pays occidentaux. Le gouvernement en est conscient et connaît l’importance du débat public pour rassurer les citoyens. Les critères de Maastricht doivent d’abord être respectés et la décision de la Banque centrale européenne interviendra au mois de mai.

M. KOX (Pays‑Bas) (interprétation)

qui remercie M. Fico d’avoir donné la priorité à la Cour européenne des Droits de l’Homme, lui demande si le budget de l’Assemblée bénéficiera lui aussi d’une attention particulière, comme il le mérite de toute évidence.

M. Fico, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)

répond que ces deux institutions jouent chacune un rôle irremplaçable au sein du Conseil de l’Europe et que le ministre des affaires étrangères de la Slovaquie a rappelé récemment la nécessité de ne sous‑estimer aucun domaine. En tant que juriste, M. Fico accorde une grande importance au bon fonctionnement de la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui constitue une institution unique en matière de défense des droits de l’homme, mais il reconnaît également le rôle essentiel joué par l’Assemblée.

M. IWIŃSKI (Pologne) (interprétation)

au nom du Groupe socialiste, demande à M. Fico ce qu’il pense du système de défense anti‑missiles américains en République tchèque et en Pologne. Par ailleurs, quel sera, selon lui, l’avenir des quatre pays du groupe de Visegrad?

M. Fico, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)

déclare que le déploiement du système de défense anti‑missiles américains en Pologne et en République tchèque doit se fonder sur un accord entre les trois pays, mais il n’est pas possible d’affirmer qu’il ne concerne pas également les pays limitrophes. M. Fico est personnellement opposé à ce projet, qui n’a aucune justification plausible et qui ne ferait qu’exacerber les sensibilités dans la région. Toute décision à son égard devra être débattue au sein des Nations Unies et du Conseil de l’Europe. Des accords bilatéraux ne sont pas acceptables. Ils réduiraient les autres pays à n’être que les témoins d’un processus aux lourdes conséquences.

En ce qui concerne le groupe de Visegrad, l’avenir des quatre pays qui le composent sera celui qu’ils se donneront. Les parlements et les gouvernements de ces pays devront se prononcer sur les actions communes qu’ils souhaitent ou non poursuivre. A ce jour, on doit se féliciter des avancées qu’elles ont permises.

M. GRZYB (Pologne) (interprétation)

interroge M. Fico sur l’adhésion de son pays à la zone Schengen et sur les conséquences de cette adhésion sur les relations avec l’Ukraine et les autres pays de la région.

M. Fico, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)

déclare que l’entrée de son pays dans la zone Schengen, qui s’est d’ailleurs accompagnée de mesures de sécurité renforcées, n’a entraîné aucune augmentation du nombre des migrants. La frontière extérieure de la Slovaquie ne sera pas un nouveau rideau de fer, le pays accordant la plus grande importance à ses relations avec l’Ukraine et tous ses autres voisins. Tous les citoyens qui souhaitent voyager doivent pouvoir le faire librement.

M. JÁUREGUI ATONDO (Espagne) (interprétation)

rappelle que l’Alliance des civilisations réunissait, il y a une semaine, à Madrid quatre‑vingt délégations. Que pense M. Fico de cette initiative qui vise au rapprochement des peuples?

M. Fico, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)

déclare qu’il a suivi de près cette initiative à laquelle il apporte son plus grand soutien et qui doit tenir sa prochaine réunion en Turquie. La Slovaquie comprend de nombreuses religions, qui doivent apprendre à cohabiter. L’Alliance des civilisations permettra à de nombreux pays de progresser dans cette voie.

M. LINDBLAD (Suède) (interprétation)

interroge le Premier ministre slovaque sur les décrets Benes. Ne s’opposent-ils pas aux principes défendus par le Conseil de l’Europe?

M. Fico, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)

rappelle que ces décrets, qui refusent le principe de la culpabilité collective, ont été adoptés en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils sont donc le fruit d’une époque historique, ce dont a récemment pris acte le Parlement slovaque dans une déclaration officielle. Il convient de ne pas instrumentaliser l’histoire et surtout de ne pas l’utiliser pour diviser les peuples. Le Conseil de l’Europe a suffisamment à faire pour ne pas rejuger ce qui l’a déjà été. M. Fico précise que cette déclaration du Parlement slovaque a été approuvée à l’unanimité par tous les partis politiques.

M. SAAR (Estonie) (interprétation)

approuve la vision de M. Fico sur le partage des bénéfices de la croissance économique. En ce qui concerne le problème des minorités, n’est‑il pas inacceptable que le SNP profère des slogans hostiles à l’encontre d’une certaine partie de la population?

M. Fico, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)

rappelle que, lorsque le gouvernement actuel de son pays est arrivé au pouvoir, nombreux étaient ceux qui prédisaient une avalanche de catastrophes. En ce mois de janvier 2008, force est de constater qu’ils ont été trop pessimistes puisque la croissance économique de la Slovaquie est forte, que le gouvernement bénéficie du soutien de l’opinion et qu’il occupe actuellement des fonctions importantes au Conseil de Sécurité des Nations Unies et au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Le Gouvernement slovaque a fait beaucoup pour les droits de l’homme et mené des actions dont bien des pays membres devraient s’inspirer. Le respect des minorités hongroises s’illustre par des mesures concrètes en matière d’éducation et dans les médias. La Slovaquie pourrait être considérée à cet égard comme un modèle.

LE PRÉSIDENT

Mes chers collègues, il nous faut en terminer. J’avais annoncé qu’à 16 heures nous devrions interrompre la liste des orateurs.

Au moment de vous libérer, monsieur le Premier ministre, je tiens à vous remercier vivement de votre intervention à la tribune et des réponses que vous avez fournies à des questions parfois très détaillées et parfois difficiles. Vous avez montré votre connaissance de notre Organisation et l’intérêt de votre présidence. Vous avez également illustré la position de votre pays sur un certain nombre de problèmes. Tous nos collègues ont apprécié votre intervention.

Je vous souhaite une bonne fin de présidence. Je suis sûr que dans les mois qui restent, votre gouvernement et vous‑même sauront se montrer à la hauteur. Merci, monsieur le Premier ministre, de votre présence parmi nous. (Applaudissements)