Heinz
Fischer
Président de la République d’Autriche
Discours prononcé devant l'Assemblée
mercredi, 20 avril 2016
Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs, comme cela vient d’être dit, l’Autriche célèbre ces jours-ci le soixantième anniversaire de son adhésion au Conseil de l’Europe. À cet égard, merci à la Présidente sortante, Mme Brasseur, pour son invitation à prononcer une allocution dans cet hémicycle, et merci à vous, Monsieur le Président, pour vos aimables propos de bienvenue.
Les grands sujets qui sont traités au Conseil de l’Europe – la démocratie, les droits de l’homme, la dignité humaine, l’Etat de droit, le respect des Constitutions – m’ont inspiré et accompagné tout au long de ma carrière politique commencée voilà plus de cinquante ans. En 1962, j’ai été engagé comme juriste au Parlement autrichien. En 1971, je fus élu pour la première fois député. Au milieu des années quatre-vingts, j’ai d’ailleurs participé aux travaux de votre Assemblée.
L’Autriche est entrée au Conseil de l’Europe en avril 1956, à une époque où, dans ce pays et, plus largement, en Europe, une série d’événements très marquants ont eu lieu. En mai 1955 était signé le Staatsvertrag, traité qui a rendu à l’Autriche toute sa liberté et sa pleine souveraineté. En octobre 1955, les dernières troupes d’occupation alliées quittaient le territoire de la République d’Autriche. En décembre 1955, l’Autriche entrait à l’Onu et, en avril 1956, adhérait au Conseil de l’Europe. Je devrais peut-être ajouter que, quelques mois plus tard, à l’automne 1956, nous avons été les témoins traumatisés de l’écrasement de la révolution hongroise, événement qui s’est accompagné de l’afflux massif de réfugiés vers l’Autriche. Je m’en souviens très bien: alors étudiant, j’ai travaillé en tant que bénévole au centre d’accueil de Traiskirchen qui venait en aide aux réfugiés.
Mesdames, Messieurs, l’Autriche a joué d’emblée un rôle très actif au sein du Conseil de l’Europe, que nous tenons pour une plateforme irremplaçable où l’on a pu et où l’on continue de mettre au point de nouvelles formes de coopération intergouvernementale et interparlementaire.
La Convention européenne des droits de l’homme est aujourd’hui un élément essentiel de la Constitution autrichienne. Plusieurs arrêts importants de la Cour européenne des droits de l’homme ont été repris dans des lois d’avant-garde de notre pays. J’étais d’ailleurs voilà quelques minutes à la Cour.
En avril 2014, j’avais déjà eu la possibilité de m’adresser à vous, et j’avais alors évoqué les grandes étapes de l’histoire du Conseil de l’Europe. Plutôt que de répéter ce discours, je vais donc parler de l’actualité.
Je commencerai par un constat plutôt réjouissant: la Cour européenne des droits de l’homme a réussi ces dernières années à réduire considérablement le nombre de requêtes en suspens. Malheureusement, il faut également constater que les normes démocratiques sont moins respectées aujourd’hui. Les espaces de liberté nécessaires à l’épanouissement des sociétés civiles sont remis en cause dans certaines régions, et il y a même dans certains cas un véritable risque de régression. Par exemple, certaines juridictions constitutionnelles sont visées par des attaques et risquent de ne plus pouvoir travailler normalement.
Mesdames, Messieurs, la terreur, le terrorisme ne sont pas des phénomènes nouveaux dans notre histoire. Dans les années de la reconstruction qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, on a toutefois pu avoir le sentiment qu’ils appartenaient pour l’essentiel au passé. Un changement est intervenu dans les années 1970, avec la survenue d’attentats ponctuels et de détournements d’avion qui avaient essentiellement pour but d’appeler l’attention sur le combat d’extrémistes palestiniens. En Allemagne et dans d’autres pays d’Europe, certains groupuscules d’extrême gauche déterminés ont voulu, au moyen d’attentats et d’enlèvements, exercer un chantage sur les Etats. On peut considérer que nos pays s’en sont globalement sortis.
Aujourd’hui, cependant, on assiste à une nouvelle vague de terrorisme, le terrorisme islamique. Soyons clair: il ne s’agit pas d’accuser de manière systématique les musulmans de terroristes. Les nouveaux terroristes auxquels nous avons affaire veulent surtout déstabiliser et effrayer en tuant au hasard un maximum de personnes. Hélas! Ils y parviennent régulièrement, comme l’ont tout récemment montré les attentats épouvantables perpétrés à Paris, à Istanbul et à Bruxelles.
Tout être humain raisonnable et sensé condamnera évidemment ces actes de la manière la plus ferme, mais nous peinons à trouver une réponse adéquate et des mesures de prévention efficaces. Nous ne pouvons pas nous contenter de mesures sécuritaires. Nous souhaitons assurer la sécurité de nos concitoyens sans pour autant créer un Etat policier.
Le Conseil de l’Europe a essayé de mettre en place de nouveaux instruments, par exemple le protocole supplémentaire à la Convention pour la prévention du terrorisme qui porte sur les «combattants étrangers», mais il reste beaucoup à faire. Pour autant, il faut prendre garde de ne pas remettre en cause nos valeurs fondamentales.
Ainsi que je l’ai dit, je me suis présenté devant vous voilà deux ans, et vous discutiez alors de la suspension temporaire du droit de vote des députés russes au sein de l’Assemblée parlementaire. Ce débat était inévitable compte tenu de la crise ukrainienne et, surtout, de la crise en Crimée. On espérait y trouver une solution rapide, mais 24 mois plus tard, on ne peut pas dire que le problème soit réglé, malheureusement. Certes, il y a quelques lueurs d’espoir, les discussions de Minsk ayant porté certains fruits. Le conflit est en outre un peu apaisé et fait moins de victimes. Pour autant, le problème fondamental demeure: la situation n’est pas satisfaisante et reste très dangereuse.
La semaine dernière, j’étais en visite officielle à Moscou. Ce fut l’occasion d’un très long entretien avec le Président Poutine, en présence du ministre des affaires étrangères, M. Lavrov. Parmi nos sujets de discussion, l’Ukraine a occupé une place primordiale. Mon impression est que la Russie ne se réjouit aucunement du refroidissement des relations avec l’Europe, et ne peut s’en réjouir. Elle n’est toutefois pas encore disposée à payer un prix acceptable pour parvenir à une solution. L’Ukraine, quant à elle, ne se satisfait pas non plus du statu quo, mais n’est pas plus disposée que la Russie à faire les concessions nécessaires, par exemple en acceptant le contenu et le calendrier des Accords de Minsk, qui devraient inclure des dispositions viables sur l’autonomie. Or, l’application des Accords de Minsk et la fin ou le démantèlement progressif des sanctions iront de pair.
Concernant les sanctions décrétées par l’Union européenne, nous avons toujours été loyaux. Espérons donc que les Accords de Minsk seront bien appliqués par toutes les parties et que chacune comprendra que leur application est une condition sine qua non.
Pour ma part, je suis convaincu que l’existence de bonnes relations entre l’Europe et la Russie bénéficierait à tous, et qu’à l’inverse de mauvaises relations entre l’une et l’autre partie ne peuvent que desservir les deux. Il faut que chacun essaie de comprendre le point de vue de l’autre. La Russie doit s’efforcer de comprendre ce qui inquiète ses partenaires européens et, inversement, les Européens doivent s’efforcer de comprendre ce qui inquiète les Russes. Chacun doit se pencher surtout sur ce qui est la cause de soucis depuis vingt-cinq ans.
Selon moi, mais c’est une observation tout à fait personnelle, toute politique qui a pour but ultime de faire adhérer l’Ukraine à l’Otan dans un avenir plus ou moins proche produira finalement plus d’inconvénients que d’avantages, tant pour l’Europe que pour l’Ukraine et la Russie. J’espère que vous m’avez bien compris, et que je n’ai pas été trop loin. Je referme cette parenthèse.
Aujourd’hui, le grand problème pour l’Europe est incontestablement la crise des migrations et des réfugiés. L’année dernière, en 2015, plus d’un million de personnes ont franchi les frontières extérieures de l’Union européenne en tant que migrants ou réfugiés, transitant par nos pays ou y cherchant refuge.
L’Autriche s’est trouvée en première ligne, très affectée par ces mouvements migratoires. Il est clair qu’aucun pays ne saurait y faire face seul, nous l’avons bien vu. Nous ne pourrons nous en sortir que grâce à une coopération internationale et à une coordination à l’échelle européenne.
Il convient, bien évidemment, de préserver les principes essentiels du droit d’asile. Mais si l’Europe n’arrive pas à proposer de solution en termes de politique de l’asile, de plus en plus d’Etats se verront contraints d’adopter des mesures qui leur seront propres. Je dis cela car, ces six ou sept derniers mois, face au problème des migrants et des réfugiés, on a assisté à un retournement de l’opinion publique dans de nombreux pays. La question des réfugiés risque, malheureusement, d’amener beaucoup d’eau au moulin de l’extrême droite, des xénophobes et des nationalistes.
Certes, la xénophobie a toujours existé De tout temps, on a regardé avec méfiance et réticence ceux qui venaient d’autres pays, pratiquaient une autre religion ou avaient une couleur de peau différente. Pour contrebalancer ces tendances, nous pouvons nous appuyer sur la Déclaration des droits de l’homme qui rappelle le caractère inaliénable de la dignité humaine. Nous pouvons aussi rappeler les dispositions du droit d’asile, les appels du pape ou les paroles du cardinal Schönborn, de Vienne, rappelant que le droit d’asile était un droit sacré, ou encore la mobilisation admirable d’un grand nombre de nos concitoyens. On avait d’ailleurs assisté à une mobilisation citoyenne similaire au moment de l’écrasement, en 1956, de la Révolution hongroise ou encore du Printemps de Prague en 1968.
Mais deux facteurs ont fait basculer l’opinion. Le premier a été l’ampleur inattendue du phénomène Nous avons, en effet, assisté à une augmentation considérable du nombre de personnes concernées, ce qui a entraîné toutes sortes de conséquences, bien évidemment. Le second a été le sentiment que le fardeau était mal réparti et qu’il n’existait pas de véritable solidarité au sein de l’Europe. L’Allemagne, la Suède, la Grèce ou l’Italie seront mieux à même que moi de décrire la situation qu’elles connaissent mais, s’agissant de l’Autriche, permettez-moi de rappeler que dans ce pays de 8,5 millions d’habitants, rien qu’au deuxième semestre 2015, ce sont près de 800 000 personnes qui ont franchi de manière totalement anarchique nos frontières, au sud et au sud-est.
Il est vrai que beaucoup d’entre elles n’ont fait que transiter chez nous pour aller en Allemagne, mais c’est une situation intolérable sur le long terme. Je vous demande de le comprendre. En 2015, l’Autriche a reçu 88 000 demandes d’asile en Autriche, un peu plus de 1 % de la population du pays, soit un nombre de demandes d’asile plus élevé que le nombre des naissances dans le pays. Cette évolution ne peut être supportée à long terme.
Il est difficile d’expliquer la situation à notre population alors que l’on constate qu’au niveau de l’Union européenne, sur les 27 Etats restants, pour 23 d’entre eux, le nombre des demandes d’asile n’atteint pas 0,5 % de la population et, pour 13 d’entre eux, ce nombre ne correspond même pas à 0,1 % de leur population. Parfois, le taux est de 1 ‰. Donc, je pense que vous pouvez comprendre les difficultés du Gouvernement autrichien pour maîtriser le problème et ses conséquences, car c’est bien gentil d’accueillir toutes ces personnes, encore faut-il ensuite pouvoir les intégrer, leur offrir des places dans les écoles, etc.
Nous devons donc essayer de maîtriser le phénomène. Voilà pourquoi, en Autriche, nous avons décidé d’un plafond indicatif de 37 500 demandes d’asile en 2016. Notez que cela représente toujours 0,5 % de la population du pays, et qu’avec ce chiffre, l’Autriche reste l’un des pays les plus concernés en Europe.
J’ajouterai une autre observation: mieux les frontières extérieures de l’Union européenne sont contrôlées, moins les frontières intérieures doivent être surveillées, et vice versa. Parmi les points de passage vers l’Autriche, pour des raisons historiques, politiques et psychologiques, mais aussi économiques et autres, le Brenner occupe évidemment une place tout à fait à part. Plus le phénomène de migration échappe à tout contrôle et plus nous serons obligés de surveiller cet accès. Nous ferons ce que font les Allemands à certains postes frontières ou ce que font les Français à la frontière italienne dans la région de Nice.
Il n’est toutefois pas question de fermer, de verrouiller, de bloquer la frontière. Toute accusation dans ce sens est inopportune et inexacte. Je tiens à dire clairement quelles sont les réalités. L’Autriche ne cherche pas à se fermer à tout échange avec l’Italie ou l’Allemagne. Simplement, elle veut essayer de maîtriser les phénomènes migratoires, sans pour autant œuvrer à contre-courant de l’histoire.
L’Autriche reprendra, l’année prochaine, la tête de l’OSCE. Nous sommes en train de nous préparer à cette présidence et nous comptons beaucoup pour cela sur l’expérience que nous avons acquise pendant la présidence du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.
Pour finir, permettez-moi quelques remarques tout à fait personnelles.
Je l’ai déjà dit, au début des années 1960, j’ai commencé à travailler au Parlement autrichien. Au milieu des années 1970, après être devenu député, j’ai été élu à la tête du Groupe socialiste. Puis, j’ai quitté le parlement, je lui ai fait quelques infidélités en acceptant de devenir ministre de la Science et de la Recherche. Mais par la suite, j’ai présidé le parlement durant 12 ans et, en 2004, j’ai été élu Président de la République avec 51,5 % des voix et, en 2010, réélu avec 79,3 % des voix.
Dimanche prochain, le 24 avril, se déroulera le premier tour d’une nouvelle élection présidentielle. Je crois que les faits ne me démentiront pas si je vous dis qu’aucun des six candidats – cinq candidats et une candidate, pour être précis – ne dépassera les 50 %. Il y aura donc un deuxième tour, le 22 mai, entre les deux candidats arrivés en tête et, le 8 juillet, je remettrai mes fonctions à celui ou celle qui me succèdera lors de la cérémonie de passation des pouvoirs.
C’est avec beaucoup de joie et de gratitude que je repasse le fil de ces longues années, de cette longue carrière politique. J’ai passé de très bons moments. Dans les prochaines semaines, je vais prendre congé des institutions européennes et des nombreux amis que je m’y suis faits. Merci donc à vous de m’avoir donné la possibilité de prendre congé de vous et de votre Assemblée.
Je vous remercie de votre attention. Je formule tous les vœux pour que vous-mêmes et le Conseil de l’Europe dans son ensemble continuiez à œuvrer, et je vous souhaite beaucoup de succès dans une Europe en paix.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Monsieur le Président, je vous remercie pour cette magnifique allocution.
Un nombre important de parlementaires souhaitent maintenant vous poser des questions. Nous commençons par les porte-parole des groupes.
M. FISCHER (Allemagne), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen (interprétation)
Monsieur le Président, je vous remercie pour vos propos très clairs, et pour les thèmes que vous avez abordés. Au moment où vous allez quitter vos fonctions, il est très positif que vous nous honoriez de votre présence, confirmant ainsi la validité de notre engagement. Ma question est la suivante: quelles sont, selon vous, les missions prioritaires du Conseil de l’Europe pour les temps à venir?
M. Fischer, Président de la République d’Autriche (interprétation)
Notre époque n’est pas une époque de rupture. Les missions du Conseil de l’Europe ne vont pas changer de nature. Mais plus que jamais nous avons besoin de cette institution. Les conflits sont de plus en plus complexes, et le Conseil de l’Europe est l’une des enceintes qui permettent de leur assurer une évolution paisible.
Gardien de la démocratie parlementaire et de la démocratie dans son ensemble, le Conseil de l’Europe défend les principes constitutionnels européens, très proches d’un pays à l’autre. Il doit être notre ange gardien, notre saint patron, et doit faire en sorte de préserver les caractéristiques communes à nos différents pays européens, en soulignant ce qui nous unit. Cette mission est très difficile, il est vrai, au XXIe siècle.
M. SCHIEDER (Autriche), porte-parole du Groupe socialiste (interprétation)
Monsieur de Président, je vous remercie moi aussi pour la clarté de vos propos, notamment sur la frontière du Brenner. Nous sommes nombreux à craindre que les acquis en matière de démocratie et de droits de l’homme, acquis qui marquent nos civilisations, ne soient remis en cause. Comment, ensemble, préserver ces acquis et ces valeurs?
M. Fischer, Président de la République d’Autriche (interprétation)
La solidarité est certes indispensable, mais elle ne suffira peut-être pas. En Europe, dans la grande Europe, celle du Conseil de l’Europe, nous constatons que nous touchons aux limites. Un certain nombre de différences caractérisent nos cultures: le parlementarisme britannique est tout à fait unique, les pays d’Europe du Sud ont des caractéristiques bien particulières, comme la Scandinavie et l’Europe du Nord. La mosaïque est devenue de plus en plus large et colorée. Il faut mettre du liant et créer une culture politique européenne commune.
Il faut respecter les constitutions, bien entendu, mais cela ne suffit pas. Il faut insuffler un véritable esprit de respect de la Constitution, et instaurer une pratique constitutionnelle correcte. Il ne faut pas pour autant exploiter toutes les possibilités offertes par une Constitution. Pensons aussi au camp adverse. La majorité doit avoir en tête qu’elle peut un jour être dans l’opposition, et vice-versa. L’opposition doit penser qu’elle devra, une fois au pouvoir, appliquer ce qu’elle dit. Il faut trouver plus de liant et d’harmonie, rapprocher les différences, privilégier ce qui favorise notre démocratie et éliminer les éléments qui la menacent.
M. GOPP (Liechtenstein), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (interprétation)
L’Autriche a opté pour une attitude restrictive vis-à-vis des migrants et des demandeurs d’asile. Je peux le comprendre, mais cela soulève la polémique, en particulier en ce qui concerne le renforcement des contrôles au Brenner. Vous avez dit que la politique européenne a échoué en termes d’asile. Que faire pour préserver la solidarité européenne et ne pas remettre en cause le caractère européen de ces politiques?
M. Fischer, Président de la République d’Autriche (interprétation)
Hier, M. Juncker était dans cet hémicycle. Si vous ne lui avez pas posé cette question, vous êtes impardonnable! C’est lui qui est en première ligne et qui est compétent. Je ne sais pas si vous l’avez interrogé et s’il a répondu, mais, selon moi, le système actuel de Schengen, suppose, avant tout, que les frontières extérieures puissent être contrôlées de manière efficace. Si ce n’est pas le cas, inévitablement il y aura des problèmes.
Réglons donc premièrement ces problèmes de contrôle aux frontières extérieures. Essayons de maîtriser les problèmes. Je suis très admiratif face à l’action des Allemands. Je pense aussi ne pas avoir été timide dans mon expression quant à l’action de mon propre pays. Il faut essayer de limiter les mouvements migratoires, et, par ailleurs, il faudrait mieux répartir les migrants en Europe. Tout cela rendrait les choses plus acceptables.
Il faudrait aussi faire en sorte que ce thème des migrations ne soit pas accaparé par certains mouvements politiques, qui usent et abusent du sujet à des fins critiquables. J’espère que nous y parviendrons, et surtout que nous remédierons au pire de nos problèmes, notre impréparation, sachant qu’il faut encore compter sur d’importants mouvements migratoires. Nous n’étions pas prêts, donc faisons le nécessaire.
Mme USTA (Turquie), porte-parole du Groupe des conservateurs européens (interprétation)
Monsieur le Président, la nouvelle loi sur l’islam en Autriche offre de nouveaux droits, ce qui est très positif. Cependant, les financements venant de l’étranger sont interdits; ce n’est pas le cas pour d’autres lieux de culte, juifs, arméniens, bouddhistes ou autres. Comment expliquer cette situation? Pourquoi les musulmans se voient, eux seuls, confrontés à cet interdit?
M. Fischer, Président de la République d’Autriche (interprétation)
Je vous remercie d’avoir jugé a priori positive la loi sur l’islam en Autriche. Nous avons eu beaucoup de mal à l’élaborer.
Dès 1912, l’Autriche a reconnu l’islam dans la loi et diverses dispositions ont été adoptées. Plus de cent ans après, il était nécessaire de moderniser cette loi, ce qui a donné lieu à un large débat dans mon pays. Vous le savez peut-être, la communauté musulmane de l’Autriche elle-même était très partagée. On m’a sollicité de tous côtés et on m’a demandé mille choses contradictoires. Au bout du compte, nous sommes parvenus à un dénominateur commun et une loi a été adoptée à une très large majorité. Une grande partie des musulmans autrichiens ont, je crois, jugé positivement ce nouveau texte.
Il ne nous était évidemment pas possible de négliger les aspects extérieurs liés à l’islam, pour des questions de sécurité. Il existe une cour constitutionnelle en Autriche, qui est l’instance suprême pour juger des questions d’égalité. S’il s’avérait qu’elle rende un arrêt condamnant cette nouvelle loi, celle-ci serait immédiatement modifiée. Toutefois, d’éminents constitutionnalistes nous ont affirmé que le texte était conforme et il y a peu de risques que la Cour déclare la loi anticonstitutionnelle.
M. KOX (Pays-Bas), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)
Puisque tout le monde parle allemand, permettez-moi de m’exprimer également dans cette langue!
Je vous remercie beaucoup, Monsieur Fischer, pour ce que vous nous avez relaté de vos entretiens avec le Président Poutine et pour votre plaidoyer en faveur d’une normalisation des relations avec la Russie, dans l’intérêt de tous.
Quelles sont les chances, selon vous, de parvenir rapidement à une levée des sanctions européennes à l’égard de la Russie?
M. Fischer, Président de la République d’Autriche (interprétation)
Puisque vous avez l’amabilité de m’interroger en allemand, Monsieur Kox, je vais vous répondre en anglais.
L’Autriche a soutenu l’Union européenne lorsqu’elle a décidé d’adopter des sanctions à l’égard de la Russie. Elles étaient nécessaires. Nous ne pouvions pas ne pas réagir après les événements de Crimée et d’Ukraine. Selon nous, il ne faut pas prendre des sanctions dans le simple but de sanctionner et l’Europe devra décider, un jour ou l’autre, de manière unie, d’y mettre un terme. Je pense, comme le ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, qu’une méthode de réduction progressive de ces sanctions doit être élaborée. Encore faut-il que des progrès soient constatés dans la mise en œuvre des Accords de Minsk. Mon sentiment est que dans un an nous aurons peut-être avancé un peu et que nous pourrons commencer à lever les sanctions. Pour cela, les deux parties doivent néanmoins contribuer à faire évoluer la situation.
LE PRESIDENT (interprétation)
Si vous en êtes d’accord, Monsieur le Président, nous allons regrouper maintenant les questions par séries de trois.
Mme WURM (Autriche) (interprétation)
Je vous souhaite la bienvenue, Monsieur Fischer, au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Notre Organisation est la gardienne de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de l’homme. Tout au long de son histoire, elle n’a cessé d’élargir le champ de ses activités pour affronter l’ensemble des défis de notre époque, comme les violences contre les femmes ou la lutte contre le terrorisme, qui ont fait l’objet de nouvelles et récentes conventions, comme vous l’avez souligné.
Selon vous, quel jugement est-il possible de porter sur les travaux du Conseil de l’Europe aujourd’hui? Que devrait faire l’Organisation au cours des soixante prochaines années?
M. ARIEV (Ukraine) (interprétation)
Monsieur le Président, j’aimerais vous interroger sur la situation en Ukraine.
Vous nous avez dit que l’idée d’une réduction progressive des sanctions était envisageable. Comment, à votre avis, peut-on inciter M. Poutine à revenir en arrière pour ce qui est de l’annexion de la Crimée, du retrait de ses troupes de la partie orientale de l’Ukraine et de la libération de Nadiia Savchenko, membre de cette Assemblée?
Enfin, pouvez-vous réaffirmer votre attachement à l’intégrité territoriale des Etats membres du Conseil de l’Europe?
Mme BRASSEUR (Luxembourg) (interprétation)
Je voudrais commencer par féliciter l’Autriche pour le soixantième anniversaire de son adhésion au Conseil de l’Europe.
Dans quatre jours, vous l’avez dit, Monsieur le Président, une élection doit avoir lieu pour choisir votre successeur. Vous êtes parvenu au terme d’une carrière de plus de cinquante ans. Permettez-moi de vous poser une question très personnelle: quelle est, parmi les grandes ambitions politiques qui étaient les vôtres, celle que vous n’avez jamais pu concrétiser?
M. Fischer, Président de la République d’Autriche (interprétation)
Je vous remercie, Madame Wurm, pour votre intervention amicale. Quelle doit être la feuille de route du Conseil de l’Europe pour les soixante années à venir? J’avoue que je ne saurais vous répondre dans le temps qui m’est imparti. Il faut évidemment poursuivre sur les grands sujets qui ont toujours été ceux de l’Organisation. Comme je l’ai dit à M. Jagland, si le Conseil de l’Europe n’avait pas été inventé, il faudrait le créer tout de suite! Mais c’est à ses pays membres et à leurs représentants de tracer la voie pour l’avenir.
Monsieur Ariev, vous me demandez si j’ai une recette pour faire revenir la Russie en arrière. Honnêtement, non, je n’ai pas de solution. Je ne sais pas si M. Porochenko en a une non plus, ni même le Président américain. Je serais un charlatan si je vous disais ce qu’il faut faire. Que les sanctions ne soient pas une fin en soi, j’en suis intimement convaincu. J’ai toujours prôné la coopération et l’établissement de passerelles. Je viens d’ailleurs d’un pays qui a d’excellentes relations aux quatre points cardinaux.
Je crois à la vertu de la négociation, y compris s’agissant de la Crimée. Je pense, en effet, que nous devons pouvoir progresser dans le cadre des Accords de Minsk. Quant au cas de Mme Savchenko, sa libération peut également faire l’objet de négociations, ce que je n’exclus donc pas. Je pense, par conséquent, que nous pouvons parfaitement trouver une solution raisonnable et, je l’espère, dans l’intérêt de toutes les parties concernées.
Une chose mérite d’être ajoutée: de bonnes relations bilatérales entre l’Ukraine et la Russie seraient préférables. Une vérité ne peut être contestée: les deux pays vont mieux quand leurs relations sont détendues et moins bonnes dès lors qu’elles sont tendues. La Russie et l’Ukraine sont des pays voisins, et il n’y a pas d’autres solutions que de travailler ensemble.
Madame Brasseur, je suis né en 1938. Enfant, j’ai vécu les bombardements, je me suis réfugié dans les caves. Dans un périmètre de cinq cents mètres autour de notre abri, des bombes tombaient. J’éprouvais une peur bleue, ma mère était encore plus effrayée que moi. Et mon objectif ultime est devenu: une fois la guerre terminée, rétablissons la paix! La guerre n’est jamais la solution ultime, c’est l’irrationalité ultime selon les mots de Willy Brandt, une formule à laquelle j’adhère pleinement.
Pour vous répondre, je dirai que le succès auquel je souhaiterais parvenir – mais je crois qu’aucun individu, ni aucun pays n’est en mesure d’atteindre un tel objectif – serait de mettre un terme à cette absurdité qu’est la guerre.
M. CSENGER-ZALÁN (Hongrie) (interprétation)
La forme d’autonomie du Sud Tyrol, du Trentin Haut-Adige a souvent été considérée comme un modèle. Vienne et Rome ont, en effet, instauré une coopération exemplaire qui permet une vie agréable pour toute une minorité. Ce modèle, je crois, est sans équivalent. Reprendre ce modèle du Trentin Haut-Adige pourrait-il résoudre d’autres conflits, en totalité ou partiellement?
M. KRONBICHLER (Italie) (interprétation)
Monsieur le Président, moi aussi, je parle votre langue, notamment parce que mon pays, l’Italie, la protège.
Monsieur le Président, pourquoi tolérez-vous l’idée que la frontière entre nos deux pays puisse être fermée? Pourquoi ne profitez-vous pas de cet exemple qu’est l’eurorégion du Tyrol? Pourquoi ne pas s’appuyer sur un tel modèle pour mettre en place une solution innovante à la crise des migrations?
Je vous souhaite bon vent, Monsieur le Président!
Mme OOMEN-RUIJTEN (Pays-Bas) (interprétation)
Monsieur le Président, vous avez parlé des réfugiés, mais aussi de 1956, époque à laquelle l’Autriche, mais aussi les Pays-Bas, ont accueilli de nombreux réfugiés. Quelle différence avec aujourd’hui?
Vous avez indiqué que vous ne verrouillerez pas le col du Brenner. Mais, alors, quelles mesures prendrez-vous face à l’afflux des réfugiés? Peut-on encore concilier certaines mesures avec nos valeurs fondamentales?
M. Fischer, Président de la République d’Autriche (interprétation)
Je suis très fier du modèle d’autonomie du Sud Tyrol, du Trentin Haut-Adige. Soulignons qu’il a fallu toutefois des décennies pour y parvenir. À l’étranger, au Kosovo ou ailleurs, on me pose des questions très pointues sur le fonctionnement de ce régime d’autonomie et sur l’histoire des négociations qui ont permis d’y parvenir. En effet, cela pourrait être une amorce de solution, mais rien ne peut être répété tel quel, on ne peut appliquer le modèle du Sud Tyrol au Kosovo, en Corse ou au Pays basque, chaque région comprenant ses réalités, sa langue, son histoire, sa culture, ses caractéristiques propres. On ne peut, par conséquent, reproduire telle quelle une solution donnée. Il faut plutôt être persuadé de trouver une solution et être disposé à faire des concessions. Cela dit, on peut s’inspirer de l’exemple du Sud Tyrol, en reprendre un certain nombre «d’ingrédients», mais on ne peut appliquer ce modèle tel quel ailleurs, il n’est pas transplantable.
Monsieur Kronbichler, vous estimez que le Brenner ne peut être considéré comme une frontière ordinaire et que l’on ne peut y mettre en place des contrôles. J’ai essayé de vous expliquer ce que représentait le Brenner pour l’Autriche.
En Autriche, j’entends des discours que je réfute régulièrement, mais je vous fais remarquer que, pour l’heure, le col du Brenner peut toujours être franchi librement. C’est ainsi que les personnes et les marchandises le traversent toujours. Mais à un moment où l’on est confronté à l’afflux de centaines de milliers de personnes, il convient de maîtriser les phénomènes tout aussi bien au col du Brenner, à la frontière avec la Slovénie qu’à la frontière avec la République tchèque. Les règlements doivent être appliqués aux différents postes frontières et on ne peut envisager qu’un poste frontière se situe au-dessus des lois ou hors la loi. Certains pays pourraient dès lors nous reprocher que quiconque pourrait passer et aucun d’eux n’accepterait une telle situation.
Cette année, nous traiterons 37 500 demandes d’asile, un des taux les plus élevés d’Europe rapporté à la population du pays. D’autres pays ne souhaitent pas en traiter plus de 5 000. Et l’on nous critiquerait parce que nous avons fixé le chiffre à 37 500, en s’étonnant, au surplus, que nous n’acceptions pas au moins 100 000 réfugiés!
Il se trouve que le col du Brenner est le principal point d’accès. J’ai des contacts réguliers avec le sud, avec l’Italie, avec le Trentin Haut-Adige, mais je ne peux décréter que le col du Brenner est un lieu où les lois ne s’appliqueraient pas.
Je réponds ainsi également à la question de Mme Oomen-Ruijten. On me reproche souvent une culture de l’hospitalité. Je dis, effectivement, qu’il faut accueillir ces personnes qui viennent s’abriter chez nous. Nous ne pouvons pas abandonner notre culture de l’hospitalité, même si, bien entendu, il y a des limites qui ne peuvent pas être dépassées. Par ailleurs, les pays européens ne peuvent pas adopter une attitude trop différente les uns des autres.
Enfin, il est inimaginable de croire que le problème des migrants puisse être réglé en conseillant à tous les Syriens, Irakiens et Afghans de se rendre en Allemagne, en Suède ou en Autriche; ce n’est pas possible. Je suis obligé de me défendre sur deux fronts, certains pays souhaitant verrouiller leurs frontières alors que d’autres se disent prêts à accueillir tout le monde.
Mme KAVVADIA (Grèce) (interprétation)
Monsieur le Président, je sais que vous avez pris une position courageuse, à plusieurs reprises, concernant la crise des migrants. Vous avez critiqué la politique européenne en la matière et notamment l’accord passé avec la Turquie.
Pensez-vous que la fermeture unilatérale des frontières européennes soit une bonne décision, fondée sur nos valeurs européennes et sur le cadre international de la protection des droits de l’homme?
Enfin, pensez-vous que l’accord de l’Union européenne avec la Turquie est une bonne réponse au problème, compte tenu de ce qui se passe en Turquie et en particulier des violations des droits de l’homme et des principes fondamentaux de la démocratie?
M. ŠEPIC (Bosnie-Herzégovine) (interprétation)
Monsieur le Président, je vous remercie pour votre brillant exposé, au service de la paix et du développement. Comment voyez-vous l’avenir de l’Union européenne et des Balkans occidentaux dans les dix prochaines années?
M. Fischer, Président de la République d’Autriche (interprétation)
Madame Kavvadia, une fermeture unilatérale des frontières ne constitue pas une bonne politique européenne. Mais compte tenu du fait que les frontières extérieures sont mal contrôlées, je comprends que les pays cherchent à imposer un minimum de supervision de leurs frontières, afin notamment de savoir qui entre chez eux.
En ce qui concerne l’accord entre la l’Union européenne et la Turquie, tous les pays de l’Union européenne l’ont accepté – y compris la Grèce. Cet accord vise à rétablir un minimum de contrôle, s’agissant des migrations. Je l’ai dit en Autriche, et je le répète ici, j’ai des doutes quant à son application – pourra-t-il être appliqué tel quel? – et à son efficacité. Mais la décision a été prise à l’unanimité. Je ne sais pas ce que M. Juncker vous a dit hier, mais nous allons y être attentifs – il appartiendra à mon successeur d’y veiller.
Monsieur Šepic, je me suis souvent rendu dans votre pays depuis 20 ans. J’ai toujours eu une certaine bienveillance pour la Bosnie-Herzégovine, un a priori favorable; Sarajevo est une ville à part, pour nous. Et je suis attristé par les échecs de toutes les tentatives de réforme qui ont été entreprises. Echecs liés aux différences insurmontables qui existent entre les différentes composantes, même si depuis 18 mois, il y a une lueur d’espoir – les choses semblent s’améliorer.
En tant qu’Autrichien, j’ai le sentiment que l’élargissement de l’Union européenne, et donc sa taille, va devenir un obstacle. Cependant l’Union européenne ne sera pas complète tant que les Balkans occidentaux n’y auront pas adhéré. Car leur adhésion permettrait de stabiliser la région et de prévenir certains conflits.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour toutes vos questions et je vous souhaite beaucoup de succès.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Je vous remercie, Monsieur le Président, de vos paroles qui vont nourrir nos réflexions. Nous souhaitons à votre pays 60 ans de plus d’appartenance réussie à notre Organisation!