Ferenc
Gyurcsány
Premier ministre de Hongrie
Discours prononcé devant l'Assemblée
mardi, 22 janvier 2008
après avoir félicité le Président de Puig pour son élection, se réjouit de pouvoir participer à un échange avec les membres de l’Assemblée sur un certain nombre de questions importantes de politique européenne.
L’Europe unie et intégrée est une réalisation qui suscite une fierté légitime. Elle justifie que l’on consacre toutes ses forces au développement de l’Europe. Dans ce cadre, la liberté, la démocratie, les Droits de l’Homme, la non-discrimination, sont des points de départ d’un engagement commun, mais aussi ses objectifs. Il faut faire vivre la démocratie dans les faits. Pour cela, disposer d’un parlement libre et démocratique ne suffit pas, il est impératif de garantir la liberté d’expression.
Il est également essentiel que chacun puisse librement déterminer son identité. Dans l’Europe post‑communiste, chacun a des caractéristiques différentes; il y a des Italiens, des Hongrois, des Slovaques, mais on peut aussi parfois être hongrois et slovaque en même temps. Chacun a des identités ethniques, culturelles, sociales, religieuses, sexuelles; personne n’a le droit de dicter à autrui ce qu’il doit être. Les Etats ont en outre l’obligation de protéger les ressortissants et les communautés, mais aussi de permettre à chacun de choisir son identité personnelle indépendamment de toute idéologie. La liberté permet à chacun de s’épanouir, mais elle s’assortit d’obligations et de devoirs importants, en particulier celui de laisser aux autres le droit de vivre librement, de respecter les règles, de comprendre que l’on ne vit pas seul sur cette terre. C’est particulièrement vrai quand on fait partie de la grande famille européenne.
Ces dix‑huit dernières années, l’Europe a changé de visage et connu un véritable bouleversement. Les anciens pays communistes sont devenus indépendants et libres et se sont engagés dans la voie de la démocratie parlementaire et sociale. On constate toutefois aujourd’hui une certaine désillusion, en particulier chez les plus âgés qui s’étaient imaginés que la liberté et la démocratie signifieraient une plus grande prospérité, davantage de revenus, plus de pouvoir d’achat. La dissipation des illusions peut avoir des conséquences dangereuses avec une présence accrue des mouvements radicaux et des idéologies extrémistes au sein des institutions démocratiques. Il serait toutefois dangereux de n’imputer la responsabilité de tout cela qu’à la perte des illusions: les Etats sont également responsables, les hommes politiques ont commis des erreurs, notamment en ce qu’ils n’ont pas réussi à faire partager les difficultés de la population et à procéder aux changements nécessaires. Si l’on s’est jusqu’ici beaucoup concentré sur la liberté et sur la démocratie, on ne saurait oublier l’importance d’une économie prospère et d’une dimension sociale dans la construction européenne.
Il est difficile d’introduire les structures européennes dans des régions qui n’ont aucune expérience quant à la manière de vivre de façon démocratique. Certains défis doivent être relevés dans le même temps. Il faut concilier des manières de vivre parfois conflictuelles, dynamiser les économies pour les rendre plus compétitives et développer le bien‑être des populations. La difficulté consiste à assurer le développement de la vie sociale et publique en parallèle avec l’accroissement économique tout en maintenant une solidarité équilibrée entre les couches sociales.
Le défi majeur est de créer un pays ouvert, démocratique, fier, et qui coopère avec ses voisins. Les pays de l’Est manquent de tradition démocratique, ce qui pose problème pour assurer la transition vers la démocratie. Il faut en même temps rendre l’économie de plus en plus compétitive. Le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer car il figure parmi les meilleurs défenseurs de la démocratie et de la liberté. Il se présente comme le garant de ces valeurs et propose en plus un véritable laboratoire d’idées.
S’agissant du rôle futur du Conseil de l’Europe et du partage de ses responsabilités avec l’Union européenne, le Sommet de Varsovie avait souligné que le Conseil de l’Europe était la seule instance à défendre les droits de l’homme, la démocratie, l’Etat de droit et la primauté du droit. L’Organisation a joué un rôle important dans l’élaboration et l’adoption finale de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Même si celle‑ci accorde une importance de plus en plus grande aux droits de l’homme, le rôle du Conseil de l’Europe reste primordial. Sa configuration paneuropéenne et son système de conventions sont uniques. Le contrôle des normes y est plus efficace qu’ailleurs. Il n’y a aucune raison de voir dans l’Agence européenne un concurrent. Les deux institutions sont au contraire complémentaires. En outre, la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui permet aux citoyens de s’adresser à la Cour de Strasbourg, constitue un autre aspect spécifique du Conseil de l’Europe.
Les Premiers ministres qui rendent visite à l’Assemblée parlementaire lui apportent leur appui, mais est‑ce toujours suivi d’un engagement financier? Le Président a été critique à l’encontre des restrictions budgétaires imposées au Conseil de l’Europe qui aboutissent à une contraction de son rôle. Il est exact que la promotion du Conseil de l’Europe coûte cher et que de nombreux pays européens sont eux‑mêmes soumis à des restrictions budgétaires importantes. La position du Gouvernement hongrois est claire: si une majorité des États membres est prête à augmenter les moyens budgétaires du Conseil de l’Europe, la Hongrie se joindra à cette initiative.
Le Premier ministre désire parler brièvement de l’élargissement de la zone de Schengen qui constitue, d’après lui, l’un des développements les plus favorables de l’Union européenne. Peu avant Noël, il a rencontré des gens âgés en larmes qui lui ont raconté comment les frontières avaient été jadis érigées de façon artificielle. Ces gens n’avaient jamais osé espérer voir un jour ces frontières abolies. La plupart des Hongrois ne voient pas les résultats tangibles de leur appartenance au Conseil de l’Europe. L’intégration européenne reste une notion plutôt théorique. Néanmoins, pour ces gens qui ont vécu une histoire dramatique, la disparition des frontières est un événement bouleversant. Ils ont perçu ce qu’était l’Europe et combien elle pouvait améliorer leur vie quotidienne.
Comment aborder la question sensible des Balkans occidentaux? Le Gouvernement hongrois estime que la stabilité et le développement de cette région sont une priorité. Compte tenu de la proximité géographique et ses conséquences sur le plan de la sécurité, et, aussi, de la présence d’une minorité ethnique hongroise, la Hongrie a un intérêt vital à la stabilisation de la région avec laquelle elle a développé un important partenariat. Aboutir à une solution au Kosovo est d’ailleurs une priorité pour l’Europe entière.
C’est pourquoi le Conseil de l’Europe a un rôle essentiel à jouer dans ce domaine. Malgré ses efforts, la Troïka n’est pas arrivée à une solution de compromis. La situation actuelle est insoutenable et l’indépendance du Kosovo semble être de plus en plus inévitable. Les pays européens devront appréhender cette situation de manière coordonnée. Le Kosovo devra accepter les normes établies par M. Ahtisaari, y compris en ce qui concerne les droits des minorités. La mise en œuvre des engagements devra être contrôlée de manière stricte par la communauté internationale afin que les minorités puissent vivre en paix. Il faudra enfin aider Belgrade à renforcer sa démocratie dans une perspective européenne. Il faut espérer que la société serbe sera suffisamment forte pour ne pas choisir l’isolement. La Serbie devrait être encadrée pour qu’elle aille vers l’intégration à l’Union européenne avec un plan de route et l’octroi du statut de candidat dans des délais raisonnables.
Il ne fait aucun doute que la Fédération de Russie ne soit un acteur clé de la stabilité du continent. Il est donc nécessaire de maintenir le dialogue avec elle et de resserrer les liens avec son président. Les récents développements en Fédération de Russie sont toutefois préoccupants et jettent une ombre sur le dialogue avec l’Union européenne. Il n’y a cependant pas de solution de rechange. Il faut éviter la confrontation et l’isolement. Malgré des divergences sur le renforcement de la démocratie en Russie, il est possible d’identifier des domaines qui permettent d’établir une coopération fructueuse et un partenariat qui est essentiel pour la paix en Europe.
Les responsables européens partagent des objectifs communs: renforcer la démocratie, le droit et la justice sociale dans tous les Etats membres. L’Europe doit être une zone de progrès et de prospérité. La Hongrie est disposée à s’engager dans cette voie. (Applaudissements)
LE PRÉSIDENT
Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, de votre contribution. Je pense que votre discours a été d’une telle densité qu’il nous faudra l’analyser, car vous avez tenu certains propos qui sont d’une grande importance.
La description que vous avez faite de la complexité de notre Europe – ses minorités et ses identités – me semble remarquable. Tout ce que vous avez dit sur les piliers de notre institution – droits de l’homme et démocratie –, y compris votre allusion à la quadrature du cercle n’est pas un aspect mineur, de même que tout ce que devrait faire le Conseil de l’Europe en complémentarité avec l’Union européenne; et je vous avoue être très sensible, ainsi que tous mes collègues, à ce que vous avez dit quant aux financements, au budget du Conseil de l’Europe et à vos paroles d’encouragement en la matière.
Je vous remercie du contenu général de votre discours mais aussi d’avoir évoqué les événements de la dernière actualité: Schengen, Kosovo... Vous avez accepté que mes collègues puissent vous poser des questions. Ils sont nombreux à s’être inscrits à cette fin.
La parole est à M. Grzyb, premier inscrit.
M. GRZYB (Pologne) (interprétation)
interroge le Premier ministre hongrois sur la position de son gouvernement quant à la réforme de la Pac et du budget de l’Union européenne.
M. Gyurcsány, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
répond que des changements sont intervenus dans le contexte mondial au cours des dernières années et qu’il faut aujourd’hui s’interroger sur le sens de la stratégie qui consiste à subventionner les agriculteurs européens pour limiter leur production. L’augmentation du niveau de vie en Inde et en Chine, ainsi que celle de la consommation de biocarburants, ont engendré une hausse de la demande en produits agricoles, et du même coup un déficit de l’offre. La future réforme de la Pac devra se fonder sur une philosophie nouvelle. En tout état de cause, l’Europe ne pourra plus à l’avenir consacrer 40 % de son budget à l’agriculture.
M. GROSS (Suisse) (interprétation)
rappelle que c’est Hannah Arendt – sa philosophe préférée qui a abordé le thème de la vérité dans l’histoire. Pourquoi tant de Hongrois ont‑ils le sentiment que les responsables politiques de leur pays leur ont menti?
M. Gyurcsány, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
déclare que l’Europe comme la Hongrie ont changé et que si des erreurs ont été commises, c’est parce que les Européens dans leur ensemble n’ont pas eu le courage de dire la vérité. Il n’est plus possible aujourd’hui de chercher uniquement à se protéger de la concurrence. Les mentalités doivent évoluer afin de s’adapter aux nouvelles réalités du monde contemporain. Le Gouvernement hongrois a beaucoup hésité sur la manière de partager le défi de la mondialisation avec la société. Il a décidé de mettre en œuvre des réformes structurelles profondes afin d’ouvrir l’économie du pays à la concurrence et de la rendre ainsi plus compétitive.
M. CHELEMENDIK (République Slovaque) (interprétation)
interroge M. Gyurcsány sur sa position à l’égard de la Garde hongroise paramilitaire, organisation ultranationaliste.
M. Gyurcsány, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
déclare que son gouvernement et lui‑même sont résolument opposés aux thèses de cette organisation car elles bafouent les valeurs démocratiques de l’Europe. Elles rappellent cruellement les pages les plus sombres du XXe siècle. Au cours des dernières semaines, le Procureur général de la République a lancé une action en justice à l’encontre de cette organisation, répondant ainsi aux vœux de la majorité des Hongrois. M. Gyurcsány déclare qu’il luttera contre cette organisation aussi longtemps qu’il sera au gouvernement.
M. BERCEANU (Roumanie)
La Constitution de la Hongrie prévoit, depuis des années, la représentation des minorités nationales au Parlement, mais votre gouvernement n’a rien fait! En Roumanie, dix‑huit minorités sont représentées au Parlement. Le fait que le président de la délégation roumaine au Conseil de l’Europe soit d’origine hongroise est plus que révélateur. Quand la Hongrie va‑t‑elle respecter sa Constitution et envoyer au Conseil de l’Europe un président de délégation issu d’une de ses propres minorités?
M. Gyurcsány, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
reconnaît que son pays souffre d’une incapacité à modifier le système électoral et l’organisation du Parlement. En vertu de la Constitution, la majorité des deux tiers est nécessaire pour amender la loi électorale mais les rivalités entre les différents partis politiques sont telles que les chances de parvenir à un accord sont aujourd’hui très faibles. Par ailleurs, le nombre des minorités nationales est si élevé en Hongrie qu’il est très difficile de statuer sur la manière de mieux les représenter au sein du Parlement.
M. EÖRSI (Hongrie) (interprétation)
rappelle que la Hongrie a été, après la chute du mur de Berlin, à l’avant‑garde des réformes au sein des pays de l’Est. Quels défis doit‑elle aujourd’hui relever pour retrouver cette place?
M. Gyurcsány, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
souligne que la population hongroise n’a compris que récemment que la démocratie n’était pas un cadre institutionnel vide mais qu’elle impliquait un changement des comportements et des mentalités. Elle avait autrefois l’habitude d’être protégée par l’Etat et elle hésite parfois à soutenir les réformes engagées par les responsables politiques. En Pologne et en Slovaquie, les gouvernements se sont également heurtés à l’insuffisant soutien de la société, mais la Hongrie a connu quelques progrès au cours des dernières années.
Depuis le milieu des années 90, aucun gouvernement hongrois n’a eu le courage de dire à la population l’inadaptation à l’époque contemporaine des anciennes structures de santé et d’éducation et de l’organisation des municipalités. Dans un climat politique très dur, il est presque impossible de dégager un consensus en faveur des réformes. Pourtant, même s’il faut écouter l’opinion publique, il n’y a pas d’autre possibilité que d’aller de l’avant. C’est ce qu’a fait le gouvernement depuis deux ans et il y a perdu beaucoup de sa popularité. Mais ce n’est qu’ainsi que l’on pourra améliorer la qualité de la vie et resserrer les liens au sein de la société. Tel est bien l’objectif des réformes qui sont menées.
Mme TEVDORADZE (Géorgie) (interprétation)
rappelle les événements qui se sont récemment déroulés en Géorgie, où l’opposition radicale est descendue dans la rue. Le Premier ministre hongrois est‑il prêt à dévoiler le secret qui lui a permis de trouver la voie d’un dialogue avec l’opposition?
M. Gyurcsány, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
se réjouit de pouvoir lever ce mystère. En fait, ce qui lui apparaît le plus important dans une nouvelle démocratie, c’est d’accepter l’idée que l’on n’est pas opposé les uns aux autres. La démocratie, ce n’est pas uniquement un système électoral libre, c’est aussi une manière de penser, l’acceptation du fait que l’on est aujourd’hui majoritaire et que l’on peut demain être obligé de s’en aller. L’élection ne donne pas le droit de diriger un pays mais de participer à sa gestion. Souvent, lorsqu’on essaie d’améliorer le bien‑être de son pays, on est convaincu que l’on a raison et que l’autre a tort. Mais il faut tout simplement accepter d’être vaincu car c’est ainsi que fonctionne la démocratie. Ceux qui pensent que le pays ira à sa ruine s’ils ne sont pas eux‑mêmes au pouvoir se trompent lourdement! Il faut donc d’abord être convaincu du bien‑fondé de ce que l’on fait; ce n’est qu’ensuite qu’interviennent les partis et les institutions. Apprendre les règles démocratiques, telle est la seule manière de rassembler les citoyens.
LE PRÉSIDENT
Cher amis, nous en avons terminé avec les questions à M. Gyurcsány, que je remercie vivement pour l’ampleur, la clarté et la franchise de ses réponses.
Nous avons pris note de beaucoup de choses que vous nous avez dites, Monsieur le Premier ministre. A l’avenir, les relations entre la Hongrie et notre institution vont cheminer encore dans une voie positive, comme c’était d’ailleurs le cas par le passé.