Tarja
Halonen
Président de la Finlande
Discours prononcé devant l'Assemblée
mardi, 28 avril 2009
Monsieur le Président, mesdames, messieurs de l’Assemblée parlementaire, monsieur le Secrétaire Général, madame le secrétaire adjoint, mesdames, messieurs, je vous remercie de m’avoir invitée à Strasbourg et de me donner la possibilité de prendre la parole devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. En effet, je me sens de nouveau chez moi!
Cette année marque le 60e anniversaire du Conseil de l’Europe et le 20e anniversaire de l’adhésion de la Finlande à l’Organisation. Notre monde a changé à bien des égards au cours de ces années. Mais, comme vous l’avez dit, monsieur le Président, les principes fondamentaux, la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit restent au cœur de nos travaux. Nous devons continuer à construire notre avenir sur la base de ces valeurs communes. Ce travail est fondamental pour l’Europe et pour le développement démocratique de l’Europe.
La Finlande s’est intéressée de longue date au Conseil de l’Europe et à ses activités. Le Parlement, les parlementaires finlandais se sont toujours vivement intéressés à juste titre aux activités de l’Europe. L’Assemblée parlementaire est vraiment le cœur du Conseil de l’Europe. A titre personnel, j’ai toujours participé avec un grand plaisir aux activités du Conseil, tout au long de ma vie politique.
« Une approche fondée sur les droits de l'Homme conduira à des solutions plus équitables et plus durables »
Monsieur le Président, l’Europe a connu de nombreux changements après la Seconde guerre mondiale. Le Conseil de l’Europe et son travail ont été très précieux. Il a veillé à ce que les principes de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit soient appliqués. Le travail continue parce qu’aujourd’hui, nous sommes confrontés à de nombreux défis. La crise économique internationale nous frappe tous. Dans de nombreux pays, l’activité économique a ralenti de façon considérable et le chômage s’est accru, ce qui provoque des souffrances humaines et des instabilités sur le plan social. On ne connaît toujours pas précisément l’ampleur et l’impact de cette crise, mais nous devons nous préparer à des temps difficiles.
L’économie bien entendu doit être revitalisée de manière efficace, mais juste aussi, sur le plan social. Nous avons besoin d’une mondialisation équitable afin de promouvoir une croissance stable offrant des financements suffisants aux entreprises et répondant aux besoins des travailleurs. Nous devons nous rappeler que la prospérité des êtres humains va de pair avec le bien-être de la nature. Le marché ne peut pas apporter toutes les solutions. Le Conseil de l’Europe peut nous offrir les outils utiles pour répondre aux défis d’aujourd’hui. Nous devons conserver présents à l’esprit les droits de l’homme et œuvrer pour le respect des principes et des valeurs que nous partageons. Une stratégie fondée sur les droits de l’homme apportera des solutions plus équitables et durables.
Monsieur le président, la Convention européenne des Droits de l’Homme et la Cour européenne des droits de l'homme sont le vaisseau amiral du Conseil. Je suis persuadée que la Cour doit pouvoir bien faire son travail et je suis convaincue de l’importance du 14ème protocole à la Convention européenne des Droits de l’Homme. De plus, nous devons nous rappeler qu’une bonne mise en œuvre de la Convention européenne des Droits de l’Homme au niveau local et national est meilleure pour tous.
Pour assurer le renforcement de la démocratie et des droits de l’homme, il convient de veiller au respect des engagements pris par les Etats membres. A l’heure actuelle, l’Assemblée parlementaire mène des enquêtes de suivi publiques et spécifiques de nouveaux Etats membres. A mon sens l’extension de cette procédure de suivi par l’Assemblée parlementaire à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe mériterait d’être étudiée. Il conviendrait de se demander si les processus visant au respect des droits de l’homme ne doivent pas être considérés comme un encouragement plutôt que comme une punition.
La Finlande a participé activement à la mise en place du Bureau du commissaire aux droits de l’homme et nous sommes satisfaits des résultats obtenus. Tant le commissaire Gil Robles que le commissaire Hammarberg ont fait un excellent travail afin de promouvoir une prise de conscience en matière de droits de l’homme et de veiller au respect de ces droits. Récemment, le commissaire Hammarberg a joué un rôle actif en matière de respect des droits de l’homme lors de la crise en Géorgie, l’année dernière. J’encourage toutes les parties à mettre en œuvre les six principes en question.
Monsieur le Président, j’ai eu l’honneur d’organiser, le mois dernier en Monrovia, en coopération avec la Présidente du Libéria, Mme Ellen Johnson Sirleaf, le colloque international sur l'autonomisation des femmes, le développement des capacités d'encadrement, la paix internationale et la sécurité. Ce colloque a lancé un message fort sur la nécessité de pleinement mettre en œuvre la résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité. Le Conseil de l’Europe a un rôle à jouer dans la mise en œuvre de cette résolution. Tous les Etats membres devraient désormais adopter maintenant un plan d’action national pour soutenir ce travail. Nous devons tous fermement condamner les violences sexuelles lors des conflits et faire respecter les droits fondamentaux des femmes et des jeunes filles. Je propose à nouveau que le viol systématique lors des conflits armés soit classé comme une arme de guerre.
La violence contre les femmes constitue, en toutes circonstances, une violation des droits de l’être humain. Lors du Sommet de Varsovie en 2005, nous étions convenus de mener une campagne paneuropéenne pour lutter contre les violences faites aux femmes, y compris les violences domestiques. Je suis ravie que cette campagne ait débouché sur l’élaboration d’un projet de convention.
Les enfants ont besoin d’une protection sociale. Nous devons prendre des mesures très fermes pour éliminer toute forme de violence à leur encontre. Il est fondamental que les Etats membres ratifient et mettent en œuvre les instruments juridiques pertinents pour combattre les sévices et l’exploitation sexuelle des enfants, la traite des enfants et toutes les pratiques qui leur portent préjudice. Tous les enfants doivent avoir droit à un niveau de vie suffisant, à une protection sociale, à l’éducation, en d’autres termes à une enfance normale. Dans cet esprit, il convient de veiller à ce que les enfants de migrants aient accès à l’éducation.
La démocratie se fonde sur l’égalité entre les peuples. La Finlande accorde une attention particulière aux droits des minorités. L’un de nos objectifs est de renforcer les droits des Roms. Je me réjouis que le Forum européen des Roms et des gens du voyage se soient transformé en projet commun. Ce Forum peut jouer un rôle précieux quand il s’agit de faire entendre la voix des Roms pour des projets qui les concernent directement. Les Roms ont besoin de notre soutien et de notre coopération. Nous sommes tous, ensemble, des Européens.
Dans le monde globalisé d’aujourd’hui, il est crucial de promouvoir le dialogue interculturel. Nos sociétés étant de plus en plus multiculturelles, leur développement pacifique dépend de la tolérance et du respect que se marquent les différentes communautés, ethniques, culturelles et religieuses, qui les composent. Je me réjouis à cet égard des progrès réalisés grâce à l’initiative de l’Alliance des civilisations.
Monsieur le Président, au cours des soixante dernières années, le Conseil de l’Europe a contribué d’une façon impressionnante à faire de l’Europe un continent de démocratie, des droits de l’homme et d’Etat de droit. Il a mis en place un excellent réseau de coopération avec l’Union européenne, l’OSCE et les Nations Unies.
Mesdames, Messieurs les parlementaires, je vous encourage à poursuivre vos efforts et je vous promets mon soutien le plus sincère.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Merci beaucoup, madame la Présidente, pour cette allocution. Merci également d’accepter de répondre aux questions des parlementaires. Ils sont nombreux à vouloir vous interroger. Je leur rappelle cependant qu’ils n’ont que trente secondes par question.
La parole est à M. Vareikis, au nom du Groupe PPE/DC.
M. VAREIKIS (Lituanie) (interprétation)
Depuis longtemps, la Finlande travaille et coopère avec la Russie, naguère Union soviétique. Sachant qu’il y a, au sein du Conseil de l’Europe, plusieurs problèmes spécifiques à la Russie – Protocole 14, conflit avec la Géorgie, gazoduc Nord Stream dans la Baltique -, quels conseils donneriez-vous à la lumière de cette longue expérience?
M. Halonen, Président de la Finlande (interprétation)
La règle des trente secondes s’applique-t-elle également à moi, monsieur le Président?
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Non, vous êtes totalement libre, madame la Présidente!
M. Halonen, Président de la Finlande (interprétation)
Pendant 700 ans environ, nous avons appartenu à la Suède. Nous avons ensuite été russes durant quelque 200 ans. Cela fait une centaine d’années que nous sommes indépendants. Nous n’avons jamais fait partie de l’Union soviétique, qui n’a jamais pu occuper notre pays, mais nous sommes les voisins de la Russie, en temps de guerre comme en temps de paix, et il est toujours difficile d’être un bon voisin. C’est difficile pour les Finlandais, c’est difficile pour les Russes, de même que les relations ont longtemps été difficiles entre la France et l’Allemagne, par exemple. Mais la démocratie et les droits de l’homme devraient nous unir. Nous devrions tous être animés par un esprit de réforme en ce domaine.
Il est vrai aussi que l’on a tendance, lorsque l’on parle de ces questions, à penser que les principes énoncés valent pour les voisins mais pas pour soi. Reste que les règles doivent être les mêmes pour tous. Chacun doit respecter l’autre, en évitant d’être trop sourcilleux ou trop sensible. Chacun doit tendre la main aux autres. Aidons nos voisins et tenons-nous prêts à faire face à toutes les questions qui se posent.
En ce qui concerne le gazoduc, la Finlande est en train d’examiner la question mais uniquement du point de vue de l’environnement. Si ce gazoduc en mer Baltique est sûr pour l’environnement, nous n’aurons pas d’objection.
M. BENDER (Pologne) (interprétation)
Ce nouveau gazoduc qui, posé sur le fond de la Baltique, unira la Russie à l’Allemagne, constitue une menace très grave pour l’environnement, cela d’autant plus que la Baltique est pleine de produits toxiques qui ont été immergés pendant et après la Seconde Guerre mondiale – et même peut-être déjà pendant la Première. Mais la Russie préfère ignorer les avertissements des scientifiques et des défenseurs de l’environnement.
Vous qui avez connu l’agression russe, madame la Présidente, entendez-vous soutenir le projet de gazoduc? Les Polonais et les Finlandais savent bien à quel point la technologie russe peut menacer l’environnement. Nous ne pouvons pas oublier le passé.
M. Halonen, Président de la Finlande (interprétation)
La première chose que je peux vous dire au sujet de ce fameux gazoduc, c’est que la Finlande n’en a pas besoin. Nous ne sommes donc pas partie prenante du projet. Mais l’Allemagne, les Pays-Bas et des pays d’Europe centrale en ont besoin.
La Baltique est sillonnée par de nombreux bateaux qui assurent le transport des sources d’énergie. Si le gazoduc peut être construit dans des conditions satisfaisantes pour l’environnement, ce sera une bonne chose. Si le projet est écologiquement sûr, peu nous importe qu’il soit allemand ou russe, nous n’aurons pas d’objection.
Il est vrai que des substances toxiques telles que le gaz moutarde et des mines ont été immergées dans la Baltique et que nous devrions être plus conscients des dangers que tout cela fait peser sur nous. Mais il n’y a pas que les Russes qui soient coupables de cela, d’autres pays ont des responsabilités. Quoi qu’il en soit, il nous faut protéger la Baltique et j’invite donc tous les pays riverains à joindre leurs efforts aux nôtres pour ce faire.
Beaucoup de choses ont déjà été faites et nous attendons de la présidence suédoise une stratégie pour la Baltique. Je pense que les Suédois présenteront un plan cet automne. Il renforcera certainement la sécurité dans la Baltique et d’une façon générale, toute l’action en faveur de cette mer.
M. KAIKKONEN (Finlande) (interprétation)
Le Belarus est le seul pays européen à ne pas être représenté ici. Nous savons bien qu’il s’y pose des problèmes de démocratie et de respect des droits de l’homme mais notre politique d’isolement du pays n’a pas vraiment porté ses fruits jusqu’ici. Comment voyez-vous, madame la Présidente, l’avenir du Belarus et quelle doit être selon vous l’attitude du Conseil de l’Europe à son égard?
M. Halonen, Président de la Finlande (interprétation)
Le Belarus est un pays européen, aucun doute là-dessus. Quelle est la meilleure façon d’inculquer certains principes à un pays et à sa population? Il a déjà été beaucoup discuté de ces questions au Conseil de l’Europe. A vous de faire vos choix. Pour ma part, je me féliciterai de toute initiative qui offrirait une possibilité de ramener le Belarus au sein de la famille. Nombreux sont déjà les parlementaires qui voudraient aider ce pays et qui seraient heureux de l’accueillir. Espérons donc qu’une politique des petit pas portera ses fruits.
Mme GAUTIER (France)
Monsieur le président, mes chers collègues, beaucoup l’ont sans doute oublié, mais la Finlande a connu, entre 1991 et 1994, la plus grave crise économique de son histoire, du fait de la conjonction de trois phénomènes: l’effondrement de l’URSS, qui absorbait plus du quart du commerce finlandais, à l’époque, la récession de l’économie européenne consécutive à la réunification allemande et l’éclatement d’une «bulle de consommation».
La Finlande est alors passée au bord de la faillite: sa dette publique a explosé, passant de 10 % à 65 %, son taux de chômage a plus que quadruplé et son taux de croissance a perdu 12 points en un an. Pourtant, l’économie finlandaise s’est rapidement redressée à partir de 1997. Je souhaitais donc connaître les «recettes» que la Finlande avait appliquées à l’époque. Elles pourraient en effet être méditées pour voir comment sortir de la grave crise économique actuelle.
M. Halonen, Président de la Finlande (interprétation)
Il est vrai, madame, que l’on s’est posé à nouveau la question récemment. On cherche toujours à tirer des enseignements du passé. La situation au début des années 90 était bien celle que vous avez décrite. Elle était très mauvaise avec une augmentation du chômage, une crise financière et économique. Nous avons beaucoup investi dans les entreprises, et pris des mesures pour amortir le choc. Actuellement, nous vivons une crise financière mondiale et nous ne sommes pas totalement maîtres du jeu, ni en Finlande ni ailleurs en Europe. Il convient maintenant d’appliquer à nouveau les bonnes formules du passé et d’investir dans l’avenir.
Il est vrai que dans les années 90, nous dépendions beaucoup de la seule industrie du papier. En cette période de vaches très maigres, nous avons décidé de redéployer une partie des investissements vers l’industrie de l’informatique et des télécommunications. Tout le monde connaît Nokia. Grâce à ces investissements, nous étions prêts, au moment où l’embellie est apparue sur le front économique. Durant les périodes difficiles, il convient de mettre en place non seulement une stratégie de survie, mais aussi une stratégie qui prépare l’avenir.de façon à être prêt pour la reprise. Il convient donc de miser d’abord sur l’éducation et encore sur l’éducation mais aussi de mettre en place des partenariats publics et privés et faire travailler ensemble l’Etat et les entreprises.
Cela dit, nous ne sommes plus dans les années 90 et il convient de prendre en compte la situation internationale. Nous espérons que la situation s’améliorera aux Etats-Unis car l’économie américaine pèse très lourd. Nous devrions pouvoir, avec les Américains, mettre en œuvre des mesures permettant un redressement financier et économique mondial. Il conviendra en outre de réformer profondément les mécanismes financiers dans le monde pour éviter que pareille situation ne se reproduise. Il faudra du temps, mais je crois que les dirigeants du monde ont pris conscience de la gravité de la situation et de la nécessité de travailler ensemble. Au plan national comme au plan international, nous avons besoin de coopération. Je le répète au-delà de la survie, il convient de préparer l’avenir.
M. VOLONTE’ (Italie) (interprétation)
Lors de la réunion de la réunion du 4 mars dernier, à Vienne, nous avons débattu de l’épidémie de «christianophobie» sur notre continent. Vous avez rappelé avec beaucoup de sagesse, madame la Présidente, l’importance que revêt le respect entre les religions et ce que les échanges culturels apportent à la démocratie. Comment pouvez-vous intervenir pour contrer cette vague de christianophobie en Europe?
M. Halonen, Président de la Finlande (interprétation)
C’est un sujet très épineux sur lequel j’ai des expériences qui sont loin d’être toutes négatives. Après les attentats du 11 septembre 2001, chacun de nous se souvient de la douleur, de la crainte voire de la panique que nous éprouvions. Déjà Présidente de la Finlande, j’ai alors invité des représentants des Fils d’Abraham, c’est-à-dire des trois religions du Livre – des chrétiens, des juifs et des musulmans – à débattre avec moi car il faut respecter la façon dont chacun conçoit l’univers, le monde et la place de l’homme. C’est bien là le rôle des religions, mais, dans le même temps, il convient d’accorder les mêmes droits à chacun de nos citoyens, quelles que soient ses convictions ou ses croyances religieuses. Au fil des réunions qui ont suivi, les représentants de ces communautés religieuses ont accompli en Finlande un travail très précieux. Ils ont appelé au respect pour chacun de choisir sa religion afin que le principe fondamental de la liberté de croyance, présent dans la Déclaration des droits de l’homme et dans les Conventions, soit pleinement respecté.
Au cours des dernières années, nous avons connu, il est vrai, quelques difficultés car s’agissant des droits de l’homme et des libertés fondamentales, chacun songe d’abord souvent à ses propres convictions et croit que ses propres droits comptent davantage que ceux des autres. Mais il ne faut jamais perdre de vue que la liberté d’expression, le droit de choisir sa religion, les choix politiques ou culturels, en général, s’inscrivent dans un ensemble et que toutes nos difficultés résultent de la méconnaissance de ce principe.
J’ajouterai qu’un grand nombre de pays, dont le mien, ont été par le passé des pays homogènes où les minorités étaient peu représentées. En Finlande, il existait une petite minorité orthodoxe alors que la majorité de la population était luthérienne. Puis est apparue une petite minorité musulmane, d’origine tatare. Toutes ces minorités ont été intégrées. Actuellement, nous avons à faire face à l’apparition de nouvelles communautés – musulmane, chrétienne et autres – et nous peinons parfois à distinguer ce qui relève de la religion et ce qui relève de la culture. Si les juifs, les chrétiens et les musulmans des diverses parties du monde partagent une même foi, leurs valeurs culturelles sont parfois très différentes. C’est la raison pour laquelle il importe d’organiser des forums pour débattre librement et percevoir clairement les différences qui existent non seulement entre nos religions mais aussi entre nos religions et les autres. Il convient d’être tolérant et de percevoir la valeur de la foi et les valeurs culturelles des autres, ce qui ne signifie pas que nous devons être moins fidèles aux nôtres. On peut être fier d’être chrétien et respecter la fierté de l’autre d’être juif ou musulman.
Nous ne sommes qu’au début de ce processus d’échange et de réflexion, mais je nourris beaucoup d’espoir à l’égard de l’initiative que représente l’alliance des civilisations, comme je l’ai dit dans mon discours. Je suis heureuse que le secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Kid-Moon, se soit particulièrement intéressé à cette initiative et qu’il ait participé avec nous à cette réunion. Certes, beaucoup de travail reste à faire.
Mme DURRIEU (France)
Madame la Présidente, je suis ravie de vous revoir dans notre enceinte. Dans votre pays, le taux de la population carcérale est le plus bas d’Europe. Aux alentours des années 70, il était l’un des plus élevés d’Europe. Comment et dans quel contexte êtes-vous parvenus à ce résultat? Comment avez-vous réussi à vider en partie les prisons sans que le taux de la criminalité n’augmente?
M. Halonen, Président de la Finlande (interprétation)
C’est une question intéressante à laquelle le ministre finlandais de la justice aurait pu vous apporter une réponse très complète.
Selon moi, la question est de savoir ce qu’il faut faire lorsque des personnes ne respectent pas l’ordre public ou les règles de la société. L’incarcération doit être le dernier recours car la prison doit être un lieu où l’on ne séjourne qu’une fois. Mais nous savons que 78 % des personnes qui ont été emprisonnées une fois y reviennent. C’est pourquoi, nous avons essayé, comme d’autres pays nordiques, de définir des méthodes pour éviter de recourir automatiquement à l’incarcération.
Les chiffres montrent, il est vrai, qu’il y a eu un progrès. Nous avons réfléchi à d’autres options, comme les services à la communauté. Pour les infractions mineures, des délinquants effectuent, sous le contrôle des autorités, un certain nombre d’heures au service de la société, à la place d’une peine de prison. Nous avons aussi fait en sorte que les tribunaux prononcent des peines beaucoup plus courtes. Ces mesures ont été utiles pour certains délinquants. Nous cherchons également à mettre en place des systèmes plus ouverts car il existe des personnes qui se comportent bien en prison mais qui, sitôt libérées retombent dans leurs travers. C’est un des problèmes de l’emprisonnement.
Pour sa part, le Conseil de l’Europe, pourrait aussi proposer, sous l’angle social, des mesures dans ce domaine car les institutions internationales ont leur mot à dire. De même, il conviendrait de renforcer la coopération entre les ministères de la justice en vue d’étudier la situation des récidivistes et des criminels qui se rendent coupables de trafics, de traite d’êtres humains ou d’autres crimes graves. Mais il n’y a pas de recettes magiques dans ce domaine. Je vous remercie, vivement, madame Durrieu, des compliments que vous avez adressés à mon pays. Nous attendons beaucoup des débats futurs dans ce domaine.
M. VYATKIN (Fédération de Russie) (interprétation)
Madame la Présidente, le Conseil de l’Europe débat d’un sujet important: la défense des droits des minorités culturelles et linguistiques. De nombreux problèmes se posent dans les Pays baltes – Lituanie, Estonie et Lettonie – et, récemment, en Ukraine. En Finlande, il n’existe pas de telles difficultés malgré la présence d’une forte population suédoise laquelle n’a pas de problème, ni sur le plan de la langue, ni sur le plan de la culture, ni sur le plan de la citoyenneté. Ne pensez-vous pas que votre expérience pourrait être utile à d’autres pays?
M. Halonen, Président de la Finlande (interprétation)
Une des explications est l’histoire. Je vous ai dit que, pendant sept siècles, la Finlande a appartenu à la Suède. Nous avons toujours des relations de bon voisinage avec la Suède. C’est la raison pour laquelle 5 à 6 % de la population finlandaise sont de langue suédoise. Bien entendu, la langue est très importante puisque elle est le foyer de l’esprit. C’est par la langue que l’on créé son identité, c’est par la langue que l’on communique avec autrui. Ce qui compte pour moi, c’est que dans tous les pays, les droits des minorités soient respectés.
Lorsque nous sommes devenus indépendants de la Russie, en 1917, il y avait, sur le territoire de la Finlande, davantage de personnes de langue suédoise qu’aujourd’hui. Les citoyens finlandais, qu’ils soient de langue finnoise ou suédoise, ont été les pères fondateurs de l’Etat finlandais. A ce titre j’ai pour eux infiniment de respect. C’est la raison pour laquelle chacun doit faire de son mieux pour accorder les mêmes droits et les mêmes services aux Finlandais comme aux Suédois. Certes, garantir l’égalité de droit au niveau individuel nécessite d’investir davantage de ressources en faveur des minorités que de la majorité si l’on veut offrir les mêmes services aux minorités.
Vous avez évoqué les pays limitrophes de la Russie, posant ainsi la question des relations de bon voisinage. En effet, des difficultés se posent. Nous sommes également intéressés par les personnes de langue finnoise en Suède. Chaque pays s’intéresse au sort de sa propre minorité à l’étranger. C’est tout naturel. Ces questions doivent être traitées au Conseil de l’Europe. D’ailleurs, j’encourage chacun d’entre vous à mettre en œuvre la convention sur les langues minoritaires qui représente un texte d’importance.
Bien entendu, l’ensemble de ces modèles doit être adapté à chaque pays. J’ai cru comprendre que les Etats baltes – l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie – ont rempli leurs obligations à l’égard du Conseil de l’Europe. Il convient, selon moi, de réfléchir davantage en termes d’approche, de méthode, pas seulement à l’égard des pays voisins. N’oublions pas que l’héritage est européen. Le fait qu’un pays compte plus d’une langue, plus d’une culture est ce qui caractérise le patrimoine culturel européen. Le Conseil de l’Europe, vous-même, monsieur le Président, accomplissez ici un travail très important à cet égard.
Penser, ainsi que je l’évoquais précédemment, que ces mesures sont bonnes pour le voisin mais non pour soi, est une attitude malheureuse. Chacun doit respecter les droits des minorités. J’ignore si le modèle finlandais est exportable tel quel; chacun doit trouver la façon de l’adapter.
M. IWINSKI (Pologne) (interprétation)
Madame la Présidente, votre visite à Strasbourg, où vous retrouvez tant d’anciens collègues, confirme le proverbe français selon lequel on revient toujours à ses premières amours! Ma question porte sur les relations entre l’OSCE, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Comment faire pour, d’une part, réduire cette concurrence entre organisations et, d’autre part, renforcer la coopération, notamment la répartition des tâches?
M. Halonen, Président de la Finlande (interprétation)
L’un de mes conseillers, M. Vareikis, a été notre ambassadeur à l’OSCE la dernière fois que nous l’avons présidée. Nous avons souhaité favoriser cette intégration. S’il existe une coopération entre les trois institutions, il n’en reste pas moins qu’une concurrence est à l’œuvre entre le Conseil de l’Europe, l’OSCE et l’Union européenne. Certes, les ressources sont limitées. C’est pourquoi je pense utile d’encourager le secrétariat, mais également vous, responsables politiques, à œuvrer pour cette coopération. Je me souviens que, par le passé, nous comparions l’OSCE aux pompiers que l’on convoquait en cas d’urgence pour éteindre les incendies. Une fois le feu éteint, les pays veulent s’en débarrasser, alors que le Conseil de l’Europe représente un partenaire à plus long terme, qui soutient le développement des pays. Or, nous avons également besoin du réseau souple, rapide que peut offrir l’OSCE.
Les pays essayent parfois de choisir ce qui leur convient, en quelque sorte «à la carte». Si l’on demande à un pays de débattre de certaines questions au Conseil de l’Europe, il répondra que ce n’est pas l’instance la plus appropriée, qu’il est préférable de l’aborder dans le cadre de l’OSCE ou aux Nations Unies. Il faut, selon moi, mettre un terme à ce choix «à la carte» et coopérer si un pays a besoin d’aide, d’encouragements ou de conseils. Un pays ne doit pas pouvoir échapper à la coopération internationale, d’autant qu’il s’agit bien d’une coopération et non d’une sanction.
Je sais que les Parlementaires, tant à l’OSCE qu’au Conseil de l’Europe, sont souvent les mêmes personnes ou en tout cas, des collègues issus des mêmes Parlements. Essayons donc de renforcer la coopération, de prime abord à l’échelon national, afin que, de retour dans vos capitales respectives, vous rencontriez vos collègues des diverses organisations pour favoriser la coopération à l’échelon national.
M. ÇAVUSOGLU (Turquie) (interprétation)
Madame la Présidente, nous sommes reconnaissants à la Finlande de promouvoir nos valeurs communes en Europe. Nous lui sommes reconnaissants de sa contribution à l’OSCE, au Conseil de l’Europe et à l’Union européenne. En fonction de votre expérience dans le cadre de l’Union européenne et d’autres organisations, comment vous pensez-vous que le Conseil de l’Europe puisse jouer son rôle en Europe, notamment au titre du dialogue interculturel?
M. Halonen, Président de la Finlande (interprétation)
Toutes mes félicitations à mes amis turcs, qui ont organisé une réunion à Istanbul, où était conviés, non seulement les Européens, mais aussi le Président Obama. Je remercie également la société islamique de son accueil chaleureux. Le nouveau Président américain a pu constater à cette occasion la diversité des opinions en Europe, bien que nous ayons essayé de parler d’une seule voix.
La Cour européenne des droits de l’homme joue un rôle central au titre des droits de l’homme; il serait artificiel de se couper de ce volet juridique et de laisser le reste du travail aux autres organisations. A l’avenir, le Conseil de l’Europe jouera un rôle prépondérant, mais je crois que l’adhésion au Conseil de l’Europe est, elle aussi, essentielle. Il faut pouvoir débattre sur un pied d’égalité dans un cadre européen plus vaste.
L’OSCE dispose d’un cadre large, mais le travail qu’elle réalise présente un caractère plus structurel. L’architecture de la démocratie européenne ne fait pas la «une» des journaux ni de la télévision. J’espère toutefois que le Conseil de l’Europe jouera un rôle renforcé et que son travail sera respecté.
M. GROSS (Suisse) (interprétation)
Madame la Présidente, après avoir travaillé si longuement et si durement à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, aujourd’hui, en tant que chef d’Etat, sans doute êtes-vous en forte empathie avec l’Assemblée parlementaire. Vous avez constaté que nous n’avions pas obtenu le respect que nous méritions. Que pourriez-vous faire, madame la Présidente?
M. Halonen, Président de la Finlande (interprétation)
Les années 90, alors que j’étais membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, furent les années plus agréables de ma vie politique. Lorsque vous êtes dans vos pays respectifs, vous utiliser pleinement votre potentiel et être créatifs, vous êtes davantage sous les feux de la rampe. Vos électeurs vous féliciteront d’agir sur le plan international, tout en vous enjoignant de vous occuper d’eux dans vos circonscriptions! Lorsque vous êtes à Strasbourg, une bien belle ville, pensent-ils, ils vous reprochent de ne pas être pendant ce temps dans votre pays. Il faut que vous leur fassiez comprendre que vous travaillez pour eux et pour l’Europe.
C’est un des aspects délicats de cette situation. Souvenez-vous de ce que vous avez fait. S’il existe un problème à l’échelon national, vous pourrez vous référer à vos travaux à Strasbourg et faire part de votre expérience. Je pense qu’il est possible de faire davantage au Conseil de l’Europe que dans bien des organisations. Les médias ne portent pas toujours attention à ses travaux au moment propice. Mais peut-être est-ce une bonne chose. Les médias doivent être de qualité. Les êtres humains sont ce qu’ils sont: certains sont meilleurs que d’autres. Cela vaut aussi pour les médias.
Ce que vous faites pour votre pays est très important pour le Conseil de l’Europe. Et il faut le signaler, car si les mauvaises nouvelles font la Une de la presse, on ne parle que très peu des bonnes nouvelles. Mais sachez que les gens ont une bonne mémoire, et c’est votre travail qui compte. Si vous faites aujourd’hui du bon travail vous serez récompensés demain. Nous avons pu le constater au cours de ces soixante dernières années.
M. REIMANN (Suisse) (interprétation)
Madame la Présidente, je considère que la Finlande mène une politique énergétique exemplaire. Vous avez misé sur l’énergie hydraulique et l’énergie nucléaire propre, ce qui fait de vous un pays indépendant. Vous avez également trouvé une solution pour les déchets nucléaires. Partagez-vous mon point de vue positif, ou rencontrez-vous des problèmes d’approvisionnement énergétique?
M. Halonen, Président de la Finlande (interprétation)
Le problème est complexe. Si vous venez visiter notre beau pays, vous trouverez nos maisons très belles, mais les Finlandais vous répondront qu’ils ont un problème avec le toit. Nous sommes très autocritiques.
Pour ce qui est de notre approvisionnement énergétique, nous vivons dans le nord de l’Europe, nos industries consomment beaucoup d’énergie, nous devons donc prendre très au sérieux notre consommation énergétique. Nous, Européens, dépendons du pétrole et du gaz, et nous avons de très nombreux défis à relever. Chaque pays doit avoir son propre plan énergétique, et les Etats membres de l’Union européenne savent qu’une politique européenne est menée en la matière. Nous essayons de trouver les meilleurs partenaires possibles.
Il est vrai que nous utilisons de l’énergie nucléaire. Nous n’avons pas été aussi stricts que d’autres pays de l’Union européenne, mais nous n’en consommons pas plus qu’eux. Nous pensons qu’un beau bouquet énergétique est nécessaire une planification à court à et à long termes. Il convient également de tenir compte du changement climatique. Dans ce contexte, l’énergie nucléaire peut être une partie de la solution. Mais il faut aussi miser sur les sources d’énergies renouvelables et procéder de façon plus décentralisée, ce qui pourrait aider les pays en voie de développement à acquérir un niveau de vie décent.
Beaucoup reste à faire dans ce domaine, chez nous comme dans les autres pays européens. Il convient donc de faire preuve de patience, d’être prêt pour l’ouverture de nouveaux marchés et ouverts à une coopération en matière énergétique.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Mes chers collègues, il nous faut maintenant conclure les questions à Mme Halonen.
Madame la Présidente, je vous remercie pour votre allocution et vos réponses. Je vous remercie beaucoup également pour vos encouragements et votre soutien à notre institution.