József
Antall
Premier ministre de Hongrie
Discours prononcé devant l'Assemblée
mardi, 2 octobre 1990
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, c’est un grand honneur pour moi de pouvoir prendre la parole aujourd’hui devant l’Assemblée parlementaire. Et une grande joie aussi car, en vue de pouvoir prendre position, l’Assemblée se penche ce jour sur la question de l’admission de la République de Hongrie au Conseil de l’Europe. L’admission au Conseil de l’Europe représente pour la Hongrie, et même pour toute la région d’Europe centrale et orientale, une étape historique dans la voie qui nous ramène en Europe.
Après quarante années de division artificielle de l’Europe, division dont la Hongrie a tant souffert, la possibilité nous est donnée de réintégrer la vie politique, économique et culturelle de notre continent, ainsi que ses systèmes de valeurs et d’idées. Je dis bien «réintégrer» car, depuis plus de mille ans, la Hongrie fait partie intégrante du développement politique, économique, culturel et religieux en Europe; grâce à d’étroites relations humaines, elle n’a cessé de puiser dans ses valeurs, peut-être l’a-t-elle aussi enrichie.
Au cours de son évolution étatique, elle a toujours tenu compte des normes et traditions qui étaient celles des sociétés d’Europe occidentale. Au péril de son existence nationale, en perdant même, plus d’une fois, son statut d’Etat ou son intégrité, elle a souvent défendu la civilisation chrétienne européenne. Tout cela constitue une base historique et morale à ce que la Hongrie réintègre le processus de la coopération européenne.
Après 1945, à deux reprises, le peuple hongrois a tenté sans succès de réoccuper, sous le signe des valeurs démocratiques européennes, la place qui lui revient dans la vie de notre continent. En 1947, il en a été empêché par un régime communiste, soutenu de l’extérieur, en 1956, c’est une intervention armée qui a mis fin à la tentative d’épanouissement démocratique du peuple hongrois.
Le chemin de la réintégration européenne a été ouvert par le processus de transformation pacifique mis en route il y a un an et demi sous la pression de l’opposition d’alors, par les délibérations de la table ronde nationale. L’objectif principal de ces délibérations était, tâche quasi impossible, de liquider par la voie pacifique un système totalitaire et de créer à sa place une démocratie au sens européen, un système parlementaire multipartite. Les premières élections législatives libres en Hongrie depuis quarante-trois ans et la formation de mon gouvernement ont été des événements saillants de l’évolution conduisant à la réalisation de cet objectif. Du point de vue politique, ce processus vient d’être parachevé par les élections des pouvoirs locaux qui ont permis de créer dans les communes aussi les conditions de la gestion démocratique.
Evidemment, la transition pacifique n’aurait pas été possible sans un large consensus national, sans coopérer même avec des adversaires politiques ayant reconnu que le système précédent totalitaire ne pouvait être réformé. Certes, il a fallu que quarante ans passent pour que cette vérité soit reconnue. Et, maintenant, le gouvernement doit relever en même temps le défi de la crise économique, de la sortie de cette crise, et celui de la transformation démocratique de la société. Au même moment, le nouveau Gouvernement de la Hongrie œuvre de manière déterminée et consciente pour créer une économie sociale de marché.
La Hongrie a aujourd’hui un président de la République, un gouvernement et des pouvoirs locaux librement et démocratiquement élus, un parlement multipartite qui fonctionne et qui a donné, au cours des derniers mois, une nouvelle Constitution au pays.
La politique étrangère menée ces derniers temps par la Hongrie allait dans le même sens. Nous avons joué et nous continuons de jouer un rôle actif et constructif en vue de faire évoluer le processus d’Helsinki. Cela a créé une base favorable à la mise en place de relations de plus en plus étroites, d’un niveau de plus en plus élevé avec le Conseil de l’Europe. Nous avons reconnu que le Conseil de l’Europe, qui est constitué aujourd’hui de vingt-trois démocraties européennes, est le moteur de l’identité et de la coopération culturelles en Europe.
En même temps, au Conseil de l’Europe, il a été de plus en plus reconnu que, dans la culture européenne tout comme dans d’autres domaines de compétence du Conseil, la coopération ne pouvait être réalisée sans la participation des pays d’Europe centrale et orientale dont la Hongrie, tous ces pays faisant indiscutablement partie du patrimoine culturel européen. Grâce à tout cela, pendant la dernière période, les relations politiques n’ont cessé de s’intensifier entre notre pays et le Conseil de l’Europe, les invitations qu’ont reçues de Strasbourg le ministre hongrois des Affaires étrangères et le Premier ministre du gouvernement précédent en sont d’ailleurs des preuves éclatantes.
M. Anders Björck, Président de l’Assemblée parlementaire, et Mme Catherine Lalumière, Secrétaire Général du Conseil, se sont eux-mêmes rendus plusieurs fois à Budapest. Nos relations interparlementaires se sont également intensifiées. Plusieurs manifestations et réunions de commissions de l’Assemblée parlementaire ont eu lieu à Budapest et, depuis juin 1989, la Hongrie a un statut d’invité spécial dans votre Assemblée où siègent six députés hongrois.
Nous apprécions hautement le fait que ces derniers temps nos observateurs ont pu assister aux activités de presque toutes les commissions d’experts. Dans plusieurs domaines, des programmes concrets de coopération ont été adoptés, des rencontres de spécialistes, des échanges d’informations, des programmes de stages ont été réalisés.
La Hongrie a déjà adhéré à plusieurs conventions élaborées sous l’égide du Conseil de l’Europe et notamment à la Convention culturelle européenne, adhésion par laquelle nous avons déclaré notre appartenance au patrimoine culturel européen. Nos experts gouvernementaux sont en train d’étudier notre adhésion éventuelle à d’autres accords. Au moment où elle deviendra membre à part entière du Conseil de l’Europe, la Hongrie entend rejoindre le Fonds de développement social européen et nous examinons également les possibilités de notre adhésion à la Charte sociale européenne.
Ces derniers temps, nous avons été régulièrement invités aux réunions ministérielles sectorielles organisées par le Conseil de l’Europe ainsi qu’à d’autres manifestations d’importance, par exemple, la dernière fois, au colloque réuni par le Secrétaire Général. Après notre admission, nous serions heureux d’accueillir dans notre pays aussi des réunions ministérielles sectorielles ou d’autres manifestations. Nous nous féliciterions de voir le Centre européen de la jeunesse ouvrir un bureau à Budapest, conformément à la recommandation de la Conférence des ministres européens responsables de la Jeunesse réunie à Lisbonne, et nous croyons qu’il serait utile également que le Conseil de l’Europe crée un centre d’information et de documentation dans notre capitale.
Il ressort des évolutions et projets que je viens d’énumérer que la Hongrie a tâché de faire le maximum pour que sa demande d’admission soit bien fondée. Notre demande est, d’autre part, d’autant plus légitime que, parallèlement à notre entrée au Conseil de l’Europe, nous entendons signer la Convention européenne des Droits de l’Homme dont la ratification pourrait se faire, selon nos projets, à peu près un an après, ce qui signifierait que la Hongrie se soumet sans réserve au mécanisme de protection des droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, le Gouvernement de la République de Hongrie attribue une importance particulière à l’adhésion de notre pays au Conseil de l’Europe. A notre avis, le Conseil de l’Europe est en effet appelé à devenir un élément essentiel de l’architecture de l’Europe de demain. Une fois la Hongrie devenue membre à part entière, nous espérons que, dans un proche avenir, d’autres pays d’Europe centrale et orientale, qui pourront convenir aux critères de l’admission, adhéreront également à l’Organisation, en renforçant le caractère et la mission paneuropéens. Une telle évolution sera en même temps susceptible d’aider les nouveaux adhérents à coexister en respectant les normes européennes définies au Conseil de l’Europe.
Nous pensons que le Conseil de l’Europe peut jouer un rôle important dans le processus de sécurité et de coopération européennes et notamment au sujet des questions de dimension humaine, car le mécanisme de contrôle et d’exécution du respect des droits de l’homme que possède le Conseil de l’Europe peut être utilisé à tout moment par les Trente-cinq également. Le Conseil de l’Europe peut, d’autre part, se donner un rôle éminent dans la défense des intérêts des minorités, problème qui nous touche de si près, et au sujet duquel nous mettons de grands espoirs dans l’activité de la Commission européenne pour la démocratie par le droit siégeant à Venise. Pareillement à d’autres pays européens et conformément à la position prise au dernier sommet de l’OTAN, nous estimons que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe peut constituer une bonne base pour une Assemblée européenne des Trente-cinq.
La Hongrie est fermement décidée à contribuer de manière constructive et exemplaire au règlement des problèmes des minorités à l’intérieur du pays tout comme à l’extérieur des frontières. Nous estimons qu’il est nécessaire que les principes et les cadres soient élucidés et approuvés au niveau européen, mais nous sommes conscients du fait que, vu les spécificités des différentes régions, des différents pays et même des différentes minorités, il ne peut y avoir de solution réelle qu’après examen de chaque cas concret.
Nous considérons que garantir de manière globale les droits des minorités ethniques fait partie intégrante de la transformation démocratique. L’objectif de la loi en préparation sur les minorités est de garantir, en partant du droit de l’homme à l’identité, les conditions nécessaires à toutes les minorités vivant en Hongrie de sauvegarder leurs identités, leurs cultures, de s’organiser et d’avoir leur autonomie. Au service des mêmes objectifs ont été institués l’Office des minorités nationales et ethniques, fonctionnant auprès du gouvernement, ainsi que le Commissaire parlementaire des droits des minorités nationales et ethniques, ce dernier figurant même dans la Constitution.
Cinq millions de Hongrois vivent en dehors de nos frontières, dont trois millions cinq cent mille dans notre voisinage direct; nous sommes responsables de leur sort tout comme de celui des minorités vivant dans notre pays. Nous souhaitons que, tout en restant des Hongrois, ils puissent être des citoyens fidèles du pays où ils vivent et nous sommes prêts à les y aider dans toute la mesure du possible, conformément aux normes juridiques internationales.
L’objet et les moyens de nos efforts sont conformes aux principes, idées et solutions juridiques du Conseil de l’Europe. Nous apprécions hautement le fait que, sans qu’il s’agisse de protection globale des minorités, le Conseil de l’Europe fait valoir très largement dans ses chartes et conventions des considérations importantes pour les minorités aussi, lesquelles sont entièrement applicables dans nos conditions spécifiques en Europe centrale. En exprimant notre désir de nous joindre au Conseil de l’Europe, nous nous sommes engagés à tenir compte de l’ensemble de ces considérations dans notre législation, nos accords internationaux et notre pratique quotidienne.
L’Organisation dispose de bonnes possibilités pour trouver le moyen de faire participer également l’Union Soviétique de manière convenable et pour l’aider à se rapprocher de la communauté des peuples européens.
Notre adhésion représenterait plusieurs avantages directs pour nous: les 135 conventions et les recommandations encore plus nombreuses du Conseil de l’Europe pourraient en effet contribuer à ce que notre législation se développe conformément aux normes européennes. Le meilleur exemple en est le fait que nos lois sur les pouvoirs locaux et l’élection de leurs corps dirigeants ont été élaborées dans le respect de l’ensemble des conventions et recommandations d’experts y relatives du Conseil de l’Europe.
Cela dit, notre adhésion au Conseil de l’Europe marquerait sans équivoque, pour l’opinion publique hongroise et internationale, l’importance de ce que nous avons déjà fait en vue de mettre en place un Etat de droit et déterminerait notre orientation future, en nous offrant de nouvelles possibilités d’assimiler des valeurs européennes dans ces domaines.
Je voudrais souligner également qu’à travers les expériences du Conseil de l’Europe il nous sera moins difficile de relever le défi que représentera à partir de 1992 la création du marché intérieur des Communautés européennes. Tous les Etats membres des Communautés européennes étant en même temps membres du Conseil de l’Europe, notre adhésion devrait nous permettre de resserrer nos liens avec les Communautés également. Vous n’ignorez pas qu’à notre avis nos relations avec les Communautés européennes constituent une des questions clés de notre intégration en Europe. Le Gouvernement hongrois se doit donc de développer dans tous les domaines ses relations avec les Communautés et de tout faire pour pouvoir signer le plus tôt possible un accord d’association avec l’organisation.
Sur la base de la résolution politique adoptée à la conférence au sommet des Communautés européennes, réunie en avril dernier, le Gouvernement hongrois souhaite, avant même la signature de l’accord d’association, entrer dans le système de coopération politique européenne pour pouvoir assurer que notre politique étrangère soit en harmonie avec les aspirations européennes.
Voilà pourquoi nous avons été le premier ancien pays socialiste à nous joindre aux sanctions décrétées contre l’Irak par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, les prises de position des différentes commissions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, celles de la commission des questions politiques réunie à Varsovie, celles de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme réunie à Budapest et celles de la commission des relations avec les pays européens non membres réunie à Paris m’ont persuadé que vous avez une vision réaliste des problèmes encore existants du développement démocratique de mon pays et que vous considérez cependant que la Hongrie a rempli les conditions nécessaires pour devenir membre à part entière du Conseil de l’Europe.
En tant que Premier ministre de Hongrie, je peux vous assurer que mon pays fera, à l’avenir aussi, tout ce qui sera en son pouvoir pour répondre à votre confiance. C’est dans cet esprit, et compte tenu de la résolution adoptée récemment par le Parlement européen, que je prie l’Assemblée de soutenir la demande d’adhésion du Gouvernement hongrois, d’aider la Hongrie, pays attaché par des liens millénaires à la civilisation européenne, à réoccuper sa place parmi les nations libres de notre continent.
En attendant vos questions, je vous remercie de votre attention. (Applaudissements)
(M. Antall poursuit en hongrois) (Interprétation) Pour conclure, M. Antall indique que les six partis représentés au Parlement sont unanimes dans leur volonté de respecter la Constitution et d’œuvrer en faveur de l’intégration européenne de leur pays. Sur ce point, il n’y a pas de solution de continuité entre la politique du précédent gouvernement et celle du gouvernement dont il est le Premier ministre. Il remercie donc l’Assemblée de son soutien et de l’avis qu’elle vient de voter en se déclarant tout à fait disposé à répondre aux questions des parlementaires. (Vifs applaudissements)
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, de votre intéressant exposé. Au nom de l’Assemblée parlementaire, je vous souhaite la bienvenue au Conseil de l’Europe. La décision officielle de l’acceptation de la candidature de la Hongrie sera bientôt prise par le Comité des Ministres, mais, dès le début, l’Assemblée était sûre que votre pays ne tarderait pas à devenir membre à part entière du Conseil de l’Europe. Nous espérons que la Hongrie sera suivie par d’autres pays d’Europe centrale et orientale.
C’est maintenant la période des questions. Je rappelle à l’Assemblée qu’en vertu de notre Règlement les questions orales et les questions supplémentaires ne doivent pas excéder trente secondes. Trois membres de l’Assemblée ont demandé à poser des questions à M. Antall.
Je donne la parole à M. Roman pour une question concernant les privatisations et la protection sociale. Si nous avons le temps, d’autres membres de l’Assemblée pourront poser des questions au Premier ministre avant la suspension de la séance peu avant 13 heures.
M. ROMÀN (Espagne) (interprétation)
se félicite que la Hongrie démocratique devienne dans un proche avenir membre de plein droit de l’Assemblée et constate que les changements pacifiques qui ont eu lieu dans ce pays le rendent particulièrement attractif pour les investisseurs. Le Gouvernement hongrois envisage de faire passer de 90 % à 50 % la partie du secteur public dans l’économie. Mais l’on peut craindre que ces privatisations, conjointement avec les effets de la crise du Golfe, n’aggravent le chômage. Quelles mesures sociales le Gouvernement hongrois entend-il prendre pour protéger les travailleurs?
M. Antall, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
confirme que le Gouvernement hongrois tient à réduire par des mécanismes de privatisation la part du secteur public dans l’économie hongroise, part qui est actuellement de 90 %. Il souhaite même aller plus loin que les objectifs affichés, mais le succès de cette entreprise dépend de l’intérêt qu’elle suscite chez les investisseurs étrangers. Le Gouvernement hongrois met donc en place les instruments juridiques et financiers susceptibles de favoriser ces investissements, tout en prenant en considération les problèmes sociaux que peuvent poser ces nécessaires restructurations; il faut donc s’attendre à l’apparition d’un chômage relativement important. Aussi, le Gouvernement hongrois a-t-il décidé de créer un ministère du Travail, qui n’existait pas sous l’ancien régime, et de le charger, de concert avec le ministère du Bien-être public, de mettre au point des solutions. D’autre part, il a entrepris des négociations avec les différentes organisations de défense des intérêts particuliers, à la suite de quoi a été installé un conseil d’harmonisation, organe délibératif. Mais ces quelques mesures ne permettront pas à elles seules de surmonter les difficultés et le gouvernement s’attache donc aussi à mettre en place un «filet» de protection sociale. Malheureusement, les crédits manquent pour créer des emplois: il faut essayer d’y pourvoir.
En conclusion, M. Antall se dit persuadé que ces efforts, ainsi que le consensus national, permettront de surmonter le handicap dû à la carence des gouvernements précédents, à l’écroulement du système économique qui prévalait dans toute la région, aux événements des derniers mois et à des conditions météorologiques défavorables.
M. ROMAN (interprétation)
demande en outre au Premier ministre à quelles causes il attribue la faible participation aux dernières élections hongroises. Les pays d’Europe de l’Ouest souffrent aussi de l’abstentionnisme, mais celui-ci est plus surprenant dans une démocratie naissante, ajoute-t-il.
M. Antall, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
répond qu’aucun parti politique ne saurait évidemment se satisfaire d’une telle désaffection des électeurs, quand bien même le taux de participation aux élections locales serait aussi faible dans d’autres pays. Mais il observe que ces élections, à deux tours, faisaient suite à deux référendums et à des élections parlementaires, à deux tours également, cela en seulement douze mois.
La population n’a sans doute pas perdu tout intérêt pour ce qui touche à la politique, mais elle a été probablement déçue dans une attente forcément irréaliste: elle espérait que les transformations politiques se traduiraient rapidement par une élévation du niveau de vie. Or, le nouveau gouvernement a dû au contraire prendre un certain nombre de mesures peu populaires. Ce fait, aggravé par un manque d’information, explique probablement que le taux de participation n’ait été que de l’ordre de 36 %. M. Antall fait cependant observer que le quorum a été atteint dans la plupart des communes de moins de dix mille habitants, de sorte que, là, les responsables élus – ou réélus – disposent d’une légitimité certaine, gage d’un travail efficace.
En conclusion, le Premier ministre souligne à nouveau combien il serait déraisonnable d’escompter que les mutations politiques entraînent immédiatement une amélioration de la situation économique dans une période de crise.
M. MORRIS (traduction)
Une condition essentielle de toute démocratie est l’indépendance du pouvoir judiciaire. Une fois la lune de miel terminée, le temps viendra où des individus ou des organisations attaqueront l’Etat devant les tribunaux.
Lorsque j’ai posé cette question à Budapest en ma qualité de membre de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, j’ai cru comprendre que la plupart de vos juges siégeaient déjà sous l’ancien régime communiste. Etes-vous absolument certain que vos juges seront suffisamment forts et indépendants pour condamner l’Etat si nécessaire?
M. Antall, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
considère que le corps judiciaire hongrois est, dans l’ensemble, indépendant du pouvoir politique. La nouvelle Constitution assure la séparation des pouvoirs: contrairement à ce qui se passait dans le système communiste, les nominations ne sont plus à la discrétion du gouvernement et les magistrats n’ont plus à se plier aux diktats de l’administration. Se posera bien entendu la question de remplacer ceux qui atteindront l’âge de la retraite, mais, pour l’heure, M. Antall ne voit aucune raison de provoquer des démissions.
M. MORRIS (traduction)
Y a-t-il un âge de retraite obligatoire pour les juges?
M. Antall, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
répond que cet âge est généralement fixé en Hongrie à soixante ans pour les hommes et à cinquante-cinq ans pour les femmes. Cependant, s’agissant des magistrats, ce n’est pas une limite absolue.
Il serait donc théoriquement possible de remplacer les juges atteints par cette limite d’âge, mais cela ne constitue nullement une obligation, d’autant que la Hongrie manque aujourd’hui cruellement de magistrats.
Sir Russell JOHNSTON (Royaume-Uni) (traduction)
Je tiens à dire au Premier ministre, au nom du Groupe libéral du Conseil de l’Europe, combien nous sommes heureux d’accueillir la Hongrie à la place qu’elle mérite parmi nous.
Dans son discours, le Premier ministre a conseillé de «faciliter la tâche de l’Union Soviétique». La situation en Union Soviétique est beaucoup moins stable qu’en Europe centrale et orientale, et pourrait affecter de nouveau cette région. Que pense la Hongrie de la proposition d’accorder une importante aide économique à l’Union Soviétique, à l’échelle du plan Marshall?
M. Antall, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
a déjà dit qu’il serait erroné d’exclure l’Union Soviétique du processus de la sécurité en Europe. Cependant, il est difficile de juger de son évolution future car plusieurs des républiques qui la composent se sont engagées sur le chemin de l’indépendance. Les problèmes économiques et sociaux s’aggravent dans ce pays d’une manière telle que ces difficultés risquent de conduire à des explosions. Quant à savoir s’il convient ou non d’aider l’Union Soviétique, le premier ministre estime que l’Europe doit se montrer exigeante en matière de respect des droits de l’homme.
Sir Russell JOHNSTON (traduction)
Je serai bref. Etant donné les propos du Premier ministre, en particulier à l’égard de la Hongrie, qu’attend-il de l’Occident, dans le meilleur des cas, de l’aide technique et économique?
M. Antall, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
demande à Sir Russell Johnston de répéter sa question.
Sir Russell JOHNSTON (traduction)
Monsieur le Premier ministre, je ne voulais pas connaître vos intentions. Les hommes politiques sont doués pour les discours, mais les discours ne font pas vivre. Si l’Occident acceptait de fournir une aide maximale, quelle pourrait être cette aide sur le plan technique et économique pour la Hongrie? Qu’attendez-vous de nous?
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Je suis persuadé que le Premier ministre a quelques idées sur ce point, peut-être une courte liste de souhaits?...
M. Antall, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
répond que la Hongrie souhaite recevoir une aide sous forme d’investissements et de crédits. Mais, pour l’obtenir, le Conseil de l’Europe doit montrer qu’il fait confiance à son pays. En effet, cela rassurera les éventuels investisseurs.
En outre, toute aide technique ou juridique est précieuse car la Hongrie a été trop longtemps repliée sur elle-même. C’est ainsi que son système bancaire manque cruellement de spécialistes. Enfin, il est important de l’aider à former sa jeunesse.
Mme GJORV (Norvège) (traduction)
Mes collègues et moi-même sommes heureux de vous accueillir, Monsieur le Premier ministre, ainsi que votre pays, dans cette Assemblée. J’admire l’évolution de votre pays vers la démocratie. Dans mon pays, près de la moitié des membres du gouvernement sont des femmes et le pourcentage des femmes dans les assemblées locales et nationales est très élevé. Je m’inquiète des conséquences de votre élection pour la représentation féminine en Hongrie. Pensez-vous comme moi qu’une démocratie où les hommes et les femmes ne sont pas également représentés n’est pas une démocratie complète? Ferez-vous tout ce qui sera en votre pouvoir pour améliorer la représentation féminine dans les assemblées élues au cours des années à venir?
M. Antall, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
reconnaît que la situation actuelle n’est pas satisfaisante et qu’il faut augmenter le nombre des femmes dans les corps politiques élus. Cependant, c’est aux électeurs que revient ce choix. Il est important dès lors que l’éducation et le climat incitent les femmes à participer d’une façon plus active à la vie publique. Il ne sert à rien en effet de faire figurer symboliquement quelques femmes sur les listes électorales car une telle attitude est blessante. Le climat doit être tel qu’il les incite à faire de la politique. Le Premier ministre souligne cependant que le candidat de son parti aux élections à Budapest était une femme.
Mme GJORV (traduction)
Le Premier ministre nous a donné une réponse très intéressante. Je crois que les pays nordiques ont une certaine expérience que nous devrions partager avec lui et j’espère que nous pourrons nous rencontrer de nouveau pour parler de cette question.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie, Madame Gjorv. Monsieur le Premier ministre, je pense que vous pouvez compter sur une croisade féminine Scandinave, conduite par Mme Gjorv, qui se rendra en Hongrie pour vous aider dans votre tâche. Je peux vous assurer qu’elles auront notre soutien.
Il reste deux orateurs sur la liste, MM. Valleix et Jung. Malheureusement, après eux, il nous faudra clore le débat. La parole est à M. Valleix.
M. VALLEIX (France)
Je tiens à mon tour, Monsieur le Premier ministre, à exprimer notre joie après le vote favorable à l’adhésion de la Hongrie au Conseil de l’Europe, d’autant qu’il a été unanime.
Je vous rappelle que les 18, 19 et 20 mai derniers vous nous avez accueillis pour un colloque interparlementaire Ouest-Est – le premier du genre – alors que vous n’étiez encore que le Premier ministre désigné, puisque vous ne deviez être confirmé à ce poste que la semaine suivante.
Depuis, vous avez fait accomplir des pas de géant à votre pays en direction de la démocratie et de l’économie de marché. Mais vous aviez déjà fait voter une loi, entrée en vigueur en 1989, concernant les structures des sociétés industrielles. Je souhaiterais savoir si ce dispositif vous donne satisfaction et comment vous le jugez à l’expérience. Par ailleurs, notre colloque ayant été qualifié de défi en ce qui concerne le dialogue pour toute l’Europe du centre et de l’Est, mais également pour l’Europe occidentale, pensez-vous qu’il permette aussi la coopération que nous souhaitons si vivement entre vous et nous?
M. Antall, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
demande à M. Valleix quelle loi il vise précisément.
M. VALLEIX
Je fais allusion à la loi sur les sociétés industrielles, c’est-à-dire celle qui définit les différentes structures de sociétés privées, qu’il s’agisse de sociétés à responsabilité ou de sociétés anonymes. J’aimerais savoir si la procédure que vous avez adoptée fonctionne bien et vous donne satisfaction.
M. Antall, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
précise que la loi permettant aux différentes entités économiques de se transformer avait été adoptée par le précédent parlement. Depuis, elle a été amendée en vue de faciliter les privatisations, en garantissant un contrôle public par l’Agence des propriétés d’Etat qui les rendent acceptables par l’opinion.
Le Gouvernement hongrois entend soumettre au parlement de nouveaux projets de privatisation portant sur une vingtaine de sociétés, représentant un capital d’un milliard de dollars. La privatisation complète du petit commerce est en cours et devrait être achevée rapidement.
M. JUNG (France)
Monsieur le Premier ministre, je vous adresse mes compliments pour votre magnifique discours. Je suis un homme heureux, car cette journée marque l’entrée de votre pays au Conseil de l’Europe.
Lors de nos différents entretiens à Budapest, nous avions abordé un problème très important resté en suspens du fait de la situation de l’Europe à ce moment-là: celui de la protection de l’environnement et de la lutte contre la pollution de l’air et de l’eau. En ma qualité d’ancien Président de cette Assemblée, je crois être l’interprète de tous en soulignant que c’est l’un des aspects qui nous préoccupe pour l’ensemble des pays de l’Est.
J’aimerais savoir ce que peut faire la Hongrie pour améliorer cette lutte contre la pollution de l’air et de l’eau. Très souvent, les fleuves sont internationaux et leur préservation exige une coopération. Je crois personnellement que votre pays a un grand rôle à jouer dans ce domaine et j’aimerais connaître votre opinion.
M. Antall, Premier ministre de Hongrie (interprétation)
rappelle que la situation de l’environnement était un des principaux griefs qui rassemblait l’opposition contre l’ancien régime. Elle reste une des préoccupations les plus importantes du nouveau gouvernement. On sait que dans les anciens pays communistes de graves dégâts ont été causés à l’environnement: les installations industrielles étaient particulièrement polluantes et les moyens de contrôler la qualité de l’air et de l’eau n’existaient pas.
Le Premier ministre annonce que des voies de contournement de Budapest sont à l’étude pour limiter la grave pollution de la capitale par la circulation automobile. Plus généralement, il estime qu’aucun pays ne peut résoudre seul les problèmes de pollution de l’air et de l’eau. La Hongrie espère obtenir des concours internationaux et elle voit dans le Conseil de l’Europe un forum approprié pour organiser la solution des problèmes au niveau régional, par exemple dans le bassin des Carpathes.
Le Premier ministre conclut en remerciant tous les orateurs pour l’amabilité qu’ils ont manifestée à son égard.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre. La période des questions parlementaires est terminée. Un de mes premiers souvenirs et impressions du monde en dehors de mon pays a été le soulèvement de Budapest en 1956. Vous-même, Monsieur le Premier ministre, vous y avez participé. Le jour où la Hongrie rejoint le Conseil de l’Europe et où l’Assemblée vote une résolution donnant son accord, maintenant que la Hongrie est une nation libre et démocratique, nous ne devons pas oublier ceux qui sont morts dans le soulèvement. Ces gens ont donné leur vie pour la liberté, la démocratie et les droits de l’homme.
Aujourd’hui, Monsieur le Premier ministre, vous pouvez être fier de votre pays. N’oublions pas qu’il y a encore des pays dans le monde où la population souffre de l’absence de démocratie et des violations des droits de l’homme. Rappelons-nous ceux qui ont donné leur vie dans votre pays, il y a de nombreuses années, pour que vous-même, d’autres Hongrois et d’autres Européens soient ici aujourd’hui. Au nom de l’Assemblée, je vous remercie encore, Monsieur le Premier ministre, de votre intéressant exposé et de la manière dont vous avez répondu aux questions qui vous ont été posées. Au nom de tous les membres du Conseil de l’Europe, je vous souhaite la bienvenue.