Edward

Heath

Premier ministre du Royaume-Uni

Discours prononcé devant l'Assemblée

vendredi, 21 janvier 1972

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames, Messieurs, c’est, vous le comprendrez, avec une profonde émotion que je prends la parole, surtout après les propos éloquents que nous venons d’entendre.

Je suis très honoré de recevoir ce prix, avec tout ce qu’il implique.

Je dois vous remercier, Herr Töpfer, du magnifique acte d’imagination et de générosité par lequel vous l’avez institué.

«Tous, nous avons toujours su ce qu’il adviendrait quand l’Europe parlerait enfin d’une seule voix. Nous savions que le monde s’arrêterait pour l’écouter. Et il entendrait une voix d’aujourd’hui, avec la connaissance de bien des hiers.»

Il me faut également remercier les éminents membres du jury, présents parmi nous aujourd’hui, dont les délibérations m’ont tant fait honneur.

A vous, Monsieur le Président, et à vous, Monsieur Bech, je suis infiniment reconnaissant de l’éclat que vos paroles ont conféré à cette manifestation.

Enfin, à vous tous, et au Conseil de l’Europe, je dois adresser mes chaleureux remerciements pour vous être associés à ce prix et avoir rendu cette cérémonie possible.

Pour moi, aujourd’hui marque à la fois une fin et un commencement.

Il marque la réalisation d’une ambition, mais il marque aussi le début d’une grande entreprise nouvelle.

C’est une entreprise qui nous engage tous, la plus grande peut-être à laquelle nous ayons jamais mis la main.

Je suis entré dans la vie publique avec plusieurs espoirs au cœur. Demain, à Bruxelles, l’un d’eux se réalisera, même si c’est une dizaine d'années plus tard que je ne l’eusse souhaité.

J’espérais, en effet, quand fut conçue cette première ébauche de l’Europe, que la Grande- Bretagne y aurait sa place.

Nous aurions pu alors à présent, jetant un coup d’œil rétrospectif sur ces deux décennies, nous écrier: «Voilà l’œuvre que nous avons accomplie ensemble.» Mais hélas! cela ne devait pas être.

Il y a, cependant, quelque profit à tirer d’une déception passée. Aujourd’hui, avec le recul, je peux regarder l’Europe qu’un grand nombre d’entre vous ont édifiée et dire de tout mon cœur: «Vous avez bien construit.»

Je peux rendre hommage aux bâtisseurs eux- mêmes – à vous, Monsieur Bech, au Professeur Hallstein, à Jean Rey et à Jean Monnet lui-même, comme à tous ceux qui ont apporté leur pierre à l’édifice.

Car l’Europe que je vois me confirme dans ma conviction de toujours que lorsque des hommes de bonne volonté unissent leurs efforts, de telles choses sont possibles.

Une Europe rassemblée dans une unité croissante: durant des générations, les historiens de tous pays avaient rejeté cette idée comme pure chimère. Demain, elle deviendra réalité.

Ce que nous avons vu, c’est la naissance d’une Europe nouvelle, puissance nouvelle dans un monde en évolution... Une Europe qui nous offre à tous de nouvelles possibilités mais qui, en retour, nous impose de nouvelles exigences.

En m’honorant aujourd’hui, vous honorez aussi mon pays. Peut-être est-il opportun à cette heure de se demander: qu’attend l’Europe nouvelle de la Grande-Bretagne et qu’est-ce que la Grande-Bretagne a à offrir?

Nous pouvons vous offrir une bonne dose de patience et de ténacité. Je pense que nul ne nous contestera ces qualités.

Sans elles, le cours de notre histoire eût peut- être été fort différent.

Sans ces mêmes qualités dont ont fait preuve des hommes de toutes obédiences politiques, je ne serais pas parmi vous aujourd’hui, car nos efforts n’auraient pu aboutir.

Mais ce sont là vertus passives.

Dans les années à venir, nous aurons tous besoin d’autres vertus plus positives. Je crois que mon pays est en mesure de les offrir.

Je crois que nous pouvons vous promettre l’imagination, qui permet de voir ce qu’il faut faire... la résolution de s’y attaquer, le courage de tenir jusqu’au bout.

Et c’est lorsque le chemin est le plus dur que nous avons coutume d’être au mieux de notre forme.

Ces dernières années, le chemin n’a été facile pour aucun d’entre nous.

L’équilibre des forces s’est déplacé et le monde a évolué.

Nombre des préceptes avec lesquels nous avons grandi ont été contestés et changés. Peut-être avons-nous aussi un peu grandi.

Oui, certes la Grande-Bretagne que nous faisons entrer dans l’Europe nouvelle est une Grande-Bretagne nouvelle, une Grande-Bretagne mieux armée qu’elle ne l’a jamais été pour cette grande aventure. Car tandis que vous construisiez, nous ne sommes pas restés inactifs.

Nous avons essayé de nous voir d’un regard nouveau et non avec les yeux du passé.

Là où nous avons vu des difficultés, nous avons entrepris de les affronter.

Là où nous avons vu l’ignorance, préjugés ou inhibition, nous avons fait de notre mieux pour y remédier.

Aujourd’hui, nous venons vers vous fiers de l’œuvre accomplie, fiers de notre nouvelle force, de nos nouvelles capacités, mais humbles aussi devant les tâches qui nous attendent tous.

Car c'est demain que vraiment se lèvera cette Europe nouvelle dont j’ai parlé.

Et cette Europe nouvelle aura besoin de façons nouvelles...

De façons nouvelles de penser.

De façons nouvelles de parler.

Et quand elle aura pensé, quand elle aura parlé, de façons nouvelles d’agir.

Nous ne ressentirons les bienfaits de cette Europe nouvelle que si nous nous rappelons qu’un tout est inévitablement plus grand que ses parties... si nous prenons nos décisions en sachant que notre communauté procède uniquement d’un libre choix... et c’est en cela que réside notre vraie force.

Il arrivera peut-être que les uns mettent en cause les mobiles des autres. C’est alors qu’il faudra persévérer dans la concertation.

Il arrivera peut-être que nous ne soyons pas d’accord. C’est là la pierre de touche d’une relation authentique. La nouvelle Europe doit montrer qu’elle peut soutenir ce genre d’épreuve.

Dans les années à venir, la nouvelle Europe révélera sa personnalité sous bien des aspects.

Elle sera confiante en ses possibilités, étant donné ce qu’elle a déjà accompli. Car l’histoire nouvelle de l’Europe montrera que son histoire ancienne n’était pas que mots creux.

Elle sera forte dans les conseils mondiaux car, à l’heure des grands regroupements, qui pourra rester sourd à cette voix parlant au nom de 250 millions d’hommes?

Mais, surtout, l’Europe nouvelle devra être sage. Elle devra apprendre à écouter autant qu’à parler.

Elle devra écouter les pays que le désespoir pousse à élever la voix, nombre d’entre eux pour la première fois.

Avant d’arrêter ses politiques, elle devra songer à leurs espoirs et à leurs besoins.

Car n’est-il pas possible – au moins possible – que la tâche qui nous a été assignée dépasse encore ce que nous imaginions?

N’est-il pas possible qu’en cherchant à consolider notre vieux monde, nous trouvions le moyen de tracer pour le monde entier une voie nouvelle?

Parmi toutes les nations ici représentées aujourd’hui, il n’en est pas une qui n’ait contribué, par ce qu’elle a pensé et dit, à façonner le monde qu’est le nôtre.

Les accomplissements d’une Europe ainsi divisée peuvent être surpassés par ceux d’une Europe à présent unie.

Les voix qui, isolément, parlaient si bien raison, seront plus persuasives lorsqu’elles s’exprimeront à l’unisson. Tous, nous avons toujours su ce qu’il adviendrait quand l’Europe parlerait enfin d’une seule voix.

Nous savions que le monde s’arrêterait pour l’écouter.

Et il entendrait une voix d’aujourd’hui, avec la connaissance de bien des hiers.

Le temps est venu pour cette voix de s’exprimer.

Du vieux monde – une voix nouvelle.

Puisse-t-elle toujours être la voix de l’honnêteté, de la sagesse et de la vérité!