Mladen
Ivanić
Président de la présidence de Bosnie-Herzégovine
Discours prononcé devant l'Assemblée
mercredi, 24 juin 2015

Madame la Présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Mesdames et Messieurs, je voudrais tout d’abord vous faire part de ma gratitude pour votre invitation à m’adresser à vous. J’aurais d’ailleurs tendance à vous appeler «mes chers collègues», puisque, jusqu’à il y a peu, je siégeais encore dans cet hémicycle où nous avons eu parfois des discussions animées. J’ai eu en tout cas le privilège de vous rencontrer et de me faire de nombreux amis dans vos rangs, où nous avons échangé des avis et discuté de l’actualité, parfois partagé des craintes communes. Je n’oublierai jamais ces amis et garderai ces instants en mémoire toute ma vie.
Ce fut un privilège pour moi de siéger dans cette Assemblée qui représente 800 millions de citoyens et dont le territoire s’étend de l’Atlantique jusqu’au Pacifique, des eaux froides du Nord aux plages chaudes de la Méditerranée. Cette position prestigieuse implique cependant d’immenses responsabilités.
Moi-même, qui suis aux responsabilités, c’est en toute humilité que j’aborde aujourd’hui la présidence du Comité des Ministres. Nous ne pouvons pas vous promettre d’être les meilleurs présidents de l’histoire, mais nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter une contribution modeste, une pierre à l’édifice du Conseil de l’Europe.
« En faisant partie d’un ensemble plus large, il sera plus facile d’induire un assouplissement de la situation politique en général et les divergences internes prendront moins d’importance »
La situation de la Bosnie-Herzégovine n’est pas parfaite. Nous devons fournir encore de nombreux efforts. Toutefois, chacun reconnaîtra qu’elle est aujourd’hui bien meilleure que celle qui prévalait il y a vingt ans, au sortir de la guerre. Lorsque je compare les difficultés de la Bosnie-Herzégovine avec celles que rencontrent les populations d’autres parties du monde, je me dis que nous avons, tout de même, un peu réussi. Nous vivons aujourd’hui dans un pays pacifié. Les violences ethniques ont disparu depuis une décennie et, petit à petit, la Bosnie-Herzégovine devient un vrai pays.
Nous avons toutefois à relever encore de nombreux défis. Des désaccords persistent mais, peu à peu, nous avons aussi appris à les surmonter. Le nouveau gouvernement et la nouvelle présidence ont décidé d’appliquer une règle d’or: ne pas afficher de désaccords en public et privilégier les compromis.
Mais la communauté internationale aussi a modifié son approche à notre égard. Il y a dix ans, nous recevions des messages très clairs selon lesquels nous ne devions pas trop attendre des uns et des autres pour prendre notre destin en main. Il est vrai que, durant un temps, il y a eu blocage dans le pays et que les réformes n’ont pas avancé. Dans un tel contexte, nous ne pouvions espérer voir se dénouer certaines situations, comme celle relative à l’arrêt Sejdic et Finci.
Mais les situations évoluent. Nous nous attachons aujourd’hui à privilégier l’intérêt général. Cela passe en priorité par la réforme de l’économie, mais aussi par le règlement des questions sensibles telles que la réforme de constitution et l’application de l’arrêt Sejdic et Finci.
Dans les prochaines semaines, nous présenterons une feuille de route des réformes à engager à l’intérieur du pays. Puis, nous la mettrons progressivement en place, mois après mois. Nous aurons notamment à régler le mécanisme de coordination qui nous permettra, malgré les complexités structurelles du pays, de négocier d’une seule voix avec l’Union européenne. Nous savons pertinemment que cette dernière ne nous accueillera pas tant que nous n’aurons pas réglé des questions telles que l’arrêt Sejdic et Finci. Notre programme prévoit que nous réglions cette affaire après les élections locales, en 2017.
Nous entendons, en tout cas, nous mettre en condition de pouvoir adhérer à l’Union européenne – ce à quoi nous ne pouvions prétendre jusqu’à présent. Nous voulons vraiment, à l’issue de ce programme, pouvoir être un pays candidat. Sinon, nous resterons isolés. Quand on appartient à un ensemble plus grand que soi, on est plus pertinent, plus puissant. Les tensions s’atténuent.
Je ne voudrais pas brosser un tableau trop optimiste des choses. Il reste de nombreux défis à relever, mais notre axe est tout tracé: aller vers l’Union européenne et réformer la direction du pays. Il n’y a pas d’alternative – je ne veux même pas l’envisager!
Nous restons évidemment un pays fragile et rien n’est jamais acquis – les événements récents le démontrent –, mais la situation dans la région s’est beaucoup améliorée. La Croatie est entrée dans l’Union européenne et d’autres pays de la région sont en discussion avancée avec elle. Tout cela devrait aussi nous aider. Pour la Bosnie, entretenir de bonnes relations avec ses voisins dans la région est une condition essentielle pour ramener la stabilité intérieure.
Merci donc, chers amis de la communauté internationale, de continuer à nous aider pour favoriser ce développement positif! Car je ne vous cache pas que des difficultés peuvent toujours surgir. Notre région a échappé aux dernières vagues d’attentats terroristes, mais la menace existe. J’ai parlé à mes homologues de la région et nous sommes conscients du fait que nous devons mieux coordonner nos efforts pour faire face à la menace.
Cela impose, bien sûr, des actes politiques. Les dirigeants politiques doivent être très fermes. Il faut éviter les messages qui opposent et ne pas accuser les autres communautés. Mais si les dirigeants d’une communauté politique ou religieuse dénoncent eux-mêmes certains travers, peut-être seront-ils écoutés. En tout cas, nous devons jeter les bases d’une lutte efficace contre le terrorisme. Cela passe aussi par une coopération plus étroite des services de sécurité et de renseignement.
Par ailleurs, nous devons prendre conscience de l’importance que revêt le problème des combattants étrangers dans les rangs terroristes. Combien de nos ressortissants sont-ils en Libye, en Syrie ou ailleurs? Au moins 200, c’est sûr. Ils représentent une menace potentielle très grave. C’est tous ensemble que nous devons affronter ces problèmes.
En tout cas, il y a vingt ans, nous aurions difficilement pu imaginer que la Bosnie et la Serbie présideraient au même moment les deux plus grandes organisations européennes en matière d’Etat de droit, de démocratie de droits de l’homme et de sécurité: le Conseil de l’Europe, d’une part, l’OSCE, d’autre part. Pourtant, c’est la réalité aujourd’hui et, non seulement la Bosnie et la Serbie président chacune une organisation, mais elles travaillent dans le sens d’une meilleure coordination de leurs actions, car ce n’est qu’ainsi que nous pourrons répondre aux problèmes rencontrés aujourd’hui par notre continent.
Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, il y a 60 ans, les pères fondateurs du Conseil de l’Europe ont eu le courage de jeter les bases de cette Organisation ici, à Strasbourg, sur les ruines de la guerre. Ils l’ont créé pour défendre la démocratie, la prééminence du droit et les droits de l’homme.
Malheureusement, nous avons assisté ces derniers temps à des attaques terroristes, nous sommes les témoins de ces drames en Méditerranée. Toutes ces menaces fragilisent notre continent. Nos accomplissements en matière de démocratie, de droits de l’homme et d’Etat de droit ne doivent jamais être considérés comme définitivement acquis. Tout peut arriver à tout moment et venir ébranler la paix de notre continent.
Que faire pour affronter les crises actuelles?
À mon avis, il y a une réponse à trouver dans le rapport sur l’état de la sécurité démocratique en Europe du Secrétaire Général. Tous les Etats membres doivent respecter pleinement leurs engagements, les conventions et les valeurs de l’Organisation. L’Organisation doit aussi utiliser son savoir-faire exceptionnel et les moyens non contraignants dont elle dispose pour lutter, davantage encore, contre la haine, l’intolérance et l’extrémisme. Les Etats membres doivent être tout à fait déterminés à faire triompher la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit, valeurs qui doivent être partie intégrante du système européen.
Dans ce contexte, je ne peux que me féliciter de l’adoption par le Comité des Ministres du plan d’action de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. Je suis favorable au Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur la prévention du terrorisme, pour faire face notamment au problème des combattants étrangers.
De nombreux jeunes ont quitté la sécurité de leur foyer pour rejoindre des organisations terroristes en Syrie ou en Irak. Que ces jeunes aient choisi le terrorisme nous trouble. Ce protocole additionnel doit donc être adopté très rapidement et être ouvert à la signature dans les prochains mois.
Les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui nous dépassent. Aucun pays ne saurait les résoudre seul. Ce n’est qu’en travaillant ensemble, en étroite liaison d’ailleurs avec votre Assemblée, le Comité des Ministres et le Congrès, que les Etats membres pourront relever ces défis.
Vous êtes, je l’ai déjà dit, les représentants de 800 millions de citoyens et, à ce titre, vous avez joué un rôle très actif.
Je voudrais aussi insister sur l’Alliance des parlementaires contre la haine, que vous avez créée. Je rends aussi hommage à vos débats sur des problèmes tels que la discrimination en Europe, le radicalisme, le terrorisme, la cybercriminalité, ou encore la situation des réfugiés. Votre décision de créer le statut de partenaire pour la démocratie a été véritablement visionnaire. Elle démontre votre engagement pour faire progresser vos idées, y compris dans les pays voisins du Conseil de l’Europe.
Le Conseil de l’Europe a accumulé un patrimoine unique. Avec la Cour européenne des droits de l’homme et son système de suivi de l’exécution des arrêts, votre Organisation – notre Organisation – est aujourd’hui une référence mondiale en matière de droits de l’homme, et j’espère que l’Union européenne résoudra très rapidement les problèmes de procédure de manière qu’elle puisse adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme.
Notre Commission européenne pour la démocratie par le droit – la Commission de Venise – est aussi une autorité incontestable en matière de droit constitutionnel. On demande ses avis de toutes parts, y compris des pays qui ne sont pas membres du Conseil de l’Europe.
Depuis 20 ans, l’Europe a beaucoup changé, politiquement et institutionnellement. Malgré cela, le Conseil de l’Europe, à travers ses trois grands domaines d’activité – les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit – continue d’avoir une très grande influence sur les choix institutionnels qui sont faits sur notre continent. Bien entendu, le Conseil doit continuer à s’adapter aux évolutions et à coopérer avec d’autres organisations européennes et internationales. Les menaces qui pèsent sur la paix et la stabilité, 76 ans après sa création, ont certes pris une forme différente, mais les réponses qu’il convient de leur apporter sont toujours les mêmes: ce sont la démocratie, l’Etat de droit et le respect des autres, en particulier quand ils sont différents.
Depuis sept décennies, le Conseil œuvre dans notre intérêt et celui des générations futures. Continuons ainsi!