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Rapport | Doc. 11579 | 15 avril 2008

Le fonctionnement des institutions démocratiques en Arménie

Commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. Georges COLOMBIER, France, PPE/DC

Corapporteur : M. John PRESCOTT, Royaume-Uni, SOC

Résumé

La vague de protestations publiques en Arménie, dont les tragiques événements du 1er mars ont été le point culminant, à la suite de l’élection présidentielle du 19 février 2008, était peut-être inattendue, mais la commission de suivi considère que les causes sous-jacentes de la crise ont des racines plus profondes dans l’incapacité des institutions principales de l’Etat, y compris le parlement et les tribunaux, à remplir leurs fonctions en pleine conformité avec les normes démocratiques ainsi que les principes de la prééminence du droit et de la protection des droits de l’homme.

La commission de suivi condamne l’arrestation et la détention continue d’un grand nombre de personnes, y compris plus de 100 partisans de l’opposition et trois membres du parlement, pour des motifs qui semblent être politiques, et cela sans contrôle judiciaire approprié.

Pour mettre fin à la crise actuelle en Arménie et permettre à ce pays d’avancer dans les réformes urgentes mentionnées dans le rapport, un dialogue franc et constructif entre les forces politiques de la société arménienne doit être engagé. Pour entamer un tel dialogue, un certain nombre de conditions doivent être remplies:

  • une enquête indépendante, transparente et crédible sur les événements du 1er mars et les circonstances qui les ont déclenchés – y compris le recours à la force prétendument excessif de la part de la police – doit être immédiatement menée. La communauté internationale doit se tenir prête à suivre et assister cette enquête;
  • les personnes détenues à la suite des récents événements, sur des motifs d’accusations qui semblent artificiels et politiques, doivent être libérées immédiatement;
  • les amendements récents à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations, qui sont contraires aux normes européennes, doivent être abrogés avec effet immédiat.

Tant que ces conditions ne sont pas remplies et qu’un dialogue franc sur les réformes n’est pas sérieusement engagé entre les forces politiques de la société arménienne, la crédibilité de l’Arménie en tant que membre du Conseil de l’Europe est mise en cause. Par conséquent, la commission est d’avis que l’Assemblée devrait envisager la possibilité de suspendre le droit de vote de la délégation arménienne auprès de l’Assemblée au début de la partie de session de juin 2008 si aucun progrès considérable n’a été accompli d’ici là sur ces exigences.

A. Projet de résolution

(open)
1. Une élection présidentielle a eu lieu le 19 février 2008 en Arménie. Même si elle «a respecté pour l’essentiel les normes et engagements du Conseil de l’Europe», la commission ad hoc qui a suivi cette élection a relevé un nombre d’insuffisances et d’irrégularités, dont les plus importantes étaient: des conditions de campagne inégales, l’absence de transparence dans l’administration du processus électoral, ainsi que l’instauration d’une procédure de plaintes et de recours n’offrant pas la possibilité d’accès à un recours juridique effectif aux plaignants. De plus, un certain nombre de cas de fraude électorale ont été observés.
2. L’Assemblée parlementaire regrette que les irrégularités et insuffisances observées n’ont guère contribué à accroître la confiance de la population dans le processus électoral – qui fait actuellement défaut – et ont suscité des interrogations parmi la population arménienne quant à la légitimité des résultats. Ce manque de confiance de la population a suscité des protestations pacifiques à la suite de l’annonce des résultats préliminaires, qui, dans un premier temps, ont été tolérées par les autorités.
3. L’Assemblée déplore les affrontements qui ont eu lieu le 1er mars 2008 entre la police et les manifestants, et l’escalade de violence, qui ont coûté la vie à huit personnes alors que des centaines d’autres ont été blessées. Les circonstances exactes qui ont mené aux événements tragiques du 1er mars ainsi que les modalités d’intervention des autorités, notamment l’imposition de l’état d’urgence du 1er au 20 mars 2008 à Erevan et le recours à la force prétendument excessive de la part de la police, sont des questions controversées et doivent nécessairement faire l’objet d’une enquête indépendante crédible.
4. L’Assemblée condamne l’arrestation et la détention continue d’un grand nombre de personnes, y compris plus de 100 partisans de l’opposition et trois membres du parlement, pour des motifs qui semblent être politiques. Ceux-ci constituent des mesures de répressions de facto contre l’opposition par les autorités.
5. Grâce à une évolution positive de la situation et à l’initiative du nouveau Président, M. Serzh Sargsyan, quatre des cinq partis au parlement ont signé, le 21 mars 2008, un accord visant à former un gouvernement de coalition. Cependant, le fait que le Parti du patrimoine ainsi que les partis extraparlementaires qui ont soutenu la candidature de M. Levon Ter-Petrosyan n’aient pas rejoint la coalition réduit les chances de ladite coalition de résoudre la crise arménienne actuelle.
6. La vague de protestations publiques, dont les tragiques événements du 1er mars ont été le point culminant, était peut-être inattendue, mais l’Assemblée considère que les causes sous-jacentes de la crise ont des racines plus profondes dans l’incapacité des institutions principales de l’Etat à remplir leurs fonctions en pleine conformité avec les normes démocratiques ainsi que les principes de la prééminence du droit et de la protection des droits de l’homme. Plus spécifiquement:
6.1. l’Assemblée nationale de l’Arménie n’a pas pu jusqu’à présent jouer son rôle en tant que forum de débat et de compromis entre les différentes forces politiques, ce qui ne laisse à l’opposition guère d’autre choix que celui de descendre dans la rue. Fondé sur le mode du «vainqueur emporte tout», le système politique actuel exclut l’opposition de toute participation effective au processus de décision et de gouvernance du pays;
6.2. à cause d’un processus électoral déficient, une partie considérable de l’éventail des partis politiques existant en Arménie n’est pas représentée au sein de l’Assemblée nationale actuelle. De plus, le manque de confiance de la population dans ce processus sape globalement la légitimité du résultat des élections aux yeux du public arménien. Cela est davantage aggravé par l’absence d’impartialité de l’administration électorale, le traitement inefficace des plaintes et des recours, ainsi que le manque de transparence dans le décompte des voix et dans les procédures de dépouillement;
6.3. malgré des réformes législatives, les tribunaux manquent toujours de l’indépendance nécessaire pour inspirer confiance à la population en tant qu’arbitres impartiaux, notamment dans le contexte des différends électoraux. S’explique ainsi le nombre relativement faible de plaintes formelles déposées auprès des tribunaux. De même, leur manque d’indépendance se reflète dans le fait que les tribunaux ne semblent pas s’interroger sur la nécessité de garder des personnes en détention en attendant leur procès et répondent en général favorablement aux demandes déposées par les procureurs, sans examiner de manière appropriée si cette détention est justifiée, en conformité avec l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l’homme;
6.4. en l’absence d’un contrôle judiciaire approprié, l’arrestation et la détention continue des personnes au seul motif de participation à la manifestation organisée à la suite de l’élection présidentielle – sans aucune preuve d’actes de violence avérés – ou au motif d’autres accusations apparemment tout aussi artificielles portées contre des personnes qui ont contesté l’équité de l’élection présidentielle, ne peuvent qu’indiquer la motivation politique de tels actes et ainsi l’existence en Arménie de prisonniers politiques présumés. Cela est inacceptable dans un Etat membre du Conseil de l’Europe et ne peut être toléré par l’Assemblée;
6.5. le niveau actuel de contrôle des médias et de leurs organes de régulation par les autorités ainsi que l’absence de radiodiffuseur de service public réellement indépendant et pluraliste empêchent la création d’un environnement médiatique pluraliste et ne font qu’exacerber la méfiance de l’opinion à l’égard du système politique.
7. Quelques jours avant l’expiration de l’état d’urgence, le 17 mars 2008, sur proposition du gouvernement, l’Assemblée nationale, dans une session extraordinaire et sans débat, a adopté une série d’amendements à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations, qui limitent de façon considérable le droit à la liberté de réunion et accordent aux autorités d’importants pouvoirs discrétionnaires d’interdiction des rassemblements et des manifestations. Par conséquent, ces amendements vont à l’encontre des normes européennes, notamment de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que des obligations et engagements de l’Arménie en tant qu’Etat membre du Conseil de l’Europe. Dans un projet d’avis conjoint, la Commission européenne pour la démocratie par le droit du Conseil de l’Europe (Commission de Venise) et l’OSCE/BIDDH ont également considéré ces amendements comme inacceptables.
8. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1532 (2007) sur le respect des obligations et engagements de l’Arménie, et redemande instamment aux autorités arméniennes d’entreprendre les réformes suivantes sans plus tarder:
8.1. le système politique doit être réformé en vue de donner une place et des droits appropriés à l’opposition;
8.2. le processus électoral doit être entièrement réformé en vue d’assurer, notamment: l’impartialité de l’administration électorale, qui doit être libre de tout contrôle de la part d’une quelconque force politique; l’entière transparence de l’administration du processus électoral, notamment pour ce qui concerne le décompte des voix et le processus de dépouillement, ainsi que l’instauration d’une procédure de plaintes et de recours donnant le plus large accès possible aux recours juridiques à tous ceux qui participent aux élections et qui auraient observé des violations; des conditions de campagne égales pour toutes les forces politiques doivent être garanties dans la pratique tant pendant la période de campagne électorale officielle, qu’avant celle-ci;
8.3. il faut garantir l’indépendance de tout intérêt politique de la Commission nationale de radio et de télévision et du Conseil de télévision et de radiodiffusion de service public. De plus, la composition de ces organes doit être révisée afin d’assurer que ceux-ci soient véritablement représentatifs de la société arménienne. Les recommandations faites à cet égard par la Commission de Venise et les experts du Conseil de l’Europe doivent enfin être prises en considération. L’Assemblée réitère qu’au-delà de la révision du cadre législatif, les autorités doivent prendre des mesures pour assurer au quotidien la liberté et le pluralisme de la radio et de la télévision publiques. De plus, le harcèlement par les autorités fiscales des médias électroniques et de la presse écrite de l’opposition doit cesser;
8.4. la liberté de réunion doit être garantie tant dans la loi que dans la pratique, en conformité avec l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme; cela nécessite l’abrogation des amendements récemment adoptés par l’Assemblée nationale à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations, avec effet immédiat;
8.5. les autorités doivent redoubler d’efforts en vue de mettre en place un pouvoir judiciaire véritablement indépendant et de renforcer la confiance de la population dans les tribunaux;
8.6. les arrestations et détentions arbitraires, ainsi que les mauvais traitements des détenus, notamment pendant la garde à vue, doivent cesser. Un mécanisme de contrôle public efficace au niveau de la police doit être garanti dans la loi et dans la pratique.
9. Pour leur part, toutes les forces de l’opposition doivent reconnaître l’autorité de la décision de la Cour constitutionnelle confirmant les résultats des élections annoncés par la Commission électorale centrale. Cela ne devrait pas être interprété comme constituant l’obligation d’en accepter le bien-fondé. Tous ceux qui contestent le résultat des élections ont le droit de remettre en cause cette décision par tout moyen juridique disponible, y compris la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg.
10. L’Assemblée considère que le seul moyen de mettre fin à la crise institutionnelle actuelle en Arménie et de permettre à ce pays d’avancer vers la mise en œuvre des réformes urgentes susmentionnées est l’instauration, entre toutes les forces politiques de la société arménienne, d’un dialogue franc et constructif. L’Assemblée avait déjà souligné il y a plus d’un an la nécessité d’un tel dialogue afin d’assurer la mise en œuvre effective de la réforme constitutionnelle, quand elle adoptait sa Résolution 1532 (2007).
11. Compte tenu du fait qu’une partie considérable de l’éventail des partis politiques existant en Arménie n’est pas représentée au sein de l’Assemblée nationale actuelle, un tel dialogue devrait inclure les forces politiques parlementaires et extraparlementaires. L’Assemblée se déclare prête à faire office de médiateur entre les différentes forces et à garantir l’entière participation à ce processus des organes compétents du Conseil de l’Europe, et notamment de la Commission de Venise.
12. Toutefois, l’Assemblée considère que, pour qu’un tel dialogue puisse être engagé et mené à bien, certaines conditions doivent être remplies en priorité afin de gagner la confiance de l’opposition et de montrer que la majorité au pouvoir est sérieusement engagée à poursuivre les réformes:
12.1. une enquête indépendante, transparente et crédible sur les événements du 1er mars et les circonstances qui les ont déclenchés – y compris le recours à la force prétendument excessif de la part de la police – doit être immédiatement menée; la communauté internationale doit se tenir prête à suivre et assister cette enquête;
12.2. les accusations à l’encontre de tous les partisans de l’opposition et des membres du parlement arrêtés après l’élection présidentielle, qui, à titre personnel, n’ont commis aucun acte de violence, doivent être retirées et les personnes en question – qui sont des prisonniers politiques présumés – doivent être immédiatement libérées;
12.3. les amendements récemment adoptés par l’Assemblée nationale à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations doivent être abrogés avec effet immédiat.
13. Tant que ces conditions ne sont pas remplies et qu’un dialogue franc sur les réformes mentionnées au paragraphe 8 n’est pas sérieusement engagé entre les forces politiques arméniennes, la crédibilité de l’Arménie en tant que membre du Conseil de l’Europe est mise en cause. Par conséquent, l’Assemblée devrait envisager la possibilité de suspendre le droit de vote de la délégation arménienne auprès de l’Assemblée au début de la partie de session de juin 2008 si aucun progrès considérable n’a été accompli d’ici là sur ces exigences.
14. L’Assemblée continuera à suivre de près la situation en Arménie sur la base des informations fournies par sa commission de suivi, notamment pour ce qui concerne les progrès accomplis concernant les conditions mentionnées ci-dessus.

B. Exposé des motifs, par MM. Colombier et Prescott

(open)

1. Contexte

1. Une élection présidentielle a eu lieu en Arménie le 19 février 2008. Cette élection était l’occasion d’évaluer la volonté et la capacité politiques des autorités d’organiser des élections véritablement démocratiques et de consolider les avancées démocratiques de l’Arménie. Le Président sortant, M. Robert Kotcharian, ne pouvant se représenter du fait de la limite de deux mandats imposée par la Constitution, ces élections étaient également un important indicateur de la future direction politique du pays.
2. La candidature inattendue de l’ancien Président, M. Levon Ter-Petrosyan, premier Président arménien de 1991 à 1998, a modifié la dynamique de ces élections. Sa candidature a en effet considérablement augmenté la nature concurrentielle des élections: d’une part, M. Serzh Sargsyan, Premier ministre et candidat du Parti républicain au pouvoir, estimait, avant cet événement, avoir gagné les élections d’avance; d’autre part, le débat s’est beaucoup envenimé pendant la course à la présidence.
3. Une commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée parlementaire a observé les élections en tant que membre de la mission internationale d’observation des élections (MIOE), qui comprenait aussi des délégations de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE (OSCE-AP), du Parlement européen (PE) et de la mission d’observation des élections du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH). Le rapport de la commission ad hoc a été présenté à l’Assemblée dans le Doc. 11564 (2008). Le présent exposé se contentera de faire référence aux conclusions et résultats essentiels du rapport.
4. Dans la présentation de ses constats préliminaires et conclusions, faite le jour qui a suivi les élections, la MIOE conclut que «l’élection présidentielle arménienne du 19 février 2008 s’est déroulée en gros conformément aux normes et engagements de l’OSCE et du Conseil de l’Europe (…) Cependant, d’autres améliorations et une volonté politique égale s’avèrent toujours nécessaires pour s’attaquer aux défis qui subsistent, au nombre desquels on peut citer l’absence d’une séparation claire entre les fonctions de l’Etat et celles des partis politiques, le manque de confiance de la population dans le processus électoral et l’inégalité de traitement des candidats aux élections».
5. Le manque de confiance de la population dans le processus électoral et dans le résultat des élections constitue l’un des obstacles majeurs à la conduite d’élections démocratiques en Arménie. La mission préélectorale qui s’est rendue en Arménie du 29 au 31 janvier 2008 a estimé que cette méfiance représentait pour les autorités le défi essentiel à relever dans la perspective d’une élection présidentielle. Malheureusement, la commission ad hoc d’observation de l’élection présidentielle conclut dans son rapport que les conditions de campagne inégales, les problèmes relevés lors du décompte des votes et du dépouillement, ainsi que la gestion des plaintes se rapportant aux élections, n’ont fait qu’aggraver la méfiance de la population à l’égard du processus électoral.
6. La Commission électorale centrale arménienne (ci-après CEC) a annoncé le résultat définitif des élections le 24 février. Le taux de participation a été de 70 %. M. Serzh Sargsyan, candidat appartenant au Parti républicain au pouvoir, a remporté les élections avec 52,7 % des votes, contre 21,5 % pour M. Levon Ter-Petrosyan et 16,7 % pour M. Arthur Baghdasarian, ex-président de l’Assemblée nationale. Un second tour était donc inutile.
7. Dès l’annonce des résultats préliminaires, le 20 février 2008, M. Ter-Petrosyan a déclaré que les élections étaient entachées de «fraudes et d’irrégularités massives» et qu’il avait en réalité remporté les élections. De son côté, M. Arthur Baghdasarian, alléguant des irrégularités, remettait en question la légitimité des élections, alors que M. Vahan Hovhannisian, arrivé quatrième, démissionnait de son poste de vice-président de l’Assemblée nationale en invoquant les mêmes motifs.
8. Compte tenu, d’une part, du manque de confiance de la population dans le processus électoral et, d’autre part, des allégations de fraudes formulées par la plupart des adversaires de M. Serzh Sargsyan, il n’est pas surprenant que de nombreuses personnes aient suivi l’appel de M. Levon Ter-Petrosyan à manifester contre le résultat des élections, et ce, bien qu’il eût déjà qualifié les élections de frauduleuses avant leur déroulement. A la suite de l’annonce des résultats préliminaires, l’équipe de campagne de M. Ter-Petrosyan a organisé tous les jours des rassemblements pacifiques de protestation et un campement permanent a été installé sur la place de la Liberté.
9. Les autorités ont, dans un premier temps, toléré les rassemblements et les marches de protestation. Mais, le 23 février, le Président Kotcharian a durci le discours officiel en taxant les protestations de «tentative illégale de prise du pouvoir».
10. L’opposition s’est sentie confortée dans son action lorsque plusieurs hauts responsables de l’Etat ont publiquement qualifié les élections de frauduleuses et déclaré leur soutien à M. Levon Ter-Petrosyan. Les hauts responsables en question ont été démis de leurs fonctions. Un certain nombre d’entre eux ainsi que plusieurs militants de l’opposition ont été arrêtés sous des chefs d’accusation visiblement fantaisistes, ce qui a donné l’impression que leur mise en examen était politiquement motivée. Selon l’Association d’Helsinki pour les droits de l’homme en Arménie, 14 personnes au total ont été arrêtées et mises en examen entre le 20 et le 29 février 2008.
11. Le 26 février, le Premier ministre et futur Président Serzh Sargsyan a offert de coopérer avec les autres candidats à la présidence. Le 29 février 2008, après avoir conclu un accord politique précisant la teneur de la coopération, M. Arthur Baghdasarian a accepté l’offre qui lui était faite.
12. MM. Tigran Karapetian et Levon Ter-Petrosyan, candidats à la présidentielle, ont fait appel du résultat des élections devant la Cour constitutionnelle respectivement les 27 et 29 février 2008. Après avoir prononcé la jonction des requêtes, la Cour constitutionnelle devait, en vertu des dispositions légales, rendre son arrêt sous dix jours, c’est-à-dire avant le 9 mars 2008.
13. Les circonstances exactes qui ont mené aux événements tragiques du 1er mars 2008 ainsi que les modalités d’intervention des autorités, notamment la déclaration de l’état d’urgence, doivent nécessairement faire l’objet d’une enquête indépendante officielle. Quoi qu’il en soit, selon la version officielle, la police a tenté, le 1er mars 2008 à l’aube, de procéder à une fouille du campement de la place de la Liberté. Face à la résistance des manifestants, la police a décidé de démonter le campement. Au cours de cette intervention, 31 personnes ont été blessées selon des sources officielles – et M. Levon Ter-Petrosyan a été de facto placé en résidence surveillée 
			(1) 
			Les
autorités ont indiqué qu’il était libre de se déplacer à condition
de renoncer à sa garde rapprochée, ce qui lui est impossible étant
donné les menaces avérées contre sa sécurité personnelle et sa propre
vie, dont les autorités ont évidemment connaissance.. Plus tard dans l’après-midi, les manifestants ont repris leur mouvement dans un autre quartier de Erevan, théâtre de nouveaux affrontements avec la police. Le 1er mars au soir, la situation s’était tellement aggravée – 7 morts parmi les manifestants et 1 mort parmi la police (selon les chiffres officiels) – que le Président Kotcharian, estimant que la stabilité du pays était menacée, déclarait l’état d’urgence à Erevan.
14. Après la déclaration de l’état d’urgence, un nombre considérable de partisans de M. Levon Ter-Petrosyan ont été arrêtés pour infraction pénale, y compris pour tentative de renversement du gouvernement. Ces arrestations, que l’on ne peut taxer que de mesures de répressions de facto contre l’opposition, n’ont fait qu’aggraver le climat déjà tendu et clivé qui règne dans le pays.
15. Sur demande du Président de l’Assemblée parlementaire, le président de la commission ad hoc d’observation de l’élection présidentielle, M. John Prescott, s’est rendu en Arménie les 7 et 8 mars 2008, pour évaluer la situation post-électorale sur le terrain et trouver les moyens de désamorcer la crise politique et d’encourager le dialogue. Lors de sa réunion tenue à Paris le 18 mars 2008, la commission de suivi a adopté une déclaration, après examen des constats et conclusions de M. Prescott. Les constats et conclusions en question font partie intégrante du présent rapport.
16. Le samedi 8 mars, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt rejetant les appels introduits par MM. Tigran Karapetian et Levon Ter-Petrosyan, et confirmant les résultats des élections annoncés par la Commission électorale centrale (CCE). La Cour constitutionnelle a néanmoins indiqué qu’il était nécessaire d’éclaircir certains points du Code électoral relatifs au processus de dépôt de plaintes et d’introduction de recours. Elle a également déféré plusieurs cas d’irrégularités électorales au bureau du procureur général, afin qu’il diligente des enquêtes et engage des poursuites.
17. M. Levon Ter-Petrosyan conteste la validité de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle au motif que la décision a été prise pendant l’état d’urgence. Selon lui, l’état d’urgence interdit toute décision concernant un recours électoral, étant donné que la Constitution dispose qu’une élection, y compris le processus d’appel électoral, ne peut avoir lieu lorsque l’état d’urgence a été décrété. La Cour constitutionnelle a rejeté cet argument.
18. Deux dispositions du décret sur l’état d’urgence ont été levées le 10 mars 2008. Celles concernant les médias ont été partiellement levées le 13 mars 2008 et les autres, le 20 mars 2008, date d’expiration du décret. Cependant, le 17 mars 2008, soit trois jours avant l’expiration du décret, le parlement, réuni en session extraordinaire, a adopté une série de modifications – qui font l’objet d’une polémique – de la loi sur la conduite de réunions, d’assemblées, de rassemblements et de manifestations. Ces modifications, examinées en détail dans la suite du présent rapport, limitent de façon considérable le droit à la liberté de réunion et accordent aux autorités d’importants pouvoirs discrétionnaires d’interdiction des rassemblements et des manifestations. Par conséquent, les dispositions correspondantes du décret proclamant l’état d’urgence non seulement sont restées de facto en vigueur, mais ont été étendues à l’ensemble du territoire arménien.
19. Après la levée de l’état d’urgence, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées dans le centre de Erevan pour rendre hommage aux personnes décédées lors des événements du 1er mars. De plus, diverses manifestations de protestation – marches silencieuses, chaînes de solidarité, etc. – ont été organisées ou sont apparues de façon spontanée. En réaction, la police a arbitrairement placé en détention un très grand nombre de personnes, y compris selon certaines sources – des passants innocents, sous prétexte que ces personnes prenaient part aux manifestations. La plupart des manifestants ont été relâchés quelques heures plus tard sans être accusés de délit. La détention prolongée de militants d’opposition pour leur participation aux manifestations du 1er mars et à des actions de protestation antérieures compromet les chances de voir s’instaurer un dialogue constructif entre les autorités et l’opposition.
20. On ne peut que se féliciter de l’accord conclu le 21 mars 2008 par quatre des cinq partis d’opposition au parlement dans le but de former un gouvernement de coalition. Cependant, le fait que le Parti du patrimoine ainsi que les partis extraparlementaires qui ont soutenu la candidature de M. Levon Ter-Petrosyan aux élections n’aient pas rejoint la coalition réduit les chances de ladite coalition de résoudre la crise arménienne actuelle.
21. On peut certes considérer que les événements qui ont suivi l’élection présidentielle étaient inattendus, il n’en reste pas moins que les causes sous-jacentes de la crise actuelle en Arménie préoccupent depuis longtemps l’Assemblée et figuraient déjà dans les rapports précédents de la commission de suivi: manque total de confiance du public dans le processus électoral et son résultat, polarisation du climat politique, absence de dialogue politique entre les autorités et l’opposition, mais aussi absence de liberté des médias et contrôle accru des forces au pouvoir sur la société.

2. Processus électoral

22. Jusqu’en 2007, aucune des élections organisées en Arménie n’a été jugée conforme aux normes du Conseil de l’Europe pour des élections démocratiques. Dans sa Résolution 1361 (2004) adoptée en janvier 2004, l’Assemblée demandait instamment aux autorités arméniennes de réformer leur Code électoral et de prendre des mesures concrètes pour mettre fin à l’impunité en matière de fraudes et d’infractions lors d’élections. Pour faire suite à cette recommandation, les autorités ont modifié le Code électoral en 2005. D’autres modifications ont été apportées en 2006 à la suite de la réforme constitutionnelle de modification du système électoral arménien. Le Code électoral a de nouveau été modifié pendant la période précédant les élections législatives du 12 mai 2007.
23. Dans leur Avis conjoint sur le Code électoral modifié 
			(2) 
			CDL-AD(2007)013 et
CDL-AD(2007)023., la Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH concluent que le Code électoral constitue une base appropriée pour la conduite d’élections démocratiques, à condition qu’il soit mis en œuvre de bonne foi et que les parties prenantes aux élections fassent preuve de la volonté politique nécessaire.
24. L’avis conjoint soulève également plusieurs problèmes importants restés sans solution et qui intéressent l’Assemblée, notamment les restrictions du droit de vote passif des Arméniens ayant une double nationalité 
			(3) 
			Les
citoyens arméniens possédant une double nationalité n’ont pas le
droit de se présenter à des élections législatives ou présidentielles.
Comme l’indique l’avis de la Commission de Venise et de l’OSCE/BIDDH (CDLAD(2007)023),
ces restrictions au principe du suffrage universel sont contraires
aux normes du Conseil de l’Europe pour des élections démocratiques., les dispositions réglementant le dépôt de plaintes et l’introduction de recours concernant des élections ainsi que la décision de ne pas mettre en place le mécanisme de marquage à l’encre des doigts des électeurs, censé éviter les votes multiples par une même personne.
25. Les élections législatives du 12 mai 2007 en Arménie ont témoigné d’améliorations encourageantes dans la conduite du processus électoral. La MIOE pour ces élections législatives, à laquelle l’Assemblée était partie prenante, a conclu à l’unanimité: «[lesdites élections] montrent des améliorations et ont été conduites pour l’essentiel en conformité avec les engagements contractés à l’égard du Conseil de l’Europe et de l’OSCE et les normes internationales pour la tenue d’élections démocratiques. Les autorités arméniennes et les autres acteurs du processus électoral ont pris des mesures pour remédier aux insuffisances constatées lors des scrutins précédents mais le résultat n’est pas entièrement à la hauteur de leur intention déclarée d’organiser des élections pleinement conformes aux normes internationales et certaines questions n’ont toujours pas été résolues.» Cependant, dans son rapport à l’Assemblée, la commission ad hoc d’observation de ces mêmes élections notait que «les insuffisances et irrégularités, dont certaines assez graves, observées au cours des processus essentiels de dépouillement du scrutin et de présentation tabulaire des résultats jettent malheureusement une ombre sur une évaluation (...) positive» 
			(4) 
			Doc. 11312 (2007)..
26. Dans la période précédant l’élection présidentielle, les autorités avaient fréquemment déclaré leur ferme intention de poursuivre les améliorations du processus électoral engagées lors des élections législatives de 2007 et d’organiser une élection présidentielle pleinement conformes aux normes internationales. A cet égard, le cadre juridique pour la tenue des élections a été modifié en novembre et en décembre 2007. La Commission de Venise n’a pas été en mesure de rendre un avis sur les récentes modifications apportées au Code électoral, mais ces dernières semblaient pour l’essentiel répondre aux précédentes recommandations faites par la Commission de Venise et par l’Assemblée.
27. Comme cela est indiqué plus haut, pour que les améliorations apportées au Code électoral se traduisent par des élections effectivement plus démocratiques, il est essentiel que toutes les parties prenantes aux élections mettent en œuvre les dispositions du Code électoral en toute bonne foi. Malheureusement, le rapport de la commission ad hoc d’observation de l’élection présidentielle le rappelle, les autorités ont apporté des améliorations au cadre juridique mais n’ont pas fait preuve de la même volonté politique pour les mettre intégralement en œuvre. Cette insuffisance concerne plus particulièrement trois aspects qui ont eu un impact important sur la confiance accordée par la population au processus électoral: l’administration électorale, le traitement des contentieux électoraux (plaintes et recours) et la transparence des processus de dépouillement des votes et de présentation des résultats.
28. Comme le mentionne la Commission de Venise, le Code électoral est extrêmement détaillé. Du fait de cette complexité et des différents cycles de modifications, il présente des contradictions et des incohérences propices aux interprétations variées, que les différents acteurs politiques sont susceptibles d’utiliser pour justifier leurs positions.
29. Le Code électoral stipule que la composition globale de l’ensemble des commissions électorales permet, en théorie, de garantir un équilibre politique de l’administration des élections. Cependant, dans quasiment toutes les commissions de l’élection présidentielle à tous les niveaux, les postes de direction étaient détenus par des représentants des partis soutenant la candidature du Premier ministre ou par des représentants du Président, qui lui-même appuyait ouvertement la candidature du Premier ministre. Un déséquilibre analogue dans la composition des directions des commissions électorales avait également été observé lors des élections législatives de 2007. Cette situation, qui suscite de vives inquiétudes quant au risque de contrôle des commissions électorales par une force politique unique, entame gravement la confiance de la population et des candidats en ce qui concerne l’impartialité de l’administration des élections.
30. Pendant l’élection présidentielle, la Commission électorale centrale (CEC) a organisé peu de sessions formelles, préférant les réunions de travail informelles. Cette pratique, certes autorisée par la loi, a compromis la transparence de l’administration électorale.
31. La CEC est habilitée à recevoir les plaintes contre des décisions, actions ou inactions de commissions électorales subalternes. Cependant, le Code électoral ne précise pas que la CEC doit prendre des décisions formelles sur les plaintes qu’elle reçoit. En conséquence, la plupart des plaintes reçues n’ont pas fait l’objet d’un examen par la CEC au cours d’une session formelle. En outre, les décisions ont souvent été prises en l’absence des plaignants et sans tenir dûment compte des plaintes quant au fond. Par sa façon de traiter les plaintes et les demandes en appel, l’administration électorale n’a pas permis aux plaignants d’accéder à des recours juridiques effectifs, ce qui a contribué à la méfiance de la population concernant l’impartialité de l’administration électorale.
32. Les rapports des commissions ad hoc d’observation des élections législatives de 2007 et de l’élection présidentielle de 2008 indiquent que, malgré les efforts encourageants fournis par l’administration électorale, les processus de dépouillement des votes et de présentation des résultats ne sont toujours pas suffisamment transparents. Ce manque de transparence empêche la population de confirmer ou d’infirmer elle-même les allégations de fraude électorale. Etant donné la méfiance à l’égard du pouvoir, le public attache donc inévitablement plus de valeur aux allégations et aux rumeurs qu’aux comptes rendus officiels diffusés par les autorités.
33. A cet égard, le manque de confiance manifeste dans l’indépendance constitue un facteur aggravant. Le nombre relativement faible de plaintes formelles déposées auprès des tribunaux s’explique pourtant ainsi. Tout aussi troublants sont les propos de plusieurs interlocuteurs, rapportés par la commission ad hoc 
			(5) 
			Doc. 11564 (2008), paragraphe 14., selon lesquels le faible nombre de plaintes formelles pourrait également s’expliquer par la peur de représailles de la part des autorités.
34. Le Code électoral prévoit que tous les candidats ont accès aux médias et font campagne dans les mêmes conditions pendant la campagne électorale officielle. Ladite campagne électorale «officielle» est cependant très courte en comparaison de ce qu’on pourrait appeler la campagne électorale «réelle». Les rapports concernant les élections législatives et les élections présidentielles témoignaient déjà de conditions de campagnes inégales en faveur du pouvoir en place pendant les périodes de campagne officielle, mais cette inégalité s’est creusée avant la campagne officielle des dernières élections. Il est manifeste qu’en Arménie toutes les forces politiques ne se battent pas à armes égales, que ce soit pendant ou en dehors des campagnes électorales officielles. Les propos du Président nouvellement élu concernant une diminution supplémentaire de la durée des campagnes officielles sont à cet égard particulièrement inquiétants.

3. Système politique

35. En 2005, l’Arménie a modifié sa Constitution. Elle était accompagnée de près, dans cette activité, par le Conseil de l’Europe, et tout particulièrement par sa Commission de Venise. La Constitution révisée garantit une meilleure séparation et un meilleur équilibre des pouvoirs et définit un système gouvernemental plus conforme aux principes européens de la démocratie et de l’Etat de droit.
36. Cependant, le rapport sur le respect des obligations et engagements de l’Arménie, qui a fait l’objet d’un échange de vues à l’occasion de la partie de session de l’Assemblée de janvier 2007, souligne que «la mise en œuvre effective du nouveau système de gouvernement présuppose l’amélioration du climat politique et l’instauration du dialogue entre la coalition au pouvoir et l’opposition» 
			(6) 
			Doc. 11117 (2007), paragraphe 41..
37. Il est regrettable que l’Arménie ait très peu avancé sur ce sujet depuis la publication de ce rapport, raison, parmi d’autres, qui explique la crise politique actuelle.
38. Le climat politique arménien est fortement polarisé et fonctionne sur le mode «le vainqueur emporte tout», la coalition au pouvoir fixant et mettant en œuvre son programme politique sans consulter les minorités politiques ni tenir compte de leurs avis. Aussi l’opposition, frappée d’ostracisme par la majorité, n’a-t-elle aucun rôle ni aucune responsabilité dans les prises de décision et la gouvernance du pays. Ce monopole passe outre le rôle légitime de l’Assemblée nationale en tant que forum du débat et du compromis politique, et ne laisse guère à l’opposition d’autres choix que celui de descendre dans la rue.
39. Malheureusement, il s’agit là d’un système qui s’autoperpétue. L’exclusion de l’opposition, l’inégalité des règles du jeu entre opposition et pouvoir en place, le contrôle du système électoral par la majorité gouvernante, les stratégies souvent mal conçues et obstructionnistes de l’opposition – tel le boycott du référendum sur la Constitution –, autant de dysfonctionnements qui ont fragmenté l’opposition et réduit sa représentation au parlement.
40. A l’évidence, le système politique arménien actuel ne favorise pas le dialogue entre le pouvoir en place et l’opposition parlementaire. Conséquence de ce dysfonctionnement, une grande partie du spectre politique arménien n’est pas représentée au parlement. Tout dialogue constructif visant à résoudre la crise politique actuelle doit donc nécessairement associer les forces politiques parlementaires et les forces politiques extraparlementaires.

4. Pluralisme des médias et liberté d’expression

41. Le pluralisme et la liberté des médias en Arménie ont longtemps constitué un sujet de préoccupation pour l’Assemblée. Dans le rapport qu’ils ont présenté à l’Assemblée en janvier 2007, les corapporteurs notaient que «le pluralisme des médias est une condition sine qua non pour la tenue d’élections libres et équitables». Malheureusement, les inquiétudes qu’ils avaient exprimées alors demeurent.
42. Le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias a noté que «la restriction du pluralisme en matière de radiodiffusion reste un problème majeur»; et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a mentionné, en décembre 2007, que, malgré les améliorations apportées à la législation, «la situation actuelle des médias arméniens en général ne satisfait pas aux normes du Conseil de l’Europe».
43. Le principal organe de régulation des médias est la Commission nationale de radio et de télévision; le service public de radio et de télévision étant, quant à lui, supervisé par le Conseil de télévision et de radiodiffusion de service public. L’indépendance de ces deux organes constitue la principale source de préoccupation. Tous les membres du Conseil sont nommés par le Président, tandis que les membres de la commission sont nommés pour moitié par le Président et pour l’autre moitié par l’Assemblée nationale. Etant donné les forces motrices de l’Assemblée, que l’on a déjà décrites, cela signifie de facto que tous les membres qui siègent à ces deux organes sont issus de la faction politique au pouvoir. De plus, ils peuvent être démis de leurs fonctions à discrétion par le Président ou par l’Assemblée nationale, ce qui les rend vulnérables aux pressions politiques.
44. Comme l’ont noté les corapporteurs dans leur dernier rapport à l’Assemblée, ce manque d’indépendance du principal organe de régulation des médias suscite des préoccupations quant à une possible influence du gouvernement sur les médias qu’il régule. Le fait que deux diffuseurs indépendants, A1+ et Noyan Tapan TV, se soient vu retirer leurs licences semble confirmer ces craintes.
45. En outre, la déclaration de conclusions préliminaires et les conclusions de la MIOE, qui a observé l’élection présidentielle du 19 février, relèvent que tous les médias privés avaient systématiquement présenté la campagne du Premier ministre sous un jour positif en se servant de séquences semblables, ce qui donnait à penser qu’ils appliquaient des politiques éditoriales particulières et soulevait des interrogations quant à l’indépendance éditoriale des radiodiffuseurs.
46. La composition et le manque d’indépendance politique du Conseil de télévision et de radiodiffusion de service public font obstacle au pluralisme des informations qu’il diffuse, comme l’avait clairement fait apparaître la façon dont ils avaient couvert la période postélectorale au cours de laquelle ils s’étaient largement étendus sur le point de vue des autorités en ignorant ceux qui exprimaient des inquiétudes eu égard à la conduite des élections du 19 février.
47. Le harcèlement, par le fisc, des médias qui n’adhèrent pas à la ligne politique des autorités constitue une préoccupation particulière. GalaTV a fait l’objet d’un contrôle fiscal et a été condamnée à payer une amende de 25 millions de dram (environ 56 000 €) après avoir diffusé une séquence portant sur un meeting tenu, en septembre 2007, par Levon Ter-Petrosyan, au cours duquel ce dernier avait critiqué le bilan du gouvernement. Par ailleurs, des contrôles fiscaux auraient également été entamés récemment à l’égard de quatre quotidiens d’opposition (Chorrord Ishkhanutyun, ZhamanakYerevan, Haykakan Zhamanak, Aravot).
48. On note une plus grande diversité et une plus grande indépendance pour ce qui concerne la presse écrite, mais, en raison de la faible distribution des journaux, elle ne touche qu’un nombre limité de personnes. De plus, les contrôles fiscaux susmentionnés engagés à l’encontre de quatre quotidiens d’opposition soulèvent des interrogations quant à la question de savoir pendant combien de temps encore ce pluralisme de la presse écrite sera toléré par les autorités.
49. L’absence de pluralisme de l’environnement médiatique a eu un profond impact sur le climat politique au lendemain des élections. Le public n’ayant guère ou pas du tout confiance dans la version officielle des événements, il accorde un crédit disproportionné aux rumeurs qui circulent dans la rue, ce qui sape toute tentative effectuée en vue de restaurer la confiance dans les autorités et dans le système politique.

5. Etat d’urgence et arrestations en masse

50. Le 1er mars 2008, le Président a décrété l’état d’urgence à Erevan au motif que les manifestations constituaient une menace pour la stabilité du pays. Le décret est entré en vigueur immédiatement après qu’il eut été annoncé. Conformément aux dispositions constitutionnelles, la déclaration de l’état d’urgence a été confirmée par l’Assemblée nationale réunie en session extraordinaire le 2 mars 2008.
51. Le décret d’état d’urgence fixait les restrictions temporaires suivantes pour le territoire auquel il s’appliquait:
i. sont interdits les réunions, les rassemblements, les manifestations, les marches et autres événements et manifestations de masse;
ii. sont interdits les grèves et autres événements ou actions qui auraient pour effet d’entraver ou d’interrompre les activités d’organisations;
iii. est limitée la circulation des individus; les autorités répressives sont autorisées à réquisitionner, si nécessaire, des moyens de transport;
iv. est limitée la diffusion par les médias de reportages et d’informations concernant l’Etat et les questions de politique interne aux communiqués de presse des organes de l’Etat;
v. sont interdites la diffusion de feuilles volantes à contenu politique et autre type de propagande politique sans l’autorisation des organes compétents de l’Etat;
vi. sont temporairement suspendues les activités des partis et autres organisations politiques qui empêchent de remédier à la situation qui était à l’origine de la déclaration de l’état d’urgence;
vii. sera expulsé tout individu ne résidant pas dans la zone définie qui aura violé le régime juridique de la mesure spéciale, les dépenses afférentes à cette expulsion étant portées à son propre compte ou, au cas où il serait dépourvu de moyens, imputées au budget d’Etat de la République d’Arménie, étant entendu que les sommes exposées seront remboursées ultérieurement.
52. Le 3 mars 2008, conformément aux obligations contractées au titre de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et à l’article 15, les autorités arméniennes ont informé le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe que, pour la durée de l’état d’urgence, elles dérogeaient aux articles 8, paragraphe 1, article 10, paragraphe 1, article 11, paragraphe 1, de la Convention ainsi qu’à l’article 2, paragraphe 1, du Protocole no 4, ou qu’elles en limitaient la portée.
53. Bien qu’officiellement l’état d’urgence ait été déclaré uniquement à Erevan, un grand nombre des dispositions qu’il contient, notamment celles relatives aux médias et aux activités des partis politiques et des ONG, ont été appliquées dans l’ensemble du pays. Un certain nombre de radiodiffuseurs ont cessé d’émettre soit de leur propre chef, soit sous la contrainte du Service de sûreté nationale. En outre, plusieurs nouveaux sites web ont été mis hors ligne à la suite de l’intervention du Service de sûreté nationale. Les restrictions mises aux rassemblements et aux manifestations n’ont pas été limitées à Erevan, mais ont également été appliquées à d’autres grandes villes d’Arménie.
54. Le 10 mars 2008, le Président de l’Arménie a levé les restrictions à la liberté de circulation, les restrictions aux activités des partis et des organisations publiques ainsi que la mesure concernant l’expulsion des personnes ne résidant pas à Erevan.
55. Le 13 mars, le Président a partiellement levé les restrictions imposées aux médias en les modifiant comme suit: «Sont interdites la publication ou la diffusion par les agences de médias d’informations concernant l’Etat et les questions internes manifestement fausses ou déstabilisantes ou d’appels à participer à des activités non autorisées (illégales) ainsi que la publication et la diffusion de telles informations et de tels appels par tout autre moyen ou sous toute autre forme.»
56. Toutefois, dans son rapport, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui s’est rendu en Arménie du 12 au 15 mars 2008, note que la modification des dispositions concernant les médias n’avait guère eu d’effet pratique sur la diffusion des informations, puisque le niveau précédent de censure avait été maintenu de facto 
			(7) 
			CommDH(2008)11, section
6..
57. Le décret instaurant l’état d’urgence a expiré le 20 mars 2008 et ses dispositions ont été levées 
			(8) 
			Toutefois, le 17 mars
2008, le parlement a adopté une série d’amendements à la loi relative
à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations,
qui non seulement maintenaient, de facto,
les dispositions relatives aux rassemblements et aux manifestations
politiques contenues dans le décret instaurant l’état d’urgence
en vigueur, mais les étendaient à l’ensemble du territoire de l’Arménie.
Ces amendements sont examinés plus en détail ci-dessous..
58. A la suite de la déclaration de l’état d’urgence, un grand nombre de personnes ont été arrêtées pour avoir participé à la manifestation du 1er mars 2008 et à des manifestations antérieures. Le 17 mars 2008, la «Helsinki Association d’Arménie» a publié une liste détaillée de 61 personnes qui se trouvaient en détention depuis l’élection présidentielle du 19 février, dont 14 personnes qui avaient été maintenues en détention entre le 20 et le 29 février 2008. Le procureur général a annoncé que, à la fin mars, 106 personnes avaient été arrêtées en liaison avec les événements du 1er mars 2008, y compris 3 des 4 parlementaires dont l’immunité avait été levée par le parlement après qu’ils eurent été accusés d’incitation au renversement de l’ordre public ou de tentative d’usurpation du pouvoir, ou encore de coup d’Etat au titre de l’article 300 du Code pénal. En outre, selon les chiffres officiels, 14 personnes ont été arrêtées entre le 20 et le 29 mars et 21 personnes ont été arrêtées depuis la levée de l’état d’urgence. Selon les rapports de plusieurs organisations non gouvernementales, le nombre des arrestations serait bien plus élevé que ne l’indiquent les chiffres officiels. De plus, l’arrestation de personnalités de l’opposition qui avaient participé à la manifestation se poursuivait sans relâche au moment de la rédaction du présent exposé des motifs.
59. Le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe souligne avec préoccupation les allégations de mauvais traitements et de recours à la force excessive par la police en liaison avec ces arrestations 
			(9) 
			CommDH(2008)11,
section 9..
60. La plupart des personnes arrêtées sont accusées d’incitation à l’émeute (article 225.3 du Code pénal), de violence à l’encontre d’un représentant des autorités (article 316 du Code pénal) et d’usurpation de pouvoir (article 300 du Code pénal). Comme le note le Commissaire aux droits de l’homme dans son rapport, le libellé de ces dispositions ménage au procureur une grande marge de discrétion; la définition de l’usurpation de pouvoir, notamment, «permet une interprétation très large et ne donne pas d’indication claire quant à la question de savoir où prend fin l’expression légitime d’un point de vue et où commence l’incitation à la violence» 
			(10) 
			CommDH(2008)11, section
12..
61. En général, les tribunaux répondent favorablement aux demandes déposées par les procureurs en vue d’une détention provisoire de deux mois sans examiner de manière appropriée si cette détention est justifiée (voir l’article 5, paragraphe 3, de la CEDH), ce qui soulève des interrogations quant à l’indépendance du judiciaire et à son rôle de «frein et contrepoids» face aux pouvoirs du procureur.
62. Les arrestations effectuées au seul motif de participation à la manifestation organisée à la suite de l’élection présidentielle – sans preuve aucune de la commission d’actes de violence – ou au motif d’autres accusations tout aussi artificielles portées contre des personnes ayant déclaré que l’élection présidentielle avait été entachée de fraude, ne peuvent être considérées que comme des actes de répression de la part des autorités à l’encontre de l’opposition. Cette répression sape la possibilité d’instaurer un dialogue constructif entre toutes les forces politiques d’Arménie. En outre, les corapporteurs sont vivement préoccupés par l’existence en Arménie de prisonniers politiques présumés, en raison du recours permanent à la mise en détention pour des motifs politiques.

6. Amendements à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations

63. Le 17 mars 2008, sur proposition du gouvernement, l’Assemblée nationale de l’Arménie, réunie en session extraordinaire, a adopté le jour même, en première et en deuxième lecture, la loi modifiant et complétant la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements, et manifestations. Cette loi a été promulguée par le Président de la République et est entrée en vigueur le 19 mars 2008. Le 21 mars 2008, M. Tigran Torossyan, président de l’Assemblée nationale, a demandé l’avis de la Commission de Venise sur ces amendements.
64. Le 28 mars 2008, la Commission de Venise du Conseil de l’Europe et l’OSCE/BIDDH ont publié sur ces amendements un avis conjoint 
			(11) 
			CDL(2008)037., lequel a été transmis au Président de l’Assemblée nationale. Dans leur avis, la Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH concluaient qu’ils «ne considéraient pas ces amendements comme acceptables, dans la mesure où ils limitent davantage, de manière substantielle, le droit de manifester».
65. Les amendements les plus importants étendent de manière significative les raisons de limiter ou d’interdire des manifestations publiques.
66. Conformément à la version originale de l’article 6, paragraphe 4.iii, de la loi, les manifestations publiques peuvent être interdites «si ces manifestations visent à renverser par la force l’ordre constitutionnel établi, à fomenter la haine nationale, raciale ou religieuse, ou à inciter à la violence ou à la guerre». Le texte amendé de cette disposition interdit aujourd’hui les manifestations publiques
«si, conformément à des données crédibles, elles visent à renverser par la force l’ordre constitutionnel établi ou à attiser la haine ethnique, raciale ou religieuse, ou à prêcher la violence ou la guerre, ou si elles risquent de provoquer des émeutes et des crimes de masse ou de saper la sécurité nationale, l’ordre public et la santé et la moralité de la société ou des ingérences dans les droits et libertés constitutionnels d’autres personnes. De telles données peuvent être considérées comme crédibles lorsque la police ou le Service national de sûreté subordonné au Gouvernement de la République d’Arménie ont publié un avis officiel sur ces données. De même, les organes susmentionnés publient un avis sur la suspension de tels motifs. Un tel avis est également publié, le cas échéant, au titre du paragraphe 6 du présent article».
67. De plus, un nouveau paragraphe 6 a été ajouté à l’article 9, qui ajoute une autre raison d’interdire les manifestations publiques de masse: «Au cas où une manifestation publique de masse aurait dégénéré en une émeute ayant provoqué la perte de vies humaines, alors, afin de prévenir la commission de nouveaux crimes, lorsque tous les autres moyens de prévention auront été épuisés, l’organe compétent peut interdire temporairement l’organisation de manifestations publiques de masse jusqu’à ce que les circonstances dans lesquelles ont eu lieu les crimes aient été élucidées et que leurs auteurs aient été identifiés.»
68. Si l’article 11, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme autorise des restrictions au droit à la liberté de réunion, l’interprétation des motifs pour l’imposition de telles restrictions doit être rigoureuse et cohérente, et un seuil très élevé doit être dépassé avant d’interdire l’organisation d’une manifestation publique. Comme mentionné dans l’avis de la Commission de Venise – OSCE/BIDDH, la pierre de touche pour la restriction ou l’interdiction d’une réunion publique devrait être la menace imminente d’une éruption de violence. Vouloir interdire une réunion au seul motif qu’elle vise à promouvoir des points de vue inconstitutionnels ou contestables se rapprocherait dangereusement d’une restriction fondée sur le contenu et reviendrait à une ingérence injustifiable dans la liberté de réunion.
69. De plus, la notion de «données crédibles» et ce qui est considéré comme étant une «donnée crédible» posent problème. La disposition en vertu de laquelle un avis officiel de la police ou du Service national de sûreté suffirait à faire interdire une manifestation publique est abusive, notamment en ce qu’elle donnerait des pouvoirs discrétionnaires substantiels à ces services. De plus, le libellé de cet article semble impliquer qu’un tel avis ne nécessiterait aucune justification de la part de la police ou du Service national de sûreté et serait définitif. Cela empêcherait toute révision par un tribunal ou une cour indépendants et entraverait, par conséquent, le droit à un recours effectif pour restriction substantielle du droit fondamental à la liberté de réunion.
70. Le nouveau paragraphe qui habilite les autorités à interdire les manifestations publiques «lorsque les manifestations ont dégénéré en émeutes et conduit à la perte de vies humaines» ouvre la voie à des restrictions arbitraires et à l’interdiction générale de manifestations totalement indépendantes des précédentes. Il convient de noter que la loi originale prévoyait déjà des pouvoirs adéquats en vue de mettre fin à une réunion qui aurait engendré la perte de vies humaines. De plus, les violences perpétrées par une minorité de participants ne devraient pas automatiquement déboucher sur la dispersion de toute la manifestation. Par ailleurs, la nouvelle disposition autoriserait potentiellement la police à disperser un événement public au cas où la perte de vies humaines aurait été due au recours excessif à la force par les autorités elles-mêmes.
71. Un amendement à l’article 10 de la loi supprime la référence à la transformation spontanée des manifestations publiques restreintes en manifestations publiques de masse. Cet amendement interdit de facto les réunions spontanées qui entrent pourtant dans le champ des garanties de l’article 11 de la CEDH. En outre, l’amendement semble impliquer que la police pourrait procéder à la dispersion d’une manifestation au seul motif qu’elle rassemble plus de 100 personnes 
			(12) 
			La loi entend par «manifestation
publique de masse» une manifestation rassemblant plus de 100 participants.. De plus, une personne peut être accusée de participer à une réunion illégale même si elle n’avait pas connaissance de la nature illégale de cette réunion.
72. D’autres amendements étendent de trois à cinq jours ouvrables le délai minimal requis pour la notification par les organisateurs d’une manifestation publique de masse, autorisent les autorités à entreprendre l’examen des demandes au bout de trois jours – au lieu du délai fixé au lendemain midi dans le texte original de la loi – et suppriment le délai dans lequel elles doivent parvenir à une décision. L’effet combiné de ces amendements semblerait donner aux autorités la latitude de limiter le droit à la liberté de réunion en s’abstenant de prendre une décision sur une demande d’organisation de manifestation publique.

7. Conclusions et recommandations

73. La vague de protestations publiques, dont les tragiques événements du 1er mars ont été le point culminant, était peut-être inattendue, mais les corapporteurs considèrent que les causes sous-jacentes de la crise ont des racines plus profondes dans l’incapacité des institutions principales de l’Etat à remplir leurs fonctions en pleine conformité avec les normes démocratiques ainsi qu’avec les principes de la prééminence du droit et de la protection des droits de l’homme. Ses causes constituent des préoccupations de longue date de l’Assemblée et avaient déjà été mentionnées dans les précédents rapports de la commission de suivi
74. Plus spécifiquement, l’Assemblée nationale de l’Arménie n’a pas pu jusqu’à présent jouer son rôle en tant que forum du débat et du compromis politique. Le système politique actuel se fonde sur un comportement du style «le vainqueur emporte tout», l’opposition étant frappée d’ostracisme et exclue de toute participation au processus de décision et de gouvernance du pays. C’est pourquoi la réforme politique doit être engagée en vue de donner une place et des droits appropriés à l’opposition au sein du système politique arménien.
75. L’opinion n’a guère confiance dans le processus électoral en Arménie, ce qui, à son tour, sape la légitimité des résultats aux yeux de la population. Les autorités ont, certes, apporté des améliorations au cadre juridique au cours de la période préélectorale; mais elles n’ont pas fait preuve de la volonté politique souhaitable pour en garantir la pleine mise en œuvre. Cela vaut tout particulièrement pour l’impartialité de l’administration électorale, le traitement des plaintes et des recours, la transparence du décompte des voix et des procédures de dépouillement: trois aspects qui ont profondément affecté la confiance du public dans le processus électoral.
76. C’est pourquoi il convient de réformer entièrement le processus électoral en vue d’assurer: l’impartialité de l’administration électorale, qui doit être libre de tout contrôle de la part d’une quelconque force politique; l’entière transparence de l’administration du processus électoral, notamment pour ce qui concerne le décompte des voix et le processus de dépouillement ainsi que l’instauration d’une procédure de plaintes et de recours donnant le plus large accès possible aux recours juridiques à tous ceux qui participent aux élections et qui auraient observé des violations.
77. Malgré des réformes législatives, les tribunaux manquent toujours de l’indépendance nécessaire pour inspirer confiance à la population en tant qu’arbitres impartiaux, notamment dans le contexte des différends électoraux. S’explique ainsi le nombre relativement faible de plaintes formelles déposées auprès des tribunaux. De même, leur manque d’indépendance se reflète dans le fait que les tribunaux ne semblent pas s’interroger sur la nécessité de garder des personnes en détention en attendant leur procès et répondent en général favorablement aux demandes déposées par le procureur sans examiner de manière appropriée si cette détention est justifiée, en conformité avec l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l’homme.
78. De plus, les accusations à l’encontre de tous les partisans de l’opposition arrêtés après l’élection présidentielle, qui, personnellement, n’ont commis aucun acte grave de violence, devraient être retirées et les personnes en question devraient être immédiatement libérées. L’existence de prisonniers politiques présumés dans un Etat membre du Conseil de l’Europe est inacceptable et ne peut être tolérée.
79. L’existence de médias libres et pluralistes est une des pierres angulaires du renforcement de la démocratie en Arménie. Le niveau actuel de contrôle, par les autorités, des médias et de leurs organes de régulation ainsi que l’absence de radiodiffuseur de service public réellement indépendant et pluraliste ne font qu’exacerber la méfiance de l’opinion à l’égard des autorités. Il faut garantir de facto l’indépendance de tout intérêt politique de la Commission nationale de radio et de télévision et du Conseil de télévision et de radiodiffusion de service public. De plus, la composition de ces organes devrait être véritablement représentative de la société arménienne. Le harcèlement des médias électroniques et de la presse écrite de l’opposition doit également cesser.
80. Les amendements à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations de la République d’Arménie vont à l’encontre des normes européennes et sembleraient, dans toutes leurs intentions et tous leurs objectifs, violer la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que les engagements contractés par l’Arménie envers le Conseil de l’Europe. L’Assemblée nationale devrait procéder à l’abrogation de ces amendements avec effet immédiat. Les corapporteurs se félicitent du fait que le nouveau Président, dans son discours d’inauguration, a exprimé son intention de réviser ces amendements.
81. Pour leur part, toutes les forces politiques doivent reconnaître l’autorité de la décision de la Cour constitutionnelle eu égard au résultat de l’élection présidentielle. Cela ne devrait pas être interprété comme constituant l’obligation d’en accepter le bien-fondé. Tous ceux qui contestent le résultat des élections ont le droit de remettre en cause la décision de la cour par tout moyen juridique disponible, y compris la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg.
82. Les corapporteurs se félicitent des mesures prises par le Président élu en vue d’établir un gouvernement d’unité nationale. Toutefois, la non-inclusion de partisans de Levon Ter-Petrosyan dans cet accord politique sapera gravement l’efficacité de cette initiative en tant que mécanisme visant à restaurer la confiance de l’opinion dans les autorités.
83. De l’avis des corapporteurs, le seul moyen de mettre fin à la crise institutionnelle actuelle et de permettre à l’Arménie d’avancer vers la mise en œuvre des réformes urgentes susmentionnées est l’instauration, entre toutes les forces politiques de la société arménienne, d’un dialogue franc et constructif. L’Assemblée avait déjà souligné il y a plus d’un an la nécessité d’un tel dialogue afin d’assurer la mise en œuvre effective de la réforme constitutionnelle, quand elle a adopté sa Résolution 1532 (2007).
84. Compte tenu du fait qu’une partie considérable de l’éventail des partis politiques existant en Arménie n’est pas représentée au sein de l’Assemblée nationale actuelle, un tel dialogue devrait inclure les forces politiques parlementaires et extraparlementaires.
85. L’Assemblée pourrait faire office de médiateur entre les différentes forces et garantir l’entière participation à ce processus des organes compétents du Conseil de l’Europe, et notamment de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise).
86. Toutefois, les corapporteurs estiment que, pour qu’un tel dialogue puisse être engagé et mené à bien, certaines conditions doivent être remplies:
  • une enquête indépendante, transparente et crédible à propos des événements du 1er mars et des circonstances qui les ont déclenchés – y compris du recours à la force prétendument excessif de la part de la police – doit être immédiatement menée; la communauté internationale doit se tenir prête à suivre et assister cette enquête;
  • les accusations à l’encontre de tous les partisans de l’opposition et membres du parlement arrêtés après l’élection présidentielle, qui, à titre personnel, n’ont commis aucun acte de violence, doivent être retirées et les personnes en question – qui sont des prisonniers politiques présumés – doivent être immédiatement libérées;
  • les amendements récemment adoptés par l’Assemblée nationale à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations doivent être abrogés avec effet immédiat.
87. Tant que ces conditions ne sont pas remplies et qu’un dialogue franc sur les réformes mentionnées au paragraphe 8 n’est pas sérieusement engagé entre les forces politiques de la société arménienne, la crédibilité de l’Arménie en tant que membre du Conseil de l’Europe est mise en cause. Par conséquent, l’Assemblée devrait envisager de suspendre le droit de vote de la délégation arménienne auprès de l’Assemblée au début de la partie de session de juin 2008 si aucun progrès considérable n’a été accompli d’ici là sur ces exigences.
88. Les corapporteurs continueront à suivre de près la situation en Arménie et en référeront à la commission de suivi lors de sa session de mai, notamment en ce qui concerne les progrès accomplis en vue du respect des conditions mentionnées ci-dessus.

Commission chargée du rapport: commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi).

Renvoi en commission: Renvoi no 3415 du 14 avril 2008.

Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 15 avril 2008.

Membres de la commission: M. Serhiy Holovaty (Président), M. György Frunda (1er Vice-Président), M. Konstantin Kosachev (2e Vice-Président), M. Leonid Slutsky (3e Vice-Président), M. Aydin Abbasov, M. Avet Adonts, M. Pedro Agramunt, M. Miloš Aligrudić, Mme Meritxell Batet Lamaña, M. Ryszard Bender, M. József Berényi, M. Aleksandër Biberaj, M. Luc Van den Brande, M. Jean-Guy Branger, M. Mevlüt Çavuoğlu, M. Sergej Chelemendik, Mme Lise Christoffersen, M. Boriss Cilevičs, M. Georges Colombier, M. Telmo Correia, M. Valeriu Cosarciuc, Mme Herta Däubler-Gmelin, M. Joseph Debono Grech, M. Juris Dobelis, Mme Josette Durrieu, M. Mátyás Eörsi, M. Jean-Charles Gardetto, M. József Gedei, M. Marcel Glesener, M. Charles Goerens, M. Andreas Gross, M. Michael Hagberg, M. Holger Haibach, Mme Gultakin Hajiyeva, M. Michael Hancock, M. Davit Harutyunyan, M. Andres Herkel, M. Raffi Hovannisian, M. Kastriot Islami, M. Miloš Jevtić, Mme Evguenia Jivkova, M. Hakki Keskin, M. Ali Rashid Khalil, M. Andros Kyprianou, M. Jaakko Laakso, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, M. Göran Lindblad, M. René van der Linden, M. Eduard Lintner, M. Younal Loutfi, M. Pietro Marcenaro, M. Mikhail Margelov, M. Bernard Marquet, M. Dick Marty, M. Miloš Melčák, Mme Assunta Meloni, Mme Nursuna Memecan, M. João Bosco Mota Amaral, M. Theodoros Pangalos, Mme Maria Postoico, M. Christos Pourgourides, M. John Prescott, M. Andrea Rigoni, M. Dario Rivolta, M. Armen Rustamyan, M. Oliver Sambevski, M. Kimmo Sasi, M. Andreas Schieder, M. Samad Seyidov, Mme Aldona Staponkienė, M. Christoph Strässer, Mme Elene Tevdoradze, M. Mihai Tudose, M. Egidijus Vareikis, M. Miltiadis Varvitsiotis, M. José Vera Jardim, Mme Birutė Vėsaitė, M. Piotr Wach, M. Robert Walter, M. David Wilshire, Mme Renate Wohlwend, Mme Karin S. Woldseth, M. Boris Zala, M. Andrej Zernovski.

N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués en gras.

Voir 16e séance, 17 avril 2008 (adoption du projet de résolution amendé); et Résolution 1609.