1. Saisie par le Bureau de l’Assemblée
en mars 2006, la commission sur l’égalité des chances pour les femmes
et les hommes a été invitée à donner suite à la proposition de résolution
intitulée «Enlèvement et «rééducation» de femmes et d’enfants musulmans
ayant adopté une orientation trop «occidentale»». Cette proposition
indiquait que des femmes et des filles issues des communautés immigrées
vivant dans les Etats membres du Conseil de l’Europe étaient enlevées
et renvoyées dans leur pays d’origine (Maghreb, Turquie, Syrie,
Iran, etc) par des membres de leur famille estimant que leurs femmes
ou filles étaient devenues trop «modernes» et trop «émancipées»
ou parce qu’elles n’avaient pas accepté le choix de leur famille
pour ce qui concerne leur mariage. La commission avait nommé Mme Bousakla
(Belgique, SOC) comme rapporteuse.
2. Lors de son premier échange de vues sur ce thème le 14 septembre
2006, la commission avait convenu de réfléchir à la modification
du titre du rapport et d’appuyer son travail sur des cas concrets
et des visites de terrain. Le 6 septembre 2007, la commission, à
l’initiative de sa présidente Mme Bilgehan,
a décidé de reformuler le titre du rapport de la manière suivante:
«Enlèvement et séquestration de femmes et de filles motivés par
des pratiques contraires aux droits de la personne humaine». Elle
a estimé opportun d’élargir cette problématique aux communautés
établies en Europe où persistent des traditions qui servent à justifier
une atteinte aux droits fondamentaux des femmes et de recentrer
le rapport sur les violations des droits de la personne humaine
encourus par les femmes et les filles issues de communautés qui
cherchent à imposer, notamment par des enlèvements et des séquestrations,
que ce soit dans les pays d’accueil ou dans les pays d’origine,
des pratiques contraires aux droits de la personne humaine, en invoquant
la tradition ou la religion (en particulier les mariages précoces
et forcés et les mutilations sexuelles féminines).
3. Mme Bousakla n’ayant plus été en
mesure de poursuivre son travail de rapporteuse, j’ai été désignée rapporteuse
le 4 octobre 2007 par la commission pour poursuivre le travail de
la commission dans ses nouvelles orientations. La commission a décidé
d’organiser le 11 mars 2008 un échange de vues sur les moyens d’intervention
et de prévention que peuvent développer les Etats membres pour promouvoir
le respect des droits fondamentaux des filles et des femmes qui
encourent des risques graves à raison de leur sexe. Cet échange
de vue a réuni Mme Hannana Siddiqui,
Co-ordinatrice jointe de l’organisation “Southall Black Sisters“ (Royaume-Uni),
M. Svenn Joar Bjerkem, Conseiller, Ministère des affaires étrangères
de la Norvège, Section des services consulaires et de la sécurité,
Mme Christine Jama, Directrice de Association
“Voix de Femmes“ (France) et Mme Gül
Ayse Basari, Conseillère à l’Association pour femmes “Orientexpress“,
Autriche
.
4. Pour recueillir des informations complémentaires, j'ai également
invité les délégations nationales auprès de l'APCE de répondre à
un questionnaire
.
Les délégations de la Belgique, du Danemark, de la Finlande, de la
France, de l'Allemagne, de la Norvège, de la Suisse et de la Turquie
ont répondu à ce questionnaire et indiqué qu'ils étaient confrontés
à ce problème. La Lituanie, le Luxembourg, Monaco et la Pologne
ont indiqué que ce problème ne se posait pas dans leur pays. Lors
d'une visite d'information au Maroc les 28 et 29 octobre 2008, Mme Sylvie
Affholder, Co-Secrétaire de la commission sur l'égalité des chances
pour les femmes et les hommes de l'APCE et moi-même avons été informées
par les autorités marocaines et les organisations non gouvernementales
des progrès réalisés dans le domaine des droits des femmes et des
difficultés qui subsistent dans l'application des nouvelles mesures.
Parallèlement, un échange de vue avec les représentants consulaires
de 12 Etats membres du Conseil de l'Europe organisé sous les auspices
de l'Ambassadeur de Suède
M. Odevall a permis
de confronter les pratiques consulaires en matière d'assistance
aux victimes.
5. Lors d'une visite d'information au Maroc les 28 et 29 octobre
2008
, Mme Sylvie
Affholder, Co-Secrétaire de la commission sur l'égalité des chances
pour les femmes et les hommes de l'APCE et moi-même avons notamment
rencontré Mme Latifa Akherbach, Secrétaire
d’Etat aux Affaires étrangères et à la Coopération, Mme Nouza
Skalli, Ministre du Développement social, de la Famille et de la
Solidarité, Mme Bassima Haqquaoui, Présidente
de la commission permanente chargée des affaires sociales de la
Chambre des députés, l'Ambassadeur Bruno Dethomas, chef de la délégation
de l’Union Europénne au Maroc ainsi que des représentants de la
Ligue démocratique pour les droits des femmes (LDDF), de l’Association
démocratique des femmes du Maroc (ADFMA), de la Fondation Ytto et
de l'UNIFEM. Nous avons été informées par les autorités marocaines
et les organisations non gouvernementales des progrès réalisés dans
le domaine des droits des femmes et des difficultés qui subsistent
dans l'application des nouvelles mesures. Parallèlement, un échange de
vue avec les représentants consulaires de 12 Etats membres du Conseil
de l'Europe organisé sous les auspices de l'Ambassadeur de Suède
M. Odevall a permis de confronter les pratiques
consulaires en matière d'assistance aux victimes.
6. Ma tâche prioritaire consiste donc à circonscrire la problématique
et à en cerner l’ampleur. Le problème est grave dans certains pays,
même s'il s'avère marginal dans d'autres pays. Le nombre de femmes
et de filles victimes d’un enlèvement et/ou de séquestration et
qui encourent le risque de subir des violations graves de leurs
droits fondamentaux est difficile à évaluer, car ces femmes et ces
filles sont souvent ramenées dans leur pays d’origine ou sont placées
dans leur famille, et disparaissent de nos statistiques. Le second
objectif de ce rapport vise à porter une attention plus grande aux
possibilités offertes aux Etats membres pour, au niveau national,
prévenir ces faits, protéger les femmes et les filles des violations
graves de la personne humaine lorsque la tradition, la coutume ou
la religion risquent de porter atteinte à leur intégrité, et aussi,
au niveau international, quelles actions de prévention et de protection
peuvent être mises en œuvre – ressortissantes de ces pays ou résidantes
habituelles – sont des victimes avérées ou potentielles de telles
pratiques.
7. Des chiffres statistiques exacts ne sont pas disponibles et
font cruellement défaut. En Suisse cependant, on estime que 17 000
mariages forcés ont été réalisés ou sont en cours de préparation,
et que quelques 7000 femmes et jeunes filles ont subi des mutilations
sexuelles ou sont menacées d'en subir – et l'on peut estimer que
ces délits donnent lieu à des séquestrations et à des enlèvements
.
L'Association Terre des femmes en Allemagne recense chaque année
entre 170 et 190 femmes victimes de mariages forcés. En 2007, 48
d'entre elles ont été enlevées et/ou séquestrées pour être mariées
de force à l'étranger. Selon le rapport établi par le Bundestag
en 2006 sur la base des estimations des ONG, 30 000 femmes pourraient
être exposées au risque de mutilations sexuelles féminines
. L'Unité "mariages
forcés" du Royaume Uni traite chaque année 400 cas
. En France, quelques 70 000 filles
âgées de 10 à 18 ans sont potentiellement menacées par les mariages forcés
et 65 000 femmes et fillettes sont mutilées ou menacées de l'être
. Même s'il ne s'agit
que d'estimations, ces différents chiffres laissent penser que des
milliers de femmes en Europe, du fait de leur sexe et de leur origine,
sont exposées à des violations graves des droits de la personne
humaine.
1. Contexte et champ d’application du
rapport
8. Dans un premier temps, je souhaiterais
rappeler le contexte de ces enlèvements et séquestrations pour à
identifier les moyens de les éviter ou d’y remédier. Le rapport
se limite aux cas d’enlèvement et de séquestration qui peuvent aboutir
à des pratiques qualifiées de violations graves des droits fondamentaux
des personnes, telles les mariages forcés, les mutilations sexuelles
féminines, l’esclavage ou les violences fondées sur le genre (viols
notamment). Seront exclus du champ de ce rapport les enlèvements
d’enfants issus de couples mixtes, et dont les parents se déchirent
la garde, cette problématique étant régie par d’autres instruments
juridiques.
9. Les pratiques contraires aux droits de la personne humaine
que nous considérerons dans ce rapport s’expliquent surtout par
la forte pression qui s’exerce dans une partie des communautés,
immigrées ou non, marquées par une culture patriarcale prononcée,
pour lesquelles la préservation de l’honneur familial ou la pérennisation
de coutumes ancestrales (mariages forcés, mutilations sexuelles
féminines, etc) prévalent sur le respect des droits fondamentaux
et privilégie le groupe sur l’individu. Il va sans dire que ce phénomène exerce
une influence paralysante sur le processus d’intégration et d’émancipation
des femmes et des filles (notamment musulmanes, hindoues et sikhs
)
dans les pays d’accueil.
10. Ces mesures d’éloignement peuvent s’accompagner de mesures
d’isolement dans le pays d’origine, de séquestration, voire de «resocialisation»
des femmes et des jeunes filles afin qu’elles adoptent un mode de
vie qui soit considéré comme compatible avec les coutumes locales.
Par ailleurs, les parents qui organisent ces enlèvements peuvent
envisager de marier les jeunes filles de force, ou, cas extrêmes,
de rapatrier leurs filles afin de leur faire subir, au nom de la
tradition, des mutilations sexuelles. Ces formes de violence les
rendent en outre plus vulnérables au VIH/sida.
11. Deux cas de figure méritent d’être distingués: lorsque la
violation des droits fondamentaux a lieu sur le territoire des Etats
membres du Conseil de l’Europe, tout acte de violation des droits
fondamentaux doit être sanctionné de manière non discriminatoire
et sans relativisme culturel. Il convient en effet de souligner qu’aucune
justification de telles violations au motif qu’elles correspondent
à une pratique ou une coutume ne saurait être acceptée.
12. La question devient plus complexe lorsque ces faits sont commis
dans des pays tiers et que la femme ou la fille est rapatriée dans
son pays d’origine où ces pratiques contraires aux droits de la
personne humaine subsistent et sont tolérées, que ce soit en droit
ou en fait. Quelles sont, dans ce cas, les possibilités offertes aux
Etats membres du Conseil de l’Europe de protéger et d’aider les
victimes (qui peuvent avoir la double nationalité) de violations
des droits de la personne humaine, compte tenu des règles de droit
international public qui régissent la protection consulaire par
exemple? Il règne souvent un sentiment d’impuissance des proches
qui assistent à la «disparition» de ces femmes: les écoles ne peuvent
que constater l’absence de ces élèves à la rentrée. Les proches
ne peuvent engager une procédure de recherche ou des investigations.
Le crime reste impuni.
13. Les enlèvements et séquestrations concernent à la fois des
femmes majeures, mais aussi de jeunes filles, qui sont éloignées
de leur lieu de vie ou, dans certains cas, renvoyées dans leur famille
d’origine parce que leur comportement ne correspond plus au rôle
qui leur est assigné dans la société traditionnelle. Cet éloignement
vise à les resocialiser conformément aux choix de vie des parents.
14. Certains Etats, quelquefois sous l’effet d’une forte mobilisation
de l’opinion publique, ont entrepris des démarches pour venir en
aide aux victimes et notamment faciliter leur retour dans le pays
d’accueil. Pour illustrer cette problématique, deux exemples ont
été choisis, impliquant l’éloignement d’une mineure et d’une femme
majeure.
15. En février 2000, la famille de Fatoumata, lycéenne en France,
ne peut accepter qu’elle fréquente un jeune homme qui ne soit ni
musulman ni sénégalais. Se sentant trahi par sa fille, le père refuse
de lui adresser la parole. Lors de vacances passées au Sénégal chez
ses grands-parents, Fatoumata se laisse convaincre par son père
de lui confier son passeport en prétextant vouloir prolonger son
séjour d'une semaine. En lieu et place, Fatoumata est emmenée en
Casamance, dans le village familial isolé de tout, sans téléphone
ni électricité. Son père lui avoue qu’il est venu la rejoindre pour
l'empêcher de revenir en France, pays qui selon lui a détruit sa
famille et ses espoirs. En France, le lycée de Fatoumata, qui a
perdu sa trace se mobilise, interpelle le Ministre de l'éducation
nationale, collecte 600 signatures de lycéens. La pétition est remise
à Viviane Wade, femme du président sénégalais, lors de sa visite
à l’Ambassade du Sénégal à Paris. Grâce aux efforts conjoints des
autorités françaises et sénégalaises, Fatoumata réussit à rejoindre
la France en juillet 2000, après avoir probablement échappé à un
mariage forcé
.
16. En août 1997, Nadia F., une jeune fille de 18 ans révolus
qui jouit de la double nationalité norvégienne et marocaine et vit
en Norvège avec sa famille, est droguée par ses parents et acheminée
de force vers la région du Rif au Maroc. Le père de Nadia ne pouvait
accepter le mode de vie adopté par sa fille en Norvège. Séquestrée,
Nadia réussit toutefois à avoir accès à un téléphone et prévient
son ancien employeur, qui alerte les autorités norvégiennes. Le
Ministère des Affaires Etrangères norvégien demande à l’ambassade
de Norvège à Rabat l’ouverture d’une enquête. Il s’agit de la sixième
affaire de ce genre en 18 mois. Une coopération s’établit entre
les Ministères des Affaires Etrangères et les Ministères de l’Intérieur
du Maroc et de la Norvège. L’Ambassadeur de Norvège entre en contact
avec le père pour tenter, en vain, une négociation. Un mandat d’arrêt
Interpol est lancé. L’affaire est médiatisée au Maroc et en Norvège.
Le père est contraint de laisser sa fille rentrer en Norvège, où
les autorités lui trouvent un emploi au ministère de l’éducation. Cependant,
victime de pressions de la part de sa communauté d’origine, Nadia
est transférée par les autorités norvégiennes dans un lieu tenu
secret. Son mari et son employeur portent plainte contre les parents
pour enlèvement, séquestration et tentative de mariage forcé, un
motif qui sera finalement abandonné, faute de preuves. Le 10 novembre
1998, et compte tenu du contexte familial et de la clémence implorée
par Nadia, le père et la mère sont respectivement condamnés à 15
mois et 12 mois de prison, avec sursis, au paiement d’une amende
et au remboursement des frais de justice
.
17. Dans ces deux cas, une issue a pu être trouvée au problème,
mais est-ce toujours le cas? Même ces deux exemples témoignent des
difficultés qu’ont rencontrées les autorités publiques pour identifier
les situations de danger auxquelles sont confrontées des femmes
et des filles, initier des procédures de recherches et de coopération
avec les pays tiers le cas échéant, assister la victime et trouver
une voie d’issue au conflit familial.
2. Le
rôle des autorités publiques pour protéger la victime et prévenir
les enlèvements et les séquestrations
18. S’il est difficile de mesurer
le nombre d’enlèvements et de séquestrations commis à l’encontre
des femmes et des filles, la rapporteuse souhaiterait rappeler les
chiffres avancés par Mme Rosmarie Zapfl-Helbling
(Suisse, PPE/CD), rapporteuse de l’APCE sur les mariages forcés
et les mariages d’enfants en 2005: en France, 70 000 personnes risquent
un mariage forcé. Seraient majoritairement concernées des filles d’origine
étrangère vivant en France, jeunes majeures ou mineures, parfois
très jeunes. (…) Plusieurs communautés sont concernées par ces pratiques:
les Africains, les Maghrébins, les Asiatiques, les Turcs. Cette
estimation a été reprise par le GAMS (Groupe pour l’abolition des
mutilations sexuelles). Pour sa part, le GAMS évalue à 70 000 le
nombre d’adolescentes de 10 à 18 ans potentiellement menacées, toutes communautés
confondues, domiciliées en Ile-de-France et dans six départements
à forte population immigrée (Nord, Oise, Seine-Maritime, Eure, Rhône,
Bouches-du-Rhône)»
.
19. Je considère qu’il est de la responsabilité des Etats membres
de mettre tous les moyens en œuvre pour protéger les victimes avérées
ou potentielles et prévenir les violations des droits fondamentaux
fondées sur le genre.
20. Je rappelle les travaux de l’Assemblée sur les mariages forcés
et les mariages d’enfants
et les mutilations sexuelles
féminines
, qui constituent des pratiques
contraires aux droits de la personne humaine. En particulier Mme Zapfl-Helbling
avait souligné la responsabilité des Etats et estimé que «les Gouvernements devront
fournir des efforts suffisants afin de prévenir les mariages en
question»
.
21. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont une obligation
d’agir et de protéger les femmes de ces risques qui découlent de
la Convention des Nation Unies sur l’élimination des violences à
l’égard des femmes et de la Convention européenne des Droits de
l’Homme. Rappelons à cet égard également:
- l’article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur l'élimination
de la violence à l'égard des femmes (1993), qui invite les Etats
à «mettre en œuvre sans retard, par tous les moyens appropriés,
une politique visant à éliminer la violence à l'égard des femmes» et,
à cet effet, «agir avec la diligence voulue pour prévenir les actes
de violence à l'égard des femmes, enquêter sur ces actes et les
punir conformément à la législation nationale, qu'ils soient perpétrés
par l'Etat ou par des personnes privées»;
- l’Article 2.2 de la Convention des Nations Unies relative
aux droits de l'enfant (1989), qui stipule que «les Etats parties
prennent toutes les mesures appropriées pour que l'enfant soit effectivement
protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées
par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées
ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou
des membres de sa famille». L’Article 11.1 ajoute que «les Etats
parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements
et les non-retours illicites d'enfants à l'étranger.» et que (article
11.2), «à cette fin, (ils) favorisent la conclusion d'accords bilatéraux
ou multilatéraux ou l'adhésion aux accords existants);
- les instruments juridiques de la Conférence de La Haye
de droit international privé (Convention sur la protection des enfants
de 1996 par exemple) permettent également d’éclairer nos réflexions
et de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant.
22. Lorsque des faits sont perpétrés dans un Etat tiers à l’encontre
d’un ressortissant d’un Etat membre du Conseil de l’Europe, la protection
consulaire, régie par la Convention de La Haye de 1930, peut toutefois, compte
tenu des évolutions en droit international public, permettre à un
Etat Partie, dans des cas particuliers exceptionnels et tout en
respectant les règles de droit international, offrir son assistance
ou sa protection diplomatique ou consulaire à l’un de ses ressortissants
qui possède simultanément une autre nationalité, par exemple dans
certains cas d’enlèvement d’enfant
.
23. Pourtant, en dépit des obligations internationales contractées
par les Etats membres, les risques encourus par les femmes et les
filles qui subissent le poids des coutumes et des traditions sont
encore mal appréhendés, ou mal interprétés. On se souvient de l’émotion
provoquée en Italie par un arrêt rendu par la Cour de Cassation
en août 2007, qui relaxait les parents de Fatima, une jeune femme
qui avait attachée et séquestrée et frappée par son père, «non pour
des motifs vexatoires ou par mépris» avait estimé la Cour, mais au
motif «que les comportements de la fille avaient été jugés incorrects».
Le Procureur de Bologne, qui avait déposé un recours contre l’acquittement
en appel, avait estimé pour sa part que Fatima avait été séquestrée et
attachée à une chaise
, «puis
libérée uniquement pour être brutalement battue par ses parents,
qui voulaient la punir de sa fréquentation avec un ami et plus généralement
pour son style de vie»
.
3. Encourager
les Etats membres à combattre les violations des droits de la personne
humaine et à remédier aux cas d’enlèvements et de séquestrations
24. Je souhaiterais dans ce rapport
de l’Assemblée parlementaire mettre en exergue les bonnes pratiques développées
dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Comme l’illustrent
les deux exemples mentionnés plus haut, les autorités publiques
et la société civile ont un rôle à jouer pour dénoncer, combattre, prévenir
et, le cas échéant, sanctionner ces faits de violence. Je souhaiterais
proposer trois pistes de travail:
Le développement de mesures d’intervention pour
apporter une aide aux victimes avérées ou potentielles de violations
de droits fondamentaux. Ces mesures pourraient inclure:
- dans les pays membres du Conseil
de l’Europe, des dispositifs d’aide aux victimes (refuges, lignes téléphoniques,
mesures d’accompagnement des victimes de pratiques contraires aux
droits de la personne humaine) et des programme de formation pour
la police, les magistrats et les travailleurs sociaux visant à mieux
appréhender les risques encourus par les femmes et les filles et
les pratiques traditionnelles contraire aux droits de la personne
humaine qui mettent en danger l’intégrité physique et psychique
des femmes et des filles. La mise en réseau de l'ensemble des acteurs
s'avèrent également fondamentale pour assurer la détection, l'assistance
et la prise en charge intégrale des victimes ;
- dans les pays tiers, une coopération avec le personnel
des ambassades et consulats et le réseaux d’ONG locales, une formation
prenant en compte les questions de genre du personnel des affaires étrangères,
la possibilité donnée aux consulats de mener des opérations pro-actives
et de solliciter l’aide des autorités locales pour retrouver la
trace de la jeune fille pour laquelle il existe une suspicion de violation
des droits de la personne humaine; une coopération judiciaire accrue
entre pays européens et avec les autorités du pays et formation
du personnel local de la police et de la justice pour réprimer le mariage
forcé, les mutilations sexuelles féminines et les pratiques contraires
aux droits de la personne humaine;
- à ce titre, il y a lieu de souligner des bonnes pratiques
identifiées au cours de la préparation du rapport. La Finlande prévoit
d'intervenir auprès des personnes en détresse qui résident habituellement
en Finlande et se trouve provisoirement dans un Etat tiers. En particulier
lorsque cette détresse est provoquée par la privation illégale de
liberté, la mission diplomatique peut informer les autorités compétentes
du pays tiers ainsi que les autorités finlandaises compétentes,
facilite la transmission d'information entre les autorités compétentes
et la personne privée illégalement de sa liberté ainsi que sa famille
et suit l'évolution du dossier auprès de l'Etat tiers .
La mise en place de mesures de
prévention, ciblant en particulier la jeune femme et
son entourage familial. La prévention pourrait inclure l’élaboration
d’un guide pratique destiné aux binationaux sur les mesures d’aide
aux victimes y compris par le biais de la protection diplomatique,
l’aide aux ONG engagées dans la promotion des droits de la femme
dans les Etats d’origine et les pays d’accueil; le développement
de campagnes de sensibilisation et d’information sur les mariages
forcés et les mutilations sexuelles féminines; la mise en place de
structures d’aide aux victimes dans les Etats du Conseil de l’Europe
et dans les Etats d’origine; la mise en place de mesures de médiation
et de conciliation pour favoriser le dialogue avec les parents lorsque
cela s’avère à priori envisageable.
Certains Etats ont opté pour une
politique active de lutte contre les mariages forcés
et les mariages arrangés. Lors des échanges de vues tenus en commission,
il m'a été indiqué que l'Autriche a mis en place des contraintes
administratives lourdes visant à empêcher les mariages blancs. Au
Royaume-Uni, avec l'entrée en vigueur le 25 novembre 2008 de la Loi sur les mariages forcés (protection civile)
2007, l'âge minimum du mariage a été relevé à 21 ans
pour pouvoir introduire une demande de visa pour rejoindre le Royaume-Uni , de même que l'âge minimum d'un
ressortissant britannique souhaitant se marier à l'étranger. Une
autorisation préalable du Home Office sera nécessaire si le mariage
est contracté avant l'âge minimum requis.
Lors de ma visite d'information
au Maroc, j'ai constaté que les consulats admettent souvent
être démunis lorsque les victimes de mariages forcés ou arrangés
ont également la nationalité marocaine. Dans certains cas, lorsqu'une
victime peut être identifiée par les services consulaires, une approche
au "cas par cas" peut permettre le rapatriement de la jeune fille.
Cependant, si je me base sur le témoignage d'ONG qui travaillent sur
le terrain, ces cas semblent être particulièrement rares et ne représentent
que le sommet de l'iceberg. Plusieurs représentants consulaires
ont d'ailleurs admis devoir "improviser" – ne pouvant, dans certains
cas (mariages de mineures par exemples ),
que ralentir l'obtention d'un visa en attendant que l'épouse ait
atteint la majorité.
Cependant, des protocoles de vérification dans
les consulats peuvent aider à lutter contre les mariages forcés à
des fins migratoires. Le consulat français a ainsi mis en place
des procédures de validation des mariages civils, qui prévoient
notamment l'interview séparée des deux conjoints lorsqu'un des époux
est mineur. En cas de doute, ou lorsque des indices suffisants existent,
le consul a la possibilité de saisir de Procureur de Nantes qui
peut, durant un délai de cinq ans, annuler un mariage en cas de
vice de consentement ou de détournement de la finalité du mariage .
Et enfin,l’adoption ou révision des conventions bilatérales,
qui inclurait, pour les autorités consulaires dont la fille / la
femme a la nationalité ou qui en est une résidente habituelle, la
possibilité de prendre des mesures de protection, comme par exemple
un droit de visite de ces personnes, la possibilité de s’entretenir
bilatéralement et en privé avec elles et d’organiser son conseil
juridique. A ce titre, il y a lieu de signaler qu'en vertu de la convention
bilatérale entre la Belgique et le Maroc, les ministères de la justice
des deux pays ont mis en place une commission mixte qui permet aux
autorités consulaires belges de travailler avec les autorités locales marocaines.
En cas de contentieux familial (par exemple un différend entre le
père et la mère résidant habituellement en Belgique pour ce qui
concerne la garde ou le lieu de résidence de leur enfant) , la commission
mixte peut être saisie pour demander aux autorités marocaines d'enclencher
une médiation avec la famille concernée, et en particulier d'appliquer
les dispositions prévues dans le code de la famille adopté en 2003
– qui représente une avancée importante des droits de la femme au
Maroc. Une procédure similaire mériterait d'être mise en place pour
permettre aux proches d'une victime de violence fondée sur le sexe résidant
habituellement en Europe d'alerter les services consulaires et d'enclencher
une coopération avec les autorités du pays d'origine.
4. Quelques
pistes d'action
25. L’Assemblée parlementaire devrait
reconnaître que tout enlèvement et séquestration de femmes ou de filles
motivées par des pratiques contraires aux droits de la personne
humaine doit être fermement condamné et combattu, aucun relativisme
culturel ne saurant justifier la mise en danger de l’intégrité physique
ou psychique d’une femme ou d’une fille.
26. L’Assemblée devrait appeler les Etats membres à mettre tous
les moyens en œuvre pour renforcer les actions de prévention des
mariages forcés et de toute pratique contraire aux droits de la
personne humaine dans le pays d’accueil ou d’origine, sensibiliser
les autorités publiques et consulaires aux risques graves encourus
par les femmes et les filles qui sont rapatriées, de manière forcée
ou abusive, vers leur pays d’origine.
27. En particulier l’Assemblée pourrait inviter les Etats membres:
- à modifier, si ce n’est pas
déjà fait, la législation pour interdire et sanctionner les mariages
forcés (suivant la Résolution
1468 (2005) de l’Assemblée parlementaire), les mutilations sexuelles
féminines et tout autre violation des droits de la personne humaine
fondée sur le genre;
- à lancer des poursuites en cas d’enlèvement, de séquestration
et de retour forcé de femmes et de jeunes filles lorsqu’il est avéré
qu’elles risquent de subir des pratiques contraires aux droits de
la personne humaine et aux valeurs du Conseil de l’Europe, tels
les mariages forcés ou les mutilations sexuelles féminines;
- à mettre en place des procédures pour faciliter l’identification
des victimes dans les consulats et accélérer l’octroi d’un visa
de retour à la femme ou la fille victime de violation de la personne
humaine, en particulier lorsque le titre de séjour original a expiré;
- à mettre en œuvre des mesures de prévention qui pourraient
inclure:
-
i. des programmes de sensibilisation
et d’éducation visant les femmes et les jeunes filles ainsi que leur
entourage familial sur le respect des droits fondamentaux, la promotion
de l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les
pratiques contraires aux droits de la personne humaine, en particulier
lorsqu’elles sont fondées sur le genre;
ii. une information sur les dispositifs de loi en vigueur
disponible dans les langues des communautés concernées, mettant
en exergue les risques encourus en cas d’infraction et les dispositifs
de protection existant;
iii. une information ciblant les jeunes filles des communautés
concernées sur les dispositifs de protection mis en place par les
autorités du pays d’accueil;
- à mettre en place des
dispositifs d’aide aux victimes pour assurer leur protection (refuges,
lignes téléphoniques) et leur réinsertion sociale et professionnelle,
une fois rapatriées;
- à mettre en place des programmes de sensibilisation et
de formation des autorités de police (y compris la police des frontières),
de justice, de santé et des autorités consulaires sur les violences
fondées sur le genre;
- à soutenir les organisations non gouvernementales dans
les pays d’accueil et les pays d’origine, qui jouent un rôle de
prévention et d’assistance essentiel dans ce domaine;
- à faciliter la mise en réseau des acteurs sociaux et politiques
pour une action publique concertée;
- à renforcer la coopération avec les autorités des pays
d’origine et les encourager à:
-
i. modifier, si ce n’est
pas encore fait, la législation pour interdire toute pratique rituelle
ou coutumière contraire aux droits de la personne humaine conformément
aux instruments juridiques internationaux, et notamment la Déclaration
des Nations Unies sur l’élimination de la violence à l’égard des
femmes, et mener des politiques énergiques pour en assurer l’application;
ii. poursuivre les actes de violations des droits de la personne
humaine fondées sur le genre;
iii. localiser et identifier les victimes, et faciliter leur
accès au consulat du pays dont elles ont la résidence habituelle.
28. L'Assemblée parlementaire devrait
encourager le Conseil de l'Europe à rédiger dans les plus brefs délais
une convention pour combattre les formes les plus sévères et répandues
de la violence faite aux femmes, y compris les mariages forcés,
suivant la
Recommandation
1847 (2008). Elle devrait également promouvoir, avec le Centre Nord
Sud, la question de l'égalité entre les femmes et les hommes (notamment
en droit civil), ainsi qu'une action concertée pour lutter contre
les violences fondées sur le genre par une coopération renforcée
entre pays d'émigration et pays d'immigration.
29. Pour ce qui regarde le principe d'égalité entre les femmes
et les hommes en droit civil, je voudrais enfin rappeler que l'Assemblée
a noté, dans sa
Recommandation
1798 (2007) sur le respect du principe d'égalité des sexes en droit
civil que, "s’agissant du principe d’égalité des sexes dans les
relations privées internationales, les règles de droit international
privé prévoyant le rattachement à la législation nationale de l’époux
ou du père sont particulièrement inquiétantes, de même que l’inégalité
résultant de l’application de règles discriminatoires du droit étranger".
De ce fait, l'Assemblée a invité le Comité des Ministres à "élaborer un
nouveau protocole à la Convention européenne des Droits de l’Homme
inscrivant l’égalité entre femme et homme comme un droit fondamental
de la personne humaine primant sur toute disposition issue ou applicable en
vertu d’un accord ou d’une convention de droit privé international".
30. Avançant l'argument que "plusieurs autres instruments juridiques
destinés à combattre toute forme de discrimination et de violence
à l’égard des femmes ont déjà été adoptés", le Comité des Ministres
a répondu qu'il "n'[était] pas nécessaire, à ce stade, d’entreprendre
l’élaboration d’un nouveau protocole à la Convention européenne
des Droits de l’Homme tel que le propose l’Assemblée au paragraphe 9.1
de sa recommandation"
. Je ne partage pas ce point de vue.
La réalité à laquelle sont confrontées les femmes enlevées exposées
à des violations des droits de la personne humaine montre que les
instruments actuels ne sont pas suffisants pour assurer une protection
adéquate des victimes. J'ai la ferme conviction qu'un tel protocole
améliorerait la protection des femmes et éviterait d'"importer"
des pratiques discriminatoires de l'étranger, qui peuvent s'avérer
contraires au principe de l'égalité des sexes ou même constituer
une violation des droits de la personne humaine, comme expliqué
dans ce rapport. Aussi l'Assemblée devrait-elle réitérer la demande
faite au Comité des Ministres d'élaborer un nouveau protocole à
la Convention européenne des droits de l’homme sur l'égalité entre
les femmes et les hommes.
Commission chargée du rapport:
commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes
Renvoi en commission: Doc. 10753, renvoi n° 3200 du 17 mars 2006, prolongé le 29 mai
2008
Projet de résolution et projet de recommandation adoptés à
l'unanimité par la commission le 5 décembre 2008.
Membres de la commission:
M. Steingrímur J. Sigfússon (Président), M. José Mendes Bota (1er Vice-Président),
Mme Ingrīda Circene (2ème Vice-Présidente),
Mme Anna Čurdová (3ème Vice-Présidente), M. Frank
Aaen, M. Francis Agius, M. John Austin,
M. Lokman Ayva, Mme Marieluise
Beck, Mme Anna Benaki (remplaçant: M. Ioannis Giannellis-Theodosiadis), M. Laurent
Béteille, Mme Oksana Bilozir, Mme María
Delia Blanco Terán, Mme Olena Bondarenko,
M. Pedrag Bošcović, Mme Anna Maria Carloni, M. James Clappison, Mme Minodora
Cliveti, Mme Diana Çuli, M. Ivica Dačiċ,
M. David Darchiashvili, Mme Lydie Err,
Mme Catherine Fautrier, Mme Mirjana
Ferić-Vac, Mme Sonia Fertuzinhos, Mme Alena Gajdůšková, M. Guiseppe Galati, Mme Claude
Greff, M. Attila Gruber,
Mme Carina Hägg,
M. Ilie Ilaşcu, Mme Fatme Ilyaz, Mme Francine
John-Calame, Mme Nataša Jovanoviċ, Mme Birgen Keleş, Mme Krista
Kiuru, Mme Angela Leahu, M. Terry Leyden, Mme Mirjana
Malić, Mme Nursuna Memecan, Mme Danguté
Mikutiené, M. Burkhardt Müller-Sönksen, Mme Christine Muttonen, Mme Hermine
Naghdalyan, Mme Fiamma Nirenstein, Mme Yuliya
Novikova, M. Mark Oaten (remplaçante: Mme Christine McCafferty), M. Kent Olsson, M. Jaroslav
Paška, Mme Antigoni Papadopoulos, M. Claudio Podeschi,
Mme Majda Potrata, Mme Mª
del Carmen Quintanilla Barba, M. Frédéric
Reiss, Mme Mailis Reps, Mme Maria
Pilar Riba Font, Mme Jadwiga Rotnicka,
Mme Marlene Rupprecht, Mme Klára Sándor, Mme Miet Smet, Mme Albertina
Soliani, Mme Darinka Stantcheva, Mme Tineke Strik,
M. Michał Stuligrosz, Mme Doris Stump, M. Han Ten Broeke, M. Vasile
Ioan Dănuţ Ungureanu, Mme Tatiana Volozhinskaya,
M. Marek Wikiński, M. Paul
Wille, Mme Betty Williams (remplaçante:
Baroness Anita Gale), M. Gert
Winkelmeier, Mme Karin S. Woldseth, Mme Gisela Wurm, M. Andrej Zernovski, M. Vladimir
Zhidkikh, Mme Anna Roudoula Zissi.
N.B. Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont
imprimés en gras.
Secrétariat de la commission:
Mme Kleinsorge, Mme Affholder,
Mme Devaux.