1. Introduction
«Ne
laissons pas passer la meilleure chance que nous ayons jamais eue
de mettre fin à la culture d’impunité.»
1. Le présent rapport trouve son
origine dans une proposition de résolution (
Doc. 11032 de l’Assemblée) présentée par Mme Däubler-Gmelin
et plusieurs de ses collègues sur le thème «Coopération avec la
Cour pénale internationale (CPI) et universalité de cette instance»,
en date du 26 septembre 2006. Les Etats membres et observateurs
du Conseil de l’Europe y sont notamment invités à ratifier le Statut
de Rome et d’autres instruments juridiques habilitants; en outre,
la proposition de résolution prie instamment tous les Etats «de
coopérer pleinement avec la cour dans la lutte contre l’impunité
des auteurs des crimes les plus graves ayant une portée internationale»
.
2. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI, la
cour), qui est entré en vigueur le 1er juillet 2002, est largement
considéré comme l’une des avancées les plus importantes dans le
développement du droit pénal international. Il porte création de
la première institution judiciaire indépendante et permanente de
tous les temps qui soit habilitée à juger des personnes physiques
accusées de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de
guerre
.
Cet optimisme s’exprime dans le préambule du Statut de Rome de la
CPI
, dans lequel l’objectif affiché est de
punir «les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la
communauté internationale» et de «mettre un terme à l’impunité des
auteurs de ces crimes et [de] concourir ainsi à la prévention de
nouveaux crimes». Il s’agit également, aux termes du préambule,
de promouvoir des poursuites efficaces grâce à des «mesures prises
dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale»;
de plus, le préambule souligne que «la Cour pénale internationale
dont le présent statut porte création est complémentaire des juridictions
pénales nationales». En conséquence, les Etats se voient accorder
un rôle important dans le système de justice pénale internationale
sous les auspices de la CPI.
3. Depuis son adoption en 1998, le Statut de Rome de la CPI a
été ratifié par 108 Etats à travers le monde
. La méthode de création de la
CPI est sans précédent dans le sens où ce sont les Etats eux-mêmes
qui ont créé la CPI au moyen d’un traité international, en veillant
à ce «que la cour reflète largement les aspirations et les objectifs
de la communauté internationale»
. Malheureusement,
de nombreux Etats n’ont toujours pas ratifié le Statut de Rome et
l’on observe de nettes disparités entre les différentes régions
du monde. Ainsi, l’Afrique est la région la plus représentée parmi
les Etats parties à la CPI, tandis que l’Asie centrale et le Moyen-Orient
restent sous-représentés (pour la liste des ratifications par pays
et par région du monde, veuillez consulter les sites
www.icc-cpi.int et
www.iccnow.org)
.
Le fait que de nombreux Etats n’ont pas adhéré au Statut de Rome,
dont huit Etats membres du Conseil de l’Europe (Arménie, Azerbaïdjan,
République tchèque, Moldova, Monaco, Fédération de Russie, Turquie
et Ukraine), deux Etats ayant statut d’observateur auprès du Conseil
de l’Europe (Etats-Unis)
ou auprès de l’Assemblée
parlementaire (Israël), souligne la nécessité de poursuivre les
efforts destinés à encourager la ratification dans le monde entier
en «renforçant la sensibilisation et la compréhension des fonctions
de la cour»
et de
soutenir la CPI en favorisant l’introduction d’une législation interne
conforme au Statut de Rome
.
4. Philippe Kirsch, président de la CPI, attribue la réticence
de certains pays vis-à-vis de la CPI à un manque de compréhension
de la cour et de son rôle
. Selon lui, «plus les gens comprendront que
la cour est une institution à la fois nécessaire et crédible, plus
le soutien à sa mission et à son fonctionnement sera important»
.
5. Le fait que le Statut de Rome soit entré en vigueur seulement
quatre ans après la négociation de sa structure constitutive est
révélateur des efforts intenses déployés pour promouvoir la CPI
à l’échelle mondiale. En plus des organisations non gouvernementales,
qui ont apporté une contribution importante, de nombreuses organisations
internationales et intergouvernementales, parmi lesquelles le Conseil
de l’Europe, ont joué un rôle actif dans la promotion de la ratification
universelle du Statut de Rome
. Selon la Coalition pour la Cour pénale
internationale (CCPI), le Conseil de l’Europe a «fait partie des
toutes premières organisations internationales
à proposer la création d’une juridiction pénale internationale permanente»
. En particulier, la large gamme
des résolutions et des recommandations de l’Assemblée en la matière
démontre son intérêt pour une telle institution
. En outre, la sous-commission
de l’Assemblée sur les problèmes criminels et la lutte contre le
terrorisme a engagé un dialogue actif avec de hauts fonctionnaires
de la CPI en avril 2006
.
Par ailleurs, le Comité des conseillers juridiques sur le droit
international public (CAHDI) a organisé quatre grandes consultations
auprès des Etats membres du Conseil de l’Europe sur les implications,
pour ces derniers, de la ratification du Statut de Rome, et a régulièrement
encouragé l’introduction du Statut de Rome dans la législation nationale
. Quant à la Commission de Venise,
elle a examiné les questions constitutionnelles soulevées par la
ratification du Statut de Rome
. Compte tenu
de son engagement avéré à l’égard de la CPI et de sa relation avec
les Etats membres ou observateurs du Conseil de l’Europe et avec
l’Etat observateur de l’Assemblée parlementaire qui n’ont pas encore
ratifié le Statut de Rome, le Conseil de l’Europe doit continuer à
promouvoir la ratification du statut et sa mise en œuvre effective.
6. L’Assemblée des Etats parties à la CPI (AEP)
a récemment invité une nouvelle fois
les Etats parties à «promouvoir activement l’universalité et la
mise en œuvre intégrale du Statut de Rome», à l’égard de tous leurs
contacts, politiques et autres, notamment par le biais de relations
bilatérales et régionales avec les Etats non parties, les groupes
régionaux et les organisations régionales
.
En outre, elle a exhorté les Etats parties à renforcer leur propre
engagement à l’égard de la CPI «de façon à assurer la mise en place
d’une institution forte, efficace et efficiente et, partant, à encourager
d’autres Etats à se joindre à eux»
.
7. Un bref examen de la structure de la cour et de son régime
de coopération peut contribuer à éliminer les idées fausses qui
entretiennent la réticence manifestée à l’égard de la ratification
par quelques pays, dont des Etats membres, un observateur du Conseil
de l’Europe et un Etat observateur auprès de l’Assemblée parlementaire.
A titre d’exemple, la position adoptée envers la CPI par les EtatsUnis,
qui ont affirmé que la juridiction de la CPI était exorbitante car
elle était susceptible de s’exercer sur les ressortissants d’Etats
non parties, reflète une incompréhension à la fois du Statut de
Rome et de la pratique existante des Etats – y compris celle des
Etats-Unis eux-mêmes – du droit international et des traités internationaux
. Un tel examen met aussi
en évidence le rôle crucial de la CPI à l’échelle mondiale ainsi
que le besoin urgent d’une ratification universelle. Comme l’a déclaré
l’AEP, «il est impératif de parvenir à l’universalité du Statut
de Rome de la Cour pénale internationale pour mettre un terme à
l’impunité des auteurs des crimes les plus graves ayant une portée
internationale, concourir à la prévention de nouveaux crimes et
garantir durablement le respect de la justice internationale et
sa mise en œuvre»
. Outre la ratification, la
«mise en œuvre intégrale et efficace du Statut de Rome par tous
les Etats parties est (…) essentielle pour la réalisation de ces
objectifs»
. Cette mise en œuvre doit comprendre
les instruments juridiques habilitants – notamment l’Accord sur
les privilèges et immunités de la CPI (APIC), qui confère certains
privilèges et immunités aux fonctionnaires et au personnel de la
CPI – lesquels sont nécessaires à l’exercice de leurs fonctions
de manière indépendante et efficace
. A
ce jour, 14 Etats membres du Conseil de l’Europe n’ont pas ratifié
l’APIC, parmi lesquels figurent sept pays qui sont des Etats parties
au Statut de Rome (Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Malte, Pologne,
SaintMarin, Espagne et Suisse). Il est intéressant de noter que
l’Ukraine a ratifié l’APIC sans avoir adhéré au Statut de Rome.
Je salue tout particulièrement la ratification de l’APIC, enfin
intervenue en août 2008, par les Pays-Bas, qui sont l’Etat hôte
de la CPI.
2. Compétence juridictionnelle
de la Cour pénale internationale (CPI)
2.1. Compétence ratione materiae
8. L’article 5 (1) du Statut de
Rome, complété par un instrument annexe constituant un catalogue
exhaustif des éléments des crimes
,
énumère les principaux crimes pour lesquels la CPI est compétente:
le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre
et, après formulation d’une définition, le crime d’agression
. Le
préambule du Statut de Rome considère ces crimes comme «les crimes
les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale»
. Le crime d’agression (et l’absence de définition
de celui-ci à ce jour) a suscité de nombreux débats et pourrait
constituer l’une des raisons du refus de certains Etats de ratifier
le Statut de Rome
.
Cependant, il apparaît que ce n’est pas tant la définition du crime
d’agression elle-même que la question de la compétence juridictionnelle
de la cour concernant ce crime, et de sa relation avec le Conseil
de sécurité de l’ONU
, qui
donne lieu à des contestations persistantes
. En particulier, après
la Conférence de Rome de 1998, les «grandes puissances» (et membres
permanents du Conseil de sécurité) ont continué d’exprimer leurs
craintes que la cour ne devienne un outil de propagande politique
qui condamnerait même l’usage légitime de la force conforme à la
Charte des Nations Unies
.
9. Malgré la persistance d’obstacles à l’adoption d’une définition
du crime d’agression, le Statut de Rome s’applique pleinement pour
les autres crimes relevant de son champ d’application. Bien que
ces crimes soient visés par diverses conventions internationales
et règles coutumières internationales
,
le Statut de Rome rend mieux compte des tendances et des évolutions
actuelles du droit coutumier international. S’il reconsidère de nombreux
éléments des crimes internationaux, il est aussi novateur dans la
mesure où il criminalise certains actes pour la toute première fois,
comme le montrent ses dispositions relatives aux crimes sexistes. Contrairement
aux statuts régissant les tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie
(TPIY) et le Rwanda (TPIR), le Statut de Rome traite largement des
crimes sexistes
.
Pour la première fois, différents actes de violence sexiste sont
définis comme des crimes internationaux de plein droit plutôt que
simplement comme des atteintes à l’honneur et à la dignité. Il est
significatif que le Statut de Rome contienne la première codification
des crimes de prostitution forcée et d’esclavage sexuel au niveau
international. Comme Bedont et Hall-Martinez le font remarquer,
«le Statut de Rome représente une étape importante dans la suppression
du traitement discriminatoire et inapproprié de la violence sexuelle
en droit international»
. Le caractère novateur du Statut de
Rome est illustré par l’idée selon laquelle il n’est plus acceptable
de soutenir que, en l’absence de criminalisation expresse de la
violence sexuelle en droit interne, il est illégitime de tirer des
conclusions de nature contraignante en application directe du droit
international par rapport à une affaire précise
.
10. Ces dispositions novatrices font écho à l’optimisme et à la
détermination du préambule. Elles servent également de guide utile
pour la poursuite, par les juridictions nationales, de crimes relevant
de la compétence de la CPI. Cependant, le fait que de nombreux Etats
n’aient pas ratifié le Statut de Rome ou n’aient pas dûment mis
en conformité leur législation interne avec le statut, pose un problème
dans la mesure où cela donne lieu à des définitions différentes
des crimes et donc à des contradictions entre les critères de poursuite
de la CPI et des juridictions pénales nationales
.
11. L’exemple du crime de torture illustre bien ces difficultés.
La Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants définit la torture
comme un acte commis à certaines fins par un Etat («aux fins notamment
d’obtenir (…) des renseignements ou des aveux», aux fins de châtiment,
d’intimidation ou de pression, «ou pour tout autre motif fondé sur
une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle
douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de
la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel
ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite»
). Le
Statut de Rome, quant à lui, a écarté les deux éléments, l’article
7.2.
e s’étendant aux actes
qui pourraient être «inutiles ou purement sadiques»
et
se bornant à exiger que la victime se trouve «sous [la] garde ou
sous [le] contrôle de l’accusé»
.
Burgers et Danelius font remarquer que la Convention des Nations
Unies avait pour motivation première la nécessité de traiter la
violence de l’Etat à l’encontre de ses citoyens, laquelle s’est
accrue au cours du XXe siècle
. La communauté
internationale a ensuite pris conscience, de plus en plus, que la
torture était également utilisée de manière fréquente par les belligérants
lors de conflits armés internes ou internationaux, ce qui a influencé
la définition qu’en donne le Statut de Rome. L’acception large de
la torture dans le Statut de Rome tient donc compte de manière plus appropriée
de la nature du crime, dans le sens où elle «reflète mieux la manière
dont la torture est commise et la personne qui la commet»
.
12. Lorsqu’un pays n’est pas partie au Statut de Rome ou qu’il
n’a pas introduit le Statut de Rome et ses instruments dérivés dans
sa législation interne, un suspect jugé devant une juridiction nationale
se trouve dans une situation moins défavorable que devant la CPI
pour le même acte parce que la définition nationale de la torture
est limitée par le but de son utilisation et le statut de son auteur.
Cela montre que la ratification doit être suivie d’une incorporation
appropriée du Statut de Rome dans la législation nationale. Bien
qu’un petit nombre d’Etats parties à la CPI aient aligné leur droit
interne sur le Statut de Rome, la majorité des Etats parties n’ont fait
que peu de progrès, voire aucun, en la matière
. Comme l’a souligné le président Kirsch, «pour
que le principe de complémentarité fonctionne, les Etats doivent
se doter d’une législation interne interdisant les crimes relevant
de la compétence de la cour»
.
2.2. Compétence ratione temporis
13. Contrairement à ses prédécesseurs
ad hoc, le TPIY et le TPIR, qui sont tous deux limités dans le temps et
dans l’espace, la CPI a une portée plus large parce qu’elle est
permanente, que les crimes pour lesquels elle est compétente ne
sont pas restreints à une région donnée et que sa compétence est
plus prospective que rétrospective
. La compétence juridictionnelle de la cour
se limite aux événements postérieurs au 1er juillet 2002, date de
son entrée en fonction. Cependant, lorsqu’un pays devient un Etat
partie après cette date, la CPI n’est compétente pour cet Etat qu’à
compter de la date de ratification, sauf si le pays accepte la compétence
de la cour pour la période antérieure (Statut de Rome, article 11.2),
mais en aucun cas avant le 1er juillet
2002
. En vertu de l’article 12.3 du Statut
de Rome, la compétence de la CPI s’étend aux Etats non parties qui
ont accepté sa compétence.
2.3. Mécanismes de déclenchement
14. Il y a trois manières de soumettre
une affaire à la CPI (Statut de Rome, article 13).
15. Premièrement, les Etats parties peuvent déférer à la cour
une situation donnée (Statut de Rome, article 14). Deux affaires
actuellement pendantes devant la CPI, qui concernent des crimes
commis sur le territoire du nord de l’Ouganda et de la République
démocratique du Congo, ont été engagées de cette manière
. Tout récemment,
une enquête a été ouverte en République centrafricaine après un
déféré de la part du gouvernement de ce pays.
16. Deuxièmement, le procureur peut ouvrir une enquête de sa propre
initiative, sous réserve de l’autorisation des juges de la CPI (Statut
de Rome, article 15). Dans le cadre de ces deux mécanismes, la compétence
est limitée: 1. aux ressortissants d’un Etat partie; 2. aux crimes
commis sur le territoire d’un Etat partie; ou 3. aux ressortissants
d’un Etat non partie qui accepte la compétence de la cour ou aux
crimes commis sur le territoire d’un tel Etat. Dans ce cas, la compétence
de la CPI s’étend aux Etats non parties en ce qui concerne le crime
en question, et l’Etat concerné «coopère (…) sans retard et sans
exception» (Statut de Rome, article 12.3)
.
17. Troisièmement, une affaire peut être déférée à la CPI par
le Conseil de sécurité des Nations Unies agissant en vertu du chapitre
VII de la Charte des Nations Unies, indépendamment de toutes considérations de
nationalité ou de territorialité. La situation au Darfour (région
du Soudan, Etat non partie), qui est actuellement examinée par la
CPI, lui a été déférée par le Conseil de sécurité des Nations Unies
en mars 2005
.
18. La nature du déféré a, inévitablement, une incidence significative
sur la coopération ultérieure de l’Etat en question avec la CPI
dans l’enquête et les poursuites. La courte expérience de la CPI
l’a déjà démontré amplement. En conséquence, le procureur de la
CPI, Luis Moreno Ocampo, a encouragé les déférés volontaires par
les Etats en vue de parvenir à une coopération renforcée. Il fait
remarquer ce qui suit:
«Si mon pouvoir de procureur d’ouvrir des enquêtes
de ma propre initiative constitue un aspect crucial de l’indépendance
du parquet, j’ai cependant adopté une politique consistant à inviter
et à accueillir favorablement les déférés volontaires par les Etats,
à titre de première étape du déclenchement de la compétence de la
cour. Cette politique a donné lieu à des déférés pour les deux premières
situations dont ait eu à connaître la cour: le nord de l’Ouganda
et la République démocratique du Congo. La méthode consistant à
ouvrir des enquêtes par déféré volontaire a accru la probabilité
d’une coopération importante et d’un soutien sur le terrain pour
mener l’enquête et les poursuites.»
19. En outre, la capacité de coopérer avec la CPI fournit aux
Etats concernés et à leurs sociétés civiles une bonne occasion d’envoyer
un message fort aux victimes des crimes internationaux les plus
graves quant à leur volonté de mettre un terme à l’impunité et de
faire régner la justice dans la région.
2.4. Gravité des crimes
20. Bien que tous les crimes relevant
de la compétence de la CPI soient évidemment très graves, le Statut de
Rome considère la «gravité» comme un critère de recevabilité supplémentaire
pour justifier que la cour donne suite à une affaire (article 17.1.
d). Le procureur Moreno Ocampo a
récemment déclaré que, pour évaluer la gravité des crimes, le parquet
était guidé notamment par les facteurs suivants: l’échelle des crimes, la
nature des crimes, le mode de commission des crimes et leur impact
.
2.5. Le principe de complémentarité
21. Contrairement au TPIY et au
TPIR, qui prévalent sur les juridictions nationales, la CPI dispose
d’une compétence qui est complémentaire des juridictions nationales.
Le principe de complémentarité (établi dans le préambule et aux
articles 1 et 17) est le résultat d’un «subtil équilibre» entre
la souveraineté des Etats et la justice internationale, qui repose
sur la conviction que les systèmes pénaux nationaux sont mieux à
même de poursuivre efficacement les crimes internationaux
. Bien que le
statut ne donne pas de définition précise de la notion de «complémentarité»,
Michael Newton fait remarquer qu’il ressort à l’évidence de l’article
1er «que la Cour pénale internationale est destinée à
renforcer le fondement de la sanction
nationale des violations internationales, plutôt qu’à
supplanter les autorités internes
pour faire respecter les normes internationales»
. Le message du préambule
est clair en ce qu’il rappelle «qu’il est du devoir de chaque Etat
de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes
internationaux». Au cœur du principe de complémentarité, il y a
le «manque de volonté» ou l’«incapacité» de l’Etat de poursuivre
des crimes internationaux, cas prévus à l’article 17 (paragraphes
2 et 3) du Statut de Rome.
22. Le «manque de volonté» est établi «eu égard aux garanties
d’un procès équitable reconnues par le droit international» dans
les cas suivants: 1. les juridictions nationales engagent une procédure
«dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité
pénale»; 2. la procédure a subi un retard qui est «incompatible
avec l’intention de traduire en justice la personne concernée»;
3. la procédure n’est pas menée de manière indépendante ou impartiale
. Il est facile d’établir qu’il y a «manque
de volonté» lorsque la mauvaise foi est utilisée par l’autorité
judiciaire nationale pour échapper à la compétence de la CPI, par exemple,
lorsqu’un procès est soigneusement mis en scène en vue de protéger
un suspect ou lorsque des poursuites sont tout simplement refusées
.
Certaines situations sont plus complexes lorsque les efforts sont réels
mais insuffisants, qu’une condamnation est suivie d’une grâce ou
qu’une enquête plus ou moins effective donne lieu au classement
de l’affaire.
23. Quant à l’«incapacité» d’un Etat, elle est établie en cas
«[d’]effondrement de la totalité ou d’une partie substantielle de
son propre appareil judiciaire ou de l’indisponibilité de celui-ci»,
ce qui se produit lorsque l’Etat est incapable «de se saisir de
l’accusé, de réunir les éléments de preuve et les témoignages nécessaires
ou de mener autrement à bien la procédure»
.
24. Il convient de faire remarquer que la formulation négative
de l’article 17, qui se réfère à l’irrecevabilité
, suggère
que l’intention des rédacteurs était clairement d’attribuer à la
cour un rôle subsidiaire ou secondaire par rapport aux juridictions
pénales nationales. Il en résulte que le régime juridictionnel de
la CPI est limité par l’article 17, lequel n’autorise la cour à
exercer sa juridiction que dans des situations bien déterminées
. Le fait qu’il
suffit aux Etats de démontrer leur volonté ou leur capacité d’enquêter
sur un crime international relevant de la compétence de la CPI pour
échapper à la juridiction de celle-ci devrait dissiper toute crainte
– notamment de la part d’Etats dont la justice fonctionne et qui
sont déterminés à traduire les auteurs de crimes internationaux
en justice – que la cour puisse exercer sa compétence contre leur
volonté.
3. Caractéristiques principales
du régime de coopération de la CPI
25. La coopération constitue un
élément fondamental sur lequel repose l’ensemble du système de la
CPI, tel que cela ressort du chapitre 9 («Coopération internationale
et assistance judiciaire») du Statut de Rome. L’article 86 du Statut
de Rome rappelle expressément l’obligation générale des Etats parties
de «coopére[r] pleinement avec la cour dans les enquêtes et poursuites
qu’elle mène pour les crimes relevant de sa compétence». En vertu
de l’article 87.1.
a, la CPI
«est habilitée à adresser des demandes de coopération aux Etats
parties». En vertu de l’article 87.5.
a,
la CPI peut également «inviter tout Etat non partie au présent statut à
prêter son assistance au titre du présent chapitre sur la base d’un
arrangement ad hoc ou d’un accord conclu avec cet Etat ou sur toute
autre base appropriée». Cette coopération comporte divers aspects,
tels que l’assistance pour réunir les preuves, pour exécuter des
mandats d’arrêt (c’est-à-dire localiser, arrêter et transférer les
suspects), pour identifier et protéger les témoins
ou
pour exécuter les décisions rendues à l’égard des personnes condamnées.
Par exemple, dans deux des affaires actuellement jugées par la cour,
le nord de l’Ouganda et le Darfour, dans lesquelles des mandats
d’arrêt ont été délivrés, il est d’une importance capitale que les
Etats aident la CPI à appréhender et à transférer les suspects à
La Haye
. Cette coopération est
d’autant plus cruciale que la CPI, à l’instar du TPIY et du TPIR,
ne dispose pas de forces de police propres ni d’aucun des autres
mécanismes répressifs dont disposent généralement les juridictions
nationales
.
26. Pour assurer une telle coopération, la CPI s’est activement
impliquée dans la communication externe
, la sensibilisation
générale
et
la sensibilisation relative à des affaires spécifiques
,
en tenant compte de facteurs comme le contexte des opérations, les
groupes cibles (population générale, médias, ONG, victimes, gouvernement/opposition,
chefs traditionnels et religieux, etc.), les phases des procédures
judiciaires, les messages ou les outils de communication. Bien qu’il
incombe en premier lieu à la cour de mener des activités de sensibilisation
, elle ne dispose pas de
ressources financières et humaines suffisantes pour le faire seule. Les
Etats, les organisations nationales et internationales ainsi que
les organisations non gouvernementales se trouvent souvent dans
une position idoine pour l’assister dans cette mission.
27. Les considérations ci-dessus sont résumées dans cet appel
du président Kirsch:
«(…) la cour ne peut pas accomplir sa mission
toute seule. L’appui des Etats, des organisations intergouvernementales
et non gouvernementales (ONG), et de la communauté internationale
au sens large, lui est nécessaire pour mener à bien sa mission.
La compétence personnelle et territoriale de la cour étant limitée
(…), la ratification universelle de son statut est nécessaire pour
qu’elle puisse avoir une portée réellement mondiale dans la lutte
contre l’impunité. Cependant, la ratification n’est que la première
étape dans la longue marche de la cour vers l’épanouissement de
tout son potentiel. Les Etats parties et les Etats non parties peuvent
également contribuer de multiples manières à la mise en place d’une
cour forte et efficace. L’enquête et les poursuites, dans des affaires
données, n’exigent pas seulement la coopération des Etats qui ont
été le théâtre des atrocités, mais sollicitent également les ressources
de tous les Etats qui peuvent contribuer au fonctionnement de la
cour. La CPI compte sur l’assistance pratique des Etats aux différentes
étapes de la procédure, depuis l’arrestation des suspects jusqu’à
l’exécution des condamnations.»
4. Arguments avancés par les
Etats membres du Conseil de l’Europe n’ayant pas encore ratifié
le Statut de Rome
28. A sa réunion du 26 juin 2007,
la commission a examiné et approuvé un questionnaire, qui a ensuite
été envoyé, le 16 juillet 2007, aux présidents des délégations des
huit Etats membres du Conseil de l’Europe (Arménie, Azerbaïdjan,
République tchèque, Moldova, Monaco, Fédération de Russie, Turquie
et Ukraine) ainsi qu’aux autorités compétentes des deux Etats observateurs
(Japon et Etats-Unis) et l’Etat observateur auprès de l’Assemblée
parlementaire (Israël) qui n’avaient pas encore ratifié le Statut
de Rome. Le but était d’obtenir de ces pays des renseignements sur
les raisons précises qui s’opposent à la ratification du statut
et/ou à l’adoption d’une législation de mise en œuvre, en vue d’identifier
et de combattre les idées fausses sur la CPI qui pourraient persister.
29. Le questionnaire comportait les questions suivantes:
1. Pour
quelles raisons votre pays ne ratifie-t-il pas le Statut de Rome
de la Cour pénale internationale?
S’il y en a plusieurs, veuillez
en donner la liste par ordre d’importance, le cas échéant, et les
exposer de manière aussi détaillée que possible.
2. Votre pays a-t-il l’intention
de ratifier le Statut de Rome dans un avenir proche?
Dans l’affirmative, veuillez
indiquer le calendrier approximatif prévu.
a. La ratification du Statut
de Rome soulève-t-elle des problèmes constitutionnels particuliers?
Dans l’affirmative, veuillez
expliquer de manière détaillée et indiquer les mesures officielles
que votre pays compte prendre avant la ratification.
b. Votre pays a-t-il pris des
mesures officielles en vue de l’incorporation du Statut de Rome
dans le droit interne?
30. Onze questionnaires ont été envoyés. Cinq Etats membres du
Conseil de l’Europe (Arménie, Azerbaïdjan, République tchèque, Monaco
et Ukraine) et deux Etats observateurs (Japon et Etats-Unis) y ont répondu
.
31. Je constate avec satisfaction que le Japon a ratifié le Statut
de Rome entre-temps (le 17 juillet 2007); cette démarche, qui a
une forte valeur symbolique, contribuera, je l’espère, à persuader
d’autres pays asiatiques de ratifier le statut dans un avenir proche.
On attend toujours les réponses de trois Etats membres du Conseil
de l’Europe, à savoir la Moldova, la Fédération de Russie et la
Turquie, et d’un Etat observateur auprès de l’Assemblée parlementaire,
Israël. Parmi les pays ayant répondu, l’Arménie, l’Ukraine et la République
tchèque ont fait part de leur intention de ratifier le Statut de
Rome dans un avenir proche, bien que les deux premiers n’aient pas
encore donné de calendrier à cause de problèmes constitutionnels.
Quant à la République tchèque, elle a indiqué avoir l’intention
de ratifier le statut avant la fin de 2008. Les autorités turques n’ont
pas envoyé de réponse, mais il semble que la Turquie pourrait envisager
de ratifier le Statut de Rome dans l’avenir, même si aucune date
n’a encore été communiquée. Apparemment, ce qui fait surtout hésiter
la Turquie, c’est l’absence de définition du terrorisme; les autorités
turques espèrent que l’une des priorités de la conférence de révision
de 2010 sera de combler cette lacune. En revanche, deux Etats membres
du Conseil de l’Europe, l’Azerbaïdjan et Monaco, et un Etat observateur,
les Etats-Unis, ont indiqué n’avoir aucune intention de ratifier
le Statut de Rome dans un avenir proche
. L’Azerbaïdjan justifie
son refus par l’absence de définition du crime d’agression et par
l’impossibilité, pour la CPI, de juger des crimes commis avant juillet 2002.
Dans le cas de Monaco, la réticence à l’égard de la ratification
se fonde sur des problèmes constitutionnels et sur la conviction
que la principauté respecte les droits de l’homme et ne risque donc
guère d’être impliquée dans des crimes relevant de la compétence
de la CPI. Quant aux Etats-Unis, ils ont réaffirmé que, s’ils n’ont
aucunement l’intention d’adhérer au Statut de Rome, ils cherchent
cependant à adopter une attitude pragmatique à l’égard des Etats
parties à la CPI, avec lesquels ils partagent le souci de promouvoir
la justice pénale internationale. Les Etats-Unis reconnaissent d’ailleurs
que, dans certains cas (par exemple, dans le cas des crimes commis
au Darfour), la CPI peut avoir un rôle à jouer.
32. Tout en respectant la décision des Etats qui ont choisi de
ne pas ratifier le Statut de Rome, je juge leur décision regrettable
et les arguments qu’ils invoquent pour la justifier ne me semblent
pas convaincants. Une analyse attentive des différentes réponses
révèle certains malentendus au sujet de la CPI, que j’ai essayé d’expliquer
de manière plus générale tout au long du présent exposé des motifs
et qui n’appellent pas de remarques supplémentaires ici.
33. Il convient toutefois de revenir sur les réponses de l’Azerbaïdjan
et de Monaco. Dans le cas de l’Azerbaïdjan, le fait que le Statut
de Rome n’a pas d’effet rétroactif avant juillet 2002 n’a, selon
moi, aucune influence sur l’autorité de la cour à l’égard des graves
crimes internationaux qui relèvent effectivement de sa compétence.
Je ne suis pas convaincue par l’argument de l’Azerbaïdjan selon
lequel les autorités refusent d’adhérer au Statut de Rome car elles
souhaitent que le domaine de compétence de la CPI soit plus étendu, c’est-à-dire
qu’il englobe un passé plus ancien et un crime supplémentaire. Or,
en ne ratifiant pas le statut, les autorités azerbaïdjanaises donnent
l’impression que, au contraire, elles ne soutiennent absolument
pas la CPI. Quant aux autorités monégasques, elles estiment que,
dans la mesure où Monaco respecte les droits de l’homme, aucun crime
relevant de la compétence de la CPI ne sera jamais commis sur son
territoire. Malgré tout mon respect pour les autorités monégasques,
je dois dire que je désapprouve leur position, et ce pour deux raisons.
Premièrement, le fait qu’un Etat reconnaît et applique les normes
universelles relatives aux droits de l’homme plaide en faveur de
la ratification, et non pas contre, puisque la CPI symbolise la
volonté des Etats de faire respecter ces normes et de mettre un
terme à l’impunité des crimes internationaux à l’échelle mondiale.
Lorsqu’un Etat ratifie le Statut de Rome, il s’engage à respecter
les droits de l’homme, mais rappelle aussi avec force qu’il est
indispensable de lutter contre l’impunité aux Etats sur le territoire
desquels il est peut-être plus probable que soient commis des crimes
relevant de la compétence de la CPI. Deuxièmement, la cour étant
compétente à l’égard des individus («personnes physiques») en vertu
de l’article 25 du Statut de Rome, le fait qu’un gouvernement respecte
les normes internationales relatives aux droits de l’homme n’exclut
pas la possibilité que des individus, qu’il s’agisse d’acteurs étatiques
ou non étatiques, commettent des crimes relevant de la compétence
de la CPI. En effet, sur les quatre situations actuellement pendantes
devant la CPI, trois ont été déférées à la cour par les Etats sur
les territoires desquels des crimes auraient apparemment été commis,
notamment par des acteurs non étatiques
.
5. Conclusion
et recommandations: le rôle du Conseil de l’Europe
34. Au cours des soixante dernières
années, le monde a vu naître plusieurs tribunaux internationaux
ad hoc destinés à poursuivre les crimes internationaux les plus
graves. La CPI, première institution judiciaire permanente de tous
les temps, qualifiée par son Président, M. Kirsch, d’«impératif
humanitaire»
, est investie d’une difficile mission.
Avec une portée géographique et temporelle large et une conception
progressiste de la notion de crime international, elle repose sur
un système complexe de complémentarités qui vise à permettre aux
Etats d’enquêter sur ces crimes et de poursuivre leurs auteurs,
en n’exerçant sa juridiction qu’en dernier ressort. La complémentarité
requiert non seulement l’universalité du Statut de Rome, mais également
son incorporation effective dans les systèmes internes, ainsi qu’une
coopération étroite et continue de la part des Etats parties et
non parties pour lui fournir une assistance pratique et judiciaire.
35. Le Conseil de l’Europe, grâce aux importantes contributions
d’organes comme l’Assemblée parlementaire, le CAHDI et la Commission
de Venise, est particulièrement bien placé pour faire campagne auprès
de ses Etats membres en faveur de la ratification universelle du
Statut de Rome.
36. Etant donné que huit Etats membres et un Etat observateur
du Conseil de l’Europe et un Etat observateur auprès de l’Assemblée
parlementaire n’ont toujours pas ratifié le Statut de Rome et que
de nombreux Etats membres ne se sont pas encore dotés d’une législation
incorporant le Statut de Rome dans le droit interne, le Conseil
de l’Europe doit continuer à promouvoir la ratification universelle.
A cette fin, il pourrait apporter un soutien politique et une assistance
technique aux Etats souhaitant ratifier le Statut de Rome
.
37. D’autres problèmes ont été soulevés dans le présent rapport
(par exemple, le fait que certains Etats qui sont déjà parties au
Statut de Rome n’aient pas incorporé ce statut dans leur législation
nationale ou l’absence de définition du crime d’agression), mais
ce qui importe dans l’immédiat, c’est la ratification universelle. L’examen
approfondi des autres problèmes pourrait faire l’objet d’un rapport
distinct.
38. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme
recommande donc à l’Assemblée d’inviter instamment les Etats membres
du Conseil de l’Europe et les Etats observateurs du Conseil de l’Europe
et de l’Assemblée parlementaire qui ne l’ont pas encore fait:
- à signer et ratifier sans plus
tarder le Statut de Rome et l’Accord sur les privilèges et immunités
de la CPI;
- à adopter dans les meilleurs délais une législation incorporant
le Statut de Rome dans leur droit interne et à encourager les Etats
tiers à faire de même;
- à protéger l’intégrité du Statut de Rome conformément
aux recommandations formulées dans les Résolutions 1300 (2002) et 1336 (2003) .
39. En outre, la commission propose que l’Assemblée recommande
aux Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe et aux
Etats observateurs de l’Assemblée parlementaire:
- de coopérer pleinement avec
la CPI dans la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves
qui touchent l’ensemble de la communauté internationale;
- de donner à leurs autorités judiciaires et répressives
les moyens nécessaires à l’exercice de la juridiction première appartenant
aux Etats à l’égard des crimes relevant de la compétence de la CPI;
- de faire des contributions financières substantielles
au Fonds d’affectation spéciale au profit des victimes de crimes
relevant de la compétence de la CPI;
- d’introduire dans leur droit interne les normes pertinentes
relatives aux droits des victimes, sans préjudice des normes plus
élevées pouvant être en vigueur dans certains Etats membres et observateurs
du Conseil de l’Europe et Etats observateurs de l’Assemblée parlementaire.