1. Introduction
«Les Nations Unies et le
monde des affaires ont besoin l’un de l’autre. Nous avons besoin
de vos innovations, de votre sens de l’initiative et de vos prouesses
technologiques. Mais le monde des affaires a aussi besoin des Nations
Unies. Le vrai sens du travail des Nations Unies est de créer l’environnement idéal
qui permettra au monde des affaires de s’épanouir.»
Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations Unies
«Nous sommes censés nous préparer
à une pandémie de grippe d’un certain type, car les observateurs de
la grippe, ceux qui consacrent leur carrière à l’étude des virus
et qui ont besoin d’un flux continu de subventions pour poursuivre
cette étude, doivent convaincre les bailleurs de fonds de l’urgence
de combattre un fléau à venir.»
Professeur Philip Alcabes dans Dread
1. L’Assemblée parlementaire suit attentivement les
questions de gouvernance du secteur de la santé publique dans les
Etats membres du Conseil de l’Europe. Ses travaux les plus récents
dans ce domaine sont les Recommandations 1725 (2005) «l’Europe face
à la grippe aviaire – Mesures préventives dans le domaine de la
santé», 1787 (2007) «Principe de précaution et gestion responsable
des risques», et 1908 (2010) «Le lobbying dans une société démocratique
(Code européen de bonne conduite en matière de lobbying)».
2. En décembre 2009, une proposition de recommandation intitulée
«Fausses pandémies: une menace pour la santé» a été présentée par
le Dr Wolfgang Wodarg (Allemagne, SOC),
membre sortant de l’Assemblée parlementaire et expert médical spécialiste
en épidémiologie. La commission des questions sociales, de la santé
et de la famille a été chargée par l’Assemblée d’élaborer un rapport
et a désigné M. Paul Flynn (Royaume-Uni, SOC) comme rapporteur.
A cette époque, la pandémie H1N1 était déjà considérée comme une question
de santé publique majeure depuis plus de six mois par la plupart
des Etats membres du Conseil de l’Europe après avoir été officiellement
déclarée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
3. Le rapporteur est vivement préoccupé par la gestion de la
pandémie de grippe H1N1, par les décisions prises par l’OMS et les
autorités compétentes au niveau européen ainsi que par les conseils
donnés aux 47 Etats membres du Conseil de l’Europe. Il est particulièrement
alarmé par certaines mesures excessives prises en réponse à ce qui
s’est avéré être une grippe d’intensité modérée, par le manque de
transparence des processus décisionnels concernés et par l’éventuel
abus d’influence de l’industrie pharmaceutique sur certaines décisions
majeures. Il est par ailleurs préoccupé par la manière dont les
pouvoirs publics ont communiqué sur des questions à caractère sensible,
qui ont ensuite été relayées par les médias européens, alimentant
les craintes au sein de la population et ne leur permettant pas
toujours de porter un regard objectif sur la situation. L’objectif
de ce rapport est de renforcer – au niveau européen –l’objectivité
du débat actuel sur la pandémie, d’identifier les lacunes et de
tirer les enseignements de la crise de la grippe H1N1, notamment dans
l’espoir de restaurer la confiance du public dans les décisions
en matière de santé qui ont été prises par l’OMS et par les autorités
européennes et nationales.
4. Le rapporteur se félicite que l’OMS est disposée à entamer
un dialogue ouvert avec les parlementaires nationaux représentés
à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Il reconnaît
les réalisations remarquables en matière de santé publique de ces
dernières décennies et la contribution essentielle de l’OMS à ces
dernières. Il est toutefois regrettable que l’OMS n’ait pas souhaité
partager certaines informations essentielles avec l’Assemblée concernant,
notamment, la liste des experts membres d’un organe consultatif majeur
au sein de l’OMS et leurs éventuels conflits d’intérêts.
5. Au moment d’examiner la gestion de la grippe H1N1 et de tirer
les conclusions qui s’imposent, le rapporteur attache la plus grande
importance qui soit à l’étroite coopération entre toutes les parties
prenantes concernées. Parmi elles, outre le Conseil de l’Europe
et son Assemblée parlementaire, figurent l’OMS et les instances
compétentes de l’Union européenne ainsi que les gouvernements nationaux,
l’industrie pharmaceutique, les milieux universitaires et la société
civile. Un dialogue large et ouvert s’est tenu lors de deux auditions
organisées le 26 janvier et le 29 mars 2010 et lors d’une visite
du rapporteur et de la présidente de la commission des questions
sociales, de la santé et de la famille au siège de l’OMS à Genève
le 15 avril 2010
. La commission a tenu un échange de
vues avec le Dr Fiona Godlee (éditrice
en chef du
British Medical Journal –
BMJ) le 4 juin 2010, à Paris, avant d’adopter le rapport.
2. Riposte mondiale à la pandémie H1N1
– Faits essentiels et perception
Déclaration de la pandémie
6. L’OMS décrit le virus comme un virus grippal jamais
identifié auparavant comme source d’infection chez l’être humain
avant la survenue de la pandémie actuelle. Les analyses génétiques
ont montré qu’il a pour origine des virus grippaux de l’animal (ce
qui explique pourquoi il est souvent appelé «grippe porcine») et
qu’il n’est pas apparenté aux virus A(H1N1) de la grippe saisonnière
en circulation dans les populations humaines depuis 1977. L’analyse
des antigènes a révélé que les anticorps dirigés contre les virus
saisonniers A(H1N1) n’offraient pas de protection contre le virus
pandémique H1N1. D’autres études ont cependant montré qu’une proportion
importante des personnes âgées de 65 ans et plus avaient une certaine
immunité contre le virus pandémique. Cela semble indiquer que des
personnes pourraient bénéficier d’une protection croisée, résultant de
l’exposition à des virus qui ont circulé dans un passé relativement
lointain. Contrairement au tableau classique de la grippe saisonnière,
le nouveau virus a provoqué un grand nombre d’infections estivales
dans l’hémisphère Nord. Ensuite, dans cette région du monde, les
infections se sont encore accrues pendant les mois plus froids.
7. Lors des phases initiales de la grippe H1N1, des infections
avaient été signalées dans neuf pays le 29 avril 2009. Le 11 juin,
des cas étaient confirmés dans 74 pays et territoires, et seulement
quelques semaines plus tard, le 1er juillet,
des infections confirmées dans 120 pays et territoires dans le monde.
C’était cette propagation mondiale qui avait conduit l’OMS à demander
le relèvement du niveau d’alerte pandémique et à déclarer qu’une
pandémie mondiale était en cours
.
Le 11 juin 2009, la pandémie étant donc officiellement déclarée
et le passage au niveau d’alerte pandémique en phase 6
était annoncé. Selon certains experts,
cette déclaration dès les prémices de la maladie et peu de temps
après la détection des premières infections au Mexique en avril
2009, n’a été possible que parce que l’OMS a modifié la description
des phases d’alerte pandémique en mai 2009 et notamment parce que
le critère relatif à la gravité de la maladie n’a plus été pris en
compte dans la définition pour le passage au niveau d’alerte maximal
.
Nombre d’infections et de décès
8. En mai 2010, la plupart des pays dans le monde avaient
confirmé des infections par le virus. A la date du 25 avril 2010,
plus de 214 pays et territoires ou collectivités d’outre-mer dans
le monde entier avaient signalé des cas confirmés en laboratoire
de la grippe pandémique H1N1, dont plus de 17 919 décès. L’OMS suit
activement l’évolution de la pandémie par de fréquentes consultations
avec ses bureaux régionaux et les Etats membres
. Des conclusions définitives sur le
déclenchement de la pandémie devaient être établies après avril
2010, mois au cours duquel la grippe saisonnière normale prend généralement
fin; elles n’ont toutefois pas encore été publiées par l’OMS. D’après
l’OMS, il faudra attendre deux ou trois ans après la fin de la pandémie
actuelle pour avoir des estimations fiables du nombre de décès et
du taux de mortalité qu’elle aura provoqués
. Au moment de
l’élaboration du présent rapport, le nombre de cas de grippe en
Europe avait diminué et le virus pandémique n’était plus détecté
que de façon sporadique. Le Réseau mondial OMS de surveillance de
la grippe (GISN) continue à surveiller la circulation des virus
de grippe au niveau mondial, y compris les virus de grippe pandémique,
saisonnière et autres, infectant ou risquant d’infecter l’être humain
.
9. Au-delà du nombre ce cas lui-même, le profil de la mortalité
et de la morbidité lié au nouveau virus différait visiblement de
celui observé habituellement lors des infections de grippe saisonnière.
La plupart des décès dus à la grippe pandémique sont survenus chez
des personnes jeunes, y compris chez des sujets jusque-là en bonne
santé. Les femmes enceintes, les jeunes enfants et les personnes
de tout âge souffrant de certaines affections pulmonaires ou médicales
chroniques semblaient également exposées à un risque plus élevé
de complications ou de formes graves de la maladie. D’après les
dernières informations communiquées par le Centre européen de prévention
et de contrôle des maladies (CEPCM), les symptômes observés chez
la plupart des personnes étaient bénins, et seule une minorité de
personnes a contracté une forme grave de la maladie et en est morte
.
Stratégies de vaccination
10. La déclaration d’une nouvelle pandémie causée par
le virus H1N1 et le passage au niveau d’alerte pandémique 6 a initié
un processus immédiat de programmation d’actions au niveau international
et entraîné le lancement de campagnes de vaccination au niveau national.
Les autorités nationales de contrôle ont généralement autorisé ou
approuvé la mise sur le marché de vaccins mis au point par différents
fabricants conformément aux procédures nationales existantes en
la matière, en suivant parfois des procédures accélérées afin que
les vaccins nécessaires soient disponibles plus rapidement. L’OMS
a pris part au processus de vaccination dès le tout début en mobilisant
des ressources au niveau mondial et en coordonnant les dons de vaccins
contre la grippe pandémique aux pays remplissant les conditions
afin de les aider à protéger leur population contre la propagation
du virus H1N1
.
11. Les réactions face à la déclaration de pandémie varient grandement
d’un pays à l’autre. Parmi les campagnes de vaccination lancées
au niveau national, certaines étaient de grande envergure d’autres
plus discrètes. Plusieurs pays européens s’étaient déjà préparés
à une pandémie et avaient conclu des contrats dits «dormants» avec
des groupes pharmaceutiques, qui devaient entrer en vigueur à la
date de déclaration d’une pandémie par l’OMS
. Certains pays ont suivi
les recommandations des groupes pharmaceutiques préconisant une
double vaccination afin de garantir une protection totale contre
le virus et ont ainsi acheté les quantités correspondantes de vaccins.
L’adoption de certaines approches radicales a été justifiée par
les prédictions «pessimistes» sur le nombre de cas et de décès que
pourrait causer la pandémie.
Des perceptions qui divergent
12. Dès les prémices de la maladie en avril 2009, il
était clair qu’un virus de la grippe recombiné allait faire son
apparition; on observe en effet presque chaque année de nombreuses
variations du virus de la grippe. Toutefois, à partir de cette perception
commune, la grippe H1N1 a été considérée sous différents angles
au sein des gouvernements des Etats membres et de la communauté
médicale. Dès l’été 2009, des experts médicaux indépendants avaient
mis en garde contre une exagération de la pandémie de grippe en
cours. Ils ont fait part de leurs préoccupations quant aux activités
de vaccination excessives, aux risques d’effets indésirables de
certains vaccins, à l’inefficacité de certains médicaments ainsi
qu’à l’éventuel abus d’influence exercé par des conseillers peu
objectifs
. Ce sont précisément
ces mises en garde qui ont attiré l’attention de l’Assemblée parlementaire
sur la question et l’ont incitée à s’y atteler et à demander l’élaboration
du présent rapport.
3. Gestion de la pandémie H1N1 – Transparence et
responsabilité des mesures de santé publique?
13. Les arguments avancés dans les critiques émises lors
des récents débats semblent tous avoir un point commun: la disparité
entre l’évolution plutôt modérée de la grippe depuis son apparition
à l’automne 2009 et les mesures de grande ampleur prises aux niveaux
européen et national dans certains pays. Les critiques émises par
plusieurs experts internationaux quant à la manière dont la pandémie
H1N1 a été gérée portent essentiellement sur certaines mesures spécifiques
prises par les différentes parties prenantes concernées, notamment
l’OMS, les groupes pharmaceutiques, les gouvernements nationaux
et les instances de l’Union européenne. L’analyse du rapporteur
se concentre donc sur leurs actions respectives et insiste plus particulièrement
sur les processus décisionnels au sein de l’OMS et dans son entourage.
C’est la déclaration de pandémie par l’OMS le 11 juin 2009 et les
recommandations qui s’ensuivirent qui ont déclenché le processus
immédiat de programmation d’actions au niveau international et les
mesures pour la mise en place de stratégies de vaccination qui suivirent;
le rôle de l’OMS mérite donc qu’on s’y attarde plus longuement.
14. Le rapporteur tient à souligner l’extrême complexité qui caractérise
l’analyse de la pandémie H1N1, les mesures prises par l’ensemble
des parties prenantes étant étroitement imbriquées. Le processus
de recherche de l’Assemblée semble avoir lui aussi exercé une influence
sur certaines des réactions des organisations responsables qui décident
d’ouvrir des enquêtes. Le rapporteur se félicite à cet égard que
les organisations concernées soient globalement disposées à entamer
un dialogue ouvert avec l’Assemblée. Certaines questions restent
toutefois encore en suspens et certains points, parmi les plus sensibles,
doivent encore être examinés.
3.1. Le rôle de l’Organisation mondiale de la santé
(OMS)
15. D’après sa constitution
,
l’OMS a pour objectif d’amener tous les peuples au niveau de santé
le plus élevé possible. Elle coordonne et dirige, dans le domaine
de la santé, des travaux ayant un caractère international et fournit
une assistance technique et l’aide nécessaire dans les cas d’urgence.
Elle s’emploie à former une opinion publique éclairée en matière
de santé et œuvre en faveur de l’éradication des maladies épidémiques,
endémiques et autres. L’OMS est donc l’autorité internationale en
matière de recommandations de santé publique pour les 193 Etats
membres de l’organisation. Compte tenu de son succès incontestable dans
l’éradication de maladies humaines majeures (comme la variole) et
le contrôle de certaines autres, l’OMS mérite en toute légitimité
que ses Etats membres lui témoignent tout le respect qui lui est
dû et lui apportent un soutien et une collaboration active par le
biais de structures de gouvernance prévues à cet effet.
Système de gouvernance de l’OMS et des instances concernées
par les situations de pandémie
16. L’Assemblée mondiale de la santé est l’organe décisionnel
suprême de l’OMS. Elle se réunit généralement à Genève et rassemble
les délégations de tous les Etats membres. Sa fonction principale consiste
à arrêter les politiques de l’organisation. Elle nomme le directeur
général, supervise les politiques financières de l’organisation,
examine et approuve les propositions de budgets programme. Elle
étudie également les rapports du conseil exécutif auquel elle donne
des instructions sur des sujets pour lesquels de nouvelles mesures,
études, recherches ou rapports peuvent être nécessaires. Le conseil
exécutif est composé de 34 membres techniquement qualifiés dans
le domaine de la santé qui sont élus pour trois ans. Les Etats membres
de l’OMS sont par ailleurs représentés dans les six comités régionaux
qui se réunissent chaque année.
17. L’un des organes de l’OMS directement concerné par les pandémies
est le Groupe stratégique consultatif d’experts (SAGE), principal
groupe consultatif pour l’élaboration des politiques en matière
de vaccination et d’immunisation à un niveau davantage stratégique
que technique. Le SAGE se compose de 15 membres élus pour un mandat
initial de trois ans (renouvelable seulement une fois), qui siègent
à titre personnel et représentent un large éventail de disciplines
respectant un équilibre en termes de diversité géographique et de
représentation homme-femme. Le mandat du SAGE ainsi que la liste
de ses membres sont disponibles sur le site internet de l’OMS. Avant
d’être désignés, tous les membres doivent signer une déclaration
d’intérêts en vue d’éviter les conflits d’intérêts entre leur activité
professionnelle quelle qu’elle soit et leur fonction consultative
au sein de l’OMS.
18. Au titre des dispositions du Règlement sanitaire international
(RSI) de 2005, le directeur général de l’OMS peut aussi désigner
un comité d’urgence pour le conseiller en cas de crises graves et
de situations d’urgence de portée internationale en matière de santé
publique. En réponse aux cas de grippe porcine A(H1N1) signalés
au Mexique et aux Etats-Unis, la directrice générale a convoqué
une première réunion du comité d’urgence le 25 avril 2009 afin qu’il
évalue la situation et la conseille sur les suites appropriées à
donner. L’appartenance à ce comité n’est pas publique. C’est précisément
sur la base des conseils de ce comité que l’OMS a déclaré la pandémie
du virus H1N1 le 11 juin 2009.
Adéquation et pertinence des mesures
19. Compte tenu de l’évolution encore très modérée de
la pandémie près d’un an après sa survenue (mai 2010), il y a tout
lieu de sérieusement mettre en doute l’interprétation des données
scientifiques et empiriques. Pour certains experts, il semblait
évident, et ce à un stade relativement précoce, que ce nouveau sous-type
de virus de la grippe était moins virulent chez les êtres humains
infectés que d’autres formes du virus observées les années précédentes.
Comme l’a déclaré un épidémiologiste «l’importance de la grippe
est complètement surestimée. C’est une question de fonds de recherche,
de pouvoir, de pression et de réputation scientifique»
. Ceux
toutefois qui étaient en faveur de mesures de grande envergure,
les justifiaient par ce que l’on appelle le «principe de précaution».
De nombreux scientifiques prévoyaient de longue date la survenue
d’une nouvelle pandémie mondiale et étaient donc extrêmement sensibilisés
aux conséquences dramatiques que pouvaient avoir de nouveaux virus.
En outre la possible mutation du virus de la grippe porcine était
considérée comme le danger le plus grave puisqu’il aurait pu entraîner
l’inefficacité des traitements et vaccins antigrippaux existants
et également accentuer la gravité de la maladie.
20. Selon certains experts critiques, c’est précisément ce manque
de preuves irréfutables concernant le phénomène de la grippe qui
a conduit à une crainte démesurée d’une pandémie et aux mesures disproportionnées
qui ont suivi. Visiblement, même pour certains experts et professionnels
de la santé, il était difficile de faire clairement la différence
entre grippe réelle et syndrome grippal, ce qui a renforcé l’impression générale
que la pandémie était plus grave qu’elle ne l’était en réalité.
A cet égard, le Dr Tom Jefferson de la Cochrane Collaboration
,
lors d’une audition de l’Assemblée parlementaire tenue à Paris le
29 mars 2010, a déclaré que «peu (voire aucun) de systèmes nationaux
et internationaux de surveillance font la différence entre grippe
réelle et syndrome grippal, soit parce qu’ils estiment que cela
n’a pas d’importance, soit parce que le “système” n’est pas prévu
pour, soit pour d’autres raisons encore floues». Il a en outre indiqué
que seulement 7 à 15 % des personnes présentant des symptômes grippaux
avaient réellement la grippe. Autrement dit, les programmes de vaccination
sont destinés à contrer ce que les systèmes de surveillance à travers
le monde appellent «la grippe» (
influenza)
mais qui est en réalité un syndrome grippal ou une grippe légère.
Il s’est, avec ces arguments, fait l’écho de la préoccupation de
certains experts critiques quant à la pertinence des mesures prises
face à la situation du H1N1. Par ailleurs, de nombreux pays ont
eu des difficultés à clairement faire la distinction entre les patients
qui sont morts en
ayant la
grippe porcine (c’est-à-dire ceux présentant des symptômes de la
grippe porcine mais dont le décès a été causé par d’autres pathologies)
et les patients qui sont morts
de la
grippe porcine (c’est-à-dire ceux chez lesquels la grippe porcine
est la principale cause du décès); certaines statistiques sur lesquelles
des décisions ultérieures de santé publique se sont fondées, ont pu
s’en trouver «faussées». Très récemment, le Dr Klaus Stoehr qui
avait été responsable jusqu’en 2007 du système d’alerte relatif
aux pandémies au sein de l’OMS, a renforcé les doutes quant à la
pertinence des mesures prises par rapport à la grippe H1N1 en affirmant:
«La programmation des pandémies dans laquelle j’ai été impliqué
a toujours été basée sur un événement grave de santé publique. (...)
Passer à la phase 6 signifiait que nous voulions que les gouvernements
(...) démarrent leurs programmes, qu’ils les considèrent urgents
ou non.» Ensuite, il a exprimé sa conviction que, rétrospectivement,
il n’était pas nécessaire de passer à la phase 6 aussi rapidement,
et que l’OMS, au courant de l’été 2009, avait omis de lire les signes
concernant la grippe porcine en provenance de l’hémisphère Sud
.
21. L’Assemblée soutient pleinement le recours responsable à des
«mesures de précaution» par les pouvoirs publics, tel qu’énoncé
dans sa
Recommandation
1787 (2007) «Principe de précaution et gestion responsable
des risques». Dans un échange direct avec des représentants de l’OMS,
le rapporteur a néanmoins soulevé la question de savoir pourquoi
l’OMS avait maintenu les niveaux maximaux d’alerte alors même que
les données empiriques avaient révélé que la virulence de la pandémie
était moins importante que prévue. En réponse à cela, le Dr Keiji
Fukuda, conseiller spécial auprès de la directrice générale pour
la grippe pandémique, a déclaré au nom de l’OMS que, dans le cas
d’urgences de santé publique, les autorités sanitaires devaient
quelquefois arrêter des décisions urgentes, souvent de vaste portée,
dans un climat d’incertitude scientifique considérable. Il s’est
déclaré convaincu qu’il était préférable d’assister à une pandémie
modérée avec une offre abondante de vaccins qu’à une pandémie grave
avec des stocks de vaccins insuffisants et estimait que les mesures
prises au titre du virus H1N1 étaient justifiées
. Dans sa déclaration qui
remonte à janvier 2010, il ajoutait en outre qu’il était encore
trop tôt pour dire si la pandémie était terminée et qu’une nouvelle
vague épidémique en Europe était encore possible à l’hiver ou au
printemps.
22. Pour le rapporteur, il est évident que l’adéquation de la
réponse face au virus H1N1 mérite d’être évaluée et que l’OMS et
les Etats membres doivent en tenir compte dans le cadre des procédures
d’examen qui ont été ou qui sont mises en place à la suite du débat
sur la pandémie. Par ailleurs, toutes les autorités de santé publique
concernées devraient revoir leur approche du principe de précaution,
et notamment la communication autour de son utilisation; en effet
la question de savoir comment la société doit réagir face à l’incertitude
est forcément une question de politique publique et non une question
scientifique. A l’avenir, dans les situations où la santé publique
est exposée à un grave risque, les décideurs devraient garder présent
à l’esprit que le principe de précaution peut alimenter un sentiment
général d’inquiétude et de malaise au sein de la population et encourager
les médias à entrer dans une logique d’exploitation des sentiments
de peur.
23. Dans une situation où à l’incertitude vient s’ajouter un risque
pour la santé et la vie humaines, il est aussi à craindre que l’opinion
publique soit manipulée pour servir certains intérêts commerciaux.
Il conviendrait en outre de reconnaître que les responsables politiques
risquent d’être contraints de faire des choix qui ne seraient pas
dictés par la recherche d’une solution optimale mais plutôt d’une
solution qui les protégerait des accusations (la stratégie dite
«du parapluie»)
. Selon le rapporteur, il est donc
primordial que les décisions clés relatives aux menaces pesant sur
la santé publique, notamment lorsque règne un climat d’incertitude, soient
prises en toute transparence. L’opinion publique doit par ailleurs
avoir accès à des informations complètes afin que même les personnes
ayant des connaissances scientifiques limitées n’aient pas de difficulté
à suivre les arguments. A cet égard, le rapporteur reconnaît qu’il
est difficile d’évaluer et de communiquer sur l’impact d’un virus
et que ce n’est que rétrospectivement que l’on peut juger du caractère grave,
bénin ou modéré d’une pandémie. Toutefois, afin d’éviter de céder
à un penchant anxieux, où les réactions sont guidées dans une plus
grande mesure par l’inquiétude que par la maladie elle-même, certains observateurs
ont récemment appelé à une approche plus pondérée face à l’apparition
d’infections et rappelé la nécessité de revoir à la fois l’évaluation
des risques et les stratégies de gestion des risques
.
Changer la définition d’une pandémie
24. Un certain nombre de membres de la communauté scientifique
ont commencé à s’interroger lorsque l’OMS a décidé de relever rapidement
le niveau d’alerte pandémique à la phase 6 alors même que les symptômes
de la grippe étaient relativement modérés. Cette décision ainsi
que les modifications apportées à la définition d’une pandémie juste
avant que la pandémie H1N1 ne soit déclarée ont renforcé des interrogations chez
un certain nombre de personnes. Comme l’a soulevé le Dr Wolfgang
Wodarg – épidémiologiste allemand et ancien membre de l’Assemblée
– lors de l’audition publique du 26 janvier 2010, l’annonce de la
pandémie actuelle ne pouvait être faite qu’en modifiant la définition
et en abaissant le seuil requis pour déclarer une pandémie.
25. L’OMS continue de soutenir que la définition de base d’une
pandémie n’a jamais été modifiée. Seule la description des niveaux
d’alerte pandémique a été revue au moment de la mise à jour du document «Préparation
et action en cas de grippe pandémique: document d’orientation de
l’OMS» (nouvel intitulé) en mai 2009. Malgré ces affirmations, il
existe des preuves évidentes que des changements ont été faits et
que les critères antérieurs relatifs à l’impact et à la gravité
d’une épidémie en termes de nombre de cas et de décès n’ont plus
été pris en compte dans la nouvelle version du document
. En d’autres termes, une
pandémie a pu être déclarée sans qu’il y ait eu besoin de montrer
que son impact sur la population risquait d’être grave (s’agissant
par exemple de la gravité de la maladie et du nombre de décès).
La définition antérieure au 4 mai 2009 était libellée comme suit
«Une pandémie de grippe survient lorsqu’apparaît un virus nouveau
contre lequel le système immunitaire humain est sans défense, donnant
lieu à une épidémie mondiale provoquant un nombre considérable de
cas et de décès. Le nouveau virus grippal est d’autant plus susceptible
de se propager rapidement dans le monde que les transports internationaux
ainsi que l’urbanisation et les conditions de surpeuplement s’intensifient»;
voilà à présent la même définition telle qu’elle apparaît sur le
site internet de l’OMS après cette date: «Une maladie épidémique
survient lorsque la prévalence de cette maladie est supérieure à
la normale. Une pandémie est une épidémie mondiale. Une pandémie
de grippe peut survenir lorsqu’apparaît un nouveau virus de grippe
contre lequel la population humaine n’est pas immunisée (…) L’intensité
d’une pandémie peut être modérée ou forte en termes de cas et de
décès provoqués et peut varier au cours de l’évolution de la pandémie.»
26. Peu de temps après, la porte-parole de l’OMS, Nathalie Boudou
a justifié cette modification en arguant que «l’ancienne» définition
était une «erreur» et qu’elle avait été retirée du site internet
de l’OMS. Elle a déclaré que la définition correcte était qu’une
«pandémie se caractérise par l’apparition de foyers de maladie dans
au moins deux régions du monde selon la division qu’en fait l’OMS,
mais n’a rien à voir avec la gravité de la maladie ou le nombre
de décès»
. Ces définitions et
commentaires livrés au moment où la pandémie était imminente suscitèrent
la confusion chez les professionnels de la santé publique concernés
tout comme chez les observateurs au sein de l’ensemble de l’opinion
publique européenne.
27. Le rapporteur recommande vivement que des travaux complémentaires
approfondis soient entrepris par toutes les parties prenantes concernées
en vue d’arrêter une définition commune d’une pandémie de grippe. Cette
définition devrait devenir l’élément central de lignes directrices
internationales pour la planification préalable à une pandémie au
niveau national. Selon le rapporteur, même si l’OMS n’a pas eu l’intention
de modifier la définition d’une pandémie pour accélérer l’annonce
d’un tel événement en juin 2009, les modifications apportées aux
descriptions et aux indicateurs de la maladie, au moment même où
une infection majeure de grippe était imminente, étaient tout à
fait inopportunes et ont été réalisées d’une manière qui peut être
considérée comme manquant de transparence. Elles ont également alimenté
les doutes quant à une pression morale exercée sur les décideurs;
tous les observateurs critiques de la situation en sont en effet venus
à se demander si cette modification intempestive était absolument
nécessaire et à qui elle profitait le plus.
Le partenariat public-privé passé au crible
28. Les partenariats public-privé ont été introduits
dans le système de gouvernance de l’OMS après l’appel, lancé en
1993 par l’Assemblée mondiale de la santé, à la mobilisation et
au soutien de tous les partenaires du développement de la santé,
y compris les ONG et les institutions du secteur privé. L’intention
positive de ce changement majeur des méthodes de travail était de
mobiliser des ressources et une expertise recevant un financement
privé au profit de la santé publique tout en donnant au secteur
commercial la possibilité d’attirer de nouveaux investisseurs et
de passer de nouveaux marchés grâce à une meilleure image de marque.
L’OMS a cependant mis en place des garanties institutionnelles pour
contrebalancer les risques éventuels des partenariats public-privé,
puis publié en 2000 ses lignes directrices sur la collaboration
avec le secteur privé pour réaliser ses objectifs en matière de
santé. Lorsqu’elle a introduit des mécanismes destinés à préserver son
intégrité, l’OMS s’est retrouvée directement au centre d’un débat
sur la pertinence d’une coopération public-privé. A cette époque,
si les précautions prises ont été bien accueillies par certains
critiques, beaucoup les ont jugées inadaptées en termes de contenu
et d’activités
.
29. Le rapporteur estime que, en dépit aujourd’hui d’une plus
grande sensibilisation aux risques que comporte le partenariat public-privé
et de la mise en place de mécanismes routiniers de protection contre
les conflits d’intérêts au sein des organes de gouvernance de l’OMS,
cette question devrait faire l’objet d’une attention suivie. Dans
un monde où le niveau d’accès aux technologies de l’information
est très élevé et où les actions de lobbying et les réseaux de groupes
de pression sont de plus en plus internationalisés et professionnalisés,
le problème des éventuels conflits d’intérêts des experts sanitaires
est plus que jamais d’actualité. C’est précisément dans ce contexte
que l’Assemblée a adopté sa
Recommandation
1908 (2010) «Le lobbying dans une société démocratique
(Code européen de bonne conduite en matière de lobbying)» dans laquelle
elle indique que le lobbying non réglementé et occulte peut miner
les principes démocratiques et de bonne gouvernance. S’agissant
du secteur de la santé publique, le rapporteur est particulièrement préoccupé
par le recrutement systématique de «grands leaders de l’opinion
publique» par certaines «agences de communication» dans l’industrie
pharmaceutique
.
30. Pour le rapporteur, l’éventualité que les représentants de
l’industrie pharmaceutique aient pu directement peser sur les décisions
publiques et les recommandations émises au sujet de la grippe H1N1, reste
l’une des questions centrales du débat actuel qui a continué à être
alimenté davantage par les révélations du
British
Medical Journal (BMJ) le 4 juin 2010
. Parmi les facteurs éveillant
les soupçons d’abus d’influence, on peut citer la conclusion précoce
d’accords contractuels en matière de délivrance des vaccins entre
les Etats membres et les groupes pharmaceutiques ainsi que les bénéfices
que ces groupes ont pu réaliser à la suite de la pandémie de grippe.
Le principal soupçon porte toutefois sur les liens professionnels
qu’entretiendraient les membres des conseils consultatifs de l’OMS
avec les groupes pharmaceutiques, ce qui remettrait en cause la
neutralité de leurs avis. Malheureusement, l’OMS ayant refusé de
divulguer les noms et les déclarations d’intérêts des personnes
concernées, toute recherche menée actuellement sur la question dépend entièrement
des résultats du journalisme d’investigation
.
31. Ni les conseils consultatifs de l’OMS, ni le SAGE ou le comité
d’urgence n’exercent de fonctions de gestion ou de contrôle. Leurs
membres sont nommés par le directeur général de l’OMS d’après la
liste d’experts du RSI et conformément aux réglementations du comité
consultatif de l’OMS. L’organisation a reconnu qu’il existait toujours
un risque potentiel de conflits d’intérêts dans les avis qui lui
étaient donnés, inhérent au fait qu’elle s’adressait à un vaste
ensemble d’experts et de groupes d’intérêts, mais qu’un certain nombre
de mécanismes routiniers de protection étaient en place pour éviter
des conflits d’intérêts éventuels. Selon l’OMS, la transparence
est assurée par les déclarations d’intérêts dans lesquelles les
experts externes déclarent tous leurs intérêts professionnels et
financiers: fonds reçus de sociétés pharmaceutiques, activités de
conseil ou autres formes d’engagement dans des activités commerciales.
32. Selon des responsables de l’OMS, l’intégrité des recommandations
est préservée dans la mesure où seuls les experts qui n’ont pas
de conflits d’intérêts réels ou supposés sont autorisés à faire
des recommandations. Enfin, selon l’OMS, l’importance relative des
personnes qui déclarent un conflit d’intérêts est également un élément
à prendre en compte: si un conflit d’intérêts survient concernant
une personne qui en d’autres circonstances apporterait une contribution
utile, la personne concernée est uniquement autorisée à participer
à l’échange de vues et à la communication à caractère général. Bien
que cette approche dénote une certaine sensibilisation à cette question
délicate, le rapporteur n’est pas convaincu qu’elle constitue un garde-fou
suffisant pour éviter d’éventuels conflits d’intérêts et par là
même toute pression morale ou parti pris.
33. Le comité d’urgence qui conseille directement la directrice
générale sur la pandémie H1N1 est la principale cible des critiques.
Ce comité s’est réuni huit fois depuis le déclenchement de la pandémie
(réunions tenues entre avril 2009 et mai 2010). Après avoir examiné
les données disponibles sur la situation actuelle, les membres du
Comité ont recensé un certain nombre de lacunes concernant les données
sur les caractéristiques cliniques, l’épidémiologie et la virologie
des cas signalés ainsi que les mesures appropriées. Le Comité a
estimé que des réponses à plusieurs questions spécifiques étaient
nécessaires pour lui faciliter la tâche et a jugé que la situation
actuelle constituait une urgence de santé publique de portée internationale.
34. Même si dans certaines de leurs critiques, divers pays et
l’Assemblée elle-même
ont à plusieurs reprises
réclamé la publication de la liste des experts et de leurs déclarations
d’intérêts respectives, l’OMS s’est refusée à fournir ces informations.
L’organisation s’abstient aujourd’hui encore de divulguer des informations
supplémentaires sur les intérêts des experts, invoquant l’argument
du respect de leur vie privée et la nécessité d’éviter qu’ils aient
à subir une forte pression de la part de certaines sociétés privées
ou groupes de pression. Le rapporteur est très préoccupé par cette
attitude et reste convaincu qu’il est à tout à fait justifié d’exiger
une transparence totale concernant les profils des experts dont
les recommandations ont tant de conséquences pour le secteur de
la santé publique ainsi que pour la santé et le bien-être des Européens.
35. Le rapporteur souhaite soulever le fait que même à l’OMS,
quelques personnes comprennent dans une certaine mesure les doutes
qui pèsent sur la neutralité des avis donnés. L’organisation a en
effet récemment déclaré: «L’ajustement des perceptions du public
à un virus beaucoup moins létal a posé des problèmes. En raison
des divergences entre ce à quoi on s’attendait et ce qu’il s’est
produit en réalité, on peut comprendre cette recherche de motifs
secrets ou d’arrière-pensées qu’auraient l’OMS ou ses conseillers
scientifiques, mais elle n’est pas justifiée»
.
Parallèlement, l’OMS a rappelé à plusieurs reprises qu’elle considérait
que les mécanismes existants étaient satisfaisants, mais a fait
savoir que les allégations de conflits d’intérêts qui n’auraient
pas été déclarés étaient prises très au sérieux et feraient l’objet
de mesures. Dès janvier 2010, l’OMS a annoncé son intention d’examiner
la manière dont la pandémie était gérée et prévoyait également une évaluation
de ses propres performances, avec la participation d’experts externes
et en vue de procéder à un examen du Règlement sanitaire international
(RSI) existant.
36. Comme annoncé en janvier 2010
,
une évaluation interne a été lancée par l’OMS et menée par le Comité
d’examen sur le fonctionnement du Règlement sanitaire international
(2005) concernant la pandémie (H1N1) de 2009. Le Comité s’est réuni
pour la première fois du 12 au 14 avril 2010 à Genève. D’après son premier
rapport, le Comité s’était fixé trois objectifs: 1. évaluer le RSI
eu égard à la pandémie actuelle; 2. analyser le champ, l’adéquation,
l’efficacité et la réactivité des mesures mondiales ainsi que le
rôle du secrétariat de l’OMS; et, 3. dégager et analyser les principaux
enseignements tirés de la riposte mondiale à la pandémie actuelle.
37. Le rapporteur accueille avec satisfaction cette démarche critique
et autocritique adoptée par l’OMS concernant la pandémie H1N1 et
la perte de confiance observée actuellement en Europe, dans l’opinion publique
comme chez les responsables politiques. Il demande à ce que les
points critiques soulevés dans le présent rapport soient pris en
compte de façon exhaustive lors de la procédure d’examen actuellement
en cours. Il recommande vivement à l’OMS et à d’autres institutions
concernées d’ouvrir explicitement leur processus d’orientation politique
aux experts exprimant des avis divergents ou contraires en vue d’éviter
ce que l’on pourrait appeler «une pensée unique». A cet égard, le
rapporteur se félicite vivement du fait que le Comité d’examen de
l’OMS, qui vient tout juste de reprendre ses travaux, soit présidé
par le professeur Harvey V. Fineberg, Président de l’Institut de
médecine de Washington D.C. (Etats-Unis), qui a déclaré en 1978: «Dans
un cas de grippe porcine, lorsque les données avérées sont insuffisantes
(…) les décideurs en haut lieu ont besoin d’hypothèses scientifiques
dont la qualité a également été évaluée. Les comités d’experts ont tendance
à privilégier une “pensée collective” qu’ils cherchent à “vendre”
à tout prix, en raison d’une longue histoire d’échanges et de proximité,
comme cette fraternité qui lie les spécialistes de la grippe. D’autres scientifiques
compétents, qui ne partagent pas leur identité de groupe ou leurs
intérêts, devraient être en mesure de juger du raisonnement scientifique
qui s’applique aux données disponibles»
.
Le rapporteur est, cependant, très préoccupé par le fait qu’il apparaît
que certains des membres du comité d’examen sont également membres
du comité d’urgence dont ils devraient évaluer les actions (en particulier
le président de ce dernier)
.
Communication et dialogue sur les questions sensibles
de santé
38. Outre les conseils non négligeables émis par l’OMS
et d’autres partenaires majeurs et la façon dont ils étaient élaborés,
des critiques sont également justifiées concernant la manière –
parfois ambiguë – dont les questions relatives à la pandémie H1N1
ont été communiquées aux gouvernements nationaux et à l’ensemble de
l’opinion publique européenne. A ce titre, le rapporteur tient à
souligner que les effets attendus concernant le nombre d’infections
et de décès ont été régulièrement exagérés, alimentant une incertitude
et des craintes de plus en plus vives chez les Européens. Il importe
également d’examiner le rôle des médias dans l’exploitation de ces
peurs et comment l’OMS et les autorités nationales devraient gérer
les communications à l’avenir, notamment lorsqu’elles appliquent
le principe de précaution.
39. L’OMS elle-même continue d’affirmer qu’elle a toujours considéré
l’intensité de l’actuelle pandémie de grippe comme modérée, rappelant
à la communauté médicale, à l’opinion publique et aux médias que l’écrasante
majorité des patients souffraient d’un syndrome grippal bénin et
guérissaient spontanément au bout d’une semaine sans aucun traitement
médical
. La plupart des personnes, toutefois, s’attendaient
à des conséquences plus dramatiques, notamment parce qu’au printemps
2009, la grippe porcine qui s’annonçait avait été à plusieurs reprises
comparée aux précédentes maladies infectieuses comme la grippe aviaire
et le SRAS de ces dernières années mais aussi à la grippe espagnole
de 1918. Pour certains experts, comme le professeur Keil, épidémiologiste
et directeur du centre collaborateur de l’OMS en épidémiologie de
l’université de Münster (Allemagne) qui s’est exprimé lors de l’audition
publique du 26 janvier 2010, la comparaison avec la ’grippe espagnole’
de 1918 ne se justifiait pas d’une manière générale dans la mesure
où les données empiriques étaient loin d’être comparables. La ’grippe
espagnole’ s’était propagée dans le contexte historique de la première
guerre mondiale, où les infections étaient facilement transmises
par les soldats, dont un grand nombre souffrait de malnutrition
et ne bénéficiait pas de médicaments considérés comme basiques aujourd’hui,
tels que la pénicilline. En réponse à cela, l’OMS a déclaré que
la référence à de précédents événements sanitaires devait être interprétée
comme un signe positif: elle cite l’exemple du SRAS dont la propagation
a été enrayée avec succès, ce qui constitue une victoire majeure
pour la santé publique
.
40. Lors de récents débats, l’OMS s’est en outre dite consciente
que la préparation et la communication d’informations sur des questions
complexes de santé publique représentaient un défi majeur dans le
contexte de mondialisation du XXIe siècle,
étant donné que les informations sont plus décentralisées et que
les attentes de la population sont bien plus grandes. Aujourd’hui
outre les services traditionnels d’information, il faut désormais
compter avec les blogs, courriels et plusieurs autres sources d’information.
Le rapporteur estime que des efforts devront être consentis à l’avenir
pour améliorer le dialogue et la communication sur des questions
sensibles de santé publique aux niveaux international, européen
et national. Comme l’affirme Gerd Gigerenzer, directeur du Centre
pour le comportement adaptif et la cognition de l’Institut Max Planck
en Allemagne: «Le problème n’est pas tant qu’il est difficile de
communiquer sur l’incertitude, mais que l’incertitude n’a pas été
communiquée
.»
3.2. Le rôle de l’industrie pharmaceutique
41. Un certain nombre de fabricants de vaccins participent
à la production des vaccins H1N1 au niveau international
. Au
niveau européen les vaccins – Focetria de Novartis, Pandemrix de
GlaxoSmithKline, Celvapan de Baxter International et Panenza de
Sanofi-Pasteur – ont été utilisés lors de la pandémie H1N1. Ces
sociétés appartiennent au groupe des Producteurs européens de vaccins
(EVM) qui dépend de la Fédération européenne des industries et associations
pharmaceutiques (EFPIA).
42. L’industrie pharmaceutique était représentée, par l’intermédiaire
de l’EVM, lors de l’audition publique du 26 janvier 2010. Selon
l’EVM, les mesures rendues nécessaires par la déclaration de la
pandémie à l’été 2009 ont demandé un niveau de collaboration sans
précédent entre l’OMS, les gouvernements nationaux, les autorités
sanitaires, les organismes de surveillance, les scientifiques, les
professionnels de santé et les entreprises du secteur privé, afin
d’apporter les contre-mesures qui s’imposaient
.
43. Le rôle de l’industrie pharmaceutique est étroitement lié
à la question des procédures en place en matière d’évaluation et
d’autorisation des médicaments et au degré de transparence qui les
caractérise. Selon les informations communiquées au rapporteur,
tous les vaccins utilisés lors de la pandémie ont été autorisés selon
la procédure officielle suivie par l’Agence européenne du médicament
(EMEA) même s’ils n’ont pas tous été testés cliniquement sur des
personnes vulnérables tels les enfants
.
Dans ses déclarations officielles, l’Agence a affirmé que, malgré
les courts délais d’obtention des autorisations de mise sur le marché,
ces vaccins avaient été suffisamment testés, tout comme les adjuvants
utilisés
. La question de savoir
si suffisamment de tests ont été pratiqués suscite une grande controverse
au sein de la communauté médicale. Il semblerait toutefois qu’au
moins un vaccin sans adjuvant de Sanofi-Pasteur (Panenza) ait fait
l’objet d’un traitement différent et ait obtenu une autorisation
dans certains pays, comme la France, sans passer par toutes les
procédures strictes prévues au niveau européen
.
Sans vouloir porter un jugement définitif sur cette question scientifique
très pointue, le rapporteur considère qu’il est tout à fait légitime
de se demander si les données scientifiques disponibles étaient
suffisantes pour lever tous les doutes qui auraient pu subsister
à l’égard de ces produits.
44. A ce titre, la question la plus fondamentale concerne les
risques potentiels auxquels est exposée la santé des personnes à
qui sont administrés les vaccins et les médicaments antigrippaux,
notamment les groupes les plus vulnérables (tels les enfants, les
femmes enceintes ou les personnes souffrant de maladies chroniques).
Certains experts critiques ont d’ores et déjà signalé que les effets
secondaires ou l’efficacité des vaccins et des médicaments antiviraux
(comme le Tamiflu ou le Relenza) n’avaient pas subi suffisamment
de tests avant d’être commercialisés. Cela concerne notamment certains
vaccins qui ont été mis au point en utilisant des adjuvants brevetés
spécifiques ou des poules pondeuses pour tester l’antigène du virus
à venir. Le fait que seuls les produits brevetés aient été autorisés
explique pourquoi un petit nombre de sociétés a pu exercer un monopole
sur les vaccins et les vendre bien plus cher que les vaccins pour
la grippe saisonnière, qui suivent des méthodes de fabrication traditionnelles
à partir d’œufs de poule et auraient pu être mis à disposition bien
plus rapidement par de nombreux laboratoires à travers le monde
en utilisant des procédures non brevetées
.
Quelques mois après l’annonce de la pandémie, l’Agence européenne
du médicament elle-même a signalé que «seules quelques données sur
l’innocuité et l’immunogénicité des vaccins contre la grippe A(H1N1)v
seront communiquées lorsque les Etats membres commenceront à utiliser
les vaccins. En outre, en raison d’une possible mutation du virus,
il conviendra de suivre l’efficacité des vaccins»
.
45. Certains experts critiques se sont également interrogés sur
la nécessité de mettre au point des vaccins spécifiques pour la
grippe H1N1. Etant donné que le virus de la grippe évolue chaque
année, le virus aurait pu être traité par des vaccins antigrippaux
en stock, au lieu d’avoir à fabriquer un produit spécial dans un
laps de temps très court et de devoir accélérer les procédures d’autorisation
comme expliqué plus haut. Enfin, et cela est directement lié aux
aspects sanitaires développés ci-dessus, le rapporteur estime qu’il
importe de soulever la question de savoir si les gouvernements nationaux
ont été correctement informés par les autorités sanitaires avant
d’acquérir de grandes quantités de vaccins autorisés par le biais
de procédures accélérées. Il est ici notamment fait référence à
l’avis initial préconisant l’administration d’une double dose. Pour
le rapporteur, il ne fait aucun doute que les procédures d’évaluation
et d’autorisation accélérées utilisées dans la gestion des vaccins
ont renforcé l’exposition des gouvernements nationaux à une éventuelle
pression des groupes pharmaceutiques et au soupçon d’abus d’influence
sur les décisions en matière de santé publique.
46. Ces soupçons ont également été alimentés par le fait que l’industrie
pharmaceutique avait tout intérêt à ce qu’une pandémie soit déclarée
et que des campagnes de vaccination soient lancées. En témoigne
le caractère précoce de certains accords contractuels portant sur
une nouvelle pandémie de grippe (certains ayant été conclus entre
les Etats membres et les groupes pharmaceutiques dans la période
2006-2007, juste après l’alerte de la grippe aviaire). Plusieurs
pays européens ont signé des contrats dits «dormants» avec de grands
groupes pharmaceutiques, qui devaient entrer en vigueur à la date
de déclaration d’une pandémie par l’OMS
.
L’on pourrait se féliciter que les gouvernements et les groupes
pharmaceutiques aient anticipé une situation majeure de santé publique;
le rapporteur tient néanmoins à signaler que des éléments indiquent
que certains groupes industriels se sont livrés à des pratiques
commerciales douteuses. Le rapporteur se réfère notamment à la pression
exercée sur les gouvernements nationaux pour l’entrée en vigueur
des «contrats dormants» après des délais de réflexion très courts
(invoquant l’argument qui veut que le premier arrivé soit le premier
servi) et la tentative de rejeter la responsabilité générale des
effets secondaires des vaccins sur les gouvernements eux-mêmes (voir
l’expérience de la Pologne décrite plus loin). Compte tenu de ces
soupçons et des répercussions majeures sur les budgets de santé
publique dans l’ensemble de l’Europe, le rapporteur salue la volonté
manifestée par les groupes pharmaceutiques de renoncer aux accords
contractuels conclus avec les gouvernements nationaux et de leur
permettre de résilier certaines commandes qui n’ont pas encore été
livrées.
47. Les bénéfices élevés réalisés par les sociétés pharmaceutiques
donnent également un aperçu des intérêts commerciaux en jeu dans
le cadre de la pandémie et des campagnes de vaccination. D’après
les estimations de la banque internationale d’investissements JP
Morgan, les ventes de vaccins contre la grippe H1N1 en 2009 pourraient
générer entre 7 et 10 milliards de dollars de bénéfices pour leurs
fabricants. Le groupe Sanofi-Aventis a annoncé début 2010 avoir
enregistré un bénéfice net de 7,8 milliards d’euros (+11 %) en raison
des ventes «record» de vaccins antigrippaux
. En tant
que tels, et du point de vue de l’économie de marché, les intérêts
commerciaux ne peuvent faire l’objet de critiques. Le rapporteur
souhaiterait toutefois soulever la question suivante: était-il justifié
de vendre aux gouvernements nationaux des vaccins H1N1 à des prix
deux à trois fois plus élevés que ceux pratiqués pour le vaccin
de la grippe saisonnière en utilisant essentiellement des adjuvants
brevetés et en réalisant par là même des bénéfices exagérément élevés
sur le dos d’une crise déclarée de santé publique?
48. Pour conclure sur le rôle actuel de l’industrie pharmaceutique,
le rapporteur considère que – à l’heure où les pouvoirs publics
doivent renforcer encore les mécanismes destinés à éviter tout conflit
d’intérêts et où les groupes pharmaceutiques affichent leur volonté
de participer à un dialogue – les acteurs industriels doivent fournir
des efforts supplémentaires pour prouver qu’ils n’exercent aucun
abus d’influence sur les décisions en matière de santé publique
et qu’ils ne tirent aucun profit déraisonnable des situations de
crise. De la même manière que la confiance dans les mesures de santé
publique doit être restaurée, il importe de renforcer la confiance
dans les sciences et la médecine par tous les moyens possibles,
en faisant notamment appel à une large gamme de compétences scientifiques.
Le cas de la pandémie H1N1 remet également en question le système
d’évaluation, de contrôle et de promotion des médicaments. Dans
la mesure où d’importantes sommes d’argent public et une large confiance
du public sont investies dans les médicaments, l’ensemble des données
doit pouvoir être passé au crible par la communauté scientifique
.
3.3. Le rôle des Etats membres et de leurs autorités
sanitaires
49. Les Etats membres se trouvent quant à eux face à
un ensemble complexe de questions concernant la pandémie H1N1 qui
pourraient être résumées comme suit: 1. Etaient-ils correctement
informés sur les stratégies de préparation à la pandémie? et, 2.
Ont-ils agi de manière responsable et dans l’intérêt de la santé et
du bien-être de leurs citoyens? Aux fins du présent rapport, un
certain nombre de réactions nationales ont été examinées. Le rapporteur
n’entend pas juger pour l’ensemble des Etats membres du Conseil
de l’Europe, si la situation a ou non été gérée de manière appropriée.
Il appartiendra à chaque Etat membre de répondre aux questions soulevées
dans ce rapport et de tirer ses propres conclusions.
50. De la même manière que les avis divergent au sein de la communauté
médicale, les Etats membres du Conseil de l’Europe ont réagi différemment
à la pandémie H1N1, adoptant pour certains une attitude extrêmement
réservée donnant lieu à des campagnes de vaccination discrètes (Pologne)
et pour d’autres, des approches très proactives de la préparation
à la pandémie (Royaume-Uni et France). Toutefois, les inquiétudes
qui subsistent et l’absence de preuves scientifiques quant à l’efficacité
et aux éventuels effets secondaires des vaccins ont conduit à une
diminution manifeste de la demande pour le nouveau vaccin au sein de
la population de beaucoup de pays. Ainsi, en décembre 2009, de nombreux
pays, à l’instar de l’Allemagne, de la France, du Royaume-Uni, de
l’Italie et de l’Irlande ont indiqué que seulement environ 10 %
de la population avaient été vaccinés. Cette faible demande a fini
par laisser penser que la pandémie H1N1 avait donné lieu à un gaspillage
des budgets publics, dans la mesure où une importante quantité de
vaccins commandés par de nombreux gouvernements n’ont pas été utilisés.
51. Pour mieux comprendre certaines décisions prises au niveau
national, et leurs motivations, le rapporteur a examiné plus en
détail la façon dont la pandémie a été gérée au Royaume-Uni, en
France et en Pologne. Les réactions de ces pays à l’annonce de la
pandémie en juin 2009 figurent parmi les plus extrêmes. Le ministère
britannique de la Santé a tout d’abord annoncé que l’on devait s’attendre
à 65 000 morts. Début 2010, ces estimations ont été revues à 1000
décès. En janvier 2010, les chiffres faisaient état de moins de
5 000 personnes ayant contracté la maladie et de 360 décès. En mars
2010, le rapporteur a eu l’occasion de s’entretenir avec Gillian
Merron, alors ministre d’Etat de la Santé publique, au sujet de
la gestion de la grippe H1N1 au niveau national et a été informé
qu’une enquête interne indépendante menée par le Cabinet Office était
en cours et que les conclusions seraient publiées après juin 2010.
52. Les chiffres dont on dispose pour la France montrent très
bien jusqu’à quel point la pandémie H1N1 a pu être surévaluée et
quelles ont été les conséquences pour les budgets de santé publique:
la grippe a causé la mort de 312 personnes (chiffres d’avril 2010)
et 1 334 cas sévères d’infection ont été enregistrés depuis le début
de la pandémie selon l’Institut national de veille sanitaire. Compte
tenu de l’évolution de la pandémie H1N1, le Gouvernement français
est parvenu à annuler les commandes de 50 millions de doses de vaccins sur
le total de 94 millions commandés à l’origine. Une certaine quantité
de vaccins a été vendue à d’autres pays mais la France s’est malgré
tout retrouvée avec un stock inutile de millions de vaccins, puisqu’il apparaissait
en mars 2010 que seuls 5,7 millions de personnes s’étaient fait
vacciner. La France se retrouve en définitive avec une facture de
santé publique pour les vaccins qui s’élève à 365 millions d’euros
et avec un stock de 25 millions de doses de vaccins dont la durée
de conservation expire fin 2010
.
Le rapporteur considère qu’avec du recul on peut considérer que
la France n’est pas dans une position enviable. Elle n’est toutefois
pas la seule à être dans cette situation.
53. A la lumière de ces éléments, certains points critiques soulevés
dans le présent rapport ont désormais été examinés au niveau national
en France. Les observateurs critiques de la pandémie en France ont clairement
mis en doute la neutralité des «experts indépendants», membres de
certaines instances nationales officielles, telles que le Comité
de lutte contre la grippe
. L’Assemblée
nationale et le Sénat ont adopté une approche proactive en organisant
une audition publique sur les mesures que pourraient prendre les chercheurs
et les pouvoirs publics eu égard à la grippe H1N1 par l’intermédiaire
de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et
technologiques
. Le Sénat
français a mis en place une commission d’enquête sur le rôle des
sociétés pharmaceutiques dans la gestion de la grippe H1N1 par le
Gouvernement français, qui a débuté ses investigations en février
2010 dans la perspective de publier un rapport en août 2010. L’Assemblée
nationale a lancé une démarche parallèle dans le cadre de la «Commission
d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée
la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1)» qui doit présenter
son rapport le 13 juillet 2010.
54. D’autres Etats membres ne se sont pas précipités pour agir
à la suite de l’annonce de la pandémie. La Pologne, par exemple,
est l’un des rares pays d’Europe à ne pas avoir acheté des vaccins
en grande quantité en raison de craintes sur leur innocuité et de
la défiance manifestée à l’égard des firmes pharmaceutiques qui les
fabriquent. Lors de l’audition publique organisée par l’Assemblée
à Paris le 29 mars 2010, la ministre polonaise de la Santé, Mme Ewa
Kopacz, est revenue sur l’approche adoptée par la Pologne pour gérer
la pandémie. Elle a expliqué qu’elle a fait l’objet d’une étroite
collaboration avec le Centre européen de prévention et de contrôle
des maladies (CEPCM) et les centres nationaux. Elle comportait une
analyse approfondie veillant à dissiper tout sentiment de panique
et de malaise social général au sein de l’opinion publique. La Commission
polonaise sur la pandémie de grippe a identifié un groupe à haut
risque de 2 millions de personnes et alloué des ressources pour
l’acquisition du nombre nécessaire de vaccins. Toutefois, la ministre a
estimé que les conditions offertes par les groupes pharmaceutiques
pour l’acquisition des vaccins étaient inacceptables. Les vaccins
ne pouvaient être achetés que par le gouvernement (ils ne pouvaient
être commercialisés pour des particuliers) lequel devait endosser
l’entière responsabilité de tous les effets indésirables du vaccin
(lequel constituait visiblement une menace d’après le système EudraVigilance).
Les vaccins affichaient en outre des prix deux à trois supérieurs
à ceux pratiqués pour les vaccins contre la grippe saisonnière.
Comme l’a elle-même souligné la ministre polonaise lors de l’audition
publique en mars 2010, elle a pris la responsabilité – en tant que
responsable politique et médecin – de ne pas accepter ces conditions pour
ne pas être prise en otage par des groupes d’intérêts privés ou
être contrainte de prendre des décisions majeures découlant d’annonces
alarmistes.
55. A la suite des vives polémiques suscitées par la gestion de
la crise de la grippe H1N1, de nombreux Etats membres ont ralenti
leurs campagnes de vaccination et ont réussi à s’acquitter des vaccins
dont ils avaient déjà fait l’acquisition, soit en résiliant certains
accords passés avec les sociétés pharmaceutiques, soit en revendant
une partie de leur stock à des tiers afin de limiter l’impact sur
les budgets de santé publique déjà éprouvés par la crise économique.
Le rapporteur reconnaît que les répercussions sur les budgets de
santé publique ont ainsi été quelque peu limitées. Il reste toutefois
préoccupé par la distorsion des priorités en matière de santé publique
au cours de l’année passée et par les sommes colossales dépensées
qui auraient pu servir pour bien d’autres questions de santé, souvent
plus urgentes. Il est convaincu que l’Assemblée devrait encourager
vivement les Etats membres du Conseil de l’Europe à prendre position
à l’avenir de manière plus décisive en cas de nouvelle alerte pandémique.
Ils devraient en outre prendre l’initiative d’évaluer la manière
dont la pandémie H1N1 a été gérée au niveau national en suivant
l’exemple des pays qui ont d’ores et déjà ouvert une enquête sur
la gestion de la pandémie (à l’instar de la France).
56. L’Assemblée devrait encourager les Etats membres à suivre
de près les procédures d’examen engagées récemment au sein de l’OMS
et des institutions européennes s’occupant des questions de santé publique
afin de s’assurer qu’elles se feront davantage entendre en cas de
nouvelles situations pandémiques que cela n’a été le cas au cours
de cette pandémie H1N1. Tout porte à croire que certains gouvernements, notamment
la Chine, la Grande-Bretagne, le Japon et une douzaine d’autres
pays ont, à un moment donné de la pandémie H1N1, exhorté l’OMS à
ne pas recourir à la nouvelle définition de pandémie proposée et
à «être extrêmement prudente avant de déclarer l’arrivée d’une pandémie
de grippe porcine, craignant qu’une annonce prématurée ne sème la
panique et la confusion dans le monde entier». En réponse à leurs incertitudes,
l’OMS a déclaré «qu’elle étudierait de près [cette question]» juste
avant de déclarer la pandémie le 11 juin 2009
.
3.4. Le rôle des instances de l’Union européenne
57. Le rôle spécifique des instances de l’Union européenne
s’occupant des questions de santé n’a pas été étudié en détail aux
fins du présent rapport, le rapporteur ayant souhaité se concentrer
sur le «triangle d’action» formé par l’OMS, les gouvernements nationaux
et l’industrie pharmaceutique. Leur rôle lors de la pandémie H1N1
pourra ainsi être évoqué comme un élément d’information à caractère
général permettant une compréhension globale de la situation actuelle
et des processus d’analyse récemment entamés.
58. L’Agence européenne du médicament (EMA) est l’organe central
européen chargé de l’autorisation de nouveaux produits médicamenteux
en Europe. Le suivi de la progression de la pandémie H1N1 au niveau européen
a été et continue à être assuré par le Centre européen de prévention
et de contrôle des maladies (CEPCM). Il publiait, jusqu’au début
de l’année 2010, des bulletins quotidiens de la situation. Bien
que le CEPCM considérait que la pandémie était loin d’être terminée
et que d’importantes incertitudes demeuraient, son équipe stratégique
sur les événements de santé publique (PST) a décidé de revoir à
la baisse ses activités de gestion de la crise en janvier 2010,
mettant ainsi fin à la publication des bulletins quotidiens. Après
cette date, le CEPCM a néanmoins poursuivi ses travaux portant sur
la pandémie H1N1 dans le cadre d’un programme général renforcé sur
la grippe
. Le CEPCM, créé en 2005
et dont le siège est à Stockholm/Suède, a pour mission de déceler,
d’évaluer et de communiquer les menaces actuelles et émergentes
que des maladies infectieuses peuvent représenter pour la santé
humaine, en partenariat avec les organes nationaux pour la protection
de la santé en Europe et en associant des experts sanitaires de
toute l’Europe. Comme l’OMS, le CEPCM s’appuie sur ses organes consultatifs
internes. Les noms et déclarations d’intérêts des experts membres
de ces organes n’ont toujours pas non plus été communiqués.
59. La Commission européenne examine actuellement la manière dont
la grippe H1N1 a été gérée par ses institutions ainsi que par les
Etats membres de l’Union européenne à la veille d’une conférence
de la présidence belge et de la Commission européenne prévue début
juillet 2010. Par ailleurs, la Commission européenne a annoncé,
le 9 mars 2010, le lancement de nouveaux projets de recherche sur
la grippe. Quatre projets de recherche collaborative ont été retenus
pour un financement. 52 instituts de recherche et petites et moyennes
entreprises de 18 pays européens et 3 partenaires internationaux
(Israël, Chine et Etats-Unis) y participeront.
60. Enfin, Michèle Rivasi, eurodéputée du groupe des Verts/Alliance
libre européenne, a lancé une initiative en vue de l’ouverture d’une
d’enquête complète sur la gestion de la pandémie H1N1 par les institutions européennes.
Le Parlement européen a décidé, le 20 mai 2010, de ne pas créer
une commission d’enquête, les suites à donner en la matière restant
en suspens pour le moment. Le rapporteur a étroitement collaboré avec
Mme Rivasi qui a pris part à la deuxième
audition de la commission des questions sociales, de la santé et
de la famille, le 29 mars 2010. Le rapporteur espère que cette collaboration
fructueuse entre le Parlement européen et l’Assemblée parlementaire
se poursuivra dans le futur sur d’autres questions de santé publique de
portée européenne.
61. Même si certains points critiques devront être examinés au
niveau européen (comme les éventuels conflits d’intérêts des experts
sanitaires et la transparence et les conséquences de certaines procédures accélérées
d’autorisation des vaccins), le rapporteur se félicite globalement
de l’approche réaliste adoptée à l’égard de la pandémie par les
institutions européennes traitant des questions de santé publique
qui ont revu à la baisse leurs systèmes d’alerte au début de l’année
2010, ainsi que des procédures d’examen critique engagées récemment.
Il espère que la Commission européenne continuera de suivre et de
participer aux activités et débats sur la bonne gouvernance dans
le domaine de la santé publique, au niveau du Conseil de l’Europe
et plus particulièrement de l’Assemblée.
4. Conclusions – Recommandations
62. En conclusion du présent rapport, le rapporteur dit
rester extrêmement préoccupé par la manière dont la pandémie de
grippe H1N1 de 2009-2010 a été gérée et notamment par le manque
de transparence de certaines des décisions prises. Il considère
que les débats et les discussions de ces derniers mois, y compris ceux
tenus dans le cadre de l’Assemblée, ont, d’ores et déjà, aidé les
autorités de santé publique à analyser certains des problèmes qui
se posent et les ont encouragées à entamer leur propre procédure
d’examen.
63. Pour le rapporteur, parmi les principales sources de préoccupation
concernant l’actuelle grippe H1N1 figurent l’adéquation des mesures
prises pour faire face à la menace posée par le H1N1 pour la santé
publique, la transparence des processus de prise de décision concernés,
notamment la possibilité d’un abus d’influence de la part de l’industrie
pharmaceutique et la manière dont la pandémie, et le recours au
principe de précaution, ont été communiqués aux gouvernements des
Etats membres et à l’ensemble de l’opinion publique européenne,
et ce également par les médias.
64. Le rapporteur considère que certains effets de la pandémie,
comme l’atteste le présent rapport, ont été dramatiques: la distorsion
des priorités des services de santé publique à travers l’Europe,
le gaspillage de sommes colossales d’argent public, l’installation
d’un sentiment de crainte injustifié parmi les Européens, l’exposition
à des risques sanitaires engendrée par des vaccins et des médicaments
qui n’ont peut-être pas subi suffisamment de tests avant d’être
autorisés par le biais de procédures accélérées en sont autant d’exemples.
D’après le rapporteur, ces résultats doivent faire l’objet d’un
examen critique par les autorités de santé publique à tous les niveaux
afin que leurs décisions inspirent à nouveau la confiance du public.
Les autorités de santé publique doivent mieux se préparer pour la
prochaine maladie infectieuse à caractère pandémique, qui pourrait
être plus grave.
65. De sérieux doutes demeurent malheureusement quant à la transparence
des processus de prise de décisions liés à la pandémie H1N1. Après
avoir analysé les processus concernés, le rapporteur est préoccupé par
le moment inopportun choisi et la méthode utilisée pour modifier
les définitions de la pandémie ainsi que l’éventuelle influence
de certains groupes pharmaceutiques sur certaines décisions clés.
Le rapporteur reste également très inquiet du manque de transparence
concernant l’identité des experts dont les recommandations ont eu
un impact majeur sur les budgets de santé publique et sur la santé
des individus. Il estime que le droit des 800 millions d’Européens
des Etats membres du Conseil de l’Europe d’être pleinement informés
devrait l’emporter sur le droit au respect de la vie privée d’un
nombre relativement réduit d’experts.
66. Les soupçons d’influence et de pression inappropriées exercées
sur les autorités nationales par l’industrie pharmaceutique ont
été étayés par d’autres éléments, comme la nature des accords contractuels conclus
entre les gouvernements et les groupes pharmaceutiques. Les informations
communiquées par plusieurs pays européens indiquent que les gouvernements
nationaux ont subi des pressions pour accélérer la conclusion de
contrats majeurs, que le prix des vaccins ont fait l’objet de pratiques
douteuses, qu’ils ne répondaient pas à des conditions normales de
marché et que l’on a essayé de faire endosser aux gouvernements
nationaux la responsabilité des effets indésirables concernant les
vaccins et les médicaments, lesquels n’ont peut-être pas subi suffisamment
de tests. Le rapporteur considère que ces éléments sont extrêmement
préoccupants. Il appelle à une plus grande coopération entre les
gouvernements nationaux afin qu’ils puissent adopter une position
ferme et cohérente lors de prochaines négociations avec les grands groupes
pharmaceutiques.
67. Enfin, le rapporteur est très préoccupé par la manière dont
les informations sur la pandémie ont été communiquées au public
par l’OMS et les autorités nationales, par le rôle des médias en
la matière et par les craintes suscitées au sein de la population.
Le rapporteur recommande qu’un examen approfondi soit réalisé afin
de s’assurer que des stratégies de communication cohérentes et pertinentes
seront élaborées et mises en œuvre à l’avenir par l’ensemble des
autorités de santé publique dès lors que se présentera une nouvelle situation
posant une grave menace pour la santé publique.
68. S’agissant des crises précédentes de santé publique (grippe
aviaire, SRAS, etc.), le rapporteur est convaincu qu’à force d’avoir
crié si souvent au loup, la population risque de ne pas prendre
les mesures nécessaires lorsque se déclarera la prochaine maladie
infectieuse. Beaucoup de personnes pourraient décider de ne pas
se faire vacciner, mettant ainsi en danger leur vie et leur santé
et indirectement celles des autres. Des efforts doivent donc être
immédiatement consentis pour regagner la confiance du public dans
les décisions et recommandations émises par l’OMS et d’autres autorités
publiques concernées.
69. Les conclusions à tirer de la pandémie H1N1 devraient toutefois
l’être à différents niveaux. S’agissant des mesures immédiates à
prendre, l’Assemblée devrait inviter l’OMS et les institutions européennes concernées
à partager certaines informations essentielles, notamment en publiant
les noms et les déclarations d’intérêts des experts membres des
conseils consultatifs concernés qui exercent une influence directe
sur les recommandations de santé publique qui sont adoptées.
70. Afin d’apporter une contribution substantielle aux processus
d’analyse en cours, l’Assemblée devrait s’adresser à toutes les
principales parties prenantes concernées, notamment l’OMS, les instances
de l’Union européenne qui s’occupent des questions de santé ainsi
que les gouvernements et les parlements nationaux. L’Assemblée devrait
les inviter à examiner leurs structures de gouvernance dans le domaine
de la santé publique, à arrêter des définitions communes en matière
de santé publique (définition d’une pandémie par exemple), à revoir
leurs lignes directrices existantes concernant la collaboration
avec le secteur privé ou à élaborer les lignes directrices en question
lorsqu’elles n’existent pas et enfin à revoir entièrement leurs stratégies
de communication concernant des questions délicates de santé publique.
L’Assemblée devrait en outre exiger un maximum de transparence dans
tous les travaux entrepris.
71. Les Etats membres devraient être expressément invités à assurer
le suivi des conclusions des procédures d’examen internes menées
par les institutions internationales et européennes afin de veiller
à ce qu’elles tiennent compte de toutes les recommandations pertinentes,
y compris celles de l’Assemblée parlementaire. Ils devraient par
ailleurs être invités à engager des procédures d’examen au niveau
national, s’ils ne l’ont pas encore fait, et devraient y associer
les parlements nationaux.
72. L’Assemblée devrait également inviter l’industrie pharmaceutique
à prendre conscience de sa responsabilité sociale en tant qu’entreprise
à l’égard des questions majeures de santé publique et à agir avec le
plus de transparence possible. Au-delà de leur disposition de ces
derniers mois à participer aux débats publics et à répondre directement
aux questions et aux critiques soulevées, les groupes industriels internationaux
devraient être prêts à mener un examen critique de leurs propres
réglementations et modes de fonctionnement en matière de coopération
avec le secteur public et de leur rôle lors des situations d’urgence de
santé publique. Comme l’a fait l’Assemblée mondiale de la santé
en 1993 en appelant à l’introduction de partenariats public-privé
dans les mécanismes de l’OMS, le rapporteur admet sans réserve que
les connaissances hautement spécialisées dont disposent les sociétés
industrielles en font des partenaires indispensables des autorités
de santé publique. Cela ne les autorise pas pour autant à exercer
des pressions sur les autorités ni à commercialiser leurs produits
dans la perspective de réaliser d’importants bénéfices excessifs
dans des situations d’urgence.
73. Nombreuses sont les organisations et les institutions aux
niveaux international, européen et national qui ont été concernées
par la planification préalable à la pandémie et à la mise en œuvre
de stratégies de vaccination lors de la pandémie H1N1. Au niveau
du Conseil de l’Europe, la bonne gouvernance dans le domaine de
la santé publique est une question suivie par le biais d’activités
intergouvernementales de coopération liées à l’élaboration d’une
politique sanitaire européenne fondée sur l’éthique. A cet égard,
le rapporteur se félicite de la récente adoption de la Recommandation
CM/Rec(2010)6 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la bonne
gouvernance dans les systèmes de santé, qui pourrait contribuer
utilement à la création de systèmes de santé publique véritablement
transparents en Europe.
74. La contribution spécifique de l’Assemblée à la situation actuelle
a été et sera d’offrir une tribune européenne où les questions liées
à la responsabilité démocratique et à la transparence des processus décisionnels
publics en matière de santé sont et continueront d’être débattues.
Outre cette contribution concernant l’actuelle pandémie H1N1, l’Assemblée
devrait organiser plus régulièrement des débats sur la bonne gouvernance
dans le domaine de la santé avec les principaux partenaires internationaux
et européens, notamment l’OMS et les institutions européennes responsables
des questions de santé.