1. Introduction
1. Plus de quinze années ont passé depuis la fin des
conflits qui ont ravagé le territoire de l’ex-Yougoslavie
. Le présent rapport
a pour objet d’examiner les relations bilatérales entre les Etats
issus de l’ex-Yougoslavie et de réfléchir à ce que le Conseil de
l’Europe pourrait apporter au processus de réconciliation et au
dialogue politique dans la région. Il m’est apparu dès le départ
que nous ne devions pas être des protagonistes et que la réconciliation
ne peut pas être imposée. Il s’agit au contraire d’accompagner et
de faciliter les initiatives émanant des citoyens, des gouvernements
et des ONG des Etats de l’ex-Yougoslavie. J’ai l’intention de mettre
l’accent sur les mesures positives prises au niveau politique pour
surmonter les séquelles du passé et favoriser la réconciliation
entre les pays voisins.
2. Par défaut, tous les Etats issus de la République fédérale
socialiste de Yougoslavie (RFSY) seront plus ou moins évoqués dans
le présent exposé des motifs, mais, en réalité, l’accent sera essentiellement
mis sur les relations entre la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la
Serbie et, dans une certaine mesure, le Monténégro.
3. Je n’ai pas souhaité aborder ici la question du Kosovo
en
détail. L’Assemblée parlementaire l’a évoquée dans d’autres documents
et je renvoie le lecteur à l’excellent rapport de M. Björn von Sydow
sur la situation du Kosovo et le rôle du Conseil de l’Europe
.
Le Conseil de l’Europe applique une politique de neutralité quant
au statut du Kosovo et, dans sa
Résolution 1739 (2010) sur la situation
au Kosovo et le rôle du Conseil de l’Europe, l’Assemblée a souligné
que l’attention de l’Organisation devait essentiellement se porter
non pas sur le statut mais sur les normes. Cela étant, la question
du statut du Kosovo a un impact sur les relations entre les Etats
de l’ex-Yougoslavie et sera prise en compte de ce point de vue,
c’est-à-dire en tant qu’élément de stabilité de la région tout entière.
Par ailleurs, si le présent rapport porte uniquement sur les conséquences
des guerres survenues entre 1991 et 1995, le conflit survenu ultérieurement
au Kosovo a une incidence sur certaines données statistiques qui
y figurent.
4. Une description des différentes étapes de l’élaboration du
présent rapport pourrait s’avérer utile. J’ai été désigné rapporteur
le 22 juin 2009. La commission des questions politiques a été invitée
par la délégation serbe auprès de l’Assemblée à tenir sa réunion
de commission au Parlement serbe les 6 et 7 septembre 2010. Le 6
septembre, elle a eu un échange de vues avec des ministres du gouvernement
et le président du parlement. L’après-midi, la sous-commission sur
la prévention des conflits par le dialogue et la réconciliation a
organisé une audition sur la «Consolidation de la paix dans les
pays de l’ex-Yougoslavie», lors de laquelle j’ai pu présenter une
note introductive sur le sujet. Plusieurs ONG ont ensuite exposé
leur point de vue, ainsi que M. Dorić, qui présentera à l’Assemblée
un rapport intitulé «L’obligation des Etats membres du Conseil de l’Europe
de coopérer pour réprimer les crimes de guerre»
lors
de la partie de session de janvier 2011. J’ai profité de cette occasion
pour me rendre à Belgrade les 7 et 8 septembre 2010, où j’ai rencontré
des ministres du gouvernement, des parlementaires et des représentants
du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et
de plusieurs ONG.
5. Je me suis ensuite rendu à Zagreb les 28 et 29 octobre 2010
et en Bosnie-Herzégovine les 22 et 23 novembre, où je me suis entretenu
avec des parlementaires, des représentants de l’Etat, des représentants du
bureau du procureur général et de la Cour d’Etat, le médiateur,
plusieurs membres d’ONG, des représentants d’organisations internationales
et des représentants des médias. J’ai aussi rencontré les délégations
croate et serbe auprès de l’Assemblée lors de la partie de session
de juin 2010 et la délégation slovène lors de la partie de session
d’octobre 2010 à Strasbourg. Enfin, je me suis rendu à Bruxelles
les 29 et 30 novembre 2010 afin de discuter de mon rapport avec
des acteurs clés de l’Union européenne et de participer à une audition
sur «Les droits de l’homme dans les Balkans occidentaux» organisée
par la Sous-Commission droits de l’homme du Parlement européen.
Les discussions que j’ai eues avec mes collègues et interlocuteurs
m’ont été d’une très grande utilité pour le présent rapport.
2. Surmonter les séquelles de la guerre
6. Les conflits qui ont ravagé le territoire de l’ex-Yougoslavie
entre 1991 et 1995 ont été les plus meurtriers qu’a connus l’Europe
depuis la seconde guerre mondiale. Ils ont donné lieu à d’abominables
crimes de guerre, y compris le génocide, la purification ethnique
et le viol utilisés comme instruments de guerre. Ils ont provoqué des
déplacements de population massifs dans la région et au-delà. Selon
les estimations, les conflits ont coûté la vie à environ 140 000
personnes, dont un quart ont été portées disparues
.
Quinze ans après la fin de la guerre, on compte encore 340 808 personnes
déplacées à l’intérieur de leur propre pays et plus de 120 000 réfugiés,
qui ne peuvent ou ne veulent pas revenir sur les lieux où ils vivaient
avant le déclenchement de la guerre. L’identification des personnes
disparues et la mise au jour de charniers se poursuivent; près de
14 000 personnes n’ont toujours pas été retrouvées.
7. Il ne faut pas oublier qu’en ex-Yougoslavie la transition
postconflit a également coïncidé avec une transition postcommuniste
et qu’elle a consisté en une véritable construction étatique, au
sens strict du terme. Les fondements sur lesquels reposent la démocratie,
l’Etat de droit, le dialogue politique et les droits de l’homme
n’étaient pas encore vraiment posés et les pays issus de la dissolution
de l’ex-Yougoslavie étaient notamment confrontés à la tâche d’améliorer
leur gouvernance démocratique tout en recréant un climat de confiance
mutuelle et de stabilité dans la région.
8. Lorsque mes collègues et moi-même avons déposé, le 22 janvier
2009, la proposition de résolution qui a conduit à la rédaction
de ce rapport, les relations entre les Etats de l’ex-Yougoslavie
semblaient fragiles et les profondes blessures causées par les conflits
paraissaient ne jamais pouvoir se refermer. Vu de l’extérieur, en
effet, si l’intégration des Etats de l’ex-Yougoslavie au sein de
l’Union européenne semblait progresser et le dialogue avec Bruxelles
s’améliorer, leurs relations bilatérales étaient au point mort,
voire se dégradaient. Les ambassadeurs des pays voisins étaient
soit rappelés, soit expulsés, et nous étions particulièrement préoccupés
par les déclarations publiques et les discours véhéments des politiciens
nationalistes qui tendaient à renforcer les anciennes divisions.
9. Cependant, j’ai été encouragé par ce que j’ai vu lors de mes
visites dans la région. J’ai trouvé que, depuis que la commission
s’était engagée dans ce projet, les gouvernements concernés avaient
fait de nombreux pas en avant, qui témoignaient d’une plus forte
volonté de surmonter les blessures du passé. Les exemples de personnes
qui travaillaient ensemble pour faire évoluer la situation étaient
très nombreux. Ainsi, les relations entre Zagreb et Belgrade se
sont renforcées, la Bosnie-Herzégovine et la Serbie se sont engagées
à surmonter leurs différences historiques lors de la promulgation
de la Déclaration d’Istanbul et les Etats commencent à accepter
que des instances extérieures interviennent pour arbitrer les désaccords
relatifs aux frontières. Des progrès considérables ont été accomplis
dans la région et cette évolution positive devrait être reconnue
et encouragée par la communauté internationale.
10. Cependant, cela ne doit pas nous empêcher d’examiner les problèmes
qui subsistent dans la région, notamment l’impasse constitutionnelle,
qui continue de faire obstacle à l’évolution de la Bosnie-Herzégovine vers
une démocratie à part entière, et la question des réfugiés et des
personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) qui
restent le témoignage le plus visible des conflits.
3. Nationalisme, origine ethnique et Etats civiques
11. Les conflits dans l’ex-Yougoslavie se sont caractérisés
par des violences interethniques et par des transferts de population
massifs entre les nouveaux Etats issus de l’ex-Yougoslavie, de nombreuses personnes
ayant été déplacées de force ou ayant fui vers des Etats voisins
où elles pensaient être mieux protégées.
12. A la fin des conflits, la solution défendue par la communauté
internationale était le concept d’Etats civiques: les citoyens et
les responsables publics devaient prêter allégeance aux institutions
publiques nouvellement formées plutôt qu’au groupe ethnique auquel
ils étaient censés appartenir.
C’était
en principe sur cette base positive que l’on pensait engager le
processus de consolidation de la paix dans la région. Cependant,
dans la pratique, les minorités ont souvent fait l’objet de discriminations
ou n’ont pu participer à la vie publique comme elles auraient dû
pouvoir le faire, ce qui a entravé la réconciliation dans la région.
C’est particulièrement le cas en Bosnie-Herzégovine, où l’architecture
constitutionnelle complexe dans laquelle elle s’est retrouvée après
l’Accord de paix de Dayton en 1995 a facilité la tenue d’élections
selon des considérations ethniques.
En
outre, les minorités et tous ceux qui n’appartiennent pas aux «trois
peuples constituants» (les Bosniaques, les Croates et les Serbes)
ne peuvent se présenter aux élections à la Chambre des peuples ou
à la présidence, ce qui a récemment été jugé contraire à la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5)
.
13. Des mesures ont toutefois été prises dans l’ensemble de la
région pour lutter contre les discriminations. Tous les Etats sont
parties à la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
(STE no 157) et au Protocole no 12 à la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 177), qui interdit notamment la discrimination
fondée sur la race, la couleur, la langue, l’origine nationale ou
sociale et l’appartenance à une minorité nationale. La Croatie,
le Monténégro, la Serbie, la Slovénie et la Bosnie-Herzégovine ont
ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
(STE no 148). «L’ex-République yougoslave de Macédoine» l’a signée
mais ne l’a pas encore ratifiée.
14. Des lois antidiscriminatoires ont été adoptées en Croatie
(2008), en Bosnie-Herzégovine (2009), en Serbie (2009), dans «l’ex-République
yougoslave de Macédoine» (2010) et au Monténégro (2010). Des conseils
des minorités nationales ont également été créés en Bosnie-Herzégovine
et en Serbie pour représenter les droits et les intérêts des minorités.
L’adoption de ces lois constitue une évolution positive car elles
contribuent à faire en sorte que les minorités soient représentées
et que leur voix soit entendue. Dans des pays autrefois déchirés
par les violences interethniques, il s’agit-là d’un progrès essentiel.
4. Principales questions entravant la réconciliation
et le dialogue politique
4.1. Les personnes disparues
15. A la suite des conflits armés des années 1990 dans
les Balkans occidentaux, on estime à 40 000 le nombre de personnes
portées disparues. Aujourd’hui, la lumière a été faite sur le sort
de quelque 26 000 personnes et 14 000 environ sont toujours portées
disparues dans la région. Alors que les gouvernements de la région
ont tous accompli des progrès considérables en la matière, ceux
réalisés en Bosnie-Herzégovine méritent une mention particulière
étant donné que, à ce jour, la lumière a été faite sur le sort des
deux tiers des personnes disparues.
16. Il a été dit que la région des Balkans occidentaux a aussi
mis à profit le système d’identification par l’ADN de la Commission
internationale des personnes disparues (CIPD). Sur le nombre de
personnes disparues mentionnées ci-dessus, la CIPD a apporté son
aide à la Serbie, à la Bosnie et au Kosovo et, dans une moindre mesure,
à la Croatie en se servant de l’ADN pour procéder à des identifications
précises de personnes disparues. Les quelque 14 000 personnes toujours
portées disparues seront plus difficiles à retrouver. La CIPD estime
que le processus se trouve dans une impasse virtuelle en Croatie
et au Kosovo, tant pour des raisons techniques que politiques.
4.1.1. Bosnie-Herzégovine
17. En Bosnie-Herzégovine, le processus tend à présent
à ralentir, la lumière ayant été faite sur le sort de la majorité
des personnes disparues. Il sera particulièrement difficile de chercher
et de retrouver les personnes disparues lors du conflit en Bosnie-Herzégovine
pour tous les cas autres que Srebrenica. Pour ce qui concerne Srebrenica
proprement dit, on estime à 1 600 le nombre de personnes toujours
portées disparues; toutefois, en raison de l’existence de centaines
de sites secondaires de charniers, il faudra peut‑être des années
pour retrouver les restes des personnes déjà identifiées et enterrées.
La création de fichiers centraux par l’Institut des personnes disparues
(IPD) de Bosnie-Herzégovine sera d’un grand secours pour la CIPD
pour tenter de comprendre comment traiter au plan stratégique les
cas des personnes toujours portées disparues en Bosnie-Herzégovine.
18. La CIPD a apporté son aide à la Bosnie-Herzégovine en créant,
en 2005, l’Institut des personnes disparues (IPD). Le Comité international
de la Croix-Rouge (CICR) a également aidé les autorités bosniaques à
renforcer la capacité de l’IPD au niveau de l’Etat; il a publié
une liste de noms de personnes toujours portées disparues sur son
site web.
19. L’IPD est une institution indépendante chargée de soutenir,
d’accélérer et de coordonner le processus de recherche des personnes
disparues en Bosnie-Herzégovine dans le respect des principes universels
des droits de l’homme et indépendamment des origines religieuses
ou nationales de ces personnes. Toutefois, depuis sa création, l’IPD
est constamment soumis à des pressions politiques dans son travail,
en raison de la détérioration de la situation politique du pays
et de la tendance des institutions de l’Etat à déléguer leurs compétences
aux entités. Ainsi, immédiatement après que l’IPD fut devenu opérationnel
en 2008, le gouvernement de l’entité de la Republika Sprska a tenté
de revenir à un dispositif de recherche, centré sur l’entité, en
se dotant de sa propre équipe opérationnelle de recherche de personnes
disparues, appartenant en l’occurrence à un seul groupe.
20. L’IPD affirme que, depuis deux ans, la manipulation politique
de la question des personnes disparues est plus grave qu’elle ne
l’a jamais été au cours de la décennie précédente. Assurer la pérennité
et la poursuite d’un processus non discriminatoire dans la recherche
de personnes disparues constitue un défi tout particulier dans ce
pays où l’on assiste à une résurgence du nationalisme agressif.
La réussite de structures au niveau de l’Etat, comme l’IPD, et l’adoption
d’une loi sur les personnes disparues, qui transcendent les visées nationalistes
et abordent les problèmes sous un angle universel, sont les seuls
moyens de rendre aux proches des personnes disparues l’espoir durable
de trouver des réponses.
4.1.2. Croatie
21. D’après le Gouvernement de la Croatie, près de 2 000
personnes sont toujours portées disparues. Désireuse de soutenir
la Croatie dans son programme d’analyses ADN à petite échelle, la
CIPD a lancé un projet conjoint d’identification par l’ADN en collaboration
avec le ministère croate de la Famille, des Vétérans et de la Solidarité
intergénérationnelle et son Bureau des personnes détenues et des
personnes disparues. Le projet a été lancé officiellement en novembre
2004, après la signature d’un accord définissant les conditions de
la coopération dans les affaires intéressant à la fois la Croatie
et la Bosnie-Herzégovine.
22. Conformément aux conclusions de la 11e Conférence régionale
sur les personnes disparues de la CIPD, qui s’est tenue début 2010,
un accord a été conclu entre les représentants du Gouvernement croate
et la CIPD pour élargir le Projet conjoint d’identification.
23. Le Bureau croate des personnes détenues et des personnes disparues
diffuse régulièrement des rapports sur ses activités auprès des
associations des familles de personnes disparues de Croatie et de Serbie.
Ces familles sont également informées des conclusions des réunions
communes dudit bureau et de la Commission serbe sur les personnes
disparues, ainsi que des réunions trilatérales auxquelles participent
des représentants de l’IPD de Bosnie-Herzégovine.
4.1.3. Serbie
24. La coopération entre la Serbie et la CIPD pour régler
la question des personnes portées disparues est restée positive
depuis 2001. En conséquence, plus de 1 400 dépouilles ont été retrouvées
sur le territoire de la Serbie depuis 2001. En 2010, la Commission
serbe et l’IPD en Bosnie-Herzégovine ont travaillé ensemble sur
le site du lac Perućac, ce qui a permis ainsi de retrouver les restes
de près de 97 personnes sur les deux rives bosniaque et serbe du
lac.
25. A ce jour, cinq réunions sur la coopération entre la Bosnie-Herzégovine,
la Serbie et la Croatie se sont tenues sous les auspices de la CIPD
et du CICR. Ces réunions ont abouti à une amélioration de la coopération et
de l’échange d’informations entre ces trois pays, ainsi qu’à une
augmentation du nombre d’identifications par l’ADN grâce à l’échange
en question.
4.1.4. Développements récents
26. J’ai été heureux d’apprendre que, lors d’une réunion
tenue à Vukovar le 4 novembre 2010, le Président serbe Tadić et
le Président croate Josipović ont déclaré vouloir faire la lumière
sur le sort des personnes disparues pendant les conflits des années
1990 et sont convenus que beaucoup restait à faire pour réconcilier les
deux Etats. Le 10 mars 2010, lors de la présentation de la deuxième
édition de l’ouvrage du CICR concernant les personnes disparues
sur le territoire de la République de Croatie, Jadranka Kosor, Premier ministre
croate, invoquant l’appel «Nemojmo ih zaboraviti!» («Ne les oublions
pas!»), a promis au nom de son gouvernement de redoubler d’efforts
pour mener à terme la recherche des personnes disparues. Je me félicite aussi
des récentes déclarations des Présidents Tadić et Josipović, qui
se sont entretenus à Zagreb le 24 novembre 2010 et ont déclaré que
la question des personnes disparues était leur priorité. A cette
fin, les deux présidents ont préconisé l’ouverture des archives.
4.2. Les réfugiés et les personnes déplacées à long
terme
27. Les guerres de l’ex-Yougoslavie ont entraîné des
mouvements de population massifs. Entre 1991 et 1995, plus de 2
millions d’habitants de Bosnie-Herzégovine et de Croatie ont été
déplacés, tant à l’intérieur qu’en dehors de la région. Depuis la
fin des conflits en 1995, bon nombre d’entre eux ont décidé de s’installer de
manière permanente sur les lieux de leur exil, et les autres sont
retournés dans leurs foyers et communautés.
28. Cependant, une solution doit encore être trouvée pour le presque
demi-million de réfugiés et personnes déplacées à l’intérieur de
leur propre pays restant (PDI). La plupart d’entre eux ne disposent
pas de logements adéquats, vivent dans la pauvreté et sont sans
emploi. Leur intégration dans leur nouveau cadre de vie n’a d’ailleurs
pas toujours été facilitée par les autorités. Beaucoup continuent
de vivre dans des centres collectifs dans des conditions épouvantables.
Quinze ans après la fin des conflits, le problème est particulièrement préoccupant
en Serbie, qui continue d’accueillir 82 603 réfugiés, dont la grande
majorité a fui la Croatie (61 186). D’après le Gouvernement serbe,
204 753 PDI sont venues s’ajouter à ce chiffre depuis le conflit
du Kosovo. De même, la Bosnie-Herzégovine doit encore résoudre le
problème posé par la présence de 113 465 PDI sur son territoire
.
Tableau 1 Réfugiés et PDI à la suite des conflits de l’ex-Yougoslavie
Etat
|
Réfugiés
|
PDI
|
Total
|
Bosnie-Herzégovine
|
7 064
|
113 465
|
120 529
|
Croatie
|
986
|
2 199
|
3 185
|
Monténégro
|
16 451
|
0
|
16 451
|
Serbie
|
82 603
|
204 753
|
287 356
|
Kosovo
|
233
|
19 399
|
19 632
|
«L’ex-République yougoslave de Macédoine»
|
1 564
|
621
|
2 185
|
Total
|
108 901
|
340 437
|
449 338
|
29. Le HCR prête son assistance aux personnes qui souhaitent
retourner chez elles. Cependant, de nombreux obstacles s’opposent
au retour de ces personnes, notamment les faibles perspectives économiques,
le manque d’information, les entraves juridiques au recouvrement
de leurs biens, sans parler de l’hostilité de la population locale.
4.2.1. Bosnie-Herzégovine
30. A la fin du conflit, afin d’atténuer le problème
du logement des réfugiés et des PDI, la communauté internationale
a aidé la Bosnie-Herzégovine à récupérer les logements qu’elle possédait
avant-guerre, dans le cadre du Plan de mise en œuvre de la législation
sur la propriété
.
Ce plan a été largement complété en 2003 et, depuis lors, près de
200 000 logements, répartis à peu près à parts égales entre logements
sociaux et logements privés, ont été rendus à leurs occupants d’avant-guerre
. Ce dispositif a facilité le
retour dans leur foyer d’environ 1 million de personnes, soit près
de la moitié de la population déplacée par le conflit
. Malgré cela, il reste actuellement 113
465 personnes déplacées en Bosnie-Herzégovine.
31. S’agissant du problème des réfugiés croates en Bosnie-Herzégovine,
leur nombre se situait, selon les estimations, entre 40 000 et 45 000
au plus fort du conflit. Beaucoup ont décidé de retourner en Croatie
et seulement 6 951 d’entre eux sont restés en Bosnie-Herzégovine.
Les rapatriements volontaires se poursuivent bien que les candidats
soient peu nombreux (975 retours en 2006, 466 en 2007, 425 en 2008
et 620 en 2009). Parmi ceux qui ne sont pas partis, la plupart ont
l’intention de rester en Bosnie-Herzégovine et le HCR vient en aide
aux plus démunis.Un nombre
notable de PDI et de rapatriés demeure dans une situation précaire
(vivant dans des conditions inadaptées) et ont besoin d’une aide
permanente. On compte environ 7 500 PDI qui vivent toujours dans
des centres collectifs et se trouvent dans une situation extrêmement
vulnérable. Le 28 novembre 2010, Thomas Hammarberg, Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, s’est rendu dans le centre
collectif pour personnes déplacées de Lukavica, près de Sarajevo,
et il est gravement préoccupé par les mauvaises conditions de vie
qui y règnent. Il a déclaré ceci: «Il est inacceptable que, quinze
ans après la fin de la guerre, plus de 7 000 personnes, pour beaucoup
âgées et en mauvaise santé, continuent d’occuper des logements qui
ne seraient pas considérés comme humains dans l’Europe actuelle.
Les normes relatives aux droits de l’homme de la Charte sociale
européenne sont totalement applicables à ces personnes.»
32. Cependant, les besoins dépassent de loin les ressources disponibles. Il convient de redonner un nouveau
souffle à la coopération intergouvernementale dans la région et
de redoubler d’efforts pour permettre à quelque 7 000 réfugiés de
trouver des solutions durables. Clore le chapitre du déplacement
prolongé en Bosnie-Herzégovine s’avère crucial pour la stabilité
du pays et de la région tout entière, et pour aider le pays à avancer
sur la voie de l’intégration européenne.
4.2.2. Croatie
33. Environ 550 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur
de la Croatie à partir de 1991-1992. Dans le même temps, 400 000
réfugiés de Bosnie-Herzégovine ont fui en Croatie. On estime que
120 000 d’entre eux, essentiellement d’origine croate, ont demandé
la nationalité croate. Récemment, le Gouvernement croate a pris
des mesures pour aider les réfugiés non croates à acquérir la nationalité
et, depuis mars 2009, des réfugiés non croates venus de Bosnie-Herzégovine
ont pu obtenir un statut légal et entamer le processus de naturalisation
dans des conditions préférentielles, pourvu qu’ils aient résidé
en Croatie pendant plus de cinq ans. Tous les réfugiés ont droit
à une aide au logement et ont accès au marché du travail.
34. Le nombre de réfugiés et de PDI est nettement inférieur aujourd’hui
à ce qu’il était dans les années 1990. J’ai été informé que des
solutions allaient être mises en place pour loger les 986 réfugiés
et les 2 199 PDI restants sur le territoire.
35. Le plus grand problème rencontré par la Croatie est de loin
celui des personnes souhaitant revenir de Serbie. Les autorités
croates ont enregistré plus de 132 400 rapatriés appartenant à la
minorité serbe.
36. Des retards importants ont été constatés dans la restitution
des biens immobiliers des personnes revenues de Serbie qui vivaient
avant la guerre dans des logements privés, retards qui ont été jugés
contraires à la Convention européenne des droits de l’homme
.
Cependant, le processus de restitution des biens privés est aujourd’hui
globalement achevé et quelque 20 000 biens immobiliers ont été récupérés,
principalement par des Serbes. Dans le même temps, le Gouvernement
croate a dégagé des ressources pour la reconstruction de 146 000
maisons ou appartements.
37. Cela étant, aucune solution juridique n’a été proposée aux
quelque 30 000 familles serbes qui ont dû fuir des logements sociaux
et qui, de ce fait, ont été privées de leurs droits d’occupation/de
propriété. Environ 6 400 familles sont toujours en attente d’une
réponse à leur demande. Le 8 novembre 2010, la décision du Comité
européen des Droits sociaux sur le bien-fondé de la réclamation
adressée par le Centre sur les droits au logement et les expulsions
(COHRE) contre la Croatie (réclamation no 52/2008) a été rendue
publique. Le comité a conclu qu’il y avait eu violation de l’article
16 de la Charte sociale européenne (droit de la famille à une protection
sociale, juridique et économique) à la lumière de la clause de non-discrimination
du préambule en raison de l’absence de mise en œuvre efficace et
en temps utile des programmes de relogement des familles déplacées
désireuses de rentrer en Croatie, ce qui avait constitué un sérieux
obstacle au retour.
38. Lors de ma visite à Zagreb, des représentants de l’Etat m’ont
informé d’une loi adoptée en septembre 2010, qui offre la possibilité
aux anciens titulaires de droits d’occupation/de propriété d’acquérir
les appartements qui leur ont été alloués dans le cadre du Programme
d’attribution de logements lorsqu’ils sont situés en dehors des
«zones d’intérêt prioritaire pour l’Etat»
. Cependant, la crise économique a
interrompu l’ensemble des programmes. Si les rapatriés ne considèrent
plus la situation en matière de sécurité comme une source de préoccupation
majeure, la situation sociale et économique dans les zones touchées
par la guerre demeure problématique
.
39. Selon les données fournies par le HCR (septembre 2010), les
80 000 réfugiés croates encore enregistrés dans les pays voisins
rappellent que la fermeture du dossier des réfugiés demeure un enjeu humanitaire
et politique important dans la région.
4.2.3. Serbie
40. Selon le HCR, à la fin des conflits, la Serbie accueillait
quelque 520 000 réfugiés, dont 44 % avaient fui la Bosnie-Herzégovine
et 56 % avaient fui la Croatie. Parmi ceux-ci, 145 000 seraient
retournés en Bosnie-Herzégovine et en Croatie et entre 250 000 et
370 000 auraient été naturalisés par la Serbie. Il resterait 82 603 réfugiés
sur le territoire, dont 72 % seraient originaires de Croatie. Selon
les études menées par le HCR et le commissaire serbe pour les réfugiés,
certains jugent important de conserver leur statut de réfugié pour
pouvoir bénéficier de l’assistance à la reconstruction de logements
dans leur pays d’origine et des programmes d’aide au logementproposés en Serbie. Cependant,
on estime que seulement 5 % des réfugiés restants envisagent de
retourner dans leur pays d’origine.
41. Les réfugiés comptent parmi les personnes les plus vulnérables
de Serbie. Bon nombre d’entre eux sont toujours hébergés dans les
42 centres collectifs répartis sur l’ensemble du territoire serbe.
Le taux de chômage des réfugiés est beaucoup plus élevé que celui
de la population générale. Lors de ma visite à Belgrade, j’ai été informé
de la manière dont les partis nationalistes extrémistes cherchaient
à exploiter la situation tragique des réfugiés.
4.2.4. La recherche d’une solution
42. Le 31 janvier 2005, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie,
et ce qui était alors la Serbie-Monténégro ont signé la «Déclaration
de Sarajevo», par laquelle ils sont convenus de trouver une solution
au problème des PDI et des réfugiés d’ici à la fin 2006
. Des «feuilles de route» ont été
établies pour chacun des Etats parties, mais peu de mesures ont
été prises par la suite pour trouver une solution durable. La Conférence
internationale consacrée à la recherche de solutions durables pour
les réfugiés et les personnes déplacées s’est tenue à Belgrade le
25 mars 2010 et des ministres de Bosnie-Herzégovine, de Croatie,
du Monténégro et de Serbie y ont participé. Une réunion de suivi
a ensuite été organisée le 16 septembre 2010 à Podgorica, lors de
laquelle des propositions concrètes ont été formulées. Une conférence
internationale de donateurs aura lieu en décembre 2010 afin d’examiner
la possibilité de créer un fonds multidonateurs chargé de contribuer
au financement des processus de retour ou d’intégration locale des
réfugiés et des PDI, à la fermeture des centres collectifs et à
la fourniture d’une assistance aux plus nécessiteux. L’Union européenne,
le HCR et l’OSCE siégeront ensemble pour soutenir ce projet.
43. Les réfugiés et les PDI constituent le témoignage le plus
visible des horreurs et des graves injustices perpétrées pendant
les conflits. J’ai été informé par plusieurs interlocuteurs que
les partis extrémistes exploitaient souvent les difficultés de ces
derniers, notamment en Serbie, pour servir leurs propres intérêts. Une
réconciliation complète ne sera possible dans la région que lorsque
les nombreux problèmes découlant des déplacements de population
auront été résolus.
44. J’estime qu’il est grand temps qu’une solution soit trouvée
pour les quelque 450 000 réfugiés et PDI restants. J’encourage les
gouvernements des Etats concernés à consacrer leur énergie à mettre
en œuvre les plans d’action élaborés à la suite de la reprise de
la Déclaration de Sarajevo. J’exhorte par ailleurs la communauté
internationale à fournir l’assistance financière nécessaire à la
réalisation concrète des plans et à faire en sorte qu’après tant
d’années de souffrances, les victimes de la guerre puissent enfin
s’établir quelque part. Une solution doit être trouvée pour les
réfugiés et les PDI non seulement pour des raisons humanitaires, mais
aussi pour assurer la stabilité dans la région.
4.3. Les «personnes radiées» de Slovénie: un problème
résolu
45. Après la dissolution de la RFSY, 171 132 citoyens
des anciennes républiques yougoslaves vivant en Slovénie ont acquis
la nationalité de ce nouvel Etat. Cependant, près de 26 000 personnes,
principalement des ressortissants des anciennes républiques yougoslaves,
ont été radiées du registre des résidents permanents de Slovénie
en 1992, en application d’une loi adoptée à la suite de la dissolution
de la Yougoslavie. Ces personnes n’avaient pas demandé la nationalité
slovène dans les délais impartis ou, dans un nombre limité de cas,
n’avaient pas obtenu la nationalité à la suite de leur demande
. Beaucoup
sont parties et un petit nombre a été expulsé, principalement des
officiers de l’Armée nationale yougoslave ou des membres de leur
famille. Les personnes qui sont restées ont connu des difficultés
pour accéder à un logement, à un travail, aux soins de santé, aux
services de base et à la sécurité sociale.
46. Le Gouvernement slovène a tenté de remédier à cette anomalie
en 1999 en adoptant la loi régissant le statut juridique des ressortissants
de l’ancienne RFSY résidant en République de Slovénie.
Cependant, la loi ne donnait
que trois mois aux ressortissants étrangers pour se faire enregistrer
et, à la suite d’une réclamation déposée par le médiateur, elle
a été annulée en 2003 par la Cour constitutionnelle pour anticonstitutionnalité
. Un arrêt rendu
en juillet 2010 par la Cour européenne des droits de l’homme a estimé
que le traitement par la Slovénie des «personnes radiées» était
une violation de la Convention européenne des droits de l’homme
. La Cour
a conclu que la Slovénie devait adopter une loi pour réglementer
la situation de plusieurs milliers de personnes dont on a estimé
qu’elles relevaient de la catégorie des «personnes radiées» et leur
délivrer rétroactivement un permis de résidence permanente.
47. L’Assemblée nationale slovène a adopté la loi modifiant la
loi régissant le statut juridique des ressortissants de l’ancienne
RFSY résidant en République de Slovénie le 8 mars 2010. Entrée en
vigueur le 24 juillet 2010, cette nouvelle loi prévoit, sous certaines
conditions, la restauration de l’ancien statut de résident et l’enregistrement,
avec effet rétroactif, en tant que résidents permanents de tous
les ressortissants de l’ex-Yougoslavie dont les noms ont été effacés
du registre de la population en 1992. Des titres de séjour permanents
seront également délivrés aux «personnes radiées» qui ne vivent
pas en Slovénie s’il est établi que pendant la procédure, elles
étaient absentes pour des raisons fondées n’invalidant pas la condition
de résidence effective telle que définie par la loi
.
4.4. Les négociations sur les frontières territoriales
48. Du fait de l’histoire complexe de l’ex-Yougoslavie,
plusieurs processus de négociation sont en cours entre les différents
Etats au sujet des frontières territoriales, question qui est inextricablement
liée à celle des droits des minorités. En effet, les Etats sont
récemment convenus de résoudre leurs conflits sur les frontières. Ainsi,
un accord d’arbitrage pour la résolution du conflit sur les frontières
a été conclu à Stockholm le 4 novembre 2009 entre le Gouvernement
de la Slovénie et le Gouvernement de la Croatie. Les deux parlements ont
ratifié l’accord et les lettres de ratification ont été échangées
le 25 novembre 2010.
49. De même, la Croatie et le Monténégro ont également accepté
de saisir la Cour internationale de justice pour régler leurs différends
sur les frontières et coopèrent actuellement dans le cadre de l’élaboration
de leurs observations. Il existe également des différends sur les
frontières entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, entre la Croatie
et la Serbie et entre la Bosnie-Herzégovine et la Serbie, qui doivent
être réglés pour faciliter et offrir un cadre solide à la réconciliation
dans la région.
50. L’expérience passée a montré que le processus de préadhésion
à l’Union européenne n’a pas été à même d’apporter des solutions
à ces problèmes; en effet, l’acquis communautaire ne comprend aucune compétence
en matière de différends sur les frontières ou de droits des minorités.
Cependant, les répercussions potentielles de l’absence de frontières
clairement définies sur la politique régionale et les perspectives
d’élargissement sont considérables.
51. Je partage donc le point de vue de certains commentateurs
–
que j’ai aussi rencontrés à Bruxelles, lors de ma visite du 29 novembre
2010 – selon lequel l’Union européenne pourrait promouvoir un processus à
l’échelle régionale, dissocié du processus d’adhésion, afin de créer
un contexte plus propice au dialogue, en tirant parti de l’influence
de la haute représentante Catherine Ashton pour persuader Belgrade
et Pristina d’accepter de participer à des négociations bilatérales.
52. L’Union européenne devrait solliciter les organisations pertinentes
présentes en ex-Yougoslavie, à commencer par le Conseil de l’Europe,
l’OSCE et le Conseil de coopération régionale (CCR), et établir
une coordination avec d’autres acteurs internationaux afin de résoudre
les questions complexes liées à la persistance des problèmes concernant
les frontières. Le Conseil de l’Europe, en particulier, s’est fait
le chantre de normes et de principes extrêmement élaborés en matière
de démocratie et de protection des minorités. Les droits des minorités
doivent être intégrés et les problèmes en la matière résolus en
trouvant des solutions créatives et démocratiques concernant les
institutions et les administrations, en particulier dans les zones frontalières
et multiethniques.
4.5. L’impasse constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine
53. La Bosnie-Herzégovine est au cœur de la question
de la réconciliation et les divisions ethniques y sont encore fortes.
Les élections législatives tenues dans le pays le 3 octobre 2010
ont toutefois témoigné d’un certain progrès. La campagne électorale
s’est déroulée dans un climat pacifique et le vote et le comptage
des voix le jour du scrutin se sont effectués dans le calme et de
manière organisée. Cependant, la commission ad hoc du bureau dont
je faisais partie a conclu qu’une fois encore, des restrictions
– fondées sur l’origine ethnique et le lieu de résidence – aux droits
de suffrage actif et passif tels qu’imposés par les Accords de Dayton
avaient été appliquées. En tant que tel, le cadre juridique actuel
demeurait contraire à l’article 14 de la Convention européenne des
droits de l’homme, à l’article 3 du Protocole no 1 et à l’article
1 du Protocole no 12.
54. Depuis que la Bosnie-Herzégovine a adhéré au Conseil de l’Europe
en 2002, l’Assemblée a maintes fois appelé à la mise en œuvre d’une
réforme constitutionnelle pour améliorer le fonctionnement des institutions démocratiques
de l’Etat, se mettre en conformité avec la Convention européenne
des droits de l’homme et accélérer les réformes nécessaires pour
assurer le respect des engagements et obligations non encore honorés.
55. Dans sa
Résolution
1701 (2010) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Bosnie-Herzégovine, adoptée en janvier 2010, l’Assemblée a exhorté
les principaux acteurs de la scène politique à s’associer à un dialogue
digne de ce nom et constructif sur des propositions concrètes d’amendements
à la Constitution, afin d’adopter un ensemble complet de réformes,
éliminant notamment la discrimination constitutionnelle envers les
prétendus «autres» et les membres des peuples constituants ne résidant
pas dans l’entité où leur groupe ethnique est largement représenté,
avant la convocation des élections législatives d’octobre 2010.
Elle a renouvelé ce message dans sa
Résolution 1725 (2010) sur le besoin
urgent d’une réforme constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine, adoptée
en avril 2010.
56. Les élections ont mis en lumière la difficulté à former un
gouvernement capable d’engager des réformes politiques et économiques.
Je déplore vivement que la réforme constitutionnelle n’ait pas été
mise en place à temps pour être appliquée aux élections d’octobre.
Cela étant, le Conseil de l’Europe a été invité par les autorités
de Bosnie-Herzégovine à participer aux réunions du groupe de travail
chargé de préparer la réforme constitutionnelle, compte tenu de
l’expertise de la Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise) sur le sujet.
57. Comme indiqué par le Comité des Ministres en septembre 2010, les
forces politiques du pays devraient travailler de manière constructive
pour arriver à un consensus visant à remédier de toute urgence à
cette situation très sérieuse et permettant de faire avancer la
réforme constitutionnelle le plus rapidement possible
, et
visant à éviter que le pays ne s’enfonce dans un conflit latent
et gelé.
58. Je pense qu’il est nécessaire de trouver un nouvel équilibre
entre la vie multiculturelle, la «démocratie ethnique» et l’égalité
des droits des trois grandes communautés – les grandes lignes de
l’Accord de paix de Dayton – et les principes généraux de démocratie
et d’égalité des citoyens, qui sont incompatibles avec une base
ethnique. Cela requiert prudence, patience, sagesse, courage et
détermination.
59. La situation politique et la dynamique interne en Bosnie-Herzégovine
ont une influence considérable sur les relations et le dialogue
politique dans l’ensemble de la région. Le pays doit sortir de l’impasse
dans laquelle il se trouve et œuvrer pour mettre en place une administration
fonctionnelle. Les hommes politiques serbes de Bosnie, croates de
Bosnie et bosniaques souffriront tous politiquement si la Bosnie-Herzégovine
reste à la traîne par rapport au reste de la région.
60. La communauté internationale et l’Union européenne en particulier
doivent accompagner ce processus de changement progressif par des
mesures visant à renforcer un Etat décentralisé efficace avec des institutions
démocratiques qui fonctionnent sur l’ensemble du territoire.
5. Accepter le passé et se tourner vers l’avenir
5.1. Etablir les responsabilités individuelles: enquêter
sur les crimes de guerre et en poursuivre les auteurs
61. La justice et l’établissement des responsabilités
pour les crimes de guerre commis lors des conflits survenus sur
le territoire de l’ex-Yougoslavie sont des conditions préalables
essentielles à toute réconciliation régionale. Les poursuites à
l’encontre des responsables des crimes les plus graves ont été initialement engagées
par le TPIY, institué par le Conseil de sécurité des Nations Unies
en 1993 pour traduire en justice les auteurs de violations graves
du droit humanitaire international. Depuis sa création, il a mis
161 personnes en examen et obtenu la condamnation de plus de 64
criminels de guerre
. Ce faisant, il a permis de
recueillir des informations historiques concernant les crimes commis
pendant les années 1990.
62. Lorsque le TPIY a été créé, les juridictions nationales n’étaient
soit pas disposées, soit incapables d’assumer ce processus, et les
autorités nationales ne se montraient pas toujours coopératives
avec le tribunal. Cependant, la coopération s’est nettement améliorée
au fil des ans et la grande majorité des personnes inculpées ont
aujourd’hui été remises au TPIY. Notamment, l’arrestation et la
remise au TPIY par les autorités serbes en 2008 de Radovan Karadžić,
qui dirigeait la Republika Srpska pendant la guerre, montrent que
les principaux acteurs s’efforcent de surmonter les séquelles du
passé. A ce jour, deux inculpés, Ratko Mladić et Goran Hadžić, sont
toujours en liberté.
63. Le TPIY devrait avoir achevé la plupart de ses procès et procédures
de recours d’ici fin 2013. Le tribunal n’a jamais eu compétence
exclusive pour juger les responsables des crimes commis: il la partage
avec les juridictions nationales des pays concernés. C’est pourquoi,
avant de fermer ses portes, le TPIY aide les juridictions nationales
à développer leurs capacités pour poursuivre les auteurs de crimes
de guerre. En règle générale, il m’est apparu que les autorités
étaient disposées à continuer les poursuites au niveau national
.
64. En effet, de telles poursuites sont importantes. L’Assemblée
a souligné dans sa
Résolution
1564 (2007) sur les poursuites engagées pour les crimes
relevant de la compétence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
que «la justice est un élément indispensable du processus de réconciliation
pour les victimes, les communautés et les pays concernés, et qu’il
est essentiel de lutter avec détermination contre l’inacceptable impunité»
.
Le processus de poursuites nationales a entraîné des avancées importantes.
Par exemple, en avril 2009, une enquête dans le cadre de l’affaire
Bukovica au Monténégro a été achevée et sept officiers ont été mis
en examen pour avoir expulsé des civils bosniaques en 1992. Le Gouvernement
monténégrin a accepté un règlement à l’amiable, qui consistait à
dédommager les survivants et les victimes de ces expulsions
.
65. Le processus de jugement des crimes commis pendant la guerre
par les juridictions nationales a également obligé les Etats concernés
à coopérer entre eux. Par exemple, ce qu’il est convenu d’appeler
le «processus Palić» a favorisé le dialogue interétatique et la
coopération judiciaire dans le domaine de la poursuite des crimes
de guerre, en réunissant des acteurs de l’administration publique
et judiciaire de Bosnie-Herzégovine, de Croatie, du Monténégro et
de Serbie.
66. Cela étant, le processus n’a pas été mené sans difficultés,
ce qui a parfois suscité l’inquiétude de l’Assemblée
.
Le rapport de M. Jean-Charles Gardetto sur la protection des témoins,
pierre angulaire de la justice et la réconciliation dans les Balkans
,
attire l’attention sur les difficultés causées par la protection insuffisante
des témoins dans la région. Il fait observer que les dépositions
des témoins ont été indispensables pour permettre au TPIY et aux
juridictions nationales de mener à bien leur mission. Les témoins
ont apporté une contribution essentielle à la justice et à la réconciliation
dans la région. En effet, leurs témoignages constituent non seulement
une base pour les jugements des tribunaux, mais révèlent aussi aux
habitants de la région et d’ailleurs la vérité sur les crimes commis.
Cependant, bien que, récemment, la protection des témoins ait été
fortement améliorée, beaucoup décident de ne pas témoigner en raison
des menaces et des intimidations qui pèsent sur eux et qui les font
craindre pour leur sécurité. Ainsi, tant que la protection et le soutien
nécessaires aux témoins ne seront pas assurés, les poursuites ne
pourront pas être menées à bien, la justice ne pourra pas être rendue
et la réconciliation ne pourra pas être pleine et entière.
67. M. Miljenko Dorić, dans son rapport sur l’obligation des Etats
membres du Conseil de l’Europe de coopérer pour réprimer les crimes
de guerre
,
explique comment certaines procédures judiciaires menées par les
juridictions nationales n’ont pu être menées à bien du fait de l’émigration
de plus de 100 inculpés hors du territoire de l’ex-Yougoslavie dans
l’espoir d’échapper à la justice. Certaines demandes d’extradition
ont été acceptées, tandis que d’autres ont été rejetées. Les Etats
d’accueil ont une obligation d’extrader les personnes soupçonnées
de crimes de guerre ou d’enquêter sur les crimes qu’ils ont commis.
Pour M. Dorić, il s’agit d’éviter qu’à mesure que la zone d’impunité
disparaît dans les Balkans, elle ne soit pas remplacée par une autre
zone d’impunité ailleurs dans le monde.
68. J’exhorte les membres de l’Assemblée à soutenir les projets
de résolution et de recommandation déposés par MM. Gardetto et Dorić.
Les Etats de l’ex-Yougoslavie devraient bénéficier de toute l’assistance nécessaire
pour traduire en justice les auteurs de crimes commis pendant la
guerre.
5.2. Tentatives pour déterminer les responsabilités
des Etats: requêtes devant la Cour internationale de justice
69. Dans le cadre des requêtes déposées devant la Cour
internationale de justice (CIJ), des tentatives ont été entreprises
pour établir la responsabilité des Etats dans les crimes commis
en ex-Yougoslavie. En février 2007, la CIJ a rendu un arrêt dans
le cadre de la requête présentée par la Bosnie-Herzégovine contre
ce qui était alors la Serbie-Monténégro pour violations de la Convention
des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de
génocide
.
La cour a considéré qu’un génocide avait bien été commis à Srebrenica, mais
que la Serbie n’en était pas responsable. Elle a néanmoins conclu
que la Serbie avait violé ses obligations au titre de la convention
pour ne pas avoir empêché les actes commis et pour ne pas avoir
traduit les auteurs en justice.
70. La Croatie a également déposé une requête devant la CIJ contre
la Serbie pour violations de la convention contre le génocide. En
janvier 2010, la Serbie a présenté ses observations écrites sur
l’affaire et déposé une demande reconventionnelle contre la Croatie
pour crimes de génocide contre la Serbie. L’affaire est pendante,
mais des discussions sont en cours entre les Gouvernements serbe
et croate en vue de parvenir à un règlement à l’amiable (voir aussi
ci-après).
5.3. Le discours public sur la guerre
71. Bien que les arrêts du TPIY et de la CIJ aient, dans
une certaine mesure, révélé la vérité historique, il n’est pas rare
que des responsables politiques utilisent une rhétorique nationaliste,
particulièrement en période électorale, ce qui a pour effet de déformer
la vérité sur ce qui s’est passé pendant la guerre. Comme me l’a indiqué
l’un de mes interlocuteurs, il appartient aux responsables politiques
de la région de remplacer les discours incitant à la haine et à
la discrimination par des discours invitant au rapprochement et
à la réconciliation.
72. Par ailleurs, plusieurs déclarations publiques encourageantes
ont été formulées récemment, ce qui témoigne d’une attitude plus
conciliante dans la région. En mars 2010, le Parlement serbe a adopté
une résolution condamnant le massacre de 8 000 musulmans bosniaques
à Srebrenica en 1995 et reconnaissant que la Serbie aurait dû faire
davantage pour l’éviter. En
outre, les chefs d’Etat de tous les pays de l’ex-Yougoslavie, y
compris le Président serbe Tadić, ont assisté à une cérémonie commémorative
à Srebrenica en juillet 2010 pour commémorer le 15e anniversaire
du massacre.
73. En avril 2010, Ivo Josipović, Président de la Croatie, s’est
adressé aux deux chambres du Parlement de Bosnie-Herzégovine. Dans
son allocution, il a souligné la nécessité de promouvoir la coopération
régionale, présenté ses condoléances aux victimes de la guerre et
exprimé ses regrets pour le rôle joué par la Croatie dans le conflit.
74. Le 4 novembre 2010, le Président Tadić s’est rendu à Vukovar
(Croatie), la ville la plus ravagée par la guerre, et a déposé une
gerbe à Ovcara, une ferme où des membres de groupes paramilitaires
et de l’Armée du peuple yougoslave (JNA) ont abattu plus de 200
prisonniers croates en 1991. Avec son homologue croate, le Président
Josipović, il a également visité le village de Paulin Dvor, près
d’Osijek, où des civils serbes, essentiellement des femmes et des
personnes âgées, ont été tués pendant la guerre. A cette occasion,
le Président Tadić a déclaré: «Le Président de la Croatie et moi-même
avons le devoir et l’obligation de transformer l’ensemble du processus
dont la dimension tragique s’est révélée dans les années 1990 en
un processus de réconciliation et de meilleure compréhension. Pour
que cela soit possible, il importe d’établir la vérité sur les événements
survenus pendant les années 1990, afin qu’aucun coupable ne demeure
impuni, qu’aucun innocent ne soit injustement condamné et que toutes
les incertitudes concernant les personnes recherchées à ce jour
soient levées.» Le 15 novembre 2010, Milorad Dodik, Président de
la Republika Srpska, en Bosnie-Herzégovine, s’adressant aux députés
de l’Assemblée nationale, a également déploré «chaque vie innocente
perdue des deux côtés» durant la guerre en Bosnie-Herzégovine.
75. Certains des représentants d’ONG que j’ai rencontrés à Sarajevo
appellent les dirigeants à présenter des excuses pour le tort causé
et, en outre, à des actions concrètes qui donnent suite à ces déclarations
et gestes et les confirment. Ils demandent des enquêtes approfondies
et la divulgation des faits sur ce qui s’est passé récemment et
plaident en faveur de l’ouverture des archives. Ils affirment qu’il
est nécessaire de recueillir des informations sur tous les crimes
perpétrés afin d’honorer et de reconnaître l’ensemble des victimes
et de s’assurer que de tels actes ne seront plus commis à l’avenir.
5.4. L’enseignement de l’histoire de la guerre
76. En dépit de nombreux signes positifs, plusieurs interlocuteurs
rencontrés pendant mes visites en Serbie, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine
ont reconnu que le discours public sur la guerre demeurait cloisonné, chaque
pays ayant sa propre vérité et sa propre interprétation du conflit.
Je suis convaincu que cela peut être une source de haine et de conflit
futur. Comme indiqué par le philosophe Raimon Panikkar, une paix
durable nécessite plus qu’un désarmement nucléaire, militaire ou
économique. La paix ne peut être obtenue que par un désarmement
culturel, ce qui exige d’abandonner toute recherche d’absolution
au profit d’une véritable réconciliation fondée sur le dialogue
interculturel permanent
.
77. Par conséquent, il est selon moi essentiel de promouvoir et
d’encourager un discours public sur la guerre qui soit dégagé de
toute rhétorique nationaliste, notamment dans l’enseignement destiné
aux jeunes générations. Plusieurs ONG de la région ainsi que de
nombreux collègues parlementaires, notamment mon collègue croate
M. Gvozden Flego, président de la commission de la culture, de la
science et de l’éducation, partagent mon avis. Comme l’a souligné
l’Assemblée dans sa
Recommandation
1880 (2009) sur l’enseignement de l’histoire dans les
zones de conflit et de postconflit
,
l’enseignement de l’histoire peut être un instrument pour soutenir
la paix et la réconciliation ainsi que la tolérance et la compréhension.
Une approche aux perspectives multiples, plutôt qu’une interprétation
unique des événements, encouragera les élèves à respecter la diversité
et la différence culturelles. Plus précisément, l’Assemblée a invité
les Etats membres à financer de manière suffisante et continue les
travaux de recherche sur l’histoire, en particulier ceux des commissions
multilatérales et bilatérales sur l’histoire contemporaine, et recommandé
au Comité des Ministres de continuer de soutenir les travaux du
Conseil de l’Europe, dans les zones de conflit et de postconflit,
sur la révision et la conception des manuels scolaires et des manuels
pour enseignants, sur l’organisation de séminaires d’enseignants
et l’identification des documents sources. Je souscris pleinement
à ces recommandations et ne peux qu’encourager l’ensemble des gouvernements
européens, notamment les gouvernements des pays de l’ex-Yougoslavie,
à les mettre pleinement en œuvre.
78. Bien que l’Assemblée ait aussi évoqué la possibilité d’élaborer
des manuels communs, les obstacles sont nombreux et les blessures
encore ouvertes. D’après ce que j’ai également ressenti au cours
des conversations que j’ai eues avec mes interlocuteurs dans la
région, la guerre est encore récente et il faudra du temps pour
parvenir à une compréhension et à une interprétation communes des
événements. En effet, pour favoriser une amélioration des relations
interethniques et une réconciliation durables, l’enseignement de l’histoire
doit se fonder sur des études approfondies et refléter les points
de vue des différents groupes nationaux et ethniques résidant dans
la région
.
79. Lors de mes recherches, j’ai eu connaissance de plusieurs
projets intéressants de coopération et d’échanges entre universités
et historiens de la région, qui méritent d’être mentionnés. Par
exemple, le Centre pour la démocratie et la réconciliation en Europe
du Sud-Est a développé un «projet d’histoire commune» visant à encourager
le débat, à célébrer la diversité et à reconnaître les souffrances
et les réalisations partagées par une approche participative de
l’enseignement de l’histoire. Il s’agit de permettre aux élèves
et aux enseignants de développer la compréhension et les compétences
nécessaires à l’établissement d’une paix durable et d’un avenir
démocratique. A long terme, ce projet a pour but de rompre avec
l’enseignement ethnocentrique de l’histoire en évitant les stéréotypes,
en identifiant les attitudes vectrices de conflits, en proposant
d’autres méthodes d’enseignement et en diffusant l’idée selon laquelle
un même événement peut faire l’objet d’interprétations multiples.
80. J’ai également eu le plaisir d’apprendre que le Conseil de
l’Europe a organisé avec les autorités slovènes, dans le cadre de
l’Alliance des civilisations des Nations Unies, une conférence intitulée
«Réforme des méthodes et de la pédagogie de l’enseignement de l’histoire
en Europe du Sud-Est» en décembre 2010. Réunir des enseignants et
des formateurs d’enseignants pour mener une réflexion commune peut
être opportun, même dans des situations très difficiles. Il vaut
mieux mettre l’accent sur ce qui unit, plutôt que sur ce qui divise,
et sur l’histoire sociale et culturelle plutôt que sur l’histoire
politique
. Un exemple pour lequel une
telle approche a eu un impact en Bosnie-Herzégovine s’incarne dans
les «Guidelines for writing and evaluation of history and geography
textbooks for primary and secondary schools in Bosnia and Herzegovina» (lignes
directrices pour la rédaction et l’évaluation des manuels d’histoire
et de géographie pour les classes primaires et secondaires en Bosnie-Herzégovine)
développées par le biais d’un processus de consultation minutieux,
à la fois auprès d’experts et de politiciens, avec le support des
missions du Conseil de l’Europe et de l’OSCE en Bosnie-Herzégovine,
qui ont été publiées en 2005.
81. J’estime que le Conseil de l’Europe devrait soutenir les activités
menées par les acteurs locaux pour développer une vision plus pluraliste
des événements passés et présents. Il pourrait aussi organiser des conférences
et des tables rondes avec des historiens reconnus de la région autour
de quelques dates clés de l’histoire. Enfin, un recueil d’articles
pourrait être constitué pour compléter la documentation existante.
82. Concernant le système éducatif et les relations interethniques,
j’ai été informé, au cours de ma visite en Bosnie-Herzégovine, les
22 et 23 novembre 2010, que le nombre d’écoles divisées (en vertu
du système de «deux écoles sous un même toit») avait baissé. La
séparation des enfants selon des critères ethniques au sein d’un
même établissement ou l’enseignement de programmes différents selon
le groupe ethnique continuent néanmoins de poser problème. Lors
de ses discussions avec les autorités de l’Etat et des Entités en
novembre 2010, le commissaire Hammarberg a noté qu’il importait
de mettre fin à la ségrégation scolaire et déclaré que «la politique
de séparation des enfants bosniaques et croates dans les écoles
ne sert qu’à renforcer les préjugés et l’intolérance et à perpétuer
l’isolement ethnique. Les mesures destinées à unifier le système éducatif
n’ont que trop tardé. Les systèmes éducatifs divisés et fondés sur
l’ethnie ne sont pas compatibles avec les normes du Conseil de l’Europe
et constituent un obstacle au retour durable des personnes déplacées après
la guerre de 1992-1995». J’encourage vivement toutes les autorités
publiques de Bosnie-Herzégovine à mettre fin à cette pratique sur
tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine et à élaborer un programme
unique pour tous les enfants du pays.
5.5. La proposition d’instituer une commission «vérité»
83. Les commissions «vérité et réconciliation» ont montré
qu’elles pouvaient fortement contribuer à la consolidation de la
paix dans le monde et dans les régions qui sortent de conflits.
L’Assemblée a reconnu, dans sa
Résolution 1613 (2008) – Exploiter
l’expérience acquise dans le cadre des «commissions vérité» que «surmonter
les épreuves du passé, établir la vérité et promouvoir la réconciliation
dans les sociétés en transition déchirées par la guerre ou au lendemain
des conflits sont des conditions essentielles si l’on veut garantir
une paix durable et un avenir stable qui permettent l’instauration
de la démocratie, et le respect des droits de l’homme et de l’Etat
de droit».
84. Je partage les conclusions formulées par M. Andreas Gross,
dans le document «Exploiter l’expérience acquise dans le cadre des
commissions vérité»
,
selon lesquelles «l’expérience internationale démontre que les commissions
vérité peuvent être un instrument efficace pour faire face aux violations
passées des droits de l’homme, identifier leurs racines et leurs
causes et promouvoir des réformes nécessaires visant à éviter que de
tels abus se reproduisent. En permettant aux victimes d’être entendues,
les commissions vérité peuvent faciliter leur réinsertion dans la
vie civile et favoriser ainsi la réconciliation. Elles peuvent également
jouer un rôle utile en complément de la justice pénale, mais ne
peuvent et ne sauraient être considérées comme une alternative à
cette dernière».
85. Plusieurs tentatives de créer de telles commissions dans différentes
régions des Balkans ont échoué. En mars 2001, dans l’espoir de surmonter
les blessures du passé dans les Balkans, les autorités de ce qui était
alors la République fédérale de Yougoslavie ont institué une commission
vérité et réconciliation. Malheureusement, à cette époque, les autorités
n’étaient pas véritablement prêtes à affronter raisonnablement le
passé. Pour beaucoup, la commission a échoué en raison de son manque
de crédibilité, dû au fait qu’elle avait été constituée sans consultations
préalables suffisantes et sans le soutien nécessaire de la société
civile.
86. Seule une commission, la Commission de Srebrenica, instituée
par la Republika Srpska, en Bosnie-Herzégovine, a réussi à établir
des faits incontestables. Dans son rapport final publié en 2004,
les autorités reconnaissaient pour la première fois publiquement
que leurs forces de sécurité avaient tué plus de 7 000 musulmans
bosniaques à Srebrenica. Bien que ces conclusions soient capitales,
elles ne représentent qu’une partie des événements survenus pendant
le conflit en ex-Yougoslavie.
87. Une coalition d’environ 950 ONG de Bosnie-Herzégovine, de
Croatie et de Serbie a proposé la création d’une commission régionale
visant à établir la vérité sur les crimes de guerre commis en ex-Yougoslavie (RECOM
). Elle aurait
pour objet de rassembler les éléments établis par le TPIY et par
les juridictions nationales chargées de poursuivre les auteurs de
crimes de guerre. Cependant, cette initiative n’est en soit pas
suffisante pour recenser l’ensemble des faits survenus pendant les
conflits armés de l’ex-Yougoslavie. Selon les promoteurs de l’initiative
RECOM, seule une instance entièrement consacrée aux victimes de
crimes de guerre serait susceptible d’enquêter et de révéler la
vérité sur tous les faits survenus dans un passé récent. Pour ces
derniers, il serait nécessaire de recueillir des informations sur
tous les crimes perpétrés afin d’honorer et de reconnaître l’ensemble
des victimes et de s’assurer que de tels actes ne seront plus commis
à l’avenir.
88. De nombreuses victimes vivent toujours dans la pauvreté sans
espoir d’améliorer leur existence. Les organisateurs de l’initiative
RECOM estiment qu’il y a très peu d’empathie et de solidarité envers
les victimes de la part des autres groupes ethniques et que le dialogue
sociétal sur le passé est quasiment inexistant. C’est pourquoi ils
envisagent la commission RECOM comme un lieu de discussion où les
victimes pourront faire entendre leur voix. Cette instance pourrait
notamment aider à mettre au jour les charniers restants et à mettre un
nom sur l’ensemble des victimes dans le cadre du processus de réconciliation.
Les organisateurs estiment que l’approche régionale constitue la
meilleure stratégie pour faire face à l’héritage du passé.
89. Cependant, je me dois d’insister sur la prudence manifestée
par certains de mes interlocuteurs de la région. Bien que reconnaissant
le rôle important joué par les ONG dans les années 1990, ils considèrent
qu’il incombe désormais aux institutions et aux organes compétents
de s’occuper des crimes et des atrocités du passé. Par ailleurs,
nombre d’entre eux ont observé une amélioration des relations dans
la région et ne souhaitent pas remuer le passé au risque de voir
ces bonnes relations se dégrader. La plupart des acteurs institutionnels
que j’ai rencontrés m’ont semblé plus disposés à se tourner vers
le présent et l’avenir que vers le passé. En Bosnie-Herzégovine,
plusieurs ONG se sont réunies quelques jours avant mon arrivée à
Sarajevo afin de réfléchir sur cette initiative; elles n’ont cependant
pas pu s’accorder sur les pays qui devraient être autorisés à siéger
autour de la table.
90. J’ai été informé à plusieurs occasions que seule une pression
internationale permettrait d’instituer une telle commission. Les
membres du Parlement européen ont exprimé leur soutien à l’initiative
RECOM lors d’une réunion de la sous-commission des droits de l’homme
tenue le 16 septembre 2010. Selon moi, l’Assemblée parlementaire
pourrait également encourager la création de cette commission.
91. Cela étant, les organisateurs de RECOM ont tenu à préciser
que pour lui permettre d’atteindre ses objectifs, l’initiative devait
venir de la région et être volontairement acceptée. Les statuts
de la commission visant à établir la vérité sur les crimes de guerre
devraient être déposés les 5 et 6 février 2011 à Sarajevo. Les organisateurs
espèrent ensuite recueillir 1 million de signatures auprès des habitants
de la région pour soutenir la création de la commission, qu’ils
présenteront ensuite aux gouvernements concernés.
92. La proposition a obtenu l’appui d’Ivo Josipović, Président
croate, le 31 août 2010, et de Boris Tadić, Président serbe, le
1er septembre 2010. Les organisateurs sont fermement convaincus
que l’établissement de la commission devrait se faire en dehors
du processus d’intégration européenne: il s’agit d’un processus
en soi et sa création pourrait provoquer une évolution des mentalités.
93. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a établi à juste
titre le TPIY pour les pays de l’ex-Yougoslavie en 1993. Du fait
de la rigueur avec laquelle il a mené ses activités, ses jugements
et les faits qu’il a établis ne peuvent être niés. Il s’agit néanmoins
d’un organe externe siégeant en dehors de la région. L’avantage
d’une commission régionale vérité et réconciliation bénéficiant
de l’appui des responsables politiques et de la population générale
serait de ramener la justice dans son contexte local et éventuellement
de faciliter le débat sur les événements survenus pendant la guerre.
94. Les conclusions de la commission pourraient ainsi être utilisées
pour contribuer à l’élaboration d’un manuel d’histoire régionale.
Qui plus est, une commission régionale bénéficiant d’un soutien
politique pourrait faire contrepoids à la rhétorique nationaliste
qui continue d’être utilisée par certains responsables politiques
de la région. Néanmoins, pour qu’une telle commission remplisse
pleinement sa mission, il est capital, à mes yeux, que l’ensemble
des pays et des régions puissent y participer, et ce quel que soit
leur statut.
6. Le contexte plus vaste
6.1. Le processus d’intégration à l’Union européenne
95. Maintenir la perspective d’une intégration à l’Union
européenne pour les pays des Balkans occidentaux pourrait être la
meilleure incitation à réussir le processus de réconciliation dans
l’ex-Yougoslavie.
96. Les Etats de l’ex-Yougoslavie sont dans des situations différentes
à l’égard du processus d’intégration. La Slovénie est membre de
l’Union européenne depuis 2004, tandis que la Croatie et «l’ex-République yougoslave
de Macédoine» sont candidats à l’adhésion respectivement depuis
2004 et 2005. La Bosnie-Herzégovine et la Serbie sont des candidats
potentiels à l’adhésion. Le 25 octobre 2010, le Conseil européen a
décidé de soumettre la demande d’adhésion de la Serbie à l’Union
européenne à l’avis de la Commission européenne. Ce faisant, il
a fixé des conditions précises concernant la coopération de la Serbie
avec le TPIY. Le 24 novembre 2010, Stefan Fuele, commissaire européen
à l’élargissement, a remis le questionnaire sur la candidature de
la Serbie à l’adhésion à l’Union européenne au Premier ministre
serbe Mirko Cvetković, qui a accepté d’y répondre avant la fin janvier
2011. La Commission européenne
a recommandé d’ajouter le Monténégro à la liste des pays candidats,
dans son avis publié le 9 novembre 2010.
97. Actuellement, les perspectives d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine
à l’Union européenne sont entravées par l’impasse constitutionnelle
et par le flou entourant les aspirations européennes de ses dirigeants politiques.
98. D’après le dernier rapport de suivi publié par la Commission
européenne le 9 novembre 2010, la Bosnie-Herzégovine a peu progressé
dans ses efforts pour satisfaire aux critères politiques. Le pays
a progressé dans le domaine de l’Etat de droit, notamment dans des
secteurs tels que la gestion des frontières et la politique migratoire,
grâce à des réformes visant satisfaire les exigences liées à la
libéralisation du régime des visas. Des mesures importantes ont
également été prises pour promouvoir la réconciliation et la coopération régionales,
notamment en ce qui concerne le retour des réfugiés. Néanmoins,
la mise en œuvre globale des réformes a été insuffisante et le climat
politique intérieur au cours de la période préélectorale a été dominé
par la rhétorique nationaliste. D’après la Commission européenne,
l’absence de vision commune de la part des décideurs politiques
quant à la direction du pays continue d’entraver les réformes essentielles
et la réalisation de nouveaux progrès sur la voie de l’adhésion
à l’Union européenne. Pour ce qui est des obligations internationales,
il est essentiel que le pays progresse dans le respect des exigences
liées à la fermeture du bureau du haut représentant.
99. Les questions relatives aux frontières ont retardé la candidature
de la Croatie, mais comme indiqué ci-dessus, la situation semble
sur le point d’être réglée et les négociations d’adhésion de la
Croatie à l’Union européenne pourraient être achevées d’ici à la
fin 2011. Cependant, bien que d’importants progrès aient été accomplis
,
des réformes plus concrètes sont nécessaires, notamment en ce qui
concerne le chapitre 23 des négociations d’adhésion de la Croatie
(intitulé «Justice et droits fondamentaux») sur la lutte contre
la corruption et la pleine coopération avec le TPIY.
100. En 2008, un dialogue sur la libéralisation des visas a été
engagé avec plusieurs Etats de l’ex-Yougoslavie (la Bosnie-Herzégovine,
«l’ex-République yougoslave de Macédoine», le Monténégro et la Serbie)
et des feuilles de route pour la libéralisation des visas ont été
établies. Les décisions relatives à la levée de l’obligation de
visa pour accéder à l’Espace Schengen dépendent des progrès réalisés
par les pays concernés dans la mise en œuvre de réformes majeures
dans des domaines tels que le renforcement de l’Etat de droit, la
lutte contre la criminalité organisée, la corruption et les migrations
clandestines et le renforcement de leurs capacités administratives
en matière de contrôle aux frontières et de sécurité des documents.
Le Monténégro, la Serbie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
bénéficient du régime d’exemption de visa depuis le 19 décembre
2009 et la Bosnie-Herzégovine depuis le 8 novembre 2010.
101. Tous les Etats de l’ex-Yougoslavie sont membres du Conseil
de l’Europe. La Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Serbie font
l’objet d’une procédure de suivi par l’Assemblée et «l’ex-République
yougoslave de Macédoine» d’un dialogue postsuivi. Le respect des
engagements souscrits lors de l’adhésion au Conseil de l’Europe
est considéré par l’Union européenne comme essentiel pour toute
candidature.
6.2. Le dialogue interparlementaire
102. A mon avis, le dialogue interparlementaire devrait
être encouragé au niveau régional et il importe d’impliquer pleinement
les parlements nationaux des Etats de l’ex-Yougoslavie dans le processus
d’intégration européenne.
103. En 2008, le Parlement européen et les députés de l’ex-Yougoslavie
ont échangé des expériences sur l’intégration européenne et ont
mené un débat sur l’économie, la sécurité et la justice. Bien que
je salue cette initiative, j’estime cependant que les réunions interparlementaires
du Parlement européen devraient être améliorées de manière à offrir
un système fonctionnel, régulier et efficace permettant des débats
plus ciblés et axés sur la pratique
. Cela pourrait être aisément
réalisé en assurant une meilleure coordination avec l’Assemblée
parlementaire et les délégations nationales des parlements nationaux
de l’ex-Yougoslavie.
104. Lors de ma visite à Bruxelles, le 30 novembre 2010, j’ai participé
à une audition organisée par la Sous-Commission droits de l’homme
du Parlement européen sur les droits de l’homme dans les Balkans occidentaux.
La présidente de la sous-commission, Mme Heidi Hautala, parmi d’autres
parlementaires européens, a exprimé l’espoir de voir s’instaurer
des échanges réguliers de points de vue avec les parlementaires
nationaux de la région sur les questions de la réconciliation, du
dialogue politique et des droits de l’homme dans les Balkans occidentaux
afin de les accompagner dans le processus d’intégration à l’Union européenne,
en coopération avec la commission des questions politiques. Je suis
tout à fait en faveur de cette proposition et je ne saurais trop
encourager l’Assemblée à suivre son évolution dans les mois qui
viennent.
6.3. L’intégration régionale
6.3.1. Le processus de Brdo
105. La conférence «Tous ensemble pour l’Union européenne:
la contribution des Balkans occidentaux à l’avenir européen», tenue
le 20 mars 2010 à Brdo pri Kranju et organisée conjointement par
la Croatie et la Slovénie, a représenté un nouveau départ pour la
coopération dans les Balkans occidentaux. Il s’agissait d’envoyer
à l’Europe le message suivant:
- les
dirigeants des pays des Balkans occidentaux issus de l’ex-Yougoslavie
et de l’Albanie peuvent se réunir autour de la même table et partager
les mêmes objectifs;
- ces pays peuvent dépasser les désaccords et les rancunes
historiques et œuvrer ensemble pour la paix et l’avenir de la région;
- tous les pays sont disposés à coopérer sur le chemin de
l’adhésion à l’Union européenne.
106. La conférence a également marqué le lancement du «processus
de Brdo». Tous les pays participants (Albanie, Bosnie-Herzégovine,
Croatie, Kosovo, Monténégro, Slovénie et «l’ex-République yougoslave
de Macédoine») sont convenus «de s’entraider et d’échanger les expériences
acquises pendant le processus d’intégration» et d’«encourager les
relations de bon de voisinage, en s’investissant sans relâche dans
des projets d’intérêt commun et en mettant tout en œuvre pour régler
les différends bilatéraux en cours dans un esprit européen»
.
J’espère que la Serbie rejoindra le processus prochainement. Le
«Groupe Visegrad» a été pris comme modèle pour la coopération dans
le cadre du processus de Brdo, dans la mesure où ce type de coopération
suppose qu’aucun des pays participants ne joue un rôle prédominant
dans la région.
6.3.2. Autres initiatives régionales
107. La Commission européenne a indiqué que la coopération
régionale entre les Etats des Balkans occidentaux était essentielle
dans l’optique d’une future adhésion à l’Union européenne. Plusieurs
initiatives régionales auxquelles participent les Etats de l’ex-Yougoslavie
sont susceptibles de faciliter la réconciliation dans la région,
notamment l’Accord de libre-échange centre-européen (ALECE), dont
l’objectif est de développer le commerce dans la région, le Conseil
de coopération régionale (CCR) qui vise à soutenir l’intégration
européenne et euro-atlantique, le Processus de coopération en Europe
du Sud-Est, chargé de promouvoir la coopération multilatérale et
de renforcer la stabilité, la sécurité et les relations de bon voisinage dans
la région et l’Ecole régionale d’administration publique (ReSPA),
projet financé par l’Union européenne qui vise à aider les Etats
des Balkans occidentaux à former des fonctionnaires en vue de l’adhésion
à l’Union européenne.
108. Je soutiens ces initiatives régionales et je suis convaincu
qu’elles peuvent jouer un rôle essentiel dans le renforcement de
la prise en charge régionale et, en servant d’interlocuteurs clés,
dans la communication avec l’Union européenne et les autres organisations
internationales.
6.3.3. L’impact de la situation au Kosovo
109. En juin 2010, l’Assemblée a examiné un rapport détaillé
sur la situation au Kosovo et le rôle du Conseil de l’Europe»
,
sur lequel j’attire l’attention des lecteurs. La déclaration unilatérale
d’indépendance de la Serbie en février 2008 a, de toute évidence,
eu un impact négatif sur le processus de réconciliation dans la région:
des ambassadeurs ont été déclarés «persona non grata» à Belgrade
et la Serbie a décidé de rappeler ses ambassadeurs en poste dans
les Etats voisins qui avaient reconnu l’indépendance du Kosovo.
Par la suite, les relations diplomatiques
ont été entièrement rétablies.
110. Dans ce contexte, il est à noter que la Cour internationale
de justice, dans son avis consultatif longuement attendu sur la
déclaration d’indépendance rendu le 22 juillet 2010, a conclu que
la déclaration ne violait aucune disposition applicable du droit
international
. Après
la publication de l’avis consultatif, le Gouvernement serbe a collaboré
avec l’Union européenne pour présenter une nouvelle résolution sur
la question à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations
Unies. La résolution, adoptée le 9 septembre 2010, encourage la
négociation. Elle «se félicite que l’Union européenne soit disposée
à faciliter le dialogue entre les parties» et elle affirme que «ce
dialogue serait en soi un facteur de paix, de sécurité et de stabilité dans
la région et aurait pour objet de favoriser la coopération, d’avancer
sur le chemin menant à l’Union européenne et d’améliorer les conditions
de vie des populations»
.
111. J’ai eu le plaisir d’entendre, lors de mes conversations avec
de hauts représentants du gouvernement, que la Serbie entendait
sortir de l’impasse sur le statut du Kosovo en dialoguant avec les
autorités de Pristina, dialogue qui sera facilité par l’Union européenne.
Ce premier pas symbolique semble ouvrir des perspectives favorables
à la résolution des questions en suspens entre Belgrade et Pristina.
Les élections anticipées au Kosovo tenues le 12 décembre 2010 ont
inévitablement retardé l’engagement d’un tel dialogue, mais, espérons-le,
pas pour trop longtemps.
6.4. La réalité sur le terrain
112. Les discussions menées au niveau politique sur la
réconciliation peuvent conduire à ignorer l’impact que peuvent avoir
les personnes ordinaires sur le processus. En effet, alors que les
autorités et la classe politique commencent lentement à trouver
un terrain d’entente avec leurs homologues de la région, la population
a déjà une longueur d’avance. C’est un aspect qui m’a particulièrement
frappé lors de mes visites dans la région. Vu de l’extérieur, on
a souvent l’impression que les populations sont fortement attachées
aux pays dans lesquels elles vivent, mais on oublie aisément combien
ces pays étaient étroitement liés les uns aux autres avant le déclenchement
du conflit. Ainsi, j’ai été heureux d’apprendre que des entreprises
croates s’installaient en Serbie, que des artistes croates se produisaient
à Belgrade, que des Serbes allaient en vacances en Croatie et qu’il
était désormais fréquent de voir des plaques d’immatriculation croates
sur des véhicules circulant en Serbie, chose qui n’existait tout
simplement pas il y a quelque temps de cela.
113. Cependant, je suis également convaincu que beaucoup reste
à faire. La violence de certains supporters extrémistes serbes qui,
animés par des sentiments ultranationalistes, ont incité à la haine
raciale, nationale et religieuse lors d’un match de football récemment
organisé en Italie le 12 octobre 2010, a provoqué la colère et la
consternation en Serbie et a contraint Vuk Yeremic, ministre des
Affaires étrangères serbe, à présenter des excuses officielles.
114. Des efforts renouvelés de la part de tous les gouvernements
de la région, en coopération avec la communauté internationale,
sont absolument indispensables si nous voulons poursuivre le processus
de désarmement politique et culturel en cours.
7. Conclusions
115. Au cours de mes visites dans la région et de ma visite
finale à Bruxelles, les 29 et 30 novembre 2010, j’ai pu m’assurer
que l’intégration européenne est une question cruciale pour nombre
de mes interlocuteurs. Je suis convaincu que la perspective de l’adhésion
à l’Union européenne est une force d’impulsion qui incite la majorité
des pays de l’ex-Yougoslavie à entreprendre des réformes politiques.
La récente expérience de la levée des visas montre qu’avec des mesures
incitatives concrètes, l’Union européenne conserve son pouvoir d’amener
les Etats à engager des réformes en profondeur.
116. Des premiers signes d’engagement en faveur de la coopération
régionale ont été observés ces derniers mois, ainsi que de premières
tentatives pour analyser différemment l’histoire récente de la région.
Belgrade et Zagreb ont engagé des discussions sur les questions
relatives aux réfugiés et aux personnes disparues, et les deux parties
envisagent d’abandonner les actions qu’elles ont réciproquement
intentées en justice pour génocide. Les Présidents des deux pays
sont en train de prendre la tête de ce qui pourrait devenir un processus
de rapprochement et commencent à coopérer sur certaines questions
d’ordre pratique, liées par exemple au commerce ou à la lutte contre
la criminalité organisée. La coopération régionale progresse. Belgrade
et Pristina devraient entrer en pourparlers très prochainement.
117. Suivent quelques-unes des principales questions que j’ai analysées
dans le présent rapport et qui, d’après moi, exigent un redoublement
d’efforts de la part de tous les gouvernements de la région en vue
d’une véritable réconciliation et de l’intégration européenne:
- la question des personnes disparues
est prioritaire et je recommande d’ouvrir les archives de tous les pays
concernés afin de clore ce dossier et de financer de manière appropriée
les initiatives de la société civile qui tentent de combler les
vides en créant des annales des victimes des conflits, afin de valider
la légitimité du passé et de lutter contre le révisionnisme historique;
- il reste essentiel que tous les gouvernements de la région,
en coopération avec la communauté internationale, apportent leur
assistance pour favoriser le retour et la réintégration des personnes rapatriées
dans leur lieu d’origine, ainsi que l’intégration des personnes
déplacées dans leur lieu d’accueil. Si la sécurité ne semble plus
être la préoccupation première des personnes qui rentrent chez elles,
la situation sociale et économique dans les zones touchées par la
guerre reste problématique; il faut promouvoir en priorité l’accès
aux droits fondamentaux, dont ceux au logement, à la santé, à l’emploi
et aux services sociaux;
- les poursuites pour crimes de guerre et la pleine et entière
coopération avec le TPIY demeurent des éléments importants à la
fois pour la réconciliation et pour l’intégration européenne, et
la priorité devrait être accordée à trouver et à arrêter les fugitifs
qui courent toujours;
- l’absence de définition des frontières, question qui est
également inextricablement liée à celle des droits des minorités,
peut avoir des répercussions négatives sur la politique régionale
ainsi que sur les perspectives d’intégration européenne. Je crois
que la clôture de ce dossier est une condition préalable concrète
à la création d’un climat d’intégration où les frontières aient
moins de résonance politique; si les pays ne sont pas en mesure
de résoudre leurs différends de manière bilatérale, ce qui serait
de loin préférable, ils devraient se soumettre à un processus d’arbitrage
contraignant;
- je suis convaincu que l’Union européenne peut donner l’impulsion
politique et exercer son influence pour créer un contexte particulièrement
propice au dialogue, notamment par le biais du tout nouveau Service européen
pour l’action extérieure, en coopération avec les organisations
pertinentes présentes dans les Balkans, en particulier le Conseil
de l’Europe, l’OSCE et le CCR. Cependant, la responsabilité en la matière
devrait incomber aux pays car la coopération régionale exige des
engagements de la part des gouvernements qui sont supposés y prendre
part;
- les initiatives populaires, locales et de la société civile
ont besoin d’être beaucoup plus largement soutenues et visibles.
La coopération transfrontalière, les initiatives visant à réconcilier
les citoyens de différents pays, les projets de restitution des
biens, le développement de réseaux sociaux sont autant de modes
d’action partant de la base qui sont plus que nécessaires pour aider
la population à sortir du trou noir de l’ethnonationalisme;
- comme l’ont souligné plusieurs de mes interlocuteurs dans
la région, la Bosnie-Herzégovine doit sortir de l’impasse constitutionnelle
dans laquelle elle se trouve depuis les dernières élections, durant lesquelles
des restrictions fondées sur des critères d’origine ethnique et
de résidence ont été imposées aux droits de suffrage actif et passif.
Le pays doit prendre des mesures importantes pour honorer les engagements
qu’il a contractés lors de son adhésion au Conseil de l’Europe,
et des réformes constitutionnelles d’envergure doivent immédiatement
être engagées; il doit également renforcer les institutions démocratiques
fonctionnelles actives sur tout son territoire;
- au cours de mes visites, j’ai observé que le discours
public sur la guerre reste souvent cloisonné, chaque pays ayant
sa propre vérité, son propre discours et sa propre interprétation.
Cette situation, me semble-t-il, peut être source potentielle de
haine et de conflit. L’Assemblée pourrait soutenir l’action des
acteurs locaux visant à promouvoir une vision plus pluraliste des
événements passés et présents, notamment en renforçant le dialogue
interparlementaire, en coopération avec le Parlement européen;
- tout comme les conflits ethniques et la guerre civile
ne sont pas naturels, mais provoqués par l’homme, la prévention
et la résolution des conflits ne se font pas non plus automatiquement.
Les dirigeants doivent faire preuve de compétence, de détermination
et de vision dans leur mobilisation pour la paix. Ils doivent se
rapprocher les uns des autres, mais aussi se rapprocher de leurs
partisans, qu’ils doivent associer à la poursuite d’un avenir pacifique.
Je suis persuadé que l’Assemblée doit appuyer le travail mené par
les Ecoles d’études politiques du Conseil de l’Europe, notamment
à Belgrade, Pristina et Sarajevo, pour impliquer les élites politiques
et autres et les encourager à intensifier leurs efforts afin de favoriser
le dialogue sur toutes les questions non résolues dans la région
et de renforcer le caractère multiethinique de ces cercles politiques;
- dans le même ordre d’idées, le Conseil de l’Europe pourrait
apporter son soutien aux acteurs locaux œuvrant en faveur d’une
vision plus pluraliste et partagée des événements passés et récents, notamment
en développant une stratégie à long terme avec des historiens reconnus
et des éducateurs de la région autour de quelques dates clés de
l’histoire; un recueil d’articles pourrait également être constitué
afin de compléter la démarche la documentation existante;
- il sera extrêmement difficile, pendant de nombreuses années
encore, de parvenir à faire s’accorder les différentes parties au
conflit sur ce qui s’est passé. La réconciliation suppose aussi
une transformation pour le mieux des structures et des groupes sociaux
qui ont provoqué, encouragé et soutenu la violence et la criminalité.
Pour moi, la réconciliation est un processus dans lequel la réalité
du conflit est traitée dans la perspective de l’avenir. Cependant,
la réconciliation n’est pas isolée du passé et toute tentative visant
à enterrer celui-ci est inacceptable pour les personnes qui ont
été exposées à de graves violences et violations des droits de l’homme,
personnes que j’ai rencontrées au cours de mes visites dans la région.
Je suis d’avis que l’Assemblée devrait encourager la constitution
d’une commission régionale «vérité et réconciliation» qui enquêterait
et informerait sur tous les faits de l’histoire récente afin de reconnaître
et rendre hommage à l’ensemble des victimes. Pour qu’une telle commission
remplisse pleinement sa mission, il me semble indispensable que
l’ensemble des pays et des régions puissent y participer, quel que
soit leur statut.