1. Introduction
1. Le phénomène de pauvreté a
récemment explosé en Europe: on estime à 80 millions environ le
nombre de personnes touchées dans l’Union européenne

,
ce qui représente 16 % de la population

. La Banque mondiale estime à 60
millions le nombre de personnes vivant avec moins de 2 dollars des
Etats-Unis par jour en Europe de l’Est et dans l’ex-Union soviétique

. Pour avoir un aperçu satisfaisant
de la situation en Europe, il faudrait recueillir des données comparatives
pour les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas membres
de l’Union européenne.
2. On constate également, outre le développement de la pauvreté
relative, celui de la grande pauvreté

. Le fait de ne pas avoir de revenus
suffisants a des répercussions sur la quasi-totalité des aspects
de la vie – accès au logement et aux soins de santé, accès aux systèmes
de sécurité et de protection sociale, et accès à l’éducation et
à l’emploi. La pauvreté revêt de nombreuses facettes, parmi lesquelles
la solitude et l’exclusion sociale.
3. La pauvreté n’est pas qu’une question de revenu, elle est
aussi, plus fondamentalement encore, une question de possibilité
d’accéder à une vie digne et de jouir des droits humains et des
libertés élémentaires. Elle consiste en un ensemble de privations
liées entre elles qui se renforcent mutuellement (par exemple l’alimentation,
le logement, l’éducation, les soins de santé), privations qui ont
une incidence sur la capacité de revendiquer et d’exercer ses droits
civils, culturels, politiques et sociaux

.
4. La crise économique n’a fait que compliquer les choses. L’incidence
sociale de la crise dépasse le chômage. La crise a entraîné une
augmentation du nombre de sans-abri, le surendettement, l’inégalité,
et a détruit la confiance dans l’avenir. Comme l’a souligné le Réseau
européen antipauvreté (EAPN), le taux élevé de chômage, et ses conséquences
préjudiciables au plan psychologique, ainsi que la montée des tensions, risquent
avec le temps de fabriquer des «générations sacrifiées». Mais cette
perspective ne doit pas freiner le mouvement en faveur de l’amélioration
des conditions de vie de millions de personnes.
5. Le présent rapport analyse la pauvreté sous l’angle des droits
humains et propose des solutions susceptibles de changer la donne
en Europe dans les années à venir.
2. Aperçu de la situation actuelle
des personnes vivant dans la pauvreté en Europe
7. Le 15 novembre 2010, la commission des questions sociales,
de la santé et de la famille a organisé une audition de représentants
de la société civile sur la question de la lutte contre la pauvreté

, à laquelle ont participé le Mouvement
international ATD Quart-Monde, Child Poverty Action Group (Royaume-Uni),
Caritas Europe et le Réseau européen antipauvreté (EAPN)

. Il est tenu compte dans le
présent rapport des vues exprimées lors de cette audition.
8. De nombreux participants, y compris des membres de l’Assemblée
parlementaire, ont déclaré que «tous ces facteurs s’expliquent par
la pauvreté»: la migration pour des raisons économiques par laquelle
les personnes touchées par la pauvreté s’efforcent de trouver des
solutions pour assurer la survie de leurs familles, le développement
inquiétant du trafic d’organes dont la plupart des victimes sont
originaires de régions pauvres, les enfants qui se livrent à la
mendicité dans les rues et qui finissent dans des réseaux pédophiles

, les sans-abri victimes du froid mourant
dans la rue, ou les hôpitaux refusant les patients qui n’ont pas
d’assurance-santé. La pauvreté est dégradante et peut marginaliser.
9. L’Union européenne a adopté une stratégie de réduction de
20 % du nombre de personnes touchées par la pauvreté d’ici à 2020.
L’enquête de 2009 de l’Eurobaromètre sur la pauvreté et l’exclusion
sociale

montre que 89 % des répondants considèrent
que des mesures urgentes doivent être prises par leurs gouvernements
pour lutter contre la pauvreté. Selon l’EAPN, il n’y a eu aucun
véritable progrès en Europe ces dernières années, ce qui montre
que les politiques existantes ne sont pas venues à bout de la pauvreté
et qu’il faut adopter une autre approche. Le Comité de la protection
sociale, dans son rapport au Conseil de l’Union européenne publié
le 18 février 2011, offre une évaluation de la dimension sociale
de la Stratégie européenne 2020

. Le messaqe principal de ce rapport
est que la réalisation de l’objectif consistant à sortir 20 millions
de personnes de la pauvreté et de l’exclusion sociale dans l’Union
européenne au cours de la prochaine décennie nécessite des objectifs
ambitieux et des mesures spécifiques, ainsi que la mobilisation
de toutes les parties prenantes

.
10. Le Mouvement international ATD Quart-Monde appelle l’attention
sur le fait que pour atteindre l’objectif de réduction de 20 %,
il se peut que les personnes touchées par l’extrême pauvreté ne
soient tout simplement pas prises en compte dans les statistiques,
ce qui aboutirait de fait à abandonner les personnes concernées. Il
est plus facile pour les gouvernements de se concentrer sur celles
que l’on peut sortir plus aisément de la pauvreté. Venir en aide
à ceux qui sont complètement exclus est bien plus difficile. L’auteur
exhorte par conséquent les décideurs à faire en sorte que ces personnes
ne soient pas laissées pour compte.
2.1. Enfants en situation de
pauvreté
11. Pour les enfants pauvres, la
situation est particulièrement difficile. On estime que 19 millions
d’enfants sont victimes de la pauvreté dans l’Union européenne.
Comme l’a souligné Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe, lutter contre la pauvreté des enfants
est une question politique prioritaire. Les enfants qui grandissent
dans la pauvreté sont plus vulnérables que les autres. Ils sont
davantage susceptibles d’être en mauvaise santé, d’avoir de mauvais
résultats scolaires, d’être confrontés à la police, de ne pas acquérir
de compétences professionnelles et, par conséquent, d’être au chômage
ou mal payés et de dépendre de l’aide sociale dans leur vie future.
La pauvreté des enfants est la première étape vers des écarts et
des inégalités plus grands dans la société, et tel un cercle vicieux
elle a tendance à se transmettre d’une génération à l’autre

.
12. L’extrême pauvreté déchire souvent les familles. Comme l’a
souligné le Mouvement international ATD Quart-Monde

lors de l’audition du 15
novembre 2010, les enfants sont souvent pris en charge lorsque les parents
n’ont pas suffisamment d’argent pour les aider. Malheureusement,
des ressources ne sont pas toujours mobilisées pour permettre aux
enfants de réintégrer leurs familles.
13. L’Organisation pour la coopération et le développement économiques
(OCDE) signale que dans les 30 pays examinés

, près de 12 % des enfants risquaient
de tomber dans la pauvreté au milieu des années 2000. Il y avait
des écarts importants selon les pays. Le taux de pauvreté des enfants
était inférieur à 5 % au Danemark, en Finlande, en Norvège et en
Suède, mais dépassait 20 % en Pologne, en Turquie, au Mexique et
aux Etats-Unis. En général, les taux de pauvreté des enfants étaient
supérieurs à ceux de la population en général, sauf en Autriche,
en Australie, au Danemark, en Finlande, en Norvège, en Slovénie,
en Suède, au Japon et en Corée (voir annexe 1).
14. Bien que plusieurs facteurs contribuent à la pauvreté des
enfants, deux d’entre eux sont importants et posent les questions
de savoir si l’enfant vit avec un seul parent et si ce dernier est
ou non salarié. Les enfants qui vivent avec un seul parent risquent
davantage de se retrouver dans la pauvreté que ceux qui vivent avec deux
adultes. Toutefois, la probabilité d’être pauvre est fortement liée
à la situation des parents au regard de l’emploi. Dans les pays
de l’OCDE qui comptent davantage de mères salariées, les taux de
pauvreté sont moins élevés chez les enfants

.
15. Ainsi qu’indiqué par le Child Poverty Action Group, les statistiques
britanniques montrent que la pauvreté des enfants a doublé entre
1979 et 1997, passant de 2 millions en 1979 à 4,4 millions d’enfants
en 1997. Les études montrent que la pauvreté prive les enfants de
leurs chances de vie. A la suite d’une mobilisation massive de la
société civile, le Gouvernement britannique a adopté la loi sur
la pauvreté des enfants

,
un texte contraignant qui met à la charge de tous les gouvernements
britanniques successifs l’obligation de mettre fin à la pauvreté
des enfants d’ici à 2020. Cette loi est axée sur six obligations:
mettre fin à la pauvreté, établir et rendre publique une stratégie
prévoyant des «jalons essentiels», établir une commission indépendante
sur la pauvreté des enfants, élaborer un rapport annuel, travailler
avec les parties prenantes au niveau local, et prévoit une clause
sur les conditions économiques et fiscales.
16. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) souligne
la nécessité d’agir pour améliorer le bien-être des enfants

au moyen, notamment,
de mesures de réduction de la pauvreté. Des organisations internationales
de la société civile comme Eurochild ont lancé, dans le cadre de
l’Année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale
(2010), un appel visant à ce que la pauvreté des enfants soit éliminée sans
plus attendre. Parmi les mesures proposées par Eurochild figurent
notamment: l’autonomisation des enfants, l’accès universel à des
services de qualité, l’égalité des chances pour tous, la prévention
et l’intervention précoces, le soutien aux enfants vulnérables,
le renforcement des familles, la promotion de la responsabilité,
l’allocation de ressources suffisantes et l’adoption de politiques
multidimensionnelles de lutte contre la pauvreté.
2.2. Autres personnes vulnérables
à la pauvreté
17. Par temps de crise économique,
il convient également de répondre aux besoins d’autres personnes susceptibles
de tomber dans la pauvreté et de leur offrir une protection spéciale:
les femmes

,
notamment les mères élevant seules leurs enfants, les personnes
âgées, les personnes handicapées et les personnes issues de minorités
et de communautés de migrants.
18. Les Etats membres devraient prendre des mesures transversales
spécifiques pour protéger les personnes particulièrement vulnérables.
Des mesures spécifiques visant, par exemple, à améliorer l’accès
à l’emploi des personnes handicapées

entraîneront
des progrès dans les vies de milliers de personnes qui, à défaut,
n’auraient pas eu de possibilités d’emploi satisfaisantes.
3. Combattre la pauvreté: solutions
relevant d’une perspective des droits humains
3.1. Droits humains des personnes
touchées par la pauvreté
19. On considère volontiers la
pauvreté comme une question sociale. Des mesures d’aide sociale
doivent être prises pour sortir les personnes de la pauvreté mais
ces mesures ne suffisent pas à elles seules. Des stratégies fondées
sur les droits humains, mettant l’individu au cœur de l’élaboration
des politiques au lieu de se concentrer sur les seuls aspects économiques,
sont aujourd’hui nécessaires.
20. Le respect des droits humains devrait être à la base de toute
mesure visant à éliminer la pauvreté, ce qui suppose d’entreprendre
un examen complet des systèmes existants d’élaboration des politiques.
21. Il y a lieu de veiller à ce que les droits sociaux de toute
la population, y compris les pauvres, soient protégés. Une personne
pauvre n’est pas différente, en tant qu’être humain, d’une personne
qui ne l’est pas. Aborder la pauvreté sous l’angle des droits humains
permet aux personnes pauvres d’être reconnues et de se considérer
elles-mêmes comme des personnes, y compris lorsque leur dignité
est gravement compromise

.
22. Considérer que les droits sociaux sont partie intégrante des
droits humains – et les protéger en conséquence – exige un engagement
de la part des décideurs. Des changements significatifs sont nécessaires
dans les modalités d’élaboration des politiques, lois et décisions
budgétaires.
23. Il n’y a pas d’universalité des droits humains si ces droits
ne sont pas garantis à tous, sans discrimination

.
Le principe d’universalité des droits humains, une norme reconnue
du droit international, n’est toujours pas une réalité pour un grand
nombre de personnes en Europe. La pauvreté est de fait un obstacle
à l’exercice des droits humains.
24. Le principe de l’indivisibilité et de l’interdépendance des
droits humains est également une norme reconnue du droit international.
La perte d’un droit peut aboutir et aboutit à celle d’autres droits.
La perte d’un emploi peut entraîner celle de l’accès aux soins de
santé. C’est très souvent le cas pour les personnes touchées par
la pauvreté. A l’inverse, l’accès à un droit humain donne accès
aux autres.
25. La reconnaissance des principes de non-discrimination et d’égalité
aide à comprendre que la pauvreté est principalement engendrée par
des pratiques discriminatoires – à la fois latentes et patentes.
Ce constat appelle la réorientation des stratégies de réduction
de la pauvreté, souvent axées sur des questions économiques ciblées,
et l’adoption de stratégies plus globales qui visent également les
institutions socioculturelles et politico-juridiques qui sous-tendent
les structures de la discrimination

.
26. Selon l’article 30 de la Charte sociale européenne (révisée)
(STE no 163), les Etats membres doivent assurer «l’exercice effectif
du droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale».
Les Etats membres sont priés de «prendre des mesures dans le cadre
d’une approche globale et coordonnée pour promouvoir l’accès effectif
notamment à l’emploi, au logement, à la formation, à l’enseignement,
à la culture, à l’assistance sociale et médicale des personnes se
trouvant ou risquant de se trouver en situation d’exclusion sociale
ou de pauvreté, et de leur famille». Comme l’a souligné le Comité
européen des Droits sociaux, être en situation de pauvreté et d’exclusion
sociale est contraire à la dignité des êtres humains

. Des mécanismes de contrôle associant
tous les acteurs pertinents, y compris des acteurs de la société
civile et des personnes touchées par la pauvreté et l’exclusion,
devraient être mis en place

.
27. Il y a lieu de se féliciter à cet égard de la décision de
l’Assemblée tendant à ce que les progrès accomplis en matière de
droits sociaux en Europe soient examinés dans le cadre d’un débat
bisannuel sur la situation des droits de l’homme en Europe, ainsi
qu’indiqué dans la
Résolution
1792 (2011) sur le suivi des engagements concernant les droits sociaux.
28. En 2001, la haut-commissaire des Nations Unies aux droits
de l’homme (HCDH), Mme Mary Robinson, a appelé la communauté internationale
à redoubler d’efforts pour éliminer la pauvreté en s’appuyant sur
les droits humains

. Mme Louise Arbour, qui lui a
succédé en 2006, a insisté sur la nécessité d’analyser les stratégies
de réduction de la pauvreté sous l’angle des droits humains, lorsqu’elle
a présenté les Principes et Directives pour une approche des stratégies
de réduction de la pauvreté fondée sur les droits humains. Ces principes
et directives préconisent l’intégration dans les stratégies de réduction
de la pauvreté de mesures spécifiques visant à garantir le droit
au travail, le droit à une alimentation adéquate, le droit à un
logement satisfaisant, le droit à la santé, le droit à l’éducation,
le droit à la sûreté personnelle et au respect de la vie privée,
le droit à l’égalité d’accès à la justice et l’accès aux droits
et libertés politiques

.
29. Aujourd’hui, les Nations Unies s’engagent dans la voie d’une
protection accrue des droits humains des personnes touchées par
la pauvreté

, en dépit de la grave crise qui
a sévi et qui empêchera les pays de réaliser le premier des objectifs
du Millénaire pour le développement – l’élimination de l’extrême
pauvreté et de la faim – d’ici à 2015

.
3.2. Mesures visant à renforcer
l’accès effectif à tous les droits humains
30. L’efficacité des droits humains
commence par un accès effectif à ces droits, sur la base des principes de
non-discrimination et d’égalité des chances. L’approche de la réduction
de la pauvreté fondée sur les droits humains exige que les lois
et institutions susceptibles de favoriser la discrimination à l’égard
d’individus et de groupes spécifiques soient abrogées ou supprimées,
et que davantage de ressources soient affectées aux domaines d’activité
qui peuvent le plus aider les pauvres

.
3.2.1. Droits civils et politiques
31. Les Etats membres devraient
prendre des mesures pour renforcer la participation et l’autonomisation

des personnes en situation de pauvreté
et d’exclusion sociale. On ne peut pas réduire véritablement la pauvreté
sans une autonomisation des personnes touchées par elle. Les Lignes
directrices du Conseil de l’Europe sur l’amélioration de la situation
des travailleurs à faible revenu et l’autonomisation des personnes confrontées
à la grande pauvreté, adoptées en mai 2010, insistent sur ce point.
32. Les personnes touchées par la pauvreté souffrent généralement
de diverses formes d’insécurité, qui vont de l’insécurité économique
à la violence physique.
33. Les politiques visant à éliminer, ou à tout le moins réduire
de manière significative, la violence à l’égard des pauvres devraient
faire clairement la distinction entre la violence de l’Etat et celle
des acteurs non étatiques. La violence peut prendre la forme de
menaces de mort, d’agressions violentes, d’intimidation ou de traitement
discriminatoire grave

.
Par conséquent, les efforts visant à renforcer le droit des pauvres
à la sécurité personnelle devraient être au cœur des stratégies
de réduction de la pauvreté.
34. Des mesures spécifiques devraient être mises en place pour
améliorer l’accès des pauvres à la justice: lancer des campagnes
d’information sur le droit d’accès à la justice dans les endroits
où vivent les pauvres, accroître le nombre de juges et les effectifs
du personnel chargé de faire appliquer la loi dans les régions très pauvres,
créer des «cliniques du droit» pour les pauvres, améliorer l’accès
des pauvres aux tribunaux, en particulier dans les zones rurales
isolées, et aider les pauvres victimes d’infractions à traduire
les auteurs de celles-ci en justice

.
35. La pauvreté se caractérise également par l’absence de droits
et libertés politiques. Il est donc essentiel que les pauvres participent
aux processus de décision. Le principe fondamental des droits humains
concernant la prise de décision participative s’en trouve renforcé.
La participation est par conséquent le meilleur moyen de prévenir
la pauvreté et de lutter contre elle. Les problèmes de la pauvreté
et de l’exclusion sociale en Europe devraient donc être traités
au moyen de l’Education pour des citoyens démocrates et de l’Education
aux droits humains, des programmes dont l’objet est de transmettre
le savoir et les compétences requises pour une telle participation
démocratique

.
36. Les personnes pauvres devraient être encouragées à exprimer
librement et publiquement leurs opinions, idées, revendications
politiques et critiques des politiques gouvernementales, et être
en mesure de le faire à la fois dans le cadre du processus stratégique
de réduction de la pauvreté et en dehors, sans aucune restriction
ni limites arbitraires

.
La recommandation du HCDH tendant à ce que les gouvernements conçoivent
et mettent en place des institutions spéciales non bureaucratiques,
accessibles et efficaces, telles qu’un médiateur de la pauvreté
à qui les personnes pauvres peuvent adresser leurs préoccupations,
opinions et demandes, est effectivement très utile.
3.2.2. Droits sociaux, économiques
et culturels
37. De nombreux pays mettent en
place des politiques d’aide au revenu pour prévenir les difficultés économiques.
Mais les pauvres ne bénéficient pas toujours de cette aide, cela
pour plusieurs raisons: ils ne sont pas suffisamment informés et
ne sont pas au courant de cette possibilité, ils ont honte de demander
des prestations, leur vie est trop chaotique (par exemple, ils souffrent
d’addictions) ou ils ont peur d’une surveillance excessive de leurs
affaires privées. Par conséquent, il importe au plus haut point
de veiller à ce que l’information soit diffusée et que les obstacles
à l’accès à ces services soient levés

.
Des campagnes d’information appropriées à l’intention des personnes
touchées par la pauvreté sur les mesures prises pour les aider sont
nécessaires.
38. L’exercice du droit à la sécurité sociale peut encore gagner
en efficacité si les Etats membres du Conseil de l’Europe ratifient
et appliquent la Convention européenne sur la sécurité sociale (STE
no 78)

, l’Accord complémentaire pour son
application (STE no 78A)

et son
protocole (STE no 154)

.
39. Il est regrettable qu’un des instruments conventionnels du
Conseil de l’Europe les plus importants, qui détermine l’accès à
des prestations, à savoir la Convention européenne sur la sécurité
sociale, n’ait pas encore été ratifié par un grand nombre de pays.
Cette convention s’applique à toute législation sur les branches
de la sécurité sociale énumérées ci-après: prestations de maladie
et de maternité, prestations d’invalidité, pensions, prestations
en cas d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, capital
décès, prestations de chômage et allocations familiales. Si tous
les Etats membres respectaient ces obligations, il y aurait moins
de pauvres aujourd’hui.
40. La thèse selon laquelle l’accès à diverses prestations, et
le droit à celles-ci, sont des questions qui dépendent de la situation
économique d’un pays a déjà été soutenue pour refuser cet accès.
Nous sommes toutefois absolument convaincus que les décisions budgétaires
ne devraient pas soumettre l’accès aux droits humains à des conditions.
Cela devrait être le contraire – il ne faut pas transiger sur le
fait que les droits, une fois acquis et déterminés par des engagements
souscrits à l’échelon international, ne doivent pas devenir réversibles
ou être soumis à condition. On ne peut pas lutter sérieusement contre
la pauvreté si l’on sous-estime l’importance de la ratification
et de l’application des instruments de protection sociale du Conseil
de l’Europe.
41. Outre le respect des obligations découlant de l’article 30
de la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163), celui des
obligations prévues par d’autres articles, notamment l’article 4
sur le droit à une rémunération équitable

,
l’article 12 sur le droit à la sécurité sociale, l’article 13 sur
le droit à l’aide sociale et médicale, l’article 24 sur le droit
à la protection en cas de perte d’emploi et l’article 25 sur le
droit des travailleurs à la protection de leurs créances en cas
d’insolvabilité de leur employeur, sont essentiels pour assurer
l’avenir de la population et lutter contre la pauvreté. La ratification
et l’application de l’intégralité de la Charte sociale européenne
(révisée) seraient un progrès important dans la voie de la garantie
des droits de la population, de la prospérité et du renforcement
de la cohésion sociale.
42. Ainsi que précédemment indiqué dans le présent rapport, l’accès
des personnes pauvres à un logement décent est essentiel. L’article
31 de la Charte sociale européenne (révisée) affirme clairement
que les Etats parties doivent «prendre des mesures destinées: 1.
à favoriser l’accès au logement d’un niveau suffisant; 2. à prévenir
et à réduire l’état de sans-abri en vue de son élimination progressive
et à rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne
disposent pas de ressources suffisantes»;
43. Interprétant l’article 31 sur le droit au logement, le Comité
européen des Droits sociaux a affirmé que «l’application de la Charte
exigeait non seulement des Etats parties qu’ils prennent des mesures
juridiques mais qu’ils mobilisent également des ressources et adoptent
les procédures opérationnelles nécessaires pour donner pleinement
effet aux droits mentionnés»

.
44. Les personnes en situation de pauvreté devraient également
avoir accès à une aide médicale adéquate, comme le prévoit l’article
13 de la Charte sociale européenne (révisée) qui appelle à une assistance
sociale et médicale telle que «toute personne qui ne dispose pas
des ressources suffisantes et qui n’est pas en mesure de se procurer
celles-ci par ses propres moyens ou de les recevoir d’une autre
source, notamment par des prestations résultant d’un régime de sécurité
sociale, puisse obtenir une assistance appropriée et, en cas de maladie,
les soins nécessités par son état».
45. L’accès à l’éducation, à l’orientation et à la formation professionnelles
est important dans la mesure où il donne une base solide pour acquérir
les aptitudes et compétences qui permettent d’accéder à un emploi rémunéré.
Toutes les stratégies de réduction de la pauvreté devraient mettre
l’accent sur la réalisation du droit à l’éducation et veiller à
ce que les personnes qui vivent dans la pauvreté soient les premières
à bénéficier d’un meilleur accès à l’éducation. Enfin, l’accès à
l’emploi et aux autres types d’intégration professionnelle (y compris
le travail indépendant sur la base de l’entreprenariat) devrait
donc être favorisé plus avant.
46. La sécurité sociale a un rôle de premier plan à jouer en matière
de réduction de la pauvreté. Les données les plus récentes montrent
qu’en 2009 les transferts sociaux, y compris les pensions, ont fait
baisser le risque global de pauvreté de 26 points dans l’Union européenne,
qui passent de 42,3 à 16,3 % (Eurostat, 2010).
47. Le Code européen de sécurité sociale est l’instrument normatif
fondamental du Conseil de l’Europe dans le domaine de la sécurité
sociale (STE no 48). Il prévoit des normes minimales pour neuf branches
principales de la sécurité sociale, fondées sur le droit à la sécurité
sociale consacré par l’article 12 de la Charte sociale européenne
(révisée), et crée un mécanisme de contrôle qui s’appuie sur des
rapports nationaux. Le code garantit le respect des normes de sécurité
sociale au moyen d’une procédure annuelle de contrôle, fondée sur les
rapports nationaux et les résolutions du Comité des Ministres concernant
chaque Partie contractante. Il n’y a pas d’instrument normatif équivalent
au niveau de l’Union européenne. Le code a été ratifié par 21 Etats membres.
48. Je suis donc profondément convaincu que les Etats membres
doivent prendre des mesures pour appliquer les règles de droit non
contraignantes et les instruments conventionnels du Conseil de l’Europe,
de façon à favoriser l’accès effectif aux droits humains des personnes
touchées par la pauvreté. Concernant les résolutions et recommandations,
il convient d’appeler l’attention sur ce qui suit:
- Résolution 1558 (2007) de l’Assemblée et Recommandation
1800 (2007) sur la féminisation de la pauvreté;
- Résolution
1717 (2010) de l’Assemblée sur les répercussions sociales de la
crise économique;
- Lignes directrices sur l’amélioration de la situation
des travailleurs à faible revenu et sur l’autonomisation des personnes
confrontées à la grande pauvreté, adoptées par le Comité des Ministres
le 5 mai 2010 à la 1084e réunion des Délégués des Ministres;
- Recommandation CONF/PLE (2009) Rec8 sur la lutte contre
la pauvreté, adoptée par la Conférence des organisations internationales
non gouvernementales (OING) du Conseil de l’Europe le 1er octobre 2009.
49. Il y a également lieu de rappeler les décisions prises par
cette Assemblée dans sa
Résolution
1717 (2010) sur les répercussions sociales de la crise économique.
Grâce à des systèmes durables de protection sociale et de couverture
santé destinés à aider les personnes vulnérables, l’on peut empêcher
la pauvreté de progresser et remédier aux difficultés sociales,
tout en aidant également à stabiliser l’économie, à maintenir l’emploi
et à le promouvoir. L’Assemblée a appelé, entre autres mesures,
à l’adoption de programmes d’allocations monétaires destinés à répondre
aux besoins immédiats des pauvres et à faire reculer la pauvreté (paragraphe 11.1),
à instaurer une protection sociale adéquate pour tous (…) (paragraphe 11.2.),
à étendre la durée et la couverture des allocations chômage (…)
(paragraphe 11.3), à faire en sorte que les chômeurs de longue durée
gardent le contact avec le monde du travail en développant leurs
compétences pour favoriser leur accès à l’emploi (paragraphe 11.4).
50. Je suggérerais également de renforcer la capacité du Conseil
de l’Europe à effectuer des analyses comparées des indicateurs de
la pauvreté, offrant des renseignements essentiels pour élaborer
les politiques de lutte contre la pauvreté. C’est le cas des données
comparées fournies par le Système mutuel d’information sur la protection
sociale du Conseil de l’Europe (MISSCEO).
51. Le MISSCEO favorise le partage régulier de renseignements
sur la protection sociale dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
non membres de l’Union européenne, ainsi que dans trois Etats non européens

. Il établit régulièrement des
tableaux comparatifs des systèmes de protection sociale dans les pays
qu’il couvre, synthétisant la législation relative à la protection
sociale et complétant les tableaux comparatifs du MISSOC, le Système
d’information mutuelle sur la sécurité sociale dans les Etats membres
de l’Union européenne, de l’Espace économique européen et de la
Suisse.
52. Le MISSCEO fournit un examen détaillé de la législation dans
une série de domaines particuliers de la protection sociale. Les
cumuls de différentes mesures de protection sociale sont régulièrement
passés en revue. Les données comparatives sur les cumuls de pensions
de vieillesse et de revenus tirés du travail témoignent d’une grande
variété d’approches parmi les Etats membres, lesquelles vont de
la suspension des pensions de vieillesse lorsque des revenus du
travail sont perçus (Albanie, Croatie, «L’ex-République yougoslave
de Macédoine») à l’acceptation du plein cumul (Arménie, Azerbaïdjan,
Géorgie, Moldova, Fédération de Russie, Ukraine). En Serbie, il
n’y a pas de plafond, sauf si le bénéficiaire de la pension vit
à l’étranger: la pension de vieillesse est suspendue pendant cette
période. En Turquie, un changement apporté à la législation en 2008
a abouti à un système en vertu duquel plusieurs régimes de pension
s’appliquent. Pour les travailleurs assurés pour la première fois
après le 1er octobre 2008, la pension est suspendue si ces retraités
reprennent un emploi, ce qui n’est pas toujours le cas pour ceux
qui étaient assurés avant 2008, certains pouvant obtenir jusqu’à
30 % de la pension sur présentation d’une demande écrite aux services sociaux.
53. Il est essentiel de déterminer les meilleures approches en
matière de lutte contre la pauvreté. A cet égard, les conclusions
devraient être fondées sur l’analyse des faits. En même temps, il
faudrait réaffirmer que la protection des droits humains doit être
à la base de toute décision relative à la mise en place de systèmes de
protection sociale.
4. Redistribution de la richesse
– Un défi du XXIe siècle
54. L’OCDE appelle l’attention
sur le fait que les fruits de la croissance économique n’ont pas
été équitablement redistribués et que la crise économique actuelle
n’a fait que creuser le fossé entre les riches et les pauvres.
55. Les Etats membres devraient prendre toutes les mesures nécessaires
pour favoriser l’augmentation du revenu individuel et lutter contre
le dénuement. La question de la redistribution de la richesse doit
donc être posée. Certains pays envisagent d’établir des salaires
minimum et maximum

.
56. Les récents débats tenus dans le cadre du G20 ont également
mis en relief la nécessité de traiter la question. Les évaluations
globales de l’inégalité réalisées par le G20 montrent qu’on a pu
réaliser des gains importants quand on a réduit les écarts de revenus
entre particuliers au sein du groupe des pays du G20, dans chaque
pays, dans les années 1980 et 1990

.
57. Toutefois, il faut faire davantage pour sortir les personnes
de la pauvreté. Les récents engagements en matière de réduction
de la pauvreté ont abouti à une série de propositions précises,
notamment en France. Deux idées ont été mentionnées: l’introduction
d’une taxe internationale sur les échanges commerciaux de façon
que le montant recueilli soit distribué dans les pays les moins
développés, et la taxation des transactions financières avec le
même objectif de redistribution des revenus. Je suis absolument
convaincu que cette question nécessite un examen plus approfondi.
Ces solutions ne devraient pas rester simplement théoriques mais
être mises en pratique par les pays et les organisations internationales.
58. Réduire le fossé entre les pauvres et les riches est encore
plus important aujourd’hui. Il est impensable que certaines personnes
gagnent un million de fois plus d’argent que d’autres. Des écarts
de revenus aussi importants sont dangereux en ce qu’ils attisent
les tensions et menacent la cohésion sociale.
4.1. Salaire minimum et revenu
minimum: tendances actuelles
59. Le Conseil de l’Europe lance
un appel aux Etats membres afin qu’ils garantissent des salaires équitables.
L’article 4 de la Charte sociale européenne (révisée) sur le droit
à une rémunération équitable dispose que «les Parties contractantes
s’engagent (…) à reconnaître le droit des travailleurs à une rémunération
suffisante pour leur assurer, ainsi qu’à leurs familles, un niveau
de vie décent».
60. En janvier 2011, 20 sur les 27 Etats membres que compte l’Union
européenne

, ainsi que deux pays candidats

, disposaient d’une
réglementation nationale fixant un salaire minimum, soit en vertu
de la loi, soit en vertu d’un accord national intersectoriel. Le
salaire minimum mensuel varie beaucoup, allant de 123 euros en Bulgarie
à 1 758 euros au Luxembourg. Lorsque le salaire minimum est ajusté
en tenant compte des différences de pouvoir d’achat, l’écart entre
les Etats membres diminue et passe d’un rapport de 1 à 14 (en euros)
à un rapport de 1 à 6 en standard de pouvoir d’achat (SPA). Aux
bouts de l’échelle, l’on trouve à nouveau le Luxembourg (1 452 SPA
par mois) et la Bulgarie (233 SPA) (voir annexe 2).
61. Le Conseil de l’Europe ne dispose pas de mécanisme de suivi
régulier des salaires dans l’ensemble des Etats membres analogue
à celui de l’Union européenne, et utilise principalement les données
de l’OCDE. Le rapporteur considère que la disponibilité et la comparaison
régulière de données pertinentes comme le salaire minimum ou le
revenu tiré du travail pour l’ensemble des Etats membres du Conseil
de l’Europe permettraient d’obtenir des éléments concrets, utiles
à l’élaboration des futures politiques de lutte contre la pauvreté.
62. Selon l’OCDE

, puisque le revenu tiré
du travail est ce qui détermine le plus immédiatement le bénéfice des
prestations liées à l’exercice d’un emploi, le salaire minimum est
souvent considéré comme un instrument important de lutte contre
la pauvreté. Ce qui est crucial, c’est de fixer un niveau approprié
de salaire minimum. En effet, le salaire minimum peut être un outil
efficace pour traiter les problèmes des travailleurs pauvres dans les
foyers où tous les adultes en âge de travailler ont un emploi à
plein-temps mal payé.
63. Mais le salaire minimum n’est pas fait pour régler les problèmes
soulevés par des situations familiales ou des conditions d’emploi
particulières, comme le travail à temps partiel.
64. L’OCDE insiste sur le fait que pour lutter contre la pauvreté,
le salaire minimum, bien qu’il soit nécessaire, ne suffit pas dans
la mesure où il n’offre qu’une aide limitée à l’écrasante majorité
des travailleurs pauvres qui n’arrivent pas à trouver un travail
à temps plein. Le salaire minimum ne suffit pas non plus pour protéger
les personnes vulnérables à la pauvreté, comme les parents isolés.
65. Selon l’OCDE, fixer un salaire de base très élevé n’aiderait
pas dans la mesure où cela pourrait avoir pour effet de limiter
les possibilités d’emploi pour les travailleurs les plus vulnérables.
Un salaire minimum élevé a tendance à réduire l’emploi au sein des
groupes à faible productivité. Un certain nombre de pays ont donc
porté les cotisations de sécurité sociale des employeurs au niveau
de celles afférant au salaire minimum, de façon à atténuer ces possibles
effets néfastes.
66. Toutefois, si le salaire minimum est fixé à un niveau raisonnable,
il peut y avoir des synergies importantes entre les prestations
liées à l’exercice d’un emploi et le salaire minimum.
67. Plus de la moitié des pays de l’OCDE offrent désormais des
prestations liées à l’exercice d’un emploi

, à
savoir les paiements de transfert, qui complètent les gains des
travailleurs à faible revenu. Ces systèmes présentent un avantage
de taille par rapport aux paiements de transfert plus classiques:
ils permettent non seulement de redistribuer les ressources aux
familles à faible revenu, mais rendent également le travail plus attractif
pour les travailleurs à faible potentiel rémunérateur, étant donné
que le bénéfice des prestations est lié à l’emploi. Ils renforcent
les incitations financières à travailler.
68. Fixer un salaire de base empêche les employeurs «d’empocher»
le montant des prestations liées à l’exercice d’un emploi en diminuant
les salaires. Par conséquent, combiné au régime des prestations
liées à l’exercice d’un emploi, le salaire minimum aide à redistribuer
les ressources aux travailleurs à faible revenu, ce qui renforce
l’efficacité de ces systèmes. La concordance des objectifs stratégiques
signifie que le salaire minimum peut, dans une certaine mesure,
être échangé contre des prestations liées à l’exercice d’un emploi réduites.
Il en résulte que les dépenses totales concernant ces prestations
peuvent être inférieures, tout comme les taxes nécessaires pour
les financer.
69. Lorsqu’un salaire minimum est fixé, la charge que représentent
les travailleurs à faible revenu repose davantage sur les employeurs
(dans la mesure où ce sont eux qui fixent les salaires), ainsi que
sur leurs clients et employés, et dans une moindre mesure sur les
contribuables qui financent les transferts publics. C’est effectivement
à l’employeur qu’il revient de verser une rémunération adéquate;
cela ne devrait pas relever de la responsabilité du contribuable.
70. Il ne faut pas confondre revenu minimum et salaire minimum.
Le revenu minimum est généralement utilisé pour évoquer le paiement
de l’Etat garantissant un «filet de sécurité» aux personnes qui
ne peuvent travailler ou accéder à un emploi décent. La grande majorité
des Etats membres de l’Union européenne disposent de systèmes de
revenu minimum

, non contributifs, qui sont des
plans d’aide sociale soumis à conditions de ressources. L’article
34, alinéa 3, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, entrée
en vigueur le 1er décembre 2009, énonce que «afin de lutter contre
l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union reconnaît et respecte
le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées
à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de
ressources suffisantes».
71. Les systèmes de revenu minimum sont l’une des pierres angulaires
de l’Etat providence. Ils permettent d’assurer l’inclusion sociale
de ceux qui n’ont pas la possibilité de travailler ou qui en sont
incapables en raison d’un grave handicap, d’une longue maladie ou
de problèmes de santé mentale, de leur âge ou de leurs responsabilités
familiales, etc. Le mouvement antipauvreté lance un appel en faveur
d’un revenu minimum satisfaisant, assurant un niveau de vie décent
pour tous

.
72. Dans les conclusions de la réunion du Conseil de l’Union européenne
tenue au Luxembourg le 7 juin 2010

, le Conseil a appelé de ses vœux
des systèmes de sécurité sociale durables, des pensions satisfaisantes
et des objectifs d’inclusion sociale. Il a tenu compte du rôle que
les pensions minimum ou des dispositions prévoyant un revenu minimum
ont pour les personnes âgées en tant qu’outils des politiques d’inclusion
sociale et des stratégies de lutte contre la pauvreté. Abordant
la question de la durabilité des régimes de retraite, le Conseil
a souligné la nécessité de se concentrer sur:
- la mesure et le contrôle de l’adéquation;
- la mise en place d’un revenu minimum vieillesse, tout
en évitant de porter atteinte aux incitations au travail avant la
retraite;
- les conditions à remplir pour pouvoir prétendre à une
pension adéquate (critères en matière de cotisations versées, interruptions
de carrière, âge de départ à la retraite, etc.);
- l’indexation et l’adaptation des pensions minimales ou
du minimum vieillesse;
- l’évolution positive de la participation des séniors au
marché du travail.
73. Des propositions visent également à ce qu’un revenu universel
non soumis à conditions, parfois appelé «revenu de base», soit fixé

et
couvre certains besoins essentiels, comme les dépenses alimentaires,
et qui serait versé à tous. Il a été proposé d’établir un revenu
minimum universel tel qu’un Euro-dividende, garantissant un minimum
vital pour l’ensemble des ressortissants de l’Union européenne dans
le cadre d’un processus de distribution des revenus.
74. Je crois qu’il faut davantage de coopération pour déterminer
ce qui va et ce qui ne va pas, de façon à empêcher des personnes
de tomber dans la pauvreté et à aider celles qui sont touchées par
ce phénomène à s’en sortir.
4.2. Etude de cas: une nouvelle
carte sociale pour lutter contre la pauvreté absolue en Italie
75. Je souhaiterais attirer votre
attention sur la proposition de l’Association italienne des travailleurs chrétiens
en faveur d’une nouvelle carte sociale pour lutter contre la misère.
76. Le rapport d’évaluation du Work Family Fund, établi par le
diocèse de Milan à la suite de la proposition du cardinal Dionigi
Tettamanzi, met en relief la nécessité de promouvoir des politiques
publiques plus solides en matière de pauvreté, en complément des
efforts déployés par les diocèses, des organisations caritatives, des
entreprises privées et des particuliers. Ces politiques devraient
viser les familles qui vivent dans la misère. A ce jour, de telles
mesures n’ont malheureusement pas été prises en Italie qui, avec
la Grèce, est le seul pays européen dans cette situation.
77. Les familles vivant dans la misère ne peuvent atteindre un
niveau nutritionnel satisfaisant, ne vivent pas dans des maisons
équipées en eau chaude et en énergie, et ne peuvent pas se permettre
d’acheter des vêtements corrects. Selon Istat (Institut central
de la statistique, Italie), 4,7 % des familles italiennes vivaient dans
le dénuement le plus total en 2009.
78. En décembre 2008, le Gouvernement Berlusconi a introduit une
«carte d’achats», connue sous le nom de «carte sociale», au bénéfice
des familles touchées par la pauvreté composées d’adultes de plus
de 65 ans et d’enfants de moins de 3 ans.
79. Bien qu’elle soit limitée, c’est la première mesure nationale
de lutte contre la pauvreté prise par l’Italie. L’Association italienne
de travailleurs chrétiens (ACLI) propose maintenant un plan de lutte
contre la pauvreté visant à s’attaquer aux points faibles de la
carte sociale et à souligner ses points forts. L’objectif de ce
projet est d’adopter une mesure nationale concernant toutes les
familles vivant dans la misère pour les trois prochaines années:
la nouvelle carte sociale.
80. Quels sont les principaux aspects de la carte sociale? Tout
d’abord, elle concerne l’ensemble des familles frappées par la misère
en Italie, y compris celles dont les membres sont titulaires de
visas de l’Union européenne. Le montant des fonds disponibles sera
porté de 40 à 129 euros par mois. Cela permettra une hausse de 18 %
du revenu moyen des familles pauvres. La nouvelle carte sociale
fournit également des services, comme des services sociaux, éducatifs,
de formation ou d’emploi. L’objectif de ce plan est d’améliorer
le bien-être au niveau local en confiant aux administrations municipales
le soin d’organiser des services locaux. Ce nouveau projet est également
axé sur le rôle clé du secteur tertiaire en tant que prestataire de
services, de planificateur de programmes au niveau local et de relais
capable de déterminer les besoins dans tel ou tel domaine.
81. La proposition de l’ACLI n’est peut-être pas très innovante
mais elle a le mérite de s’appuyer sur une série d’analyses et de
suggestions faites par des experts ces dernières années. Ces trois
prochaines années, les nouvelles mesures proposées coûteront 787 millions
d’euros de plus que les précédentes, et s’élèveront à 2 360 millions
d’euros de dépense publique. C’est une question de priorité politique.
Les fonds actuellement affectés à la carte sociale présentent un
reliquat de 487 millions d’euros, ainsi qu’annoncé récemment par
le ministre des Relations avec le parlement, M. Elio Vito. Si le
projet était mis sur pied maintenant, le coût du plan pour la première
année serait de 300 millions d’euros. Bien entendu, cela ne sera
le cas que si le gouvernement souhaite dès maintenant procéder à
une intervention structurelle pour lutter contre la pauvreté.
5. Rôle des principaux acteurs
et problèmes à régler
5.1. Responsabilités de l’Etat
82. Les Etats sont tenus de garantir
la pleine jouissance des droits humains. Les acquis en matière de
droits humains devraient être irréversibles et ils ne devraient
pas être fonction de la situation économique à un moment donné,
les gouvernements pouvant très bien être tentés d’utiliser l’argument
économique pour restreindre l’exercice des droits humains. L’utilisation
d’arguments économiques comme prétexte pour maintenir les obstacles
à l’exercice des droits humains ne devrait pas être tolérée.
83. C’est le sens de l’Europe: nous ne pouvons pas laisser nos
valeurs, les droits humains, subir les conséquences d’erreurs économiques
du passé, comme on l’a vu récemment avec la spéculation financière, ou
de la gestion catastrophique des budgets.
84. Les droits sociaux sont partie intégrante des droits humains
et constituent l’un des principaux progrès accomplis par les sociétés
européennes au XXe siècle; on ne peut et on ne doit pas laisser
l’œuvre accomplie être remise en cause ou soumise à condition pour
des raisons économiques.
85. L’OCDE souligne l’efficacité des politiques sociales et de
l’emploi pour s’attaquer à la pauvreté et aux inégalités excessives.
Promouvoir l’emploi est une mesure clé des politiques publiques
de lutte contre la pauvreté. Toutefois, l’actualité récente montre
que l’emploi ne préserve pas toujours de la pauvreté.
86. Les Etats membres devraient améliorer la situation des travailleurs
à faible revenu

. Pour 8 % des ressortissants
de l’Union européenne, avoir un emploi ne suffit pas pour sortir
de la pauvreté. Les Etats membres devraient réformer leurs systèmes
de protection sociale de façon que les pièges de la pauvreté soient
écartés et que les travailleurs à faible revenu ne soient pas privés
de prestations sociales

. Un revenu minimum
empêchant de tomber dans la pauvreté devrait être garanti. Un revenu
décent est essentiel pour faire face au coût toujours plus élevé
de la vie.
87. Cela étant, développer les capacités individuelles requiert
davantage que la mobilisation de moyens matériels et financiers
adéquats. Pour renforcer les capacités des personnes vivant dans
la misère, il faut agir à quatre niveaux différents cumulatifs

:
fourniture d’une aide matérielle de base, octroi d’allocations,
accès aux services et, enfin, accès à l’emploi ou à un travail indépendant.
88. Les Etats membres doivent faire en sorte que les stratégies
et mesures qu’ils adoptent répondent aux besoins des pauvres, empêchent
les personnes de tomber dans la pauvreté en les aidant dans les
situations critiques (par exemple en cas d’accidents du travail
ou autres accidents, ou en les aidant à trouver un refuge lorsqu’ils
vivent dans un environnement violent), et donnent aux pauvres les
moyens de s’en sortir.
89. Le principe élémentaire de responsabilité

dans une société
démocratique suppose l’examen et l’adaptation réguliers des politiques
publiques, de façon à répondre aux besoins de l’ensemble de la population.
Ce principe devrait également s’appliquer à la protection des droits
humains des personnes touchées par la pauvreté. Un examen régulier
des progrès accomplis en matière d’élimination de la pauvreté et
d’insertion sociale est donc essentiel.
90. Les Etats membres de l’Union européenne ont déjà mis en place
de telles procédures de contrôle pendant la Décennie des Nations
Unies pour l’élimination de la pauvreté (1996-2007) et dans le cadre
du suivi de l’Année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion
sociale lancée par l’Union européenne en 2010. Le Royaume-Uni fait
ainsi état

d’une hausse du chômage des jeunes
de 16 à 24 ans de 20 % mi-2010, soit la plus forte hausse enregistrée
ces dix-huit dernières années. Les répercussions sur la vie des
jeunes sont dramatiques, des milliers d’entre eux se voient entraînés
en dessous du seuil de pauvreté.
91. La manière dont la pauvreté est mesurée aujourd’hui ne permet
pas de rendre compte de tous les aspects de la vie des personnes
touchées par la pauvreté. L’Union européenne utilise un index fondé
sur le revenu pour estimer le nombre de pauvres. Les organisations
de la société civile proposent d’aller plus loin en évaluant la
pauvreté dans toute sa complexité, en commençant par ses déterminants.
92. Caritas Europe a analysé le caractère multidimensionnel de
la pauvreté. L’absence de ressources financières n’est qu’un des
aspects de la pauvreté. De nombreux autres éléments déterminent
l’état de pauvreté d’un individu donné, notamment le marché du travail,
la situation familiale, la protection sociale ainsi que quelques
aspects immatériels, comme la solidarité. Un instrument de travail
prenant en compte ces trois dimensions a été établi par Caritas
Suisse

. L’organisation a recensé huit terrains
d’actions permettant de déterminer la pauvreté et l’exclusion sociale.
Outre les ressources financières, il s’agit: du bien-être lié à
la santé, du logement, du niveau d’éducation, de l’insertion professionnelle,
de l’intégration sociale, de l’intégration au regard des lois relatives
à la résidence et de la famille d’origine (par exemple, une famille composée
de migrants ou de personnes déplacées privés d’accès à l’emploi
peut avoir des difficultés à atteindre un niveau de vie décent)

.
Si le niveau 1 est atteint dans toutes les dimensions, la personne concernée
est davantage susceptible d’être marginalisée. Cette méthode permet
également de déterminer précisément quelles mesures et types d’aide
sont nécessaires.
93. La Banque mondiale a également engagé un processus d’examen
de la pauvreté et récemment organisé un atelier sur l’évaluation
des aspects multidimensionnels de la pauvreté et du bien-être

. A cet égard, les conclusions du
projet conjoint Conseil de l’Europe-Union européenne «Les droits
humains des personnes en situation de pauvreté» (2010-2012), qui
permettra aux décideurs de mieux apprécier l’efficacité des stratégies
de réduction de la pauvreté, sont attendues avec impatience. Par
conséquent, il y a lieu de recommander vivement au Etats membres
du Conseil de l’Europe d’améliorer leur surveillance de la pauvreté et
de l’exclusion sociale. Le suivi de l’accès aux droits sociaux sur
la base de la Charte sociale européenne (révisée), un processus
d’ores et déjà engagé, devrait être poursuivi.
5.2. Responsabilités des autres
acteurs
94. Avec l’approche fondée sur
les droits humains, la réduction de la pauvreté devient une responsabilité partagée.
L’Etat est le premier responsable de la réalisation des droits humains
des personnes vivant sur son territoire mais d’autres acteurs, y
compris non étatiques, sont également tenus de contribuer au respect
des droits humains ou à tout le moins de ne pas les violer

.
En 1914, J.H. Hollander alertait déjà sur le devoir de l’entreprise
d’assurer une existence décente, à l’abri de la pauvreté

.
95. Le secteur financier a un rôle de premier plan à jouer en
matière de prévention du surendettement des foyers. Les responsabilités
sociales doivent par conséquent être partagées, associant le secteur
financier en tant que partie prenante responsable des progrès en
matière de respect des droits humains, y compris de droits sociaux,
pour tous.
96. Les personnes touchées par la pauvreté ont besoin d’accéder
à des moyens financiers leur permettant de se relever. L’accès à
une aide financière, y compris au moyen de l’entreprenariat financé
par le microcrédit, est absolument crucial. La création d’entreprises
sociales

est
un autre moyen de réaliser les objectifs d’élimination de la pauvreté
et de développer l’inclusion sociale. Un suivi approprié, l’aide
et la formation à l’entreprenariat doivent figurer parmi les mesures
appuyant ce processus.
97. La communauté internationale a également un rôle important
à jouer. La Banque mondiale a souligné

que
des mesures collectives mondiales étaient nécessaires pour lever
les obstacles au commerce et accorder un accès préférentiel aux
pays les plus pauvres. Supprimer les barrières mises par les pays
industrialisés et les marchés émergents dans certains domaines clés
(agriculture, fabriques et services à forte intensité de main-d’œuvre)
peut engendrer d’importants bénéfices pour les pays en développement.
98. La communauté internationale devrait également faire davantage
pour prévenir les conflits et aider les pays qui sortent d’un conflit.
Les guerres et les conflits civils restent des déterminants majeurs
de la pauvreté, freinant plusieurs pays parmi les plus pauvres et
menaçant beaucoup d’autres. Une meilleure prévention des conflits
et de meilleurs mécanismes de règlement de ceux-ci peuvent considérablement
aider à réduire les souffrances humaines et le dénuement qui frappent
le plus les pauvres. Il sera toujours très onéreux pour la communauté
internationale de financer une intervention militaire pour mettre
fin à un conflit ou le contenir. D’importantes ressources financières
– et de nombreuses vies humaines – pourraient être épargnées si
une action collective globale aidait à prévenir les conflits par
des mesures appropriées prises en temps utile

.
99. Les personnes touchées par la pauvreté doivent exploiter les
liens qui les aident à en sortir: famille, communauté, services
sociaux de base, école, etc., ce qui n’est pas toujours facile.
La médiation communautaire peut être d’un grand secours à cet égard.
La solidarité et la cohésion sociale devraient être renforcées plus
avant. Les réseaux sociaux communautaires visant à aider les personnes
confrontées à des situations difficiles ou victimes d’une crise
personnelle existent depuis de nombreuses années. Les organisations
caritatives jouent un rôle actif en accordant une aide aux pauvres;
il convient de ne pas l’oublier.
100. Enfin, il faudrait insister sur le rôle de la société civile
en matière de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
La société civile favorise ce changement des comportements qui est
nécessaire pour mettre fin aux préjugés et promouvoir la pleine
inclusion des pauvres; ces efforts devraient être soutenus. En outre,
les OING contribuent de manière significative à l’élaboration des
politiques européennes grâce, notamment, à Conférence des OING du
Conseil de l’Europe ou à la participation de celles-ci aux activités
des organes de l’Union européenne.
6. Prévention de la transmission
intergénérationnelle de la pauvreté: rôle de la famille
101. Si rien n’est fait, la pauvreté
peut durer une vie entière. Les enfants qui grandissent dans la
pauvreté et l’exclusion sociale sont moins susceptibles que les
autres de réussir à l’école, de l’apprécier et de rester à l’écart
des difficultés. Une fois que les enfants pauvres sont devenus adultes,
ils peuvent difficilement trouver du travail et doivent lutter âprement
pour trouver leur place dans la société. Si les revenus sont faibles
tout au long de la vie, les cotisations vieillesse le sont également,
ce qui explique que près de 17 % des hommes et 22 % des femmes les
plus âgés sont vulnérables à la pauvreté en Europe. Des problèmes
se posent également à rebours, étant donné que les plus jeunes aident
leurs parents qui ont perdu leur emploi ou luttent pour joindre
les deux bouts avec leurs maigres pensions.
102. La Coalition sur la solidarité intergénérationnelle souligne
l’importance d’avoir accès, à un prix abordable, à des services
de qualité pour les enfants, les adultes et les personnes âgées,
de façon à prévenir la pauvreté et l’exclusion sociale. La coalition
est convaincue que l’éducation précoce et les services de santé peuvent
aider à mettre fin à la transmission de la pauvreté tout en offrant
un environnement sain pour le développement des jeunes enfants,
ainsi qu’un moyen de promouvoir les compétences parentales.
103. Les recommandations de la réunion du Groupe d’experts de l’Organisation
des Nations Unies intitulé «La solidarité intergénérationnelle:
renforcement des liens économiques et sociaux», tenue du 23 au 25 octobre
2007, appellent à un renouveau du contrat intergénérationnel. Les
experts ont notamment souligné la nécessité de politiques permettant
aux familles de gérer les responsabilités familiales en matière
de soins et de travail. Quand il n’est pas possible d’accéder à
des services, les soins aux jeunes enfants, les soins aux adultes
plus âgés et autres personnes dépendantes sont dispensés par les
membres de la famille. Mais cela demande du temps. Les programmes
visant à promouvoir la souplesse dans l’emploi du temps professionnel et
autres programmes devraient par conséquent être encouragés pour
permettre aux familles de parvenir à un meilleur équilibre entre
soins et travail, et d’être moins dépendantes des services d’aide
sociale.
104. Dans sa
Résolution
1720 (2010) intitulée «Investir dans la cohésion sociale en tant
que facteur de développement en temps de crise»

, l’Assemblée appelle l’attention
des Etats membres sur la nécessité de prendre des mesures pour «concilier
la vie professionnelle et familiale en favorisant des lieux de travail favorables
aux familles pour les femmes et pour les hommes: une prise en charge
de qualité, des aménagements flexibles du temps de travail, des
congés parentaux appropriés et d’autres formes de garde requises
non seulement pour les jeunes enfants, mais aussi pour d’autres
membres de la famille, pour des raisons de handicap, d’âge ou de
maladie, et d’autres moyens de soutien financier sous forme d’allocations
ou de dégrèvements fiscaux demeurent décisifs. Ces mesures doivent
concerner aussi bien les hommes que les femmes, car à l’heure actuelle
les emplois flexibles sont occupés davantage par les femmes, ce
qui ne fait en réalité que perpétuer le clivage hommes/femmes entre
travail rémunéré et travail non rémunéré, et influe sur la décision
des femmes d’avoir ou non des enfants» (paragraphe 6.9).
105. La fourniture de soins et autres services sociaux, qui nécessitent
suffisamment de temps, n’est pas rémunérée dans la plupart des cas.
La récente étude de l’OCDE intitulée «Cuisine, garde des enfants, bénévolat:
le travail non rémunéré dans le monde»

attire l’attention sur
le fait que dans les 29 pays étudiés, entre un tiers et la moitié
de l’ensemble des activités économiquement utiles ne sont pas prises
en compte par les évaluations traditionnelles du bien-être, comme
le PIB par habitant. De manière générale, sur une journée de 24
heures, 3,4 heures sont consacrées par les particuliers à des activités
non rémunérées, soit 14 % de leur temps. Dans tous les pays examinés,
les femmes s’acquittent davantage que les hommes de telles activités
non rémunérées

. La disparité
entre les sexes est en moyenne de 2 heures et 28 minutes par journée de
24 heures (ce qui comprend, dans une famille traditionnelle, le
temps passé en cuisine et à s’occuper des enfants, tandis que les
hommes sont au travail). Le travail domestique habituel est la principale
composante du travail non rémunéré.
106. Cette étude a suscité de nombreux débats et donné lieu à une
série de propositions, l’une d’entre elles tendant à ce que le travail
non rémunéré soit pris en compte dans le calcul de la richesse générée

.
Cela nécessiterait de revoir l’utilisation actuelle des indicateurs,
tels que le PIB, susceptible d’influer les politiques publiques
relatives à la production de la richesse et à sa distribution.
107. Les familles sont exposées aux risques de la pauvreté. Les
femmes élevant seules leurs enfants sont vulnérables à ce phénomène.
En outre, le fait d’avoir plus de deux enfants peut également faire
basculer dans la pauvreté. Pour déterminer le revenu familial, les
systèmes économiques actuels utilisent un modèle selon lequel un
foyer est une famille de quatre personnes, à savoir un couple marié
avec deux enfants. L’on part du principe que l’homme, soutien et
chef de famille, assure un revenu satisfaisant à tous les membres
de celle-ci. Mais la réalité est toute autre; en effet, dans la
pratique, des membres du foyer n’ont pas accès au revenu «familial».
C’est pourquoi, lors de l’élaboration des politiques publiques d’aide
à la famille, il ne faut pas oublier ce qu’on appelle la «boîte
noire» de la distribution des revenus dans la famille, qui cache
la réalité de l’accès des femmes et des enfants au revenu.
108. La crise économique a détérioré la situation d’un grand nombre
de familles en Europe. Comme le souligne l’Assemblée dans sa
Résolution 1720 (2010), les Etats membres devraient prendre des mesures spécifiques
pour rendre leurs politiques davantage «favorable aux familles».
L’Assemblée souligne que les Etats membres devraient envisager «d’offrir
aux familles un soutien adéquat, en tant que de besoin, au motif que
sur le plan social la famille est un atout entraînant des avantages
importants pour la société».
109. Dans cette résolution, l’Assemblée invite les Etats membres
à «veiller particulièrement à l’accès des jeunes à des emplois stables,
à des logements abordables et à d’autres mesures sociales, afin
qu’ils puissent fonder une famille et élever leurs enfants dans
un environnement sûr et propice au bien-être; développer des programmes
de logements sociaux visant particulièrement les jeunes couples
et les familles nombreuses» (paragraphe 6.4).
110. L’Assemblée encourage les Etats membres à «lutter contre l’exclusion
sociale, les ruptures et la pauvreté, notamment des familles monoparentales,
de celles en situation précaire, des familles nombreuses ou des
familles de migrants. Le débat sur les différents types de familles
devrait porter sur les conséquences des divorces pour les enfants,
en particulier le risque de pauvreté, l’échec scolaire, le chômage
et d’autres formes d’exclusion sociale» (paragraphe 6.6).
111. Ainsi que précédemment indiqué dans le rapport «Investir dans
la cohésion sociale en tant que facteur de développement en temps
de crise»

, je crois que de bonnes relations
familiales limitent la nécessité de services publics et d’intervention
sociale. En ce sens, des liens familiaux solides renforcent la cohésion
sociale.
112. La solidarité

et la
famille permettent un bien-être supérieur. La solidarité est le
fondement de l’Etat providence. Faute d’équité et de solidarité
dans un système public, il y a un risque de basculement des individus
dans la pauvreté matérielle. La solidarité entre les générations
peut aider les réseaux qui luttent contre la marginalisation et
l’exclusion sociale. Elle encourage les jeunes et les personnes
âgées à s’entraider et permet de faire en sorte que tous les membres
de la société soient valorisés. Mais la solidarité entre les générations
ne peut pas remplacer des politiques publiques bien conçues.
113. Il convient également de souligner l’importance de la promotion
du volontariat qui contribue grandement à la cohésion sociale. Le
volontariat renforce la solidarité et peut donc être un moyen de
plus pour lutter contre la pauvreté. L’Assemblée a adopté l’année
dernière la
Résolution
1778 (2010) et la
Recommandation
1948 (2010) intitulée «Promouvoir le volontariat et le bénévolat
en Europe». L’Assemblée invite les Etats membres à prendre une série
de mesures pour promouvoir le volontariat, à savoir favoriser les
politiques en faveur du service bénévole, à signer et ratifier la
Convention européenne sur la promotion d’un service volontaire transnational
à long terme pour les jeunes (STE no 175), à envisager de prévoir
la déduction fiscale des dons consentis aux associations de service
bénévoles, à créer un instrument destiné à évaluer l’intérêt du
service volontaire de façon à promouvoir sa reconnaissance par le
pouvoir politique, à créer un système de reconnaissance officielle
de l’apprentissage informel et des aptitudes acquises dans le cadre
du service volontaire, etc.
114. Pour assurer l’accès de tous à l’alimentation, la
Résolution 1778 (2010) invite les Etats membres à développer des «banques alimentaires»,
à assurer la collecte bénévole d’aliments auprès des personnes privées
ou d’entreprises, et à les distribuer gratuitement aux familles
et particuliers dans le besoin.
115. L’Union européenne a lancé en 2011 l’Année européenne du volontariat

, qui vise à augmenter le nombre
de personnes impliquées dans le volontariat. L’Assemblée a souligné

que
les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient appuyer cette
initiative. Il faudrait mettre l’accent sur les avantages du bénévolat, en
particulier dans les pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne.
7. Réaliser les investissements
nécessaires pour mettre fin à la pauvreté
116. Les Etats membres devraient
investir car il n’y a pas de sécurité ni de développement sans investissement.
Celui-ci devrait porter sur:
- le
capital humain: santé, alimentation et compétence nécessaires à
chaque personne pour être économiquement productive;
- capital professionnel: matériel, moyens de transport utilisés
dans l’agriculture, entreprises et services;
- infrastructures: routes, énergie, eau et assainissement,
aéroports et ports maritimes, systèmes de télécommunications, autant
d’éléments déterminants de la productivité;
- ressources naturelles: terres arables, sols sains, biodiversité,
et écosystèmes fonctionnant efficacement de façon à fournir les
services environnementaux dont la société a besoin;
- moyens institutionnels publics: droit commercial, systèmes
judiciaires, services gouvernementaux et activités de police qui
sous-tendent la division pacifique et prospère du travail;
- capital de connaissances: savoir-faire scientifique et
technologique qui augmente la productivité et développe les ressources
physiques et naturelles
.
117. La hausse récente du surendettement des Etats représente un
réel danger pour la démocratie et les droits humains. En 2010, la
dette publique a considérablement augmenté, atteignant 125 % du
produit intérieur brut (PIB) en Grèce, 118,2 % en Italie, 86 % au
Portugal, 83,6 % en France, 79,1 % au Royaume-Uni et 78,8 % en Allemagne.
Les Etats pauvres ne peuvent pas s’acquitter de leurs obligations
vis-à-vis de leurs ressortissants. Si rien n’est fait pour prévenir
le surendettement, ils risquent d’être incapables de protéger les droits
humains et les libertés fondamentales. Cette tendance compromet
l’avenir de l’Europe; c’est pourquoi il faut espérer que le prochain
rapport de la commission des questions économiques et du développement
sur le surendettement des Etats donnera une base solide au débat
à l’Assemblée et que des solutions appropriées seront trouvées.
118. Le surendettement empêche les pays d’investir dans leur relèvement
économique et technologique et celui de leurs peuples. Si rien n’est
fait, la pauvreté se perpétuera.
8. Conclusions
et recommandations
119. Il est politiquement peu avisé
de laisser les personnes dans la pauvreté. Cela engendre des pertes
et détruit le tissu social, ce qui empêche la croissance du pays
et sa prospérité pour les générations futures, et tire les valeurs
sur lesquelles l’Europe s’est construite – démocratie, droits humains
et primauté du droit – vers le bas.
120. L’Assemblée devrait clairement lancer un appel en faveur d’une
mutation dans la conception des politiques publiques, telle que
les droits humains, y compris les droits sociaux, soient à la base
de toutes les décisions politiques européennes dans tous les domaines
de la vie – depuis la sphère économique, à la santé et aux politiques
familiales, à la sécurité interne et à l’élimination de la pauvreté
– et s’appliquent à chacun, y compris les personnes touchées par
la pauvreté, sans discrimination.
121. Le présent rapport devrait donc favoriser une action immédiate
visant à protéger les droits humains des personnes touchées par
la pauvreté. Les parlementaires peuvent aider à améliorer la vie
des gens en demandant à leurs gouvernements de prendre toutes leurs
responsabilités vis-à-vis des personnes gravement touchées par la
pauvreté.