1. Introduction
1. A l'initiative de la présidence turque du Comité
des Ministres, le Secrétaire Général a nommé, au cours de l'été
2010, un Groupe d'éminentes personnalités placé sous la direction
de l'ancien ministre allemand des Affaires étrangères, M. Joschka
Fischer
, qu'il a
chargé «de préparer un rapport sur les défis que pose la résurgence
de l'intolérance et de la discrimination en Europe».
2. A la demande de la commission des questions politiques, le
Bureau de l'Assemblée parlementaire a autorisé la commission à élaborer
un rapport sur le thème «Vivre ensemble en Europe au XXIe siècle:
suites à donner au rapport des éminentes personnalités» en vue de
son examen à la partie de session de juin 2011 de l'Assemblée, les
commissions ci-après étant saisies pour avis: commission des questions
sociales, de la santé et de la famille; commission des migrations,
des réfugiés et de la population; commission de la culture, de la
science et de l'éducation; et commission sur l'égalité des chances
pour les femmes et les hommes. La commission des questions politiques
m'a nommé rapporteur en avril 2011.
3. Le rapport des éminentes personnalités intitulé «Vivre ensemble
– Concilier la diversité et la liberté dans l'Europe du XXIe siècle»
a été présenté le 11 mai 2011, à l'occasion de la 121e session du
Comité des Ministres à Istanbul
.
4. Dès lors, le temps disponible pour préparer le présent rapport
était extrêmement limité, d'autant plus que quatre autres commissions
de l'Assemblée étaient appelées à y contribuer.
5. Par conséquent, je me limiterai à quelques observations générales
et à quelques remarques spécifiques relevant des compétences de
la commission des questions politiques, laissant ainsi aux rapporteurs
des quatre autres commissions le soin de traiter de leurs domaines
respectifs. Cette démarche est d'autant plus appropriée que le rapport
soulève plusieurs questions importantes concernant les migrations,
le rôle des médias et, dans une moindre mesure, l'éducation, le
dialogue interculturel, la cohésion sociale et les difficultés auxquelles
se heurtent les femmes appartenant aux groupes mentionnés dans le
rapport.
6. M. Martin Hirsch, président de l'Agence du service civique
en France et membre du Groupe d'éminentes personnalités, a été invité
à la réunion de la commission en mai 2011 pour présenter les principales conclusions
du groupe et répondre à nos questions. Nous avons également invité
les rapporteurs des quatre commissions saisies pour avis, qui ont
pu ainsi obtenir des informations de première main sur les discussions au
sein de la commission des questions politiques et apporter des idées
pour contribuer au projet de résolution.
2. Observations générales
7. Tout d'abord, je tiens à préciser que je salue le
rapport du Groupe d'éminentes personnalités, qui offre une base
pour poursuivre une réflexion sur l'avenir de l'Europe à laquelle
devraient participer les politiciens, les organisations non gouvernementales
(ONG), les organisations de jeunesse, les milieux académiques et des
représentants des religions, des médias et des collectivités locales
de différents milieux et pays.
8. Dressant le bilan des défis que pose la résurgence de l'intolérance
et de la discrimination en Europe, le rapport analyse «la menace»
et propose «la réponse» pour «vivre ensemble» dans des sociétés
européennes ouvertes.
9. Se référant aux principes de la Convention européenne des
droits de l'homme, le groupe identifie huit risques spécifiques
menaçant les valeurs défendues par le Conseil de l'Europe: une intolérance
très répandue; une discrimination croissante (en particulier à l'encontre
des Roms et des immigrés); un soutien croissant aux partis xénophobes
et populistes; les «sociétés parallèles»; l'extrémisme islamiste;
la perte de libertés démocratiques; la présence d'une population
privée de droits et un conflit possible entre la «liberté de religion» et
la liberté d'expression.
10. Le rapport souligne quelques-unes des raisons sous-jacentes
à «la menace»: l'insécurité résultant de la crise financière sur
le vieux continent et un sentiment de déclin relatif; une vision
déformée d'une immigration massive; des clichés pénalisants sur
les minorités dans les médias et l'opinion publique; et un déficit
manifeste de leadership pour modeler le présent et l'avenir de l'Europe.
11. «La réponse» envisage 59 «propositions d'action», dont les
17 premières constituent des «recommandations stratégiques» aux
institutions européennes et à leurs Etats membres. Le groupe identifie les
principaux acteurs du changement dans les mentalités publiques.
12. Parmi ses 17 principes directeurs, le groupe insiste sur le
fait qu'à condition de respecter la loi, les immigrés ne devraient
pas se voir «exiger de renoncer à leur foi, à leur culture ou à
leur identité».
13. Il est intéressant de rappeler qu'au fil de l'histoire du
Conseil de l'Europe, plusieurs groupes de personnalités extérieures
ont occasionnellement été invitées à mener une réflexion sur les
grands défis auxquels la société européenne est confrontée, et à
proposer à l'Organisation de prendre certaines initiatives, comme
le Comité des sages des années 1990 et la Commission «Colombo» constituée
au milieu des années 1980, également chargés d'identifier les défis
à relever par la société européenne et qui ont aussi formulé diverses
recommandations. L'on trouve un exercice légèrement différent, mais
comparable, dans le rapport Juncker de 2006 sur les relations entre
le Conseil de l'Europe et l'Union européenne.
14. Nous sommes conscients du fait que nous ne vivons pas dans
une société parfaite. Ces dernières années, nous avons notamment
assisté à de fréquents phénomènes et agissements négatifs qui soulignent
la nécessité non seulement de réfléchir à notre avenir commun, mais
aussi d'agir et de chercher des solutions pour le préparer. Les
médias ne cessent de signaler des manifestations d'intolérance,
de racisme et de xénophobie. L'on constate aussi de l'antisémitisme.
Souvent, certains tolèrent l'intolérance. Les cas de non-assistance
aux personnes ou de refus de répondre aux besoins d'inconnus ne
sont plus exceptionnels. Les conflits ethniques et religieux constituent
encore des sources potentielles de problèmes. L'égoïsme, l'égocentrisme,
le manque d'intérêt pour le progrès social et le recul de la participation
aux élections sont très préoccupants.
15. En 1999, le Comité des Ministres a adopté la Déclaration et
le Programme pour l'éducation à la citoyenneté démocratique sur
la base des droits et des responsabilités des citoyens, afin d'enrayer
cette évolution négative. Je pense que la poursuite de leur mise
en œuvre pourrait constituer une contribution majeure du Conseil
de l'Europe au développement d'un esprit européen au sein de la
société. De ce point de vue, une forte impulsion à la Charte du
Conseil de l'Europe sur l’éducation à la citoyenneté démocratique
et l’éducation aux droits de l’homme, adoptée par le Comité des
Ministres en 2010, pourrait aussi jouer un rôle essentiel dans la
poursuite de cet objectif.
16. Comme le faisait tout récemment observer Mme Brasseur dans
son rapport sur la dimension religieuse du dialogue interculturel,
sur lequel j'ai formulé des observations dans l'avis de notre commission,
le «Livre blanc sur le dialogue interculturel – Vivre ensemble dans
l'égalité» de 2008 constitue une importante contribution du Conseil
de l'Europe au débat sur la cohabitation.
17. Dans le cadre de l'élaboration de son rapport, le Groupe des
éminentes personnalités a procédé à des échanges de vues avec différents
organes du Conseil de l'Europe, de l'Union européenne, d'autres organisations
internationales et de la société civile.
18. Plusieurs documents pertinents de l'Assemblée sont cités dans
le rapport, comme la
Résolution
1760 (2010) «La montée récente en Europe du discours
sécuritaire au niveau national: le cas des Roms»
ou la
Résolution 1754 (2010) «La lutte
contre l’extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs»
. D'autres documents
récents sont également utiles au débat, comme la
Résolution 1746 (2010)
«La démocratie en Europe: crises et perspectives»
ou la
Recommandation 1962 (2011) sur
la dimension religieuse du dialogue interculturel
, adoptée un mois à peine
avant la publication du rapport des éminentes personnalités, et
dans laquelle l’Assemblée préconise «une nouvelle culture du vivre
ensemble».
19. Le rapport a le mérite de présenter une approche globale et
des propositions concrètes. Nombre de ces dernières sont dictées
par le bon sens et méritent que l'on y donne suite. Dans plusieurs
domaines, les conclusions confirment les positions prises par l’Assemblée
tout en suggérant des solutions différentes pour atteindre des objectifs
comparables. Pourtant, le principal défi était, et reste encore,
d'en assurer la mise en œuvre
dans une
situation que le groupe qualifie, à juste titre, de «crise du leadership».
Je pense que l’Assemblée devrait notamment jouer un rôle à cet égard,
en suggérant des manières concrètes pour mettre en œuvre les propositions
dans les domaines spécifiquement couverts par le rapport, que ce
soit par elle-même, par le Comité des Ministres ou par d'autres
acteurs. J'estime qu'il faudrait toutefois éviter d'envisager ces
différentes étapes comme une vision globale de réforme de la société,
ce qui n'a jamais engendré que des drames dans l'histoire de l'humanité.
Au contraire, toute mesure proposée devrait être adaptée en tenant compte
des particularités locales, être bien acceptée et comprise, et bénéficier
d'un large consensus.
20. Il faut cultiver les valeurs, mais pas les imposer par des
mesures administratives. Elles peuvent être nourries par l'éducation
et la formation au niveau des familles, de l'école et des collectivités
locales, où les médias jouent également un rôle essentiel.
21. Les défis auxquels notre société est aujourd'hui confrontée
ne sauraient être relevés de manière appropriée en renonçant aux
valeurs de la culture européenne. Il est communément admis que la
culture façonne la société. A son tour, la société forme la citoyenneté
et instaure la liberté. Le respect pour la culture permet de comprendre
celle des autres et de voir les différences comme quelque chose
de normal, une richesse pour la société. Le respect de la loi et
l'adhésion aux règles de l’économie de marché sont d'importants
éléments de la culture, mais cette dernière est une notion bien
plus vaste.
22. Pour citer un exemple, le groupe a suggéré, dans ses «recommandations
spécifiques», que le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe nomme
un représentant spécial à haut niveau qui serait chargé de porter
le contenu du rapport à l'attention des dirigeants politiques et
d'en superviser la mise en œuvre.
23. J'aimerais rappeler dans ce contexte que, dans sa
Résolution 1746 (2010)
et sa
Recommandation
1928 (2010) «La démocratie en Europe: crises et perspectives»,
l’Assemblée avait déjà proposé «qu’une personnalité de grande notoriété,
sorte de délégué à la démocratie, se voie confier la tâche de diriger
et d’animer le forum de la démocratie de Strasbourg, ainsi que de
diffuser de façon permanente le message du Conseil de l’Europe sur
les questions relevant de la démocratie et présentant un intérêt
d’actualité majeur». Je pense que les deux propositions ne sont
pas incompatibles et que l'on pourrait envisager de confier à une
seule et même personnalité la prise en compte à la fois des actions
proposées par le groupe et de celles qui le sont par l’Assemblée.
Le Comité des Ministres, qui n'a pas encore pris position sur la
proposition de l’Assemblée, pourrait explorer cette piste. Indépendamment
de ce qui précède, l’Assemblée est favorable à l'idée d'une
task force que le Secrétaire Général
du Conseil de l'Europe mettrait en place pour garantir la cohérence
dans la mise en œuvre des recommandations du rapport au sein de
l'Organisation, et est prête à y être associée.
24. Un autre problème non encore résolu par l'Europe, la crise
démographique, pourrait faire l'objet de politiques de promotion
de la natalité et de lutte contre l'avortement – des domaines que
l'Assemblée a abordés dans de nombreuses résolutions et recommandations.
25. S'agissant de la proposition des éminentes personnalités de
proposer un statut spécial auprès du Conseil de l’Europe aux Etats
des rives méridionale et orientale de la Méditerranée et d’Asie
centrale, je tiens à rappeler que l’Assemblée a récemment créé le
statut de «partenaire pour la démocratie» à l'intention des parlements
des pays de ces régions, et qu'elle a organisé six conférences interparlementaires
des bassins méditerranéen et de la mer Noire, qui ont permis d'engager
un dialogue constructif entre les représentants des pays non européens
de la région et l’Assemblée. Le Maroc et le Conseil national palestinien
ont déjà officiellement demandé ce statut de «partenaire pour la
démocratie», et l'Assemblée examinera le rapport de mon collègue
Luca Volontè sur la demande soumise par le Maroc lors de la partie
de session de juin 2011. Par ailleurs, mon collègue Jean-Charles
Gardetto prépare actuellement un rapport sur la coopération entre
le Conseil de l'Europe et les démocraties émergentes dans le monde
arabe. Compte tenu des événements récents dans les pays du sud et
de l'est de la Méditerranée, je pense que l’Assemblée devrait promouvoir
les moyens de rapprocher les pays de cette région de l'ensemble
du Conseil de l'Europe. L’Assemblée devrait également poursuivre
son dialogue sur ces questions dans le contexte des Nations Unies,
dans le cadre du dialogue entre l'Europe et le reste du monde.
3. Multiculturalisme et intégration
26. Les politiques en faveur de la diversité et de l'intégration
se sont heurtées à une vive opposition dans de nombreuses démocraties
occidentales et notamment en Europe. Elles restent toutefois populaires
au plan international et bénéficient de la promotion active d'organisations
internationales influentes, dont le Conseil de l'Europe. Le modèle
européen est, par définition, multiculturel. Au Congrès de l'Europe
organisé à La Haye en 1948, les pères fondateurs de l'Europe ont
clairement affirmé que les peuples d'Europe centrale et orientale auraient
leur place dans une Europe unie dès qu'ils parviendraient à se libérer
des dictatures communistes et à se doter de la démocratie. Depuis
que le peuple allemand a réussi à faire tomber le mur de Berlin
en 1989, d'importants changements sont intervenus en Europe orientale,
mais aussi dans les sociétés occidentales. Par conséquent, le Conseil
de l'Europe s'est élargi à 47 Etats membres, et l'Union européenne
à 27. Aujourd'hui, les nouveaux Etats membres et leurs citoyens
ont engagé un dialogue actif avec les autres membres de la famille
européenne. La cohésion entre l'ouest et l'est de l'Europe, ainsi
qu'entre le nord et le sud du continent est encore en construction.
27. La sauvegarde des particularités culturelles des diverses
nations d'Europe va de pair avec la participation de chacun de nous
a une culture européenne commune qui devrait non pas annihiler les
cultures nationales, mais assurer leur intégration harmonieuse.
28. Les très nombreux immigrés arrivés en Europe ont apporté d'Asie,
d'Afrique et d'Amérique du Sud de nombreuses traditions culturelles
supplémentaires et très différentes des cultures européennes traditionnelles. L'islam
radical a contribué à alimenter les peurs des Européens face à des
nouveaux arrivants méconnus.
29. Principalement à l'égard de ces nouveaux venus, les dirigeants
politiques de l'Allemagne (discours d'Angela Merkel à l’intention
des membres de la Junge Union, Potsdam, 16 octobre 2010), du Royaume-Uni (David
Cameron, discours prononcé à la Conférence de Munich sur la sécurité,
5 février 2011) et de la France (Nicolas Sarkozy, interview, «Paroles
de Français» –TF1, 11 février 2011) ont récemment, en des termes quasiment
identiques, émis des doutes sur le multiculturalisme et, notamment,
sur leur impression d'échec de certains modèles nationaux de multiculturalisme
qui, toujours d'après ces dirigeants, n'avaient pas permis d'assurer
une cohabitation acceptable.
30. En Allemagne, les «Gastarbeiter» qui ont commencé à affluer
dans le pays dans les années 1950-1970, principalement depuis la
Turquie, n'envisageaient pas de rester longtemps. La plupart projetaient
de rentrer en Turquie après une dizaine d'années. Mais n'ayant pas
très envie de recommencer régulièrement à former leur personnel,
les grands employeurs d'Allemagne ont préféré prolonger les contrats.
Ainsi, des familles entières se sont durablement installées, les
travailleurs restant même après le départ à la retraite, et une
communauté a vu le jour. L'idée que les «Verts» allemands ont largement
diffusée en Europe à l'aide du slogan «Multikulti» partait du principe
que les différentes cultures doivent être respectées et que les
personnes concernées s'intégreraient elles-mêmes dans la société
si les conditions nécessaires étaient réunies. C'est pourquoi les gouvernements
allemands précédents n'ont pas pris de mesures actives pour intégrer
la communauté turque dans la société allemande. Par conséquent,
certaines de ces communautés ont formé des groupes repliés sur eux-mêmes.
31. Cet exemple illustre clairement pourquoi une démarche multiculturelle
ne suffit pas et devrait être remplacée par une approche interculturelle
de promotion des interactions entre les sociétés des pays d'accueil et
les différents groupes avec leurs cultures respectives. Il convient
de promouvoir l'intégration et la préservation des différences culturelles
par opposition à l'assimilation, cette dernière n'étant absolument
pas une solution alternative au problème.
32. Le refus d'examiner les problèmes existants et d'y apporter
des solutions adaptées expose la société a des conséquences néfastes
comme le nationalisme extrémiste, le populisme et la xénophobie.
33. Le rapport des éminentes personnalités fait à juste titre
observer que les identités sont multiples et que nul ne devrait
être contraint d'en choisir une, d'en accepter une ou d'en écarter
une autre. Les personnes qui s'installent dans un pays ne devraient
en effet pas être contraintes d'abandonner certaines facettes de
leur identité (foi, langue, culture, etc.), mais on s'attend à ce
qu'elles y ajoutent de nouveaux éléments, tels que la langue de
leur nouveau pays. Elles ne devraient pas être frappées d'ostracisme
par leur communauté d'origine si elles devaient choisir de changer
de religion ou de culture.
34. Les sociétés européennes sont à raison critiquées pour leur
manque de résultats en matière d'intégration des membres des minorités
(et en particulier les immigrés et les Roms). Mais le «vivre ensemble» implique
que les deux côtés fassent des efforts, et c'est un domaine dans
lequel l'éducation pour tous peut jouer un rôle.
35. Le rapport déclare très justement que les personnes qui viennent
s'installer dans un pays doivent obéir à la loi, et que ni la religion,
ni la culture ne sont des excuses recevables pour s'y soustraire.
Le respect de la loi est le minimum attendu de tous ceux qui vivent
dans un pays, mais il ne suffit manifestement pas pour réaliser
une véritable intégration dans la société.
36. Certains immigrés apportent malheureusement en Europe des
attitudes incompatibles avec les valeurs défendues par notre Organisation.
Même s'ils ne sont le fait que d'une très faible minorité parmi
les immigrés et les personnes issues de l'immigration récente, ces
comportements contribuent à alimenter les clichés négatifs dont
souffrent certains groupes d'immigrants.
37. Comme l’Assemblée l'a souligné à maintes reprises, l'éducation
est le principal outil – mais pas le seul – dans la lutte contre
les informations trompeuses et les clichés à l'encontre de certains
groupes. Il faudrait compléter la recommandation spécifique du groupe
sur ce point en mettant l'accent sur la formation des enseignants.
Les activités du Conseil de l'Europe dans des domaines comme l'éducation
à la citoyenneté démocratique ou l'enseignement de l'histoire devraient
être intensifiées.
38. Dans la
Résolution
1746 (2010), l’Assemblée a invité les Etats membres du
Conseil de l'Europe à «améliorer l’éducation à la citoyenneté et
la formation politique en garantissant le respect de la nouvelle
Charte sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, et en mettant en œuvre
des programmes du Conseil de l’Europe dans le domaine de l’éducation
à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme».
39. Je conviens avec le groupe qu'aucune religion «ne devrait
être considérée a priori incompatible avec les valeurs européennes»,
mais certaines pratiques que beaucoup de gens associent à certaines
religions sont effectivement incompatibles avec ces valeurs. Il
incombe aux politiciens, aux médias et même aux dirigeants religieux
de proclamer un message clair.
40. Comme le déclare à juste titre le Groupe d'éminentes personnalités,
«en aucun cas le respect de l'identité d'un groupe ou d'une conviction
religieuse ne peut être invoqué pour justifier que les filles soient exclues
de toute forme d'éducation ouverte aux garçons, ou que les femmes
ne puissent avoir une interaction normale avec la société hors de
leur foyer».
41. Les droits de l'homme ne sont pas négociables. Dans sa
Résolution 1510 (2006),
l’Assemblée déclarait que «la liberté d’expression, telle qu’elle
est protégée en vertu de l’article 10 de la Convention européenne
des droits de l'homme, ne doit pas être davantage restreinte pour
répondre à la sensibilité croissante de certains groupes religieux».
D'une manière plus générale, nous pourrions déclarer que la protection
des droits de l'homme et des libertés fondamentales énoncés par
la Convention ne saurait être restreinte pour favoriser le multiculturalisme.
4. Rôle et responsabilités des politiciens
42. Le rapport du Groupe d'éminentes personnalités s'inquiète
à juste titre du fait que «ces derniers mois, les partis opposés
à l'immigration ont considérablement gagné du terrain, notamment
dans les pays réputés pour des politiques libérales et des électorats
tolérants. Au cours des deux dernières années, les résultats des élections
et les données des sondages dans une large palette de pays européens
ont montré une recrudescence du soutien des électeurs à des mouvements
prétendant défendre les intérêts et la culture de la majorité "indigène"
contre l'immigration et la diffusion de l'islam».
43. Dans sa
Résolution
1746 (2010, l’Assemblée constatait que «les mouvements
populistes et extrémistes, les politiques identitaires et les discours
nationalistes se sont trouvés renforcés au cours des dernières années du
fait de la crise dans de nombreux Etats membres». L’Assemblée s'est
également déclarée préoccupée par la double tendance qui se dessine
en Europe avec, d’un côté, l’élection de plus en plus fréquente
dans les parlements nationaux de partis d’extrême droite et, de
l'autre, le fait que les partis traditionnels, pour essayer de dissuader
leur électorat de se tourner vers les partis extrémistes et de regagner
un soutien populaire, empruntent à ceux-ci certains traits de leurs
discours radicaux, xénophobes et discriminatoires
.
44. Parallèlement, il faut reconnaître que les partis politiques
traditionnels, qui refusent de répondre aux craintes (même infondées)
d'une partie croissante de la population face à l'immigration et
à l'islam, ou qui abordent ces craintes d’une manière insuffisante,
sont en partie responsables de ce soutien accru aux partis xénophobes
et populistes. Les cas d’islamophobie doivent être abordés comme
le suggère l’Assemblée dans sa
Recommandation 1927 (2010) et sa
Résolution 1743 (2010).
45. La complexité croissante des défis et des politiques contemporains
(c’est-à-dire les politiques migratoires, les politiques de lutte
contre l'intolérance et la discrimination et la lutte contre le
terrorisme) encourage à présenter de manière «simpliste» les enjeux
politiques complexes dans le débat public. Les politiciens sont
confrontés au fossé qui sépare les questions complexes et techniques
de la nécessité de formuler les politiques en termes plus accrocheurs
pour gagner le soutien de la population. Cela crée une distance,
voire un gouffre béant, entre les principes inspirant les politiques
et ces dernières telles que décrites dans les débats au sein des
partis et dans les médias.
46. Pour inverser la tendance, les partis et politiciens traditionnels
ne devraient certainement pas faire de la surenchère sur le terrain
de la rhétorique hostile aux immigrés, mais devraient traiter honnêtement
les préoccupations de leurs électeurs.
47. Compte tenu de ce qui précède, je suis d'accord avec les éminentes
personnalités quand elles invitent «instamment tous les dirigeants
politiques à résister, tout en s’efforçant de répondre de manière
convaincante, aux préoccupations réelles et légitimes de l’opinion
publique concernant une immigration excessive ou irrégulière, à
la montée en puissance de partis xénophobes ou racistes et à veiller
à ne pas rechercher un avantage politique en instrumentalisant les
migrants ou membres de minorités pour exacerber l’opinion publique
ou tirer parti de l’anxiété générale»
. De même,
rappelons l'appel lancé dans ce contexte à l’Assemblée en rapport
avec la Charte des partis politiques européens pour une société
non raciste, signée par son Président et le Président du Parlement
européen en 2003. A cet égard, je tiens à souligner que dans sa
Résolution 1754 (2010)
«Lutte contre l'extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs»,
adoptée il y a moins d'un an, le 5 octobre 2010, l’Assemblée, déplorant
«que le défi consistant à instaurer plus d’éthique en politique en
ce qui concerne le traitement des questions touchant à la race,
à l’origine ethnique et nationale, et à la religion soit encore
à relever», rappelait cette charte ainsi que la Déclaration sur
l'utilisation d'arguments racistes, antisémites et xénophobes dans
le discours politique, adoptée par la Commission européenne contre le
racisme et l'intolérance (ECRI) en 2005, qu'elle saluait «pour leur
pertinence». Dans sa
Résolution
1760 (2010) «La montée récente en Europe du discours
sécuritaire au niveau national: le cas des Roms», adoptée deux jours
plus tard, l’Assemblée a en outre instamment invité les partis politiques,
les forces politiques et les personnalités politiques et publiques
dans les Etats membres, les groupements internationaux de partis politiques
et ses propres membres à s’engager à adhérer aux principes inscrits
dans la charte, à les mettre en œuvre et à les promouvoir activement.
48. La recommandation plus spécifique invitant l'Assemblée «à
désigner un rapporteur sur le thème de l'extrémisme politique, et
à organiser un forum annuel sur l'extrémisme – qui pourrait s'appeler
le colloque Stieg Larsson»
, est une proposition
qui mérite un examen plus attentif.
49. Pour ma part, j'aimerais contribuer à cette réflexion en rappelant
d'abord de récents rapports de l’Assemblée, émanant de notre commission,
sur le problème de l'extrémisme politique, dont les derniers sont ceux
de M. Agramunt et de Mme Brasseur, qui ont abouti à l'adoption des
Résolution 1754 (2010)
et
Résolution 1760 (2010)
citées plus haut. De prime abord, il me semble que, par cette réaction
rapide aux événements de l’été 2010, le message de l’Assemblée contre
l’extrémisme a peut-être été plus efficace qu’un forum annuel qui,
avec le temps, pourrait devenir quelque peu routinier.
50. Rappelons cependant que l'Assemblée organise tous les deux
ans un débat général sur la situation de la démocratie en Europe,
comme l'illustrent les exemples que j'ai cités du rapport de M.
Gross sur «La démocratie en Europe: crises et perspectives», adopté
dans le cadre du débat correspondant de l'année dernière. Ces débats
de l'Assemblée sont souvent consacrés au problème de la lutte contre
l'extrémisme politique. La pratique des débats sur la démocratie
d'une part, et la possibilité de réagir rapidement et à tout moment
à des préoccupations spécifiques, d'autre part, sont à mon sens
des bases solides sur lesquelles l'Assemblée peut appuyer sa contribution
à la lutte contre l'extrémisme politique.
51. De plus, comme nous l'avons indiqué plus haut, dans sa
Résolution 1746 (2010)
et sa
Recommandation 1928
(2010), l’Assemblée a proposé «qu’une personnalité de
grande notoriété, sorte de délégué à la démocratie, se voie confier
la tâche de diriger et d’animer le forum de la démocratie de Strasbourg,
ainsi que de diffuser de façon permanente le message du Conseil
de l’Europe sur les questions relevant de la démocratie et présentant
un intérêt d’actualité majeur». Je pense que cette personnalité
de grande notoriété pourrait également être chargée de réagir rapidement
à des incidents préoccupants. A ce propos, je renvoie aux observations
formulées au paragraphe 19.
52. Plusieurs autres propositions concrètes concernant la lutte
contre l'extrémisme ont été soumises par l'Assemblée au Comité des
Ministres dans la
Recommandation
1933 (2010). Le Comité des Ministres n'ayant pas encore
adopté sa réponse à la recommandation, je ne répéterai pas lesdites
propositions mais je saisis l'occasion pour inviter le Comité des
Ministres à les examiner à la lumière des recommandations des éminentes
personnalités.
53. De son côté, l’Assemblée, motivée par les deux recommandations
du groupe sur le point «extrémisme politique, racisme, discours
xénophobes et anti-immigrés», pourrait organiser, conjointement
avec la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
le cas échéant, et en collaboration avec tous les secteurs pertinents
de l'Organisation, et, éventuellement, avec le Parlement européen,
une conférence chargée de dresser le bilan des bonnes pratiques
et des lacunes dans la mise en œuvre par les Etats membres de la
Charte des partis politiques européens pour une société non raciste,
adoptée en 2003, de la Déclaration sur l’utilisation d’arguments
racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique,
adoptée en 2005, et de la Recommandation nettement plus ancienne
no R (97) 20 du Comité des Ministres sur le «discours de haine».
54. Je constate que le rapport du Groupe d'éminentes personnalités
identifie neuf groupes «d'acteurs du changement», les éducateurs,
les médias, les employeurs et syndicats, la société civile, les
cultes et groupes religieux, les personnalités et «modèles», les
villes et cités, les Etats membres, et enfin les institutions européennes
et internationales, mais ne mentionne pas spécifiquement le rôle
des politiciens. Il est certes permis de supposer que le rapport
s'adresse effectivement aux politiciens et que, en tant que groupe,
ceux-ci peuvent être automatiquement considérés comme des «acteurs
du changement», mais il aurait malgré tout été bon de mentionner
explicitement ce groupe.
55. Les représentants élus assument en effet une grande responsabilité
et peuvent contribuer à changer la situation à la fois à titre individuel
et en qualité de membres des organes pour lesquels ils ont été élus,
que ce soit au niveau local, régional, national ou international.
56. Comme l'a souligné l’Assemblée dans sa
Résolution 1760 (2010) «La montée
récente en Europe du discours sécuritaire au niveau national: le
cas des Roms», «une responsabilité particulière incombe aux hommes
politiques, qui se doivent d’éliminer du discours politique les
stéréotypes négatifs et les stigmatisations de toute minorité et
tout groupe de migrants. Il leur appartient de promouvoir un message
de non-discrimination, de tolérance et de respect vis-à-vis des
personnes d’origines différentes».
57. De son côté, l'Assemblée parlementaire est plus que prête
et désireuse de contribuer aux changements nécessaires pour donner
une plus grande cohésion aux sociétés européennes afin que chacun
puisse pleinement bénéficier du «vivre ensemble».