1. Introduction
1. L'Assemblée parlementaire a adopté le 24 juin 2009
sa précédente Résolution 1677 (2009) sur le fonctionnement des institutions
démocratiques en Arménie. Elle y considérait que la libération par
amnistie générale de la plupart, voire de la totalité, des personnes
privées de liberté en relation avec les événements de mars 2008,
de même que l'assurance donnée par les autorités qu'elles avaient
l'intention de conduire une enquête crédible sur ces événements
témoignaient clairement de leur volonté de surmonter la crise politique et
d'ouvrir une nouvelle page du développement démocratique du pays.
2. Dans sa Résolution 1677 (2009), l'Assemblée invitait notamment
les rapporteurs à accorder une attention spéciale aux personnes
encore privées de liberté, à la nécessité d'une enquête indépendante
et crédible sur les événements de mars 2008 et ses causes, à l'enquête
consacrée aux circonstances et à la responsabilité des dix décès
survenus au cours de ces événements, ainsi qu’au respect de la liberté
de réunion dans la pratique. De plus, l’Assemblée appelait instamment
les autorités à réformer en profondeur la police, notamment en mettant
en place un mécanisme de contrôle public approprié, ainsi que la
justice, en vue d'assurer son indépendance.
3. Les rapporteurs ont attentivement observé la situation politique
dans le pays depuis l'adoption de la Résolution 1677 (2009), et
ont transmis un certain nombre de notes d'information à la commission
de suivi à ce sujet. Le train de réformes lancé par les autorités
a en outre donné lieu à une audition spéciale de la commission de
suivi le 5 octobre 2010; un certain nombre de partis parlementaires
et extraparlementaires d’opposition y avaient été invités. Les corapporteurs
se sont par ailleurs rendus dans le pays du 15 au 18 mars et du
19 au 21 juillet 2011. Ils ont bénéficié pendant toute la période
considérée d'une coopération ample et constructive des autorités
et des représentants de l’ensemble des forces politiques, parlementaires
ou non – ce dont ils tiennent à les remercier tous ici.
4. Nous escomptions une prompte normalisation de la situation
politique en Arménie après l'adoption de la Résolution 1677 (2009),
ce qui nous aurait permis de reprendre le suivi de l'ensemble des
engagements et obligations de l'Arménie. La question des détenus
non libérés et celle de l'enquête sur les dix morts de mars 2008
ont malheureusement dominé la vie et l'actualité politiques pendant
la plus grande partie de notre mandat, et ont continué d'empoisonner
le climat politique. Mais, à notre grande satisfaction, un certain
nombre d’avancées importantes sont venues régler au printemps 2011
le solde des questions touchant aux événements de mars 2008.
5. Le 20 avril 2011, M. Serge Sarkissian, Président de la République
d'Arménie, a ordonné aux forces de l'ordre de relancer les enquêtes
interrompues sur les événements de mars 2008, et notamment sur les responsabilités
dans les dix décès survenus à cette occasion. Les autorités ont
par ailleurs autorisé un parti d'opposition, le Congrès national
arménien (CNA
), à manifester sur la place de la Liberté,
lieu des protestations de 2008 où aucune manifestation d'opposition
n'avait plus été autorisée depuis. Après quoi, l'Assemblée nationale
a adopté le 26 mai 2011 une nouvelle amnistie générale, la seconde
en trois ans, sur proposition de M. Sarkissian; les dernières personnes
encore détenues dans le sillage des événements de mars 2008 ont
ainsi été libérées. A la suite de cette amnistie, les principales
forces d'opposition ont publiquement déclaré que leurs conditions
ayant été satisfaites, elles étaient disposées à entamer le dialogue avec
les autorités sur le développement démocratique du pays. La situation
politique s'est ainsi normalisée, même si elle demeure très polarisée,
ce qui a clos ce douloureux chapitre de l'histoire arménienne. Ces événements
importants arrivent à un moment crucial, où le pays se prépare aux
élections législatives du printemps 2012. Ce scrutin aura la lourde
tâche de restaurer la confiance du peuple arménien dans le système politique;
il permettra de créer un climat politique authentiquement pluraliste
et inclusif, condition nécessaire pour que l'Arménie puisse relever
les grands défis qui l’attendent.
6. Nous nous proposons de retracer dans le présent rapport les
mesures prises pour régler les questions restées en suspens depuis
mars 2008, ainsi que d'aborder les importantes réformes lancées
par les autorités pour s'attaquer à leurs causes sous-jacentes.
Nous esquisserons ensuite quelques recommandations relatives à ces
réformes et définirons certaines priorités de l'actuelle procédure
de suivi de l'Arménie; nous prévoyons de remettre à l'Assemblée
le rapport complet de suivi en 2013, si possible.
2. Personnes
non libérées à la suite de la première amnistie générale de 2009
7. La Résolution 1677 (2009) notait qu'en vertu de l'amnistie
générale accordée le 19 juin 2009, la plupart, sinon la totalité,
des personnes privées de liberté en relation avec les événements
des 1er et 2 mars 2008 avaient été libérées; elle demandait à la
commission de suivi de suivre de près l'évolution de la situation
en ce qui concernait les cas restants
. Elle observait par ailleurs
que l'amnistie s'appliquait aussi aux personnes inculpées qui se
tenaient cachées à condition qu'elles se présentent volontairement
à la police avant le 31 juillet 2009; eu égard à cette possibilité,
l’Assemblée appelait instamment les autorités arméniennes à autoriser les
personnes concernées à rester en liberté pendant la durée de leur
procès.
8. A l'adoption de l'amnistie de 2009, deux personnes en fuite,
MM. Nikol Pashinyan et Khachatur Sukiasyan
, se sont présentées aux autorités.
Toutes deux ont été initialement placées en détention en attendant
leur procès. M. Sukiasyan a ensuite été mis en liberté provisoire
jusqu'à son procès, moyennant la promesse de ne pas quitter le pays;
mais M. Pashinyan a été maintenu en détention préventive pendant
toute l'instruction de son affaire, malgré les appels de l'Assemblée.
9. Le 8 février 2011, le Service des enquêtes spéciales de la
République d'Arménie a formellement abandonné les poursuites pénales
liées aux événements de mars 2008 à l'encontre de M. Sukiasyan,
faute de preuves; M. Sukiasyan, qui proteste de son innocence, a
demandé non seulement la levée des charges contre lui, mais aussi
l’acquittement formel et la réhabilitation.
10. Le 19 janvier 2010, M. Pashinyan – que les autorités considéraient
comme l'un des instigateurs des événements de mars 2008 – a été
condamné à sept ans de prison. Cette condamnation a suscité de vives controverses
du fait que l'accusation n'avait requis «que» six ans. Les juges
arméniens prononcent d'habitude des peines inférieures à celles
que demande l'accusation. Nombre de nos interlocuteurs ont ainsi
estimé que cette condamnation inhabituelle trahissait la claire
intention des autorités de ne pas libérer M. Pashinyan en vertu
de l'amnistie générale de 2009. L'Assemblée a en outre jugé la sentence
problématique du fait que M. Pashinyan a uniquement été condamné
en vertu de l'article 225 (soulèvement de masse) du Code pénal
. Dans des résolutions précédentes
sur la question, l'Assemblée avait déjà qualifié d’inacceptables
les condamnations prononcées en vertu de l'article 225 en relation
avec les événements des 1er et 2 mars 2008. De plus, la condamnation
de M. Pashinyan se fondait essentiellement sur des témoignages de
la police, sans preuves à l'appui
,
une pratique considérée comme contestable par l'Assemblée et dans
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
11. Après l'amnistie de 2009, un certain nombre d'autres personnes
toujours en détention à la suite des événements de mars 2008 ont
été libérées lorsque leur requête en grâce présidentielle a été
acceptée. Mais la loi arménienne prévoit que la grâce ne peut être
accordée qu'à une personne qui a admis sa culpabilité, ce qui était
exclu dans le cas de nombreux détenus, pour des raisons bien compréhensibles.
12. L'amnistie de 2009 prévoyait que les personnes qui n'avaient
pas entièrement purgé leur peine voyaient leur solde de temps réduit
de moitié; la plupart des prisonniers restants pouvaient alors être
mis en liberté conditionnelle, la loi arménienne prévoyant que cette
dernière est envisageable dès lors que la moitié de la peine a été
purgée. De nouvelles possibilités de libération se sont ainsi offertes
pour les personnes privées de liberté à la suite des événements
de mars 2008, conformément aux suggestions de notre Assemblée. Lors
de sa visite en Arménie dans le cadre du Forum pour l'avenir de
la démocratie, en octobre 2010, M. John Prescott avait instamment
demandé aux autorités d'accorder la liberté conditionnelle aux prisonniers
restants dès qu'ils auraient rempli les conditions et de ne pas
dresser d'obstacles artificiels à leur libération.
13. Bon nombre de personnes détenues à la suite des événements
de mars 2008 ont été mises en liberté conditionnelle au dernier
trimestre 2010. Au moment de notre visite, en mars 2011, il n'y
avait donc plus que sept personnes toujours en détention pour des
motifs jugés politiques par le Congrès national arménien. M. Nikol
Pashinyan, dont nous avons examiné le cas précédemment, figurait
notamment parmi elles, de même que M. Sasun Mikaelyan, l'un des
autres députés dont l'immunité avait été levée. M. Mikaelyan ne
pouvait pas être libéré au titre de l'amnistie de 2009, car il avait
aussi été condamné pour détention illégale d'armes, une grosse cache
d'armes ayant été découverte chez lui. Sa santé se serait rapidement
détériorée en détention, à telle enseigne que le Commissaire aux
droits de l'homme du Conseil de l'Europe avait demandé sa libération pour
motifs humanitaires lors de sa visite de janvier 2011.
14. Nous avions souligné lors de notre visite de mars 2011 que
le maintien en détention de partisans de l'opposition emprisonnés
à la suite des événements de mars 2008, de même que l'absence d'enquête convenable
sur les dix décès survenus à cette occasion continuaient d'empoisonner
l'atmosphère politique dans le pays, constituaient l'obstacle majeur
à la normalisation de la situation politique et risquaient d’être préjudiciables
aux élections législatives de mai 2012. Nous appelions donc instamment
les autorités à utiliser tous les instruments juridiques à leur
disposition pour libérer le reste des partisans de l'opposition,
et à ne pas créer d'obstacles à leur libération anticipée quand
l'occasion s'en présenterait.
15. Le Président Sarkissian a demandé le 20 mai 2011 à l'Assemblée
nationale arménienne d'adopter une amnistie générale, ce qu'elle
a fait le 26 mai: plus de 500 personnes ont ainsi été libérées,
dont toutes celles toujours détenues pour des faits liés aux événements
de 2008; plus de 2 000 personnes ont bénéficié de remises de peine.
Ces libérations ont ôté le dernier obstacle à la normalisation du
climat politique et ouvert la voie à un dialogue constructif entre
les autorités et l'opposition
. L'Assemblée
peut assurément s'en féliciter.
3. Enquête sur les
événements de 2008 et leurs dix victimes
16. Dans sa Résolution 1677 (2009), l'Assemblée soulignait
qu'une enquête impartiale et crédible sur les événements des 1er
et 2 mars 2008 et leurs circonstances restait nécessaire, malgré
la dissolution du Groupe d'enquête indépendant formé sur proposition
du Commissaire aux droits de l'homme. La commission d'enquête parlementaire
ad hoc avait poursuivi ses travaux en parallèle à ceux du groupe
d’enquête et semblait avoir fait preuve de plus d’indépendance que
l’on ne s’y était attendu; l’Assemblée avait donc estimé qu’elle était
bien placée pour mener l’enquête à terme et que le rapport de cette
commission déterminerait en fin de compte si les critères d'impartialité
et de crédibilité avaient bien été respectés, et si des enquêtes complémentaires
étaient nécessaires.
17. La commission d'enquête parlementaire ad hoc a présenté son
rapport à l'Assemblée nationale le 17 septembre 2009. Nous l’avons
analysé dans notre note d'information (document AS/Mon (2009) 38
rev).
18. La commission d'enquête parlementaire ad hoc concluait dans
son rapport que la polarisation socio-économique, le manque de confiance
du public envers les autorités (notamment le pouvoir judiciaire),
les déficits du système de freins et contrepoids entre les diverses
branches du gouvernement, l’inadéquation de la protection des droits
civiques et des droits de l’homme, l'absence de pluralisme des médias
et l’émergence d’une petite élite politique et économique à la tête
du pays avaient été les principaux facteurs sous-jacents du mouvement
de protestation qui avait éclaté au lendemain des élections présidentielles
de février 2008. Mais la commission d’enquête en tire la conclusion
surprenante que c’est en exploitant cyniquement ces facteurs dans
leur «propagande contre l’autorité» que les partisans de Levon Ter-Petrossian
avaient suscité une atmosphère d’intolérance et de mécontentement
dans le public, atmosphère ensuite manipulée par ces mêmes membres
de l’opposition pour favoriser des troubles à l’ordre public.
19. Cette présentation plutôt tendancieuse des causes de la crise
politique, le manque étonnant d’esprit critique des autorités et
l’imputation de la responsabilité de l’exacerbation des tensions
politiques aux seules forces de l’opposition – en particulier à
celles qui soutenaient Levon Ter-Petrossian
– sont regrettables
et ôtent de sa crédibilité au rapport de la commission d’enquête.
Ce qui est d'autant plus dommage que les recommandations que contient
le rapport montrent clairement que la commission a en réalité procédé
à une analyse des événements de mars 2008 et des facteurs qui en
étaient à l'origine beaucoup plus complète et plus équilibrée que
ne le laisseraient croire ses conclusions officielles.
20. Le rapport de la commission d'enquête retrace les événements
du 1er mars, et brosse le tableau d'une opération de police mal
organisée et mal conduite (apparemment en réponse à des informations
selon lesquelles des manifestants amassaient des armes sur la place
de la Liberté
) qui a dégénéré en émeutes pratiquement
incontrôlables. Il reconnaît également à ce propos que les manifestations
étaient spontanées et non préméditées. Ces conclusions confirment
l'avis exprimé par l'Assemblée dans toutes ses résolutions ayant trait
à ces événements: il ne pouvait pas s'agir d'une tentative préméditée
de coup d’Etat
.
21. Tout en estimant dans son rapport que les actions de la police,
le matin du 1er mars 2008, étaient «dans l'ensemble légales et proportionnées»
, la
commission d'enquête se montre très critique sur la manière dont la
police a géré la situation pendant les événements; en particulier,
elle n’a pas cherché à mettre en place des mesures pour établir
le dialogue avec les manifestants ni utilisé d’autres moyens non
violents d’encadrement de la foule. Elle juge en outre que les actions
d'un certain nombre de policiers – dont des brutalités et la confiscation
puis la destruction de documents vidéo de journalistes – étaient
contraires aux procédures légales et globalement inacceptables.
22. De même, la commission d'enquête regrette dans son rapport
que les chefs de l’opposition n'aient pas essayé davantage d’éviter
les désordres civils et la violence, et leur en fait reproche. Elle
note à ce propos que leurs décisions contradictoires et leurs atermoiements
ont fait obstacle à des mesures qui auraient permis d’éviter la
dégradation de la situation au cours de l’après-midi du 1er mars
2008.
23. L'Assemblée a toujours estimé que l'enquête sur les dix personnes
mortes au cours des événements des 1er et 2 mars 2008 revêtait une
importance capitale. Dans sa Résolution 1677 (2009), l’Assemblée
s’est déclarée vivement préoccupée par le fait que l'enquête du
procureur général n'avait pas donné de résultats concrets; elle
jugeait essentiel que cette enquête soit menée à terme de manière
satisfaisante et sans plus tarder
.
Nous avons constamment rappelé ce point aux autorités à l'occasion
de nos contacts avec elles et lors de nos visites dans le pays,
demandant que des réponses satisfaisantes soient données aux questions relatives
aux circonstances et à la responsabilité de ces dix morts.
24. Nous nous sommes félicités de constater que la commission
d'enquête avait accordé une grande attention à ces dix morts dans
son rapport. Le groupe d'enquête indépendant leur avait aussi consacré
un important travail de recherche, malheureusement très politisé
comme en témoignent ses résultats, qui se concentrent sur les erreurs
procédurales et les fautes commises par les services chargés de
l'enquête plutôt que sur l'élucidation des circonstances qui avaient
entouré ces dix décès. Cela dit, ces rapports soulèvent des interrogations
légitimes sur la version officielle des faits et contiennent d’utiles
conclusions, qui méritent d'être reconnues pour telles. Les réactions
des services d’enquête aux rapports du groupe d’enquête indépendant trahissent
un mépris inacceptable de leur part à l’égard des membres et du
travail du groupe d’enquête, ce qui conduit à douter de leur volonté
d'élucider pleinement l'affaire.
25. Sur les dix morts – deux policiers et huit civils – une (celle
d’un policier) a été causée par un engin explosif, cinq par des
blessures par balles, trois par des blessures directement dues à
des grenades lacrymogènes Cheremukha 7 , et
une par des blessures à la tête provoquées par un objet contondant
non identifié.
26. Pour deux des cinq personnes tuées par balles, il n’a pas
été possible de retrouver les projectiles: il est donc impossible
de déterminer par quel type d’arme ils ont été tirés. Dans les trois
autres cas, deux balles ont été tirées par un pistolet Marakov PM
et une par un fusil mitrailleur AK 47. Sachant qu'il est établi
que la police utilisait des Kalachnikov pour tirer des balles traçantes
au-dessus de la tête des manifestants (!) et que le Marakov PM est
l’arme de service de la police arménienne, les armes qui ont tiré
ces balles pouvaient très probablement être retrouvées. Mais à notre
grande surprise, la police n'y est parvenue pour aucune des balles. Ce
qui fait planer de sérieux doutes sur son enquête; la chose est
d'autant plus regrettable qu'elle pourrait être aisément interprétée
comme une dissimulation délibérée de la part de la police.
27. La mort de trois personnes tuées par des grenades lacrymogènes
tirées par la police a également suscité des contestations. Les
services d'enquête étaient arrivés à la conclusion que ces trois
morts avaient été causées par des grenades tirées à bout portant,
directement sur des manifestants ou tout à côté d'eux – ce qu’interdisent
expressément les règlements régissant l’utilisation de ce matériel.
Des experts internationaux ont confirmé à la commission d'enquête
qu’il était malheureusement impossible de remonter de la grenade
au fusil qui l’aurait tirée parce que l’âme du fusil ne laisse pas
de signature balistique sur l’enveloppe plastique de la grenade.
Nous jugeons donc très improbable que les éclats trouvés dans les
cadavres permettent d’identifier les policiers qui ont tiré ces
grenades mortelles.
28. A la faveur de nos contacts avec le président de la commission
d'enquête, nous avons appris que les forces de l'ordre et les services
de sécurité s'étaient montrés peu disposés à coopérer avec la commission,
ce qui avait beaucoup entravé cette dernière dans la collecte de
l'information qu'elle demandait. Le Commissaire aux droits de l'homme
a reçu des plaintes similaires lors de son passage en Arménie
.
Ce manque de coopération des forces de l'ordre est tout à fait inacceptable;
il constitue à notre avis un argument de plus pour placer les forces
de police sous le contrôle d'une autorité civile, comme le demandent
la
Résolution 1609 (2008) et
la
Résolution 1677 (2009) de
l'Assemblée.
29. L'attribution partiale et tendancieuse de la responsabilité
des événements des 1er et 2 mars 2008, de même que la nette impression
que la commission d'enquête voulait éviter à tout prix de discréditer ouvertement
la version officielle des faits et de critiquer durement la façon
dont les autorités avaient géré la situation, sapent la crédibilité
de l'enquête et l’empêchent d’avoir l’effet escompté dans la résorption
des tensions politiques. La société continue ainsi de s'interroger
et de nourrir des doutes sur les véritables causes des événements
et leur déroulement.
30. Cela est d'autant plus regrettable que les recommandations
que contient le rapport montrent clairement que la commission d’enquête
avait en réalité procédé à une analyse des événements de mars 2008
et des facteurs qui en étaient à l'origine beaucoup plus complète
et plus équilibrée que ne le laisseraient croire ses conclusions
officielles. Pensant que la mise en œuvre des réformes et des politiques
que recommande son rapport contribuerait utilement à remédier aux
causes sous-jacentes des événements de mars 2008, nous avons pleinement
soutenu le processus de réforme que les recommandations sous-tendent.
31. Le parquet et le Service des enquêtes spéciales de la police
n'ont pas pu jusqu'à présent établir de responsabilités individuelles
ou collectives dans ces dix morts. Les autorités ont donc estimé
qu'il était impossible d'ouvrir une enquête tant que l'on ne disposerait
pas de preuves permettant d'identifier des personnes ayant une responsabilité
directe dans ces dix décès.
32. Nous pensons que cela reflète une vision trop étroite de la
nature d'une telle enquête. Nous avons rappelé aux autorités que
l'enquête demandée par l'Assemblée ne visait pas seulement à identifier,
si possible, les personnes responsables de ces dix morts, mais aussi
à établir comment ces personnes avaient pu être tuées au cours d’une
manifestation publique, à envisager une éventuelle responsabilité
de la chaîne de commandement, et à recommander les mesures à entreprendre
pour éviter le retour d’une situation comparable dans des manifestations
futures; et si aucune responsabilité individuelle ne pouvait être
établie, l'enquête devait expliquer pourquoi. Nous avions aussi
attiré leur attention sur le fait que d'autres pays ont mené des
enquêtes de ce type lorsqu'une opération de police a entraîné des
morts, comme dans le cas d'un ressortissant brésilien tué par la
police dans le métro londonien, ou dans celui des conflits en Irlande
du Nord. Le fait que le procureur n'a pas pu établir de responsabilités
individuelles ne justifie donc aucunement à nos yeux la décision
de ne pas mener l'enquête crédible demandée par l'Assemblée.
33. Nous nous félicitons de l'esprit d'ouverture dont ont fait
preuve les autorités lorsque nous leur avons présenté nos arguments.
Elles nous ont informés qu'un certain nombre d'enquêtes différentes
mais partielles avaient été menées sur les causes de ces dix morts
par plusieurs organes gouvernementaux, en plus et à la suite des
enquêtes menées par le parquet et la commission d'enquête ad hoc
de l'Assemblée nationale. Les autorités ont reconnu que leurs résultats
n'avaient jamais été synthétisés ni évalués par un organisme indépendant,
ce qui leur aurait donné plus de crédibilité aux yeux du public
arménien.
34. Le Président Sarkissian s'est donc montré disposé à rouvrir
l'enquête et à publier ses résultats. Il a ensuite ordonné le 20
avril 2011 aux forces de l'ordre de relancer les recherches interrompues
sur les événements de mars 2008, et en particulier sur les responsabilités
dans les dix morts survenues à cette occasion. La reprise de cette
enquête a nettement amélioré le climat politique en Arménie et devrait
permettre de clore cet épisode douloureux de l'histoire récente
du pays. Nous appelons les autorités à donner une solide crédibilité
à ces investigations en publiant le rapport complet, même s’il se
révèle impossible d’établir des responsabilités individuelles.
35. Nous avons rencontré au mois de juillet 2011, lors de notre
visite, le chef du Service des enquêtes spéciales chargé par le
Président arménien de réexaminer tous les témoignages et preuves,
ainsi que les résultats de l'enquête sur les dix morts. Il était
assez sûr d’obtenir des résultats, mais nous a confié qu'aucun élément
nouveau n'avait été découvert jusque-là pour identifier les responsables.
Il pensait que la politisation de l'affaire affectait les déclarations
des témoins et leur disposition à témoigner. Nous avons souligné
la nécessité de procéder à un examen attentif des responsabilités
au sein de la chaîne de commandement, et de garantir la pleine transparence
sur les progrès de l'enquête ou leur absence. Les conférences de
presse hebdomadaires du Service des enquêtes spéciales sont à cet
égard une bonne chose.
36. Lors de notre dernière visite en Arménie, le Président Sarkissian
a clairement montré sa volonté personnelle d'établir les responsabilités
dans ces dix décès.
37. L'une des faiblesses de l'enquête sur ces dix morts est que
c’est la police elle-même qui a été chargée d'enquêter sur ses propres
décisions et actes, ce qui conduit le public arménien à s'interroger
sur son impartialité et sa crédibilité. Pour nous, cela souligne
la nécessité pressante de placer les forces de l’ordre arméniennes
sous la surveillance et le contrôle convenables d'une autorité civile,
comme le demandait la Résolution 1677 (2009) de l'Assemblée
.
4. Train de réformes
38. Comme nous l'avons dit, les recommandations de la
commission d'enquête parlementaire ad hoc pourraient fonder utilement
l’effort de résorption des principales causes sous-jacentes des
événements de mars 2008. Les autorités ont annoncé un ample train
de réformes pour les mettre en œuvre. Les grands volets en sont
la réforme électorale, la réforme de la justice et celle de la police.
Nous avons par ailleurs souligné à plusieurs reprises la nécessité
d'une réforme des médias visant à en accroître le pluralisme. Les
autorités ont confié le suivi intérieur de la mise en œuvre de ces
réformes au Comité permanent des affaires juridiques et de l'Etat
de l'Assemblée nationale, présidé par M. Davit Harutyunyan – qui
conduit également la délégation nationale arménienne auprès de notre
Assemblée. Les interactions et les échanges d'informations ont ainsi été
continus entre les autorités, les corapporteurs et la commission
de suivi. Nous tenons à souligner qu'un dialogue privilégié aussi
constructif offre un excellent exemple de coopération dans le cadre
de la procédure de suivi de l'Assemblée.
39. Nous passerons ces réformes en revue plus en détail dans les
sections qui suivent. Mais nous commencerons par mentionner deux
points fondamentaux à prendre en compte dans leur évaluation.
40. Premièrement, nous nous félicitons de la multiplicité des
plans et stratégies de réforme, mais il faut à présent leur donner
une traduction concrète, dans des politiques et des projets de loi
qui répondent effectivement aux besoins du pays.
41. Deuxièmement, la plupart des propositions consistent en amendements
de lois existantes ou en nouvelle législation. Or ce n'est pas uniquement
en légiférant que l'on déploiera les réformes souhaitables. Nombre
de nos interlocuteurs de tous bords ont reconnu que la législation
actuelle serait souvent acceptable si elle était mise en œuvre avec
cohérence et bonne foi. Les réformes proposées ne doivent donc pas
se borner à des amendements législatifs, elles doivent aussi faire
évoluer les pratiques et les mentalités. Nous avons conscience qu'elles
seront difficiles à mettre en œuvre et se heurteront à des intérêts
particuliers. Mais nous sommes persuadés que les changements nécessaires
de pratiques et de mentalité sont réalisables, moyennant une volonté
politique suffisante.
4.1. Réforme électorale
42. La réforme électorale est au cœur du train de réformes
des autorités. Elle revêt une importance toute spéciale dans la
perspective des élections législatives de mai 2012: ce scrutin doit
absolument être libre et équitable pour que soit constitué un parlement
qui reflète la pluralité des vues et des forces en présence dans la
société arménienne, de sorte que la situation politique se normalise
et la démocratie se consolide dans le pays. Eu égard surtout aux
contestations auxquelles avaient donné lieu les élections présidentielles
de 2008, il est tout aussi important que la mise en œuvre de ces
réformes et du processus électoral lui-même suscite la pleine confiance
de toutes les parties prenantes et de la population arménienne.
43. Les dénonciations du processus électoral et les allégations
directes, voire les rumeurs de fraudes électorales, ont malheureusement
figuré par le passé dans les stratégies électorales de plusieurs
partis, ce qui a entamé très malencontreusement la confiance du
public dans les élections. Nous appelons donc toutes les parties
à ne pas éroder la confiance de la population dans le processus
électoral en le mettant inutilement en doute ou en dénonçant des
fraudes électorales avant même la tenue du scrutin. Nous espérons
également, toujours pour les mêmes raisons, que les partis ne se
laisseront jamais tenter d'expliquer à leurs partisans des résultats
décevants aux urnes en incriminant sans fondement la régularité
du processus électoral lui-même.
44. Dans le sillage des événements de mars 2008, l'Assemblée nationale
a formé un groupe de travail spécial
sur
la réforme électorale; des représentants de la société civile et
de l'opposition extraparlementaire ainsi que des universitaires
avaient été invités à participer à ses travaux. Un certain nombre
de partis d'opposition, dont le Parti du patrimoine
et
le Congrès national arménien (CNA) de M. Levon Ter-Petrossian ont
aussi été conviés à le joindre. Ce groupe de travail a été chargé
de préparer des propositions de réforme électorale. Ses activités,
initialement intenses, ont pratiquement marqué le pas à partir du
début de l'année 2009. Les premières propositions de nouveau code
électoral ont donc été préparées par le Comité permanent des affaires
juridiques et d'Etat, puis soumises au groupe de travail électoral.
Ce mode opératoire a conduit un certain nombre de partis d'opposition
à accuser le gouvernement de chercher à imposer sa conception du système
électoral; cela semble démenti par le dispositif de consultation
très complet et dans l’ensemble transparent mis en place par les
autorités.
45. Le premier projet a été présenté aux autorités à l'occasion
d'une conférence spéciale à laquelle avaient notamment été conviées
toutes les forces politiques, ainsi que la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et le Bureau
des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH/OSCE). Le CNA
a malheureusement refusé de participer à la rencontre, qui a autrement
rassemblé toutes les grandes forces politiques du pays. Les autorités
ont ensuite préparé un projet de nouveau code électoral et l'ont
transmis pour examen au groupe de travail électoral créé après les
événements de 2008. Les débats au sein du groupe de travail ont
cependant été boycottés par l'opposition, y compris par les partis
qui avaient participé à la conférence; l’opposition estimait en
effet que le projet des autorités n'intégrait pas les vues et suggestions
présentées au cours de la conférence internationale. Ainsi, jugeant
probable qu’aucune de ses idées ne serait reprise dans le nouveau
Code électoral, l’opposition craignait que sa participation ne serve
qu'à légitimer un texte auquel elle n'aurait eu aucun apport réel.
Plutôt que de participer aux travaux du groupe, elle a préparé un
contre-projet de code électoral.
46. La commission de suivi a sollicité, à notre demande, un avis
de la Commission de Venise sur le contre-projet de code électoral
de l'opposition, afin que les deux versions bénéficient de ses compétences
et de son évaluation. Soucieux d'éviter un long blocage, le président
du groupe de travail électoral de l'Assemblée nationale a choisi
de soumettre les deux projets au parlement, de sorte que toutes
les idées et suggestions soient entendues et examinées. Bien que
certaines de ses recommandations aient été retenues ou qu'il en
ait été tenu compte d'une façon ou d'une autre, l'opposition parlementaire
a regretté que trop peu d'entre elles aient été acceptées par la
majorité au pouvoir, même lorsqu’elles avaient l’aval de la Commission
de Venise. Elle a toutefois reconnu que le nouveau Code électoral
représentait dans l’ensemble un progrès sur les versions précédentes
et pouvait fournir une bonne base à des élections démocratiques.
47. Le Président de l'Assemblée nationale arménienne a sollicité
le 10 février 2011 l'avis de la Commission de Venise sur les propositions
d’amendements au Code électoral. L'avis conjoint
de
la Commission de Venise et du BIDDH/OSCE à ce propos a été adopté
le 20 juin 2011. Les autorités arméniennes nous ont fait savoir
qu’elles avaient eu connaissance des recommandations et inquiétudes
qu’il contenait avant même leur adoption formelle par la Commission
de Venise; cela avait permis, disaient-elles, d’en tenir compte
dans le nouveau Code électoral adopté le 26 mai 2011. Elles n'en
ont pas moins consulté à nouveau la Commission de Venise à son sujet;
cet avis n'avait pas encore été rendu au moment de la rédaction
du présent rapport et nous ne sommes donc pas en mesure de savoir
dans quelle mesure cette nouvelle mouture intègre bien les recommandations
et inquiétudes de la Commission de Venise. Nous engageons cependant
les autorités à tenir compte des dernières recommandations et inquiétudes
que pourrait contenir le prochain avis de la Commission de Venise
sur le nouveau Code électoral.
48. Dans leur avis intérimaire, la Commission de Venise et le
BIDDH/OSCE ont rendu hommage aux améliorations qu'apportait le nouveau
Code électoral en reprenant plusieurs recommandations antérieures
de la Commission de Venise et d'observateurs internationaux d'élections,
dont l'Assemblée. Mais la Commission de Venise n'en a pas moins
estimé que le projet était encore amendable sur plusieurs points,
notamment la formation des commissions électorales, les droits des
candidats, la réglementation des campagnes, la vérification des
résultats et les procédures de recours.
49. Le nouveau Code électoral introduit un modèle mixte professionnel-partisan
d'administration des élections: la Commission électorale centrale
et les commissions électorales de circonscription sont formées de fonctionnaires
nommés par des organismes indépendants
;
les commissions électorales de bureaux de vote sont nommées quant
à elles selon un modèle «partisan», qui permet à chaque groupe parlementaire
de l'Assemblée nationale de nommer un membre de chaque commission.
50. Le modèle professionnel de nomination de la Commission électorale
centrale et des commissions électorales de circonscription vise
à renforcer la confiance des parties prenantes et du public dans
le processus électoral et à faire obstacle à la politisation des
échelons supérieurs de l'administration des élections – un problème
par le passé. C'est pour la même raison que seuls des fonctionnaires
peuvent faire partie des commissions électorales de niveau supérieur:
leurs activités sont en effet régies par la loi sur la fonction publique,
qui punit sévèrement les agents publics coupables de fraudes et
d'abus de pouvoir dans l'exercice de leurs fonctions officielles.
On peut espérer que cela découragera les membres des commissions
électorales de se prêter à toute irrégularité dans l'exercice de
leurs fonctions.
51. Comme le notait la Commission de Venise, une administration
professionnelle des élections doit absolument inspirer la confiance
de toutes les parties prenantes dans la neutralité des institutions
de l'Etat. Cette confiance a souvent été ébranlée en Arménie; c'est
pourquoi nous appelons les autorités à faire en sorte que les fonctionnaires
membres des commissions électorales ne soient soumis à aucune pression,
et que l'impression ne puisse jamais être donnée qu'ils le sont.
52. Avec la plupart de nos interlocuteurs, nous pensons que le
Code électoral qui vient d'être adopté peut fournir une bonne base
à des élections démocratiques s'il est appliqué de bonne foi. Il
revient à présent à toutes les forces politiques de le traduire
en une pratique vivante, et de s'assurer qu'il est mis en œuvre
dans sa lettre comme son esprit.
53. Comme nous l'indiquions dans des rapports précédents, les
événements de mars 2008 traduisaient dans une large mesure l’effondrement
total de la confiance de la population dans le système politique
en général et dans la régularité de l'organisation des élections
en particulier, ce qui souligne toute l'importance des prochaines
élections: si elles sont démocratiques et suscitent la confiance
de la population arménienne, elles seront l’aboutissement de la
normalisation politique après les événements de mars 2008. Mais
un échec de l’appareil politique à mener des élections démocratiques
aurait de graves conséquences.
54. Il ne faut pas oublier non plus que les événements de mars
2008 ont eu pour effet qu’un grand nombre d'idées et de forces politiques
nouvelles sont privées de représentation au sein de l'Assemblée
nationale actuelle. Des mécanismes ont été mis en place et utilisés
pour associer l'opposition extraparlementaire à la réflexion sur
des aspects essentiels du développement politique du pays. Mais
c'est en fin de compte dans l’arène parlementaire que doivent se
tenir ces dialogues et débats, et l’on s'attend généralement à voir l'opposition
extraparlementaire actuelle y entrer après les élections. Eu égard
à ce que nous avons dit précédemment, cela contribuera à consolider
la démocratie dans le pays et la base sociale-démocrate nécessaire
aux réformes dont il a besoin.
55. Nous nous félicitons du fait que la réforme électorale ait
été menée à son terme bien avant les élections de l'année prochaine.
Cela garantit non seulement la stabilité du Code électoral au moment
du scrutin, mais aussi politise moins la réforme que si elle avait
eu lieu plus près des élections
. Cette approche stratégique et prospective
peut servir d’exemple à d'autres Etats membres du Conseil de l'Europe
envisageant de réformer leur code électoral.
56. Le Congrès national arménien a réclamé des élections législatives
et présidentielles anticipées, et en a fait une condition clé au
récent dialogue avec la coalition au pouvoir
. Nous avons déjà dit à quel point il importe
que le public et les parties prenantes aient confiance dans le processus
électoral. Or cela exige du temps et des préparatifs de l'administration
des élections comme de tous les partis en lice. Nous craignons que la
tenue précoce d'élections ne détériore la qualité de leur organisation,
ce qui ne favoriserait pas l'émergence de la confiance voulue dans
le processus. De plus, il nous semble que des élections anticipées
ne permettraient de gagner tout au plus que quelques mois sur la
date normale.
57. L'observation des élections doit être nationale, mais présenter
aussi une dimension internationale pour susciter la confiance nécessaire
dans le processus électoral. Nous appelons donc les organisations internationales
à faire en sorte que les prochaines élections soient suivies par
des observateurs internationaux en nombre suffisant pour qu'ils
soient présents dans un maximum de bureaux de vote. Dans ce but,
nous recommandons également à notre Assemblée d’affecter une délégation
substantielle à la mission internationale d'observation des élections.
4.2. Réforme de la justice
58. La justice arménienne continue de présenter un fonctionnement
très préoccupant, surtout par manque d'indépendance. Le problème
ne date pas des événements de mars 2008: de l’avis de l'Assemblée,
ce manque d’indépendance figurait parmi les causes sous-jacentes
du mécontentement dont ils étaient l’expression – à côté du peu
de foi qu’éprouve la population arménienne dans l’impartialité des
juges. L'Assemblée a donc demandé, dans sa Résolution 1609 (2008),
que les autorités intensifient leurs efforts pour mettre en place
un pouvoir judiciaire véritablement indépendant et renforcer la
confiance de la population dans les tribunaux
.
59. Ce dysfonctionnement de la justice a été souligné dans le
rapport du BIDDH de l'OSCE sur l'observation des procès des personnes
arrêtées à la suite des événements de mars 2008. Ce document met
au jour de graves dysfonctionnements dans les décisions de justice
et suscite des questions sur la mise en œuvre en Arménie du droit
à un procès équitable visé à l'article 6 de la Convention européenne
des droits de l'homme (STE no 5).
60. De plus, la justice arménienne reste très centrée sur l'accusation
et penche manifestement du côté de cette dernière et de la police;
cela conduit à s'interroger sur le respect de l'égalité entre l'accusation
et la défense et de la présomption d'innocence. Cette prévention
en faveur des autorités occupe aussi une place très importante dans
la lutte contre les brutalités et les mauvais traitements policiers
. Comme l'indiquait
le rapport
récemment publié par
le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines
ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), il conviendrait de
rappeler aux juges arméniens qu'ils doivent réagir convenablement
aux dénonciations et allégations d'abus et de mauvais traitements
policiers; en ne le faisant pas, ils risqueraient de créer ou d’entretenir
un inquiétant climat d'impunité autour des bavures policières.
61. Les autorités sont conscientes des problèmes touchant au système
judiciaire et à l'indépendance de la justice; elles ont donc fait
de la réforme de la justice l'une des composantes prioritaires de
leur train de réformes. Cet effort n’a toutefois pas encore donné
les résultats escomptés. La plupart de nos interlocuteurs considèrent
que le manque d'indépendance et la corruption sont endémiques dans
l'appareil judiciaire, et constituent l'un des grands freins au
développement de la société arménienne.
62. Ces préoccupations ont été rappelées par le nouveau ministre
de la Justice, qui a placé la lutte contre la corruption de la justice
et le renforcement de son indépendance au cœur de sa politique.
Lors de sa récente visite à Strasbourg, le ministre nous a informés
que, malgré l’existence de garanties légales écrites, l'appareil judiciaire
n’est pas vraiment indépendant dans la pratique, et que de nouvelles
réformes s’imposent.
63. Nous nous félicitons de la priorité donnée à ces problèmes
par le nouveau ministre de la Justice, et de sa claire volonté politique
d’en venir à bout. Nous soulignons en même temps que la réforme
de la justice est un processus de longue haleine, qu'elle ne doit
pas se limiter à une action législative, mais englober aussi une ample
politique de mise en œuvre visant à faire évoluer les mentalités
et les pratiques.
4.3. Réforme de la police
64. Les événements des 1er et 2 mars 2008 ont bien mis
au jour la nécessité de réformer la police en profondeur. Comme
indiqué précédemment, le rapport de la commission d'enquête parlementaire
ad hoc soulevait de graves interrogations sur la façon dont la police
les avait gérés. Dans la suite, des mutations ont été opérées au
sommet de la police nationale, ce qui dénoterait un certain mécontentement
des autorités à l’égard de l'action des forces de maintien de l’ordre
au cours de ces journées. Mais cela ne saurait se substituer à une
enquête complète sur la responsabilité de la chaîne de commandement
dans les dix morts survenues à cette occasion, comme nous l'avons
déjà indiqué à plusieurs reprises. Une série de réformes a spécifiquement été
lancée pour améliorer les techniques policières d'encadrement des
grandes foules. De plus, les directives de recours aux «moyens spéciaux»
(un terme utilisé en Arménie pour désigner des armes spéciales et
d'autres formes d’usage de la force par la police) dans des manifestations
ont été notablement révisées, dans l'intention de prévenir les abus
et les blessures.
65. Mais des inquiétudes avaient déjà été exprimées à propos de
la police avant les événements de mars 2008, notamment sur des points
évoqués dans le rapport de la Commission d'enquête. Le recours excessif
à la force, ainsi que la corruption et la falsification de preuves
pour obtenir une condamnation sont malheureusement endémiques dans
la police arménienne. Cela avait également été mis en lumière dans
le rapport du CPT appelant les autorités arméniennes à indiquer
clairement à tous les membres des forces de l'ordre que les mauvais
traitements infligés à des personnes dont ils ont la garde sont
illicites et seront sévèrement sanctionnés sous forme de poursuites
pénales
.
66. Nous ajoutons que les autorités arméniennes sont conscientes
de ces problèmes et ont annoncé une réforme en profondeur de la
police. A cet égard, nous nous félicitons des nombreuses réformes
lancées sous l'autorité du nouveau directeur adjoint de la police.
Mais nos rencontres avec les officiers supérieurs de la police nous
ont malheureusement donné la claire impression que ces réformes
se heurteront à de considérables résistances internes.
67. La structure institutionnelle des forces de l’ordre constitue
une autre entrave à ces réformes. L'Arménie n'a pas de ministère
de l'Intérieur: pratiquement autonome, la police relève directement
du Président et n'a de comptes à rendre qu'à lui. Ce qui veut dire
qu'elle n'est soumise que dans une mesure restreinte au contrôle public
et n'a pas vraiment à répondre de ses actes devant le parlement.
Cette structure rend peu crédibles ses enquêtes sur son propre comportement,
comme on l’a clairement vu à propos des événements de mars 2008, dans
lesquels elle avait joué un rôle.
68. L'Assemblée avait demandé qu'un mécanisme de contrôle public
efficace de la police soit garanti dans la loi et en pratique
:
nous recommandons instamment à sa suite que la police soit placée
sous contrôle civil et réponde normalement de son action devant
le parlement, par exemple par la restauration d'un ministère de l'Intérieur.
69. L'une des pierres angulaires de la réforme de la police annoncée
par les autorités était la création d'un mécanisme indépendant de
réception et d’instruction des plaintes déposées contre elle. Ce
mécanisme devait permettre à une entité indépendante d'enquêter
sur les allégations de bavures policières. Une première proposition
en ce sens a été préparée par le secrétariat du Président arménien
et soumise pour appréciation au Conseil de l'Europe.
70. Dans leur avis
,
les spécialistes du Conseil de l'Europe ont reconnu que le mécanisme
proposé contribuerait utilement à la lutte contre les abus et les
fautes professionnelles de la police. Mais ils ont estimé que d'autres
mesures seraient nécessaires pour rendre un tel mécanisme véritablement
indépendant, efficace et crédible.
71. Les autorités proposent que tous les membres de la commission
d’instruction des plaintes soient choisis et nommés par le Président,
mais les experts estiment que cela nuirait à leur indépendance.
De plus, ils ont jugé que les critères de sélection des membres
de la commission étaient trop restrictifs et que cela pourrait porter
atteinte à la qualité et à l'efficacité des enquêtes; ils ont donc
recommandé d’ouvrir le profil des membres et souhaité que ces derniers
soient sélectionnés par un corps élu, comme l’exigent les normes
européennes en la matière. De plus, les experts ont recommandé d'abandonner
la limitation excessive de l'étendue et de la nature des plaintes
que connaît le mécanisme, et de donner à ce dernier la mission et
les moyens de mener ses propres enquêtes et vérifications.
72. Les autorités nous ont malheureusement fait savoir qu'elles
ne jugent pas souhaitable de mettre en place un tel mécanisme dans
l’état actuel des choses. Avec d'autres de nos interlocuteurs, comme
le défenseur des droits de l'homme, elles estiment que, dans le
contexte politique et institutionnel actuel, cela ne ferait qu'ajouter
une couche de corruption supplémentaire sous les pas des citoyens
ayant à se plaindre de bavures policières. Elles n’en ont pas moins
souligné leur intention de créer un véritable mécanisme d’examen des
plaintes dès que seraient réunies les conditions requises.
73. Tout en reconnaissant la valeur de cet argument, nous soulignons
qu’il ne saurait être question de différer éternellement la mise
en place du mécanisme de réception et d’instruction des plaintes.
Nous appelons donc les autorités à préparer un calendrier clair
de réalisation et une liste des conditions à réunir au préalable, avec
les actions à entreprendre dans ce but, et à nous communiquer ces
informations.
4.4. Pluralisme des
médias
74. Il est essentiel pour son développement démocratique
que l'Arménie se dote des médias authentiquement pluralistes qui
lui font actuellement défaut. C'est pourquoi l'Assemblée a toujours
appelé les autorités à favoriser l'émergence d'un paysage médiatique
pluraliste et à permettre que l’attribution des licences de diffusion
se fasse par une adjudication ouverte, juste et transparente, conformément
aux directives du Comité des Ministres et à la jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l'homme.
75. Une procédure d'adjudication des licences de diffusion a eu
lieu entre juillet et décembre 2010, comme l'avait demandé la Cour
dans sa décision sur le refus d'attribution d'une licence à la chaîne
de télévision A1+, au terme d’un délai que les autorités avaient
justifié par des contraintes techniques liées à la diffusion numérique
en Arménie. L'appel d'offres portait sur 25 licences, mais la grande
question était de savoir si A1+ recouvrerait la sienne. Pour de
nombreux observateurs, la réponse donnerait une indication de la
volonté des autorités d’ouvrir le paysage médiatique arménien et
de favoriser un authentique pluralisme.
76. La Commission nationale de télévision et de radiodiffusion
(CNTR) a adopté le 16 décembre 2010 une décision controversée
annonçant
que la chaîne A1+ n'aurait pas de licence au motif que le dossier
de soumission de sa société holding, Meltex LLC, n'était pas recevable
du fait qu'un certain nombre de pièces prouvant l'existence des
ressources financières nécessaires avaient été falsifiées ou étaient
dénuées de fondement. Les propriétaires de la société Meltex LLC
se sont inscrits en faux contre cette allégation, et des observateurs
ont noté que d’autres soumissionnaires avaient été retenus malgré
des erreurs techniques et des omissions dans leurs dossiers. Sans
vouloir porter d'appréciation sur la décision de la CNTR
, nous regrettons que les
autorités (en l’occurrence la CNTR) aient rejeté, pour des motifs
de nature apparemment purement technique ou administrative, la soumission
d’A1+ tout en ayant pleine conscience de son importance, et sans
donner à Meltex la possibilité de corriger ou de clarifier l'information
fournie dans son dossier de soumission.
77. A leur 1115e réunion, les 7 et 8 juin 2011, les Délégués des
Ministres ont adopté leur Résolution CM/ResDH(2011)39 relative à
l'exécution de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme
dans l'affaire Meltex et Mesrop Movsesyan c. l'Arménie, dans laquelle
ils décident de clore l'affaire au motif que Meltex a pu participer
à un appel d'offres transparent, à l’issue duquel a été rendue une
décision rationnelle que la requérante peut contester devant les
tribunaux arméniens. Cette décision a été très critiquée dans l'opposition arménienne
et très largement aussi dans la société civile et les milieux médiatiques:
il lui était reproché d’avoir été prise à la hâte, à un moment où
la procédure de la CNTR était encore en cours, et de ne pas tenir
dûment compte de tous les éléments.
78. Il convient de bien faire ici la distinction entre l’injonction
de la Cour européenne des droits de l'homme dans cette affaire et
la position de l'Assemblée (exprimée dans plusieurs de ses résolutions)
sur le pluralisme des médias en Arménie. La Cour ordonnait aux autorités
arméniennes d'organiser un appel d'offres ouvert et transparent
en vue de l'octroi des licences; l'Assemblée, quant à elle, a toujours
réclamé de surcroît que l’adjudication produise un paysage médiatique
plus diversifié et pluraliste.
79. La législation arménienne sur la télévision et la radiodiffusion
a été notablement modifiée en 2010, après étroite consultation du
Conseil de l'Europe. Tout en nous félicitant des progrès qu’introduit
dans l'ensemble le nouveau texte, nous estimons qu’il ne tient pas
suffisamment compte d'un certain nombre d'éléments essentiels à
l'instauration d'un paysage médiatique ouvert et authentiquement
pluraliste. Le résultat du récent appel d'offres ne saurait en tout
cas être considéré comme répondant aux exigences de l'Assemblée
à cet égard.
80. L'un des grands problèmes que pose le dispositif de réglementation
et d'octroi des licences réside dans la composition de la Commission
nationale de la télévision et de la radiodiffusion. La nouvelle
législation s'efforce de garantir l'indépendance de ses membres
et met en place une procédure transparente et ouverte de nomination;
mais elle n'exige pas que la commission dans son ensemble soit véritablement
représentative de la société arménienne, ni des courants d'opinion
qui s’y rencontrent. Le mode actuel de sélection des membres de
la commission (50 % nommés par le Président de la République, 50 %
par le parlement – au sein duquel la coalition au pouvoir possède
une confortable majorité) ne produit pas nécessairement une commission
composite et impartiale sur le plan politique. Nous souhaitons rappeler
que l'Assemblée a demandé que la CNTR soit véritablement représentative
de la société arménienne
.
81. La conformité aux normes européennes exige des autorités arméniennes
qu'elles veillent à garantir et à promouvoir le pluralisme des médias
à l'introduction de la télévision et de la radio numériques, ainsi
qu’à l'attribution des licences de diffusion
.
Mais plusieurs experts, dont nous partageons l’opinion, ont estimé
que la législation actuelle n'exige ou ne garantit pas suffisamment
que la CNTR intègre l'impératif de pluralisme dans ses décisions
en la matière
.
La loi prévoit bien qu'il convient de tenir compte de la capacité
à promouvoir le pluralisme dans l'attribution des licences (ce qui
remet aux organismes de diffusion la responsabilité d'assurer le
pluralisme), mais elle n'impose nulle part à la CNTR de favoriser
le pluralisme des médias par l’octroi des licences. C'est une faiblesse
majeure de la législation actuelle, à laquelle il convient de remédier
en prévoyant clairement dans la loi que le pluralisme doit être
l'un des objectifs de la CNTR dans l'attribution des licences.
82. Un certain nombre d'expertises des résultats de l'adjudication
des licences d'émission nous ont laissé sur la claire impression
que la loi accorde un pouvoir discrétionnaire trop large, et donc
une marge d'arbitraire, à la CNTR dans l'application des critères
d'attribution des licences – ce qui est contraire aux normes internationales.
83. L’introduction de la technologie numérique multiplie les fréquences
disponibles et permet donc d'accroître considérablement le nombre
des licences. Mais dans la législation arménienne, les licences
de diffusion numérique sont liées, comme toutes les autres, aux
licences de diffusion analogique; l'introduction de la technologie
numérique a donc eu pour effet de réduire – temporairement, d'après
les autorités – le nombre des licences disponibles.
84. Il est très important, pour assurer le pluralisme des médias,
de donner à un grand nombre de groupes intéressés un accès relativement
aisé à ce marché
.
Devant les possibilités de la technologie numérique, nous appelons
les autorités arméniennes à ne plus lier les licences de diffusion
numérique à la diffusion analogique, et à organiser très prochainement
un appel d'offres visant à l'attribution d'un nombre suffisant de licences
de diffusion numérique, avec pour clair objectif d'élargir le pluralisme
et la diversité des médias dans le pays.
85. L'Assemblée s'est inquiétée à plusieurs reprises de l’existence
de liens étroits entre les intérêts commerciaux et politiques. Il
est important que des mesures soient prises dans ce contexte pour
prévenir l'apparition de fait ou de droit d'un monopole sur les
médias arméniens.
5. Dialogue
86. L'Assemblée a constamment appelé au dialogue entre
les autorités et l'opposition, y compris extraparlementaire, dans
toutes ses résolutions faisant suite aux événements de mars 2008.
87. Après la libération des dernières personnes détenues à la
suite des événements de mars 2008, la reprise de l'enquête sur les
dix décès survenus à cette occasion et l’abrogation de l'interdiction
de manifester sur la place de la Liberté, le Congrès national arménien
a annoncé qu'il était disposé à engager un dialogue avec les autorités
sur la normalisation de la situation politique et le développement
démocratique du pays. Les autorités ont alors proposé l’ouverture
de pourparlers à durée non limitée entre la coalition au pouvoir
et le CNA sous les auspices du Conseil public. La première de ces
rencontres a eu lieu le 18 juillet, la seconde le 26 juillet 2011.
88. Nous nous félicitons du démarrage de ce dialogue auquel nous
avons constamment appelé entre la coalition au pouvoir et l'opposition
extraparlementaire. Mais nous rappelons que le dialogue avec cette dernière
doit avancer en parallèle avec un dialogue constructif mené par
la coalition au pouvoir et l'opposition parlementaire dans le cadre
du fonctionnement de l'Assemblée nationale.
89. Le Congrès national arménien a indiqué que l’unique objectif
de ce dialogue est pour lui l'organisation d'élections législatives
et présidentielles anticipées. Tout en reconnaissant que cette revendication
constitue une stratégie politique légitime, nous appelons toutes
les parties à ne pas limiter le dialogue à un petit nombre de sujets
potentiellement polémiques. Nous pensons que le dialogue entre l'opposition
et la coalition au pouvoir – qu’il se déroule au sein de l'Assemblée
nationale ou dans le cadre de pourparlers directs – doit viser à
la normalisation complète de la situation politique, à l’organisation
d’élections démocratiques et à l’instauration d’un climat à la faveur
duquel un scrutin véritablement démocratique départage les forces politiques
en présence et suscite la pleine confiance des électeurs arméniens.
6. Conclusions
90. Nous nous félicitons de la dernière amnistie générale
adoptée par l'Assemblée nationale sur proposition du Président arménien
qui a conduit à la libération de toutes les personnes détenues à
la suite des événements de mars 2008. Cette libération, la reprise
de l'enquête sur les dix décès survenus à cette occasion, puis le lancement
d'un dialogue constructif entre l'opposition et la coalition au
pouvoir signifient que notre Assemblée peut elle aussi à présent
tourner la page sur les événements de mars 2008.
91. Mais, en même temps, ces événements et leurs répercussions
ont clairement dégagé les priorités du développement démocratique
du pays et, ainsi, de la procédure de suivi: l'organisation d'élections
législatives véritablement démocratiques, d’où sorte un parlement
authentiquement représentatif de la société arménienne; l’émergence
d'une classe politique solide, démocratique et pluraliste, jouissant
de la pleine confiance du peuple arménien; la mise en place d'un
paysage médiatique ouvert et pluraliste; la réforme de la police;
et la réforme de la justice visant à garantir son indépendance juridique
et pratique. Mais nous soulignons que ces priorités, aussi cruciales
soient-elles, ne diminuent en rien l'importance qu’il convient d’accorder
aux autres obligations et engagements contractés par l'Arménie devant
le Conseil de l'Europe.
92. Nous tenons enfin à rendre hommage à la coopération étroite
et constructive qui s'est tissée entre les autorités arméniennes
et l'Assemblée parlementaire, bien que les sujets abordés aient
été fréquemment délicats, voire douloureux. Cette coopération a
présenté, à notre avis, un caractère exemplaire dans le cadre de
la procédure de suivi. Nous avons souvent bien sûr émis des suggestions,
nous avons parfois fait office de médiateur entre les forces et
les intérêts en présence, mais les problèmes étaient complexes et
les solutions sont venues des forces et des acteurs politiques arméniens
eux-mêmes, comme il se devait. De grandes tâches nous attendent
encore, gageons que cette coopération se poursuivra, et même se
renforcera.