1. Introduction
1. Le 6 mars 2010, l’éditorial du magazine The Economist commençait ainsi:
«Imaginez que vous êtes un jeune couple qui attend son premier enfant
dans un pays pauvre en plein essor. Vous faites partie de la nouvelle
classe moyenne; vos revenus sont en hausse; vous voulez une famille
peu nombreuse. Mais l’influence des mœurs traditionnelles se fait
lourdement sentir, tout particulièrement la préférence pour un fils plutôt
qu’une fille. Il est possible qu’un dur travail physique soit encore
à fournir pour assurer la subsistance de la famille; que seuls les
fils puissent hériter de la terre; que les filles soient tenues
de rejoindre une autre famille à leur mariage – or vous voulez que
quelqu’un s’occupe de vous pendant votre vieillesse. Une fille aura
de plus peut-être besoin d’une dot. Imaginez maintenant que vous
avez fait une échographie. Cela coûte 12 dollars, mais vous pouvez
les payer. L’échographie révèle que l’enfant à naître est une fille.
Personnellement, vous préféreriez un garçon. Le reste de la famille
appelle un garçon de tous ses vœux. Jamais vous ne tueriez un bébé
fille, comme cela se fait dans les villages. Mais un avortement,
c’est différent n’est-ce pas? Que faites-vous? Pour des millions
de couples, la réponse est: avorter si c’est une fille, pour essayer
d’avoir un garçon.»
2. Dès 1990, l’économiste indien Amartya Sen a dévoilé pour la
première fois la réalité choquante qui se cache derrière ce gynocide
dans un article intitulé «Plus de cent millions de femmes manquent
à l’appel»
. Cet article montrait que dans la
plus grande partie de l’Asie et de l’Afrique du Nord, la tendance
à négliger les femmes et à prêter moins d’attention à leur alimentation,
soins médicaux et aide sociale se traduisait par un taux de mortalité
supérieur à celui des hommes.
3. Depuis, le nombre de femmes manquantes ne cesse d’augmenter
par millions. Cela est dû également aux progrès de la technologie,
qui ont permis aux parents de connaître à l’avance le sexe de leur
embryon/fœtus et de recourir à l’avortement des filles. L’existence
de ce phénomène, depuis des décennies, est manifeste pour tout le
monde en raison des déséquilibres observés dans le taux de naissances
par sexe, c’est-à-dire le rapport entre le nombre de garçons et
de filles («sexe-ratio asymétrique»).
4. «A la naissance, les garçons sont plus nombreux que les filles
partout dans le monde, grosso modo dans la même proportion – il
y a environ 105 ou 106 garçons pour 100 filles. Pourquoi la biologie
de la reproduction donne ce résultat reste matière à débat. Mais
après la naissance, la biologie semble globalement favoriser les femmes.
De nombreuses recherches ont fait apparaître qu’à égalité de traitement
– sur le plan nutritionnel, de la prise en charge médicale et des
soins de santé en général –, les femmes tendent à vivre sensiblement
plus longtemps que les hommes. Elles semblent être globalement plus
résistantes aux maladies et en général plus solides que les hommes.
C’est un avantage qu’elles possèdent non seulement après l’âge de
quarante ans mais aussi en début de vie, notamment dans les mois
suivant la naissance, et même dans l’utérus. Lorsqu’elles bénéficient
des mêmes soins que les hommes, les femmes tendent à avoir de meilleurs
taux de survie
.»
5. Le sexe-ratio à la naissance s’exprime généralement en nombre
de garçons pour 100 filles. Naturellement, il se situe dans une
fourchette de 105 à 106 afin de compenser le taux de mortalité plus
élevé des garçons. Le taux naturel à la naissance ne varie pas de
façon marquée en fonction de l’ordre de naissance (premier, deuxième
ou troisième enfant)
.
Les distorsions de ce taux à la naissance attestent une ingérence délibérée.
6. Plusieurs pays dans le monde font état d’un déséquilibre de
leur taux: la Chine (113), l’Inde (112), la Corée du Sud (107),
l’Albanie (112), l’Arménie (112), l’Azerbaïdjan (112) et la Géorgie
(111). Dans tous ces pays, le nombre de bébés de sexe féminin est
inférieur au taux naturel à la naissance
. Malheureusement, ils n’ont pas
tous la même conscience du problème de la sélection prénatale en
fonction du sexe.
2. Origine,
portée et méthodologie du rapport
7. L’origine du présent rapport est une proposition
de résolution présentée par M. Volontè et plusieurs de ses collègues
. Cette proposition définit l’avortement
sélectif selon le sexe du fœtus comme une nouvelle tendance mondiale
qui résulte de la combinaison du recours fréquent à l’avortement
comme moyen de planification des naissances et de la facilité d’accès
à la technologie de détermination du sexe avant la naissance.
8. Ce rapport devrait également être considéré comme une suite
à la
Résolution 1654
(2009) et à la
Recommandation
1861 (2009) sur les féminicides, qui couvraient des cas de féminicides
en Europe et invitaient, entre autres mesures, les Etats membres
du Conseil de l’Europe «à réfléchir à l’introduction de circonstances
aggravantes dans les lois pénales lorsque les femmes victimes ont
subi des violences ou ont été tuées en raison de leur sexe».
9. Dans le présent rapport, je me propose:
- de mettre l’accent sur la question de la sélection du
sexe avant la naissance, comme suggéré dans la proposition originale,
sans aborder les formes de sélection après la naissance qui sont
lourdes de conséquences pour les chances de survie des femmes, comme
le meurtre, l’abandon, le manque de soins, l’inégalité d’accès aux
soins médicaux et à d'autres prestations;
- d'élargir la portée de la proposition originale en englobant
les méthodes de sélection du sexe autres que l’avortement.
10. Par ailleurs, alors que la proposition originale mentionne
pour l’essentiel des pays non européens, je souhaite me concentrer
sur l’Europe, car c’est cette région qui préoccupe au premier chef
le Conseil de l’Europe. C’est pourquoi, lors de la préparation du
rapport, j’ai mené une recherche documentaire, collecté des informations
par le biais de questionnaires adressés aux délégations parlementaires
des Etats membres du Conseil de l’Europe présentant les sexe-ratios
à la naissance les plus asymétriques (Albanie, Arménie, Azerbaïdjan
et Géorgie), et effectué une visite d’information en Arménie et
en Géorgie du 14 au 17 juin 2011
. Je
tiens à remercier les délégations parlementaires de ces pays pour
leur soutien, leur assistance et leur coopération.
3. Terminologie
11. Le terme «gendercide» employé
dans la proposition originale – que l’on pourrait traduire par «généricide»
– a été utilisé pour la première fois en 1985 par la philosophe
Mary Anne Warren dans l’ouvrage intitulé Gendercide:
The Implications of Sex Selection, par analogie avec
la notion de génocide. C’est un terme sexuellement neutre qui fait
référence à l’élimination délibérée de personnes appartenant à l’un
ou l’autre sexe, en raison de leur sexe.
12. Mary Anne Warren a écrit: «Par analogie, le généricide serait
l’extermination délibérée de personnes d’un sexe donné (ou genre).
D’autres termes, comme “gynocide” et “féminicide”, ont été employés
pour faire référence au meurtre de fillettes et de femmes innocentes.
Mais le terme “généricide” est sexuellement neutre, au sens où les
victimes peuvent être de sexe masculin ou féminin. Un terme sexuellement
neutre est nécessaire étant donné que les meurtres motivés par une
discrimination sexuelle sont tout aussi intolérables lorsque les
victimes sont de sexe masculin. Ce terme attire également l’attention
sur le fait que les rôles attribués aux hommes et aux femmes ont
souvent eu des conséquences fatales. Ce sont là des aspects importants,
analogues aux conséquences fatales des préjugés raciaux, religieux
ou liés à la classe sociale.»
13. J’emploierai également une expression sexuellement neutre:
«la sélection prénatale en fonction du sexe», qui peut faire référence
aussi bien aux deux sexes. Cependant, les statistiques indiquent
que, partout dans le monde, la sélection prénatale en fonction du
sexe affecte principalement le sexe féminin. Bien que certains groupes
sociologiques spécifiques affichent une préférence pour les filles,
le phénomène n’est statistiquement pas pertinent au point d’avoir
une incidence sur le sexe-ratio à la naissance.
14. Par ailleurs, je voudrais employer une terminologie neutre
s’agissant de la nature de l’embryon/du fœtus et de la question
de son droit à la vie. J’ai pris cette décision dans la mesure où
l’objectif du rapport est de donner des informations sur la question
négligée de la sélection du sexe en Europe tout en respectant les différents
points de vue personnels, culturels ou religieux concernant l’avortement
et la notion de «vie». Sans considération de mon opinion personnelle
concernant l’avortement, j’espère que le recours à une approche neutre
me permettra de proposer une position sur la question de la sélection
du sexe avant la naissance qui réunira un large consensus.
15. Pour cette même raison, j’ai proposé de modifier le titre
du rapport et de l’intituler «La sélection prénatale en fonction
du sexe», afin d’aborder la question de la sélection prénatale du
sexe quelle que soit la façon dont elle est pratiquée. Je vais en
effet traiter non seulement de l’avortement, mais encore du diagnostic
génétique préimplantatoire (DPI) et d’autres méthodes potentielles
de sélection du sexe. Je me réjouis que la commission sur l'égalité
des chances pour les femmes et les hommes ait accepté cette proposition.
16. Enfin, je tiens à souligner les liens entre sélection prénatale
en fonction du sexe et violence à l’encontre des femmes. Conformément
à l’approche neutre évoquée précédemment, je m’abstiendrai de définir
la sélection prénatale en fonction du sexe comme une forme de violence
envers les femmes en tant que telle, car une telle définition impliquerait
que le fœtus de sexe féminin est une femme.
17. La sélection prénatale en fonction du sexe trouve toutefois
ses racines dans la discrimination à l’égard des femmes dans la
société; elle coexiste et renforce certaines formes de violence
fondée sur le sexe perpétrées envers les femmes et les filles, et
perpétue la discrimination fondée sur le genre. Dans de nombreux pays,
les femmes subissent de fortes pressions familiales pour avorter
des fœtus de sexe féminin, parce que le statut social des femmes
est inférieur à celui des hommes et que les femmes sont davantage
un fardeau qu’une aide. D’autre part, le déséquilibre démographique
provoqué par la sélection du sexe contribue à certaines formes de
violence envers les femmes, telles que la prostitution forcée et
la traite aux fins d’exploitation sexuelle ou de mariage.
4. Méthodes de sélection
prénatale du sexe
18. Dans le monde entier, la méthode la plus courante
et la moins onéreuse de sélection prénatale en fonction du sexe
est l’avortement. Cependant, au cours des dernières années, les
développements scientifiques ont permis de choisir le sexe de l’enfant
à naître par d’autres méthodes. Certaines n’ont pas été conçues
à l’origine à des fins de sélection du sexe et ne sont pas encore
très répandues, notamment en raison de leur coût, mais elles soulèvent
de graves questions éthiques et morales. Il est important de les
évoquer dans le présent rapport car elles peuvent être utilisées
en tant que méthode de sélection du sexe.
4.1. Méthodes les plus
courantes d’identification du sexe
19. Depuis 1980, la disponibilité des technologies prénatales
a connu un essor considérable: l’amniocentèse, l’une des premières
techniques utilisées aux fins de la détermination du sexe, présentait
des contraintes techniques et était onéreuse. Elle était généralement
pratiquée par des personnels médicaux après 16 semaines de grossesse.
20. Plus tard, les ultrasons beta sont apparus. Cette technologie
peut être utilisée pour l’identification du sexe fœtal aux alentours
de la seizième semaine de grossesse et présente moins de contraintes
sur le plan technique. Elle est de plus en plus proposée à bas prix
par des personnels non médicaux: le matériel coûte de l’ordre de
quelques centaines de dollars des Etats-Unis seulement, et le montant
de la prestation oscille entre 15 et 30 dollars.
21. Cette technologie a vite été rendue largement disponible et
mise en avant en tant qu’outil de sélection du sexe, principalement
en Asie du Sud et de l’Est. Combinée à l’avortement, c’est la méthode
la plus courante de sélection du sexe dans le monde entier.
4.2. Développement de
nouvelles méthodes d’identification du sexe
23. Des tests plus sophistiqués ont été récemment mis au point
à partir d’un échantillon de sang prélevé à l’extrémité du doigt.
Le
Journal of the American Medical Association a
publié le 9 août 2011 une étude sur ces tests, qui permettent d’obtenir
des résultats précis à sept semaines de grossesse (95% de fiabilité)
. L’entreprise Consumer Genetics,
qui commercialise le test «Pink or Blue», demande à ses clients
de signer un document par lequel ils s’engagent à ne pas utiliser
le test à des fins de sélection du sexe
.
24. Un autre type de test analyse les hormones dans l’urine et
peut être réalisé à domicile. Cette méthode n’a pas encore été étudiée
et analysée en détail, mais certaines études indépendantes ont fait
mention de taux de fiabilité de 90% à dix semaines de grossesse
.
4.3. Sélection du sexe
avant la grossesse
25. Le tri des spermatozoïdes avant fécondation, également
appelé «technologie Microsort», augmente les chances de concevoir
un embryon du sexe souhaité. Il sépare les spermatozoïdes à chromosome
X (qui déterminent le sexe féminin) des spermatozoïdes à chromosome
Y (qui déterminent le sexe masculin). La technologie Microsort a
fait l’objet d’un essai clinique réservé à des couples souhaitant
réduire la transmission et/ou l’impact sur la santé de maladies
génétiques liées au sexe ou propres à l’un des sexes. «Les premiers résultats
indiquent qu’avec un tri des spermatozoïdes en vue de l’obtention
d’un embryon femelle, près de 9 patientes enceintes sur 10 ont obtenu
le résultat escompté, et avec la même opération mais en vue de l’obtention
d’un embryon mâle, il en a été de même pour environ trois patientes
enceintes sur quatre. La Food and Drug Administration (FDA) américaine
n’a pas examiné ces résultats et n’a pas encore déterminé la sécurité
et l’efficacité de la technologie Microsort.»
26. Le diagnostic génétique préimplantatoire (DPI) permet d’identifier
les chromosomes des embryons créés par fécondation in vitro (FIV),
afin de détecter les anomalies chromosomiques. «Seuls les embryons dotés
des caractéristiques génétiques requises sont implantés dans l’utérus
de la femme. Ceci peut signifier de sélectionner les embryons du
sexe choisi ou que l’on sait exempts d’une anomalie génétique particulière.»
27. Dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe,
la FIV et le DPI sont réglementés par la loi et autorisés, sous
certaines conditions et circonstances, dans le but d’assister la
reproduction en cas d’infertilité ou d’éviter la transmission d’anomalies
génétiques. Dans le cas du DPI, cependant, la procédure de test
peut également déterminer le sexe de l’embryon et pourrait par conséquent
être utilisée par des parents qui voudraient choisir le sexe de
leur enfant pour des raisons non médicales.
5. Les raisons de
la sélection du sexe avant la naissance
28. De nombreuses études sociologiques ont été menées
pour identifier les principales raisons menant les individus à choisir
le sexe de leur futur enfant.
5.1. Préférence pour
un fils et inégalité hommes-femmes
29. La préférence pour un fils, profondément ancrée dans
plusieurs sociétés, va de pair avec une culture d’inégalité entre
les hommes et les femmes et de discrimination envers ces dernières.
30. Parfois, les causes sous-jacentes de la préférence pour un
fils sont d’ordre économique – par exemple lorsque seul le fils
peut hériter des biens, ce qui rend les filles moins désirables
si les parents veulent conserver leurs terres et s’assurer une certaine
sécurité pendant la vieillesse. Le système de la dot, en raison
du fardeau financier qu’il impose aux parents qui ont des jeunes
filles à élever, constitue un autre facteur important.
31. La préférence pour un fils tient également à des raisons culturelles,
comme la transmission du nom de famille. Avoir un fils peut être
considéré comme un aspect essentiel du respect des obligations envers
la lignée familiale.
32. Si la préférence pour un fils prévaut partout dans le monde,
les Etats-Unis affichent une préférence pour les filles. Dans son
récent ouvrage, Mara Hvistendahl explique cette tendance par la
conception qu’ont les Américains des filles, à savoir qu’elles ont
un comportement plus calme et obtiennent de meilleurs résultats scolaires
. Les parents désireux de choisir
le sexe de leur enfant estiment que les garçons sont une source d’anxiété
culturelle. Les idées préconçues sur l’évolution des filles influent
sur la décision des futurs parents
.
5.2. Recherche d’un
équilibre au sein de la famille
33. Les données montrent que les parents ayant déjà deux
ou trois enfants de même sexe ont tendance à vouloir choisir le
sexe du prochain enfant afin de rééquilibrer la composition de la
famille
(«family-balancing») . Bien qu’une préférence pour les
fils en Chine, en Inde et dans quelques pays européens soit nette,
la recherche d’un équilibre au sein de la famille ne mène pas nécessairement
à la sélection des embryons/fœtus mâles dans le reste du monde.
Les familles aisées utilisent les techniques nouvellement développées
pour avoir un enfant du sexe de leur choix, féminin ou masculin.
5.3. Réduction de la
taille des familles
34. La baisse de la fertilité et la volonté d’avoir une
famille peu nombreuse peuvent également être des incitations à choisir
le sexe des futurs enfants. De même, combinée à la préférence profondément
ancrée pour un fils, la «politique de l’enfant unique» en Chine
constitue un élément de poids qui explique le déséquilibre des naissances
dans ce pays. En Europe également, les contraintes économiques sont
un facteur contribuant à la formation de familles moins nombreuses
.
5.4. Raisons médicales
35. Lorsque les techniques de tri des embryons ont été
mises au point, leur première application a été la sélection du
sexe. Natalie et Danielle Edwards, les premiers bébés nés après
un diagnostic génétique préimplantatoire, ont été choisies pour
leur sexe car leur mère était porteuse d’une maladie génétique transmissible
aux garçons
.
36. Le diagnostic génétique préimplantatoire peut être utilisé
pour détecter la dystrophie musculaire et l’hémophilie, qui touchent
principalement les garçons.
6. Sélection prénatale
en fonction du sexe en Asie
37. Le phénomène de sélection prénatale en fonction du
sexe a pris des proportions considérables dans certains pays d’Asie,
où elle est pratiquée depuis des décennies.
38. En Chine, la préférence pour le fils et la politique de l’enfant
unique ont mené à la pratique des avortements sélectifs selon le
sexe et au manque de soins, voire au meurtre des bébés de sexe féminin
. On comptait ainsi 107 garçons
pour 100 filles en 1953, 108 en 1982, et 120 en 2005 ! Ce déséquilibre
se retrouve dans toutes les régions mais est plus marqué en zone
rurale qu’en zone urbaine. Le biais varie également en importance
en fonction de l’ordre de naissance: en 2005, il était ainsi de
108 pour le premier enfant, 143 pour le deuxième et 156 pour le
troisième. Le sexe-ratio à la naissance est aujourd’hui de 113 garçons
pour 100 filles
.
39. Ces taux asymétriques se sont traduits par un énorme déséquilibre
démographique: «il y avait 32 millions d’hommes de plus que de femmes
parmi les moins de 20 ans en 2005
. D’ici 2013, un Chinois sur dix
n’aura pas d’homologue féminine et d’ici la fin des années 2020,
ce chiffre devrait passer à un sur cinq»
.
40. La Chine a proscrit les avortements sélectifs selon le sexe
en 1995 et a entrepris une campagne pilote pour promouvoir la reconnaissance
de la valeur des filles, intitulée «Care for girls», allant jusqu’à
proposer dans certaines provinces des incitations financières pour
les parents ayant des filles. Ces mesures n’ont toutefois eu que
des résultats limités
. Le 16 août 2011, une campagne de
dix-huit mois a été lancée à l’échelle du pays afin de sensibiliser
la population à l’égalité des genres, accompagnée de sanctions sévères pour
les personnes impliquées dans des avortements sélectifs selon le
sexe et d’un renforcement du contrôle des institutions médicales
et des médecins
.
41. En Inde, le déséquilibre du sexe-ratio à la naissance est
devenu de plus en plus marqué au cours du siècle passé et était
estimé à 108 en 1950. Le recensement de 2011 a mis en lumière une
diminution du nombre de filles âgées de 0 à 6 ans, traduisant une
baisse constante du sexe-ratio à la naissance, qui est aujourd’hui
de 112 garçons pour 100 filles
.
42. Le statut peu élevé des femmes, le fardeau que fait peser
le système de la dot et les pressions familiales, y compris les
menaces de divorce si la femme ne donne pas naissance à un garçon,
ont poussé les femmes indiennes à faire le choix de ne pas avoir
de fille, ou de les négliger après la naissance. Au cours des vingt dernières
années, prenant conscience de l’ampleur de la sélection selon le
sexe, le Gouvernement indien a adopté une série de mesures pour
limiter le recours au diagnostic prénatal à certaines affections
congénitales sélectionnées, interdire l’usage de ces techniques
pour déterminer le sexe et proscrire l’avortement sélectif selon
le sexe
. En 2004, un amendement a été introduit
pour inclure également la sélection du sexe au stade de la préconception
.
43. Par ailleurs, le Gouvernement indien a adopté des programmes
de soutien des naissances féminines, par exemple une contribution
à un fonds au nom de la fille (44 dollars des Etats-Unis, limitée
aux familles à faible revenu), des indemnités pour l’achat de livres
et d’uniformes, la fourniture d’une bicyclette à l’entrée en neuvième
année de scolarité de la jeune fille. Un amendement à la loi hindoue
sur la succession passé en 2004 permet aux filles d’hériter des
biens de la famille sur un pied quasiment d’égalité avec les garçons
. L’impact de ces mesures n’est
pas encore visible.
44. En Corée du Sud, le déséquilibre a atteint 116 garçons pour
100 filles dans les années 1990, la sélection prénatale en fonction
du sexe étant traditionnellement employée pour le second et le troisième
enfant
.
Les autorités ont mis en place une politique à plusieurs volets
pour résoudre ce problème en organisant une campagne intitulée «Aimez
votre fille», en introduisant des lois visant à combattre la discrimination
envers les femmes, et en élevant le statut des femmes dans la société
par la promotion d’une participation plus équilibrée à la vie publique
et politique et par une amélioration de l’accès à l’éducation pour
les filles. A la suite de ces mesures, en 2007 la Corée du Sud est
parvenue à réduire le déséquilibre du sexe-ratio et à le ramener
à 107 garçons nés pour 100 filles
. Les estimations laissent entrevoir
le même taux à la naissance pour 2011.
45. En plus des mesures prises par les autorités, la croissance
économique et les changements sociétaux, dont l’urbanisation et
le désir croissant de familles moins nombreuses (le nombre de naissances
est tombé à un enfant par femme), ont également influé sur le sexe-ratio
à la naissance. Selon le FNUAP, «un des facteurs importants a été
la création d’un système de retraite pour les personnes âgées permettant
aux parents de disposer d’une épargne-retraite pour leurs vieux
jours et diminuant leur dépendance à l’égard des enfants mâles»
.
7. Sélection prénatale
en fonction du sexe en Europe
46. S’agissant de l'Europe, selon des estimations fiables
pour 2011
, le sexe-ratio
à la naissance est de 107 en Andorre, Bosnie-Herzégovine, Luxembourg,
Monténégro, Portugal et Slovénie, 108 dans «l’ex-République yougoslave
de Macédoine» et au Kosovo
, 109
à Saint-Marin, 111 en Géorgie, 112 en Albanie, Arménie et Azerbaïdjan.
Dans tous les autres Etats membres du Conseil de l’Europe, il se
situe entre 104 et 106.
47. Dans le présent rapport, j’ai tenté d’analyser la situation
dans les Etats membres présentant le sexe-ratio à la naissance le
plus asymétrique: l’Albanie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie.
A titre de comparaison, je tiens à souligner que dans ces quatre
pays, le taux à la naissance est très proche de celui de l’Inde.
Cependant, certains spécialistes de la démographie tel Christophe
Guilmoto ont exprimé leur intérêt à analyser la situation dans d’autres
pays, par exemple les pays des Balkans, dans lesquels il a été suggéré
que la sélection en fonction du sexe serait également pratiquée
.
7.1. Albanie
48. Les principales organisations internationales qui
traitent des questions de population concluent que le biais du sexe-ratio
à la naissance (112 selon les estimations de 2011) observé en Albanie
s’explique par la pratique des avortements sélectifs selon le sexe
et par la forte préférence pour les fils qui prévaut dans la société.
Cependant, peu d’attention a été portée à ce phénomène et les données
sont rares. Certaines recherches tendent à indiquer que le déséquilibre
du taux à la naissance est plus important dans les familles relativement
aisées
.
49. La Commission nationale d'éthique médicale est un organisme
consultatif auprès du ministère de la Santé, constitué par le décret
n° 595 (du 21 septembre 1998) du Conseil des Ministres. Il existe
aussi une Association nationale albanaise de périnatalogie. Ni l’un
ni l’autre de ces organismes n’a donné de lignes directrices en
matière de sélection prénatale du sexe.
50. Dans la réponse détaillée qu’elles ont fournie à mon questionnaire,
les autorités albanaises précisent qu'elles ne considèrent pas le
déséquilibre du taux de naissances comme un problème de portée nationale, mais
comme un phénomène sporadique limité à certaines régions lointaines.
51. Elles ajoutent également que le Centre albanais pour la population
et le développement a mené en 2009 une étude sur l'avortement dans
trois districts d'Albanie. L’étude se basait sur des informations
collectées auprès des médecins, des sages-femmes, et des femmes
ayant subi un avortement dans des maternités publiques et des cliniques
privées. Elle montre que les principales causes d'avortement sont
sociales mais que la sélection du sexe n'est jamais mentionnée.
52. Par ailleurs, depuis 2009, l'Institut de santé publique a
collecté auprès d'institutions publiques et privées des données
nationales sur l'avortement en Albanie avec un questionnaire détaillé,
qui aborde aussi les raisons poussant à l'avortement. Selon cette
source, aucun avortement n'est pratiqué pour permettre une sélection
du sexe. Au cours du deuxième semestre de l'année 2011, le ministère
de la Santé et le FNUAP lanceront une étude nationale approfondie
sur l’avortement en Albanie, qui s'intéressera notamment à ses causes.
53. Aux termes de la loi n° 8045 du 7 décembre 1995 relative à
l'interruption volontaire de grossesse
,
les avortements peuvent être pratiqués jusqu'à la 12e semaine de
grossesse si une femme déclare que sa grossesse lui cause des problèmes
d’ordre psychologique et social. L’avortement peut être pratiqué
à tous les stades de la grossesse en cas d'anomalie du fœtus et
lorsque la poursuite de la grossesse met en danger la vie ou la
santé de la femme, sous réserve de l'approbation d'une commission
constituée de trois médecins. Un avortement peut être pratiqué jusqu'à
la 22e semaine de grossesse si celle-ci est le résultat d'un viol
ou d’un crime sexuel ou si des «raisons sociales» justifient d’y
mettre un terme, sous réserve de l'approbation d'une commission
constituée de trois membres – un médecin, un travailleur social
et un juriste.
54. Les dossiers relatifs aux avortements doivent rester anonymes
et les médecins pratiquant un avortement sont tenus de fournir des
informations sur les services de planning familial, ainsi que des
conseils sur les méthodes contraceptives. La publicité relative
à des médicaments et des produits abortifs est interdite.
55. En vertu de la loi n° 8045, la sélection du sexe pour des
raisons médicales est interdite et ne figure pas sur la liste des
raisons justifiant de pratiquer un avortement. La sélection du sexe
pour des raisons non médicales est elle aussi interdite. Cependant,
aucune sanction particulière n’est prévue pour les infractions à la
réglementation en matière de sélection prénatale du sexe.
56. La loi n° 8876 du 4 avril 2002 relative à la santé en matière
de procréation précise qu’en cas d’utilisation de technologies de
reproduction, la sélection du sexe de l’embryon n’est pas autorisée,
sauf s’il y a risque de maladie héréditaire liée au sexe (article
37).
57. En général, après avoir procédé à la visite médicale prénatale
comprenant une échographie, le médecin peut, à leur demande, révéler
aux parents le sexe du fœtus.
58. L'Albanie a récemment ratifié la Convention du Conseil de
l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine.
7.2. Caucase du Sud
59. Après l’effondrement de l’Union soviétique, l’Arménie,
l’Azerbaïdjan et la Géorgie ont connu une hausse du nombre de naissances
de garçons par rapport aux naissances de filles: d’un niveau normal
en 1991, le sexe-ratio à la naissance est passé à 110-120 en 2000.
En 2009, il était de 113 en Arménie et de 112 en Azerbaïdjan et
en Géorgie. En Arménie et en Géorgie, le biais est particulièrement
marqué pour la troisième naissance
.
60. L’augmentation du sexe-ratio à la naissance est intervenue
simultanément dans les trois pays. Malgré de grandes différences
en termes d’origine ethnique, religion, langue et culture, ces trois
pays ont en commun un taux d’avortement élevé, caractéristique de
cette région.
61. Cette tendance n’a pas été observée dans les pays voisins:
en Ukraine, en Fédération de Russie, au Kazakhstan, en Ouzbékistan,
au Turkménistan, au Tadjikistan et au Kirghizistan, le sexe-ratio
à la naissance est demeuré fondamentalement inchangé depuis 1995.
62. Au départ, les chercheurs de la région du Caucase n’ont pas
établi de lien entre le déséquilibre des naissances et la sélection
du sexe. La principale explication avancée était que compte tenu
de l’appauvrissement des capacités administratives après l’effondrement
de l’Union soviétique, «les familles ont cessé de déclarer la naissance
des filles
».
7.2.1. Arménie
63. Au cours de la visite d’information effectuée en
Arménie les 16 et 17 juin 2011, il est ressorti des discussions
menées avec les parlementaires, médecins, chercheurs, organisations
internationales et responsables gouvernementaux que la question
du choix du sexe était reconnue comme un problème.
64. L’Arménie ne dispose pas encore d’une commission d'éthique
composée de gynécologues et d’obstétriciens. Les praticiens conviennent
de la nécessité de l’établir.
65. Des éléments de preuve montrant un déséquilibre du sexe-ratio
ont été collectés, mais des recherches supplémentaires s’avèrent
nécessaires pour en établir les causes. Le FNUAP en Arménie mène
une recherche sur ce thème à l’échelle du pays. L’étude qui devrait
être finalisée d’ici fin 2011 a déjà mis en lumière une augmentation
du nombre de naissances de garçons pour le troisième enfant depuis
le début des années 1990.
66. Selon un représentant du ministère de la Santé, le sexe-ratio
a atteint le pic de 118 garçons pour 100 filles pour le troisième
enfant en 2000, ce qui témoigne d’une nette préférence pour le sexe
masculin.
67. L’avortement est autorisé jusqu’à la 12e semaine de grossesse
sans avoir à donner de raison, et au-delà pour raisons médicales.
68. Cependant, les médecins et les patients ont souligné l’attitude
des praticiens et radiologues lors de l’annonce du sexe du fœtus,
généralement assortie d’un commentaire négatif lorsqu’il s’agit
d’une fille. Les Arméniennes qui ne donnent naissance qu’à des filles
font souvent l’objet de fortes pressions sociales et familiales.
69. Au cours de la visite, les praticiens ont fait savoir que
la fécondation in vitro n’était pas une pratique très répandue dans
le pays.
70. Les médecins ont indiqué que les traitements contre les ulcères
de l’estomac en vente libre en pharmacie peuvent déclencher des
accouchements prématurés. Ils ont fait part de leurs inquiétudes
devant le fait que certains avortements, susceptibles d’être liés
à la sélection du sexe, étaient pratiqués à domicile en recourant
à ce type de médicament.
71. Si les autorités et les organisations internationales ont
parfaitement conscience du problème, les organisations de la société
civile arménienne n’ont cependant pas encore cherché à mettre en
place des programmes de sensibilisation à la question de la sélection
du sexe.
7.2.2. Azerbaïdjan
72. Les autorités de l'Azerbaïdjan ont fourni des réponses
détaillées à mon questionnaire, en soulignant qu'elles sont conscientes
du déséquilibre des sexe-ratios et qu'elles prennent le problème
au sérieux. En Azerbaïdjan, le sexe-ratio à la naissance est de
112 garçons pour 100 filles
.
73. Les autorités ont pris des mesures de sensibilisation et d'information
du grand public pour enrayer ce phénomène.
74. La sélection du sexe pour des raisons médicales n'est pas
explicitement autorisée, mais il n'y a pas de dispositions juridiques
qui l’interdisent. Par conséquent, aucune sanction n’est prévue
pour la sélection prénatale du sexe, et aucun organisme n’est chargé
de contrôler cette pratique. Il existe en revanche une autorité
d'éthique composée d'obstétriciens et de gynécologues.
75. Une loi relative à la santé en matière de procréation et à
la bioéthique est en cours de rédaction; elle contiendra des dispositions
relatives à la sélection prénatale du sexe. L’Azerbaïdjan prévoit
également d’adhérer aux instruments internationaux pertinents, y
compris à la Convention du Conseil de l’Europe sur les droits de
l’homme et la biomédecine.
7.2.3. Géorgie
76. Dans leur réponse au questionnaire, les autorités
géorgiennes ont indiqué avoir conscience du déséquilibre des naissances
mais elles ne considèrent pas la sélection prénatale en fonction
du sexe comme un problème grave. Le Conseil national géorgien de
santé reproductive a d’ailleurs confirmé pendant la visite d’information
que ni le public ni le corps médical ne jugeaient problématique
l’avortement sélectif selon le sexe.
77. L’avortement est autorisé jusqu’à la 12e semaine de grossesse
sans avoir à donner de raison, et jusqu’à la 22e semaine de grossesse
pour des raisons médicales ou sociales
.
Les chercheurs rencontrés pendant la visite ont conclu que le nombre
de femmes ayant avorté après avoir passé une échographie et déclarant avoir
eu connaissance du sexe du fœtus est minime en Géorgie; il est toutefois
plus élevé parmi les femmes ayant déjà donné naissance à deux ou
trois filles
.
78. La sélection prénatale du sexe pour des raisons non médicales
est interdite. Cependant, aucun suivi particulier n’est prévu si
ce phénomène devait se présenter. La sélection prénatale du sexe
pour des raisons médicales n'est pas interdite mais, en vertu de
la loi relative aux droits des patients, elle est uniquement autorisée
dans le but de prévenir des maladies héréditaires. La sélection
du sexe grâce à une procédure DPI est autorisée aux fins de prévenir
les maladies génétiques.
79. Il n'y a pas de sanctions particulières pour les infractions
à la réglementation en matière de sélection prénatale du sexe. Toutefois,
le médecin l’ayant pratiquée peut faire l'objet de mesures disciplinaires
devant son conseil professionnel.
80. J'ai constaté que peu d’organisations de la société civile
ont conscience de la pratique de la sélection prénatale en fonction
du sexe en Géorgie et travaillent à la mise en place d’activités
de prévention
.
81. La Géorgie a ratifié la Convention du Conseil de l'Europe
sur les droits de l'homme et la biomédecine.
7.3. Communautés immigrées
82. Ces dernières années, des études ont été conduites
sur la question des sexe-ratios à la naissance dans les communautés
immigrées des pays occidentaux, ainsi que sur les causes des déséquilibres
observés. Il faut souligner que de telles études sont en nombre
limité et que la plupart du temps les résultats obtenus ne sont
guère concluants. Cela tient en partie à la difficulté de collecter
des données fiables.
83. Selon les résultats d’une étude du recensement effectué en
2000 aux Etats-Unis, les immigrés originaires de Chine, d’Inde et
de Corée du Sud auraient des sexe-ratios à la naissance presque
aussi biaisés que ceux de leur pays d’origine, tout particulièrement
pour les deuxième (117 garçons pour 100 filles) et troisième naissances
(151 garçons si les deux premiers enfants sont des filles)
.
84. Des déséquilibres des sexe-ratios à la naissance ont été observés
«malgré l’absence de la plupart des facteurs avancés pour justifier
le biais en faveur des fils en Inde, en Chine et en Corée, tels
que la politique de l’enfant unique en Chine, le fardeau de la dot
(Inde), le mariage patrilocal (dans les trois pays) ou la dépendance
à l’égard des enfants qui assurent le soutien de leurs parents âgés
et leur sécurité physique». En outre, ces déséquilibres semblaient
récents, car ils n’avaient pas été mis en évidence à partir des
données du recensement de 1990
.
85. La tendance au déséquilibre entre les sexes a également été
constatée chez des familles d’origine asiatique vivant au Québec.
Les chercheurs ont toutefois conclu qu’il faudrait disposer de plus
d’éléments pour pouvoir démontrer que la sélection du sexe en était
la cause
.
86. En Norvège, les recherches portant sur le sexe-ratio à la
naissance dans les communautés immigrées d’origine indienne et pakistanaise
ont fait apparaître un déséquilibre des naissances féminines dans
les rangs de naissance plus élevés (troisième et au-delà) chez les
mères d’origine indienne. Les auteurs de l’étude ont conclu que
ce taux pourrait traduire une augmentation des avortements sélectifs
selon le sexe. Ils travaillaient cependant sur des nombres trop
petits pour pouvoir tirer des conclusions définitives
.
87. De même, des recherches conduites en Angleterre et au Pays
de Galles ont révélé un déséquilibre du sexe-ratio à la naissance
chez les mères nées en Asie, notamment pour les rangs de naissance
les plus élevés: «Avant 1990, les sexe-ratios à la naissance étaient
toujours inférieurs de près d’un point (104) pour les trois principaux
groupes asiatiques en Grande-Bretagne, par comparaison avec les
mères nées dans des pays occidentaux. Depuis 1990, nous observons
dans les statistiques relatives aux naissances une hausse de quatre
points dans le sexe-ratio à la naissance pour les mères nées en
Inde, attribuable notamment à une augmentation aux rangs de naissance
plus élevés, à l’instar de ce qui a été constaté pour l’Inde. Cela
porte à croire que l’avortement sélectif selon le sexe est pratiqué
par les mères nées en Inde et vivant en Grande-Bretagne. En revanche,
aucune augmentation sensible n’a été observée chez celles nées au
Pakistan et au Bangladesh, parmi lesquelles la préférence pour les
enfants de sexe masculin existe également. La préférence pour les
garçons dans différentes cultures ne conduit donc pas nécessairement,
semble-t-il, à l’avortement sélectif en fonction du sexe.»
7.4. Commercialisation
de services de sélection du sexe avant la naissance
88. Les progrès des techniques de procréation et les
grandes disparités de la législation applicable dans les différents
pays (ou l’absence de tout cadre légal) ont ouvert un nouveau créneau
pour les structures médicales qui offrent des services de sélection
du sexe sur internet, touchant ainsi des clients potentiels dans
les pays où le choix du sexe est illégal ou fortement réglementé
. Les pays qui permettent aux parents
de recourir à des procédures médicales dans des cliniques privées
afin de choisir le sexe de leur enfant sont notamment la Colombie,
les îles Cook, le Costa Rica, la Côte d’Ivoire, l’Egypte, le Mexique
et les Etats-Unis.
89. Aux Etats-Unis, les cliniques spécialisées dans le traitement
de la stérilité accueillent des patients du Royaume-Uni, d’Australie
et du Canada venus subir un DPI et font de la sélection du sexe
une activité lucrative
.
En outre, les campagnes d’information publiées dans les quotidiens
et les magazines proposés à bord des avions ciblent tout particulièrement
les communautés asio-américaines en leur proposant de choisir le
sexe de leur futur enfant.
Il convient de noter que les cliniques
américaines ne sont pas tenues de signaler à une quelconque administration
les raisons avancées par les parents pour justifier du choix d’une
procédure DPI
.
8. Conséquences de
la sélection prénatale en fonction du sexe
90. Au jour d’aujourd’hui, seuls les pays asiatiques
ont fait l’objet de recherches sociologiques sur les conséquences
du déséquilibre démographique induit par la sélection du sexe. Les
conclusions peuvent toutefois avoir une portée générale.
8.1. Montée de la criminalité
et de l’agitation sociale
91. «Le taux de criminalité a presque doublé en Chine
au cours des vingt dernières années. Les récits abondent concernant
les enlèvements de fiancées, la traite des femmes, les viols et
la prostitution. En 2020, la Chine comptera de 30 à 40 millions
de jeunes hommes de plus que de jeunes femmes. Une étude conduite pour
déterminer si ces phénomènes étaient liés a conclu par l’affirmative;
des ''sexe-ratios" plus élevés expliqueraient un septième de la
montée de la criminalité.»
92. En Corée du Sud, un nombre considérable de célibataires tentent
de trouver l’âme sœur à l’étranger. En 2008, 11% des mariages étaient
mixtes, avec dans la plupart des cas un Coréen épousant une étrangère. «Ce
phénomène crée des tensions au sein d’une société jusqu’à présent
homogène, souvent hostile aux enfants issus de mariages mixtes.»
8.2. Augmentation des
violations des droits de l’homme, y compris de la violence et de
la discrimination à l’égard des femmes
93. Le déséquilibre entre les femmes et les hommes n’est
pas la cause unique mais un facteur contributif à l’augmentation
de la traite des êtres humains.
En
raison d’une pénurie de femmes, certaines sont achetées et vendues
ou transférées dans d’autres pays à des fins sexuelles ou de mariage.
Selon le rapport annuel de 2011 du Département d’Etat des Etats-Unis
sur la traite des personnes, «le gouvernement central de la Chine ne
s’est pas préoccupé de la politique de limitation des naissances
susceptible de contribuer à un déséquilibre entre les sexes qui,
selon les experts, a conduit à la traite des femmes à des fins de
servitude par l’intermédiaire de mariages forcés au sein de la population
chinoise»
.
94. Une autre conséquence possible est l’augmentation du taux
de suicide des femmes: selon l’Organisation mondiale de la santé,
le taux de suicide des femmes en Chine figure parmi les plus élevés
au monde. De fait, en Chine rurale le suicide est la forme de décès
la plus courante chez les femmes âgées de 15 à 34 ans. Pour certains,
les jeunes femmes se donnent la mort parce qu’elles n’arrivent pas
à vivre avec l’idée qu’elles ont avorté d’un fœtus féminin, voire,
dans certains cas, tué leur bébé fille
, ou parce qu’elles n’ont pas pu
donner naissance à un garçon.
95. La réapparition de la polyandrie (une femme étant mariée à
plusieurs hommes) dans certaines provinces de l’Inde est également
considérée comme une conséquence du déséquilibre démographique lié
à la sélection du sexe.
96. La poursuite de la discrimination à l’égard des filles et
des femmes exercée par les femmes elles-mêmes est également une
conséquence. La sélection prénatale du sexe est une forme de discrimination
en soi qui ne fait que renforcer le phénomène
. En Inde, de nombreuses femmes à
qui l’on reproche d’avoir eu des filles sont abandonnées ou contraintes
au divorce pour la simple raison qu’elles n’ont pas réussi à donner
naissance à un garçon
. Les femmes sont placées «dans une
situation où elles doivent perpétuer le statut inférieur des filles
en raison de la préférence pour les garçons»
.
9. La sélection prénatale
en fonction du sexe en droit international
9.1. Les instruments
des Nations Unies
98. D’un point de vue politique, il convient également de mentionner
la Déclaration interinstitutions des Nations Unies sur la prévention
de la sélection prénatale en fonction du sexe, publiée le 14 juin
2011 par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, le Fonds des
Nations Unies pour la population, le Fonds des Nations Unies pour
l’enfance, l’ONU Femmes et l’Organisation mondiale de la santé
. La déclaration souligne la nécessité
«de collecter davantage de données fiables sur l'ampleur du problème,
ses conséquences sociales et sanitaires ainsi que sur l’impact des
interventions». Elle appelle également à l’élaboration de lignes directrices
sur l’utilisation éthique des technologies pertinentes, l’adoption
de mesures de soutien pour les filles et les femmes, le développement
d’une législation traitant des causes de l’inégalité entre les sexes
et d’actions de sensibilisation au problème
.
9.2. Les instruments
européens
99. La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine
(«Convention d’Oviedo»), négociée et ouverte à la signature au sein
du Conseil de l’Europe, est un instrument international majeur,
ayant force obligatoire, comportant une disposition relative à la
sélection prénatale du sexe.
100. Aux termes de son article 14, «l’utilisation des techniques
d'assistance médicale à la procréation n’est pas admise pour choisir
le sexe de l’enfant à naître, sauf en vue d’éviter une maladie héréditaire
grave liée au sexe».
101. Cette convention a été signée et ratifiée par 28 Etats membres
du Conseil de l’Europe (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie,
Chypre, Danemark, Espagne, Estonie, «l'ex-République yougoslave
de Macédoine», Finlande, Géorgie, Grèce, Hongrie, Islande, Lettonie,
Lituanie, Moldova, Monténégro, Norvège, Portugal, République slovaque,
République tchèque, Roumanie, Saint-Marin, Serbie, Slovénie, Suisse
et Turquie).
102. Ce traité est ouvert à la signature des Etats membres du Conseil
de l’Europe, des Etats non membres qui ont participé à son élaboration
et de l’Union européenne, et à l’adhésion d'autres Etats non membres.
103. Dans un souci de clarté, je tiens également à souligner que
la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte
contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
n’inclut pas explicitement la sélection prénatale en fonction du
sexe dans son champ d’application. Cependant, elle couvre la violence
psychologique dans son article 33: «Les Parties prennent les mesures
législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale
le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, de porter gravement
atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne par la contrainte
ou les menaces.» La pression subie par les femmes de la part de
leurs maris et familles les forçant à avorter peut être considérée
comme une forme de violence psychologique.
104. De plus, la convention condamne la pratique des avortements
forcés dans son article 39: «Les Parties prennent les mesures législatives
ou autres nécessaires pour ériger en infractions pénales, lorsqu’ils
sont commis intentionnellement: a) le fait de pratiquer un avortement
chez une femme sans son accord préalable et éclairé; b) le fait
de pratiquer une intervention chirurgicale qui a pour objet ou pour
effet de mettre fin à la capacité d’une femme de se reproduire naturellement
sans son accord préalable et éclairé ou sans sa compréhension de
la procédure.»
105. Le Comité des Ministres a appelé les Etats membres à «interdire
les stérilisations ou avortements forcés, la contraception imposée
par la contrainte ou la force et la sélection prénatale en fonction
du sexe, et prendre toutes les mesures nécessaires à cette fin»
dans la Recommandation Rec(2002)5 sur la protection des femmes contre
la violence, adoptée le 30 avril 2002.
106. Il est également utile de rappeler que l’article 3 de la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne (droit à l’intégrité
de la personne) interdit les pratiques eugéniques, «notamment celles
qui ont pour but la sélection des personnes»
.
10. La sélection prénatale
en fonction du sexe en droit national
10.1. Dans le contexte
du diagnostic génétique préimplantatoire (DPI)
107. En ce qui concerne le diagnostic génétique préimplantatoire
(DPI), les approches nationales varient considérablement d’un Etat
à l’autre. Seuls quelques Etats membres l’interdisent en toutes
circonstances (Autriche et Irlande).
108. En Italie, même si la législation pertinente ne mentionne
pas expressément le DPI
, cette pratique est interdite selon
l’interprétation fournie par les directives ministérielles explicatives.
Depuis une décision rendue par la Cour constitutionnelle en 2006,
les tribunaux italiens ont cependant développé une jurisprudence
qui affirme l’incompatibilité de l’interdiction du DPI avec la Constitution,
sous réserve qu’il soit effectué dans le respect de la loi et pour
détecter des anomalies et maladies du fœtus.
109. Dans la grande majorité des autres Etats membres (tels que
l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Fédération
de Russie, la France, la Grèce, la Norvège, le Portugal, le Royaume-Uni,
la Suède), le DPI est légal et régi par la loi. Dans ces cas, cependant,
le choix du sexe n’est autorisé que pour des raisons médicales
.
110. Le 7 juillet 2011, le Parlement allemand a adopté une loi
autorisant le DPI des embryons issus d’une fécondation in vitro,
en cas de risque élevé de naissance d'un enfant souffrant d'une
maladie héréditaire, ou d'une forte probabilité de fausse couche
ou d'enfant mort-né pour des raisons génétiques
.
10.2. Dans le contexte
de l’avortement
111. En ce qui concerne l’avortement pour sélection du
sexe, la Suède représente un cas isolé en Europe. Dans ce pays,
depuis 1975, les femmes ont légalement le droit d’avorter pendant
les dix-huit premières semaines de grossesse, sans avoir à donner
de raison. Après la 18e semaine, un avortement peut être pratiqué
pour des «raisons particulières» jusqu’à la 22e semaine. Dans de
tels cas, le Conseil national de la santé et du bien-être conduit
une enquête et décide s’il autorise ou non l’avortement.
112. Récemment, il a été demandé au Conseil national de la santé
et du bien-être de donner son avis sur un cas particulier et de
clarifier la question de savoir si le personnel médical est obligé
de dévoiler le sexe du fœtus, y compris en l’absence de raison médicale,
et de pratiquer un avortement même si la requête est formulée sur
la seule base du sexe fœtal. Il a répondu par l’affirmative
.
113. Parmi les Etats ayant le statut d’observateurs auprès du Conseil
de l’Europe, le Canada est d’une certaine façon dans une position
semblable: le choix du sexe dans le contexte de la technologie reproductive est
interdit à une exception près, lorsque la sélection du sexe permet
d’éviter des troubles ou maladies
. En revanche, depuis 1998 – après
qu’une disposition du Code pénal relative à l’avortement eut été
jugée contraire à la Constitution –, aucun type d’avortement n’est
plus interdit par la loi au Canada. Cela englobe les avortements
pratiqués à des fins de choix du sexe même si plusieurs tentatives
de réforme législative ont échoué. L’avortement pour sélection du
sexe est dès lors légal et des informations ont fait état d’interventions pratiquées
à cette fin.
11. Recommandations
formulées par des autorités d'éthique
114. De nombreuses autorités d'éthique et associations
ont pris position sur la question de la participation des prestataires
de santé dans le choix du sexe. L’immense majorité décourage la
sélection prénatale en fonction du sexe, sauf si elle est effectuée
pour des raisons médicales. A titre d’exemple:
- la Fédération internationale
des gynécologues et obstétriciens rejette la sélection en fonction
du sexe lorsqu’elle est utilisée comme outil de discrimination sexuelle.
Elle se prononce en faveur du choix du sexe avant la conception
lorsque cela sert à éviter des maladies génétiques liées au sexe;
- au Royaume-Uni, le Code de pratique de la Human Fertilisation
and Embryology Authority indique, à propos du diagnostic préimplantatoire,
que «les centres ne doivent utiliser aucune information dérivée des
tests pratiqués sur un embryon, ou aucun matériel issu de cet embryon
ou des gamètes qui l’ont produit, pour sélectionner des embryons
d’un sexe donné pour des raisons non médicales» ;
- l’Académie suisse des sciences médicales a rédigé des
directives concernant les tests génétiques. La sélection du sexe
est jugée «inappropriée si le but est simplement de déterminer le
sexe de l’embryon ou fœtus ou d’autres facteurs ne constituant pas
une menace pour la santé» ;
- le Comité d'éthique de l’American College of Obstetricians
and Gynecologists soutient la pratique consistant à proposer aux
patients des procédures visant à prévenir de graves maladies génétiques liées
au sexe. Toutefois, le comité s’oppose à la satisfaction de demandes
de sélection du sexe pour des raisons personnelles et familiales,
y compris lorsqu’elles sont motivées par la recherche d’un équilibre
au sein de la famille, car il est à craindre qu’en fin de compte
de telles demandes n’appuient des pratiques sexistes .
- le Comité d'éthique de l’American Society for Reproductive
Medicine fait entendre une voix partiellement dissonante. Il maintient
que le recours à la sélection du sexe avant la conception par le
biais du diagnostic génétique préimplantatoire, pour des raisons
non médicales, pose des problèmes d’éthique et devrait être déconseillé.En 2001, il a néanmoins émis
une déclaration affirmant que si la sûreté et l’efficacité des techniques
utilisées avant la fécondation, telles que le tri du sperme, étaient
avérées, leur emploi pourrait être éthiquement admissible aux fins
du rééquilibrage familial .
115. Malgré ces directives et recommandations, dans la plupart
des cas la situation des prestataires de santé n’est pas aussi simple.
Ils peuvent participer à leur insu à la sélection du sexe lorsqu’ils
dévoilent des informations concernant le sexe fœtal dans le cadre
d’une procédure médicale réalisée à d’autres fins.
116. C’est probablement pour cette raison qu’au Royaume-Uni, les
structures médicales et hôpitaux publics ne révèlent généralement
pas le sexe fœtal lors des échographies.
117. Cependant, la politique consistant à taire le sexe fœtal est
fonction de la volonté des médecins de s’y conformer et des sanctions
existantes. Alors que les principes éthiques encouragent cette politique,
aucune donnée à ce jour ne permet d’attester qu’elle a contribué
à prévenir la sélection du sexe. La mise à disposition de tests
sur internet offre la possibilité à quiconque de connaître le sexe
fœtal, que la procédure soit légale ou non dans le pays.
12. Conclusions
et recommandations
118. L’inégalité entre les sexes dans tous les aspects
de la vie et la discrimination à l’égard des femmes sont des phénomènes
si répandus dans le monde que des millions de femmes décident, de
leur propre initiative ou sous la pression, de ne pas donner naissance
à des filles, les considérant comme des êtres humains de valeur moindre
et une charge pour leur famille.
119. La sélection prénatale en fonction du sexe est un problème
grave susceptible de contribuer à une montée de la criminalité et
de l’instabilité sociale. Cette pratique a atteint des proportions
vertigineuses dans certains pays asiatiques, notamment en Chine
et en Inde. Elle a été reconnue par les autorités, étudiée par des
chercheurs et fait l’objet de mesures politiques et juridiques sans
qu’à ce jour des résultats probants aient été enregistrés.
120. La sélection prénatale fondée sur le sexe touche également
certains pays européens, à des degrés parfois similaires à ce qui
se passe en Inde. En Europe toutefois, les autorités commencent
à peine à reconnaître le problème; la communauté scientifique s’est
peu penchée sur la question, par ailleurs largement ignorée par
les législations, politiques et directives existantes dans le domaine
de la santé reproductive, du planning familial et de la procréation
assistée.
121. La rédaction de ce rapport m’a donné l’occasion de réfléchir
à l’incidence de la technologie moderne sur les droits et le statut
des femmes dans la société. Pendant des décennies, les femmes ont
lutté pour obtenir la légalisation de l’avortement et avoir la liberté
de choisir de devenir mère. Elles n’ont toutefois pas mené ce combat
pour perpétuer l’inégalité entre les sexes, la discrimination envers
les femmes et les préjugés sexistes.
122. Malheureusement, dans de nombreux pays du monde où l’avortement
a été légalisé, ce droit est utilisé à mauvais escient, en conjonction
avec l’identification prénatale du sexe, pour réduire les possibilités
de naissances féminines et perpétuer une culture de l’inégalité.
123. Nous devons prendre position contre la sélection prénatale
en fonction du sexe en des termes forts en raison de ses éventuelles
conséquences sociales et du fait qu’elle perpétue une culture de
l’inégalité des genres contraire aux droits de l’homme et aux valeurs
universelles défendues par le Conseil de l’Europe.
124. Nous devons toutefois veiller à ne pas utiliser la sélection
prénatale en fonction du sexe comme un prétexte pour limiter l’avortement
légal. Qui plus est, ces limitations ne contribueraient en rien
à traiter les causes profondes de la sélection du sexe, en l’occurrence
l’inégalité des genres.
125. De même, nous devons nous abstenir de créer une discrimination
entre les différentes méthodes de sélection du sexe et d'appliquer
deux poids deux mesures selon le niveau de revenus des personnes concernées
ou les pays où elles sont pratiquées.
126. L’avortement est la méthode de sélection du sexe la plus répandue
dans les pays à faible revenu et chez les familles les plus démunies.
Il en existe cependant d’autres. Dans les pays relativement riches
ou chez les familles aisées, en particulier, il y a un risque de
voir les nouvelles techniques de procréation utilisées abusivement
à des fins de choix du sexe.
127. Le débat sur l’admissibilité du choix du sexe de son futur
enfant ouvre plusieurs questions d’ordre éthique suscitant des réponses
différentes selon les personnes interrogées. Les pays eux-mêmes
ont également répondu de diverses façons, parfois contradictoires.
Cela m’a permis de faire plusieurs constats intéressants. Ainsi,
un pays comme le Mexique, où la légalisation de l’avortement a été
l’aboutissement d’un processus tortueux et difficile, permet le
choix du sexe pour des raisons non médicales au moyen d’autres méthodes;
en Suède et au Canada, au contraire, où l’on ne peut pas empêcher
une femme d’avorter si elle attend un bébé du sexe qu’elle ne veut
pas, il n’est pas admissible de sélectionner le sexe d’un fœtus
dans le cadre d’une procédure DPI, sauf pour des raisons médicales.
128. Si nous voulons adopter une position de principe à l’égard
de la sélection prénatale en fonction du sexe, fondée sur la valeur
universelle qu’est l’égalité entre les femmes et les hommes, nous
devons veiller à faire preuve de cohérence. Selon moi, la sélection
prénatale du sexe ne doit être utilisée qu’aux fins de prévenir
une maladie héréditaire grave liée au sexe, et ce quelle que soit
la méthode employée.
129. L’exemple de la Corée du Sud montre qu’il est possible de
réduire le déséquilibre du sexe-ratio à la naissance en associant
diverses mesures. S’agissant des pays européens, la première étape
devrait consister indubitablement en une prise de conscience de
la part des autorités de l’existence même d’un problème.
130. Cette reconnaissance du phénomène devrait être suivie par:
- l’organisation de campagnes
de sensibilisation du grand public;
- une formation et des informations plus spécialisées destinées
au personnel médical;
- des encouragements visant à inciter les autorités d'éthique
à introduire des lignes directrices;
- une collecte de données sur les sexe-ratios à la naissance
au plan national ainsi que dans des régions spécifiques;
- dans la mesure du possible, une collecte de données sur
les sexe-ratios à la naissance au sein de communautés particulières,
tout en veillant à ne pas promouvoir des points de vue discriminatoires
ou stéréotypés à leur encontre;
- la promotion de recherches scientifiques sur les causes
profondes de la sélection prénatale en fonction du sexe et ses conséquences
sociales;
- le développement de législations appropriées sur la sélection
prénatale;
- la signature et la ratification de la Convention européenne
sur les droits de l’homme et la biomédecine.
131. J’estime toutefois que la façon la plus efficace et durable
de prévenir la sélection prénatale du sexe est de promouvoir l'égalité
de valeur des femmes et des hommes dans la société et leur égalité
réelle dans tous les aspects de la vie. Il reste beaucoup à faire
dans ce domaine et j’espère que le Conseil de l’Europe continuera
d’aider ses Etats membres à relever ce défi.