1. Introduction
1.1. Mandat et étapes d’élaboration
du rapport
1. Le 7 juillet 2010, avec d’autres collègues, j’ai
déposé une proposition de résolution sur «La bonne gouvernance et
l’éthique du sport» (
Doc.
12336). Le 4 octobre 2010, cette proposition a été renvoyée
pour rapport à la commission de la culture, de la science, de l’éducation
et des médias. Celle-ci m’a désigné comme rapporteur le 7 octobre
2010.
2. Le 29 juin 2011, une proposition de résolution sur «Plus de
transparence et de bonne gouvernance à la FIFA» a été présentée
par M. Pieter Omtzigt et plusieurs autres collègues (
Doc. 12673). L’Assemblée l’a renvoyée le 3 octobre 2011 à la commission
de la culture, de la science, de l’éducation et des médias afin qu’elle
en tienne compte dans la préparation du présent rapport.
3. Le 6 décembre 2011, la commission a tenu une audition à laquelle
ont participé:
- Mme Maud De
Boer-Buquicchio, Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l'Europe;
- M. Bernard Amsalem, président de la Fédération française
d’athlétisme (FFA) et chef de mission pour les jeux Olympiques de
Londres 2012;
- M. Jean-Pierre Mougin, secrétaire général, Comité national
olympique et sportif français (CNOSF);
- M. Dominique Rocheteau, ancien président de la commission
d’éthique de la Fédération française de football (FFF), membre de
la commission d’éthique de la Fédération internationale de football association
(FIFA);
- M. Frédéric Sitterlé, président du Racing Club de Strasbourg;
- Mme Maryse Ewanjé-Epée, ancienne athlète et journaliste,
France;
- M. Andrew Jennings, journaliste d’investigation, Royaume-Uni,
qui avait déjà préparé à ma demande un rapport sur les problèmes
de corruption au sein de la FIFA, distribué à cette occasion.
4. A la suite de cette audition, j’ai décidé d’approfondir l’analyse
des questions concernant l’éthique, la bonne gouvernance et la transparence
dans les institutions sportives et dans la FIFA en particulier.
A cet égard, j’ai eu, le 15 décembre 2011, une rencontre avec M.
Julien Zylberstein, chargé des affaires européennes de l'Union des
associations européennes de football (UEFA), puis, le 17 janvier
2012, une rencontre avec Mme Fani Misailidi,
responsable des affaires européennes à la Direction des affaires
juridiques de la FIFA. En outre, j’ai organisé un échange de vues
avec M. Nicolas Maingot, directeur adjoint de la communication et
des affaires publiques de la FIFA, le 26 janvier 2012; Mme Misailidi
était également présente. Je souhaite remercier ces experts de leurs
précieuses contributions.
5. J’ai également, par l’entremise du Secrétariat de la commission,
pris contact avec M. Thomas Hildbrand, procureur du canton de Zoug
(Suisse) qui a été chargé de l’affaire ISL (évoquée par M. Andrew
Jennings lors de l'audition), pour vérifier la possibilité de l’auditionner
ou d’avoir une rencontre avec lui. A cet effet, un courrier a été
adressé au procureur général du canton de Zoug, M. Christian Aebi.
Une consultation a eu lieu avec le ministère des Affaires étrangères
suisse, qui a autorisé la transmission des éléments d’information
que j’ai sollicités. Ensuite, le procureur général a demandé à la
Haute Cour de Zoug la levée du secret concernant le dossier en question.
La Haute Cour a fait droit à cette demande par ordonnance du 14
février 2012.
1.2. Champ de l’enquête et finalité
du rapport
6. On associe couramment au sport un certain nombre
de valeurs qui favorisent un développement sain de la personne tant
dans la relation avec soi-même (engagement, effort, discipline,
force de caractère, esprit de sacrifice, recherche d’une amélioration
de sa propre performance, mais aussi acceptation de ses propres limites)
qu’avec les autres (solidarité et esprit d’équipe, loyauté, respect
des règles du jeu, respect des adversaires et reconnaissance de
leur valeur)
.
7. En outre, la compétition sportive a une dimension sociale
d’importance extrême, comme occasion de rencontre entre populations
différentes. Le sport dépasse ainsi la dimension individuelle et
l’on s’attend à ce qu’il favorise la paix, l’amitié et le respect
réciproque entre les membres d’une même société et entre les peuples.
Le sport est donc bien plus que du spectacle: c’est un phénomène
sociétal à l’échelle mondiale.
8. L’image du sport et des sportifs est un puissant vecteur de
transmission des ces valeurs et des modèles comportementaux positifs,
en particulier vers le monde des jeunes. Mais les bienfaits du sport
et son apport à la construction d’une société meilleure sont étroitement
liés à ce que l’on nomme «l’éthique du sport». Il s’agit d’une notion
qui renvoie à l’intégrité morale personnelle du sportif, mais aussi
à l’intégrité collective des équipes, des associations ou sociétés
sportives, voire des supporteurs. Sans le respect de cette éthique, l’image
du sport se ternit et le message véhiculé devient malsain, voire
dangereux.
9. L’Union européenne et le Conseil de l’Europe ont réalisé nombre
de travaux sur des sujets en rapport avec l’idée d’intégrité et
d’éthique dans le sport. Parmi les questions les plus importantes
et sensibles, celles concernant le dopage, le racisme et la violence
des spectateurs ont été traitées par des rapports précédents de
l’Assemblé parlementaire et font l’objet de deux conventions du
Conseil de l’Europe. Il n’est pas envisagé d’y revenir dans le cadre
du présent rapport.
10. Le point de départ de ce rapport est le constat que l’affirmation
des principes éthiques et leur respect effectif sont sérieusement
mis en danger par des intérêts économiques (individuels ou collectifs),
mais aussi par des enjeux de pouvoir au sein des structures sportives
(clubs et fédérations). Ces facteurs remettent en question l’éthique
du sport et transforment l’organisation et le déroulement des compétitions
sportives en occasions de comportements déloyaux, de tricherie,
de fraudes et de gains illégaux, et même d’abus notamment envers
les jeunes sportifs.
11. Malheureusement, les épisodes se multiplient à la une des
journaux: la corruption généralisée d’arbitres de football dans
l'affaire «Calciopoli» en Italie, celle du bannissement à vie de
toute activité liée au football de Mohamed Bin Hammam, condamné
pour l’achat d’une voix à l’élection à la présidence de la FIFA,
ou encore la faillite de plusieurs clubs professionnels en Angleterre,
en Espagne, en France ou en Italie. Par ailleurs, les scandales
sportifs qui éclatent au grand jour ne sont que la pointe de l’iceberg:
les experts savent bien que la partie cachée, mal connue par le
public, a des dimensions encore plus importantes et préoccupantes.
12. Au-delà de la répression des infractions relevant du droit
pénal, le but du présent rapport est de vérifier si et comment il
serait possible d’intervenir au niveau des mécanismes de gestion
et de gouvernance des structures sportives pour mieux contrer les
risques éthiques engendrés par les enjeux économiques ou de pouvoir.
13. La bonne gouvernance, à tous les échelons, est une condition
nécessaire de l’éthique sportive. C’est donc la relation entre «bonne
gouvernance» et «éthique» dans le monde du sport qui est au cœur
de notre analyse. Le football se trouve souvent en première ligne
quand on évoque la notion de bonne gouvernance et d’éthique dans
le sport, mais les problèmes dénoncés par ce rapport affectent,
avec une intensité variable selon les cas, toutes les disciplines
sportives. Les chapitres qui suivent développent l’analyse de trois questions
particulièrement complexes et importantes, à savoir: «le fair-play
financier», «la protection des jeunes sportifs migrants» et «la
bonne gouvernance et la transparence dans les instances sportives».
2. Le fair-play financier
14. Le monde du sport, et notamment son niveau professionnel,
est étroitement lié à des activités commerciales hautement lucratives.
Le développement continu de la dimension économique du sport, soutenu également
par son internationalisation, s’exprime entre autres dans les montants
consacrés à l’achat des droits de retransmission télévisée, aux
transferts et aux rémunérations des sportifs par les clubs les plus
prestigieux, et aux contrats publicitaires négociés par les marques
des produits sportifs. Même la crise économique n’a pas réellement
mis un frein à la surenchère et l’ampleur des enjeux financiers
ne cesse de s’accroître.
15. L’irruption non maîtrisée des réflexes purement financiers
amplifie le risque de dérives. Pour cette raison il est indispensable
que l’économie du sport européen reste solidement ancrée sur un
ensemble de valeurs fondamentales qui permettent d’assurer le maintien
d’une certaine éthique. Le fair-play financier est un concept clé
évoqué à cet égard.
16. Ce concept lie la notion traditionnelle de fair-play sportif
à la dimension financière de la gestion des clubs (associations
ou sociétés) sportifs. Il est donc utile de partir de la notion
générale de fair-play sportif pour mieux comprendre celle, spécifique,
de fair-play financier, avant d’examiner les mécanismes mis en place
en France, puis au niveau européen pour le garantir et de discuter
des autres problèmes et de la manière de les affronter.
2.1. Du fair-play sportif au fair-play
financier dans le sport
17. Le «Code d'éthique sportive» annexé à la Recommandation
n° R (92) 14 rev du Comité des Ministres explique
que le fair-play ne se limite pas au simple respect des règles et
qu’il couvre aussi les notions de respect de l’autre et d’esprit
sportif (paragraphe 5). Le fair-play s’oppose donc à toute forme
de violence, mais aussi à l’exploitation et à l’inégalité des chances;
à la corruption, mais aussi à la commercialisation excessive; au
dopage et à la tricherie, mais aussi à l’art de ruser tout en respectant
les règles.
18. Le Code d’éthique sportive insiste sur le fait que «les considérations
éthiques à l’origine du fair-play ne sont pas un élément facultatif
mais quelque chose d’essentiel à toute activité sportive, toute
politique et toute gestion dans le domaine du sport et qu’elles
s’appliquent à tous les niveaux de compétence et d’engagement de
l'activité sportive, et aussi bien aux activités récréatives qu’au
sport de compétition» (paragraphe 1).
19. Il souligne aussi que «[l]a société et l’individu ne pourront
profiter pleinement des avantages potentiels du sport que si le
fair-play cesse d'être une notion marginale pour devenir une préoccupation
centrale» (paragraphe 7) de tous les opérateurs: de chaque individu
en tant que spectateur ou supporter aux gouvernements (à tous les
niveaux), en passant par les professeurs et moniteurs, les sportifs
(notamment ceux de haut niveau qui servent de modèle) et les personnes
qui les accompagnent (entraîneurs, médecins et d’autres), les arbitres,
les opérateurs commerciaux, les médias, les organisations sportives,
en particulier les fédérations sportives et les instances dirigeantes.
20. Le sport reste une activité spécifique que l’on ne peut pas
assimiler entièrement aux autres activités à caractère économique.
Il a ses valeurs propres (qui doivent être mises en avant par ceux
qui dirigent le sport, par ceux qui l’encadrent et par ceux qui
le pratiquent), une fonction sociale qui nécessite que le milieu
sportif reste exemplaire, et une dimension particulière liée à la
place du «jeu» et de l’incertitude dans la compétition sportive.
Cette dimension est également à la base de l’attachement du public
au spectacle sportif.
21. Cela justifie que l’on puisse demander aux clubs sportifs
professionnels d’accepter des contraintes supplémentaires par rapport
à celles habituellement imposées aux sociétés commerciales. Il ne
s’agit pas simplement de respecter les règles propres à toute activité
économique dans une société de marché, mais de tempérer certains
effets que l’application des principes du libre marché peut engendrer,
au nom de la nécessité de préserver les valeurs propres du sport
et sa fonction sociale essentielle.
22. C’est d’abord dans le monde du football professionnel que
l’exigence d’intervenir pour une meilleure discipline financière
s’est fait sentir. Depuis plusieurs années, on constate une tendance
inflationniste des dépenses concernant les salaires et les indemnités
de transfert des joueurs et une dégradation générale des finances
des clubs de football, plusieurs ayant essuyé de manière répétée
des pertes financières, parfois énormes.
23. Les recettes des clubs de football – notamment les droits
de retransmission télévisuelle, mais aussi les recettes liées au
sponsoring et à la vente des produits dérivés – ont augmenté, mais
leurs dépenses se sont envolées. Les salaires sont la cause principale
du déséquilibre budgétaire. Ils ont connu une croissance exorbitante
dans les quinze dernières années et représentent un poids de plus
en plus lourd dans les comptes des clubs européens (par exemple,
en France, 74% du chiffre d'affaires des clubs en ligue 1 en 2010,
contre 61% en 2006).
24. Près de la moitié des clubs européens sont déficitaires et
les cinq plus importants championnats européens sont endettés. Par
ailleurs, paradoxalement, ce sont les grands clubs, les plus riches,
qui s'endettent massivement. Par exemple, la dette de Manchester
United s'élève actuellement à plus de 800 millions d'euros; le FC
Barcelone a eu un déficit de 77 millions d'euros pour la seule saison
2009-2010.
25. Cette situation est non seulement perçue comme une source
d'inquiétudes concernant la pérennité du football européen mais
aussi comme une source d'inégalités, les clubs moyens et petits
ne pouvant disposer des mêmes ressourses que les grands. Pour faire
une comparaison avec d’autres secteurs économiques, on pourrait
dire que les grands clubs ont une position dominante et qu’ils l’exploitent
à fond.
26. Il faut souligner que des signes inquiétants de surenchère
dans les salaires des joueurs professionnels apparaissent désormais
dans d’autres sports d’équipe en Europe. Sans vouloir nier le droit
pour les sportifs de haut niveau de bénéficier de rémunérations
en juste rapport avec les bénéfices économiques qu’ils engendrent en
faveur de leurs sociétés, il ne faut pas que dans des sports comme
le rugby, le basket-ball, le cyclisme par équipe ou d’autres, on
puisse connaître les excès que l’on dénonce actuellement dans le
monde du football professionnel masculin.
27. Il faut aussi protéger de ces excès le développement des sports
d’équipe féminins, en ayant cependant égard à la différence très
(et peut-être trop) importante qui existe actuellement entre les
salaires des sportifs et celui des sportives.
2.2. Les normes garantissant le
respect du fair-play financier en France et en Europe
28. Dans le contexte européen, la situation du football
professionnel français constitue une exception. Une Direction nationale
du contrôle de gestion (DNCG) a été établie au sein de la Fédération
française de football (FFF)
.
La commission de contrôle des clubs professionnels de la DNCG effectue,
chaque saison, un contrôle de la situation juridique et financière
de tous les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2
, sur
la base des données financières (historiques et prévisionnelles)
qu’ils communiquent.
29. Le principal objectif de ce contrôle est d’assurer la pérennité
et l’équité des compétitions, en vérifiant notamment que les dépenses
de chaque club n’excèdent pas ses capacités financières. Pour que
la DNCG puisse mener à bien cette mission, les clubs ont des obligations
concernant:
- la transmission
de documents (comptables, financiers, juridiques ou autres);
- la tenue de la comptabilité (par exemple l’obligation
de respecter le plan comptable type adopté par la FFF);
- la soumission aux procédures de contrôle (sur pièces et
sur place).
30. En cas de non-respect par les clubs de ces obligations et/ou
en fonction de leur situation financière, la DNCG, pourra prendre
des mesures à leur encontre visant à éviter les dérives en termes
de gestion. En particulier, la DNCG peut prendre des sanctions concernant
les effectifs (par exemple: interdiction partielle ou totale de
recruter de nouveaux joueurs; recrutement contrôlé avec limitation
du budget prévisionnel ou de la masse salariale prévisionnelle;
limitation du nombre de joueurs pouvant être mutés dans l’équipe
première), et des décisions concernant la participation du club
aux compétitions (rétrogradation dans la division inférieure; interdiction
d'accéder à la division supérieure; exclusion des compétitions).
Ces décisions peuvent faire l’objet de recours internes puis de
recours devant les tribunaux administratifs.
31. Ce mécanisme a amélioré la transparence des budgets des clubs
et a permis d’assainir leur gestion financière. La rigueur budgétaire
qui leur est imposée favorise l’équilibre du marché des transferts.
Mais si l’action de la DNCG renforce l’éthique sportive en France,
elle désavantage (dans une certaine mesure) les clubs français par
rapport aux autres clubs, qui se retrouvent placés dans des conditions
financières différentes suivant les pays où ils évoluent.
32. Pour faire face à cette inégalité, l’établissement d’un système
au niveau européen était souhaitable. Ainsi, l’UEFA, sous l’impulsion
de son président, Michel Platini, a proposé de discipliner les finances
des clubs de football européens et a approuvé, en mai 2010, un «Règlement
sur l’octroi de licences aux clubs et le fair-play financier»
, en instituant au niveau européen
un système de supervision dont les objectifs s’inspirent de ceux
de la DNCG française.
33. En particulier, comme le précise son article 2.2, ce règlement
«vise à garantir le fair-play financier dans les compétitions interclubs
de l’UEFA, et notamment:
a. à améliorer
les performances économiques et financières des clubs et à renforcer
leur transparence et leur crédibilité;
b. à accorder l’importance nécessaire à la protection des
créanciers, en s’assurant que les clubs s’acquittent de leurs dettes
(…);
c. à introduire davantage de discipline et de rationalité
dans les finances des clubs;
d. à encourager les clubs à fonctionner sur la base de leurs
propres revenus;
e. à promouvoir les investissements responsables dans l’intérêt
à long terme du football;
f. à protéger la viabilité à long terme et la pérennité du
football interclubs européen.»
34. L’ensemble des dispositions concernant la discipline financière
des clubs est entré en vigueur le 1er juin 2011.
Parmi les mesures concrètes pour atteindre ses buts, le règlement
établit l’obligation pour les clubs de présenter des informations
comptables détaillées et d’équilibrer leurs comptes: ils ne devront
pas dépenser plus que les revenus qu'ils génèrent. Les clubs à haut
risque devront faire état de leurs plans stratégiques.
35. Les comptes financiers des clubs seront soumis à une évaluation
pluriannuelle par le «Panel de contrôle financier des clubs», mis
en place pour assurer le respect par tous les clubs de ces nouvelles
règles. La mise en application se fera de façon progressive et un
écart sera toléré dans les limites fixées
. Pour les clubs ne respectant
pas les critères d’équilibre budgétaire, les sanctions pourront
aller de l'interdiction de recruter à l'exclusion des compétitions
européennes.
36. Les premières sanctions pourraient être prononcées en 2013
et l'interdiction de participer aux coupes européennes en 2014-2015.
L’UEFA a précisé que le règlement sera appliqué de la même façon
pour tous les clubs, y compris les plus grands. Pour comprendre
l’impact potentiel de ces mesures, il suffit de mentionner que 11
des 32 clubs engagés en Ligue des champions lors de la saison 2010-2011
ne répondaient pas aux critères du fair-play financier.
2.3. Problèmes restants concernant
la mise en œuvre du fair-play financier et éléments de réflexion
37. Cependant, les mesures introduites par l’UEFA ne
peuvent pas faire disparaître l'écart entre les clubs européens.
Les clubs ne génèrent pas les mêmes ressources: les plus riches
continueront donc à attirer les meilleurs joueurs. Par ailleurs,
l’UEFA ne sanctionnera pas (du moins à ce stade) la dette existante
des clubs, même si les mesures d’assainissement financier devront
tenir compte du poids du remboursement de cette dette.
38. Il est encore trop tôt pour juger si, et dans quelle mesure,
la nécessité de réduire les dépenses entraînera une diminution des
salaires, et si cette baisse frappera réellement l’ensemble des
joueurs (y compris les grands champions). Sans doute les clubs chercheront-ils,
si possible, à augmenter encore leur recettes. Ils pourraient demander,
par exemple, un investissement plus important des sponsors pour
réduire ou effacer les déficits.
39. Il faudra faire attention à empêcher que, par ce biais, le
fair-play financier soit contourné. Un cas d’école est celui de
Manchester City, qui a passé un contrat estimé à 400 millions de
livres (soit plus de 450 millions d’euros) avec la compagnie aérienne
Etihad. Or, Etihad appartient à la famille princière d'Abou Dhabi,
et le propriétaire du Manchester City est le groupe Abu Dhabi United
(ADUG) dirigé par Suleiman Al-Fahim. Pour éviter de telles opérations
abusives, l'UEFA devrait interdire aux clubs de se sponsoriser eux-mêmes
ou de passer par des organismes apparentés pour le faire. Il faudra
aussi surveiller les «achats» des sponsors, qui ne devraient pas
surpayer les droits qu’ils acquièrent.
40. Par ailleurs, on peut craindre que les clubs ne soient tentés
de masquer leur déficit par des artifices comptables ou des opérations
illégales (comme le paiement d’une partie des salaires en sous-main),
que l’UEFA aurait alors du mal à détecter. Faut-il donc que l’on
envisage d’autres mesures?
41. Il a été discuté de l’opportunité d’un plafonnement de la
masse salariale des clubs (salary cap) et/ou d’une
limitation du nombre de contrats professionnels pouvant être souscrits
par les sociétés sportives (ce qui correspond à une limitation des
joueurs professionnels pouvant être recrutés dans une équipe). On
a vu que de telles restrictions sont appliquées dans des cas concrets
en tant que sanctions par la DNCG française. La généralisation de
l’une et/ou de l’autre mesure favoriserait sans doute une meilleure
maîtrise budgétaire, mais présenterait aussi des inconvénients majeurs.
42. Ainsi, l’imposition d’un salary
cap pourrait accroître la tentation de réduire les salaires
des joueurs moins connus (notamment des jeunes ou de ceux qui arrivent
des pays d’Afrique ou d’Asie), d’effectuer des opérations en sous-main
ou de favoriser des arrangements avec les sponsors pour transférer
sur eux une partie des coûts (contre des avantages sous-payés).
Cette mesure ne semble d’ailleurs pas avoir beaucoup de soutien.
La limitation du nombre de contrats professionnels ne serait pas
efficace pour favoriser la baisse des gros salaires, pourrait également
pénaliser les jeunes joueurs et priver bon nombre d’entre eux de
chances réelles de s’affirmer, et pourrait enfin, à terme, affecter
les politiques de formation.
43. Dans les deux cas, un problème fondamental est la difficulté
d’appliquer à tous et partout les mêmes normes: d’un pays à l’autre
et selon les cas, les variables sont nombreuses et un traitement
uniforme pourrait engendrer des iniquités. D’autre part, il ne semble
pas envisageable d’adopter des standards variables en fonction des
circonstances, car il deviendrait alors illusoire de parler de normes
communes. En conséquence, il semble peu vraisemblable qu’un accord
puisse être atteint au niveau international sur de telles mesures.
Cela explique la solution plus simple choisie par l’UEFA: imposer
le respect d’un certain équilibre budgétaire.
44. Il convient de noter qu’une partie du problème repose sur
les différences entre législations nationales et sur les soutiens
indirectement accordés aux clubs par les pouvoirs publics. La fiscalité
et les charges sont différentes selon les pays; ces facteurs ont
un impact certain sur les dépenses liées aux salaires des joueurs et
donc faussent d’une certaine manière la concurrence. Par ailleurs,
les campanilismes locaux et nationaux ne doivent pas se traduire
en soutien financier déloyal à certaines équipes.
45. A cet égard, la question se pose de savoir à partir de quel
moment le financement des infrastructures sportives, leur revente
aux sociétés sportives ou leur mise à disposition aux équipes, l’octroi
de subventions, de prêts, d’avantages fiscaux ou d’autres avantages
financiers, les dons, l’achat par les pouvoirs publics d’espaces
publicitaires voire de structures appartenant aux clubs – ou d’autres
mesures de soutien aux sociétés sportives –, peuvent fausser sensiblement
la concurrence entre clubs en donnant un avantage indu à certains
d’entre eux. Par exemple, au début des années 2000, le Real Madrid
a pu revendre à la ville son terrain d’entraînement pour plus de
400 millions d’euros.
46. Une application stricte de l’interdiction des aides d’Etat
aux sociétés sportives professionnelles – qui sont par définition
engagées dans des activités économiques et relèvent donc de la notion
d’entreprise aux fins du droit communautaire
–
est nécessaire. En outre, il conviendrait d’imposer au niveau national
la plus grande transparence financière dans toutes les opérations
impliquant l’utilisation de fonds publics à l’avantage du sport
professionnel; et ce, pour éviter que la survie de sociétés incapables
de mettre en place une gestion financière saine soit payée par les
contribuables.
47. Enfin, les Etats pourraient accompagner les efforts des fédérations
nationales et européennes par une meilleure harmonisation des normes
sur la comptabilité des clubs sportifs, dans le but notamment de
renforcer la transparence financière et de prévenir les opérations
comptables opaques et les artifices destinés à contourner les règles
visant à favoriser un certain équilibre entre les recettes et les
dépenses.
3. La protection des jeunes sportifs
migrants
48. Le phénomène des migrations des sportifs vers l’Europe
n’est pas récent: il existait déjà aux débuts du sport moderne à
la fin du XIXe siècle, mais n’était pas
généralisé. La mondialisation a entraîné sa massification et son
internationalisation. Il n’est pas rare aujourd’hui que les clubs
de football, de basket, de hockey sur glace ou de handball aient
une majorité de joueurs ayant une nationalité différente du pays
dans lequel ils évoluent.
49. Le sport fait rêver les jeunes. Nonobstant le peu de chances
qu’il y a de devenir des sportifs professionnels, nombre de jeunes
vivent dans l’illusion que c’est eux qui vont réussir. L’Europe,
dont les ligues prestigieuses attirent des jeunes de partout, est
davantage confrontée aux flux migratoires de jeunes footballeurs
(notamment en provenance d’Afrique et d’Amérique du Sud) que les
autres continents. Ces migrations se réalisent sous forme de transferts
, de prêts, ou de mises à l’essai.
Leur nombre est en augmentation.
50. Les migrations de sportifs mineurs soulèvent des problèmes
à la fois juridiques et éthiques
. Les réponses sont à ce jour
insuffisantes, et il est donc nécessaire d’approfondir la réflexion
sur la manière de traiter ce phénomène.
3.1. Les problèmes liés à la migration
des jeunes sportifs: des abus graves mais peu visibles
51. Depuis les années 1980, les clubs sportifs se sont
développés en sociétés sportives professionnelles et disposent aujourd’hui
de moyens financiers qui leur permettent d’aller trouver de jeunes
talents de plus en plus loin. Ils ont aussi développé des académies
(centres de formation) permettant de former les futurs talents de demain,
ce qui les pousse à aller chercher des sportifs étrangers de plus
en plus jeunes.
52. Certains clubs de football comme l’AJ Auxerre en France, l’Ajax
d’Amsterdam aux Pays-Bas, le FC Barcelone en Espagne, l’Arsenal
FC en Angleterre ont l’appellation de «club formateur». Ils sont
reconnus pour la qualité de leur formation dans les catégories de
jeunes et fournissent généralement d’autres clubs en jeunes joueurs.
A titre d’exemple, Lionel Messi, le footballeur argentin considéré
actuellement comme le meilleur joueur au monde, est arrivé à Barcelone
à l’âge de 13 ans.
53. Mais le cas de Messi n’est plus aujourd’hui un cas exceptionnel.
D’après des chercheurs
ayant
réalisé des statistiques sur les transferts des joueurs professionnels
en 2010, 7,38% des premières migrations internationales se font
avant l’âge de 18 ans
,
ce qui constitue un pourcentage significatif.
54. Par ailleurs, dans certains cas, il s’agit carrément d’enfants.
Manchester United avait fait parler de lui en 2007, en recrutant
un enfant australien de neuf ans après avoir visionné un DVD envoyé
par un membre de sa famille
. En 2011, Manchester United a recruté
un anglais de cinq ans qui avait été repéré à l’âge de trois ans
. Celui-ci s’entraîne désormais tous
les jours à Manchester comme un professionnel. Toujours en 2011, le
Real Madrid a engagé un enfant argentin de sept ans, arrivé depuis
peu en Espagne
.
55. On prend rarement en compte le fait que les jeunes sportifs
en question sont amenés loin de leurs repères affectifs (famille,
amis, maison, etc.), vers une destination qu’ils ne connaissent
généralement pas, dans un pays dont ils ne parlent parfois pas la
langue, avec une culture et des règles qui leur sont étrangères (plats
culinaires, croyances religieuses, modalités et procédures administratives,
manière de s’habiller, conditions météorologiques, règles d’hygiène,
etc.).
56. Par ailleurs, des situations encore plus difficiles peuvent
surgir si le déplacement et le séjour se font non pas après la conclusion
d’un contrat mais en vue de sa conclusion et sous réserve de réussir
des tests ou une période d’essai. Le non-renouvellement des contrats
avec les sportifs en question peut poser des problèmes similaires
s’il ne s’accompagne pas d’un nouveau transfert. Certains jeunes
peuvent ainsi être tentés de choisir la clandestinité.
57. Dans des cas graves, on peut parler d’une véritable exploitation,
y compris avec la complicité de la famille. Il arrive malheureusement
que les proches d’un jeune sportif ou d’une jeune sportive cherchent
à bénéficier financièrement de son talent, parfois même au détriment
de son bon développement psychomoteur. De nombreux parents cherchent
à «vendre» leurs enfants à des clubs, des académies ou à des agents
sportifs, pour les envoyer et pouvoir les suivre en Europe, où les
conditions de vie sont bien meilleures que dans leurs pays d’origine.
58. L’apparition d’escrocs et de faux agents, de profiteurs qui
abusent de la confiance des jeunes pour se faire de l’argent en
toute illégalité, est un autre phénomène préoccupant, dont les conséquences
peuvent être dramatiques. Après une mise à l’essai qui tourne mal,
voire après des engagements non maintenus par des intermédiaires
peu scrupuleux, nombre de jeunes attirés en Europe par le rêve de
jouer dans un grand club sont abandonnés chaque année, sans ressources
ni papiers. Une association en région parisienne recueille chaque
année des centaines de jeunes africains qui se retrouvent dans cette
situation. Il faut résolument lutter contre de telles pratiques
et mieux protéger ces jeunes.
59. L’étude sur les agents sportifs dans l’Union européenne, commanditée
par la Commission européenne et parue en 2009
expose
un «scénario classique de la traite des footballeurs» qui illustre
bien la responsabilité de ces agents. On peut y lire notamment que:
«il y a très peu de recrutements et de contrats proposés par rapport
à l'ampleur du flux, ce qui entraîne une grande masse de laissés
pour compte qui hésitent à rentrer dans leurs pays d'origine et
tentent de rester en Europe quelles qu’en soient les conditions.».
60. Même en dehors des cas extrêmes mentionnés ci-dessus, d’autres
problèmes se posent aux jeunes sportifs migrants. Ils sont particulièrement
vulnérables aux discriminations et aux abus, car ils ignorent (ou connaissent
mal) leurs droits et notamment la législation nationale du travail
du pays qu’ils rejoignent. Ils sont aussi exposés aux difficultés
d’intégration dans le pays d’accueil et au risque de déculturation:
pour un jeune sportif africain, asiatique ou américain, le changement
de langue, de nourriture, de qualité de vie peut avoir pour conséquence
une perte de sa culture d’origine à cause du changement brutal d’environnement
ainsi qu’une perte totale de repères sur le plan psychologique.
Un autre risque est celui d’une éducation sacrifiée ou d’une déscolarisation.
A cet égard, si dans certains sports une obligation de scolarisation
existe bel et bien, de nombreux sportifs de haut niveau choisissent
leur carrière sportive au détriment de la poursuite de leurs études,
leur programme d’entraînement hebdomadaire très chargé ne leur permettant
pas d’avoir d’autres activités.
3.2. Le cadre normatif international:
les principales normes de référence
61. Une première référence normative pour la protection
des sportifs mineurs conduits à migrer est la Convention internationale
des droits de l’enfant
(adoptée par l’Assemblée générale
des Nations Unies dans sa
Résolution
44/25 du 20 novembre 1989). Son article 11 dispose que
«Les Etats parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements
et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger». Le caractère sportif
ne saurait être invoqué pour déroger à ce principe et les migrations
sportives sont donc pleinement concernées par ces «déplacements
illicites». Par ailleurs, selon l’article 19, «[l]es Etats parties
prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales
et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme
de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales,
d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation
(…)». Cette disposition entre clairement en ligne de compte dans
certaines situations particulièrement graves d’exploitation et d’abandon.
62. Des normes similaires à celles de la Convention des Nations
Unies se retrouvent à l’échelon européen dans la Charte sociale
européenne (révisée) du Conseil de l’Europe (STE no 163).
S’agissant du droit des enfants et des adolescents à une protection
sociale, juridique et économique, cette convention prévoit que «[e]n
vue d’assurer aux enfants et aux adolescents l’exercice effectif
du droit de grandir dans un milieu favorable à l’épanouissement
de leur personnalité et au développement de leurs aptitudes physiques
et mentales, les Parties s’engagent à prendre (…) toutes les mesures
nécessaires et appropriées tendant: (…) à protéger les enfants et
les adolescents contre la négligence, la violence ou l’exploitation;»
(article 17.1.b).
63. La Charte sociale consacre son article 19 au «droit des travailleurs
migrants et de leurs familles à la protection et à l'assistance
(…)». Cet article inclut plusieurs dispositions spécifiques y compris,
par exemple, l’engagement des parties «à adopter, dans les limites
de leur juridiction, des mesures appropriées pour faciliter le départ,
le voyage et l'accueil de ces travailleurs et de leurs familles,
et à leur assurer, dans les limites de leur juridiction, pendant
le voyage, les services sanitaires et médicaux nécessaires, ainsi
que de bonnes conditions d'hygiène;» (article 19.2).
64. Certains cas de maltraitance morale ou physique des jeunes
sportifs pourraient même relever de la définition de la «traite»
au sens de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre
la traite des êtres humains (STCE no 197).
Aux fins de cette convention «l’expression "traite des êtres humains"
désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement
ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours
à la force ou d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude,
tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité,
ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour
obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre
aux fins d’exploitation» (article 4.a).
65. Par ailleurs, «le recrutement, le transport, le transfert,
l’hébergement ou l’accueil d’un enfant [ce terme désignant toute
personne âgée de moins de 18 ans] aux fins d’exploitation sont considérés
comme une "traite des êtres humains" même s’ils ne font appel à
aucun des moyens énoncés à l’alinéa a du
présent article» (article 4.c).
66. La question des transferts internationaux des joueurs mineurs
fait l’objet de dispositions spécifiques du «Règlement du statut
et du transfert des joueurs» de la FIFA
. Son article 19 stipule que «[e]n
principe, le transfert international d’un joueur ne sera autorisé
que si le joueur est âgé de 18 ans au moins ». On pourrait donc
s’étonner du nombre de transferts de joueurs mineurs.
67. Une partie de l’explication réside dans le fait que le même
article prévoit trois exceptions au principe qu’il établit, notamment
dans le cas de jeunes joueurs qui suivent leurs parents, de transferts
de joueurs d’au moins 16 ans au sein de l’Union européenne ou de
l’Espace économique européen et de transferts au sein des zones transfrontalières
. Il reste néanmoins
un certain nombre de cas problématiques.
68. D’une part, il n’est pas certain que tous les transferts autorisés
au titre de ces trois exceptions soient réellement justifiés. Il
est vrai que l’article 19 précise que «[c]haque transfert international
et chaque premier enregistrement de joueur (…) doivent être approuvés
par la sous-commission créée à cet effet par la Commission du statut
du joueur». Mais cette sous-commission n’étant pas permanente, elle
est dans l’incapacité de vérifier tous les détails de chaque dossier,
sachant qu’il y a des centaines voire des milliers de cas par an.
69. D’autre part, le système présente une limite majeure: tous
les joueurs mineurs qui arrivent en Europe ne sont pas préalablement
licenciés dans leur pays d’origine et la procédure de transfert
ne rentre pas, dans ce cas, dans le cadre normatif de la FIFA. Cela
concerne, par exemple, le football en Afrique, où de nombreux jeunes
sont repérés dans des tournois de quartier non officiels ou dans
des clubs ou centres de formation qui ne sont pas affiliés à leur
fédération.
70. Un autre problème concerne l’utilisation de faux documents
d’identité pour faire venir légalement un mineur dans une académie.
L’article 19 bis du Règlement de la FIFA traite la question «Enregistrement
et déclaration des mineurs au sein des académies». Chaque académie
doit déclarer auprès de l’association sur le territoire de laquelle
elle exerce son activité tous les joueurs mineurs qui la fréquentent
dans un but d’entraînement (paragraphe 2.b).
Chaque association doit tenir un registre où sont consignées toutes
les déclarations émanant des clubs ou des académies, avec les noms
et dates de naissance des mineurs (paragraphe 3). Si les académies
les plus reconnues et les mieux dotées financièrement et en termes d’infrastructures
sont assez soucieuses et que l’on peut estimer que la vérification
des documents est faite sérieusement, les académies «de seconde
zone» situées dans des championnats européens moins cotés pourraient
être à la fois moins attentives ou moins bien armées pour effectuer
toutes les vérifications requises.
3.3. Insuffisance de la protection
offerte aux jeunes sportifs migrants: pistes de travail
71. La Charte sociale européenne (révisée) et la Convention
sur la lutte contre la traite des êtres humains peuvent être invoquées
pour contrer les cas les plus graves de violation des droits des
jeunes sportifs migrants, qualifiables d’exploitation. Mais ces
textes ne peuvent pas, à eux seuls, répondre entièrement aux problèmes que
pose la migration des jeunes sportifs. Dans le cadre national, ces
problèmes se conjuguent non seulement avec des lacunes législatives,
mais également avec des mauvaises pratiques administratives.
72. On constate, par exemple, certaines négligences comme:
- l'abus de visas touristiques
ou d’étudiants (utilisés, par exemple, pour une mise à l’essai);
- la manipulation d’identité, notamment de l’âge et de la
nationalité;
- la facilité d’octroi de visas dans certains pays où des
agents ont des contacts privilégiés avec des employés au sein d’ambassades,
ce qui ouvre la porte à la répétition de cas frauduleux;
- des naturalisations de complaisance qui permettent à des
clubs de recruter des jeunes mineurs prometteurs, de les former
chez eux quelques années avant qu’ils n’obtiennent la nationalité
du pays d’accueil, afin de ne pas rentrer dans les quotas de joueurs
extracommunautaires .
73. Nous avons déjà évoqué les situations pénibles dans lesquelles
peuvent se trouver les jeunes sportifs migrants du fait d’intermédiaires
malhonnêtes. Bien entendu, ce n’est qu’une minorité des agents/intermédiaires
sans scrupules qui agit de la sorte. En général, les agents licenciés
qui
se sont spécialisés dans le recrutement de joueurs mineurs suivent
une formation de qualité
et sont
strictement soumis à la réglementation de la FIFA, qu’ils appliquent.
A ce sujet, il conviendrait néanmoins d’encourager une harmonisation
des législations nationales au niveau européen.
74. L’Union européenne a déjà entamé des discussions à ce propos,
mais une éventuelle législation communautaire ne couvrirait que
ses 27 Etats membres. Le Conseil de l’Europe pourrait jouer un rôle
de forum de discussion à une échelle paneuropéenne plus adaptée
à l’Europe du sport, afin d’éviter que les pays en dehors de l’Union
européenne, où la question de la législation autour de la profession
d’agent sportif est tout aussi cruciale, restent des zones de non-droit
en la matière.
75. Par exemple, l’Accord partiel élargi sur le sport (APES) pourrait
établir une plate-forme de dialogue réunissant l’UEFA et d’autres
parties prenantes, et lancer une réflexion sur des questions comme:
la possibilité pour les avocats d’agir officiellement en tant qu’agents
sportifs; le rôle ambigu des agents (qui devraient clairement représenter
et défendre soit les intérêts du club soit ceux du joueur, alors
qu’aujourd’hui ils peuvent être mandatés en même temps par un club
et un joueur de ce club, entraînant un conflit d’intérêts évident);
ou encore la place de la famille du joueur dans les négociations.
76. En ce qui concerne la réglementation sportive, l’interdiction
de principe des transferts internationaux des joueurs mineurs établi
par le Règlement du statut et du transfert des joueurs de la FIFA
donne la bonne direction. Mais la FIFA est la seule fédération internationale
à avoir établi un cadre normatif concernant les jeunes sportifs.
Pour les autres sports, la réglementation est totalement absente.
Par ailleurs, même dans le cadre de la FIFA, un contournement des
règlements s’organise (par le jeu des trois exceptions permettant d’autoriser
le transfert d’un joueur mineur). Et d’autre part, ces normes ne
s’appliquent pas forcément à tous les sportifs (par exemple aux
joueurs ou sportifs non affiliés à une fédération).
77. La problématique des migrations de jeunes footballeurs est
aussi liée à la question des indemnités de formation redevables
aux anciens clubs formateurs. Dans la pratique, le montant de ces
indemnités dépend des confédérations et des associations membres
de la FIFA. Les sommes payées à ce titre peuvent donc fortement
varier. Les clubs européens ont tout intérêt à recruter un joueur
en Afrique ou en Amérique du Sud, là où les indemnités à payer seront
moindres. Là encore, le footballeur mineur est traité comme une marchandise
sur laquelle on peut spéculer.
78. Très peu est fait au niveau des fédérations nationales pour
répondre aux divers problèmes. Un exemple positif, mais qui reste
isolé, est celui de la France, où un ensemble de bonnes pratiques
à destination des clubs a été élaboré par l’Union des clubs professionnels
de football dans un document intitulé «10 recommandations pour l’accueil
d’un jeune mineur étranger dans un club français».
79. Ces dix recommandations sont les suivantes:
- accueillir le jeune en stage
d’initiation sur la base de critères préalablement déterminés et
s’informer de son passé sportif;
- s’assurer de la fiabilité de ses intermédiaires/accompagnants;
- envoyer une lettre d’invitation au consulat de France
du pays d’origine et, le cas échéant, au club d’origine;
- recueillir un accord et une décharge parentale;
- veiller à demander la photocopie du passeport et du visa;
- contrôler les billets d’avion aller-retour;
- prendre en charge une assurance à responsabilité civile
et en dommages corporels;
- organiser une visite médicale par le médecin du club;
- prendre en charge l’hébergement et les frais du joueur
lors de son séjour au club;
- organiser l’accompagnement du joueur à l’aéroport à l’aller
comme au retour.
80. Le respect de ces recommandations devrait permettre d’améliorer
la prise en charge des jeunes sportifs migrants et d’éviter les
abus. Mais il s’agit de normes non contraignantes.
4. Bonne gouvernance et transparence
dans les instances sportives
81. La bonne gouvernance et la transparence sont déterminantes
pour la crédibilité et l’efficacité de toute institution. Cela s’applique
aussi aux institutions sportives, notamment les grandes fédérations
internationales, continentales et nationales. L’autonomie du mouvement
sportif ne doit pas aller à l’encontre du respect de ces deux principes
fondamentaux. L’autonomie des fédérations sportives doit être respectée,
mais sans permettre une opacité dans la gestion financière. L’accès
au pouvoir et son maintien doivent respecter non seulement les formes,
mais aussi l’essence du principe démocratique. Les fraudes électorales
ou dans l’attribution des grands événements sportifs internationaux,
les dérives financières et le détournement de fonds destinés au sport
dans le dessein de s’enrichir personnellement sont des problèmes
sérieux auxquels il convient de donner une réelle réponse.
82. Le monde du football et sa fédération au niveau mondial, la
FIFA, ont fait – et continuent de faire – trop souvent la une des
journaux à cause des soupçons de fraude ou de corruption pesant
sur certains de leurs dirigeants. Vu le rôle majeur de la FIFA,
y compris en tant qu’organisme de régulation et bailleur de fonds importants
pour le développement du football dans le monde, elle se doit d’être
exemplaire. Pour cette raison, cette partie du rapport traitera
en particulier de certains scandales impliquant cette institution.
Le but n’est pas de la stigmatiser, mais l’image de la FIFA est
en train de se dégrader et il est urgent d’intervenir pour prévenir d’autres
dérives. Par ailleurs, d’autres sports connaissent des problèmes
similaires. La question est donc de savoir comment intervenir pour
améliorer la gouvernance et la transparence financière dans le domaine
du sport en général.
83. Avant d’aborder le fond de cette question, il convient de
rappeler la définition de la bonne gouvernance donnée par la Recommandation
Rec(2005)8 du Comité des Ministres relative aux principes de bonne gouvernance
dans le sport: elle est «un réseau complexe de mesures gouvernementales
et de règlements privés servant à promouvoir l’intégrité dans la
gestion des valeurs clés du sport, concrétisées par des activités sportives
qui se fondent sur la démocratie, l’éthique, l’efficacité et la
responsabilité (…)». La même recommandation précise aussi que «ces
mesures s’appliquent aussi bien au secteur de l’administration publique
du sport qu’au secteur non gouvernemental du sport».
4.1. Des affaires de corruption
au sein de grandes fédérations sportives
4.1.1. L’attribution des jeux Olympiques
d’hiver en 2002 à Salt Lake City et d’été à Londres en 2012
84. Lors de la 108e session
extraordinaire du Comité international olympique (CIO) et à l’issu
d’un vote à bulletin secret, les membres du CIO ont voté l’exclusion
de six membres pour «conduite inappropriée en relation avec la candidature
de Salt Lake City
». Ces membres avaient soit reçu des aides
financières soit directement touché de l’argent contre leur voix
pour l’attribution des jeux Olympiques d’hiver de 2002 à la ville de
Salt Lake City. «Chaque cas a été étudié séparément et chaque membre
risquant l’exclusion s’est vu accorder la possibilité de s’exprimer
devant la session
».
85. La Commission d’éthique du CIO a formulé plusieurs recommandations
concernant des personnes, membres du CIO ou non, qui ont été impliquées
dans des affaires de corruption au sein du mouvement sportif. En
2011, elle a recommandé de prononcer un blâme à l’encontre de M.
Issa Hayatou
, membre du CIO, pour avoir
détourné 100 000 francs français en liquide provenant de la société
ISL/ISMM qui étaient destinés au financement du 40e anniversaire
de la Confédération africaine de football (CAF). En 2004, à la suite
d’une investigation journalistique de la chaîne BBC, qui concluait
que plusieurs membres du CIO étaient corruptibles ou totalement
sous le contrôle d’agents de liaison pour les villes candidates,
la Commission d’éthique du CIO a proposé l’exclusion d’un membre
du CIO, M. Ivan Slavkov
, et le retrait de
l’accréditation de quatre agents de liaison
.
4.1.2. L’affaire ISL/ISMM – FIFA pour
l’attribution des droits télévisuels et commerciaux (Suisse, 2001-2011)
86. Le journaliste d’investigation Andrew Jennings a
dénoncé à plusieurs reprises (y compris devant la commission de
la culture, de la science, de l’éducation et des médias lors de
son audition de décembre 2011) l’affaire de corruption de certains
dirigeants de la FIFA par la société de marketing sportif International
Sport and Leisure (ISL)
. Avant sa faillite en 2001, qui déclencha
quelques années plus tard une enquête judicaire par le procureur
du Canton de Zoug en Suisse – clôturée par un non-lieu en 2011 –
cette société avait passé des accords avec la FIFA pour obtenir
les droits télévisés de la Coupe du monde de football 2010. Dans
ces accords étaient prévues des commissions pour certains hauts
dirigeants de la FIFA, versées à intervalles réguliers.
4.2. Les enjeux financiers et de
pouvoir au sein des fédérations sportives: le cas de la FIFA
87. Le maintien au pouvoir à la tête des fédérations
sportives internationales, continentales ou nationales est généralement
long. M. Lamine Diack (Sénégal) est à la tête de l’Association internationale
des fédérations d’athlétisme (IAAF)
depuis
1999. En 2011, il a été réélu président pour un mandat de quatre
ans en étant le seul candidat à se présenter. M. Joseph Blatter
(Suisse) est président de la FIFA depuis bientôt 14 années et il
a été élu la dernière fois en étant le seul candidat. Son prédécesseur,
M. João Havelange a dirigé la FIFA pendant 24 ans. Détenir le pouvoir
à la FIFA donne une position mondialement reconnue et une haute
visibilité médiatique, un pouvoir sportif mais aussi une influence
certaine sur des décisions qui ont un impact économique, et dans
certains cas politique.
88. Dans d’autres fédérations, les présidents respectifs sont
en fonction depuis de nombreuses années: la Fédération internationale
de gymnastique (FIG) est présidée par M. Bruno Grandi (Italie) depuis
1996; la Fédération internationale de ski (FIS) est présidée par
M. Gian-Franco Kasper (Suisse) depuis 1998; la Fédération internationale
de tennis (ITF), est présidée par M. Francesco Ricci Bitti (Italie)
depuis 1999; la Fédération internationale de handball (IHF) est
présidée par M. Hassan Moustapha (Egypte) depuis 2000; la Fédération
internationale de natation (FINA) a été présidée par M. Mustapha
Larfaoui (Algérie) de 1988 à 2009. Et la liste pourrait être rallongée.
89. Le fait que les mêmes personnalités restent longtemps dans
des positions de pouvoir au sein des instances sportives n’est en
soi, ni forcément un problème ni un symptôme de dérives. La tendance
est probablement la conséquence, tout d’abord, de la capacité des
leaders des instances sportives, souvent des personnalités charismatiques,
à tisser des réseaux de soutien fondés sur l’estime que ces personnalités
savent gagner parmi leurs pairs. Néanmoins ce phénomène oblige à
se poser la question de savoir si le respect des principes démocratiques
liés à l’élection ou à la réélection des dirigeants de certaines
institutions sportives est, dans quelques cas du moins, purement
formel et si les réseaux de soutien ne deviennent aussi parfois
des véritables réseaux d’influence que certains mécanismes de gouvernance
permettent de consolider.
90. Ce dernier constat peut s’appliquer en général. Si on s’attarde
ici sur le cas de la FIFA, la raison n’est pas que ses mécanismes
de gouvernance soient les moins bons; c’est plutôt qu’ils sont mieux
connus (aussi – il faut le reconnaître au bénéfice de la FIFA –
grâce à la très bonne qualité des informations sur son site web officiel)
et que l’importance de cette institution est sans comparaison par
rapport à toute autre fédération sportive, excepté le CIO.
4.2.1. Mécanismes de gouvernance sujets
à caution
91. Si l’on regarde de près les structures institutionnelles
de la FIFA, conformément aux statuts, l’organe suprême est le Congrès
qui réunit les représentants des 208 associations membres de la
FIFA; néanmoins des pouvoirs étendus appartiennent au comité exécutif
et au président.
92. Entre autres responsabilités, le comité exécutif:
- nomme les présidents, les vice-présidents
et les membres des commissions permanentes et des organes juridictionnels;
- peut décider de créer de nouvelles commissions ad hoc;
- établit les règlements spécifiques des commissions permanentes
et des commissions ad hoc;
- approuve le règlement d’organisation interne de la FIFA;
- détermine le site et les dates des compétitions finales
de la FIFA ainsi que le nombre d’équipes de chaque confédération
admises à y participer.
93. On peut également observer que les présidents et les vice-présidents
des commissions permanentes de la FIFA doivent être membres du comité
exécutif, à l’exception du président et du vice-président de la commission
d’audit, qui ne peuvent l’être en aucun cas. Par ailleurs, les membres
du comité exécutif sont distribués dans les diverses commissions
et, actuellement du moins, en monopolisent deux qui ont une importance
stratégique:
- les six membres
de la commission des finances (un pour chaque confédération continentale)
sont tous membres du comité exécutif. Cette commission supervise
la gestion financière et conseille le Comité exécutif sur les questions
financières et de gestion du patrimoine; elle analyse le budget
et les comptes annuels de la FIFA préparés par le secrétaire général
et les soumet au comité exécutif pour approbation;
- parmi les 29 membres qui composent la commission d'organisation
de la Coupe du monde de la FIFA, 22 sont membres du comité exécutif
(c’est-à-dire tous les membres du Comité exécutif actuel, sauf le président,
M. Blatter).
94. Le président de la FIFA préside le Congrès et le comité exécutif
et il est à la tête de l’appareil administratif. Même si le secrétaire
général de la FIFA, qui dirige l’administration, est nommé formellement
par le comité exécutif, il est responsable devant le président,
qui a le pouvoir de proposer au comité exécutif tant la nomination
que la démission du secrétaire général. Le président a également
le pouvoir de nommer les collaborateurs directs du secrétaire général
(adjoint et directeurs), d’adopter la structure des salaires des managers
et du staff (y compris les bonus et les avantages sociaux) et d’approuver
les objectifs des unités administratives. Dans le rapport «Governing
FIFA»
, cette situation est comparée sans
équivoques au système «moniste» de gouvernance d’entreprise, voire
à celle d’un président-directeur général. Mais il manque au sein
de la FIFA les corrections nécessaires en termes de «
checks and balances» adéquats.
95. Eu égard à ce qui précède, on peut s’interroger sur l’effectivité
des procédures démocratiques internes d’une organisation où les
instances dirigeantes semblent n’avoir aucune difficulté à contrôler
les mécanismes institutionnels et peuvent donc plus facilement maintenir
et consolider le pouvoir acquis. Il ne faut pas ignorer la probabilité
de craintes révérencielles et la possibilité d’influencer, par l’adoption
de décisions concernant les fonctions et les responsabilités assignées
ou même par l’allocation de ressources financières aux divers projets,
le vote des membres du Congrès. Le bannissement à vie de M. Mohamed
Bin Hammam, à la suite d’achat de voix en vue de l’élection présidentielle
à la FIFA, est malheureusement là pour prouver que le système existant
engendre de tels risques
.
4.2.2. Une transparence financière
limitée et des dépenses qui peuvent soulever des doutes
96. La FIFA respecte les règles comptables et d’audit
financier auxquelles elle est soumise selon le droit suisse. Depuis
2003, elle présente ses comptes annuels consolidés conformément
aux normes internationales d’information financière (International Financial Reporting Standards –
IFRS); ces normes impliquent le respect de certains principes à
garantie d’une meilleure transparence financière et d’une plus grande
fiabilité des comptes présentés.
97. La compilation des informations financières consolidées est
soumise à des auditeurs externes. Pour les exercices 2007-2010,
le cabinet KPMG a été chargé de l’audit. Néanmoins, comme le rapport
d’attestation l’explique, ce cabinet ne vérifie que la méthode de
compilation: la responsabilité des informations financières consolidées
incombe au comité exécutif de la FIFA.
98. Les comptes consolidés sont également audités par la commission
d’audit interne au Congrès de la FIFA. On peut, néanmoins, se demander
dans quelle mesure cet audit interne va au-delà de la simple régularité
comptable. Des frais réguliers sur le plan comptable peuvent être
contraires à l’éthique et aux intérêts du football: l’argent que
la FIFA gagne doit servir exclusivement ces intérêts et pas d’autres.
99. La FIFA a des recettes extrêmement élevées ($US 4,189 milliards
pour la période 2007-2010), ce qui permet à l’institution d’avoir
des charges considérables, tout en faisant de larges bénéfices.
Il résulte du rapport financier de 2010
que, dans la période 2007-2010, les
dépenses de la FIFA se sont élevées à 3,558 milliards de dollars.
100. A divers endroits, le rapport financier consolidé se réfère
à des frais «divers» ou «autres» avec quelques exemples mais pas
suffisamment de détails. Ainsi, pour 2010, dans les charges des
compétitions, les frais divers dépassent les $US 203 millions; on
y mélange, entre autres, les frais de marketing avec les frais de déplacement
et d’hébergement des délégués pour leur participation aux diverses
manifestations. Parmi les charges d’exploitation, des dépenses pour
$US 42 772 000 sur un total de $US 103 858 000 (soit plus de 41%) ne
sont pas détaillées. Des avantages en nature sont mentionnés dans
le rapport financier comme une partie des $US 493 millions de charges
non monétaires (qui incluent aussi l’impact économique brut et des amortissements)
sans plus de détails. Comment vérifier la valeur, la composition
et l’utilisation faite de ces «avantages en nature»? La FIFA a des
revenus et des dépenses si élevés que permettre de les comptabiliser sans
plus de précisions peut ouvrir la porte aux dérives.
101. En 2010, le montant total des salaires payés par la FIFA était
de $US 65 280 000
répartis entre 387 employés
en moyenne sur l’année, soit une moyenne de $US 168 682,17 par employé.
En 2010, le revenu mensuel moyen à la FIFA était donc de $US 14 056,85.
Les salaires de la FIFA ont augmenté de 31,6% entre 2009 et 2010
(ils sont passés d’un total de $US 49 599 000 en 2009 à $US 65 280 000
en 2010), alors que sur cette même période le nombre moyen d’employés
n’a augmenté que de 7,2%. Le rapport financier n’explique pas ces
augmentations et ne fournit aucune donnée sur les salaires des principaux
dirigeants.
102. Les membres du comité exécutif, de la commission des finances
(qui sont tous aussi membres du comité exécutif) et de la direction
de la FIFA sont considérés comme des dirigeants principaux. En 2010,
des «prestations à court terme» pour $US 36,6 millions ont été payées
aux principaux dirigeants
(en
2009: $US 20,9 millions). D’après le rapport, il est impossible
de savoir à quoi correspondent ces «prestations». Il faut noter
que les frais de mission (déplacements et hébergement) sont déjà
comptabilisés dans un autre poste du rapport financier. La transparence
financière demanderait plus de précisions quant à ces «prestations
à court terme» qui se renouvellent chaque année, uniquement pour
les principaux dirigeants. En ajoutant ces prestations aux salaires
(et sans compter plus de $US 14 millions de charges sociales ou
autres), on obtient un total de presque $US 102 millions (plus de
75 700 000 € au taux de change moyen pour l’année). A titre de comparaison,
d'après les comptes audités du Conseil de l’Europe pour 2010, les
frais de personnel de la Cour européenne des droits de l’homme (629
membres du Secrétariat et 47 juges) s'élevaient à 55 476 023,17
€.
4.3. Eléments de bonne gouvernance
des fédérations sportives européennes et internationales
4.3.1. Les mesures développées par
la FIFA
103. La FIFA a été amenée à considérer un certain nombre
de réformes dont plusieurs concernent directement sa gouvernance.
Sur le plan financier, la FIFA applique depuis 2003 les normes IFRS
(comme indiqué précédemment) et un cabinet d’audit indépendant auditionne
ses comptes.
104. En 2009, la FIFA a adopté un nouveau code d’éthique
qui
inclut une série de dispositions sur les règles de conduite, y compris,
entre autres, des dispositions assez strictes sur le conflit d’intérêts,
la conduite à l’égard des gouvernements ou d'organisations privées,
l’acceptation et la distribution de cadeaux et autres avantages, l’acceptation
ou la promesse de commissions et la corruption. L’article 4 établit
que «1. Seules les personnes qui font preuve d’un sens très développé
de l’éthique et de l’intégrité et qui s’engagent à respecter les dispositions
du présent code sans aucune réserve sont éligibles à la fonction
d’officiel (…) 3. Les officiels qui ne respectent pas le présent
code ou qui manquent gravement à leurs obligations ou qui n’honorent
pas leurs devoirs et leurs responsabilités de manière adéquate,
notamment sur les questions financières, ne sont plus éligibles
à leur fonction et doivent être révoqués.» On peut regretter que
ce code ne soit pas applicable aux faits antérieurs à son adoption,
sauf si son application ne pénalise pas la personne intéressée.
105. En octobre 2011, la FIFA a établi une feuille de route vers
la bonne gouvernance avec, comme première étape, la constitution
de quatre groupes de travail sur la révision des statuts, la révision
de la commission d’éthique, transparence et conformité, football
2014. Le comité exécutif de décembre 2011 a établi une nouvelle
Commission indépendante de gouvernance (CIG). Le premier rapport
et les propositions de cette commission sont attendus pour le mois
de mars 2012, avec en vue la soumission des amendements statutaires
requis au Congrès de la FIFA de juin 2012. Il a été également décidé
que l’attribution des coupes du monde ne se fera plus par le comité
exécutif mais par la Congrès (droit de vote pour chaque association nationale
membre de la FIFA, soit 208 voix). La commission d’éthique a également
été renforcée: elle sera désormais composée d’un organe d’investigation
et de recherche et d’un organe judiciaire.
4.3.2. Les mesures développées par
le CIO
106. A la suite du scandale de Salt Lake City, le CIO
a approuvé en 1999 la création d’une commission d’éthique, et a
modifié, au début des années 2000, la procédure d’attribution des
villes hôtes des jeux Olympiques pour limiter le risque de corruption
des membres ayant le droit de vote. Ceux-ci étaient particulièrement
bien reçus et, avant la mise en place de la nouvelle procédure,
pouvaient facilement obtenir directement des avantages en nature
(voire des pots-de-vin). Par la suite, le CIO a approuvé en 2008,
lors du Congrès de Copenhague
, des «Principes universels de base
de bonne gouvernance du mouvement olympique et sportif», qui doivent
être considérés comme les standards minimaux à respecter au sein
des fédérations sportives.
107. Ce document accorde une importance égale aux principes politiques
et financiers de bonne gouvernance et intègre les éléments suivants:
- l’importance de la professionnalisation
du personnel travaillant pour les fédérations;
- les structures minimales à respecter pour permettre un
processus décisionnel démocratique;
- une transparence financière et un contrôle indépendant
des comptes;
- l’implication des sportifs dans la prise de décisions
les concernant;
- le respect de certaines normes éthiques via un code d’éthique;
- le respect d’une mission, d’une vision et d’une stratégie
fondées sur un ensemble de valeurs;
- des relations harmonieuses avec les gouvernements et les
institutions politiques dans le respect de l’autonomie des fédérations.
108. Ces principes sont fondamentaux et sont à faire respecter
dans toute fédération sportive, en relation avec ses moyens et son
niveau de développement. Le CIO a enfin consacré une campagne d’éducation,
sous forme de forums obligatoires, à destination des comités nationaux
olympiques, sur le thème de la bonne gouvernance et de la transparence
financière.
5. Conclusions
109. La gestion des problèmes de politique sportive relève
tout d’abord du mouvement sportif en vertu du principe fondamental
d’autonomie. L’autoréglementation est primordiale. Cependant, si
les problèmes persistent, il incombe aux gouvernements d’intervenir.
L’autonomie du mouvement sportif ne saurait couvrir ni les atteintes
graves à l’éthique sportive, ni l’inaction face à des systèmes de
gestion qui ne répondent plus aux préoccupations légitimes de transparence
et de bonne gouvernance. L’autonomie doit protéger l’intérêt du sport
et non celui d’individus peu scrupuleux.
110. L’autonomie du mouvement sportif exige que les Etats s’abstiennent
d’ingérences indues dans l’organisation et le fonctionnement des
instances sportives. Mais elle ne saurait devenir une justification
pour l’inaction. Le sport est un domaine où l’intérêt public est
engagé et les Etats ont un rôle important à jouer pour préserver
l’intérêt général. Ce rôle implique l’établissement d’un cadre juridique
adéquat, la sanction des abus qui constituent des violations de
la loi et la collaboration efficace avec les instances sportives
dans la lutte contre toutes les dérives contraires à l’éthique du
sport et au respect des valeurs essentielles dont le sport doit être
un vecteur.
111. Les paragraphes qui suivent présentent quelques idées concernant
le renforcement du fair-play financier, la protection des jeunes
sportifs migrants et la promotion de la transparence et de la bonne gouvernance
au sein du mouvement sportif. Ces idées ont été reprises dans les
lignes directrices en annexe au projet de résolution.
5.1. Fair-play financier
112. Pour éviter – comme cela est arrivé pour le football
–, que dans d’autres sports d’équipe les dépenses liées aux salaires
des joueurs des sociétés sportives professionnelles s’emballent
aussi, il semble nécessaire de renforcer le «fair-play financier»
par l’adoption de normes imposant la transparence financière, limitant l’endettement
et favorisant l’autofinancement des clubs.
113. De telles contraintes budgétaires, ainsi que les mécanismes
de contrôle nécessaires pour en assurer le respect effectif, devraient
être établies par les fédérations et les associations concernées,
dans le cadre de l’autoréglementation. Les normes sur le fair-play
financier adoptées par l’UEFA pourraient servir de modèle aux autres
fédérations européennes. De même, la DNCG française est un modèle
qui pourrait être suivi dans d’autres Etats et pour d’autres disciplines
sportives.
114. Afin d’améliorer la transparence financière, les Etats européens
devraient tendre vers une meilleure harmonisation des normes nationales
concernant la comptabilité des sociétés sportives. Ils devraient
aussi assurer une application stricte de l’interdiction des aides
publiques aux sociétés sportives professionnelles.
5.2. Protection des jeunes sportifs
migrants
115. Le football est le sport où les problèmes concernant
les jeunes sportifs migrants se manifestent avec le plus d’intensité;
il peut devenir un lieu d’expérimentation d’une politique sportive
en matière de migrations. Il faut néanmoins insister sur le fait
que d'autres sports d’équipe – comme le rugby, le basket-ball ou
le handball – sont aussi concernés par le phénomène des migrations
sportives. Par ailleurs, il a été constaté que des sports individuels
comme l’athlétisme, la gymnastique ou le tennis sont propices à
des flux migratoires de mineurs.
116. Pour contrer les problèmes graves de marchandisation et d’exploitation
des jeunes sportifs, une application sévère de la Convention internationale
des droits de l’enfant des Nations Unies, de la Charte sociale européenne
(révisée) et de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte
contre la traite des êtres humains s’impose. Mais ces textes ne
permettent pas de tout résoudre.
117. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient soutenir
les travaux de l’Accord partiel élargi sur le sport (APES) qui élabore
actuellement un projet de recommandation du Comité des Ministres
aux Etats membres relative aux problèmes liés aux flux migratoires
dans le sport. Il serait souhaitable que ce texte puisse répondre
aux problèmes évoqués dans ce rapport.
118. Par ailleurs, les Etats membres devraient se doter d’une loi
sur le sport, incluant des dispositions visant la protection des
jeunes sportifs nationaux et migrants. En collaboration avec l’Union
européenne, ils devraient également chercher à harmoniser les législations
sur le statut des agents sportifs et des intermédiaires qui, sans
en avoir le titre, agissent comme tels.
119. Enfin, pour accroître ses capacités de contrôle, l’UEFA pourrait
instaurer un prélèvement obligatoire qui servirait à financer un
système de suivi des conditions de transfert et d’accueil des sportifs
mineurs, visant a détecter et à sanctionner les abus.
5.3. Gouvernance, transparence et
lutte contre la corruption et les prises d’intérêts au sein des instances
sportives
120. La bonne gouvernance est régulièrement évoquée dans
les débats qui ont trait au monde de la politique et de l’économie;
il n’y a rien d’étonnant qu’elle le soit aussi dans le domaine sportif.
Le sport occupe une place importante dans nos sociétés et il est
normal que les citoyens et les décideurs politiques s’attendent
au respect – par les fédérations, les associations et les dirigeants
sportifs – de normes éthiques très élevées et de principes communément
affirmés de bonne gouvernance.
121. De nombreuses affaires de corruption de dirigeants sportifs
ont secoué le sport européen et mondial lors de la dernière décennie,
et ce dans des sports majeurs comme le football, mais également
dans d’autres sports. Pour prévenir de tels faits, il semble nécessaire:
- d’améliorer les processus démocratiques
qui sont liés aux conditions d’accès et de maintien du pouvoir sportif;
- de renforcer la transparence financière au sein des fédérations
sportives;
- d’identifier, pour les colmater, les failles systémiques
qui favorisent les conflits d’intérêts, le détournement de fonds
et la corruption de dirigeants sportifs.
122. Certes, on ne peut demander aux fédérations sportives de fonctionner
comme des entreprises privées. Néanmoins, il serait naïf de ne pas
vouloir tenir compte du fait que les enjeux financiers grimpent.
L’attribution d’une Coupe du monde de football représente à l’heure
actuelle un enjeu de plus de $US 4 milliards. Les montants en jeu
sont inférieurs pour d’autres compétitions et d’autres sports, mais
ils restent significatifs. Cet argent doit bénéficier au sport et
à son développement: il est inacceptable qu’il soit détourné à des
fins d’enrichissement personnel.
123. Ainsi, il faut non seulement des normes assurant la conformité
formelle des comptes, mais aussi des contrôles de gestion sur l’utilisation
des fonds, un arsenal normatif permettant de mener des investigations
en interne, et des organes (commission de bonne gouvernance, commission
d’éthique, ou autres) dotés de réels pouvoirs de sanction.
124. Pour conclure, je formule une question que je n’ai pas souhaité
soulever dans ce rapport, mais qui se pose selon moi avec une force
croissante: celle de la contribution du mouvement sportif au développement
de la société dans son ensemble qui pourrait impliquer une plus
grande solidarité. L’argent dégagé par le sport doit-il exclusivement
être réinvesti dans le sport ou ne serait-il pas louable que le
sport participe davantage aux efforts de promotion d’une société
cohésive et d’un développement durable? J’aimerais citer, de manière positive
cette fois, la FIFA et certains programmes qu’elle met en place
dans cette direction. Peut-être, un exemple à promouvoir.