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Rapport | Doc. 12949 | 07 juin 2012

La transition politique en Tunisie

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteure : Mme Anne BRASSEUR, Luxembourg, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12790, Renvoi 3829 du 23 janvier 2012. 2012 - Troisième partie de session

Résumé

Le rapport fait état des derniers développements en Tunisie, berceau du Printemps arabe. Même si le pays doit faire face à un certain nombre de défis (notamment le déclin économique, l’insécurité et l’émergence d’un fondamentalisme islamiste), le processus de la réforme est sur la bonne voie et sa légitimité est maintenant assise sur les résultats des élections à l’Assemblée nationale constituante (ANC) qui ont eu lieu en octobre 2011.

Le rapport appelle l’ANC à consolider les acquis de la révolution tunisienne en fournissant des garanties constitutionnelles aux droits et libertés démocratiques fondamentaux, et de s’appuyer sur l’expertise et les avis proposés par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), de laquelle la Tunisie est membre à part entière.

Tout en accueillant avec satisfaction les propositions du Comité des Ministres sur les «Priorités 2012-2014 pour la Tunisie dans le cadre de la coopération avec le voisinage», le rapport encourage également l’ANC à poursuivre ses propres contacts avec l’Assemblée parlementaire sur une base régulière et à demander le statut de partenaire pour la démocratie.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 29 mai 2012.

(open)
1. En janvier 2011, la «Révolution de jasmin» a mis fin au régime autoritaire en Tunisie et a ouvert la voie aux transformations démocratiques dans ce pays. Cette révolution a également donné l’impulsion au Printemps arabe – une série de mouvements de protestation de masse en faveur de la liberté et de la dignité dans plusieurs pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
2. Dans ses Résolutions 1791 (2011) et 1819 (2011) et sa Recommandation 1972 (2011) sur la situation en Tunisie, l’Assemblée parlementaire a apporté son soutien aux aspirations démocratiques du peuple tunisien et a marqué sa disponibilité pour faire bénéficier les institutions et la société civile tunisiennes de son expérience en matière d’accompagnement de transitions démocratiques. Elle a invité le Comité des Ministres et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à œuvrer pour contribuer à la réussite de la transition tunisienne.
3. Un an et demi après la révolution, la Tunisie se trouve bien engagée sur le chemin des réformes. Les Tunisiens jouissent désormais des principales libertés démocratiques dont ils ont été privés sous l’ancien régime. Cependant, la transition vers la démocratie et la mise en place des conditions pour une vie digne – objectifs qui ont inspiré la révolution tunisienne – prendront du temps à être réalisées.
4. L’Assemblée parlementaire note, en particulier, les élections à l’Assemblée nationale constituante (ANC), le 23 octobre 2011, qu’elle a observées et dont elle a salué le caractère libre ainsi que la bonne organisation. Ces élections ont conféré la légitimité démocratique au processus de transition ouvert par la révolution en janvier 2011. L’ANC a pour mission essentielle d’élaborer et d’adopter, dans un délai raisonnable, la nouvelle Constitution tunisienne; elle exerce également des responsabilités législatives. Elle a procédé à l’élection du Président de la République et a voté la confiance au nouveau gouvernement provisoire de coalition.
5. L’Assemblée félicite les Tunisiens d’avoir été les premiers, parmi les peuples du Printemps arabe, à se doter d’institutions certes provisoires mais dont la légitimité est assise sur un processus démocratique et généralement accepté.
6. L’Assemblée espère que la future Constitution, qui définira le système politique et institutionnel pour les années à venir, reflétera au maximum les attentes du plus grand nombre des Tunisiens et consacrera les valeurs universelles en matière de respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la démocratie et de l’Etat de droit. Elle encourage les élus de l’ANC et la société civile à s’inspirer des expériences constitutionnelles européennes et à profiter de l’expertise et du conseil de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) dont la Tunisie est membre à part entière.
7. L’Assemblée rend hommage aux efforts du gouvernement intérimaire de M. Beji Caïd Essebsi et aux travaux de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique présidée par M. Yadh Ben Achour, ainsi que de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) présidée par M. Kamel Jendoubi, pour préparer le cadre juridique et les conditions matérielles pour la tenue des élections. Elle encourage les nouvelles autorités transitoires à utiliser pleinement le potentiel intellectuel et les compétences accumulés au sein de ces instances dans l’intérêt de l’avancement et de la consolidation des réformes, y compris dans le cadre de l’élaboration de la nouvelle Constitution.
8. Les résultats des élections d’octobre 2011, où le parti d’inspiration islamique modéré «Ennahdha» a obtenu le plus grand nombre de sièges à l’ANC, pouvaient faire craindre l’islamisation du pays et la limitation des libertés. L’Assemblée note cependant que les Tunisiens ont appris à faire usage des libertés politiques gagnées au cours de la révolution et sont prêts à les défendre contre toute tentative de restriction, et que la coalition au pouvoir en tient compte. La vie politique est très dynamique dans le pays et les différentes forces politiques et les mouvements populaires sont en train de se regrouper et font entendre leurs voix.
9. L’Assemblée salue tout particulièrement le rôle actif de la société civile tunisienne, qu’elle considère comme un atout important de la transition. Elle l’encourage à rester vigilante et positivement engagée dans le processus de réformes.
10. L’Assemblée note que les nouvelles autorités transitoires tunisiennes restent confrontées à plusieurs défis:
10.1. La situation socio-économique reste extrêmement difficile en Tunisie et continue à peser lourdement sur la stabilité politique. Réussir le redressement économique, renverser la progression du chômage et redonner aux jeunes l’espoir d’une vie digne sont des défis majeurs dont dépend le succès de la transition politique.
10.2. La réforme profonde des secteurs de la justice et du maintien de l’ordre public est une nécessité pour rétablir la confiance des Tunisiens envers les magistrats et la police, pour rendre justice aux victimes de l’ancien régime, pour vaincre l’insécurité et l’impunité, et pour rétablir ainsi l’autorité de l’Etat.
10.3. Des éléments radicaux se revendiquant de la mouvance islamiste salafiste cherchent à profiter à la fois de la liberté nouvellement obtenue et d’une certaine instabilité de différentes autorités étatiques pour imposer à la société tunisienne des choix en matière de religion et des pratiques basées sur leur interprétation de la doctrine religieuse, qui peuvent porter atteinte aux libertés fondamentales.
11. L’Assemblée considère cependant que, malgré ces défis, le processus de transition en Tunisie est sur la bonne voie. Elle lui réitère tout son soutien et encourage toutes les forces politiques et civiles tunisiennes à continuer à contribuer positivement à la transition démocratique dans le pays en veillant à préserver la stabilité politique.
12. L’Assemblée appelle les élus de l’Assemblée nationale constituante:
12.1. à redoubler d’efforts en vue d’offrir aux Tunisiens, aussitôt que possible, et en tout cas pas plus tard que dans les délais convenus entre les principales forces représentées à l’ANC, une Constitution qui soit à la hauteur des idéaux de la révolution et réponde aux normes et pratiques constitutionnelles internationales, entre autres en ce qui concerne:
12.1.1. les garanties de protection des droits humains et des libertés fondamentales;
12.1.2. l’abolition de la peine de mort;
12.1.3. la prééminence des traités internationaux sur la législation nationale, et le respect des traités internationaux signés par la Tunisie;
12.1.4. la séparation effective des pouvoirs, y compris l’autonomie financière et administrative du futur Parlement tunisien;
12.1.5. la transparence, le renouvellement périodique et l’obligation de rendre compte des pouvoirs;
12.1.6. les garanties du pluralisme politique;
12.1.7. l’indépendance et l’impartialité effectives de la justice;
12.1.8. l’égalité entre les hommes et les femmes, et la consolidation et le renforcement des acquis en matière du statut de la femme;
12.1.9. l’indépendance de l’instance électorale;
12.2. à mener le processus constitutionnel en consultation avec la société civile et les forces politiques non représentées au sein de l’ANC, pour que la future Constitution réponde au maximum aux attentes des Tunisiens;
12.3. à faire appel aux compétences et à l’expérience en la matière de la Commission de Venise.
13. L’Assemblée se réjouit des premiers contacts établis avec l’ANC. Elle encourage l’ANC à les poursuivre sur une base régulière et à solliciter le statut de partenaire pour la démocratie. De son côté, elle entend promouvoir le dialogue avec l’ANC, rester à l’écoute de ses besoins concrets dans le domaine du travail législatif et réglementaire, et lui apporter son assistance à travers un programme spécifique de coopération.
14. L’Assemblée appelle les autorités tunisiennes à préparer suffisamment à l’avance le cadre institutionnel et législatif pour les futures élections, en tenant compte de l’expérience des élections tenues en octobre 2011, et notamment:
14.1. à instituer une instance indépendante électorale, y compris en utilisant l’expérience et les compétences de l'ISIE;
14.2. à établir une liste d’électeurs précise et complète;
14.3. à former le personnel des commissions électorales;
14.4. à assurer une interaction de la future instance électorale avec la société civile, et la coopération internationale avec des organismes similaires.
15. L’Assemblée est prête à observer les futures élections en Tunisie.
16. L’Assemblée se félicite de l’approbation, par le Comité des Ministres, des «Priorités 2012-2014 pour la Tunisie dans le cadre de la coopération avec le voisinage», plan d’action élaboré par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, qui comporte un volet parlementaire. Elle décide de suivre la mise en œuvre de ce programme de coopération entre le Conseil de l’Europe et les autorités tunisiennes.
17. L’Assemblée réitère son appel aux principaux partenaires internationaux de la Tunisie, en particulier à l’Union européenne, à apporter un soutien réel à la relance économique et touristique, et invite les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe à encourager les investissements dans l’économie tunisienne et à soutenir et accompagner le développement économique, social et politique de la Tunisie.
18. L’Assemblée encourage les parlements des Etats membres du Conseil de l’Europe et d’autres instances parlementaires à développer la coopération avec l’Assemblée nationale constituante tunisienne en vue de partager avec elle les expériences en matière de travail législatif et d’organisation.

B. Exposé des motifs, par Mme Brasseur, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Depuis les premiers jours de la révolution tunisienne début 2011, l’Assemblée parlementaire suit attentivement les développements politiques dans ce pays, qui ont une grande importance non seulement pour la Tunisie, mais également pour l’ensemble de la région du sud de la Méditerranée et du Proche-Orient, ainsi que pour l’Europe dans son ensemble. En fait, la Tunisie peut être considérée comme le berceau de toutes les révolutions dans le monde arabe, qu’on a désormais l’habitude d’appeler «le Printemps arabe».
2. Dans ses Résolutions 1791 (2011) et 1819 (2011) et sa Recommandation 1972 (2011) sur la situation en Tunisie, pour lesquelles j’ai eu l’honneur d’être rapporteure, l’Assemblée a exprimé son ferme soutien aux aspirations démocratiques du peuple tunisien. Elle a marqué sa disponibilité pour faire bénéficier les institutions et la société civile tunisiennes de son expérience en matière d’accompagnement de transitions démocratiques, et a invité le Comité des Ministres et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à œuvrer pour contribuer à la réussite de la transition tunisienne.
3. L’Assemblée parlementaire a observé les élections à l’Assemblée nationale constituante (ANC) tenues le 23 octobre 2011.
4. Comme les transformations initiées par la révolution ne pouvaient s’opérer du jour au lendemain, il m’a semblé important que notre Assemblée puisse suivre ce processus dans la durée. J’ai donc déposé, en octobre 2011, une nouvelle proposition de résolution sur la transition politique en Tunisie, et j’ai été nommée rapporteure en janvier 2012.
5. Le présent rapport a pour but de fournir des informations sur les principaux événements politiques en Tunisie depuis la dernière résolution de l’Assemblée parlementaire (juin 2011), de passer en revue les contacts et la coopération établis entre le Conseil de l’Europe et la Tunisie, et de formuler des propositions pour l’avenir.
6. L’Assemblée parlementaire devrait continuer à suivre de près la situation en Tunisie dans les mois et années à venir, de sorte que ce rapport ne sera pas le dernier.

2. Développements et défis politiques en Tunisie

7. Dès le début de la révolution tunisienne, il était évident que cette dernière ne pouvait pas apporter de solutions immédiates aux problèmes du pays, et que les espoirs d’une vie meilleure et digne qui animaient les Tunisiens qui ont fait tomber l’ancien régime prendraient du temps à se voir réalisés. La situation socio-économique difficile et qui continuait à s’aggraver faisait craindre des répercussions pouvant freiner le développement démocratique.
8. Cependant, en dépit de ces conditions défavorables et de quelques incidents plus ou moins graves mais plutôt isolés, la situation politique est restée globalement stable.

2.1. Elections

9. Les élections à l’Assemblée nationale constituante tenues le 23 octobre 2011 constituent l’événement politique le plus marquant des douze derniers mois. La manière dont les Tunisiens ont réussi à gérer ces élections et l’acceptation large de leurs résultats par la société tunisienne différencient positivement la Tunisie d’autres pays en transition.
10. Depuis la chute du régime de Ben Ali, la Tunisie vivait dans une «légitimité révolutionnaire», c'est-à-dire sans institutions issues d’un processus démocratique. Cette situation ne pouvait perdurer, au risque de voir l’autorité du gouvernement transitoire fondre sous les difficultés économiques et les revendications croissantes de la rue.
11. L’organisation et la conduite des élections ont été confiées à une structure indépendante, l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), présidée par M. Kamel Jendoubi. Le cadre juridique en a été élaboré au sein de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, présidée par M. Yadh Ben Achour.
12. Ces deux instances ont fait un travail d’une qualité remarquable et méritent d’être félicitées pour l’organisation des premières élections véritablement transparentes, libres et équitables dans l’histoire du pays.
13. Il convient également de rendre hommage aux efforts du gouvernement intérimaire présidé par M. Beji Caïd Essebsi pour assurer un climat stable et serein pour les élections. Comme nous l’avons noté dans le rapport précédent, tous les membres des autorités provisoires ont renoncé à se présenter aux élections, et n’ont pas cherché à influencer le vote.
14. Les élections ont suscité un vif intérêt dans la société et dynamisé la vie politique en Tunisie. La libéralisation des conditions nécessaires pour participer au processus politique a eu pour conséquence l’établissement de plus de 110 partis politiques. Selon les données officielles de l’ISIE, 828 listes de partis, 655 listes de candidats indépendants et 34 listes de coalitions ont été enregistrées pour les élections. Le nombre total de candidats a été de 11 618 pour 217 sièges. Il s’agissait donc d’un véritable pluralisme de choix.
15. L’Assemblée parlementaire a été invitée à observer les élections et j’ai eu l’honneur de faire partie de cette mission d’observation. J’ai également eu l’occasion de participer aux missions préélectorales (14-17 septembre 2011) et postélectorale (16-17 janvier 2012).
16. La commission ad hoc de l’Assemblée parlementaire chargée d’observer les élections a conclu dans son rapport 
			(2) 
			Doc. 12795, 24 novembre 2011, paragraphe 54. «que les citoyens de la Tunisie ont pu concrétiser ce rendez-vous avec l’histoire. Pour la première fois, ils ont élu librement leur Assemblée nationale constituante, posant le socle de leur démocratie. Les citoyens ont ainsi transformé la dynamique de la révolution en une institution légale et légitime, donnant ainsi un exemple pour toute la région».
17. Le rapport d’observation note aussi les conditions équitables dont ont bénéficié les candidats, y compris en ce qui concerne la couverture médiatique de la campagne, et l’enthousiasme et la dignité des citoyens qui ont participé au vote.
18. Certes, les élections n’ont pas été parfaites: la délégation de l’Assemblée parlementaire a relevé dans son rapport une série d’insuffisances et de problèmes qu’il faudrait régler en vue du nouveau cycle électoral.
19. Le point le plus faible a été l’inscription des électeurs sur les listes électorales. Selon nos informations, quelque 1,6 million de personnes sur 6,1 millions de citoyens ayant le droit de voter n’ont pas été inscrits, soit plus d’un quart du corps électoral. Les autorités tunisiennes doivent résoudre le problème des listes d’électeurs pour assurer le caractère général des futures élections afin que chaque citoyen qui a le droit de voter puisse le faire.
20. Cependant, malgré quelques défaillances, les élections ont été un succès, et leurs résultats ont été généralement bien acceptés par la société: il n’y a pas eu de contestation majeure, même s’il y a eu beaucoup de déçus à l’annonce des résultats.
21. Un parti est sorti grand vainqueur du scrutin: le parti islamiste modéré Ennahdha (la Renaissance), fondé au début des années 1980 et interdit par l’ancien régime, a recueilli le plus grand nombre de suffrages et a obtenu 89 sièges à l’ANC sur 217.
22. Une dizaine d’autres partis et d’élus indépendants se sont partagé le reste des sièges.
23. Il convient de rappeler que, dans le cadre de la préparation des élections, les autorités intérimaires ont cherché à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, et à assurer une représentation équitable des femmes au sein de l’Assemblée constituante. L’une des conditions de la recevabilité des listes de candidats a été d’y inclure le même nombre de candidats des deux sexes dans un ordre alterné. Cependant, seulement 7 % des listes comportaient une femme en première position. En conséquence, seulement 59 femmes ont été élues, ce qui représente 27 % des 217 sièges de l’ANC et constitue une baisse par rapport au pouvoir législatif précédent (30 %).

2.2. Formation des institutions de l’Etat

24. A la suite des élections, trois partis – Ennahdha (89 sièges), le Congrès pour la République (CPR) (29 sièges) et Ettakatol, Forum démocratique pour le travail et les libertés (20 sièges) – ont formé «la Troïka», une coalition qui détient la majorité dans l’ANC. Les représentants de ces partis ont, par conséquent, obtenu les positions clés dans la structure des nouvelles autorités provisoires. Les présidences des plus hautes instances de l’Etat ont été réparties entre les trois partis au pouvoir.
25. Le 22 novembre 2011, l’ANC a élu M. Mustapha Ben Jaafar (président du parti Ettakatol) à sa présidence. Il a obtenu 145 voix (68 %). La candidate de l’opposition, Mme Maya Jribi, en a recueilli 32 %.
26. Le 10 décembre, l’ANC a adopté une «mini-constitution»: une loi en 26 articles organisant provisoirement les pouvoirs publics tunisiens.
27. Sur cette base, l’ANC a procédé, le 12 décembre 2011, à l’élection du nouveau Président provisoire de la Tunisie. Sur 10 candidats présentés, un seul, M. Moncef Marzouki (CPR), ancien secrétaire général de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, remplissait les conditions d’éligibilité définies par la «mini-constitution». Il a été élu par 153 voix et a prêté serment le lendemain.
28. La Troïka a ensuite formé un gouvernement provisoire: le 14 décembre, le Président Marzouki a chargé M. Hamadi Jebali, secrétaire général du parti Ennahdha qui avait obtenu le plus de voix, de constituer le gouvernement. Celui-ci a pris ses fonctions le 24 décembre 2011 après un vote de confiance à l’ANC.

2.3. Organisation des travaux de l’ANC

29. Les élus membres de l’ANC sont constitués en sept groupes parlementaires dont trois font partie de la majorité.
30. Après l’adoption du règlement intérieur en janvier 2012, l’ANC a constitué ses organes de travail: un bureau et 17 commissions.
31. Six commissions constitutionnelles, composées chacune de 22 membres, sont chargées de la rédaction des différents chapitres de la future Constitution:
  • préambule, principes généraux et amendement de la Constitution;
  • instances constitutionnelles;
  • droits de l’homme et libertés;
  • pouvoir législatif, pouvoir exécutif et relations entre les deux pouvoirs;
  • juridictions judiciaire, administrative, financière et constitutionnelle;
  • collectivités publiques régionales et locales.

Il s’y rajoute huit commissions législatives:

  • droits, libertés et relations extérieures;
  • législation générale;
  • finances, planification et développement;
  • énergie et secteurs de production;
  • secteurs de services;
  • infrastructure et environnement;
  • affaires sociales;
  • éducation;

ainsi que trois commissions spéciales:

  • règlement intérieur et immunités;
  • victimes de la révolution et amnistie générale;
  • réforme administrative et lutte contre la corruption.

32. Par ailleurs, un Comité mixte de coordination et de rédaction de la Constitution a été créé pour consolider les travaux des six commissions constitutionnelles.
33. Lors de notre visite à Tunis en janvier 2012, il nous a été expliqué que les réunions de l’ANC et de ses commissions constitutionnelles sont retransmises à la télévision, et qu’elles sont ouvertes à la participation du public et des représentants de la société civile. Cependant, j’ai été informée que, dans la pratique, l’accès aux commissions est trop restrictif. Les commissions invitent également différents experts tunisiens et internationaux.
34. Il existe une incertitude sur la durée des travaux de l’ANC. A la veille des élections, un accord avait été élaboré et signé par 11 principaux partis politiques, qui prévoyait que le mandat de l’Assemblée constituante ne devrait pas dépasser douze mois. Cependant, le CPR, le 12e parti, qui devait également participer à cet accord, s’est désisté à la dernière minute, ce qui a rendu cette disposition de l’accord inopérante.
35. Actuellement, la plupart de nos interlocuteurs au sein de l’ANC et du gouvernement s’entendent à dire que les travaux de l’ANC devraient aboutir au plus tard dix-huit mois après les élections et que les nouvelles élections devraient se tenir au printemps 2013. Cependant, le texte de la mini-constitution n’a pas mis de limitation légale à la durée du mandat de l’ANC ni, par conséquent, aux mandats des organes de l’Etat qu’elle a formés (le Président et le gouvernement). Certains interlocuteurs ont souligné qu’ils regrettaient la lourdeur des structures mises en place empêchant ainsi un aboutissement rapide des travaux.
36. Néanmoins, le président de l'ANC, Mustapha Ben Jaafar, a annoncé le 10 mai 2012 que la nouvelle Constitution devrait être prête au plus tard le 23 octobre 2012.

2.4. Restructuration du paysage politique

37. La recomposition de l’échiquier politique est une autre tâche importante à l’ordre du jour. L’émergence de plus de 100 partis politiques à la veille des élections était sans doute utile pour réveiller le sens de participation des Tunisiens à la définition de l’avenir de leur pays.
38. Cependant, l’une des conséquences de cette fragmentation est le fait qu’une part importante de la société, qui a voté pour les petits partis, n’est pas représentée au sein de l’ANC.
39. D’autre part, les formations politiques qui n’ont obtenu que quelques sièges ont peu d’influence sur les décisions à prendre.
40. Il est donc naturel que les petits partis cherchent à se regrouper. Au sein de l’ANC, les coalitions se font dans les groupes parlementaires d’opposition. On assiste également à des fusions entre les partis selon leurs orientations politiques. Ce processus est à saluer: même au nom du pluralisme politique, plus de 100 partis semblent être de trop pour un pays de 10 millions d’habitants.

2.5. Société civile

41. La Tunisie dispose d’une société civile bien structurée et active qui est très présente dans le débat politique tunisien. Les différentes associations et organisations civiles existaient dans le pays avant la révolution de 2011, et sont donc bien implantées parmi la population. Elles ont joué un rôle majeur dans la mobilisation des citoyens pendant la révolution, et continuent à faire entendre leur voix.
42. Par ailleurs, à la suite d’un très fort morcellement des forces politiques à la veille des élections à l’ANC, un grand nombre d’acteurs importants de partis politiques et de la société civile n’ont pas été élus. Pour autant, ils n’entendent pas rester silencieux dans le processus constitutionnel et cherchent à transférer le débat autour de la future Constitution des locaux de l’ANC vers l’espace public.
43. Cette attitude mérite d’être saluée: la future Constitution doit devenir l’affaire de tous les Tunisiens puisqu’elle est censée déterminer l’avenir du pays pour les décennies à venir. Il est essentiel que la Constitution puisse garantir les droits et les libertés qui ont motivé la révolution tunisienne et permettre l’émergence d’une Tunisie moderne, ouverte et démocratique.

2.6. Les grands défis de la société tunisienne

2.6.1. Le rôle de l’islam

44. L’un des sujets qui ont mobilisé les débats aussi bien au sein de l’ANC que dans la société civile est le rôle de l’islam.
45. Pendant les années du régime Ben Ali, les organisations politiques d’inspiration islamique ont été interdites et leurs membres sévèrement persécutés. L’actuel chef du Gouvernement, M. Jebali, a fait plus de seize ans de prison, dont dix ans en isolement. Plusieurs ministres et élus à l’ANC ont également passé de longues années en prison, et certains d’entre eux avaient été condamnés à la peine capitale.
46. La chute de l’ancien régime a libéré l’expression politique des différents groupes de tendance islamique, dont le parti Ennahdha qui a obtenu le meilleur résultat aux élections. Cette victoire légitime mais inattendue pour beaucoup a fait craindre aux partisans de la laïcité une islamisation du pays.
47. Ces inquiétudes ne sont pas complètement infondées si on prend en considération l’activisme des groupes islamistes beaucoup plus radicaux qu’une Ennahdha modérée, notamment le mouvement salafiste. Les partisans de ce dernier exigent, par exemple, que les femmes tunisiennes soient obligées de porter le voile intégral (niqab) et s’attaquent aux journaux et autres médias qui, selon eux, ne respectent pas les traditions islamiques.
48. Au printemps 2012, ces groupes ont mobilisé des milliers de manifestants pour exiger l’inscription dans la Constitution de la référence à la charia en tant que source primaire de la législation. Les partis laïcs et les organisations de la société civile ont, à leur tour, organisé des manifestations en faveur de la sauvegarde des valeurs et libertés démocratiques et du maintien d’un Etat laïc.
49. De plus, les croyants tunisiens font l’objet de tentatives d’influence externe: on a constaté des visites de plus en plus fréquentes en Tunisie de prédicateurs étrangers partisans d’un islam radical qui prêchent la violence et les pratiques contraires aux lois et traditions tunisiennes.
50. Selon certains experts tunisiens, ce sont l’Arabie saoudite et le Qatar qui financent, au moins en partie, le salafisme et l’islam politique en Tunisie.
51. Face à ce phénomène, des associations de la société civile ont porté plainte contre l’exploitation des mosquées et des lieux saints à des fins politiques.
52. Plusieurs élus d’Ennahdha se sont prononcés contre la séparation du politique et du religieux, et ont estimé que la future Constitution ne devrait pas contenir de dispositions contraires au Coran et à la Sunna.
53. Les dirigeants d’Ennahdha ont entrepris de calmer les esprits et de promouvoir le consensus public. Le président du parti, Rached Ghannouchi, a souligné la nécessité de séparer la prédication de la politique, et a affirmé que la mosquée n’était pas une tribune pour les partis.
54. L’instance dirigeante du parti Ennahdha a également, avec une large majorité, renoncé à insérer dans le texte de la future Constitution une référence explicite, à la charia en tant que source primaire du droit. Le parti a marqué son accord à reproduire la formule de l’article premier de la Constitution de 1959 qui mentionnait l’islam comme la religion de la Tunisie.

2.6.2. La sécurité

55. Un autre grand défi à la stabilité politique est de mettre un terme à l’insécurité. Selon les données annoncées par le ministre de l’Intérieur en février 2012, pendant les douze mois qui ont suivi la révolution, quelque 400 postes de la garde nationale et de la police ont été attaqués, 800 véhicules de différents types ont été incendiés, et 12 000 personnes ont été arrêtées à la suite d’actes de pillage, de violence et de tentatives de meurtre.
56. Aux crimes de droit commun s’ajoute une nouvelle menace: les agissements de plus en plus actifs des groupes salafistes. En février 2012, 12 personnes armées ont été arrêtées à Bir Ali Ben Khalifa (au sud-est du pays) à la suite d’affrontements violents avec les forces de l’ordre. Un nombre important d’armes a été saisi. Selon le ministre de l’Intérieur, ces personnes, dont certaines sont venues de Libye, seraient en liaison avec des organisations extrémistes basées dans ce pays voisin (Al-Qaeda au Maghreb islamique, AQMI) et ont pour but l’instauration d’un émirat islamique en Tunisie.
57. D’autres éléments se revendiquant du salafisme se radicalisent et ont recours à l’intimidation à l’égard des personnalités publiques connues pour leurs prises de positions en faveur de la laïcité et des libertés démocratiques. Depuis janvier 2012, plusieurs agressions ou menaces à l’encontre de journalistes, de chercheurs, d’hommes et de femmes politiques ainsi que de syndicalistes ont été recensées. La violence politique est une atteinte aux libertés publiques et individuelles qui risque de détériorer sérieusement le climat dans le pays et de nuire au processus politique.
58. La situation est aggravée par l’attitude du public face aux forces de l’ordre, considérées par beaucoup comme des vestiges de l’ancien régime. Il faut noter qu’aux yeux d’une grande partie de l’opinion publique, le comportement de la police n’a guère changé après la révolution: plusieurs manifestations ont été réprimées par les policiers avec une violence excessive.
59. De plus, la police est soupçonnée d’être plus tolérante à l’égard des partisans de la mouvance salafiste qu’à l’égard des manifestants syndicaux et autres représentants de la société civile. Ainsi, elle a été accusée d’inaction quand un groupe d’étudiants proches de la mouvance islamiste fondamentaliste de l’université de Manouba (Tunis) a bloqué l’université pendant plusieurs jours fin 2011-début 2012 pour réclamer le droit de se présenter aux examens pour les étudiantes portant le niqab, ce qui est contraire au règlement de l’université. Dans un autre incident survenu dans cette même université en mars 2012, un activiste proche de la tendance fondamentaliste a enlevé le drapeau national tunisien et l’a remplacé par un drapeau noir avec des slogans islamiques.
60. Une réforme profonde des forces du maintien de l’ordre est donc nécessaire pour leur permettre de garantir la sécurité et ainsi de regagner la confiance de la société, qui a des doutes quant à la loyauté de la police vis-à-vis des autorités politiques.
61. L’un des moyens d’avancer vers la réforme de la police et de renforcer son autorité est d’éradiquer l’impunité au sein des forces de l’ordre. Les Tunisiens ne sont pas prêts d’oublier le rôle de la police dans la répression de la révolution: au cours des affrontements, au moins 338 personnes ont perdu la vie et plus de 2 300 ont été blessées.
62. Un pas important vient d’être fait dans ce sens: fin avril 2012, le tribunal militaire de Sfax a condamné deux policiers coupables du meurtre d’un manifestant le 14 janvier 2011, à vingt ans de prison et à des compensations aux proches de la victime. D’autres procès de ce genre devraient suivre.
63. Le problème d’impunité est, cependant, plus large et ne s’arrête pas aux petits exécutants d’ordres. Certes, l’ancien chef de l’Etat Ben Ali et les membres de son «cercle restreint» ont été jugés par contumace. Toutefois, les Tunisiens s’attendent à ce que d’autres figures de l’ancien régime soient appelées à répondre de leurs actes. Le rétablissement d’une justice indépendante et efficace est indispensable pour gagner la confiance des Tunisiens en leur nouvel Etat.

2.6.3. La tolérance interethnique

64. En dépit des tentatives de groupes extrémistes, la tolérance interethnique et la cohabitation pacifique des croyants des différentes religions ne semblent pas être mises en danger. Ainsi, l’appel du ministre israélien Silvan Shalom à tous les juifs vivant dans les pays du Printemps arabe à se rapatrier en Israël n’a pas eu d’écho auprès de la communauté juive de Tunisie.

2.6.4. La situation des femmes

65. Si la situation des femmes en Tunisie et leur position au sein de la société semblent être meilleures à celles de beaucoup de pays de la région 
			(3) 
			Concernant la situation
des femmes, il convient de rappeler le rapport sur l’égalité entre
les femmes et les hommes: une condition du succès du Printemps arabe
présenté par Mme Fatiha Saïdi (Belgique,
Groupe socialiste) présenté lors de la session d’avril 2012 de notre
Assemblée, au titre de la commission sur l'égalité et la non-discrimination
(Doc. 12893, Résolution
1873 (2012) et Recommandation
1996 (2012)), ainsi que l’audition sur les femmes dans le Printemps
arabe organisée conjointement par la commission des questions politiques
et de la démocratie et la commission sur l'égalité et la non-discrimination,
le 24 avril 2012., il n’en est pas moins nécessaire de veiller à la préservation des acquis dans ce domaine. Ces derniers temps, il y a eu des signes préoccupants: des partisans d’un islam extrémiste cherchent à s’attaquer à ces acquis en proposant, par exemple, d’introduire la polygamie.

2.6.5. Les médias

66. Si la liberté des médias gagnée au cours de la révolution semble s’enraciner dans les esprits des Tunisiens, elle n’est pas à l’abri d’attaques venues aussi bien des milieux extrémistes que, dans une certaine mesure, des milieux proches du pouvoir.
67. Quelques journalistes ont été poursuivis en justice et arrêtés pour la publication d’images jugées contraires aux bonnes mœurs et aux traditions. D’autres ont fait l’objet d’agressions de la part des milieux extrémistes.
68. Récemment, une chaîne de télévision privée, Nessima, a été condamnée à une amende pour la diffusion, en automne 2011, du film d’animation Persepolis. Après la diffusion de ce film, qui montre Allah (ce qui est interdit par la religion islamique), le directeur de la chaîne a reçu des menaces de mort et son domicile a été attaqué.
69. Les pouvoirs ont réaffirmé leur appui à la liberté d’expression, alors que les principaux partis d’opposition se sont prononcés contre les poursuites en justice des journalistes comme étant contraires aux objectifs de la révolution et aux aspirations des Tunisiens à la liberté de la presse.
70. Ceci étant, la qualité des médias et les positions prises par des journalistes font également l’objet de vives critiques de la part des membres de l’ANC faisant partie de la majorité (en particulier Ennahdha et le CPR). Ils sont notamment accusés de minimiser l’effort du gouvernement, de véhiculer une image négative de la majorité et d’engager une campagne médiatique tendancieuse au service de la contre-révolution.
71. De même, la télévision publique Al-Wataniya a été la cible de pressions de la part d’un groupe de manifestants considérés comme proches d’Ennahdha, qui l’accusent d’être aux mains d’anciens membres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti de Ben Ali, et qui réclament «l’épuration» de la chaîne.
72. Certains responsables d’Ennahdha ont évoqué la possibilité de privatiser les chaînes publiques. Ainsi, le président du parti, M. Ghannouchi, a mentionné, dans une interview aux médias du Qatar et d’Oman, la possibilité de «prendre des mesures radicales dans le domaine de l’information dont, éventuellement, la privatisation des médias publics».
73. Dans un rapport publié à l’occasion de la journée mondiale de la liberté des médias, le 3 mai 2012, l’Union des journalistes tunisiens a présenté les défis auxquels les médias tunisiens doivent faire face. Le rapport note, entre autres, qu’un grand nombre de journalistes du pays ont été soumis à des pressions physiques et verbales de la part de la police, des milieux politiques et de citoyens ayant des affiliations politiques.

2.6.6. La situation socio-économique

74. La crise de l’économie tunisienne constitue l’une des plus graves menaces pour la réalisation des objectifs de transition et de stabilité du pays.
75. Contrairement aux attentes euphoriques de certains, la révolution tunisienne n’a pas amélioré la situation de l’économie nationale. Bien au contraire, les résultats économiques de l’année 2011 ont été désastreux.
76. En 2011, les investissements étrangers dans l’économie tunisienne ont baissé de 32 %. Les revenus du secteur touristique, principale source de devises, ont baissé de 40 %.
77. La situation économique de la Tunisie a également subi les retombées du ralentissement économique en Europe – notamment dans la zone euro – premier partenaire économique de la Tunisie, et de l’instabilité en Libye, le deuxième partenaire.
78. Le chômage n’a cessé de progresser au cours de l’année 2011, pour atteindre le chiffre de plus de 740 000 chômeurs fin 2011 (soit 19 % de la population active). A titre de comparaison, ce taux était de 13 % en mai 2010.
79. Plus de 72 % de chômeurs sont des jeunes de moins de 30 ans. Le chômage est plus important chez les femmes (28 %) que chez les hommes (15 %). Plus de 220 000 chômeurs (30 %) sont des diplômés de l’enseignement supérieur.
80. Les couches de la société les plus engagées dans la révolution – les jeunes diplômés – se trouvent ainsi les plus défavorisées. C’est un risque majeur pour leur soutien au processus de transformation.
81. Les libertés politiques nouvellement obtenues, combinées avec l’incapacité des autorités d’apporter des réponses immédiates à la crise, ont eu pour conséquence un mouvement social sans précédent – grèves, sit-in, blocages des entreprises ou des routes – qui, à son tour, n’a fait que dissuader les investisseurs potentiels.
82. Le mécontentement de la population face à la situation socio-économique prend parfois des formes violentes. Ainsi, en février 2012, de violents troubles ont eu lieu à Bou Salem où plusieurs bâtiments officiels ont été saccagés et incendiés.
83. Dès son élection, le Président Marzouki a lancé un appel à une trêve politique et sociale de six mois afin de permettre au nouveau gouvernement provisoire de mettre en œuvre son programme économique.

3. Coopération avec le Conseil de l’Europe

3.1. Contacts parlementaires et perspectives pour l’avenir

84. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer dans les rapports précédents, l’Assemblée parlementaire a joué un rôle de pionnier en ce qui concerne le soutien à la transition en Tunisie et l’établissement de contacts avec les différentes composantes de la société tunisienne.
85. En l’absence d’une institution parlementaire, ces contacts ont, au début, visé les autorités intérimaires, les instances spécifiques telles la «commission Ben Achour» et l’ISIE, les partis politiques et les acteurs de la société civile. C’était notamment le cas pendant l’observation des élections du 23 octobre 2011.
86. Dès la mise en place de l’ANC, qui est un organe électif avec des compétences à la fois constitutionnelles et législatives, nous avons établi des contacts avec cette assemblée: lors de la visite postélectorale en janvier 2012, nous avons été reçus par le président de l’ANC, Mustapha Ben Jaafar, et nous avons eu des entretiens avec des représentants des principaux groupes politiques de l’ANC.
87. Au cours de la même visite, nous avons évoqué la possibilité d’inviter M. Ben Jaafar à s’adresser à notre Assemblée et nous avons discuté de la possibilité d’accueillir des élus tunisiens au sein de la commission des questions politiques et de la démocratie. Les deux propositions ont été bien reçues par nos interlocuteurs. Le Président de l’Assemblée parlementaire, M. Jean-Claude Mignon, les a officiellement confirmées dans une lettre à M. Ben Jaafar.
88. Le Président de notre commission, M. Pietro Marcenaro, s’est rendu à Tunis en avril 2012 pour participer à un colloque organisé par la société civile tunisienne. A cette occasion, il a pu rencontrer le Président Ben Jaafar et lui a renouvelé notre invitation.
89. Pendant la partie de session d’avril 2012 de l’Assemblée, nous avons eu l’occasion de recevoir au sein de notre commission des représentants de l’ANC, y compris Mme Meherzia Labidi Maïza, 1re vice-présidente. La délégation tunisienne a également eu de nombreux contacts, aussi bien à l’Assemblée que dans d’autres secteurs du Conseil de l’Europe, et a participé à l’audition sur le rôle des femmes dans les révolutions arabes.
90. J’espère que cette visite marquera le début d’une relation suivie et fructueuse. En effet, les élus tunisiens ont montré un vif intérêt pour les travaux de l’Assemblée et de ses commissions et ont pu recueillir des informations et établir des contacts qui seront utiles dans leurs activités au sein de l’ANC.
91. Actuellement, les représentants de l’ANC peuvent participer à nos travaux sur la base de la Résolution 1598 (2008) «Renforcer la coopération avec les pays du Maghreb». En même temps, je rappelle qu’aux termes de la Résolution 1819 (2011) sur la situation en Tunisie, nous avons invité les autorités tunisiennes «à examiner les perspectives de dialogue parlementaire offertes par le statut de Partenaire pour la démocratie récemment créé par l’Assemblée».
92. Je ne peux donc qu’encourager, encore une fois, nos partenaires tunisiens à profiter de cette ouverture. Je suis confiante que cela contribuera à la fois à la consolidation du parlementarisme en Tunisie et au progrès du pays sur la voie vers la démocratie.

3.2. Programme de coopération entre le Conseil de l’Europe et le Gouvernement tunisien

93. Je rappelle que, dès janvier 2011, l’Assemblée parlementaire avait encouragé les autorités tunisiennes à intensifier et à élargir la coopération avec le Conseil de l’Europe et à tirer parti de son expérience pour la transition du pays vers la démocratie (Résolution 1791 (2011), paragraphe 13).
94. Six mois plus tard, en juin 2011, l’Assemblée a formulé une série de propositions au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe (Résolution 1819 (2011)), ainsi que des recommandations au Comité des Ministres (Recommandation 1972 (2011)) visant à mobiliser des ressources du Conseil de l’Europe pour offrir une assistance concrète et efficace à la mise en œuvre des réformes démocratiques en Tunisie.
95. Je ne peux que me féliciter du fait que ces initiatives deviennent aujourd’hui une réalité. En effet, dans le cadre des propositions du Secrétaire Général Jagland relatives à la politique du Conseil de l’Europe à l’égard de son voisinage immédiat, une série de plans d’action sont élaborés pour donner forme à une coopération structurée avec des pays voisins, dont la Tunisie.
96. Ce programme, intitulé «Priorités 2012-2014 pour la Tunisie dans le cadre de la coopération avec le voisinage», a pour but d’accompagner la transition démocratique en Tunisie et de l’aider à relever les défis liés aux droits de l’homme, à l’Etat de droit et à la démocratie.
97. Les principaux objectifs de cette coopération visent:
97.1. à faire bénéficier la Tunisie de l’expérience du Conseil de l’Europe dans l’instauration de la démocratie par l’offre d’expertises, de bonnes pratiques, de formations, de conseils, de parrainages et de stages;
97.2. à consolider la présence de la Tunisie dans les structures du Conseil de l’Europe avec lesquelles elle a déjà établi une coopération (Commission de Venise, Pharmacopée européenne, Réseau Med NET du Groupe Pompidou), et à encourager sa participation à d’autres accords partiels et mécanismes;
97.3. à rapprocher la législation tunisienne des normes du Conseil de l’Europe, dans la perspective d’une éventuelle ratification de certaines conventions ouvertes à des Etats non membres.
98. Les propositions contenues dans ce document sont le résultat de consultations entre le Conseil de l’Europe et les autorités tunisiennes, et répondent donc à leurs besoins concrets.
99. En ce qui concerne le volet droits de l’homme, le programme prévoit des activités pour consolider l’égalité entre les femmes et les hommes, prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et des enfants, et promouvoir l’intégration des personnes handicapées et les droits sociaux de la santé.
100. En matière d’Etat de droit, le programme vise l’accompagnement de la réforme constitutionnelle, la réforme de la justice, la lutte contre la corruption, le crime économique et la cybercriminalité.
101. Enfin, les projets dans le domaine de la démocratie prévoient le soutien au processus électoral et à la réforme des institutions politiques, et la promotion de la gouvernance démocratique.
102. Ce chapitre contient également un volet parlementaire dans lequel l’Assemblée sera impliquée.
103. J’estime que nous devons donner notre appui à l’élaboration et à la réalisation de cette coopération. Mais devons-nous nous contenter de cela? A mon avis, l’Assemblée parlementaire devrait trouver la forme appropriée pour se tenir informée de la mise en œuvre de ce processus, et lui donner un appui politique si nécessaire.

4. Conclusions

104. Un an et demi après la «Révolution de jasmin» qui a mis fin au régime autoritaire en Tunisie et a ouvert la voie aux transformations démocratiques dans ce pays, la Tunisie se trouve bien engagée sur la voie des réformes. Les Tunisiens jouissent désormais des principales libertés démocratiques dont ils ont été privés sous l’ancien régime. Cependant, la transition vers la démocratie et la mise en place des conditions pour une vie digne – objectifs qui ont inspiré la révolution tunisienne – prendront du temps à être réalisées.
105. Les élections à l’Assemblée nationale constituante tenues le 23 octobre 2011 ont conféré la légitimité démocratique au processus de transition ouvert par la révolution en janvier 2011. L’ANC a pour mission essentielle d’élaborer et d’adopter, dans un délai raisonnable, la nouvelle Constitution tunisienne, et exerce également des responsabilités législatives. Elle a procédé à l’élection du Président de la République et a voté la confiance au nouveau gouvernement provisoire de coalition.
106. Il convient de féliciter les Tunisiens d’avoir été les premiers, parmi les peuples du Printemps arabe, à se doter d’institutions certes provisoires, mais dont la légitimité est assise sur un processus démocratique et généralement accepté.
107. La future Constitution, qui définira le système politique et institutionnel pour les années à venir, devrait refléter au maximum les attentes du plus grand nombre des Tunisiens et consacrer les valeurs universelles en matière de respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la démocratie et de l’Etat de droit. Nous encourageons les élus de l’ANC et la société civile à s’inspirer des expériences constitutionnelles européennes, et à profiter de l’expertise et du conseil de la Commission de Venise dont la Tunisie est membre à part entière.
108. Les résultats des élections d’octobre 2011, où le parti d’inspiration islamiste modéré Ennahdha a obtenu le plus grand nombre de sièges à l’ANC, pouvaient faire craindre l’islamisation du pays et la limitation des libertés. Cependant, les Tunisiens ont appris à faire usage des libertés politiques gagnées au cours la révolution et sont prêts à les défendre contre toute tentative de restriction. La vie politique est très dynamique dans le pays et les différentes forces politiques et les mouvements populaires se regroupent et font entendre leur voix.
109. Il faut saluer tout particulièrement le rôle actif de la société civile tunisienne, qui est un atout important de la transition. Nous l’encourageons à rester vigilante et positivement engagée dans le processus de réformes.
110. Les nouvelles autorités transitoires tunisiennes restent confrontées à plusieurs défis:
110.1. la situation socio-économique reste extrêmement difficile en Tunisie et continue à peser lourdement sur la stabilité politique. Réussir le redressement économique, renverser la progression du chômage et redonner aux jeunes l’espoir d’une vie digne sont des défis majeurs dont dépend le succès de la transition politique;
110.2. la réforme profonde des secteurs de la justice et du maintien de l’ordre public est une nécessité pour rétablir la confiance des Tunisiens envers les magistrats et la police, pour rendre justice aux victimes de l’ancien régime, pour vaincre l’insécurité et l’impunité, et pour rétablir ainsi l’autorité de l’Etat;
110.3. des éléments radicaux se revendiquant de la mouvance islamique salafiste cherchent à profiter à la fois de la liberté nouvellement obtenue et d’une certaine instabilité de différentes autorités étatiques pour imposer à la société tunisienne des choix en matière de religion et des pratiques fondées sur leur interprétation de la doctrine religieuse, qui peuvent porter atteinte aux libertés fondamentales.
111. Cependant, malgré ces défis, le processus de transition en Tunisie est sur la bonne voie. Nous encourageons toutes les forces politiques et civiles tunisiennes à continuer à contribuer positivement à la transition démocratique dans le pays en veillant à préserver la stabilité politique.