1. Introduction
1. L’an passé, dans le cadre de
la préparation de mon rapport sur la coopération entre le Conseil
de l’Europe et les démocraties émergentes dans le monde arabe, j’ai
eu l’occasion de me rendre en Egypte en septembre 2011, accompagné
de M. Konstantinos Vrettos, rapporteur sur la situation au Proche-Orient.
En me fondant également sur les conclusions de ma visite, j’ai préparé,
juste avant le débat prévu pour la partie de session d’octobre 2011,
un addendum à mon rapport afin d’y inclure les derniers développements
intervenus dans la région (
Doc. 12699 Addendum).
2. Lors de ma dernière visite au Caire, je me suis entretenu
avec des représentants des partis politiques, de la société civile
et des médias, ainsi qu’avec le chef des services de renseignement
du pays, le major général Mouafi. Des représentants des partis politiques
égyptiens ont, par la suite, été invités à participer à des échanges
de vues avec la commission et sa sous-commission sur le Proche-Orient
en octobre et décembre 2011 respectivement. Tous ont insisté sur
l'importance d'un renforcement des relations entre l’Assemblée et l’Egypte,
ainsi que d'un soutien politique au processus actuel de transition.
3. Etant donné le rôle géopolitique majeur de l’Egypte et l'impact
que l'évolution politique et constitutionnelle de ce pays peut avoir
sur l'ensemble de la région du sud de la Méditerranée et du Proche-Orient,
j’ai présenté, en février de cette année, une proposition de résolution
sur «La transition politique en Egypte» suggérant que notre Assemblée
suive de près la situation en Egypte et son processus de transition politique,
et continue d'y développer ses contacts tant avec les politiciens
qu'avec la société civile.
4. Le 30 mai 2012, j’ai été nommé rapporteur pour cette proposition
et j’avais l’intention de demander à la commission l’autorisation
d’effectuer une nouvelle visite dans le pays, pour faire le point
sur les développements intervenus depuis l’année passée et nouer
des contacts aux fins de présenter un rapport à la commission, puis
à l’Assemblée, dans les prochains mois.
5. Cependant, l’inquiétante évolution constitutionnelle en Egypte
au fil des dernières semaines, et notamment la dissolution du parlement
et l’adoption, par le Conseil suprême des forces armées (CSFA),
d’une déclaration constitutionnelle qui renforce considérablement
ses pouvoirs et vide la fonction du Président récemment élu de ses
principales prérogatives, a incité l’Assemblée à tenir un débat
selon la procédure d’urgence sur la situation en Egypte au cours
de cette partie de session. Je n’ai disposé, par conséquent, que de
quelques heures pour préparer un rapport en vue de son approbation
par la commission et sa soumission à l’Assemblée. Dans le même temps,
à l’heure même où nous décidions de tenir ce débat, le Président nouvellement
élu faisait ses premières déclarations publiques et il est par conséquent
prématuré pour nous de procéder à une évaluation précise de la direction
que peuvent prendre les développements.
6. Je me contenterai de ce fait de résumer l’évolution et de
présenter succinctement les défis majeurs auxquels est confronté
le Président récemment élu, ainsi que les principaux risques et
opportunités pour la démocratie en Egypte. J’estime par ailleurs
que, dans le contexte du présent rapport et du débat selon la procédure
d’urgence, notre Assemblée devrait rappeler ce que le Conseil de
l’Europe peut offrir aux nouvelles institutions politiques du pays.
Au-delà, j’ai probablement davantage de questions à soulever que
de réponses à apporter, à l’instar de la plupart de mes collègues
à l’Assemblée. Les énumérer aura au moins le mérite le guider notre
débat.
7. A l’issue de ce débat, et en fonction de l’évolution de la
situation dans le pays, j’ai l’intention de me déplacer en Egypte
et d’en rendre compte à la commission en me fondant sur les informations
plus conséquentes que j’aurai été en mesure de collecter sur le
terrain.
8. Pour commencer et pour les raisons que j’ai expliquées en
partie précédemment, je propose de modifier le titre du rapport.
Parler d’une «crise de la démocratie» présuppose qu’une démocratie
soit en place. Toutefois, les Egyptiens suivent toujours un processus
de «transition» vers, espérons-le, la démocratie, mais ils ne l’ont
pas encore mené à terme. Je crains également que ce titre puisse
être mal interprété et qu’il laisse supposer une remise en question
des résultats de l’élection du nouveau Président. Les initiateurs
de ce débat selon la procédure d’urgence avaient, à n’en pas douter,
l’intention de tirer la sonnette d’alarme quant aux obstacles rencontrés
sur la voie de la démocratie au cours de l’actuelle période de transition,
et notamment au risque d’une confiscation, par l’armée, des objectifs
de la révolution. Dans le même temps, l’élection du nouveau Président,
ses premières déclarations et les réactions des forces armées et
de la communauté internationale ouvrent des perspectives de normalisation
et présentent des opportunités pour l’avenir. Je propose d’intituler
le rapport et le débat «La crise de la transition démocratique en
Egypte».
9. Il convient de souligner dès le départ que l’élection même
de M. Mohamed Morsi à la présidence de l’Egypte revêt une importance
historique dans la mesure où il est le premier Président civil démocratiquement élu
du plus grand pays du Proche-Orient. En outre, les élections proprement
dites semblent s’être déroulées de manière libre et équitable, ce
qui constitue en soi un développement extrêmement important et positif
tant pour l’Egypte que pour la région entière du Proche-Orient et
au-delà.
2. Brève présentation des développements
récents
10. Lors de notre visite en Egypte
en septembre dernier, l’ensemble de nos interlocuteurs nous a déclaré que
les Frères musulmans sont sans conteste le groupe politique le plus
nombreux et le mieux organisé d’Egypte, un pays où la religion (musulmane
ou chrétienne) joue un rôle important. En lançant leur nouveau parti,
les Frères musulmans ont confirmé qu’ils ne s’opposeraient pas à
la nomination de femmes ou de coptes à une fonction ministérielle
(cabinet). L’un des vice-présidents du nouveau parti est lui-même
copte. Ils estiment cependant «inopportun» que la présidence soit
occupée par une femme ou un copte.
11. Selon les analystes, le rôle primordial que sont appelés à
jouer les Frères musulmans semble s’expliquer non seulement par
le fait que le peuple égyptien a une forte imprégnation religieuse,
mais aussi par le contexte social du vote en Egypte et sa nature
profondément clientéliste. Comme je le notais dans l’addendum à
mon rapport sur la coopération entre le Conseil de l’Europe et les
démocraties émergentes dans le monde arabe, le vote islamiste est
également perçu comme ayant l’avantage de donner un sens et une signification
à l’action publique car il est porteur d’un projet.
12. Parallèlement, tous nos interlocuteurs ont globalement crédité
le parti Liberté et justice des Frères musulmans d’un score variant
de 25 % à 33 %, en en faisant vraisemblablement la première force
politique du pays, sans toutefois que ce parti atteigne la majorité
absolue lui permettant de gouverner seul. Il nous a été rapporté
que les Frères musulmans paraissaient d’ailleurs ne pas vouloir
exercer effectivement le pouvoir, sans doute par crainte que les
mesures qui devront être édictées au lendemain des élections ne
rendent leurs promoteurs impopulaires, perdant ainsi une partie
du soutien du peuple de la révolution. On nous a donc dit que les
Frères musulmans ne présenteraient des candidats que dans la moitié
des circonscriptions. Ces pronostics se sont avérés erronés à la
surprise de bon nombre d’hommes politiques libéraux et d’analystes dans
et hors du pays.
13. Le système électoral a fait l’objet de controverses entre
le CSFA et les partis politiques, et a été évoqué lors de nos discussions
avec les représentants des partis. Au départ, les projets d’amendement
à la loi sur les élections législatives proposés par le CSFA prévoyaient
que la moitié des sièges du parlement soit attribuée au scrutin
proportionnel sur la base de listes des partis et que l’autre moitié
le serait au scrutin uninominal à partir d’une liste de candidats
individuels. Les représentants de l’ensemble des partis politiques
que nous avons rencontrés ont souligné leur préférence pour des
élections fondées exclusivement sur des listes de partis, craignant
que des listes de candidats individuels favorisent les anciens membres
du Parti national démocratique d’Hosni Moubarak.
14. Nous étions au Caire le jour même, le dimanche 25 septembre
2011, de l’approbation par le Cabinet égyptien des amendements à
la loi électorale, à l’occasion d’une réunion présidée par le Premier
ministre Essam Sharaf. Les amendements ainsi approuvés ont prévu
que l'élection des deux tiers des députés du parlement se ferait
au scrutin de liste fermée à la proportionnelle, et le dernier tiers
par scrutin uninominal. La nouvelle loi a divisé l’Egypte en 129
circonscriptions – 46 dont les membres seraient élus au scrutin
de liste et 83 dont les membres seraient élus par scrutin uninominal.
Le nombre de sièges au parlement a par ailleurs été réduit de 504
à 498.
15. Les élections législatives à l’Assemblée du peuple se sont
déroulées de fin novembre 2011 à début janvier 2012, celles à la
Chambre haute du parlement, la Shura, de fin janvier 2012 à fin
février 2012. La durée du processus électoral s’explique par le
fait que le corps des juges était seul à pouvoir superviser les
scrutins (la Haute Commission électorale étant uniquement composée
de juges), dans un pays ne disposant pas d’assez de juges pour couvrir
simultanément l’ensemble des bureaux de vote. Les élections à l’Assemblée
du peuple se sont déroulées donc en trois tiers, avec deux tours
chacun: on a voté d’abord dans un tiers des circonscriptions, puis
dans le deuxième, puis dans le troisième, chaque fois à quelques
semaines d’intervalle. De plus, deux tours étaient organisés par
zone.
16. Les résultats définitifs des premières élections législatives
de l’ère post-Moubarak ont confirmé la victoire écrasante des partis
islamistes. Le parti Liberté et justice des Frères musulmans a obtenu
un score bien plus élevé qu’attendu et le plus grand nombre de sièges,
en l’occurrence 235 (47,2 %) sur un total de 498. Encore plus surprenant
a été le score du parti Nour, représentant le salafisme dur, qui
est arrivé en seconde position et a remporté 121 sièges (24,3 %).
17. Le parti libéral Nouveau Wafd et la coalition libérale Bloc
égyptien, dont nous avions rencontré les représentants en septembre
dernier au Caire, sont arrivés loin derrière et ont remporté respectivement
38 sièges (7,6 %) et 34 sièges (6,8 %). Mohammed Saad al-Katatni,
des Frères musulmans, a été élu par une large majorité des députés
au poste de président de l’Assemblée du peuple lors de la session
inaugurale le 23 janvier 2012.
18. La première tâche du nouveau parlement a été d’élire une assemblée
constituante de 100 membres chargée de rédiger la nouvelle Constitution.
19. Parmi les principaux défis posés à l’élaboration de cette
nouvelle Constitution, on peut citer:
- le rôle de la charia: la charia sera-t-elle la source
primaire de la législation? Et dans ce cas, quelle version de la
charia? S’agira-t-il d’une version «stricte» ou d’une version «modérée»?
Comment la charia pourrait-elle être conciliée avec les principes
de l’Etat de droit?
- l’équilibre des pouvoirs entre le président et le parlement;
- le rôle de l’armée;
- les droits des groupes minoritaires religieux ou ethniques
égyptiens;
- la place des femmes.
20. En avril 2012, après la suspension par le Tribunal administratif
du Caire de l’Assemblée constituante, composée majoritairement d’islamistes
et boycottée par divers groupes qui affirmaient que les libéraux,
les laïcs, les femmes, les jeunes et les minorités étaient sous-représentés,
un accord a été conclu début juin 2012 entre les représentants des
partis politiques et l’armée sur la composition de cette Assemblée
constituante. Selon cet accord: 39 sièges iront aux représentants
des partis de l’Assemblée du peuple, dominée par les islamistes;
13 sièges iront aux syndicats, 6 à des juges, 9 à des experts en
droit, 1 siège aux forces armées, 1 autre à la police et 1 au ministère
de la Justice. L’université Al-Azhar, l’une des plus importantes
institutions de l’islam sunnite, disposera de 5 sièges et l’Eglise
orthodoxe copte d’Egypte de 4 sièges. De même, 21 personnalités
publiques seront nommées. Les décisions seront prises à la majorité
des deux tiers.
21. Alors que les préparatifs de l’élaboration de la nouvelle
Constitution étaient en cours, avec toutes les difficultés évoquées
précédemment, les élections présidentielles ont elles aussi été
marquées de nombreuses controverses, s’agissant notamment de l’admissibilité
des candidats.
22. Le premier tour organisé fin mai 2012 n’ayant pas permis une
victoire sans équivoque, deux candidats se sont affrontés lors d’un
deuxième tour à la mi-juin: le candidat des Frères musulmans Mohamed
Morsi et l’ancien commandant de l’armée de l’air et Premier ministre
de Moubarak, Ahmed Shafik.
23. Quelques jours seulement avant le deuxième tour de scrutin,
le 14 juin 2012, la Cour constitutionnelle, composée de juges nommés
sous l’ère Moubarak, a jugé dans une décision inattendue que l’élection
d’un tiers des députés lors des dernières élections législatives
sur les listes de candidats individuels était inconstitutionnelle
et a ordonné la dissolution du parlement. Un décret du CSFA prononçant
la dissolution du parlement sur la base de ce jugement a été publié
et les militaires ont encerclé le parlement pour empêcher les députés
de pénétrer dans le bâtiment.
24. Au moment de la clôture des bureaux de vote pour le second
tour des élections présidentielles, le 17 juin, le CSFA a publié
une Déclaration constitutionnelle intérimaire, s’arrogeant le pouvoir
législatif jusqu’à la mise en place d’un nouveau parlement et renforçant
son rôle dans l’élaboration de la future Constitution. Cette déclaration
constitutionnelle a retiré au Président du pays les pouvoirs en
matière de budget, mais aussi de politique étrangère et de défense,
pouvoirs qui sont désormais assurés par l’armée. Le rétablissement
du Conseil national de défense, confiant aux généraux la politique
de sécurité nationale égyptienne, a été annoncé par le maréchal
Tantawi, président du CSFA.
25. Evolution positive: l’état d’urgence a été levé le 31 mai
2012. Néanmoins, mi-juin, le CSFA a promulgué un décret accordant
à l’armée, jusqu’à la ratification de la nouvelle Constitution,
de larges pouvoirs d’arrestation et de détention de civils en vue
de leur jugement devant des tribunaux militaires pour un vaste éventail
d’infractions.
26. L’armée a justifié la Déclaration constitutionnelle en affirmant
qu’elle comblait le vide de pouvoir créé par l’absence de parlement
et qu’elle faisait obstacle à la monopolisation du pouvoir par le
Président. Elle a annoncé qu’elle transmettrait le pouvoir exécutif
au Président nouvellement élu le 1er juillet
2012.
27. S’agissant de l’élection présidentielle proprement dite, l’annonce
des résultats a été reportée de quatre jours, les deux candidats
ayant déposé l’un contre l’autre des recours pour fraude.
28. Tous ces développements inquiétants ont poussé la population
à se rassembler place Tahrir et à manifester massivement, et ont
soulevé les inquiétudes de la communauté internationale quant à
l’avenir de la transition du pays.
29. Les craintes de voir l’armée imposer l’ancien Premier ministre
Shafik, ce qui pourrait donner lieu à des confrontations violentes
dans les rues, ont été apaisées par l’annonce des résultats par
la Haute Commission électorale le dimanche 24 juin. La victoire
du Frère musulman Mohamed Morsi a été confirmée, bien qu’avec une
faible majorité des voix (51,7 % des suffrages).
30. La proclamation des résultats a été accueillie avec soulagement
tant au sein du pays qu’en dehors, car elle a dissipé les risques
de violence généralisée tant redoutés. M. Morsi a appelé à l’unité
et a souligné qu’il serait le Président de «tous les Egyptiens»,
hommes et femmes, musulmans et chrétiens. L’armée a félicité M. Morsi
pour son élection et déclaré qu’elle serait à ses côtés pour établir
la stabilité dans le pays. L’annonce des résultats électoraux a
été en outre saluée par la communauté internationale en des termes
très positifs soulignant l’importance historique de cette élection.
Cela a eu un impact positif immédiat également sur les marchés.
31. Cela étant, malgré la vague d’optimisme aujourd’hui au Caire,
l’Egypte reste confrontée à des défis considérables et les risques
et obstacles qui pavent sa transition vers la démocratie demeurent
importants.
3. Principaux
défis, risques, obstacles et perspectives
32. Morsi est le premier Président
élu en Egypte à l’issue d’élections considérées, de manière générale, comme
libres et équitables, et jouit donc de la légitimité d’une grande
partie de la population. Il est en effet difficile à quiconque de
contester la légitimité de cette victoire ou de prétendre que les
mécanismes électoraux ont été manipulés en faveur des Frères musulmans.
33. Comme je le disais précédemment, cette élection est en elle-même
une victoire pour la démocratie émergente en Egypte, les craintes
de voir l’armée prendre le plein contrôle du pays semblant avoir
été écartées.
34. Alors que l’armée a considérablement réduit les prérogatives
du Président, celui-ci dispose toujours du pouvoir de nommer un
Premier ministre et un gouvernement, et d’un contrôle sur plusieurs
aspects de la politique intérieure.
35. L’un des plus grands défis auxquels le Président sera confronté
consiste à rassurer les Egyptiens, qui aspirent à la sécurité, à
la stabilité et au développement économique du pays, tout en étant
profondément divisés. Une bonne part d’entre eux doutent des intentions
du nouveau Président et craignent une transformation de l’Egypte
en une république islamique. Il faudrait notamment rassurer le mouvement révolutionnaire
qui craint la confiscation des objectifs de la révolution par les
militaires d’une part et par les islamistes, d’autre part, et qui
risque la marginalisation.
36. Le choix que fera M. Morsi s’agissant de la désignation du
Premier ministre, des vice-présidents et des ministres (malgré le
fait que les postes clés doivent être approuvés par le CSFA) sera
peut-être en mesure de les rassurer.
37. La situation désastreuse de l’économie du pays constitue un
autre défi pour le Président nouvellement élu. Le tourisme a fortement
chuté, les réserves de devises s’épuisent rapidement et les finances
publiques sont en grande difficulté. Le taux de chômage est élevé
et ne cesse d’augmenter, notamment parmi les jeunes.
38. Il convient d’introduire de toute urgence des réformes économiques
de grande ampleur, et le soutien de la communauté internationale
s’avère d’importance vitale.
39. Dans le même temps, la démocratie émergente en Egypte est
également exposée à d’importants risques venant principalement de
deux sources.
40. D’un côté, une question fondamentale est désormais de savoir
comment l’armée partagera en définitive les pouvoirs avec le Président
nouvellement élu et quand un nouveau parlement pourra se mettre
au travail et récupérera les pleins pouvoirs législatifs.
41. Premièrement, la dissolution du parlement, la Déclaration
constitutionnelle du 17 juin, les prérogatives élargies en matière
d’arrestation et de placement en détention dont bénéficie l’armée,
la remise en question de l’indépendance et de l’impartialité de
la Cour constitutionnelle égyptienne suscitent bien des préoccupations et
constituent des risques et des obstacles réels pour la démocratie
qui émerge lentement dans un pays dépourvu pratiquement de toute
expérience démocratique.
42. Deuxièmement, quelle forme prendra finalement l’équilibre
des pouvoirs en Egypte dans les mois et les années à venir?
43. D’un autre côté, tout en saluant l’élection démocratique du
nouveau Président et sans douter de sa légitimité, nous nous devons
d’être prudents quant à l’avenir du pays dans la mesure où ses déclarations
à propos de questions fondamentales telles que le rôle des femmes
ou des minorités religieuses sont souvent perçues comme ambiguës.
44. Ainsi, un troisième groupe de questions se pose: quelle sera
la relation entre la charia et la loi laïque dans le nouvel Etat
égyptien? La charia sera-t-elle la première source du droit? Et
si tel était le cas, comment va-t-on réconcilier la loi de la charia
avec les principes de l’Etat de droit? L’égalité des droits entre
les hommes et les femmes, mais également entre les musulmans et
les chrétiens, sera-t-elle compatible avec un tel rôle proéminent
de la charia, par exemple?
45. A cet égard, il convient de rappeler que les femmes et les
chrétiens ont joué un rôle prépondérant dans la révolution. Risquent-ils
désormais de voir leurs droits menacés?
46. Rappelons également que dans sa
Recommandation 1957 (2011) sur la violence à l’encontre des chrétiens au Proche
et au Moyen-Orient, l’Assemblée a réitéré que «la chrétienté [avait]
pris sa source au Proche-Orient il y a deux mille ans et que, depuis,
il y a toujours eu des communautés chrétiennes dans cette région»
et s’inquiétait de la détérioration récente des conditions de vie
de ces communautés.
47. Malheureusement, la situation ne s’est pas améliorée et plusieurs
déclarations ont été depuis adoptées par le Président de l’Assemblée
et la commission des questions politiques et de la démocratie
.
48. Il convient de noter qu’en conséquence de l’instabilité actuelle,
les chrétiens sont en train de quitter l’Egypte et certaines sources
indiquent que quelques 100 000 d’entre eux seraient partis ces derniers
mois.
49. L’avenir des chrétiens, ainsi que d’autres minorités religieuses,
en Egypte est source de véritables inquiétudes et le nouveau Président
doit de toute urgence donner des indications pleinement rassurantes.
50. Pour finir, la question de la nouvelle Constitution est symbolique
pour l’ensemble des interrogations soulevées ci-avant, compte tenu
du fait que tous ces aspects fondamentaux seront traités, d’une
manière ou d’une autre, dans ce texte essentiel. S’agissant de ce
dernier défi, notre Organisation pourrait jouer un rôle important
et bénéfique en offrant l’expertise de la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) en matière
d'élaboration de constitutions. C’est la contribution concrète que
nous pourrions apporter afin de faciliter la transition politique
difficile de ce pays qui est, après tout, le plus grand du Proche-Orient.