1. Introduction
1.1. Mandat
et étapes d’élaboration du rapport
1. Le 12 mars 2010, une proposition
de résolution concernant «La liberté de choix éducatif des familles dans
tous les Etats membres», présentée par M. Volontè et plusieurs de
ses collègues (
Doc. 12061), a été transmise à la commission de la culture, de
la science et de l’éducation. Mme Blanca
Fernandez-Capel Baños a été désignée rapporteure en avril 2010.
Après son départ de l’Assemblée, la commission de la culture, de
la science, de l’éducation et des médias m’a nommée rapporteure
en janvier 2012.
2. Pierre-Henri Imbert, ancien directeur général des Droits de
l’homme au Conseil de l’Europe, a accepté d’assister la commission
dans la préparation du présent rapport. Je le remercie vivement
de sa contribution.
3. La commission a décidé, en février 2011, de modifier une première
fois le titre du rapport et d’adresser aux Etats membres du Conseil
de l’Europe un questionnaire pour recueillir des informations sur
la protection et la mise en œuvre du droit des familles à la liberté
de choix éducatif dans leurs ordres juridiques respectifs. Le questionnaire
a été envoyé par l’entremise du Centre européen de recherche et
de documentation parlementaires (CERDP). Trente-sept Etats, dont
34 Etats membres, ont transmis leurs réponses et l’analyse contenue
dans le rapport s’appuie donc sur une base solide de droit comparé.
En avril 2012, la commission a décidé de donner au rapport son titre
actuel.
1.2. Problématique
et champ de l’enquête
4. Dans la proposition de résolution,
on souligne, d’abord, que «le droit de toute personne à être éduquée implique
une véritable liberté d’éducation qui permette à la famille (…)
de choisir [l’]école selon les convictions qui sont les siennes». On
note, ensuite, que «certains systèmes scolaires de plusieurs Etats
membres continuent de fonctionner comme un appareil centralisé,
ce qui entraîne le maintien du monopole d’Etat et l’exclusion de
la famille en tant qu’acteur fondamental du processus éducatif».
On affirme, dès lors, la nécessité de «reconnaître et soutenir le
libre choix dans l’éducation et l’enseignement afin de permettre
un véritable pluralisme des établissements scolaires» mais aussi
d’apporter des améliorations au système scolaire grâce à une compétition
entre ces établissements. Enfin, la proposition de résolution invite l’Assemblée
parlementaire à vérifier «le respect effectif et non discriminatoire
du droit des familles et des enfants au libre choix entre les écoles
publiques et privées».
5. Le rapport est essentiellement centré sur cet aspect du «droit
à la liberté de choix éducatif». La liberté en question peut s’exprimer
aussi par le choix d’une éducation à la maison; néanmoins, cet autre
aspect (qui soulève des questions différentes par rapport au droit
de choisir entre établissements d’éducation publics ou privés) n’est
pas traité par le présent rapport.
6. De même, le rapport n’examine pas d’autres droits des parents
en matière d’éducation, qui complètent le droit à la liberté de
choix éducatif, à savoir:
- le
droit de recours, permettant aux parents de s’opposer à certaines
décisions prises par l’autorité scolaire;
- le droit d’information, notamment en ce qui concerne les
progrès de leurs enfants, l’organisation du système scolaire en
général et celle de l’école en particulier;
- le droit de participation des parents dans les structures
formelles organisées du système éducatif.
7. Pour vérifier «le respect effectif et non discriminatoire
du droit des familles et des enfants au libre choix entre les écoles
publiques et privées», l’analyse part du cadre juridique européen
pour se tourner ensuite vers les ordres juridiques nationaux.
8. En ce qui concerne le cadre juridique européen, deux instruments
du Conseil de l’Europe ont une importance particulière: la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention») (telle qu’interprétée et mise en œuvre selon la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»)) et
la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163).
S’y ajoute la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le rapport étudie les dispositions pertinentes contenues dans ces
textes. Bien entendu, le dernier texte n’est directement pertinent
que pour les Etats membres de l’Union européenne, mais il me semble
difficile d’en faire abstraction.
9. En ce qui concerne l’analyse des normes et dispositions nationales,
le rapport examine en particulier si, et dans quelle mesure, les
ordres juridiques des Etats membres prévoient les trois éléments
suivants:
- le droit pour des
sujets de droit privé de fonder des établissements d’enseignement
qui (sous réserve du respect de certaines conditions ) sont intégrés dans le système national
de l’éducation comme offrant un «service public», ce qui implique
aussi la reconnaissance des études effectuées dans ces établissements
et, le cas échéant, des certificats/diplômes délivrés par ces établissements;
- la possibilité pour ces établissements de répondre à des
demandes spécifiques des familles, tout en respectant le «cahier
de charges» des écoles fondées par l’Etat (les pouvoirs publics);
- la possibilité pour l’Etat de soutenir financièrement
ces établissements (éventuellement sous réserve de conditions supplémentaires
venant s’ajouter à celles applicables pour les fonder) et/ou les
familles qui décident d’y inscrire leurs enfants.
10. Il convient de préciser que les demandes spécifiques des familles
sont très souvent relatives à l’éducation religieuse; mais on pourrait
également vouloir choisir une école en fonction d’une pédagogie éducative
ou d’une spécialisation dans un domaine particulier (arts, langues,
sciences du vivant, sciences techniques, etc.). En d’autres termes,
il ne faut pas considérer que la liberté de choisir une école se
réduit à la liberté de choisir un enseignement «confessionnel»,
même si, en pratique, c’est bien celui-ci qui constitue l’aspect
le plus important.
11. Il convient également de souligner que la liberté de choix
éducatif ne peut s’exercer pleinement que dans le cadre d’un système
garantissant le droit à l’éducation, voire le droit pour tous et
sans discrimination à une éducation de qualité, permettant l’acquisition
d’une large base de connaissances et préparant à l’entrée sur le marché
du travail, mais visant aussi l’épanouissement personnel et préparant
les élèves, à travers la transmission des valeurs fondamentales,
à une vie de citoyen actif au sein d’une société démocratique. Pour cette
raison, la question du financement (direct ou indirect, total ou
partiel) par l’Etat des écoles non étatiques est examinée en tenant
compte de l’impact que peuvent avoir à cet égard le principe de
la gratuité de l’école obligatoire et celui de non-discrimination.
2. La portée juridique du droit à la liberté
de choix éducatif en droit européen
2.1. Textes
de référence
12. Il existe plusieurs textes
internationaux qui contiennent des dispositions sur le droit à l’éducation. Beaucoup
ont une portée universelle: Déclaration universelle des droits de
l’homme (10 décembre 1948, article 26); Convention concernant la
lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement
(14 décembre 1960); Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (16 décembre 1966, articles 13 et 14); Convention
relative aux droits de l’enfant (20 novembre 1989, articles 28 et
29). Mais, pour les Etats membres du Conseil de l’Europe, il est
évident que le texte de référence fondamental est la Convention européenne
des droits de l’homme, plus précisément son premier Protocole additionnel
(STE no 9) (20 mars 1952), auquel on
peut ajouter la Charte sociale européenne (18 octobre 1961 (STE
no 35) et 3 mai 1996) et la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne.
2.1.1. Le
Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme
13. Le libellé de l’article 2 du
Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme
est le suivant:
«Article 2. Droit à l’instruction
Nul ne peut se voir refuser
le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions
qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement,
respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet
enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.»
14. Des débats vifs et parfois confus auxquels a donné lieu l’élaboration
de cet article, il ressort au moins un élément clair et qui concerne
directement notre sujet: «La question du devoir de l’Etat de créer
ou d’entretenir à l’aide des finances publiques des écoles correspondant
aux diverses tendances présentes dans la population doit être considérée
comme demeurant entièrement en dehors du cadre de la Convention
et du Protocole» (Rapport de la commission des affaires juridiques
et administratives, 2 octobre 1951).
15. La Cour a fait sienne cette interprétation dans un de ses
premiers arrêts (Affaire linguistique belge du 23 juillet 1968):
«La formulation négative [de la première phrase de l’article 2]
signifie, et les travaux préparatoires le confirment, que les Parties
contractantes ne reconnaissent pas un droit à l’instruction qui
les obligerait à organiser à leurs frais, ou à subventionner, un
enseignement d’une forme ou à un échelon déterminés» (paragraphe
3). Cette affirmation a d’autant plus de poids qu’elle n’était pas
indispensable vu l’objet de la requête. A notre connaissance, il
n’y a eu qu’une seule affaire portant directement sur l’aide financière
de l’Etat à un établissement privé [en l’occurrence une école Rudolf
Steiner]: la requête W. et K.L. c. Suède,
déclarée irrecevable par la Commission (décision du 11 décembre
1985). S’appuyant sur l’arrêt précité de la Cour, la Commission
affirme que «les Etats n’ont pas une obligation positive, à teneur
de la deuxième phrase de l’article 2, de subventionner une forme
particulière d’enseignement pour respecter les convictions religieuses
et philosophiques des parents. Il leur suffit (…) de montrer qu’ils
respectent les convictions religieuses et philosophiques des parents
dans l’enseignement tel qu’il existe et qu’il se développe.»
16. Il résulte de cette jurisprudence que les Etats peuvent choisir
de contribuer financièrement au fonctionnement d’établissements
d’enseignement privés. Mais ils ne le font pas au titre d’une obligation juridique
découlant de la Convention.
17. Il convient toutefois de relever que, malgré la formulation
négative de la première phrase de l’article 2 du Protocole additionnel
à la Convention («Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction»),
la Cour a affirmé dans le même arrêt «Affaire linguistique belge»
que cette phrase consacre un véritable droit (paragraphe 3). Dans
son arrêt Kjeldsen et autres c. Danemark du
7 décembre 1976, la Cour a confirmé que cette phrase «consacre le
droit de chacun à l’instruction»; elle a ajouté que «c’est sur ce
droit fondamental que se greffe le droit des parents au respect
de leurs convictions religieuses et philosophiques et la première
phrase ne distingue pas plus que la seconde entre l’enseignement
public et l’enseignement privé» (paragraphe 50).
2.1.2. La
Charte sociale européenne (révisée)
18. La Charte sociale européenne
contient plusieurs dispositions relatives – directement ou indirectement –
à l’éducation: articles 9, 10, 15 et surtout l’article 17, qui a
été entièrement remanié dans la version révisée de la Charte. Aux
termes de cet article,
«les Parties s’engagent
à prendre, soit directement, soit en coopération avec les organisations
publiques ou privées, toutes les mesures nécessaires et appropriées
tendant:
18.1. (a) à assurer
aux enfants et aux adolescents, compte tenu des droits et des devoirs
des parents, les soins, l’assistance, l’éducation et la formation
dont ils ont besoin, notamment en prévoyant la création ou le maintien
d’institutions ou de services adéquats et suffisants à cette fin;
(...)
18.2. à assurer aux enfants et aux adolescents un enseignement
primaire et secondaire gratuit, ainsi qu’à favoriser la régularité
de la fréquentation scolaire.»
19. La référence aux «droits [et devoirs] des parents», liée à
l’obligation d’assurer aux enfants et aux adolescents «l’éducation
(…) dont ils ont besoin» et «un enseignement primaire et secondaire
gratuits», pourrait offrir une base pour une protection du droit
des parents à la liberté de choix éducatif plus poussée que celle
actuellement offerte par le Protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme. Cependant, selon les informations
que nous avons pu réunir, le Comité européen des droits sociaux
n’a pas eu l’occasion d’aborder les questions discutées dans ce
rapport.
2.1.3. La
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
20. La Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne contient l’article suivant:
Article
14 – Droit à l’éducation
1. Toute personne a droit à
l’éducation, ainsi qu’à l’accès à la formation professionnelle et
continue.
2. Ce droit comporte la faculté
de suivre gratuitement l’enseignement obligatoire.
3. La liberté de créer des
établissements d’enseignement dans le respect des principes démocratiques,
ainsi que le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement
de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques
et pédagogiques, sont respectés selon les lois nationales qui en
régissent l’exercice.
21. On retrouve dans cette disposition les éléments de l’article
2 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits
de l’homme mais complétés et renforcés. C’est en particulier le
cas avec la rédaction positive et non plus négative du droit à l’éducation,
qui est clairement affirmé. Ce changement est important car la rédaction
négative avait servi à la Cour européenne des droits de l’homme
d’argument pour écarter l’obligation de contribuer au financement
des établissements privés.
22. La Charte des droits fondamentaux mentionne également le principe
de gratuité de l’enseignement obligatoire. Toutefois, dans l’«Explication»
qui accompagne cet article, il est précisé que «tel qu’il est formulé ce
principe implique seulement que, pour l’enseignement obligatoire,
chaque enfant ait la possibilité d’accéder à un établissement qui
pratique la gratuité. Il n’impose pas que tous les établissements,
notamment privés, qui dispensent cet enseignement soient gratuits».
23. On relève enfin dans la Charte la reconnaissance de la liberté
de création d’établissements d’enseignement. Mais l’Explication
se contente d’indiquer que cette liberté «est garantie comme un
des aspects de la liberté d’entreprendre».
2.2. Principes
clés
24. Pour compléter ce rappel des
éléments juridiques pertinents, il convient d’examiner trois principes
qui revêtent ici une importance particulière, à savoir: le pluralisme,
la non-discrimination et le respect des droits des enfants.
2.2.1. La
pluralisme dans l’éducation
25. Il est évident que l’existence
d’établissements privés d’enseignement à côté des établissements
publics favorise le pluralisme. Toutefois, il faut être conscient
que ce n’est pas ce type de pluralisme (résultant de la diversité
des établissements) auquel pensaient les auteurs de la Convention
et auquel se réfère la Cour. L’idée de base est qu’il faut protéger
les régimes démocratiques contre toute tentative totalitaire en
empêchant l’endoctrinement de la jeunesse. D’où la nécessité d’assurer
et de préserver le pluralisme au sein des établissements publics,
en particulier par le respect des convictions religieuses et philosophiques
des parents.
26. Dans son arrêt Kjeldsen et autres
c. Danemark, la Cour l’a clairement indiqué: «La seconde
phrase de l’article 2 [du Protocole additionnel] vise en somme à
sauvegarder la possibilité d’un pluralisme éducatif, essentielle
à la préservation de la “société démocratique” telle que la conçoit
la Convention. En raison du poids de l’Etat moderne, c’est surtout
par l’enseignement public que doit se réaliser ce dessein» (paragraphe
50).
27. Cette affirmation permet de préciser la position de la Cour
au regard de la question du pluralisme éducatif. Suivant en cela
les préoccupations des auteurs de l’article 2 du Protocole additionnel,
la Cour met surtout l’accent sur la nécessité de préserver le pluralisme
au sein des établissements publics, afin d’empêcher l’endoctrinement
de la jeunesse. Mais cela ne signifie pas qu’elle ignore l’importance
– pour un pluralisme véritable – de l’existence d’établissements
privés. Au contraire, le respect par l’Etat des convictions des parents
implique la possibilité de créer de tels établissements.
2.2.2. Non-discrimination
28. Le principe de non-discrimination
a été renforcé par le Protocole n° 12 à la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 177), puisqu’il
prévoit la garantie collective d’une interdiction générale (et non
plus limitée aux droits et libertés reconnus dans la Convention)
de la discrimination. Désormais, c’est «la jouissance de tout droit
prévu par la loi» qui doit être assurée «sans discrimination aucune».
29. Ce principe s’applique en premier lieu aux établissements
dépendant de l’Etat; en particulier, les conditions d’accès à ces
établissements ne doivent générer aucune discrimination. De même,
si un Etat décide de contribuer au fonctionnement d’établissements
privés, il ne peut pas choisir ces établissements de manière arbitraire
mais sur la base de règles générales applicables sans discrimination
à tous les établissements candidats. Mais cela signifie-t-il qu’il
y a discrimination si un Etat n’aide aucun établissement privé?
30. Au vu des considérations juridiques que nous avons présentées,
cette question reste ouverte. Depuis la disposition claire de la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les Etats
ne devraient pas pouvoir s’opposer à la création d’établissements
privés (sous réserve bien entendu de certaines conditions). Mais
cette «liberté d’entreprendre» n’implique pas en soi un droit à
recevoir une aide de l’Etat (dans plusieurs secteurs il y a souvent
cohabitation entre entreprises publiques et entreprises privées
qui ne reçoivent aucune subvention). A l’inverse, on peut faire
valoir le caractère très particulier du droit à l’éducation que
la Cour a qualifié de «droit fondamental» et le fait que, par leur
participation, les établissements privés contribuent à la réalisation
d’une mission essentielle de l’Etat, au même titre que les établissements
publics.
2.2.3. Respect
des droits des enfants
31. Enfin, il convient de mentionner
que la liberté de choix éducatif des parents doit se conjuguer avec
les droits reconnus à l’enfant lui-même, que l’Etat a le devoir
de préserver.
32. Cet aspect ne semble pas directement pris en compte par la
deuxième phrase de l’article 2 du Protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme, qui affirme simplement l’obligation
de l’Etat de respecter les convictions religieuses et philosophiques
des parents. On peut noter en effet que, selon la Cour, c’est l’importance
du respect par l’Etat des convictions des parents qui leur ouvre
la possibilité de placer leurs enfants dans des établissements d’enseignement
privés (voir, par exemple, la décision du 25 mai 2000, A.J. Alonso et P.J. Merino c. Espagne).
33. Néanmoins, dans l’Explication qui accompagne l’article 14
de la Charte des droits fondamentaux, il est indiqué que, «en ce
qui concerne le droit des parents, il doit être interprété en relation
avec les dispositions de l’article 24». Cet article porte sur les
«droits de l’enfant». Son paragraphe 2 dispose que: «Dans tous les
actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités
publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant
doit être une considération primordiale.
»
Les Etats sont appelés à assurer une protection efficace de cet
intérêt supérieur de l’enfant, en même temps qu’ils doivent respecter
la responsabilité, le droit et le devoir qu'ont les parents d’orienter
leurs enfants
.
3. La
reconnaissance et la mise en œuvre du droit à la liberté de choix
éducatif dans les ordres juridiques des Etats du Conseil de l’Europe
34. L’analyse de droit comparé
contenue dans ce chapitre s’appuie essentiellement sur les réponses
au questionnaire de 34 Etats membres, à savoir: Albanie, Allemagne,
Andorre, Autriche, Belgique, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne,
Estonie, «l’ex-République yougoslave de Macédoine», Finlande, France, Géorgie,
Grèce, Hongrie, Islande, Italie, Lituanie, République de Moldova,
Monténégro, Norvège, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie,
Royaume-Uni (Angleterre), Russie, Serbie, République slovaque, Suède,
Suisse, Turquie, Ukraine. Le Canada, les Etats-Unis et Israël ont
également fourni des renseignements.
35. Pour mieux comprendre la situation dans quelques pays, j’ai
également consulté les rapports nationaux du réseau Eurydice sur
les systèmes éducatifs
, ainsi que les rapports nationaux
sur les relations entre l’Etat et la religion publiés dans le cadre
du XVIIIe Congrès international de droit
comparé à Washington (juillet 2010)
. Les principaux
éléments d’information sont présentés de manière schématique dans
un document d’information séparé [AS/Cult/Inf (2012) 02 rev
]
et ils sont commentés dans les sections suivantes.
3.1. Le
droit d’ouvrir des établissements d’enseignement privés et la reconnaissance
de la scolarité dans ces établissements
3.1.1. Base
normative du droit à la liberté de choix éducatif
36. Tous les pays ayant répondu
au questionnaire reconnaissent, d’une manière ou d’une autre, le
droit à la liberté de choix éducatif. Dans 28 Etats membres du Conseil
de l’Europe, ce droit a une consécration constitutionnelle, même
si dans quelques cas la reconnaissance est indirecte (comme en Suède,
qui renvoie aux normes de la Convention européenne des droits de
l’homme) ou implicite. A cet égard, le fait même de mentionner la
possibilité pour les personnes physiques ou morales de droit privé
de créer des établissements d'enseignement privés implique la possibilité
pour les familles de placer leurs enfants dans ces établissements. Partout,
la loi détermine les conditions et les modalités de mise en œuvre
du droit de créer des établissements d’enseignement privés.
3.1.2. Conditions
requises pour la création d’établissements d’enseignement privés
37. Tous les pays ayant répondu
au questionnaire prévoient la possibilité de créer des établissements d’enseignement
privés à tous les niveaux d’enseignement (primaire, secondaire et
supérieur). Seule la Grèce interdit, par une disposition constitutionnelle,
la création d’établissements privés d’enseignement supérieur.
38. Dans la majorité des Etats, le candidat à l’ouverture d’un
établissement d’enseignement privé doit déposer une demande d’autorisation
auprès de l’administration. La délivrance de cette autorisation
est soumise dans presque tous les cas à une ou plusieurs des conditions
suivantes:
- la compatibilité
avec le programme et/ou les objectifs de l’éducation nationale;
cette exigence suppose que le contenu des enseignements et le nombre
d’heures enseignées soient non pas nécessairement identiques mais
compatibles avec ce qui est prévu dans le système éducatif public
du pays;
- la capacité financière et les normes concernant les locaux;
il s’agit de la conformité avec les normes imposées par les législations
et les réglementations nationales en termes (notamment mais pas exclusivement)
de solvabilité des propriétaires, de salubrité des locaux, de sûreté
et de qualité des installations et équipements, etc.;
- la capacité académique et/ou professionnelle des enseignants;
cette condition concerne les titres ou diplômes spécifiques et/ou
les compétences professionnelles dont doivent être dotés les enseignants du
futur établissement.
39. D’autres conditions sont parfois exigées, comme:
- l’offre éducative spécifique,
soit la nécessité pour l’établissement de présenter une spécificité
quant au contenu ou à la forme de son enseignement: langue étrangère,
instruction religieuse, approche pédagogique particulière, etc.;
- l’obligation de ne pas différencier les élèves en fonction
de la situation économique des parents.
40. Dans trois pays (Belgique, France et Italie), la création
d’un établissement d’enseignement privé ne requiert pas d’autorisation
préalable.
3.1.3. Conditions
de reconnaissance de la scolarité et des diplômes délivrés par un
établissement d’enseignement privé
41. Dans tous les pays ayant répondu
au questionnaire, il existe une possibilité de reconnaître la scolarité et,
le cas échéant, les diplômes délivrés dans les établissements d’enseignement
privés, sous réserve de satisfaire à certaines conditions. Si ces
dernières sont remplies, l’établissement est «reconnu» ou «accrédité» par
l’Etat.
42. L’accréditation n’est pas dans tous les cas une procédure
obligatoire. Cependant, les établissements privés non accrédités
restent rares. En effet, outre la reconnaissance de la valeur de
la scolarité suivie dans les écoles privées, l’accréditation est
en général une condition sine qua non pour être éligible à un soutien financier
public.
43. Dans quelques systèmes, l’autorisation et l’accréditation
constituent une seule et même procédure ou bien elles sont obligatoirement
consécutives. Ces systèmes sont intéressants du point de vue procédural.
En effet, ils ont l’avantage de la simplicité, en évitant les lourdeurs
bureaucratiques, qui pourraient avoir un effet restrictif.
44. Dans presque tous les pays, l’accréditation est accordée (logiquement)
après évaluation du programme d’enseignement prévu par l’établissement
privé; le plus souvent d’autres conditions s’y ajoutent, qui reprennent
ou complètent celles requises pour créer l’établissement. Tel est
le cas aussi dans les trois pays (Belgique, France, Italie) qui
ne subordonnent pas la création d’un établissement d’enseignement
privé à l’obtention d’une autorisation. En général, les conditions
exigées sont identiques ou équivalentes à celles applicables aux
établissements d’enseignement fondés par l’Etat ou les collectivités
publiques.
45. Il est à noter que, dans la plupart des pays, l’accréditation
des établissements d’enseignement supérieur est menée de la même
manière, que l’établissement soit de droit public ou de droit privé.
Elle se fonde essentiellement sur une évaluation de la qualité de
l’offre de formation.
3.2. Pratiques
concernant le financement des établissements d’enseignement privés
et les contrôles de ces établissements
3.2.1. Financement
public des établissements d’enseignement privés
46. Dix Etats membres (Albanie,
Andorre, Chypre, Croatie, «l’ex-République yougoslave de Macédoine», Géorgie,
Grèce, Russie, Serbie, Ukraine) ne prévoient aucun financement public
des établissements d’enseignement privés. Dans les autres, les aides
dont les établissements privés peuvent bénéficier sont de nature
très diverse. Ces aides prennent par exemple la forme:
- de dotations globales (librement
allouées par le bénéficiaire à ses différents postes de dépenses), souvent
déterminées sur la base d’un coût standard par élève et du nombre
d’élèves de l’établissement;
- de subventions spécifiques (qu’il faut affecter aux postes
de dépenses prévues par la réglementation);
- d’allègements fiscaux.
47. L’Etat peut aussi prendre directement en charge certaines
dépenses (et verser directement aux «créanciers» de l’établissement
privé les sommes dues). C’est la solution choisie en France pour
la rémunération des enseignants et certains autres coûts de fonctionnement.
48. On peut noter que dans divers pays le coût que l’Etat accepte
de payer pour les élèves de l’école privée est équivalent ou presque
à celui qu’il supporte pour les élèves de l’école publique, conformément
au principe de non-discrimination.
49. Par exemple, en Finlande, les établissements privés autorisés
sont financés par l’Etat et les autorités locales sur la même base
que les écoles publiques. En Suède, les autorités locales financent
les écoles indépendantes en appliquant les mêmes critères que pour
les écoles municipales (principalement, un certain montant par élève).
En Espagne, les écoles privées qui remplissent l’ensemble des critères
normatifs et qui offrent une éducation gratuite peuvent bénéficier
d’un financement public; dans ces cas, un accord est signé avec
l’autorité scolaire compétente: les établissements privés en question
entrent ainsi dans le système de service public de l’éducation et
sont financés par les budgets de l’Etat ou des communautés autonomes
sur la même base que les écoles publiques. En République slovaque,
un soutien financier de l’Etat est prévu tant pour les infrastructures
(depuis janvier 2007) que pour le fonctionnement des écoles confessionnelles
ou privées; le système de financement a pour objectifs, entre autres,
d’introduire un système standardisé de financement par étudiant
et de soutenir l’égalité entre les divers fondateurs des écoles.
50. Dans d’autres pays, le financement public dont bénéficient
les établissements privés par élève est proche ou tient compte du
coût financier d’un élève fréquentant une école publique. En Allemagne,
les Länder prévoient un soutien financier minimal aux établissements
d’enseignement privés. Ces subventions visent généralement les coûts
de fonctionnement (personnel, matériel) et parfois certains autres
coûts (construction, fournitures scolaires gratuites pour les élèves);
globalement, le financement public dont bénéficient ces établissements
par élève est équivalent au coût financier d’un élève fréquentant
une école publique. En Belgique, l’accréditation de l’établissement
donne nécessairement droit à des subventions spécifiques destinées
à un poste de dépenses donné: personnel, équipement, construction;
à côté de ces subventions, les établissements accrédités peuvent
bénéficier de certains services et installations auxquels les établissements d’enseignement
publics ont droit (comme cantines et piscines). Au Danemark, la
dotation annuelle (calculée en fonction du nombre d’élèves) concerne
les dépenses de fonctionnement et correspond, en principe, au coût supporté
pour les élèves des écoles municipales moins les frais d’inscription
payés par les familles. En effet, les écoles doivent en partie s’autofinancer.
51. Il faut néanmoins noter que, dans plusieurs Etats membres
du Conseil de l’Europe, soit le financement des établissements privés
est inexistant, soit il reste d’un niveau faible.
3.2.2. Les
conditions d’éligibilité au financement public
52. Dans la majorité des pays prévoyant
un soutien financier aux établissements d’enseignement privés, l’accréditation
permet d’en bénéficier. Parmi les autres conditions (supplémentaires
ou alternatives par rapport à l’accréditation) il faut mentionner:
- le but non lucratif de l’établissement;
- l’absence de critères discriminatoires de sélection;
- la réponse à un besoin spécifique;
- une taille minimale (en nombre d’élèves).
53. Par exemple, en Autriche, l’accréditation n’est pas exigée
pour obtenir un financement public, mais l’école privée doit avoir
un but non lucratif, doit répondre à une demande spécifique de la
population et ne doit pas imposer de critères de sélection à l’admission
des élèves. En Espagne, où le principe de non-discrimination est
mentionné explicitement parmi les principes de base du système éducatif,
les écoles privées doivent offrir une éducation gratuite pour pouvoir
signer un accord avec les autorités scolaires. Au Danemark, pour
être éligibles au financement public, les écoles doivent, entre
autres, avoir une taille minimale et un but non lucratif.
54. Dans quelques pays, même si toutes les conditions sont remplies,
le financement public n’est pas nécessairement accordé, car il existe
un pouvoir discrétionnaire de l’administration en la matière (Norvège,
par exemple).
55. Au Monténégro, la loi prévoit l’obligation positive de financer
un établissement privé si les conditions requises sont remplies,
mais les droits et obligations réciproques de l’Etat et de l’établissement
en question doivent être fixés par contrat. La loi prévoit aussi
l’interdiction de financer un établissement d’éducation primaire
(et l’obligation d’interrompre un financement en cours) si les inscriptions
dans cette école privée mettent en danger l’existence de l’unique
établissement public de la zone concernée. Cette dernière condition, qui
vise un cas extrême, mérite d’être soulignée, car il s’agit de préserver
le rôle de l’Etat dans le domaine de l’éducation.
3.2.3. Les
aides directes aux familles
56. Dans certains pays, il existe
des mécanismes d’aides directes aux familles. Certaines de ces aides
sont versées indépendamment du caractère public ou privé de l’établissement
fréquenté par l’élève; d’autres ne sont versées qu’aux familles
plaçant leurs enfants dans un établissement d’enseignement privé
(les frais correspondants étant pris en charge directement dans
le cas des élèves des écoles publiques).
57. Par exemple, les familles des élèves fréquentant des écoles
privées reconnues peuvent obtenir, en Allemagne, le remboursement
de leurs frais d’inscription ou des coûts de transport; en Italie,
un remboursement partiel des frais d’inscription. En France, une
allocation de rentrée scolaire est ouverte à toutes les familles
– sous conditions de revenus –, qu’elles aient des enfants dans
des écoles privées ou publiques. Pour citer un exemple en dehors
de l’Europe, aux Etats-Unis, certains Etats ou municipalités prévoient
un système de vouchers (bons
scolaires) pour les familles à faible revenu ayant des enfants dans
des établissements privés, pour qu’elles puissent acquitter les
frais d’inscription.
3.2.4. Système
étatique d’inspection des établissements d’enseignement privés
58. En règle générale, les établissements
privés, et notamment ceux d’éducation primaire et secondaire, sont
soumis au système d’inspection scolaire et les autorités compétentes
procèdent à des contrôles similaires à ceux exercés sur les établissements
publics.
59. Dans certains pays, les contrôles sur les établissements privés
sont plus poussés, notamment s’il s’agit d’établissements «reconnus».
Par exemple, en Autriche, pour ces établissements le contrôle porte
à la fois sur le respect des exigences applicables aux établissements
privés et des prescriptions relatives aux établissements publics.
En Belgique, un système rigoureux d’inspection (contrôle financier
et administratif, contrôle de la compatibilité des programmes) s’applique
aux établissements privés subventionnés. En France, tous les établissements
privés sont soumis à une inspection, mais les établissements «reconnus»
(sous contrat) sont soumis à un contrôle plus étendu (y compris
sur les comptes financiers, la capacité des enseignants et la compatibilité
du programme d’enseignement).
4. Conclusions
60. Le droit à la liberté de choix
éducatif ne peut s’affirmer et se comprendre correctement que s’il
est replacé dans le contexte plus large d’un système qui garantit
de manière effective le droit fondamental à l’éducation. Les principes
à la base de ce système devraient être:
- une éducation de qualité pour tous les élèves, capable
d’assurer non seulement l’insertion professionnelle mais aussi la
transmission des connaissances et des valeurs qui favorisent la
liberté, l’égalité, la citoyenneté démocratique et responsable,
la solidarité et le respect de l’autre;
- l’équité et l’égalité des chances, l’inclusion et la non-discrimination
entre les élèves.
61. Ces principes jouent pleinement lorsqu’il s’agit de la mise
en œuvre du droit à la liberté de choix éducatif. Ce droit est intimement
lié au droit à la liberté de conscience et au respect des convictions
religieuses et philosophiques. Mais son affirmation ne saurait justifier
aucun détournement par des tendances communautaristes: la possibilité
d’ouvrir des écoles ayant une empreinte culturelle et religieuse
spécifique ne peut jamais soustraire ces écoles, ni les familles
concernées, au devoir de respecter les valeurs fondamentales prônées
par le Conseil de l’Europe. De même, il faut éviter que le droit
à la liberté de choix éducatif devienne le moyen pour une élite
sociale et économique de consolider son emprise sur la société en
se réservant les meilleures écoles et universités.
62. Le droit des parents à la liberté de choix éducatif doit se
lire et être compris en tenant compte d’autres libertés et droits
fondamentaux, et notamment ceux des enfants eux-mêmes, dont il incombe
également aux Etats d’assurer le respect effectif. Ainsi, la protection
des droits des enfants dans le cadre scolaire doit être pleinement
assurée.
63. A cet égard, les conditions pour la création et l’accréditation
des établissements d’enseignement privés et le pouvoir/devoir de
contrôle des Etats quant au respect de ces conditions – et de la
loi en général – doivent offrir des garde-fous permettant d’éviter
les dérives (pratique de châtiments corporels, méthodes d’enseignement
mettant en danger l’intégrité psychologique des enfants, enseignements
présentant les femmes comme inférieures aux hommes, ou comportant
des incitations au racisme ou à la discrimination, etc.). Dans ce
sens, il conviendrait de recommander que des mécanismes de vérification
applicables tant aux établissements publics qu’aux établissements
privés soient en place, afin d’assurer que la liberté de conviction et
la liberté de choix éducatif des parents n’entraînent pas des atteintes
aux droits fondamentaux des enfants et notamment à leur dignité
et à leur intégrité physique et psychologique.
64. Dans le cadre ainsi délimité, la liberté de choix éducatif
implique que les parents aient la possibilité de faire scolariser
leurs enfants dans des établissements créés par des personnes privées
(physiques ou morales) et que l’Etat reconnaisse, en présence des
conditions (non discriminatoires) établies par la loi, la validité
de cette scolarité, ces établissements remplissant une mission de
service public.
65. Présentée ainsi, il semble que cette liberté soit généralement
reconnue dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Elle l’est,
du moins, dans les Etats qui ont répondu au questionnaire. Mais
la question est posée de savoir si la reconnaissance de la liberté
d’ouvrir des établissements privés est suffisante à rendre pleinement
effectif le droit à la liberté de choix éducatif, ou s’il faut non
seulement reconnaître mais aussi soutenir le libre choix de l’éducation
et de l’enseignement. En clair, on peut se demander si les Etats
ont l’obligation d’aider les établissements concernés, de manière
que les familles qui s’adressent à eux supportent une charge financière
comparable avec celle imposée aux familles dont les enfants fréquentent
des écoles publiques.
66. En l’état actuel du droit et de la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme, les Etats n’ont pas, sous l’angle
de la Convention européenne des droits de l’homme, l’obligation
juridique de contribuer financièrement au fonctionnement des établissements
privés. Mais, comme dans d’autres cas, une évolution de la jurisprudence
en la matière est possible.
67. Comme la plupart des dispositions de la Convention, l’article
2 du Protocole additionnel a fait l’objet d’une interprétation évolutive
constante. C’est ainsi que, dans son arrêt Kjeldsen
et autres c. Danemark, la Cour a non seulement confirmé
que la première phrase de cet article «consacre le droit de chacun
à l’instruction» mais a établi le lien entre la première et la deuxième
phrase en affirmant que «c’est sur ce droit fondamental que se greffe
le droit des parents au respect de leurs convictions religieuses
et philosophiques», et a précisé que «la première phrase ne distingue
pas plus que la seconde entre l’enseignement public et l’enseignement
privé» (paragraphe 50).
68. Plus récemment, dans son arrêt
Leyla
Sahin c. Turquie du 10 novembre 2005, la Cour s’est appuyée sur
une recommandation de l’Assemblée pour conforter sa démarche tendant
à une interprétation dynamique de la Convention
. Cela montre
l’importance d’une prise de position de l’Assemblée. Il s’agirait,
d’une part, de mettre en lumière les insuffisances de la situation
actuelle en raison de l’absence d’obligation juridique des Etats
de contribuer au fonctionnement des établissements d’enseignement
privés et, d’autre part, de souligner que ce qui est en cause c’est
l’effectivité du droit à la liberté de choix éducatif.
69. Par ailleurs, la Commission européenne des droits de l’homme,
dans sa décision du 6 septembre 1995 sur la requête n° 23419/94 Verein Gemeinsam Lernen c. l’Autriche,
tout en rappelant que, «au regard de l’article 2 du Protocole additionnel,
l’Etat n'a aucune obligation positive de subventionner une forme
particulière d'enseignement», a réaffirmé que «l’article 2 du Protocole
additionnel garantit le droit d'ouvrir et de gérer une école privée
(voir Jordebo et autres c. Suède,
requête n° 11533/85, déc. 6.3.87, D R 51, p. 125)» et elle a également
précisé que «l’article 14 exige (…) que les subventions ne soient
pas accordées de façon discriminatoire».
70. A cet égard, le financement public des établissements privés
répond à la nécessité de garantir l’égalité de traitement entre
tous les élèves et entre toutes les familles. Aucun argument valable
ne semble justifier l’idée que les familles qui choisissent d’exercer
leur droit à la liberté de choix éducatif doivent accepter de payer entièrement
des frais que l’Etat accepte de couvrir (en tout ou en partie) pour
les élèves de l’école publique. Dans le cas contraire, la protection
de ce droit est affaiblie, voire déniée en pratique à toutes les
familles qui ne disposent pas de moyens financiers suffisants, et
ce en contradiction avec le principe de non-discrimination.
71. On peut ajouter que dans les pays où un pourcentage significatif
d’élèves est inscrit dans des établissements privés reconnus, si,
aujourd’hui, ces élèves devaient être scolarisés dans des établissements publics,
la charge pour le budget de l’Etat (ou des collectivités publiques)
serait probablement plus lourde que celle nécessaire pour assurer
une participation financière équitable aux établissements privés
en question.
72. Bien entendu, il est parfaitement légitime de subordonner
la participation financière de l’Etat (ou d’autres collectivités
publiques) au respect par l’établissement privé qui en bénéficie
des conditions également imposées aux établissements publics et
qui sont requises pour offrir une éducation de qualité. En effet,
le respect de ces conditions signifie que l’établissement privé
contribue de manière effective à la mission de service public dans
le domaine de l’éducation. A cet égard, l’Etat doit non seulement
avoir la possibilité, mais aussi l’obligation de vérifier régulièrement,
par des mécanismes de contrôle appropriés, le respect des normes que
la loi impose à tout établissement d’éducation pour assurer aux
élèves une éducation et des conditions d’étude de qualité.
73. Une remarque sur le «pluralisme»: il est évident que l’Etat
doit assurer et préserver le pluralisme au sein de son système scolaire,
et ce à commencer par les écoles publiques; mais un système ne comprenant
que des écoles publiques ne peut pas satisfaire à toutes les exigences
d’un véritable pluralisme. La Cour européenne des droits de l’homme
n’ignore pas l’importance, pour un pluralisme véritable, de l’existence d’établissements
d’enseignement privés (voir paragraphes 26 et 27). En tenant compte
de l’obligation de neutralité par rapport aux diverses convictions
et du principe de laïcité, on peut argumenter que le pluralisme est
garanti plus facilement et donc plus efficacement par l’Etat lorsqu’il
permet à un réseau d’écoles non étatiques d’intégrer le système
de l’éducation nationale.
74. La mise en œuvre effective du droit à la liberté de choix
éducatif favorise l’adéquation de l’offre éducative à la demande
des familles et, en présence de certaines conditions objectives
et équitables auxquelles la création et le fonctionnement des établissements
d’enseignement privés peuvent être soumis, peut aussi favoriser
le développement d’une éducation de qualité. Par exemple, certaines
innovations autorisées dans les établissements privés peuvent permettre
de comparer les avantages respectifs de méthodologies d’enseignement
diverses ou de contenus pédagogiques alternatifs.
75. En résumé, la protection efficace du droit à la liberté de
choix éducatif requiert:
- la
reconnaissance par la loi du droit d’ouvrir des établissements d’enseignement
privés dans l’enseignement primaire et secondaire;
- la possibilité pour ces établissements de faire partie
du système du service public de l’éducation, et pour leurs élèves
d’obtenir les mêmes diplômes que ceux délivrés à l’issue de la scolarité
dans une école publique;
- un système équitable de financement des établissements
d’enseignement privés qui obtiennent l’autorisation requise par
la loi.
76. Ces trois éléments ne devraient dépendre que du respect des
conditions équitables fixées par la loi. Les normes applicables
– et les mécanismes d’inspection mis en place pour veiller à leur
respect – devraient avoir pour but de garantir à tous les élèves
des conditions de travail et une qualité d’enseignement conformes
aux normes appliquées aux établissements d’enseignement de l’Etat
et/ou des autres collectivités publiques.
77. Par ailleurs, il est clair qu’aucune sélection discriminatoire
(par exemple la possibilité d’exclure des élèves en raison de leurs
convictions religieuses) ne devrait être permise aux établissements
privés et qu’en aucun cas l’enseignement qu’ils offrent ne devrait
promouvoir des valeurs ou attitudes en conflit avec les valeurs
défendues par le Conseil de l’Europe. Il faut aussi que les établissements
privés donnent aux parents toutes les informations nécessaires (notamment
sur leurs programmes et les possibilités pour leurs élèves d’accéder
au niveau d’études suivant) pour leur permettre de décider en toute
connaissance de cause.
78. Enfin, l’Etat doit préserver la permanence de l’école publique
sur tout son territoire, et ce comme garantie du pluralisme; il
semble donc légitime de refuser l’ouverture d’un établissement privé
si sa création signifie la non-viabilité de l’unique établissement
public existant dans la zone scolaire concernée pour les niveaux
d’éducation correspondants. Néanmoins, dans ce cas, l’Etat doit
veiller à ce que le droit à la liberté de choix éducatif, tel que
garanti par la Convention européenne des droits de l’homme, soit
pleinement respecté dans le cadre de l’établissement public en question.
79. Deux conditions supplémentaires peuvent éventuellement se
justifier (sans être indispensables):
- la proposition d’une offre éducative spécifique en réponse
à une demande que les établissements publics dans la même collectivité
locale ne satisfont pas;
- une taille minimale (à la fois témoignage de l’existence
d’un besoin réel et d’une certaine viabilité).
80. Un soutien financier adéquat est indispensable afin de respecter
le principe de l’égalité de traitement quel que soit le choix éducatif
des familles. Cela n’implique pas une prise en charge totale des
dépenses des établissements privés, mais que la dépense par élève
supportée par l’Etat ne varie pas de manière significative en fonction
du choix des familles, afin que ce choix ne soit pas pénalisant.
81. Les Etats doivent garder toute liberté en ce qui concerne
les modalités concrètes: dotations globales, subventions finalisées,
etc. Comme alternative (où de manière complémentaire) à la prise
en charge ou au remboursement de certains coûts, ils peuvent également
choisir d’accorder aux familles des remboursements forfaitaires
d’un niveau approprié.
82. Les Etats ont également le droit, voire le devoir, de soumettre
leur participation financière à des conditions précises. A cet égard,
les exigences liées à la création des établissements et à l’octroi
d’un statut les incorporant dans le système national de l’éducation
peuvent être éventuellement complétées par d’autres et notamment par
la condition du but non lucratif et par la soumission à des contrôles
comptables.
83. L’importance que ce rapport accorde au rôle des établissements
privés ne doit pas faire perdre de vue que la protection efficace
du droit à la liberté de choix éducatif requiert aussi une école
publique de qualité. Il ne s’agit nullement de prôner un abandon
par l’Etat de son rôle dans ce domaine crucial, ni même un rétrécissement
de ce rôle. En fait, ce qu’il faut c’est un système où écoles publiques
et privées coexistent sur un pied d’égalité.
84. Investir dans l’école (publique et privée) signifie investir
dans l’avenir d’un pays. Certes, il faut tenir compte des difficultés
que rencontrent les Etats dans la période actuelle de crise économique
et de restrictions budgétaires. On peut comprendre, dans un tel
contexte, que les Etats ne puissent réformer leur système (si besoin
est) que par étapes. Néanmoins, les réformes nécessaires devraient
être mises en chantier sans délai et être complétées dans un délai
raisonnable – par exemple le temps d’une législature.