1. Introduction
1. La Fédération de Russie est
devenue membre du Conseil de l’Europe le 28 février 1996. Au moment
de son adhésion, elle a contracté une série d’engagements spécifiques,
énoncés dans l’
Avis 193
(1996) de l’Assemblée parlementaire, qui, en plus des obligations
statutaires, constituent la base de la procédure de suivi, conformément
à la
Résolution 1115
(1997) telle que modifiée par la
Résolution 1431 (2005) et par la
Résolution
1515 (2006).
2. A ce jour, la commission de suivi a présenté trois rapports
sur le respect des obligations et engagements de la Fédération de
Russie: un rapport d’information en 1998
, suivi de
rapports complets en 2002 et en 2005
. Le présent
rapport porte donc sur une période de sept ans.
3. Dans l’intervalle, depuis le dernier débat tenu à l’Assemblée
en 2005, la commission a examiné cinq notes d’information établies
par les corapporteurs et autorisé la diffusion de trois d’entre
elles
. Les corapporteurs
respectifs ont effectué pas moins de 11 visites d’information.
4. L’exigence de faire rapport au moins une fois tous les deux
ans sur un pays suivi n’a pas été satisfaite dans le cas de la Fédération
de Russie pour plusieurs raisons. La taille et la complexité de
la structure administrative du pays justifient en partie la durée
prolongée nécessaire à l’établissement d’un rapport
.
Les élections législatives à la Douma d’Etat en 2007 et 2011, ainsi
que les élections présidentielles de 2008 et 2012, n’ont fait que
retarder davantage l’établissement d’un rapport. La guerre entre
la Géorgie et la Russie en 2008 et ses conséquences ont relégué
à l’arrière-plan la procédure de suivi des deux pays. La commission de
suivi a évoqué le conflit dans un dossier distinct (voir ci-après).
Dernier point, mais non le moindre, la rotation relativement fréquente
des corapporteurs sur la Fédération de Russie a également contribué
à la prolongation de la procédure de suivi.
5. Il convient de noter cependant que l’absence d’un rapport
de suivi complet a été compensée en partie par l’établissement de
rapports connexes sur les divers aspects du respect de ses obligations
et engagements par la Fédération de Russie. En particulier, la situation
des droits de l’homme en République tchétchène a été traitée en
profondeur dans le rapport présenté par la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme
. Un certain nombre de préoccupations
majeures en matière de droits de l’homme ont également fait l’objet
de rapports distincts
.
6. S’agissant de la guerre entre la Géorgie et la Russie, une
série de rapports a été présentée à l’Assemblée
et, dès le début, la question a
été suivie de près à la commission de suivi dans un dossier traité séparément
par des corapporteurs nommés spécialement à cette fin. De plus,
en référence à la question de la guerre, l’Assemblée a tenu plusieurs
débats sur le réexamen des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation
russe pour des raisons substantielles
.
7. Le 27 janvier 2011, la commission de suivi a décidé que les
conséquences de la guerre, ainsi que la mise en œuvre des recommandations
de l’Assemblée et les demandes concernant la Géorgie et la Russie dans
les résolutions pertinentes sur le sujet, seraient suivies par les
corapporteurs respectifs pour la Géorgie et la Russie dans le cadre
des procédures de suivi en cours pour les deux pays. Sous la responsabilité
et la coordination du président de la commission de suivi, les corapporteurs
sont tenus de présenter chaque année à la commission une note d’information
conjointe dans laquelle ils décrivent brièvement l’évolution du
conflit et rendent compte de la mise en œuvre des demandes de l’Assemblée,
comme cela est indiqué dans les résolutions concernées. Lors d’une
séance spéciale, la commission étudiera les notes d’information
et sera informée des éléments nouveaux d’autres enceintes internationales.
Elle aura connaissance également des activités éventuelles de la
commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
liées à la situation humanitaire. En conséquence, le présent rapport
ne traite pas du conflit.
8. Les élections législatives de 2007 et de 2011, de même que
les élections présidentielles de 2008 et de 2012, ont été observées
par les commissions ad hoc du Bureau de l’Assemblée. Les rapports
respectifs (à l’exception de l’élection présidentielle de 2012 qui,
à l’époque de la rédaction, n’avait pas encore eu lieu) ont été
présentés à l’Assemblée
.
9. Nous avons été nommés en qualité de corapporteurs de la commission
de suivi en janvier 2010 pour remplacer M. Luc van den Brande (Belgique,
PPE/DC) et M. Theodoros Pangalos (Grèce, SOC), qui avaient quitté
l’Assemblée. Nous avons effectué une visite à Moscou en mars 2010,
à Moscou et Mourmansk en juillet 2010, à Moscou et Kazan en janvier
2011, à Moscou en juillet 2011, puis une nouvelle fois à Moscou
et à Nijni Novgorod en juillet 2012. A l’issue de chacune de ces
visites, nous avons transmis à la commission de suivi les notes
d’information citées au paragraphe 3. Nous étions membres de la
commission ad hoc pour l’observation des élections législatives
en 2011 et de l’élection présidentielle en 2012, et avons pris part
aux missions postélectorales à Moscou en janvier et en mars 2012.
10. Depuis notre première visite, nous avons structuré notre dialogue
avec les autorités russes afin de nous entendre sur les priorités
en matière de respect des obligations et engagements, comme cela
est indiqué dans l’
Avis
193 (1996) et dans d’autres résolutions pertinentes adoptées par
l’Assemblée depuis lors. Nous avions pour objectif de dresser une
liste des préoccupations majeures organisée sous la forme d’une
feuille de route et de parvenir à un consensus sur les mesures que
les autorités russes s’engageront à prendre, dans des délais convenus
d’un commun accord, pour remédier à la situation.
11. Dans l’intervalle, l’évolution de la situation en Russie à
la suite des élections législatives de décembre 2011 a changé la
donne politique. Une société civile largement engagée a commencé
à se manifester, à la grande surprise des Russes eux-mêmes. Nous
sommes convaincus que ces événements offrent une opportunité essentielle
pour l’avenir du processus de démocratisation du pays. La réaction
d’une grande partie du peuple russe aux préoccupations soulevées
par les observateurs des élections a montré clairement la nécessité
et l’attente généralisées de réformes et de progrès démocratiques,
à charge pour les autorités de prendre des mesures en ce sens. Nul
doute que des changements s’imposent.
12. Le 26 janvier, pendant la première partie de session de 2012,
l’Assemblée a tenu un débat d’actualité sur «la Fédération de Russie
entre deux élections». De nombreux intervenants ont exprimé leurs
inquiétudes face à la situation de la démocratie dans le pays. Ils
ont rappelé les principes du Conseil de l’Europe pour des élections
démocratiques et recommandé vivement aux autorités russes de se
conformer aux obligations statutaires et aux engagements qu’elle
a contractés au moment de son adhésion à l’Organisation.
13. Nous sommes pleinement conscients des risques inhérents à
l’élaboration d’un rapport sur un pays qui est à la fois aussi vaste
et divers et soumis à des changements aussi profonds. Nous ne pouvons
exclure la possibilité que notre évaluation, qui se fonde sur les
faits présents, devienne totalement inadéquate si la situation venait
à prendre un tour inattendu. Les possibilités structurelles qu’offre
l’ouverture actuelle du système – manifestations massives, d’une
part, et disposition affichée des autorités à mener des réformes, d’autre
part – peuvent soit contribuer à améliorer la démocratie en Russie,
soit donner lieu à un système plus restrictif, voire répressif.
A ce moment précis il est extrêmement difficile, voire impossible,
de prévoir dans quelle direction évoluera le système.
14. En effet, les signaux récemment envoyés par les autorités
russes semblent contradictoires. D’une part, diverses lois adoptées
depuis le mois de décembre, dont les amendements à la loi sur les
partis politiques, les changements apportés à la loi électorale
ou le rétablissement d’élections au suffrage direct pour les gouverneurs,
constituent autant d’initiatives très positives illustrant la volonté
de libéraliser le système et de le rendre plus intégrateur. D’autre
part, quatre lois que la Douma d’Etat a adoptées juste avant l’été,
à savoir la loi de pénalisation de la diffamation, la loi sur l’internet,
les amendements à la loi sur les rassemblements (dite «loi sur les
protestations») et à celle sur les organisations non gouvernementales
(ONG) (appelée «loi sur les agents étrangers») suscitent inévitablement
l’inquiétude. Nous devons reconnaître que nous ne savons pas vraiment
quelles conclusions tirer sur les intentions des autorités, et nous
nous demandons qui peut réellement répondre à cette question.
15. En dépit de ces incertitudes, nous avons décidé de ne pas
reporter davantage la présentation d’un rapport sur la Russie. Le
dernier rapport sur ce pays a été débattu à l’Assemblée il y a longtemps
déjà et nous avons le sentiment que rien ne saurait justifier un
nouveau retard. Mais, plus important encore, nous sommes convaincus
que le Conseil de l’Europe peut apporter à la Russie une aide décisive
pour relever les défis auxquels elle est confrontée. L’Assemblée
ne devrait pas rester silencieuse. Au contraire, il importe qu’elle fasse
entendre sa position, qu’elle se lance dans une analyse honnête
et juste de la situation et qu’elle soutienne activement tous ceux
qui œuvrent dans le pays pour l’assurance d’un futur à la fois démocratique
et européen. Le présent rapport, espérons-le, apportera sa pierre
à l’édifice de la démocratie en Russie.
16. La commission de suivi a examiné et approuvé un avant-projet
de rapport le 13 mars 2012. Conformément à la procédure de suivi,
il a été communiqué aux autorités russes pour commentaires. Le présent
rapport a été actualisé et révisé en tenant compte des faits les
plus récents et des observations que la délégation russe a formulées
sur l’avant-projet. Nous avons également intégré les conclusions
des expertises juridiques de la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise) sur cinq lois fédérales
, transmises par la Commission
de suivi pour avis, qui nous sont seulement parvenues après l’examen
en commission de projet de rapport préliminaire.
17. Dans l’élaboration du présent rapport, nous avons également
utilisé les constats et les conclusions des institutions et mécanismes
de suivi pertinents mis en place dans le cadre des conventions du
Conseil de l’Europe dont la Fédération de Russie est une partie
contractante. Les travaux des organes suivants ont été pris en compte:
la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»), le Comité
des Ministres dans le cadre de sa fonction de contrôle de l’exécution
des arrêts de la Cour, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil
de l’Europe, le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO), le
Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le
blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL),
le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines
ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), le Comité consultatif
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI).
18. Nos missions nous ont permis de rencontrer de très nombreux
interlocuteurs y compris, d’une part, les plus hauts représentants
des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire aux niveaux fédéral
et régional et, d’autre part, des représentants des organisations
nationales et internationales de la société civile et des dirigeants
de l’opposition extraparlementaire. Nous avons profité de toutes
les occasions d’écouter ces derniers, y compris pendant les sessions
de l’Assemblée parlementaire à Strasbourg. La commission de suivi
a également organisé une audition à laquelle elle a invité des représentants
des principales forces politiques non représentées à la Douma, ainsi
que le maire de Yaroslav, qui a remporté les élections contre un
candidat du parti au pouvoir.
19. Il nous semble utile de clarifier le fait que, selon nous,
le mandat des corapporteurs de la commission de suivi couvre à la
fois les engagements et les obligations du pays sous notre responsabilité,
conformément au paragraphe 5 du mandat de la commission de suivi,
énoncé dans la
Résolution
1115 (1997) sur la création d’une commission de l’Assemblée pour
le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil
de l’Europe (commission de suivi) et modifié par la
Résolution 1431 (2005).
20. Le tableau annexé au présent rapport résume la situation de
la Fédération de Russie quant au respect des engagements qu’elle
a contractés au moment de son adhésion.
2. Situation
politique
2.1. Evolution de
la situation politique depuis 2005
21. La période visée a été marquée
par deux élections législatives à la Douma d’Etat et par deux élections présidentielles.
Les premières élections législatives, en décembre 2007, ont permis
au parti au pouvoir, Russie Unie, d’asseoir une majorité confortable
en obtenant 315 des 450 sièges. Deux autres partis, qui soutiennent habituellement
les politiques gouvernementales, Russie Juste et le Parti libéral-démocrate,
ont remporté respectivement 38 et 40 sièges. Le Parti communiste
d’opposition a obtenu 57 sièges. Les élections législatives suivantes,
qui ont eu lieu le 4 décembre 2011 ont déclenché, à la surprise
générale, l’engagement de la société civile et le processus politique
dont nous sommes aujourd’hui les témoins. Le chapitre suivant portera
sur ces élections et sur les faits connexes.
22. La première des deux élections présidentielles a eu lieu en
mars 2008. Le vainqueur, Dimitri Medvedev, qui a recueilli près
de 70 % des suffrages, bénéficiait du soutien de Russie Unie et
du président sortant, Vladimir Poutine, non éligible dans la mesure
où la Constitution russe interdit l’exercice de plus de deux mandats
présidentiels consécutifs. En sa qualité de candidat, M. Medvedev
avait fait part de son intention, en cas de victoire, de nommer
M. Poutine au poste de Premier ministre, ce qu’il fit le 8 mai 2008.
Le scrutin présidentiel suivant s’est tenu le 4 mars 2012. Il a
été remporté par M. Poutine avec 63,6 % des suffrages exprimés.
Le 15 mai 2012, M. Medvedev a été nommé Premier ministre, comme
cela avait été annoncé avant les élections.
23. La période considérée dans le présent rapport a été caractérisée
par un renforcement accru du pouvoir exécutif, processus déjà entamé
au début des années 2000. Elle a été marquée par les changements législatifs
introduits en 2004 au terme desquels l’élection directe des gouverneurs
avait été remplacée par des nominations présidentielles avec le
consentement des assemblées régionales.
24. A l’occasion du train de mesures adopté durant les deux mandats
présidentiels, entre 2000 et 2008, la propriété ou le contrôle gouvernemental
des principaux médias a été mis en place
.
L’introduction des amendements législatifs et la mise en œuvre plus
restrictive des lois existantes ont favorisé la création d’un environnement
hostile aux activités des journalistes indépendants, des défenseurs
des droits de l’homme et des militants des ONG. Les actes de harcèlement,
et même de violence physique, y compris les assassinats de personnes
critiques à l’égard du gouvernement et du président, assortis d’un
climat d’impunité, ont largement contribué à restreindre le pluralisme
politique. Cette tendance a été accentuée par les restrictions imposées
aux activités de l’opposition politique, y compris le refus d’enregistrement
de nouveaux partis, les limitations posées à la liberté de réunion,
d’expression, etc. Nous procéderons à une analyse plus détaillée
de ces questions dans les prochains chapitres du présent rapport.
25. Le changement de présidence intervenu en 2008 a suscité certains
espoirs fondés sur l’appel lancé par le président nouvellement élu
en faveur d’une modernisation et d’une réforme des institutions
économiques et politiques inefficaces du pays. Au début de son mandat,
le Président Medvedev a défini quatre axes prioritaires, les quatre
«i»: innovation, institutions, investissements et infrastructures
.
26. Fin 2008, le Président Medvedev a proposé un certain nombre
de changements politiques entérinés par la suite. Il s’agissait
notamment de modifications constitutionnelles étendant le mandat
présidentiel à six ans et portant à cinq ans celui des députés de
la Douma d’Etat.
27. Par ailleurs, en vue d’accroître le contrôle législatif de
l’exécutif, il a proposé d’imposer au gouvernement la soumission
de rapports annuels à la Douma d’Etat. Il a également annoncé l’introduction
d’une nouvelle loi autorisant les autorités régionales à révoquer
les maires.
28. Dans un même temps, le Président Medvedev a présenté un train
de mesures visant à renforcer le pluralisme des partis et conférant
en particulier davantage de droits aux petites formations grâce
notamment à une réduction du nombre de signatures requises pour
qu’un parti puisse se porter candidat à des élections, à une diminution
du nombre de membres nécessaires pour l’enregistrement d’un parti
et à l’abolition du versement d’une caution en lieu et place des
signatures indispensables pour participer aux élections.
29. Montrant une nouvelle fois la volonté du Président Medvedev
d’accroître le pluralisme politique, l’Assemblée fédérale a approuvé
en avril 2009 sa proposition d’attribuer un ou deux sièges aux partis
politiques recueillant entre 5 % et 7 % des voix lors des prochaines
élections à la Douma
. Ces différents changements seront
examinés en détail dans le chapitre consacré au pluralisme politique.
30. En mai 2009, le Président Medvedev a soumis des propositions
portant modification à la loi sur la Cour constitutionnelle et à
celle relative à la période probatoire en cas de nominations judiciaires.
Ces amendements ont été approuvés, mais les changements apportés
à la sélection du président de la Cour constitutionnelle ont été
majoritairement perçus comme un retour en arrière sur le plan démocratique
et ouvertement critiqués par deux juges constitutionnels qui voyaient
là le signe du manque d’indépendance judiciaire de plus en plus flagrant
en Russie
.
31. En août 2009, le Président Medvedev a appelé à une nouvelle
limitation des procès avec jury (il avait déjà, fin 2008, signé
une loi restreignant les procès avec jury aux affaires de terrorisme
ou d’extrémisme) qui impliquent des «communautés criminelles». Certains
experts judiciaires et défenseurs des droits civils ont critiqué
cette proposition, estimant qu’il s’agissait d’une tentative de
restriction des acquittements par les jurys.
32. Nous examinerons tous ces changements ainsi que d’autres apportés
aux lois judiciaires dans le chapitre sur le système judiciaire.
33. L’incapacité à punir les responsables du décès de M. Magnitski
en prison ainsi que la condamnation de M. Mikhail Khodorkovski en
décembre 2010 à six années de prison supplémentaires ont été considérées
par beaucoup comme la preuve des pressions politiques et de l’influence
du pouvoir exécutif auxquelles le système judiciaire russe reste
soumis. Nous reviendrons sur ces questions dans le chapitre sur
le sujet.
34. La situation dans la région du Caucase du Nord, et notamment
en République tchétchène, en Ingouchie et au Daghestan, demeure
particulièrement préoccupante des points de vue de la protection
des droits de l’homme, du fonctionnement des institutions démocratiques
et du respect de l’Etat de droit.
35. Le foyer de l’insurrection a glissé vers l’Ingouchie et, plus
particulièrement vers le Daghestan; pour autant, la situation en
Tchétchénie n’est pas retournée à la normale. Même si le mouvement
rebelle tchétchène connaît un sérieux déclin, il parvient encore
à lancer des attaques terroristes isolées (voir plus bas). En dépit de
progrès indéniables dans le domaine de la reconstruction, le climat
de peur qui prévaut, la situation des droits de l’homme et le fonctionnement
de la justice et des institutions démocratiques continuent de susciter de
très vives inquiétudes. En particulier, les disparitions d’opposants
au régime et de défenseurs des droits de l’homme restent largement
impunies. Le véritable respect des droits de l’homme, de l’Etat
de droit ainsi qu’une démocratie opérationnelle sont autant de conditions
indispensables pour vaincre le terrorisme et prévenir la violence
sous toutes ses formes.
36. En Ingouchie et au Daghestan, l’inquiétante résurgence de
la violence depuis 2009 est allée de pair avec un climat d’impunité
dans lequel les assassinats et les disparitions d’opposants et de
journalistes indépendants ne sont ni élucidés ni poursuivis en justice.
37. Dans plus de 150 arrêts, la Cour européenne des droits de
l’homme a condamné la Fédération de Russie pour de graves violations
des droits de l’homme commises dans la région. Le rapport sur les
recours juridiques en cas de violations des droits de l’homme dans
la région du Caucase du Nord (
Doc. 12276), présenté en juin 2010 par M. Dick Marty au nom de
la commission des questions juridiques et des droits de l’homme,
contient des informations plus détaillées sur le sujet.
38. Le terrorisme reste malheureusement un problème majeur en
Fédération de Russie. Depuis le dernier rapport de 2005, le pays
a été frappé par de nombreux et terribles attentats qui ont fait
de nombreuses victimes.
39. Au nombre des attentats perpétrés contre des civils en Fédération
de Russie citons l’explosion d’une bombe dans un marché de la banlieue
moscovite, en août 2006, qui a fait 10 morts. Le déraillement du
Nevsky Express causé par l’explosion d’une bombe entre Moscou et
Saint-Pétersbourg, en août 2007, a fait 60 blessés. Deux ans plus
tard, en novembre 2009, un attentat à la bombe a provoqué la mort
de 26 personnes et en a blessé une centaine d’autres sur la même
ligne ferroviaire. En août 2007, l’explosion d’une bombe placée
dans un bus de la ville de Togliatti, dans le centre du pays, a
fait 8 morts et 50 blessés. En mars 2010, deux explosions ont eu
lieu aux heures de pointe dans des stations du métro moscovite,
tuant 34 personnes et en blessant 18 autres. Un attentat suicide
à l’aéroport Domodedovo de Moscou, en janvier 2010, a fait 36 morts
et plus d’une centaine de blessés.
40. On compte encore plus d’attaques contre des cibles militaires.
En octobre 2005, des postes clés de sécurité ont été attaqués à
Naltchik, ville principale de la région du Kabardino-Balkarie: 12
civils et 12 agents de police ont été tués. En février 2006, 7 policiers
ont été tués dans un village de la région de Stavropol, au sud de
la Russie. En avril 2007, un hélicoptère russe a été abattu en Tchétchénie
et 18 personnes à son bord ont péri. En août 2009, le camion d’un
kamikaze a enfoncé les portes du poste de police principal de Nazran (plus
grande ville ingouche), faisant 20 morts et 138 blessés. En janvier
2010, 7 agents de police ont été tués et 20 autres blessés par une
voiture piégée bourrée d’explosifs dans un dépôt de la police de
la route au Daghestan.
41. En juin 2009, le président ingouche Iounous-bek Evkourov a
été gravement blessé lors d’un attentat suicide à l’explosif contre
sa voiture.
42. Selon le général Evgueni Potapov, chef adjoint du personnel
de la commission nationale antiterroriste, le nombre global de crimes
à caractère terroriste est en baisse. Seulement 779 crimes de ce
type ont été enregistrés en 2010, contre 1 030 en 2009. Un total
de 410 personnes (119 civils, 268 militaires et agents des forces
de l’ordre, 13 fonctionnaires et 10 personnalités) ont perdu la
vie dans 21 attaques terroristes et 14 attentats suicide à la bombe.
Selon M. Potapov, 60 activistes se sont rendus à la police et 93
actes terroristes ont été déjoués en conséquence de mesures préventives.
Les forces de police et l’armée ont trouvé et détruit 433 bases
d’activistes et caches d’armes, et saisi 454 bombes artisanales,
1 263 armes à feu et plus de 2,5 tonnes d’explosifs
.
43. L’énumération ci-dessus des actes de terrorisme sur le territoire
de la Fédération de Russie n’est pas exhaustive, mais illustre bien
l’ampleur de la menace que doivent affronter les autorités du pays.
Cette situation explique aussi en partie le soutien exprimé par
une population russe traumatisée en faveur des mesures restrictives
du gouvernement, même si elles entraînent en contrepartie des limitations
des droits et des libertés.
44. La guerre entre la Géorgie et la Russie a éclaté en août 2008.
Comme nous l’avons vu, l’Assemblée a suivi de près, dès le départ,
l’évolution de la situation dans le cadre d’une procédure distincte.
Il a été spécialement convenu que le présent rapport, tout comme
le rapport sur la Géorgie, ne traiterait pas d’une manière détaillée
de la guerre et de ses conséquences. Ces questions font l’objet
d’un rapport distinct, établi en coopération avec nos collègues
qui sont corapporteurs sur la Géorgie.
2.2. Evolution de
la situation depuis les élections législatives de décembre 2011
45. En septembre 2011, lors du
Congrès de Russie Unie, M. Poutine a annoncé sa candidature à la présidentielle
et déclaré qu’en cas de victoire il nommerait M. Medvedev au poste
de Premier ministre, celui-ci n’étant pas en lice pour le scrutin.
L’annonce de la permutation du pouvoir a été ressentie comme une humiliation
pour beaucoup de Russes, ce qui expliquerait en partie leur participation
massive aux manifestations.
46. Les élections législatives à la Douma d’Etat se sont déroulées
le 4 décembre 2011. Dans leurs conclusions préliminaires conjointes,
publiées le 5 décembre 2011
,
les membres de la mission internationale d’observation des élections
(MIOE), comprenant des représentants de l’Assemblée parlementaire,
ont souligné un certain nombre de dysfonctionnements dans le processus
électoral qui, selon eux, «ne réunissait pas les conditions nécessaires
pour une compétition juste».
47. A la suite de la publication des conclusions préliminaires,
plusieurs dirigeants politiques européens, dont Catherine Ashton,
Haute représentante de l’Union européenne, David Lidington, ministre
d’Etat britannique aux Affaires européennes, et Guido Westerwelle,
ministre allemand des Affaires étrangères, se sont dits préoccupés
et ont appelé les autorités russes à enquêter sur les cas présumés
de fraudes électorales.
48. Dans le discours qu’elle a prononcé à Vilnius devant les ministres
des Affaires étrangères des Etats membres de l’OSCE, la Secrétaire
d’Etat américaine Hillary Clinton a déclaré que «les électeurs russes méritent
qu’une enquête exhaustive soit menée sur tous les signalements crédibles
de fraudes et de manipulations électorales et nous espérons en particulier
que les autorités russes prendront des mesures en ce sens».
49. Les sondages effectués à la sortie des bureaux de vote et
les résultats préliminaires proclamés le lendemain des élections
ont montré que le parti au pouvoir, Russie Unie, avait bénéficié
d’un soutien bien inférieur à celui enregistré lors des précédentes
élections législatives de 2007 (passant de 64 % à environ 49 %)
mais qu’il demeure le parti le plus important, conservant la majorité
des sièges à la Douma d’Etat. Sur les sept partis politiques en
lice, seuls quatre représentés à la Douma sortante ont atteint le
seuil requis de 7 % et obtenu ainsi des sièges. Outre le parti Russie
Unie susmentionné, il s’agissait: du Parti communiste de la Fédération
de Russie, du Parti libéral-démocrate de Russie et de Russie Juste.
Les trois autres partis qui se sont présentés aux élections sans
toutefois franchir le seuil de 7 % des voix étaient le Parti démocrate
uni russe «Iabloko», les Patriotes de Russie et Juste Cause.
50. Immédiatement après les élections, les allégations de fraude
en faveur du parti au pouvoir alimentées par des vidéos prises à
partir de téléphones portables et par les membres de réseaux sociaux
sur internet ont donné lieu à des manifestations spontanées anti-gouvernementales
dans les rues de Moscou, de Saint-Pétersbourg et, dans une moindre
mesure, dans l’ensemble du pays. Les manifestants appelaient à l’annulation
des résultats et à la tenue d’un nouveau scrutin.
51. Ces manifestations spontanées des 5 et 6 décembre, réunissant
plusieurs milliers de personnes, ont conduit à plus d’un millier
d’arrestations, principalement à Moscou. Plusieurs éminentes personnalités
de l’opposition ont été placées en détention. Certaines d’entre
elles, dont Boris Nemtsov, ont été libérées quelques heures plus
tard, tandis que d’autres, à l’instar de son collègue, le blogueur
bien connu de l’opposition, Alexeï Navalni, ou d’Ilia Iashin, ont
été condamnées à une peine d’emprisonnement de quinze jours pour
avoir désobéi aux ordres de la police au cours de la manifestation
non autorisée.
52. Le 6 décembre 2011, le Président Medvedev a déclaré que les
élections avaient été libres et démocratiques tout en ordonnant
dans le même temps l’ouverture d’une enquête sur les présumées violations. Il
a déclaré qu’un total de 117 plaintes pour des présumées fraudes
électorales avaient été déposées le jour du scrutin
. M. Chourov, chef de la Commission
électorale centrale, s’est engagé publiquement à ce que tous les
éléments de plainte, notamment les clips vidéo, soient examinés
avec soin. Il a ajouté cependant que les plaintes représentaient
moins de 1 % des suffrages exprimés, ce qui signifie qu’elles ne
peuvent affecter les résultats de façon significative.
53. Le 7 décembre 2011, la Haute représentante de l’Union européenne,
Catherine Ashton, a exprimé son inquiétude face au placement en
détention de centaines de manifestants et aux rapports faisant état
de violence policière exercée à l’encontre de militants, de journalistes
et de passants. Elle a rappelé la nécessité de respecter la liberté
de réunion et d’expression.
54. Le même jour, Jerzy Buzek, Président du Parlement européen,
s’est déclaré préoccupé par les événements survenus au lendemain
des élections, à savoir «la détention de dizaines de militants de l’opposition,
les manœuvres d’intimidation pratiquées contre l’organisme indépendant
de surveillance électorale Golos et les cyberattaques perpétrées
contre les principaux sites internet d’information indépendants».
55. Dans notre déclaration du 8 décembre 2011, publiée en qualité
de corapporteurs de la commission de suivi pour la Russie, nous
avons mentionné que «dans tout Etat démocratique, le droit de manifester pacifiquement
est l’un des droits fondamentaux de la population; il relève de
la liberté d’expression et de réunion. Rien ne justifie l’arrestation
et la détention de centaines de personnes qui se sont simplement rassemblées
pour protester dans le calme. Au contraire, elles ont le même droit
à être protégées par la police que ceux qui expriment leur soutien
au parti vainqueur». Nous avons également appelé les autorités russes
à veiller à ce que toutes les personnes détenues soient immédiatement
relâchées.
56. Le 10 décembre 2011, la Commission électorale centrale (CEC)
a annoncé les résultats définitifs des élections. Le taux de participation
s’est élevé à 60,2 %. Russie Unie a remporté 238 des 450 sièges
à la Douma d’Etat (49,3 % des suffrages exprimés), le Parti communiste
a obtenu 92 sièges (19,19 %), Russie Juste 64 sièges (13,2 %) et
le Parti libéral-démocrate, 56 sièges (11,6 %). Russie Unie a de
ce fait perdu sa majorité constitutionnelle mais conserve plus de
la moitié des sièges. Les partis n’ayant pas obtenu de siège sont respectivement
le parti «Iabloko» (3,4 %), les Patriotes de Russie (1 %) et Juste
Cause (0,5 %).
57. Plusieurs partis politiques enregistrés, notamment le Parti
communiste, Juste Cause et Iabloko, ont contesté les résultats.
Le Parti communiste a accusé la CEC de non-respect de la procédure
dans le traitement des plaintes relatives aux cas présumés de falsifications
et a exprimé sa défiance à l’égard de son président, appelant à
sa révocation. Le parti Iabloko a mis en cause les résultats de
l’ensemble du district de Moscou et demandé un nouveau décompte
des voix.
58. Golos, un organisme russe indépendant de surveillance électorale,
a déclaré avoir déposé plainte au sujet de plus de 7 000 cas de
falsification durant les élections. En dépit de l’interdiction faite
aux groupes nationaux de la société civile d’observer les élections
législatives, Golos a déployé près de 2 000 observateurs le jour
du scrutin, enregistrés en tant que journalistes.
59. Cette organisation non gouvernementale réputée et respectée,
qui œuvre depuis plus d’une décennie, a fait l’objet de campagnes
hostiles avant et après les élections. Le 3 décembre 2011, à la
suite d’une requête déposée par le président de la CEC, le tribunal
a condamné l’organisation à une amende de 30 000 roubles pour violation
de la loi interdisant la publication de sondages d’opinion ou d’autres
études portant sur les élections durant les cinq derniers jours
de campagne. L’accusation était motivée par la publication sur le
site web de Golos d’une liste de violations présumées durant la
campagne électorale. Le site web a été à plusieurs reprises la cible
d’attaques et ses membres, dont le président, ont été victimes de
harcèlement. Le 2 décembre 2011, Golos a fait l’objet d’une émission
diffusée sur NTV, chaîne contrôlée par l’Etat, visant à discréditer l’organisation.
60. Le 14 décembre 2011, le Parlement européen a adopté une résolution
sur les résultats des élections à la Douma du 4 décembre 2011, dans
laquelle il se déclare vivement préoccupé par les informations faisant état
de fraudes et demande la tenue de nouvelles élections équitables
après l’enregistrement de tous les partis d’opposition.
61. En réponse aux critiques internationales à propos des élections,
le Premier ministre Poutine a accusé les pays occidentaux d’encourager
les manifestations. Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires
étrangères, a fait une déclaration dans laquelle il jugeait inacceptables
les commentaires de la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton
sur les élections législatives russes ainsi que ceux d’autres représentants
de la Maison Blanche et du Département d’Etat américain.
62. Dans l’intervalle, l’opposition avait appelé à un grand rassemblement
le 11 décembre et soumis une demande d’autorisation qui a été accordée.
Des milliers de personnes ont participé à la plus grande manifestation
antigouvernementale jamais organisée à Moscou, sur la place Bolotnaya,
depuis la chute de l’Union soviétique. Les estimations du nombre
de participants allaient de 25 000, selon la police, à 100 000, selon
les organisateurs. La plupart des autres sources font état de 50 000
personnes. Les orateurs, applaudis par les manifestants, ont appelé
à l’annulation des résultats des élections, à la tenue d’un nouveau
scrutin, à la révocation de Vladimir Chourov, chef de la Commission
électorale centrale, à l’ouverture d’une enquête sur les présumés
bourrages d’urnes ainsi qu’à la libération immédiate des manifestants
arrêtés. La manifestation était bien organisée et pacifique.
63. A Saint-Pétersbourg, près de 10 000 personnes se sont rassemblées
sur la place Pionerskaya et ont écouté les discours appelant à de
nouvelles élections. D’autres manifestations et rassemblements de
moindre envergure ont été organisés dans l’ensemble du pays, y compris
à Khabarovsk, Vladivostok, Kourgan, Novossibirsk et Iekaterinbourg.
Il n’a été procédé à aucune arrestation de manifestants à Moscou,
mais le ministère de l’Intérieur a fait état de 130 interpellations
lors des rassemblements qui se sont déroulés dans le pays, dont
la plupart à Khabarovsk, à l’extrême est de la Sibérie.
64. Une autre grande manifestation autorisée par les autorités
a eu lieu le 24 décembre 2011. Elle s’est déroulée de manière pacifique
et sans heurts, et n’a semble-t-il donné lieu à aucun placement
en détention. A Moscou, elle a réuni environ 80 000 manifestants.
65. Les deux grandes manifestations tenues à Moscou avaient une
composition politique très diversifiée: elles ont rassemblé des
représentants d’un extrême à l’autre de l’échiquier politique. Selon
l’enquête réalisée par le centre indépendant Levada, la majorité
écrasante des participants étaient des représentants très instruits
de la classe moyenne citadine, beaucoup d’entre eux connectés via
des réseaux sociaux sur internet.
66. Les dirigeants politiques du pays ont de toute évidence été
surpris par l’ampleur des mouvements de protestation. A compter
de la mi-décembre, ils ont toutefois déclaré clairement qu’ils répondraient
aux préoccupations restantes exprimées par les protestataires. Le
15 décembre 2011, lors d’une émission télévisée en direct de «questions-réponses»,
le Premier ministre Poutine a promis une libéralisation du système
politique russe s’il était élu lors des prochaines élections présidentielles.
67. Le 22 décembre 2011, dans une déclaration prononcée à l’occasion
de la session conjointe de la Douma et du Conseil de la Fédération,
le Président Medvedev a fait part de son intention de soumettre
au parlement, avant la fin de son mandat, un certain nombre de textes
de loi visant à la libéralisation du système politique, s’agissant
notamment des partis politiques et de la procédure de nomination
des gouverneurs.
68. Les semaines suivantes, le président Medvedev a soumis à la
Douma d’Etat des propositions législatives concernant la libéralisation
des conditions à respecter pour la formation et les activités des
partis politiques, l’exemption pour les partis politiques enregistrés
de collecter les signatures des électeurs, excepté pour les élections
présidentielles et les élections des gouverneurs. Nous étudierons
ces propositions plus en détail dans le chapitre sur la démocratie
pluraliste.
69. Nous tenons simplement à faire remarquer à ce stade que la
loi sur l’élection directe des gouverneurs, au lieu de leur nomination
par le président, répond à une préoccupation de longue date de l’Assemblée parlementaire.
Toutefois, la disposition qui prévoit une «consultation» avec le
président sur les candidatures potentielles avant leur enregistrement
est à la fois problématique et préoccupante. Par ailleurs, nous
avons été au regret d’apprendre que, le 17 janvier 2012, même après
avoir soumis la proposition de loi à la Douma, le Président Medvedev
a limogé les gouverneurs de Volgograd et d’Arkhangelsk, deux régions
dans lesquelles Russie Unie avait obtenu un score inférieur à la
moyenne du pays lors des dernières élections législatives. La loi
a été signée par le Président Poutine le 2 mai 2012.
70. Afin de résoudre certains autres problèmes soulevés par les
observateurs et d’améliorer la qualité du processus le jour du scrutin,
le Premier ministre a annoncé l’introduction de mesures spécifiques
le 4 mars 2012 à l’occasion de l’élection présidentielle, dont l’installation
de webcams et l’utilisation d’urnes transparentes.
71. Le 24 décembre 2011, le Conseil présidentiel des droits de
l’homme a déclaré avoir perdu confiance en M. Chourov, chef de la
CEC, qui a été largement critiqué par les observateurs des élections
et par les manifestants pour manque d’impartialité
. Malgré cela,
M. Chourov a annoncé qu’il ne démissionnerait pas.
72. Les faits qui ont suivi les élections législatives ont jeté
un éclairage nouveau sur l’enregistrement des candidats aux élections
présidentielles, considéré quelques mois auparavant par beaucoup
comme une simple formalité.
73. Hormis les leaders de deux partis représentés à la Douma,
Guennadi Ziouganov (Parti communiste) et Vladimir Jirinovski (Parti
libéral-démocrate), qui étaient en lice pour la présidentielle de
2008, sept autres candidats ont soumis les documents nécessaires
à leur enregistrement auprès de la Commission électorale centrale.
Deux d’entre eux, Edouard Limonov, leader du parti d’extrême gauche,
et Boris Mironov, lié au mouvement nationaliste, se sont vu refuser
l’enregistrement pour des raisons de forme. L’inscription de ce dernier
sur la liste des candidats à la présidentielle a été autorisée sur
décision de la Cour suprême, ce qui a été largement perçu comme
un cas sans précédent.
74. Parmi ces six candidats, seul Sergueï Mironov, leader de Russie
Juste nommé par son parti, a été exempté, en vertu de la législation,
de l’obligation de recueillir deux millions de signatures. Les autres candidats,
à savoir Mikhaïl Prokhorov, milliardaire fondateur du parti Juste
Cause mais qui a quitté ce parti avant les élections législatives,
Grigori Iavlinski, fondateur du parti «Iabloko», Edouard Limonov
et Dimitri Mezentsev, gouverneur d’Irkoutsk, disposaient de vingt
jours pour recueillir des signatures dans au moins une cinquantaine
d’entités de la Fédération de Russie.
75. Le 27 janvier 2012, la CEC a annoncé que 25 % des 2 132 000
signatures soumises par M. Iavlinski avaient été jugés irrecevables
du fait que ces signatures avaient été apposées sur des copies de
formulaires, et non sur des originaux. M. Iavlinski s’est donc vu
refuser l’enregistrement définitif. En s’adressant à des journalistes
le même jour, il a insisté sur le fait que cette décision avait
un fondement politique. Le 10 février 2012, la Cour suprême a confirmé
la décision de la CEC. Seule la candidature de M. Prokhorov a été
validée.
76. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la
commission de suivi de l’Assemblée, les autorités russes ont évoqué
la Cour suprême pour justifier le rejet du recours de M. Iavlinski.
La Cour a interprété la disposition pertinente de la loi fédérale
«sur l’élection du Président de la Fédération de Russie» comme exigeant
qu’un électeur signe et date sa signature de sa propre main. Il
doit également écrire certaines informations personnelles soit de
sa main, soit, à sa demande, avec l’aide de la personne qui collecte
les signatures. Tout cela doit se faire sur les formulaires originaux
que fournit la Commission électorale centrale. Etant donné que M. Iavlinski
a soumis des copies de formulaires de signature, la Cour a décidé
qu’ils ne pouvaient être considérés comme signés et datés de la
main de l’électeur.
77. Toutefois, étant donné le peu de temps disponible pour la
collecte des signatures et l’immensité du territoire du pays, nous
maintenons l’avis que cette interprétation est bien trop restrictive
et qu’elle est néfaste pour le processus démocratique.
78. Le 4 février 2012, pas moins de 120 000 personnes ont participé
à la troisième et plus grande protestation massive depuis les élections
législatives pour dénoncer l’illégitimité de la prochaine élection présidentielle
due à l’absence de véritable compétition politique.
79. Des manifestations ont eu lieu également à Saint-Pétersbourg
le même jour, attirant 5 000 personnes, parallèlement à des rassemblements
de moindre envergure dans plusieurs dizaines d’autres villes russes.
80. A Moscou, un rassemblement au soutien du Premier ministre
Poutine n’a pas attiré plus de 20 000 personnes, pour la plupart
enseignants, employés municipaux, employés d’entreprises publiques
ou syndicalistes, venus avec leurs collègues dans des bus mis à
disposition par leurs employeurs.
81. Une action de l’opposition baptisée «Le grand cercle blanc»
a réuni le long de la «Ceinture des Jardins», à Moscou, plus de
30 000 personnes se tenant par la main pour former un cercle ininterrompu
autour du centre-ville.
82. A la suite d’une initiative spontanée de la société civile,
une «Ligue de citoyens» consacrée à l’observation de la prochaine
élection présidentielle a été créée. Plusieurs milliers de volontaires
entendaient observer les activités des commissions électorales le
4 mars 2012.
83. L’élection présidentielle s’est déroulée le 4 mars 2012. Cinq
candidats se sont présentés. Les résultats finaux ont été annoncés
par la CEC le 7 mars: M. Poutine a gagné dès le premier tour avec
63,6 % des voix. Les autres candidats ont obtenu respectivement:
M. Zyuganov: 17,18 %; M. Prokhorov: 7,98 %; M. Zhirinovsky: 6,22
% et M. Mironov: 3,85 %. Un taux de participation de 64 % a été
annoncé pour ce scrutin.
84. Dans leur déclaration commune du 5 mars 2012, les membres
de la Mission internationale d’observation des élections, qui comprenait
des représentants de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe,
ont souligné que «les conditions étaient clairement faussées en
faveur de l’un des candidats, l’actuel Premier ministre Vladimir
Poutine». Dans leur rapport sur l’observation de l’élection présidentielle
, les observateurs de l’Assemblée
ont conclu que «ces élections ont abouti à la victoire claire d’un
candidat, à la majorité absolue, rendant inutile un second tour.
Toutefois, le choix des électeurs a été limité, la compétition électorale
n’a pas été équitable et l’absence d’un arbitre impartial s’est
fait ressentir».
85. Face aux nombreuses accusations de fraude formulées lors des
élections à la Douma, des webcams ont été mises en place dans chaque
bureau de vote afin de garantir une plus grande transparence. De
plus, environ 30 % des bureaux de vote ont utilisé de nouvelles
urnes, transparentes et pourvues d’une ouverture plus petite, pour
empêcher le bourrage d’urne.
86. Le nombre de personnes qui se sont portées volontaires pour
observer l’élection présidentielle a fortement augmenté depuis les
élections législatives de décembre, ce qui révèle une forte mobilisation
de la société civile. De nombreux observateurs ont été désignés
par la Ligue des électeurs, une initiative citoyenne née du mouvement
de protestation suscité par les élections à la Douma d’Etat.
87. Comme nous l’avons déjà dit, la loi électorale de la Fédération
de Russie n’autorise pas d’observateurs nationaux autres que ceux
affiliés aux candidats et aux partis en lice. Pour surmonter cet
obstacle, plusieurs ONG ont pris contact avec différents candidats
pour faire inscrire leurs membres en tant que représentants. Ainsi,
la Ligue des électeurs a conclu des accords de coopération avec
les candidats Prokhorov, Mironov et Zyuganov, ainsi qu’avec le parti
Iabloko. Dans le cadre de ces accords, une base de données consolidée
des rapports et des procès-verbaux des observateurs a été créée
pour permettre une comparaison avec les procès-verbaux de la CEC.
Pour obtenir des accréditations, les ONG ont aussi fait inscrire
leurs observateurs en tant que journalistes.
88. Certaines ONG, dont l’association Golos, affirment avoir subi
tout au long de la campagne des pressions de la part des autorités
en raison de leurs activités d’observation des élections
. Le jour du scrutin, de nombreux
cas d’obstruction des activités d’observateurs ont été signalés,
y compris l’interdiction d’accéder à des bureaux de vote ou leur
expulsion de ceux-ci
. Quelques cas de harcèlement
et de violences à l’encontre des observateurs ont également été
signalés.
89. Dans son rapport final, la CEC annonce avoir enregistré 178
plaintes le jour des élections et 168 par la suite. Certains candidats
à la présidence ont affirmé détenir des preuves de violations dans
plusieurs bureaux de vote. Ainsi, M. Prokhorov a déclaré que ses
observateurs avaient relevé 170 cas où le procès-verbal signé par
la commission électorale était différent des résultats annoncés.
Le Parti communiste, le Parti libéral-démocrate et celui de M. Mironov
ont également annoncé leur intention de déposer des recours.
90. La période postélectorale a été marquée par plusieurs manifestations
autorisées et non autorisées organisées à Moscou et à Saint Pétersbourg,
avec une présence policière importante. Le 5 mars, une grande manifestation
a été organisée place Pouchkine à Moscou au motif que les élections
étaient entachées d’irrégularités massives. M. Prokhorov, qui figurait
parmi les orateurs, a annoncé son intention de fonder un nouveau
parti politique libéral. Environ 250 contestataires qui s’étaient
attardés au-delà de l’heure autorisée pour la manifestation ont
été arrêtés par la police. Le même jour, à Saint Pétersbourg, deux
cortèges non autorisés ont été organisés, et plusieurs centaines
de contestataires ont été arrêtés.
91. Le 10 mars, une manifestation a été organisée sur Novy Arbat,
à Moscou, en signe de mécontentement suite aux élections.
92. Le 20 mars, une action a été organisée devant la tour de télévision
d’Ostankino pour protester contre les manipulations et les propos
diffamatoires diffusés par les chaînes de télévision. Un autre groupe
s’est réuni le 17 mars place Pouchkine pour manifester son soutien
aux prisonniers politiques.
93. Des violences ont eu lieu dans les rues pendant les quelques
jours précédant l’entrée en fonction du Président Poutine, le 7
mai 2012. Le 6 mai, plus de 50 000 contestataires se sont réunis
pour une «marche des millions». Cette manifestation était autorisée,
mais à la suite de heurts violents avec un petit groupe qui tentait
de briser le cordon de police place Bolotnaya, au moins 650 contestataires
ont été arrêtés et des dizaines ont été blessés. D’après la police,
de 20 à 30 policiers figuraient parmi les blessés. Le 9 mai, un tribunal
a condamné deux dirigeants de l’opposition, MM. Navalny et Udaltsov,
à quinze jours de prison pour refus d’obéir aux ordres de la police
pendant la manifestation du 6 mai.
94. Les heurts et les arrestations se sont poursuivis, mais à
une moindre échelle, pendant les jours qui ont suivi tandis que
des groupes de contestataires esquivaient la police dans le centre-ville.
La police a également pris une mesure sans précédent en interpellant
dans les cafés et les restaurants des dizaines de partisans de l’opposition
au simple motif qu’ils arboraient un ruban blanc, le symbole du
mouvement pour les «élections équitables». Environ 120 personnes
ont ainsi été arrêtées d’après RIA Novosti
.
95. Un nouveau type de mouvement, les «marches de protestation»,
a vu le jour à l’appel de certains dirigeants de l’opposition. Le
13 mai, la première «marche de protestation» a réuni près de 2 000
personnes dans le centre-ville de Moscou, dont des écrivains et
des chanteurs connus
.
96. Parallèlement, le nouveau Président Poutine a annoncé la composition
du nouveau cabinet, où continuent de siéger certaines personnalités
qui avaient été fortement critiquées par le passé. Ainsi, l’ex-ministre
de l’Intérieur, Rashid Nurgaliyev, a été nommé au poste de sous-secrétaire
du Conseil de sécurité présidentiel. M. Nurgaliyev a suscité l’indignation
massive du public du fait d’allégations de très nombreuses affaires
de torture et d’autres abus de la police. Sa nomination a été perçue
comme un signe de mépris pour les critiques du public.
97. Le 5 juin 2012, la Douma a adopté, à notre grand regret et
malgré les protestations de l’opposition et de la communauté internationale
, une loi augmentant
considérablement les amendes encourues pour participer à des protestations
non autorisées ou pour les infractions commises lors des manifestations
autorisées. Cette loi offre une grande marge d’interprétation et
confère davantage de pouvoir aux autorités pour décider du lieu où
les manifestations peuvent être organisées et de la forme qu’elles
peuvent prendre. La société civile de Russie affirme que cette loi
viole les dispositions de la Constitution russe relatives à la liberté
de réunion.
98. Nous déplorons tout particulièrement que la Douma ait décidé
d’adopter cette loi controversée dans un contexte où la loi sur
les rassemblements déjà en place posait déjà problème du point de
vue de sa conformité aux normes du Conseil de l’Europe. La commission
de suivi de l’Assemblée a demandé à la Commission de Venise de préparer
un avis sur cette loi, et ses conclusions publiées en mars 2012
ont confirmé nos craintes. Non seulement la nouvelle loi ne lève
pas nos inquiétudes, mais elle en crée de nouvelles. En juin 2012,
la commission de suivi a demandé à la Commission de Venise de rendre
un avis sur la loi sur les protestations.
99. Le 12 juin 2012, qui est un jour férié en Russie, les autorités
ont sanctionné une deuxième «marche des millions» qui a réuni environ
50 000 Russes de tous les âges et de toutes les orientations politiques.
Plusieurs dirigeants du mouvement, M. Navalny, M. Yashin et Mme Sobchak,
une personnalité de la télévision, n’ont pas pu y participer parce
qu’ils avaient été convoqués pour un interrogatoire une heure avant
le début de la protestation. Un autre meneur, M. Udaltsov, a refusé
la convocation et s’est rendu à la manifestation. Le jour précédant
celle-ci a été marqué par des descentes de police et des perquisitions
sans mandat au domicile de plusieurs militants connus.
100. La Douma travaille actuellement sur un autre projet de loi
qui fait l’objet de vives critiques de la part des ONG nationales
et internationales et de la société civile. La nouvelle loi sur
les ONG stigmatise les organisations bénéficiant de financements
provenant de l’étranger (presque toutes les ONG sur les droits de l’homme
sont concernées) en les qualifiant d’«agents étrangers» et leur
impose de lourdes exigences bureaucratiques et des inspections.
Les personnes chargées d’établir les rapports requis s’exposent,
en cas de non-respect, à de lourdes amendes pouvant aller jusqu’à
91 000 USD ou à trois ans de prison. Cette question sera examinée
de manière plus détaillée dans le chapitre correspondant.
101. La situation évolue. Nous sommes vivement préoccupés par la
direction que prennent les événements. Nous y serons évidemment
très attentifs.
3. Situation économique
et sociale
102. L’économie de la Russie a connu
une croissance soutenue de 2000 à 2008, caractérisée par une hausse
moyenne annuelle de son produit intérieur brut (PIB) d’environ 7 %.
Cette période marque une rupture avec la période de 1992 à 1998
pendant laquelle le PIB russe avait reculé en moyenne de 6,8 % par
an. Ce boom économique a propulsé la Russie du vingtième au septième
rang des grandes puissances économiques mondiales. De ce fait, presque
toutes les dettes contractées par l’Etat russe sur les marchés étrangers
ont été remboursées et le revenu réel par habitant est passé de
5 900 USD en 1998 à 9 600 USD en 2005. Par ailleurs, les investissements
ont augmenté en moyenne de 12 % par an pendant cette période
.
103. La très forte croissance économique, liée au prix élevé du
pétrole, a permis à la Russie d’atteindre un niveau de stabilité
économique qu’elle n’avait pas connu depuis l’effondrement de l’Union
soviétique et a donné lieu à une amélioration importante du niveau
de vie de la population. Les salaires réels ont augmenté deux fois
plus vite, le pourcentage de la population vivant sous le seuil
de pauvreté est passé de 38 % en 1998 à 9,5 % en 2004, et le chômage
est tombé en dessous de 7 %
.
104. La croissance du PIB russe a principalement été tirée par
les exportations de pétrole, de gaz et d’autres ressources naturelles.
La Russie est le numéro deux mondial des producteurs de pétrole
et le numéro un des producteurs de gaz naturel. Les prix mondiaux
du pétrole ont quintuplé entre 2002 et 2008.
105. Le recul des prix de l’énergie et la crise économique mondiale
de 2008-2009 ont contribué à la baisse de 8 % du PIB russe en 2009.
Cependant, la hausse des prix du pétrole sur les marchés mondiaux
en 2010-2011 a relancé l’économie russe encore une fois.
106. Les secteurs industriels du gaz naturel et du pétrole russes
occupent une place importante sur le marché mondial de l’énergie.
La Russie possède de loin les plus grandes réserves de gaz naturel
de la planète, soit plus de 30 % du total mondial. Elle est classée
au huitième rang mondial pour ses réserves de pétrole, qui représentent
au moins 10 % du total mondial.
107. Les entreprises présentes dans les secteurs gazier et pétrolier
sont soit directement contrôlées par le gouvernement russe, soit
soumises à une forte influence de celui-ci. Certains craignent que
la dépendance de l’Europe à l’égard de l’énergie russe et le poids
croissant de la Russie dans de larges segments de l’infrastructure
énergétique européenne posent un problème à long terme. L’Assemblée
parlementaire a fait part de ses préoccupations dans le rapport
sur «Le danger de l’utilisation de l’approvisionnement énergétique comme
instrument de pression politique»
.
108. Les craintes suscitées par la politique énergétique russe
portent principalement sur la fourniture de gaz naturel à l’Europe.
En effet, près de 80 % des importations européennes de gaz naturel
provenant de Russie transitent par l’Ukraine, ce qui n’a pas empêché
Gazprom, société contrôlée par l’Etat, d’interrompre toutes ses livraisons
de gaz acheminé par cette voie pendant près de trois semaines en
raison de désaccords avec l’Ukraine en 2006 et 2009. En 2010 et
2011, des litiges entre la Russie et le Bélarus ont entraîné une
réduction temporaire des livraisons de gaz naturel et de pétrole
au Bélarus et aux pays voisins.
109. Ces problèmes ont conduit la Russie et certains pays européens
à élaborer de nouveaux projets de gazoducs, notamment le North Stream,
qui relie directement la Russie et l’Allemagne en passant sous la
mer Baltique, et le South Stream, par lequel le gaz russe sera acheminé
sous la mer Noire vers la Bulgarie, l’Autriche, l’Italie et la Grèce.
110. Mais du fait des craintes suscitées par les conséquences possibles
d’une dépendance énergétique excessive à l’égard de la Russie, il
est prévu de construire le gazoduc Nabucco pour transporter du gaz
à partir de l’Azerbaïdjan en contournant la Russie.
111. La dépendance élevée de l’économie russe vis-à-vis des exportations
de pétrole, de gaz et d’autres ressources naturelles reste un formidable
défi. Le pétrole et le gaz représentaient 61 % des recettes d’exportation
de la Russie en 2005. Le secteur manufacturier ne représentait que
8 % des exportations russes. La forte hausse des recettes pétrolières
a provoqué une flambée des dépenses de consommation, largement satisfaites
par des importations, mais elle n’a pas favorisé le redressement
du secteur manufacturier ou de l’agriculture russes. Une grande
partie de la richesse a été investie à l’étranger par les oligarques.
112. L’Etat est le principal bénéficiaire du boom pétrolier dans
la mesure où il a doublé le nombre de bureaucrates et triplé les
dépenses militaires. Il a renforcé son contrôle sur les entreprises
industrielles stratégiques, notamment dans le secteur pétrolier,
et donné naissance à une nouvelle forme hybride d’oligarchie et
de capitalisme d’Etat. Le climat est toujours aussi peu favorable
au développement des petites entreprises, qui ne représentent que
17 % des emplois contre 60 % aux Etats-Unis. Une baisse du prix
du pétrole risque de fragiliser les fondements assez instables du
modèle de développement russe.
113. Des experts affirment que ce boom économique ne peut pas durer
car il ne repose pas sur une assise solide et que le succès actuel
est dû au facteur chance. L’économie russe est aussi handicapée
par les nombreux problèmes suivants: infrastructures dégradées,
oléoducs et gazoducs vieillissants, aéroports délabrés, réseau d’autoroutes
limité, pollution de l’eau, système de santé en mal de financements
et de réformes, système d’enseignement seulement partiellement réformé,
efficacité énergétique égale au tiers de la moyenne des pays membres
de l’OCDE, faiblesse de l’investissement intérieur, taux de criminalité
et de corruption élevés, fuite des capitaux et chômage.
114. Pour comprendre la situation économique actuelle, il convient
de rappeler que la libéralisation radicale décidée par Boris Eltsine
en 1992 n’a pas créé une économie de marché concurrentielle mais
a donné naissance à un capitalisme oligarchique sans l’Etat de droit
et les mesures sociales qui auraient permis d’atténuer les souffrances
que la transition infligeait aux millions de Russes. En 2001, on
estimait que les 23 plus grosses sociétés du pays représentaient
30 % du PIB russe et qu’elles étaient contrôlées par 37 personnes.
La montée en puissance des oligarques a coïncidé avec une vague
d’anarchie, de meurtres commandités et d’étalages de richesse grotesques
qui contrastaient terriblement avec la situation sociale et économique
très difficile de la majorité écrasante de la population. Pour de
nombreux Russes, les années 1990 demeurent un symbole de vulnérabilité
et d’instabilité économiques qu’ils associent malheureusement souvent à
la démocratie.
115. En renforçant l’exécutif et en instaurant une «verticalité
du pouvoir», le Président Poutine a réussi à soumettre et contrôler
les oligarques.
116. En septembre 2009, le Président Medvedev a publié un article,
«Russie, en avant!»
, qui déplorait la récession
économique en Russie et appelait à déployer davantage d’efforts
pour accélérer la modernisation économique. Ces idées étaient présentées
dans le discours annuel sur l’état de la nation qu’il a prononcé devant
l’Assemblée fédérale russe en novembre 2009. Dans un discours de
politique étrangère de juillet 2010, le Président Medvedev a déclaré
que la crise économique mondiale avait provoqué «un changement de paradigme
dans les relations internationales» et il a invité les diplomates
et les responsables commerciaux russes à forger une «alliance de
modernisation» avec les démocraties occidentales pour favoriser
les investissements étrangers en Russie, en particulier dans le
domaine de l’innovation technologique.
117. En décembre 2011, la Russie a été admise à l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) après un cycle de négociations commencé
en 1993. Jusqu’à cette date, la Russie était la seule économie importante restée
en dehors de l’OMC, une organisation qui compte plus de 150 membres.
Parmi les problèmes recensés par l’OMC et qui ont rendu les négociations
interminables figuraient notamment les politiques et pratiques de la
Russie en matière d’application des lois, les réglementations sanitaires
pouvant bloquer les importations de produits agricoles et les subventions
considérables accordées au secteur agricole.
118. Malgré le soutien des Etats-Unis et de l’Union européenne,
le veto de la Géorgie a bloqué le processus d’adhésion de la Russie
pendant quelques années. L’adhésion récente à l’OMC témoigne de
la volonté de la Russie d’appliquer les normes internationales en
matière de gouvernance, ce qui rassurera certainement les investisseurs.
119. Lors de son adhésion, la Fédération de Russie s’est engagée
à étudier, en vue de la ratification, la Charte sociale européenne
du Conseil de l’Europe. La Charte sociale européenne (révisée) (STE
no 163) a été signée en 2000 et ratifiée
en 2009. La Russie n’a pas accepté le Protocole additionnel prévoyant
un système de réclamations collectives (STE no 158).
Le premier rapport préparé par les autorités russes sur la mise
en œuvre de la Charte dans le cadre des mécanismes de suivi de la
Charte a été soumis le 28 octobre 2011.
120. Le principal défi social auquel est confrontée la Russie est
celui de la crise démographique dont les proportions sont contestées,
mais qui est suffisamment grave pour que les dirigeants russes soient
contraints de la traiter comme une menace pour la sécurité nationale
et non comme un simple problème socio-économique
.
En 1992, la population russe est entrée dans une période de croissance
négative, le nombre de décès dépassant le nombre de naissances et
de migrants. Le taux de fécondité a reculé au point d’être parmi
les plus bas au monde. Le taux d’avortement, quant à lui, est le
plus élevé.
121. La Russie connaît un taux de mortalité inhabituellement élevé
dû à des causes non naturelles, notamment l’alcoolisme. La durée
de vie, en particulier chez les hommes en âge de travailler, a chuté brutalement.
La consommation croissante d’alcool n’est pas la seule explication
de la mortalité accrue. Les décès dus à la violence, aux blessures
et à d’autres causes non naturelles ont contribué de manière significative
à cette croissance. Les taux de suicides et d’homicides enregistrés
en Russie sont parmi les plus élevés au monde. En outre, les décès
dus à la maladie et à des pathologies dégénératives et chroniques, comme
le cancer, les maladies respiratoires, cardiovasculaires et circulatoires,
ont considérablement augmenté, notamment dans le contexte d’un système
de soins inefficace.
4. Relations extérieures
4.1. Relations dans
le contexte européen
122. Le cadre juridique de la coopération
entre l’Union européenne et la Fédération de Russie a été établi par
l’Accord de partenariat et de coopération (APC) signé en 1994 et
entré en vigueur en 1997 pour dix ans. Cet accord prévoyait des
structures communes (conseil permanent, groupes de travail) et des
instruments propres à chaque partie (stratégies, Instrument européen
de voisinage et de partenariat).
123. L’APC, qui a expiré en 2007, a été automatiquement renouvelé
et restera en vigueur jusqu’à la conclusion d’un nouvel accord.
Les négociations portant sur un nouvel accord ont néanmoins été
difficiles. Elles n’ont démarré qu’en 2008 car certains membres
ont retardé leur ouverture pendant deux ans
.
Le processus a été ralenti pendant longtemps par le litige créé
par la demande d’adhésion de la Russie à l’OMC et les objections
formulées par l’Union européenne à l’égard de la présence de troupes
russes en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Le nouvel accord ne devrait
pas être conclu dans un proche avenir.
124. Parallèlement, la coopération s’est poursuivie dans le cadre
des quatre «espaces communs», une stratégie qui a été créée en 2003
et recouvre quatre domaines politiques spécifiques: les questions économiques
et l’environnement; la liberté, la sécurité et la justice; la sécurité
extérieure, y compris la gestion des crises et la non-prolifération;
ainsi que la recherche et l’éducation, notamment les aspects culturels.
125. Par ailleurs, en 2010, la Russie et l’Union européenne ont
lancé un «partenariat pour la modernisation» pour contribuer au
développement et à la diversification de l’économie russe, et les
deux parties négocient la possibilité de mettre en place un régime
d’exemption de visas. Les principaux domaines prioritaires fixés
sont les suivants: amélioration et renforcement des relations économiques
et commerciales bilatérales et promotion des petites et moyennes
entreprises; élargissement des possibilités d’investissement dans
des secteurs stratégiques en vue de stimuler la croissance et l’innovation;
coopération scientifique, harmonisation des réglementations et normes
techniques; fonctionnement efficace du système judiciaire et renforcement
de la lutte contre la corruption.
126. Les relations entre l’Union européenne et la Russie portent
en grande partie sur des questions économiques et énergétiques.
Comme cela a été indiqué précédemment, l’Europe dépend dans une
large mesure des livraisons de gaz et de pétrole russes, qui couvrent
près de 25 % de ses besoins. Cependant, certains Etats membres de
l’Union européenne sont presque dépendants à 100 % de l’énergie
russe. Cette dépendance devrait s’accroître au cours des vingt prochaines
années. Jusqu’ici, l’Union européenne n’est pas parvenue à élaborer
une politique énergétique stratégique commune et la Russie a donné
la priorité à des relations bilatérales avec plusieurs Etats membres
de l’Union européenne, avec leur accord.
127. En revanche, la Russie est très dépendante de l’Union européenne,
qui est son principal partenaire économique (au total, les importations
et exportations russes s’élèvent à environ 6,5 % des exportations
de l’Union européenne
),
et la modernisation de la Russie ne serait guère possible sans les
technologies et le marché européens.
128. L’Union européenne et la Russie coopèrent dans un certain
nombre de questions régionales et internationales importantes, comme
le nucléaire iranien, le processus de paix au Proche-Orient, l’Afghanistan/Pakistan,
la sécurité européenne et les conflits prolongés en Géorgie et dans
la République de Moldova, le changement climatique, le trafic de
drogues et la traite d’êtres humains, la criminalité organisée,
la lutte contre le terrorisme et la non-prolifération.
129. Au cours de ces dernières années, les questions économiques
ont, dans une large mesure, éclipsé le débat sur les valeurs. Depuis
le début du deuxième mandat du Président Poutine, la question des
lacunes démocratiques de la Russie ne fait plus partie des priorités
des relations entre la Russie et l’Europe. La suite donnée aux conséquences
du conflit entre la Russie et la Géorgie a renforcé l’impression
que l’Union européenne privilégiait les intérêts pragmatiques au
détriment des principes.
130. Les réactions récentes de certains dirigeants européens et
du Parlement européen aux événements qui ont suivi les élections
parlementaires de décembre 2011 laissent espérer que la question
des valeurs démocratiques fera de nouveau partie intégrante du dialogue
politique entre l’Union européenne et la Russie.
4.2. La Russie et
les Etats qui ont succédé à l’Union soviétique; les voisins et «l’étranger
proche»
131. Lors de son adhésion, la Russie
s’est engagée à «dénoncer comme erroné le concept de deux catégories
différentes de pays étrangers, certains étant traités comme une
zone d’influence spéciale appelée l’«étranger proche». Dans la pratique,
l’expression «étranger proche» est couramment utilisée en Russie
pour désigner les 14 anciennes républiques soviétiques.
132. Cet engagement signifiait que la Russie non seulement dénonçait
comme erroné le concept d’«étranger proche», mais cessait effectivement
de traiter certains pays comme une zone d’influence spéciale, sans
égard suffisant pour leur souveraineté et leur intégrité territoriale.
133. Le concept de politique étrangère et le concept de sécurité
nationale de la Fédération de Russie, adoptés par décrets présidentiels
en juillet 2008 et en mai 2009 respectivement, ne font aucune référence
à la notion d’«étranger proche».
134. Cependant, dans un entretien accordé aux trois chaînes de
télévision principales (Channel 1, Rossia et NTV) le 31 août 2008,
à la veille de la reconnaissance de l’indépendance de l’Ossétie
du Sud et de l’Abkhazie, le Président Medvedev a présenté un des
principes directeurs de sa politique étrangère de la façon suivante: «Protéger
la vie et la dignité de nos citoyens, où qu’ils se trouvent, est
une priorité incontestable de notre pays. Les décisions que nous
prendrons en matière de politique étrangère seront fondées sur cette
nécessité. Nous protégerons aussi les intérêts de nos entrepreneurs
à l’étranger. Il faut que tout le monde sache que nous répondrons
à toutes les agressions commises contre nous. Enfin, comme c’est
le cas pour d’autres pays, il existe des régions dans lesquelles
la Russie a des intérêts privilégiés. Ces régions comptent des pays
avec lesquels nous partageons des liens historiques particuliers
et entretenons des relations amicales et de bon voisinage. Nous
accorderons une attention particulière à nos activités dans ces
régions et développerons des liens d’amitié avec ces pays, nos voisins
proches. Ce sont là des principes que je suivrai dans la conduite
de notre politique étrangère.»
135. Dans un entretien accordé à la chaîne de télévision Euronews
le 3 septembre 2008, le président Medvedev a réaffirmé sa position
dans les termes suivants: «La Russie, comme tout autre Etat, portera
une attention particulière à certaines régions dans lesquelles elle
a des intérêts privilégiés. Elle compte entretenir des relations
spéciales, cordiales et à long terme avec les Etats de ces régions.»
136. Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Russie,
déclarait, dans une lettre publiée le 10 septembre 2008 dans le
quotidien polonais Gazeta Wyborcza, que
la Russie avait une sphère géographique «d’intérêts privilégiés»
et appelait la Pologne et le reste de l’Europe à reconnaître cette
«nouvelle réalité». M. Lavrov a également déclaré: «En conduisant
notre politique étrangère, nous appliquons invariablement les principes
formulés par le Président Dimitri Medvedev, notamment en portant
une attention particulière aux régions où la Russie a des intérêts
privilégiés. (…) Nous appelons nos partenaires à suivre l’exemple
de la Russie et à reconnaître les nouvelles réalités. Nous pensons
que les déclarations faites par les dirigeants de certains pays
sur les politiques “impérialistes” et “révisionnistes” de la Russie
sont totalement erronées.»
137. L’expression «intérêts privilégiés» est un nouveau concept
dans le discours politique russe. Son sens est vague et n’indique
pas clairement à quels pays et régions il s’applique. On peut présumer
qu’il désigne l’ancien «étranger proche», c’est-à-dire les Etats
de l’ex-Union soviétique.
138. Cette nouvelle doctrine politique a été annoncée par la Russie
après l’utilisation de la force militaire à l’extérieur de son territoire
pour imposer par la force le changement des frontières d’un autre
Etat, la Géorgie, et après le décret présidentiel du 26 août 2008
qui reconnaissait officiellement l’indépendance de l’Ossétie du Sud
et de l’Abkhazie. Le déploiement de troupes russes qui a eu lieu
ensuite dans les deux régions séparatistes a été critiqué par la
communauté internationale, qui a demandé à la Russie de retirer
ses troupes et de revenir sur les reconnaissances d’indépendance.
Cela n’a pas été accompli.
139. La Russie continue de s’opposer vivement à l’élargissement
de l’OTAN à la Géorgie et à l’Ukraine. En 2008, les pays participant
au sommet de l’OTAN à Bucarest ont dû accepter la position de plusieurs
membres européens importants et refuser à l’Ukraine et à la Géorgie
le droit d’adhérer au Plan d’action pour l’adhésion de l’OTAN. La
décision était bien argumentée. En effet, l’Ukraine manquait de
soutien sur le plan intérieur pour rejoindre l’OTAN, et des conflits
frontaliers opposaient la Géorgie à certains de ses voisins. Pour
beaucoup d’observateurs, la Russie avait de fait récupéré un droit
de veto concernant l’élargissement des institutions euro-atlantiques
au territoire de la Communauté des Etats indépendants (CEI).
140. L’arrêt ou la réduction des livraisons d’énergie et, plus
généralement, les pressions économiques exercées sur l’Ukraine et
le Bélarus en particulier, mais aussi sur d’autres anciennes républiques
soviétiques, ont été des caractéristiques distinctives de la politique
étrangère conduite par la Russie à l’égard de certains pays.
141. Dans ce contexte, nous souhaiterions aussi rappeler les recommandations
de la Commission de Venise
sur les amendements à la loi
fédérale relative à la défense, soumis pour avis par la commission
de suivi. Nous prions instamment les autorités russes de résoudre
les problèmes soulevés par les dispositions relatives à la protection
de ressortissants d’un Etat donné qui se trouvent sur le territoire
d’un Etat tiers. La Commission de Venise estime qu’elles posent
problème étant donné que cette protection relève essentiellement
de la responsabilité de l’Etat tiers. Si celui-ci ne parvient pas
à prévenir un génocide ou un nettoyage ethnique, il revient à la
communauté internationale d’assurer cette protection sur la base
d’une résolution pertinente du Conseil de sécurité des Nations Unies.
La protection de ses ressortissants nationaux ne devrait pas servir
de prétexte pour une intervention militaire ni aboutir à l’installation
de troupes pour assurer la protection prolongée des ressortissants
concernés.
142. La délégation russe signale que ni le concept de politique
étrangère ni le concept de sécurité nationale de la Fédération de
Russie ne font référence au concept d’«étranger proche». Elle considère
que cet engagement est rempli.
4.3. La guerre entre
la Géorgie et la Russie
143. Nous rappelons à cet égard
que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté les
Résolutions 1633 (2008), 1647 (2009) et 1683 (2009) sur les conséquences de
la guerre entre la Géorgie et la Russie, présentées par la commission
de suivi, qui a traité cette question comme un dossier distinct.
Les questions humanitaires sont examinées par la commission des
migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, qui a été à
l’origine de plusieurs résolutions
. Nous réaffirmons la pertinence
de tous ces textes adoptés.
144. S’agissant de l’enquête internationale indépendante sur les
origines et le déroulement de la guerre entre la Géorgie et la Russie,
nous renvoyons au rapport de la Mission d’enquête internationale
indépendante sur le conflit en Géorgie mise en place par l’Union
européenne et conduite par l’ambassadrice Heidi Tagliavini. Mme Tagliavini
a participé à l’audition organisée par la commission de suivi à
Paris en janvier 2011 et a fait une présentation détaillée de ses
constats.
145. Nous sommes d’avis que le rapport Tagliavini est le document
sur les circonstances et les causes de la guerre le plus complet
et le plus objectif qui ait pu être rédigé à partir des informations
déclassifiées et volontairement fournies par les parties impliquées.
Nous invitons toutes les parties intéressées à consulter ce document
à la fois détaillé et volumineux. Notons également que les deux
pays concernés ont publiquement déclaré leur accord avec la plupart
des analyses et conclusions du rapport. Nous pensons que ce rapport
et les résolutions de l’Assemblée sont complémentaires.
146. Nous rappelons également la position de principe adoptée par
l’Assemblée qui veut que la reconnaissance de l’indépendance de
l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie par la Russie, et ensuite par
quatre autres Etats (le Nicaragua, le Venezuela, Nauru et Tuvalu),
soit contraire au droit international et aux principes de l’intégrité
territoriale, tout comme la poursuite du déploiement de forces militaires
russes dans les deux régions séparatistes.
147. Le non-respect des résolutions ci-dessus reste préoccupant.
Les demandes soumises à la Russie dans divers domaines, y compris
l’accès sans restriction des organisations internationales, de l’aide
humanitaire et des observateurs de l’Union européenne, ainsi que
des enquêtes crédibles sur des cas de violations à la fois des droits
de l’homme et du droit international (notamment le nettoyage ethnique),
n’ont pas été suivies d’effet.
148. La Géorgie et la Russie ont tenu des discussions à 20 reprises
pour tenter de régler des différends. Les négociations dites de
Genève, présidées conjointement par l’Union européenne, les Nations
Unies et l’OSCE, sont organisées sous la forme de deux groupes de
travail avec la participation des représentants de la Géorgie, de
la Russie et des Etats-Unis, ainsi que de Soukhoumi et de Tskhinvali.
Le premier groupe de travail traite des questions de sécurité, et
le deuxième des problèmes humanitaires, et notamment le retour des
réfugiés et des personnes déplacées. Ils ne semblent pas progresser.
Le dernier cycle remonte au mois de juin 2012, et le prochain doit
débuter le 3 octobre 2012.
149. En compagnie des rapporteurs sur la Géorgie et du président
de la commission de suivi, nous prévoyons de réaliser une mission
d’information à Moscou, à Tbilissi, à Soukhoumi et à Tskhinvali
un peu plus tard dans l’année. Nos conclusions feront l’objet d’un
rapport séparé. Nous ne développerons donc pas ces questions dans
le présent rapport.
4.4. Le respect des
obligations dérivées du Traité sur les forces armées conventionnelles
en Europe (FCE)
150. Un des engagements pris par
la Fédération de Russie lors de son adhésion concerne le respect
des obligations qu’elle a contractées en vertu du traité FCE signé
en 1990. Le précédent rapport de suivi de 2005 déclarait que «la
Fédération de Russie remplit largement ses obligations en vertu
du Traité FCE, ce qui est l’objet de son engagement devant l’Assemblée».
151. Depuis, la situation a changé dans la mesure où, le 13 juillet
2007, le Président Poutine a promulgué un décret prévoyant la suspension
des obligations contractées par la Russie en vertu du traité et
prenant effet 150 jours plus tard. Le président a déclaré que cette
suspension était le résultat de «circonstances extraordinaires (…)
qui concernent la sécurité de la Fédération de Russie et exigent
des mesures immédiates». La suspension s’applique au traité FCE
original et aux accords de suivi, en particulier le traité FCE adapté
et signé lors du Sommet d’Istanbul en 1999.
152. La délégation parlementaire russe à l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe a expliqué que, selon l’article 1.d du Statut du Conseil de l’Europe,
les questions relatives à la défense nationale ne sont pas de la
compétence du Conseil de l’Europe, et elle a en conséquence refusé
d’examiner cette question.
4.5. Le retrait des
troupes russes de la République de Moldova
153. Lors de son adhésion au Conseil
de l’Europe, la Russie s’était engagée à ratifier, dans un délai
de six mois après son adhésion, l’accord intervenu le 21 octobre
1994 entre les Gouvernements russe et moldave, et à poursuivre le
retrait de la 14e armée et de son matériel
du territoire de la République de Moldova dans un délai de trois
ans à compter de la date de signature de l’accord.
154. Le retrait des troupes russes de Transnistrie a été également
une obligation internationale contractée par la Russie dans le cadre
de l’Accord d’adaptation du Traité sur les forces armées conventionnelles
en Europe signé par le Président Boris Eltsine pendant le sommet
de l’OSCE qui s’est tenu à Istanbul en novembre 1999. Selon ce document,
la Russie a pris l’engagement de retirer ses forces de Transnistrie
d’ici à la fin de 2002. Cependant, comme susmentionné, la Russie
a suspendu l’application du traité en 2007.
155. Le 21 juin 1995, l’accord signé en 1994 par la Russie et la
République de Moldova a été soumis à la Douma d’Etat par le Président
Eltsine pour ratification. Il a été retiré par le Président Poutine
le 11 mars 2003.
156. Jusqu’à présent, la Russie n’a pas ratifié l’accord du 21
octobre 1994 et les forces russes restent stationnées dans la région
transnistrienne de la République de Moldova contre la volonté du
Gouvernement moldove et en violation des engagements internationaux
de la Russie. A l’heure actuelle, 1 500 soldats russes sont déployés
sur le territoire transnistrien. La plupart patrouillent conjointement
avec des soldats transnistriens et moldaves, et des observateurs
militaires ukrainiens. Les autres assurent la garde des dépôts de
munitions qui datent de l’ère soviétique.
157. La Russie fournit également une aide économique pour renforcer
le régime séparatiste pro-russe en Transnistrie, malgré les appels
répétés de l’Union européenne et des Etats-Unis pour qu’elle y renonce.
158. En 2008, l’Assemblée parlementaire de l’OTAN a adopté une
résolution pressant la Russie de respecter les engagements qu’elle
a pris au Sommet d’Istanbul en 1999 et de mettre fin à sa présence
militaire illégale dans la région transnistrienne de la République
de Moldova dans un très proche avenir.
159. Les dirigeants russes ont cherché à subordonner le retrait
de leurs troupes à la résolution du statut de la Transnistrie. Le
vice-ministre des Affaires étrangères de la Russie, M. Grigori Karasin,
a déclaré le 20 janvier 2010 que son pays continuerait sa mission
de maintien de la paix en Transnistrie tant qu’une solution durable ne
serait pas trouvée à la crise séparatiste qui sévit dans la région
orientale de la République de Moldova.
160. Pour ce qui est des aspects positifs, les pourparlers officiels,
auxquels participent des négociateurs de Russie, de Transnistrie,
de la République de Moldova, d’Ukraine, de l’OSCE ainsi que des
observateurs des Etats-Unis et de l’Union européenne (pourparlers
dits 5+2), ont repris le 30 novembre 2011 à Vilnius, après avoir
été suspendus pendant cinq ans et, par la suite, à Dublin les 28
et 29 février 2012 et à Vienne les 17 et 18 avril 2012. A Vienne,
les parties sont parvenues à un accord sur plusieurs points de procédure.
Elles ont également décidé que tout accord conclu par les parties
doit définir les mécanismes à même de garantir son application.
Cette démarche s’inscrit dans le cadre de la politique des «petits
pas» qui a récemment été adoptée.
161. Concernant cet engagement, la délégation russe a de nouveau
déclaré que, s’agissant d’une question relative à la défense nationale,
elle n’était pas de la compétence du Conseil de l’Europe.
162. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la
commission de suivi de l’Assemblée, les autorités se réfèrent également
à la Déclaration faite par le Conseil ministériel de l’OSCE lors
de sa réunion de Porto, en décembre 2002, qu’elles qualifient de
«consensus» et qui, d’après elles, confirme l’obligation de la Fédération
de Russie d’achever le retrait de ses forces «pour autant que les
conditions nécessaires soient réunies»
.
4.6. La restitution
de biens et de biens culturels à d’autres Etats membres du Conseil
de l’Europe
163. Lors de son adhésion au Conseil
de l’Europe, la Russie s’est engagée à «négocier les demandes de restitution
de biens culturels à d’autres pays européens sur une base ad hoc
qui permettrait de distinguer les différentes catégories de biens
(archives, œuvres d’art, bâtiments, etc.) et de propriétaire (public,
privé ou institutionnel)». La Russie a également accepté de «régler
rapidement toutes les questions relatives à la restitution de biens
réclamés par des Etats membres du Conseil de l’Europe et notamment
les archives transférées à Moscou en 1945».
164. La loi fédérale sur les biens culturels déplacés vers l’URSS
à la suite de la seconde guerre mondiale et se trouvant sur le territoire
de la Fédération de Russie a connu un processus législatif très
compliqué. Adoptée par la Douma en 1998, elle a été rejetée par
le Conseil de la Fédération, puis reformulée, adoptée, elle a fait l’objet
d’un veto du Président et a été soumise à la Cour constitutionnelle.
Après deux décisions de la Cour constitutionnelle, elle a finalement
de nouveau été adoptée en 2000 avec des amendements, et de nouveau amendée
en 2004 et en 2008.
165. A l’origine, la loi proclamait que tous les objets culturels
étrangers saisis, sans distinction entre œuvres d’art, archives
ou livres rares, étaient des trophées militaires et donc, à ce titre,
la propriété de la Fédération de Russie. A la suite de la décision
de la Cour constitutionnelle, les législateurs ont introduit un
amendement déclarant que les objets culturels en question étaient
des dédommagements pour la perte des trésors culturels subie par
l’Union soviétique pendant la guerre. Ils ont par ailleurs prévu
une exception importante permettant aux pays, personnes et organisations
(y compris les organisations religieuses) qui ont été victimes du
nazisme de réclamer la restitution des biens perdus. La loi amendée
dispose que les anciens propriétaires qui relèvent de ces catégories
peuvent exiger la restitution de leurs biens.
166. La loi prévoit aussi un mécanisme de création d’une base de
données de tous les objets culturels déplacés sur le territoire
russe. Jusqu’ici, le ministère de la Culture, qui est responsable
du processus, a recensé 250 000 objets, 265 000 dossiers d’archives
et environ 1,2 million de livres rares.
167. La base de données, disponible sur le site web du ministère
, aide les personnes,
les organisations et les gouvernements à identifier les biens perdus
et à saisir les tribunaux pour qu’ils leur soient restitués.
168. Concernant les négociations portant sur la restitution d’archives,
notamment des documents essentiels du renseignement militaire et
des organes de sécurité gouvernementaux, des archives des syndicats,
des dossiers appartenant à des loges maçonniques et à des communautés
juives, ainsi que des documents personnels de personnalités éminentes,
les négociations bilatérales menées entre la Fédération de Russie
et les pays concernés dans le cadre des lois de 1998 telles qu’amendées
ont été davantage couronnées de succès que celles concernant la
restitution des œuvres d’art.
169. Depuis l’adoption de la loi, des archives ont été restituées
aux pays suivants: Liechtenstein, Grande-Bretagne, France, Belgique,
Pays-Bas et Autriche. En outre, 103 dossiers appartenant à des loges maçonniques
ont été restitués au Luxembourg. Enfin, des documents de la famille
Rothschild ont été restitués à Vienne, premier exemple d’un arrangement
familial à caractère privé.
170. La plupart des demandes des pays de l’Europe occidentale ont
été satisfaites, mais de nombreuses autres archives saisies dans
des pays de l’Europe de l’Est et du Sud-Est, ainsi qu’en Allemagne,
sont encore à Moscou.
171. Certes, de nombreux pays qui faisaient partie de l’ancien
bloc communiste avaient reçu une partie de leurs archives saisies
pendant les années de la guerre froide. Cependant, des quantités
importantes de dossiers leur appartenant sont encore conservées
à Moscou.
172. Les négociations se poursuivent notamment en vue d’une restitution
plus générale de documents d’archives polonaises.
173. La République tchèque et les Etats qui ont succédé à l’ex-Yougoslavie
sont un autre exemple.
174. La Grèce négocie depuis plus de dix ans la restitution des
archives de la communauté juive séfarade de Thessalonique, dont
90 % des membres ont péri dans l’Holocauste. La demande officielle
a été transmise en 2008. Dans leurs observations sur l’avant-projet
de rapport de la commission de suivi de l’Assemblée, les autorités
nous ont indiqué qu’elles avaient, fin 2011, soumis à la Grèce une
proposition d’accord de «restitution mutuelle de documents». Elles
n’ont pas encore reçu de réponse.
175. A cet égard, nous tenons à rappeler la
Résolution 1205 (1999) de l’Assemblée sur les biens culturels des juifs spoliés.
176. L’Allemagne constitue une exception car aucune restitution
n’a été notée. La restitution des archives allemandes est désormais
interdite par la loi de 1998
.
177. Contrairement aux archives, la restitution des œuvres d’art
et des livres rares a été beaucoup moins couronnée de succès, ce
qui est peut-être dû à un processus de recensement plus difficile.
Par exemple, les estimations du nombre de livres «trophées» encore
conservés en Russie varient de 1,2 million (ministère russe de la
Culture) à 12 millions
.
178. Des négociations concernant les objets d’art les plus célèbres
sont conduites conformément à la loi de 1998 et certaines ont abouti.
C’est le cas de la bibliothèque Sarospatak, composée de 134 volumes,
qui a été restituée à la Hongrie en 2005, et de quatre fragments
de fresque restitués à l’Ukraine en 2009. Un autre exemple est celui
de la restitution de vitraux à l’Allemagne. En revanche, le trésor
roumain (une collection d’objets de valeur confiée par le Gouvernement
roumain au Gouvernement russe afin qu’elle soit protégée pendant
la première guerre mondiale) n’a pas été restitué et les autorités
russes ont refusé d’en discuter.
179. En outre, seulement environ 1 000 livres trophées (sur 1 million
ayant été saisis) ont été restitués depuis 1999. Parmi ceux qui
restent en Russie, on compte 649 documents en papyrus écrits en
langue perse appartenant à la Bibliothèque nationale d’Autriche.
Du côté positif, mentionnons la restitution à l’Autriche de la bibliothèque
des princes Esterhazy, qui est en cours.
180. Se référant aux négociations bilatérales en cours, la délégation
russe considère que l’engagement concernant la restitution des biens
culturels a été rempli.
181. Notons cependant que les cercles politiques russes et le grand
public en général sont vivement opposés à la restitution, comme
l’illustrent les débats qui agitent les médias
.
Nous considérons que cet engagement n’est pas rempli.
5. Fonctionnement
de la démocratie pluraliste
5.1. Elections libres
et équitables
182. Comme nous l’avons déjà indiqué,
quatre élections nationales importantes ont été organisées en Russie depuis
la présentation du dernier rapport en 2005, c’est-à-dire les élections
législatives à la Douma d’Etat en 2007 et en 2011 et les scrutins
présidentiels de 2008 et de 2012.
183. A la suite des élections à la Douma d’Etat du 2 décembre 2007,
les observateurs de l’Assemblée parlementaire ont considéré que
«si ces législatives ont été en grande partie libres du point de
vue des options de vote, elles n’ont absolument pas été loyales»
.
184. Dans leurs conclusions, les membres de la commission ad hoc
ont souligné que l’effet cumulé de la loi électorale amendée a nui
au pluralisme politique, car la nouvelle loi handicape davantage
les nouveaux partis et les petits partis désireux de se présenter.
Le seuil prohibitif de 7 % requis pour qu’un parti puisse siéger
à la Douma et l’interdiction faite aux partis de former des alliances
électorales dans des blocs n’encouragent pas la formation de nouveaux
partis et ne favorisent pas le développement d’un plus grand pluralisme parlementaire.
Les règlements sur l’enregistrement des partis ont également été
remis en cause. Le processus d’enregistrement des candidats, jugé
trop bureaucratique et non neutre, a lui aussi été vivement critiqué.
185. Le rapport a soulevé un certain nombre de préoccupations relatives
à la campagne électorale et à son financement, y compris l’utilisation
considérable des ressources administratives et le soutien massif
de l’Etat à Russie Unie, l’accès inégal aux médias, l’environnement
politique peu encourageant et même des allégations de harcèlement
à l’égard des forces de l’opposition. En conclusion, les observateurs
de l’Assemblée ont appelé les autorités russes à remédier à ces
défaillances et déficiences avant les prochaines élections.
186. L’invitation à observer les élections adressée à l’Assemblée
limitait au départ à 30 le nombre d’observateurs. Toutefois, en
réponse à une demande de la mission préélectorale, le président
de la Douma d’Etat, M. Gryzlov, a accepté de porter à 55 le nombre
d’observateurs de l’Assemblée.
187. Parallèlement, l’OSCE/BIDDH a refusé d’envoyer une mission
d’observateurs à long terme en raison des conditions imposées par
les interlocuteurs russes (qui ont par exemple ramené de 450 à 70
le nombre d’observateurs, et interdit à des citoyens russes d’intervenir
en qualité d’observateurs). La délégation de l’Assemblée a étroitement
collaboré avec les observateurs de l’Assemblée parlementaire de
l’OSCE.
188. Le scrutin présidentiel qui s’est déroulé quelques mois plus
tard, le 2 mars 2008, a également été observé par l’Assemblée parlementaire.
Elle a conclu que ces élections «reflétaient la volonté d’un électorat dont
le potentiel démocratique n’avait malheureusement pas été utilisé»
.
189. La commission ad hoc a souligné que l’élection présidentielle,
qui avait davantage le caractère d’un plébiscite, avait reproduit
la plupart des insuffisances constatées pendant les élections à
la Douma de décembre 2007. Malheureusement, aucune des préoccupations
formulées à cette époque n’a été prise en compte.
190. Un autre sujet d’inquiétude concernait la procédure d’enregistrement
des candidats, en raison de sa complexité, sa lourdeur et son manque
d’ouverture, notamment à l’égard des candidats indépendants. La législation
sur le financement des campagnes électorales, les abus de ressources
administratives et l’accès inégal aux médias sont autant de défauts
qui mettent en cause l’équité des élections.
191. Les observateurs de l’Assemblée ont vivement recommandé que
la législation électorale existante soit révisée et modifiée en
étroite coopération avec des experts de la Commission de Venise.
Par ailleurs, ils ont souligné la nécessité de réformes visant à
garantir l’indépendance des médias et, en particulier, la mise en place
d’un système de radiodiffusion publique véritablement indépendant
qui échappe à l’influence et à la mainmise de l’Etat ainsi qu’aux
manipulations d’autres groupes d’intérêts.
192. La commission ad hoc était composée de 30 membres. Elle a
déploré l’absence sur le terrain de ses partenaires traditionnels
dans l’observation des élections, et notamment de l’OSCE/BIDDH,
qui a considéré qu’il était impossible de déployer sa mission d’observateurs
à long terme en raison des contraintes de calendrier que lui imposait
la CEC russe et des restrictions sur le nombre d’observateurs. Il
a donc décidé de ne pas participer. L’Assemblée parlementaire de
l’OSCE et le Conseil nordique ont également décidé de ne pas participer
à l’observation. Le Parlement européen n’avait pas été invité.
193. A la suite de l’élection présidentielle, la Présidence de
l’Union européenne a fait une déclaration déplorant que le processus
électoral n’ait pas permis une véritable compétition. Elle a également
estimé que le fait que les candidats de l’opposition n’aient pu
accéder aux médias sur un pied d’égalité était particulièrement
préoccupant.
194. A la lumière des conclusions susmentionnées, et faute d’un
rapport de suivi complet sur la Russie, la commission de suivi a
systématiquement inclus dans ses rapports d’activité annuels un
appel aux autorités russes les enjoignant de remédier aux défauts
de la législation électorale et de solliciter les conseils juridiques de
la Commission de Venise
.
195. Nous avons conscience qu’en 2009 et 2010, à l’initiative du
Président Medvedev, la Douma d’Etat avait adopté un certain nombre
de lois fédérales portant modification aux procédures électorales
existantes afin de renforcer le pluralisme politique et la représentativité
des élus.
196. En particulier, les cautions électorales exigées pour l’enregistrement
d’associations électorales et de candidats à des fonctions électives
ont été abolies. De plus, certaines dispositions législatives de
la Fédération de Russie ont été amendées pour réduire progressivement
le nombre de signatures d’électeurs requises pour l’enregistrement
des candidats et les listes fédérales de candidats pour l’élection
des députés à la Douma d’Etat, pour exonérer de la collecte de ces
signatures les partis politiques dont les listes sont autorisées
à participer à la répartition des sièges des organes législatifs
(représentatifs) nationaux dans un tiers au moins des sujets (entités
constitutives) de la Fédération de Russie.
197. S’agissant de la question du seuil électoral élevé, les amendements
apportés à la loi fédérale «sur l’élection des députés à la Douma
d’Etat de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie» prévoient l’attribution
de sièges aux listes fédérales de candidats ayant obtenu entre 5
et 7 % du total des voix selon la règle suivante: les partis ayant
recueilli plus de 6 % mais moins de 7 % des voix bénéficient de
deux sièges à la Douma et ceux qui ont obtenu plus de 5 % mais moins
de 6 % des voix, un siège.
198. Par ailleurs, en réponse aux critiques concernant le seuil
trop élevé, la Commission électorale centrale a attiré notre attention
sur l’article 82 de la loi susmentionnée qui stipule que l’attribution
de sièges aux listes ayant obtenu plus de 7 % des voix suppose qu’il
y ait au moins deux listes de candidats dans ce cas et qu’elles aient
réuni ensemble plus de 60 % des suffrages exprimés. Cela signifie
que, théoriquement, un parti ayant obtenu moins de 5 % des voix
peut se voir attribuer des sièges.
199. Au niveau régional, où les élections se déroulent selon un
système de représentation proportionnelle, le seuil électoral est
fixé par la législation régionale et ne peut être supérieur à celui
prévu pour les élections fédérales. Le nombre de listes électorales
déposées pour le parlement local ne peut être inférieur à deux et
les listes habilitées à des sièges doivent avoir obtenu ensemble
au moins 50 % des suffrages exprimés (les législateurs régionaux
peuvent fixer un pourcentage supérieur). Selon les amendements introduits
en 2010, si le seuil électoral fixé par la loi d’une entité constitutive
dépasse 5 %, cette même loi doit prévoir l’attribution d’au moins
un siège aux listes ayant obtenu plus de 5 % des voix.
200. Ces dispositions ont été complétées par un amendement de la
loi fédérale relative aux principes généraux de l’organisation des
instances législatives et exécutives nationales des sujets de la
Fédération de Russie, qui prévoit qu’un député élu sur une liste
de candidats autorisée à prendre part à la répartition des sièges
et qui a obtenu un siège peut constituer à lui seul un groupe. Il
peut également, au même titre que les représentants d’autres groupes,
proposer des candidats aux fonctions électives d’une instance législative, prendre
la parole et participer aux travaux de différentes instances.
201. Les autorités russes ont justifié le seuil élevé en affirmant
qu’il est indispensable pour maintenir la stabilité politique et
prévenir le fractionnement du parlement. Avant l’instauration du
seuil de 7 % en 2003
, le paysage
politique russe était une mosaïque de plus de 150 forces politiques.
Les autorités russes estiment que cet aspect est d’autant plus important
en Russie, où l’influence des avis minoritaires sur la société est
souvent plus importante que le soutien effectif dont ils bénéficient.
Elles font également référence à l’arrêt de la Cour européenne des
droits de l’homme dans l’affaire
Yumak
et Sadak c. Turquie, qui a rejeté la requête déposée par
le plaignant dénonçant un seuil électoral excessivement élevé
.
202. Cependant, la position de l’Assemblée parlementaire (et bien
sûr la nôtre) à cet égard est claire. Elle a été exprimée à maintes
reprises, notamment dans les résolutions adoptées à la suite des
débats sur la situation des droits de l’homme et la démocratie en
Europe
.
Nous étions donc heureux d’apprendre l’adoption par la Douma, en
octobre 2011, d’un amendement à la loi électorale ramenant le seuil
à 5 %. Nous déplorons toutefois que cette modification n’ait pas
encore été en vigueur au moment des élections législatives de décembre
2011, et qu’elle ne doive entrer en vigueur que le 1er janvier
2013. Le représentant du Président Medvedev au parlement, M. Garry
Minkh, a justifié ce «retard» par la nécessité d’élaborer une législation
à l’intention des petits partis
.
203. Plusieurs amendements introduits dans la législation en 2009
et 2010 concernent les élections locales et régionales.
204. Les modifications apportées aux lois fédérales sur les partis
politiques et sur les garanties fondamentales des droits électoraux
et du droit des citoyens de la Fédération de Russie à participer
à des référendums autorisent la participation d’organisations non
gouvernementales aux élections locales. Ces amendements visaient
essentiellement à instaurer de nouvelles formes de participation
des organisations non gouvernementales en leur permettant de désigner
des candidats aux élections municipales en collaboration avec les
partis politiques, et donc d’assurer leur représentation au sein
des collectivités locales et d’autres structures locales de gouvernement.
205. Grâce aux amendements à la loi sur la représentation des électeurs
dans les organes législatifs (représentatifs) de la Fédération de
Russie et à l’exemption de l’obligation de récolter les signatures
d’électeurs pour les partis politiques dont les listes de candidats
ont obtenu des sièges dans les organes législatifs (représentatifs)
nationaux des sujets de la Fédération de Russie, il faut désormais,
quand le seuil électoral dépasse 5 % des suffrages exprimés, que
la législation du sujet concerné de la Fédération de Russie prévoie l’attribution
d’un siège aux listes de candidats ayant obtenu un nombre de voix
inférieur au seuil mais d’au moins 5 % des suffrages exprimés, sans
se voir attribuer de sièges. Un siège doit être attribué à chaque
liste de candidats remplissant ces conditions. Si le seuil électoral
est fixé à 5 % des suffrages exprimés ou moins, cette disposition
n’est pas applicable.
206. Dans les élections à l’organe législatif (représentatif) national
d’un sujet de la Fédération de Russie, ainsi que dans les élections
locales organisées sur le territoire de ce sujet, l’enregistrement
d’une liste de candidats déposée par un parti politique ayant obtenu
des sièges de députés, ou dont la liste de candidats bénéficie du transfert
d’un siège dans cet organe législatif (représentatif) national d’un
sujet de la Fédération de Russie, n’est pas soumis à l’obligation
de récolter des signatures. Les sections régionales d’un tel parti
et ses autres subdivisions sont également dispensées de cette obligation
de collecte des signatures quand elles présentent des candidats
ou des listes de candidats à ces élections.
207. Ces partis politiques bénéficient également d’un temps d’antenne
gratuit sur les radios et les télévisions locales et nationales
lors d’un référendum pertinent.
208. Les amendements à la loi fédérale garantissant le droit constitutionnel
des citoyens de la Fédération de Russie d’élire les organes locaux
et d’y être élus ont ramené de 21 à 18 ans l’âge auquel un citoyen
peut siéger au sein d’un organe représentatif local. Cette majorité
a été fixée à 21 ans le jour de l’élection à l’organe législatif
(représentatif) national d’un sujet de la Fédération de Russie.
209. Les amendements à la loi fédérale sur les garanties fondamentales
des droits électoraux et du droit des citoyens de la Fédération
de Russie à participer à des référendums ont modifié la procédure
de constitution des commissions électorales municipales. L’organe
représentatif d’une région urbaine, d’un district de ville ou d’un
quartier d’une ville fédérale désigne la moitié des membres de la
commission électorale sur la base des propositions soumises par
la commission électorale du sujet de la Fédération de Russie dont
elle dépend. L’organe représentatif d’une commune désigne la moitié
des membres de la commission électorale locale sur la base des propositions
soumises par la commission électorale de la région urbaine ou du
conseil du territoire.
210. Les amendements à la loi fédérale sur les garanties fondamentales
des droits électoraux et du droit des citoyens de la Fédération
de Russie à participer à des référendums fixent à un minimum de
deux ans la durée du mandat des organes nationaux des entités constitutives
de la Fédération de Russie, des organes des collectivités locales
et des élus qui y siègent, ainsi que des organes et des élus prévus
par les constitutions (statuts) des entités constitutives de la
Fédération de Russie et les statuts des instances municipales.
211. En outre, plusieurs amendements législatifs de la même période
tendaient à améliorer le cadre juridique en vue de la campagne électorale.
212. Les amendements aux lois de la Fédération de Russie relatives
aux élections et aux référendums, relatifs à la fourniture de temps
d’antenne et d’espaces dans la presse pour la campagne préélectorale,
ont complété la loi fédérale sur les garanties fondamentales des
droits électoraux et du droit des citoyens de la Fédération de Russie
à participer à des référendums par une disposition autorisant la
législation d’une entité constitutive de la Fédération de Russie
à ne pas accorder de temps d’antenne gratuit ou d’espaces gratuits dans
la presse à une association électorale qui, ayant établi une liste
de candidats en vue d’une élection, a recueilli un nombre de voix
inférieur à celui prévu par le texte concerné et n’a pu prendre
part à la répartition des sièges, ou à un candidat qui n’a pas été
élu et a obtenu un nombre de voix inférieur au pourcentage prévu par
ce même texte. Dans une telle éventualité, le nombre de voix stipulé
par la législation d’une entité constitutive de la Fédération de
Russie ne peut être supérieur à 3 % des suffrages exprimés.
213. Nous saluons cette libéralisation de la loi électorale, car
cette amélioration de la législation est essentielle pour garantir
un processus électoral réellement démocratique et pluraliste.
214. Les modifications législatives ayant déjà été adoptées, nous
sommes déçus que les autorités russes aient choisi de ne pas coopérer
avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de
Venise) dans la préparation des textes, alors qu’elle aurait pu
faire profiter le pays de son expertise. Nous déplorons qu’à aucun
stade l’expertise juridique de la Commission de Venise n’ait été
requise sur les amendements proposés.
215. Les initiatives prises par les autorités vont certes dans
la bonne direction, mais de nouvelles améliorations s’imposent pour
garantir un réel pluralisme du système électoral. Malheureusement,
certaines préoccupations majeures soulevées au cours des missions
d’observation de 2007 et de 2008 n’ont pas été traitées, amenant
aux mêmes constats lors des dernières élections.
216. Les dernières élections législatives à la Douma d’Etat se
sont déroulées le 4 décembre 2011. Elles ont été observées par 40
observateurs à long terme du Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l’homme de l’OSCE (OSCE/BIDDH) ainsi que par 325
observateurs à court terme de l’OSCE/BIDDH, de l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe et de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE
dans le cadre d’une Mission internationale d’observation des élections
(MIOE).
217. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus les observateurs internationaux
ont soulevé, dès leurs conclusions préliminaires, un certain nombre
de très graves préoccupations qui ont ensuite été confirmées dans
le rapport sur l’observation des élections législatives en Fédération
de Russie que la commission ad hoc a présenté à l’Assemblée
, ainsi que dans le rapport final
élaboré par la mission d’observation des élections de l’OSCE/BIDDH
.
218. Malheureusement, toutes les étapes du scrutin ont été entachées
par une série de violations du Code électoral. Le problème a été
amplifié par le fait que les lois qui encadrent les élections législatives
sont à la fois complexes et difficiles à comprendre. Une des deux
principales lois régissant les élections législatives, la loi fédérale
sur les garanties fondamentales des droits électoraux et du droit
des citoyens de la Fédération de Russie à participer à des référendums,
a été amendée 28 fois sur la seule période de 2008 à 2011, et la
loi fédérale sur l’élection des députés à la Douma d’Etat de l’Assemblée
fédérale de la Fédération de Russie a été modifiée 17 fois sur le
même intervalle.
219. Dans le système législatif russe, les amendements ne sont
pas intégrés dans le texte existant mais sont adoptés comme des
lois séparées. Cela rend la législation éminemment complexe et incohérente,
au détriment de la précision et de la clarté, et ouvre la porte
à la confusion et aux interprétations abusives.
220. A diverses reprises, l’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe a appelé les autorités russes à élaborer, en collaboration
avec la Commission de Venise, un code électoral consolidé
.
En tant que corapporteurs, nous avons également soulevé ce point
avec la délégation parlementaire russe à l’Assemblée. C’est ainsi
que le 15 décembre 2011 la commission de suivi a transmis à la Commission
de Venise pour un avis juridique, à notre initiative et avec l’accord
de la délégation russe, les lois électorales et quatre autres lois fédérales
qui suscitent des inquiétudes.
221. Dans son avis
publié en mars 2012, la Commission
de Venise a confirmé qu’il convient d’améliorer la législation relative
aux élections à la Douma d’Etat pour la rendre pleinement conforme
aux normes internationales. Elle a également recommandé une simplification
et une consolidation de ces textes. Elle a mis l’accent sur quelques
préoccupations qui ont également été relevées par les observateurs
des élections et qui avaient, dans une large mesure, alimenté le
manque de confiance généralisé dans le processus électoral.
222. Le manque de neutralité de la Commission électorale centrale
constitue sans doute le problème le plus grave. La CEC compte 15
membres, dont sont cinq nommés par le Président de la Fédération,
cinq par la Douma d’Etat et cinq par le Conseil de la Fédération.
Dès lors, elle est manifestement subordonnée à l’exécutif et au
parti au pouvoir. C’est encore plus vrai pour les 83 commissions
électorales des sujets de la Fédération (SEC), pour les 2 746 commissions
électorales territoriales (TEC) et pour les plus de 95 000 commissions électorales
de circonscription (PEC). La partialité des commissions électorales
de tous les niveaux et sur l’ensemble de la période électorale est
bien documentée. Nous y reviendrons dans les pages suivantes. La Commission
de Venise a recommandé de modifier les procédures de nomination
afin de garantir l’indépendance et l’impartialité effectives des
commissions électorales.
223. La transparence des élections a été affectée par une clause
restrictive ajoutée à la loi par un amendement de 2005: seuls les
candidats inscrits ou les partis dont les listes de candidats participent
au scrutin peuvent désigner des observateurs dans les bureaux de
vote. Les ONG ou les associations ne sont pas autorisées à faire
inscrire des observateurs. C’est la raison pour laquelle les bénévoles
de Golos ont été contraints de mener l’observation des élections
en qualité de journalistes travaillant pour le journal Grazhdanskij golos.
224. La transparence du scrutin le jour du vote a encore été réduite
par les dispositions ambiguës qui permettaient aux présidents des
commissions de refuser des observateurs et même des membres des commissions
électorales en invoquant divers prétextes. La Commission de Venise
a recommandé de modifier les règles applicables aux observateurs
des élections afin de garantir qu’elles ne peuvent pas être interprétées d’une
manière restrictive et pour éviter toute discrimination entre les
observateurs nationaux et internationaux. Elle a aussi insisté sur
le fait que des observateurs nationaux extérieurs aux partis devraient
également être admis et que l’observation des élections devrait
être élargie au processus postélectoral, conformément aux normes
internationales.
225. La période préélectorale a été marquée par une convergence
entre l’Etat et le parti au pouvoir. Il était habituel de voir les
représentants des administrations régionales et locales participer
à la campagne en faveur du parti au pouvoir. Les programmes sociaux
et autres de l’Etat ont largement été exploités à des fins électorales.
L’exemple le plus frappant est une affiche électorale de Russie
Unie qui était pratiquement la copie des affiches de la commission
électorale de la Ville de Moscou. Saisie d’une plainte de Iabloko
et de Russie Juste, la CEC n’a pas conclu à une violation.
226. Parallèlement, des entraves au fonctionnement d’autres partis
par les organes de l’Etat ont été signalées. Ainsi, il y aurait
eu de nombreuses confiscations illégales de matériel de campagne,
ainsi que des pressions exercées sur des entrepreneurs locaux engagés
dans la campagne. La Commission de Venise a recommandé d’envisager
des règles permettant de garantir la séparation effective entre
l’Etat et les partis pour assurer leur efficacité.
227. Les médias n’ont pas respecté la législation en vigueur, autorisant
des méthodes illicites de campagne et attribuant aux candidats de
l’opposition des créneaux horaires défavorables. La Commission de
Venise a recommandé de mettre en place des garanties pour assurer
l’égalité d’accès aux médias.
228. Il faudrait par ailleurs réexaminer les règles de financement
des campagnes électorales et envisager une forme de financement
public.
229. Parmi les autres questions qui, de l’avis de la Commission
de Venise, demandent à être prises en considération, sont citées
les restrictions à l’enregistrement des listes fédérales de candidats,
en particulier s’agissant de la vérification des signatures, le
problème des circonscriptions, les obstacles à l’enregistrement des
partis politiques (voir le prochain chapitre), l’interdiction des
candidatures individuelles, la représentation des femmes et des
minorités, la disposition interdisant les campagnes négatives, et
les règles sur le vote mobile.
230. Un grand nombre d’observateurs affirment que, le jour du scrutin,
l’accès aux bureaux de vote leur a été refusé ou qu’ils ont été
empêchés d’effectuer leur travail d’observation. D’après un rapport
publié par Golos, environ 10 % de ses observateurs étaient concernés.
Par ailleurs, de nombreux observateurs ont été expulsés des bureaux
de vote sans motif.
231. Les principales irrégularités ont été constatées après la
fermeture des bureaux de vote, pendant et après le dépouillement,
avec notamment des incidents de bourrage d’urnes et de falsification
de procès-verbaux. L’ampleur de ces falsifications est particulièrement
alarmante. Lors de la mission postélectorale, les représentants
de Golos ont affirmé avoir constaté le nombre impressionnant de
700 procès-verbaux dûment signés mais présentant des résultats différents
de ceux publiés par la CEC.
232. Le problème serait sans doute moins aigu si les procédures
de plainte et d’appel étaient claires et bien suivies, ce qui n’a
malheureusement pas été le cas. L’ambiguïté des dispositions de
la loi (par exemple la distinction peu claire entre les mots «demande»
et «plainte») et la partialité de certaines commissions (d’après le
rapport publié par Golos, 76 % des plaintes déposées par leurs observateurs
ont été rejetées et, en violation de la loi, 23 % d’entre elles
n’ont même pas été consignées dans le procès-verbal) ont compromis
la transparence de l’ensemble du processus de recours.
233. Aucune information n’est disponible sur le nombre total de
plaintes déposées auprès des commissions électorales pendant la
campagne électorale et après le jour du scrutin. Les déclarations
publiques relatives au nombre de plaintes concernant la période
préélectorale et le jour du scrutin ont été confuses et parfois contradictoires.
La CEC ne semble pas avoir respecté le délai légal de cinq jours
pour traiter l’ensemble des plaintes et leur apporter une réponse
écrite. Elle n’a pas publié toutes les plaintes sur son site internet, contrairement
à ce que demande la loi. L’ensemble du processus de traitement des
plaintes au sein de la CEC manquait de transparence et de responsabilité,
et n’offrait pas aux plaignants un droit à un recours effectif et dans
un délai raisonnable.
234. Dans un rapport publié le 18 janvier 2012, le procureur général
a annoncé avoir examiné 3 000 cas de violations commises durant
la période électorale et qui lui avaient été signalés par la CEC.
Ils incluaient des actes de campagne le jour du scrutin, des exclusions
des listes électorales ainsi que la découverte, par un procureur
régional, d’un procès-verbal détaillant les résultats électoraux
la veille de la tenue des élections. Deux affaires pénales ont été
ouvertes pour falsification et tentative de corruption d’électeurs
et 95 personnes ont été accusées de violations administratives.
Nous considérons que ces chiffres restent très différents de ceux
qui ont été signalés par les observateurs de Golos, de Iabloko et
d’autres partis.
235. La loi prévoit que les tribunaux peuvent également être saisis
de telles plaintes. Toutefois, une application limitative des règles
de recevabilité (ainsi, une plainte pour falsification d’un procès-verbal
ne peut être introduite que par l’un de ses signataires, ce qui
exclut l’intervention d’un intermédiaire comme Golos) a fortement
limité le rôle des tribunaux. Au cours de la mission postélectorale,
nous avons cependant été informés du dépôt de plusieurs centaines
de plaintes portées devant les tribunaux par Iabloko, Juste Cause, le
Parti communiste et Golos après le scrutin.
236. Nous avons également suivi avec un grand intérêt les initiatives
citoyennes en vue de l’observation du scrutin présidentiel.
237. Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’élection présidentielle
s’est tenue le 4 mars 2012. L’Assemblée a envoyé une commission
ad hoc qui a travaillé dans le cadre de la Mission internationale
d’observation des élections qui comprenait également les missions
d’observation des élections de l’OSCE/BIDDH et de l’Assemblée parlementaire
de l’OSCE. Quarante observateurs à long terme ont été déployés dans
le pays.
238. Afin de résoudre certains autres problèmes soulevés par les
observateurs des élections législatives de décembre et d’améliorer
la qualité du processus, le Premier ministre a annoncé l’introduction
de mesures spécifiques le jour du scrutin, dont l’installation de
webcams dans les bureaux de vote et l’utilisation d’urnes transparentes.
239. La législation électorale n’a toutefois pas été modifiée entre
les élections législatives et présidentielle, et les principales
préoccupations n’ont pas toutes été résolues. Elles sont à nouveau
réapparues dans les conclusions des observateurs
.
240. A la lumière des considérations ci-dessus, nous concluons
que la décision par laquelle la CEC a refusé l’inscription de M. Iavlinski
n’a contribué ni à la qualité du processus démocratique ni au pluralisme
politique en Russie. L’exigence des 2 millions de signatures à réunir
dans au moins la moitié des 83 sujets de la Fédération en à peine
vingt jours est déjà assez difficile et ne devrait pas être complétée
par des interprétations restrictives. Comme nous le disions plus
haut, le rejet de la candidature de M. Iavlinski a été motivé par
le fait que 25 % de ses signatures étaient soit des copies, soit
présentées sur des copies de formulaires. Cet argument nous paraît
très discutable, et nous déplorons qu’il ait été invoqué pour limiter
le pluralisme politique.
241. Nous avons déjà évoqué les propositions législatives du Président
Medvedev à la Douma à la suite de sa déclaration devant les deux
chambres du parlement, le 21 décembre 2011. L’une d’elles est le
projet de loi fédérale «portant modification de certains textes
de loi de la Fédération de Russie aux fins de supprimer la nécessité
pour les partis politiques de recueillir les signatures des électeurs
pour les élections des députés à la Douma d’Etat de l’Assemblée
fédérale de la Fédération de Russie, des autorités gouvernementales
des entités constitutives de la Fédération de Russie et des collectivités
locales», qui a été promulguée le 2 mai 2012. Avant son adoption,
seuls les partis politiques représentés à la Douma d’Etat et les
organes législatifs du pouvoir d’Etat à divers échelons étaient
exonérés de l’obligation de collecter les signatures de soutien
des électeurs dans le cadre des élections au niveau correspondant.
La nouvelle loi stipule que tous les partis enregistrés en sont
exemptés, hormis pour les élections présidentielles. Il réduit également
le nombre de signatures requises pour les candidats indépendants.
Pour les candidats à la présidence, le nombre de signatures exigées
a été ramené de 2 millions à 100 000.
242. Bien évidemment, une élection juste et démocratique nécessite
plus qu’une bonne législation. Le processus électoral dans son ensemble
doit être véritablement concurrentiel et donner à tous les acteurs politiques
la possibilité effective d’y prendre part. Cela étant dit, une amélioration
de la législation électorale est essentielle pour garantir un processus
électoral réellement démocratique et pluraliste.
5.2. Pluralisme des
partis
243. Jusqu’au début de l’année 2012,
sept partis étaient enregistrés en Russie. Quatre d’entre eux sont représentés
à la Douma: Russie Unie (le parti au pouvoir, 238 sièges, à comparer
aux 315 sièges dans la Douma précédente), le Parti communiste de
la Fédération de Russie (92 sièges contre 57 sièges auparavant), le
Parti libéral-démocrate de Russie (56 sièges contre 40 auparavant)
et Russie Juste (64 sièges contre 38 auparavant). Les trois autres
partis ne disposent pas d’une représentation parlementaire. Ce sont
les Patriotes de Russie, le Parti démocrate uni russe Iabloko et
le parti Juste Cause.
244. De 2003 à avril 2012, seuls deux partis ont été enregistrés
en Russie, à savoir Russie Juste en 2003, et Juste Cause en 2009.
Dans le même temps, pas moins de huit partis ont vu leur enregistrement
refusé par le ministère de la Justice. Un parti, le Parti républicain
de Russie, a été dissous.
245. Si, dans certains cas, les refus d’enregistrement du ministère
de la Justice n’ont pas soulevé d’inquiétudes de la part de la société
civile et des défenseurs des droits de l’homme, parce qu’ils étaient conformes
aux pratiques de tout Etat démocratique et respectaient les normes
démocratiques, certains autres ont suscité de vives controverses
et ont fait l’objet de critiques de la société civile et de la communauté internationale.
246. Ce fut notamment le cas du Parti de la liberté du peuple (PARNAS),
un mouvement d’opposition coprésidé par M. Boris Nemtsov, ancien
Vice-Premier ministre, M. Mikhail Kasyanov, ancien Premier ministre, M. Vladimir
Ryzhkov, ancien parlementaire de la Douma, et M. Vladimir Milov,
ancien vice-ministre de l’Energie. Le parti est très critique à
l’égard des politiques menées par le gouvernement. Son programme
inclut le retour à un mandat présidentiel de quatre ans, la révision
du procès de l’ancien dirigeant de Ioukos, Mikhail Khodorovski,
et la révision des règles d’enregistrement des partis. Selon ses
fondateurs, le parti est représenté par des antennes régionales
dans 53 des 83 régions de Russie et compte plus de 46 000 membres, satisfaisant
ainsi aux exigences juridiques minimales pour être enregistré comme
parti politique. Il a tenu son congrès fondateur le 13 décembre
2010 et déposé sa demande d’enregistrement le 23 mai 2011. Le ministère de
la Justice a fait part de son refus le 22 juin 2011. Cette décision
était d’autant plus préoccupante qu’elle est intervenue à l’approche
des élections législatives, et a empêché le parti de se présenter
à ce scrutin.
247. Au cours de notre visite à Moscou, en juillet 2011, nous avons
rencontré le vice-ministre de la Justice, M. Lubimov, ainsi que
les directeurs des services directement impliqués dans la procédure
d’enregistrement. Selon les explications qui nous ont été fournies
par les responsables, ils auraient appliqué à la lettre la loi sur les
partis politiques, certaines des dispositions des statuts du Parti
de la liberté du peuple n’étant pas conformes à la législation en
vigueur. En particulier, la charte du parti ne prévoyait pas de
système de rotation de ses dirigeants. Par ailleurs, des vérifications
aléatoires ont prouvé qu’un certain nombre de membres du parti ne
satisfaisaient pas aux exigences (ils n’avaient par exemple pas
d’adresse permanente), et que d’autres étaient en réalité décédés.
248. Pour sa part, M. Nemtsov a affirmé que l’effectif de son parti
dépassait largement le seuil des 40 000 adhérents (la liste comptait
45 000 noms dont seuls 72 étaient invalides). De plus, selon M. Nemtsov,
la charte stipule clairement que, lors des congrès organisés régulièrement
par le parti, un vote serait entrepris pour désigner les dirigeants.
Toujours d’après lui, les statuts de son parti ont été «copiés»
sur ceux de Russie Unie (le parti au pouvoir), une allégation toutefois
réfutée par le ministère.
249. Cette décision regrettable a été prise peu de temps après
l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 12 avril
2011
, qui
a critiqué la loi fédérale sur les partis politiques et qualifié
d’injustifiée la dissolution du Parti républicain de Russie en 2007.
Cette affaire concernait la plainte formulée par le parti à propos
de l’ingérence des autorités dans son fonctionnement interne et
sa dissolution en 2007 sur décision de justice. La Cour européenne
des droits de l’homme a conclu à une violation de l’article 11 (liberté
de réunion et d’association) de la Convention européenne des droits
de l’homme pour ce qui est du refus des autorités de modifier les
informations relatives au Parti républicain dans le registre national
et de sa dissolution ultérieure.
250. Nous étions tous deux d’avis que la loi fédérale sur les partis
politiques devrait manifestement être révisée. Malheureusement,
l’arrêt rendu en avril par la Cour ne le demande pas explicitement.
Il ne s’agit pas d’un arrêt pilote et son dispositif n’exige pas
une modification de la loi. C’est pourquoi la commission de suivi, réunie
le 15 décembre 2011, a demandé, à notre initiative et en accord
avec la délégation russe, que la Commission de Venise procède à
une expertise juridique de cette loi.
251. Dans son avis
publié en mars 2012, La Commission
de Venise a relevé de graves lacunes dans la loi alors en vigueur.
D’après la Commission de Venise, cette loi rendait très difficile
l’existence même des partis politiques et n’était pas conforme aux
normes européennes, et en particulier aux articles 10 et 11 de la Convention
européenne des droits de l’homme.
252. Les principaux problèmes identifiés par la Commission de Venise
concernent la procédure d’enregistrement des partis politiques et
le contrôle des affaires internes des partis politiques par les
autorités de l’Etat. La Commission de Venise a recommandé que le
nombre d’adhérents exigé soit considérablement abaissé, que les
conditions de représentation régionale soient assouplies, voire
abolies, et que le contrôle intrusif exercé pendant la phase initiale
d’enregistrement soit atténué. De plus, les partis devraient être
en mesure de contrôler leurs propres procédures internes et, le
cas échéant, de saisir les tribunaux. L’ensemble des pouvoirs de
supervision et de contrôle des partis politiques devrait être attribué
à une autorité indépendante ne relevant pas du pouvoir exécutif,
de façon à assurer la transparence et à favoriser la confiance dans
les institutions.
253. Le parti Juste Cause, créé en 2009 par la fusion de l’Union
des forces de droite, du parti de la Force civile et du Parti démocrate
de Russie, est le seul à avoir obtenu son enregistrement avant les
élections de décembre 2011. Certains pensent que le Kremlin aurait
autorisé sa formation parce qu’il cherchait un parti loyal susceptible
de rassembler les électeurs libéraux. Son fondateur, M. Leonid Gozman,
qualifie son parti de «compromis politique avec les autorités»
.
254. Dans la pratique, les difficultés rencontrées par les partis
politiques pour leur enregistrement en vue d’élections ont restreint
la concurrence politique en Russie, ont réduit les choix disponibles
pour l’électorat et ont réellement fait obstacle au pluralisme politique
dans le pays.
255. Une fois encore, nous reconnaissons qu’en 2009 et 2010 les
autorités ont pris certaines mesures pour renforcer la pluralité
du système. Nous avons déjà évoqué dans le chapitre précédent un
certain nombre de lois visant à faciliter l’accès des partis aux
élections législatives.
256. Ces mesures ont été enrichies par d’autres textes de loi,
dont des amendements à la loi sur les partis politiques prévoyant
une réduction progressive du nombre minimal de membres requis pour
la création et les activités d’un parti politique. Une des lois
proposées par le Président de la Fédération de Russie et adoptées par
la Douma permet à un représentant des partis sans siège à la Douma
de participer, au moins une fois par an, dans un débat parlementaire
(cette disposition s’applique également aux assemblées régionales).
Un autre texte adopté au cours de cette période, la loi fédérale
relative à l’égalité de traitement des partis représentés au parlement
dans les reportages consacrés à leurs activités par les émissions
des télévisions et radios publiques nationales, garantit l’égalité
de traitement des partis politiques dans les reportages consacrés
à leurs activités et définit les obligations imposées aux programmes
(émissions) des télévisions et radios russes nationales et régionales
lorsqu’elles rendent compte des activités des partis politiques.
257. A la suite des critiques exprimées au lendemain des élections
législatives de décembre 2011, le président de l’époque a proposé
des amendements à la loi fédérale sur les partis politiques. Ils
sont entrés en vigueur le 4 avril 2012. La loi révisée ramène de
40 000 à 500 le nombre de membres que doit réunir un parti politique
avant de pouvoir être enregistré. De plus, elle ne formule aucune
exigence quant au nombre de membres qui doivent provenir d’entités
régionales. La loi prévoit une suspension de trois mois de la procédure d’enregistrement
en cas de non-conformité de la demande avec les exigences de la
procédure; la procédure reprend à l’issue des trois mois.
258. Après les amendements à cette loi, le ministère de la Justice
a relevé, au 1er juin 2012, la création de 172 comités d’organisation
et a reçu neufs demandes d’enregistrement. En outre, cinq organisations
ont signifié au ministère leur intention de se faire enregistrer
comme des partis politiques.
259. Dans le cadre de l’exécution de l’arrêt de la Cour, le ministère
à revalidé l’enregistrement du Parti républicain de Russie.
260. Nous avons déjà évoqué dans le chapitre précédent la loi supprimant
la nécessité, pour les partis politiques, de recueillir des signatures
d’électeurs en vue des élections législatives.
261. Nous saluons ces progrès qui nous paraissent extrêmement importants
pour la situation de la démocratie en Russie. Nous déplorons toutefois
que ces amendements n’aient pas fait l’objet de consultations avec
la Commission de Venise et n’aient pas répondu à toutes les préoccupations
formulées par cette dernière, notamment du point de vue du degré
de contrôle bureaucratique sur la création et le fonctionnement des
partis politiques.
262. Dès lors que l’on s’intéresse à la démocratie représentative,
à son bon fonctionnement et à l’efficacité du processus démocratique,
la question de la place laissée à l’opposition est incontournable.
Le pluralisme politique est une pierre angulaire de la démocratie
et d’une société moderne, et une source de légitimité politique.
263. Jusqu’aux dernières élections législatives, le parti au pouvoir
disposait d’une majorité constitutionnelle à la Douma d’Etat et,
en outre, les partis de l’opposition parlementaire – à l’exception
du Parti communiste – ont rarement remis en cause les politiques
du gouvernement. Cette situation a certainement affaibli le contrôle du
parlement sur l’exécutif.
264. Le fait qu’une grande partie de l’opposition russe ne soit
toujours pas représentée à la Douma et ne participe pas au dialogue
politique est une source de préoccupation. Une telle situation ne
saurait être bénéfique pour le système démocratique dans son ensemble.
265. Nous saluons le fait que les autorités se déclarent ouvertes
aux réformes, mais tenons à souligner que, pour faire des progrès
réels dans ce domaine, il faudrait une amélioration considérable
de l’environnement politique de sorte que les forces de l’opposition
soient de réels adversaires dans la course électorale et qu’un système
multipartite digne de ce nom s’instaure.
5.3. Séparation des
pouvoirs, système de contre-pouvoirs
266. Depuis l’adoption par la Douma,
en 2004, des amendements aux lois fédérales «relative aux principes généraux
de l’organisation des instances législatives et exécutives nationales
des sujets de la Fédération de Russie» et «sur les garanties fondamentales
des droits électoraux et du droit des citoyens de la Fédération
de Russie à participer à des référendums», la composition de la
chambre haute du parlement est, dans une certaine mesure, déterminée
par le Président de la Fédération.
267. La chambre haute du Parlement russe – le Conseil de la Fédération
– est composée de deux représentants de chaque sujet de la Fédération
de Russie, issus respectivement des instances législatives et exécutives.
Sa tâche principale est de contrôler l’action des autorités fédérales
et notamment du président.
268. Alors qu’avant 2004 le Conseil de la Fédération était constitué
pour moitié de gouverneurs élus au suffrage universel direct, depuis
l’adoption des amendements mentionnés précédemment, depuis, le Président de
la Fédération de Russie soumet une candidature au parlement régional,
qui ne peut opposer son refus que par deux fois. Dans une telle
éventualité, le président a le droit de dissoudre le parlement régional
et de nommer un chef intérimaire de l’exécutif régional (il peut
aussi soumettre cette candidature une troisième fois).
269. Par ailleurs, le président peut révoquer des gouverneurs avant
la fin de leur mandat pour divers motifs, tels que la «perte de
confiance du président» ou les «manquements dans l’exercice de leurs
fonctions». Bien évidemment, ces dispositions restreignent considérablement
l’indépendance des gouverneurs et, par voie de conséquence, celle
de la chambre haute du parlement.
270. La Commission de Venise a exprimé ses vives préoccupations
à propos de la loi en vertu de laquelle la moitié des membres de
l’organe législatif sont nommés et peuvent être révoqués par le
président lui-même. Dans son avis
, la Commission
de Venise a conclu que l’adoption de la loi nécessite une réforme
de la composition du Conseil de la Fédération afin de préserver
le principe de la séparation des pouvoirs.
271. Sur l’ensemble de la période couverte par le présent rapport,
la chambre basse du Parlement russe, la Douma, a été dominée par
Russie Unie, le parti favorable au président qui bénéficiait d’une
majorité constitutionnelle des deux tiers jusqu’aux récentes élections.
De plus, deux des trois autres partis (Russie Juste et le Parti
libéral-démocrate) soutiennent régulièrement Russie Unie lors des
votes. Cette situation n’a pas beaucoup évolué depuis les élections
de décembre, même si Russie Unie ne dispose plus actuellement que
de la majorité simple.
272. Compte tenu des graves préoccupations formulées quant à l’équité
des élections législatives successives, cette situation ne peut
que soulever des inquiétudes.
273. Comme nous l’avons indiqué plus haut, le 16 janvier 2012,
le Président Medvedev a présenté à la Douma d’Etat un projet de
loi fédérale «sur les grands principes d’organisation des organes
législatifs (représentatifs) et exécutifs des sujets de la Fédération
de Russie» rétablissant l’élection directe des gouverneurs, au lieu
d’une nomination par le président, ce que nous saluons. Cette loi
est entrée en vigueur le 1er juin 2012.
274. Nous réitérons toutefois nos préoccupations relatives à la
conformité de cette loi avec les normes démocratiques, notamment
sur la question d’un éventuel contrôle présidentiel sur la liste
des candidats se présentant aux élections. D’après la loi, les candidats
sont soit proposés par les partis politiques, soit indépendants.
Le Président de la Fédération peut, à sa propre initiative, engager
des consultations avec les partis politiques et avec les candidats
indépendants. Les nominations doivent être soutenues par 5 % à 10 % des
élus des organes représentatifs des circonscriptions locales pour
que le nom des candidats puisse être inscrit sur les listes électorales.
275. L’indépendance de l’appareil judiciaire est abordée dans un
des chapitres suivants.
5.4. Pluralisme des
médias
276. La liberté des médias reste
un sujet de grave préoccupation en Russie. Elle est fortement compromise par
le contrôle de l’Etat sur les médias radiodiffusés, la faible diversité
des organes de presse, l’usage arbitraire de la loi contre l’extrémisme
et, par-dessus tout, l’impunité des actes de violence à l’encontre
de journalistes. L’organisation internationale de défense de la
liberté de la presse, Reporters sans frontières, a classé la Russie au
140e rang sur 178 pays dans son index
de la liberté de la presse 2010
, derrière des pays tels que l’Ethiopie
ou le Qatar.
277. Les médias radiodiffusés manquent manifestement de diversité.
Depuis l’an 2000, le gouvernement a établi son contrôle sur l’ensemble
des médias nationaux en centralisant, fermant ou nationalisant les
chaînes télévisées et les stations de radio indépendantes
. Il
conserve aussi le contrôle des plus grandes stations de radio, Radio
Mayak et Radio Rossyi, ainsi que des agences de presse ITAR-TASS
et RIA Novosti. Seules deux stations de radio, Ekho Moskvy et Radio
Svoboda, ont réussi à préserver leur indépendance.
278. Dans le rapport de 2005 sur la Russie, et dans l’intention
de parvenir à la mise en place d’une plate-forme indépendante pour
tout le spectre des opinions politiques, nos prédécesseurs ont appelé
à créer une véritable chaîne nationale de télévision publique placée
sous la responsabilité d’un radiodiffuseur public indépendant, dans
le strict respect des normes pertinentes du Conseil de l’Europe
.
Nous estimons que cette recommandation n’a pas été suivie d’effet,
car l’on ne saurait qualifier la télévision Channel One, qui est
la propriété de l’Etat, de conforme à ces normes.
279. De même, nos prédécesseurs ont demandé la création d’un organe
indépendant de régulation pour le secteur public de radiodiffusion,
conformément aux normes du Conseil de l’Europe
.
Un conseil de la radiodiffusion a en effet vu le jour en 2008, mais
sa composition et les méthodes de nomination et d’exclusion de ses
membres, qui dépendent fortement de l’exécutif, ne permettent pas
de garantir son indépendance.
280. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la
commission de suivi de l’Assemblée, les autorités russes nous ont
indiqué que le 12 avril 2012, le Président Poutine a promulgué un
décret «sur la télévision publique en Fédération de Russie» par
lequel la création d’une nouvelle chaîne publique est décidée. Le
décret prévoit également la création d’un Conseil de la télévision
publique chargé de la surveillance de la chaîne publique. Les membres
de ce conseil ne peuvent être des membres du Conseil de la Fédération,
de la Douma d’Etat ou de la Chambre publique, des fonctionnaires
des divers niveaux du gouvernement ou des agents des services municipaux.
Ils seront proposés par la Chambre publique (voir le paragraphe
301) et nommés par le président. Nous pensons qu’il s’agit d’une
évolution positive qui devrait favoriser la liberté d’expression
en Russie, et nous y serons très attentifs.
281. S’agissant de la presse, un petit nombre de journaux nationaux,
à l’instar de Novaya Gazeta, ont réussi à conserver leur indépendance
éditoriale et expriment des points de vue divergents, assurant ainsi
un minimum de pluralisme. Cependant, la pression sur les médias
indépendants reste considérable. Certains rapports font état de
l’usage sélectif de réglementations bureaucratiques, de pratiques
d’intimidation et de harcèlement et, parfois, de l’ouverture d’enquêtes
pénales motivées par des considérations politiques contre des journalistes
critiques à l’égard du pouvoir.
282. Au niveau local, la situation est plus contrastée. Dans certaines
régions russes, comme celle de Perm, les médias sont relativement
libres mais, dans d’autres, le contrôle du pouvoir politique ou
de potentats locaux, notamment liés aux grands groupes énergétiques
et industriels, est total. Les interdictions d’imprimer ou de distribuer
les journaux de la presse indépendante sont une pratique commune
.
283. Les publications électroniques connaissent également une croissance
dynamique;
Izvestia a récemment
rapporté que l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC)
contrôlera les réseaux sociaux afin de prévenir les manifestations
de masse telles que celles qui se sont déroulées récemment en Tunisie
et en Egypte
.
284. Le procureur général russe Youri Chaika a souligné l’importance
d’un contrôle des services de réseaux sociaux, affirmant qu’il est
«justifié par la protection des intérêts des citoyens, mais également
par la prévention de la montée de la criminalité»
.
Cette déclaration permet de supposer que M. Chaika n’a pas connaissance de
la Convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe (STE
no 185).
285. Les projets d’amendements à la loi «sur la protection des
enfants contre les dangers de l’information pour leur santé et leur
développement» qui sont actuellement examinés par la Douma inquiètent
la société civile. Le projet de loi révisée publié sur le site internet
de la Douma prévoit la mise en place d’une liste noire de sites
internet contenant des informations dont la diffusion est interdite.
Ses auteurs affirment qu’elle vise à bloquer les sites présentant
des contenus pornographiques, des informations relatives à la toxicomanie
ou à l’automutilation. Les critiques craignent toutefois une interprétation
abusive et la mise en place d’une censure qui aboutirait au filtrage
des contenus en ligne, y compris des moteurs de recherche internationaux,
comme le pratique la Chine. En signe de protestation, Wikipedia
a fermé son portail en langue russe pendant vingt-quatre heures.
286. Compte tenu de l’influence grandissante d’internet en tant
que principale source d’information (plus de 40 % des citoyens russes
utilisent Runnet), la question de la liberté d’expression en ligne
a considérablement gagné en pertinence. Internet est devenu une
plate-forme de mobilisation politique et sociale.
287. Le filtrage et la surveillance en ligne, ainsi que les attaques
contre les sites web de l’opposition, sont déjà malheureusement
des pratiques courantes, comme l’illustrent bien les problèmes rencontrés
par Golos en décembre 2011.
288. Le blocage de sites web est une pratique largement employée
par les autorités, principalement au plan régional, pour contrôler
les contenus diffusés sur internet. En juillet 2010, un tribunal
de la République d’Ingouchie a demandé à un fournisseur local d’accès
internet de bloquer l’accès à LiveJournal; en août 2010, un fournisseur
de Toula a temporairement bloqué l’accès au portail indépendant
Tulskie Pryaniki. Un fournisseur de la ville de Khimki a bloqué
l’accès des usagers à Ecmo.ru car ce site hébergeait une pétition appelant
le maire de cette ville, Vladimir Strelchenko, à démissionner. Il
existe d’autres exemples de cette méthode.
289. Les cyberattaques se multiplient également, notamment à l’encontre
de plates-formes de blog comme LiveJournal et des sites web des
quotidiens indépendants comme Novaya
Gazeta. Le blocage de sites ou les attaques contre les
blogueurs sont de plus en plus fréquents, ce qui a amené Reporters
sans frontières à placer la Russie «sous surveillance» dans la liste
des «ennemis d’internet» publiée le 12 mars 2011.
290. Tout comme nos prédécesseurs dans le rapport de 2005 sur la
Russie, nous ne pouvons que conclure à la garantie insuffisante
du pluralisme et de l’indépendance des médias en Fédération de Russie
et que cette situation a des conséquences manifestes sur le fonctionnement
de la démocratie dans le pays. Nous espérons toutefois que la création
d’une nouvelle chaîne de télévision publique et d’un Conseil de
la télévision publique contribuera à l’amélioration de la situation,
et nous y serons attentifs.
291. Nous reviendrons sur la question de la liberté d’expression
et de la situation des journalistes en Russie dans le chapitre sur
les droits de l’homme et les libertés fondamentales.
5.5. Société civile
292. Une société civile mûre, active
et bien organisée constitue un rouage important pour le fonctionnement d’un
système démocratique et pour le dynamisme de la démocratie en général.
Elle joue un rôle essentiel dans le système des contre-pouvoirs
démocratiques.
293. Les événements qui se sont produits au lendemain des récentes
élections démontrent qu’il existe une société civile forte en Russie,
ce qui permet d’envisager avec un grand optimisme l’avenir de la
démocratie dans ce pays.
294. La loi de la Fédération de Russie sur les organisations non
gouvernementales, qui est entrée en vigueur en avril 2006, contient
plusieurs dispositions controversées qui ont été critiquées par
la société civile dans le pays et à l’étranger. Les dispositions
de cette loi imposent notamment aux ONG de soumettre un rapport annuel
sur leurs activités et sur leurs sources de financement. A défaut
ou en cas de non-respect des exigences et conditions strictes définies
dans cette loi, les ONG courent le risque d’être dissoutes par décision d’un
tribunal.
295. La Russie compte plus de 200 000 ONG. Lors de nos missions
dans ce pays, nous avons eu l’occasion de rencontrer des représentants
de nombreuses organisations non gouvernementales nationales et internationales,
et avons été impressionnés par leur engagement et leur contribution
à la démocratie. Certaines ONG ont joué un rôle majeur dans la récente
mobilisation de la société russe en réunissant des preuves de dysfonctionnements
et de carences du système politique russe, en dénonçant les violations
des droits de l’homme et en proposant des conseils juridiques aux
victimes. Golos, une organisation spécialisée dans l’observation
d’élections, a considérablement contribué à divulguer les irrégularités
du processus électoral. La Ligue des citoyens, qui vient de voir
le jour pour l’observation du scrutin présidentiel, illustre bien le
rôle que la société civile peut jouer en faveur de la démocratisation
du système.
296. Dans ce contexte, nous sommes vivement préoccupés par les
efforts des autorités visant à discréditer quelques-unes des ONG
nationales et internationales les plus respectées en les accusant
publiquement, de manière infondée, d’obéir aux instructions de l’étranger,
de servir des intérêts étrangers et d’accepter des fonds provenant
de l’étranger.
297. Les amendements à la loi russe sur les ONG, proposés par Russie
Unie, sont particulièrement préoccupants. Au moment de la rédaction
du présent rapport, ils avaient déjà été adoptés par la Douma et attendaient
leur adoption par le Conseil de la Fédération prévue à l’automne.
Le projet de loi contraindrait les organisations non gouvernementales
recevant des fonds de l’étranger et participant à une «activité
politique» (une expression à la définition vague et sujette à interprétation)
de se faire enregistrer en qualité d’«agents extérieurs», et les
soumettrait à de lourdes obligations bureaucratiques de rapports.
Les termes «agents extérieur» ont une connotation négative en russe
et l’enregistrement proposé stigmatiserait la majorité des ONG de
défense des droits de l’homme qui bénéficient de subventions provenant
de l’étranger.
298. Ce projet a suscité de vives réactions de la part de nombreuses
ONG ainsi que de la communauté internationale. La Haute représentante
de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, Mme Catherine Ashton,
s’est déclarée préoccupée par ces amendements qui, de son point
de vue, risquent de limiter l’espace disponible pour une société
civile dynamique dans le pays
. Le projet de texte
a également été critiqué par M. Mikhail Fedotov, le président du
Conseil présidentiel sur le développement de la société civile et
les droits de l’homme.
299. Les pressions injustifiées et les intimidations sont également
monnaie courante. Lors d’une conférence de presse le 31 janvier
2012, les dirigeants de Golos ont évoqué des intimidations ouvertes,
des tentatives pour expulser l’organisation de ses locaux, des cas
d’écoutes téléphoniques et d’effraction dans ses boîtes aux lettres
à l’approche de l’élection présidentielle
.
300. La question plus générale du harcèlement, des agressions et
des meurtres de défenseurs des droits de l’homme, y compris l’assassinat
de la célèbre militante Natalia Estemirova, ainsi que le climat
d’impunité qui règne autour de ces faits seront traités dans le
chapitre sur la situation en matière de droits de l’homme. Nous tenons
simplement à exprimer ici notre vive inquiétude face à la liste
dramatiquement longue des meurtres. Dans la majeure partie des cas,
leurs auteurs n’ont pas été identifiés. Cette situation est inadmissible
et doit changer.
301. En 2005, une loi adoptée par la Douma a conduit à l’établissement
d’une Chambre publique – un organe consultatif composé de représentants
d’ONG. Certains de ces représentants sont nommés par le Président
de la Fédération, et cooptent, à leur tour, d’autres représentants
d’ONG. Cette chambre a pour mission «d’examiner les décisions clés
du gouvernement et surtout les projets de loi relatifs aux perspectives
de développement revêtant une importance pour l’ensemble du pays»
. La Chambre publique est financée
par le budget fédéral.
302. Au cours de nos visites, nous avons rencontré le président
et les membres de la Chambre publique, mais nous avons encore du
mal à comprendre la logique sous-jacente à la création de cet organe,
dont les travaux – à notre avis – font double emploi avec ceux d’un
parlement élu.
303. Certaines ONG ont critiqué la création de la Chambre publique,
affirmant qu’elle s’apparente à un instrument destiné à modeler
et à apprivoiser la société civile.
5.6. Démocratie locale
et régionale
304. Lors de son adhésion, la Fédération
de Russie s’est engagée à signer et ratifier la Charte européenne de
l’autonomie locale (STE no 122), ce qu’elle
fit en 1998.
305. Dans sa dernière recommandation sur la démocratie locale et
régionale en Fédération de Russie
, adoptée en 2010, le Congrès des
pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, qui contrôle
la mise en œuvre de la Charte européenne de l’autonomie locale,
a reconnu les progrès réalisés par le Gouvernement russe en matière
de réforme législative de la démocratie locale et régionale et les
avancées enregistrées, en coopération avec les associations de pouvoirs
locaux, dans la mise en œuvre de la législation sur l’autonomie locale
et des nouvelles structures qui en découlent, dans la modernisation
des pouvoirs locaux et régionaux en Fédération de Russie, ainsi
que dans la formation des administrateurs et des élus locaux à l’exercice
de leurs nouvelles fonctions.
306. Dans le même temps, le Congrès a cependant souligné plusieurs
sujets de préoccupation. Il s’agit, entre autres, des amendements
concernant la révocation des maires, qui peuvent avoir pour conséquence d’empêcher
ces derniers d’exercer leur mandat électif sans ingérence ou pression
politique des conseils municipaux.
307. La question de la nomination des gouverneurs, une pratique
qui était en vigueur avant l’adoption d’une proposition de loi déposée
par le Président Medvedev fin décembre 2011, constituait également
un grave sujet de préoccupation pour le Congrès comme pour l’Assemblée
parlementaire. Le Président du Congrès a salué la réforme proposée
par le Président Medvedev dans une déclaration publiée le 18 janvier
2012.
308. Le manque de garanties juridiques permettant d’éviter que
les pouvoirs locaux soient soumis à un niveau excessif de contrôle
par des autorités supérieures (régionales) ainsi que les interventions
de plus en plus fréquentes dans les affaires relevant de l’autonomie
locale par les autorités de niveau supérieur (régionales) sont incompatibles
avec la disposition de la charte relative au principe de subsidiarité.
309. Cette situation est encore aggravée par les compétences peu
claires des pouvoirs locaux et l’important écart entre leurs compétences
et leurs ressources. Par ailleurs, à la suite de l’introduction
récente d’une nouvelle loi, la portée des compétences partagées
a été élargie, donnant lieu à un transfert forcé de compétences
des niveaux supérieurs avec les ressources financières qui les accompagnent.
310. En juin 2011, à la suite de l’Instruction présidentielle «sur
la préparation de suggestions sur la répartition des pouvoirs entre
les autorités exécutives fédérales, les autorités exécutives des
entités de la Fédération de Russie et les collectivités locales»,
un groupe de travail a été créé et chargé d’élaborer les propositions législatives
correspondantes. Le gouvernement prépare actuellement des projets
de lois et mène des consultations avec toutes les parties prenantes.
Nous espérons que le projet définitif tiendra compte de toutes les
recommandations du Congrès.
311. Non seulement les autorités locales disposent de fonds nettement
insuffisants pour s’acquitter des missions que leur confient des
lois spécifiques, mais elles ne sont pas libres de définir les priorités
de leurs dépenses, de faire des choix politiques et de fixer le
montant des taxes et des charges locales, ce qui les rend encore
plus vulnérables face aux pressions politiques.
312. D’après les informations communiquées par les autorités russes,
le président entrant a chargé le gouvernement de lui soumettre,
avant la fin de l’année 2012, des propositions législatives visant
à augmenter les moyens financiers des collectivités locales et à
garantir la stabilité des budgets régionaux. Ainsi, l’une des mesures
envisagées serait de réexaminer les régimes de cotisations sociales
afin d’affecter prioritairement les recettes aux budgets locaux.
313. L’obligation de consulter les pouvoirs locaux sur toutes les
questions qui les concernent directement n’est pas toujours respectée,
en violation de la Charte européenne de l’autonomie locale (par
exemple à Toula où le parlement régional a adopté une loi modifiant
l’organisation des élections municipales pour les villes de plus
de 400 000 habitants pour passer d’un système majoritaire à un système
proportionnel, sans consulter le conseil municipal de Toula).
314. La corruption est l’un des défis majeurs auxquels est confrontée
la démocratie locale en Russie. En dépit des lois de lutte contre
la corruption, s’agissant notamment des conflits d’intérêts, la
législation serait habituellement contournée. Nous reviendrons sur
cette question dans le chapitre sur l’Etat de droit.
6. Etat de droit
6.1. Pouvoir judiciaire
315. La Fédération de Russie a accompli
des progrès considérables dans la mise en œuvre des recommandations
du Conseil de l’Europe concernant la modernisation de son système
judiciaire, en termes de travail législatif. Des réformes importantes
ont été réalisées dans le domaine du droit en Russie depuis les années 1990.
Cependant, des problèmes de taille subsistent.
316. Le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire et le manque
de confiance du public, qui en résulte, constituent les principaux
problèmes du système judiciaire russe
. Ils sont profondément enracinés
dans la culture juridique et politique, car les juges de l’époque
soviétique étaient souvent considérés non pas comme des arbitres,
mais plutôt comme des défenseurs des intérêts de l’Etat. Ces problèmes
ne sont manifestement pas faciles à résoudre
.
L’une des mesures visant à améliorer l’image de l’appareil judiciaire
est l’adoption, en 2008, de la loi «sur l’accès aux informations
relatives aux activités des tribunaux en Fédération de Russie» ainsi
que la publication, sur le site internet de la Cour suprême, d’informations
sur l’état d’avancement des procédures judiciaires.
317. Le cadre législatif et administratif, qui ne protège pas les
juges contre l’influence indue de l’Etat ou d’intérêts privés, contribue
clairement au faible degré d’indépendance du pouvoir judiciaire.
Le fonctionnement du pouvoir judiciaire induit des pressions sur
les juges à travers un système complexe qui n’est pas toujours manifeste
ou visible et qui met en œuvre non seulement des pressions externes,
mais aussi des mécanismes internes et la bureaucratie.
318. Ces mécanismes internes sont devenus plus importants à la
suite de l’action des autorités visant à renforcer les pouvoirs
de l’exécutif, appelée en Russie «renforcement du pouvoir vertical».
Les ingérences politiques se sont intensifiées dans le contexte
des lois entrées en vigueur après le «siège» de Beslan, prétendument
à des fins de «lutte contre le terrorisme». L’exécutif exerce un
pouvoir considérable à travers le Haut collège de qualification
et
les collèges de qualification judiciaire
, qui
sont censés constituer un organe d’autogouvernance du système judiciaire
chargé de nommer, promouvoir et révoquer les juges.
319. Les procédures de sélection et de nomination ne sont pas transparentes,
et le défaut de réglementation ou de procédures et normes claires
établies par les collèges crée un risque d’abus.
320. Le droit des présidents de tribunal de s’opposer à un candidat
(ou plusieurs) proposé(s) par le Haut collège de qualification confère
à ceux-ci un pouvoir étendu et une compétence difficilement justifiables sachant
que les collèges sont censés examiner rigoureusement chaque candidature,
évaluer les examens et faire passer des entretiens
.
321. Enfin, le caractère incontestable du refus de nomination,
autrement dit l’absence de recours et le défaut d’obligation de
motivation, mis en place en 2001 par le Président de la Fédération
de Russie, a beaucoup affaibli la procédure de sélection. En outre,
il n’existe pas de normes claires pour la procédure au niveau du bureau
chargé, au sein de l’administration présidentielle, d’approuver
les candidatures. Par exemple, aucun délai n’est fixé pour la nomination.
Il convient de souligner qu’un pourcentage élevé de candidatures recommandées
n’est pas avalisé par l’administration présidentielle
.
Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la commission
de suivi de l’Assemblée, les autorités russes ont fait observer
que l’expression «un pourcentage élevé» est inexacte, étant donné
que le Président de la Fédération a rejeté à peine 4 % des candidats
en 2009, 2 % en 2010 et 1 % en 2011. Nous estimons toutefois que
cette ingérence est importante et injustifiée.
322. Ce processus, qui peut empêcher une personne mal vue par l’exécutif
d’intégrer le pouvoir judiciaire, est contraire aux normes du Conseil
de l’Europe
.
323. L’indépendance des juges est vaine sans protection de leur
mandat. Malheureusement, dans le système judiciaire russe, le mandat
des juges n’est souvent pas protégé et les juges peuvent être révoqués
de façon arbitraire. En vertu de la loi relative au statut des juges,
les juges fédéraux sont nommés à vie. Cependant, les juges de paix
(juges des tribunaux des sujets de la Fédération de Russie) sont
nommés pour une période de cinq ans, ce qui est contraire aux normes
internationales.
324. Jusqu’en 2009, tous les juges fédéraux nommés pour la première
fois devaient suivre une période de stage de trois ans, qui était
largement perçue comme un moyen permettant d’éliminer des juges
pour des motifs politiques ou personnels. Ce mécanisme a été critiqué
par le Président Medvedev lors du Congrès des juges en 2008 et ensuite
aboli.
325. La modification apportée à la législation en 2009, bien que
positive, ne comblait qu’une des nombreuses lacunes qui permettent
une révocation ou punition disciplinaire arbitraire ou injuste des
juges. Des motifs vagues de responsabilité disciplinaire se prêtant
à une interprétation large et abusive sont utilisés pour exercer des
pressions sur les juges. En particulier, l’obligation d’éviter «tout
ce qui peut saper l’autorité du pouvoir judiciaire»
peut être – et serait – utilisée pour
justifier des révocations abusives, ce qui met en péril l’indépendance
et l’impartialité du travail des juges.
326. On peut citer, pour illustration, l’affaire de la juge Olga
Kudeshkina, qui a été révoquée après avoir formulé des remarques
critiques à propos de pressions dont elle avait fait l’objet dans
le cadre de l’instruction d’un dossier. Elle a été accusée de «saper
la confiance du public dans l’indépendance et l’impartialité du pouvoir
judiciaire en Russie». La juge Kudeshkina a remporté son procès
devant la Cour européenne des droits de l’homme
, mais n’a jamais été
rétablie dans ses fonctions de juge. La Cour suprême, auprès de laquelle
elle a introduit un recours, a confirmé le refus de réintégration
malgré l’arrêt de la Cour.
327. Lors d’un entretien accordé en 2009 au quotidien espagnol
El Pais, le juge de la Cour constitutionnelle Vladimir
Yaroslavtsev a affirmé que le bureau exécutif du Président de la
Fédération et les services de sécurité avaient sapé l’indépendance
du pouvoir judiciaire en Russie. En octobre 2009, la Cour constitutionnelle
a pris l’initiative sans précédent d’accuser le juge Yaroslavtsev
de «saper l’autorité du pouvoir judiciaire» en violation du Code
judiciaire et l’a contraint à démissionner du Conseil de la magistrature
.
328. Dans un entretien accordé à Sobesednik, le
juge Anatoly Kononov, qui s’est souvent démarqué des décisions prises
par la majorité de la cour, a pris la défense du juge Yaroslavtsev,
déclarant qu’il n’existe pas de pouvoir judiciaire indépendant en
Russie. Le juge Kononov a été contraint de démissionner de la Cour constitutionnelle
le 1er janvier 2010, soit sept ans avant
le terme de son mandat.
329. Les présidents de tribunal peuvent engager une procédure disciplinaire,
ce qui soulève des questions quant à leur impartialité et à l’objectivité
des informations collectées, sachant notamment que les instances disciplinaires
ont tendance à suivre l’avis des présidents de tribunal.
330. En 2010, un nouvel organe dénommé «Présence judiciaire disciplinaire»
a été créé. Il s’agit d’un tribunal fédéral spécialisé à travers
lequel les collèges de qualification peuvent, en deuxième instance,
se prononcer sur les mesures disciplinaires à l’encontre de juges.
Il reste encore à voir dans quelle mesure il s’attaquera aux problèmes
ci-dessus concernant la sécurité du mandat. Les autorités russes
nous ont annoncé que des amendements à la loi «sur le statut des
juges», qui définissent des critères concrets pour les procédures disciplinaires,
sont en préparation.
331. Les autres méthodes inappropriées employées pour exercer une
influence sur les juges sont nombreuses; elles vont de la manipulation
des promotions ou des avantages à l’exercice de pressions directes sur
un juge concernant une affaire spécifique.
332. Les présidents de tribunal ont des pouvoirs trop étendus,
y compris un rôle déterminant dans la nomination des juges, dans
leurs promotions et rémunérations (y compris les avantages matériels)
ainsi qu’en matière d’ouverture d’une procédure disciplinaire contre
des juges. Dans les tribunaux régionaux, les présidents de tribunal
décident du renouvellement du mandat des juges de paix
. Par ailleurs, l’attribution des affaires
par les présidents de tribunal est très problématique, sachant que
des affaires sont souvent attribuées à certains juges afin d’aboutir
au résultat requis ou réattribuées lorsque le juge concerné ne consent
pas à statuer de la manière voulue. De même que les autres pouvoirs
excessifs des présidents de tribunal, cette pratique ouvre la voie
à des abus.
333. Les présidents de tribunal sont nommés par le Président de
la Fédération de Russie pour un mandat de six ans renouvelable une
fois. Jusqu’en 2009, la Cour constitutionnelle avait été une exception
à cette règle, son président étant à l’époque élu par d’autres juges,
ce qui contribuait certainement à une plus grande indépendance de
la cour. Cependant, à la suite des modifications apportées en 2009
à la loi relative à la Cour constitutionnelle de la Fédération de
Russie, un nouveau système a été adopté et le président de la cour
est désormais nommé sur recommandation du Président de la Fédération
de Russie.
334. Le système met la pression sur les juges afin qu’ils fassent
montre de loyauté à l’égard des organes de l’Etat ou de certains
responsables de ces organes et intègrent des considérations politiques.
Il est signalé que les menaces contre l’indépendance de la justice
sont particulièrement aiguës dans les affaires mettant en jeu des
intérêts d’acteurs politiques ou économiques puissants. Les exemples
les plus notoires sont les affaires concernant Youkos et M. Mikhail
Khodorkovski
.
335. L’accès à un avocat est réglementé par la loi fédérale «sur
les avocats» qui dispose que la procédure de désignation d’un avocat
pour les personnes sans ressources doit être définie par le barreau
de chacune des entités de la Fédération de Russie, qui est également
responsable de cette mission. Il semble toutefois que cette disposition
reste systématiquement sans effet dans la pratique, l’avocat étant
désigné par un enquêteur.
336. En outre, l’avocat dépend fortement de l’enquêteur, qui signe
le document certifiant qu’il était effectivement présent lors de
l’enquête. Il a besoin de ce document pour être payé par l’Etat,
et celui-ci peut évidemment être utilisé comme un moyen de pression
supplémentaire. Il convient de réformer cette pratique et d’instaurer
des garanties légales afin que la désignation et le travail des
avocats relèvent de la responsabilité des barreaux, ce qui permettrait
d’éliminer les éventuels abus.
337. D’une manière plus générale, le système de l’aide juridictionnelle
gratuite n’a pas été effectivement mis en place. Nos prédécesseurs
ont déjà attiré l’attention sur ce problème dans le rapport présenté
en 2007. Il n’existe que peu d’avocats de la défense, voire aucun,
dans les régions reculées du pays et les avocats s’efforcent souvent
d’échapper à l’assistance gratuite. Une nouvelle loi fédérale «sur
l’aide juridictionnelle gratuite» a cependant été adoptée en novembre
2011 dans un effort pour remédier à cette situation très fâcheuse.
Nous espérons que cette mesure aura des retombées positives.
338. Le ministère public (Prokuratura) est l’institution la moins
touchée par la réforme du système judiciaire en Russie. Lors de
son adhésion au Conseil de l’Europe, la Fédération de Russie s’est
engagée à adopter «de nouvelles lois conformes aux normes du Conseil
de l’Europe (…) sur le rôle, le fonctionnement et l’administration
du parquet». En 2002, nos prédécesseurs ont certes noté certains
progrès, mais ont indiqué qu’ils attendaient des autorités russes
qu’elles mènent à bien la réforme du parquet conformément aux principes
du Conseil de l’Europe et aux engagements contractés. Cette question
a aussi été longuement traitée par nos prédécesseurs dans la dernière
note sur la Russie, en 2007, et nous invitons toutes les parties intéressées
à le consulter. En 2003, les rapporteurs de l’époque ont conclu
que depuis 2002 le processus de réformes était gelé, et que des
changements significatifs s’imposaient.
339. Les principales préoccupations relevées par tous nos prédécesseurs
sont le rôle excessif de la Prokuratura dans les affaires pénales
et sa fonction générale de contrôle.
340. Concernant le premier aspect, il est très inquiétant de constater
que dans les affaires pénales les tribunaux semblent constituer
une annexe du bureau du procureur général. Cela transparaît, entre
autres, dans le pourcentage très faible des acquittements (moins
de 1 %) et la forte disparité en termes de taux d’acquittement entre
les affaires impliquant un jury (20 %) et les affaires impliquant
seulement des juges (1 %).
341. Il semblerait que les juges qui ne respectent pas les ordres
informels des procureurs s’exposent à des procédures disciplinaires
pour d’autres motifs. C’est ce qu’illustre l’affaire de la juge
Kudeshkina, citée ci-dessus, qui a été révoquée en 2003 après avoir
refusé d’appliquer les consignes de la Prokuratura dans le procès
de M. Pavel Zaitsev et s’être publiquement exprimée sur les pressions
qu’elle avait subies.
342. Ces pouvoirs excessifs de la Prokuratura ont été jugés incompatibles
avec les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits
de l’homme, avec la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe sur le rôle du ministère public dans le système
de justice pénale et avec la
Recommandation
1604 (2003) de l’Assemblée sur le rôle du ministère public dans
une société démocratique régie par le principe de la primauté du
droit.
343. De plus, il est très préoccupant que le parquet soit tout
à la fois chargé de contrôler l’ensemble des services de répression,
d’enquêter sur les infractions, de protéger les victimes ou les
citoyens en général, de poursuivre les auteurs d’infractions et
de faire respecter la légalité dans l’ensemble des procédures judiciaires.
344. Il convient de saluer le fait que les autorités russes aient
décidé de s’attaquer à ce problème en adoptant, en septembre 2007,
la loi fédérale «sur le procureur» qui modifie le Code de procédure
pénale et crée une nouvelle institution chargée de l’instruction
judiciaire, le Comité d’investigation.
345. Au départ, le Comité d’investigation faisait partie de la
Prokuratura, son directeur étant un des adjoints du procureur. Il
a cependant été nommé selon la même procédure que ce dernier (par
le Conseil de la Fédération, sur proposition du Président de la
Fédération) et n’a pas été placé sous sa juridiction. En janvier 2011,
dans le cadre d’une révision positive de la loi, le Comité d’investigation
a été séparé de la Prokuratura pour devenir une structure indépendante.
346. Cette réforme visait à séparer les fonctions d’instruction
judiciaire et de «contrôle de la légalité». L’instruction judiciaire
concernant les crimes graves ou particulièrement graves relève désormais
de la compétence exclusive des enquêteurs du Comité d’investigation.
Le «contrôle de la légalité» continue de relever des procureurs.
Les enquêtes relatives aux autres infractions qui ne font pas partie
des compétences exclusives du Comité d’investigation continuent
d’être menées par le ministère de l’Intérieur, sous l’étroite supervision
des procureurs. Ces derniers donnent des instructions contraignantes
aux enquêteurs.
347. Les pouvoirs étendus de la Prokuratura dans le contrôle des
instances exécutives, législatives, opérationnelles et administratives
posent problème. D’une manière générale, l’éventail des instruments
dont dispose le ministère public (comme le pouvoir de sommer à comparaître
devant le procureur général pour s’expliquer sur toute question
qui relève des pouvoirs de contrôle ou d’enquête du procureur) est
bien trop vaste et aucun texte ne précise dans quel domaine et dans
quel type de procédure ces ordonnances sont contraignantes.
348. Les autorités russes nous ont indiqué que deux nouveaux projets
de loi sur le «bureau du procureur général de la Fédération de Russie»
et sur «le statut des procureurs en Fédération de Russie» sont en
cours d’élaboration. Nous espérons qu’ils répondront aux préoccupations
exprimées ci-dessus.
349. Un autre grave problème structurel réside dans les violations
du principe de la «sécurité juridique» par l’annulation de décisions
de justice définitives à travers la «procédure de contrôle juridictionnel» (nadzor) que prévoit le Code de
procédure civile. En outre, il constitue la deuxième source de requêtes
répétitives devant la Cour de Strasbourg.
350. Il est absolument essentiel de réformer cette procédure pour
deux raisons: d’une part, pour renforcer la légitimité et la crédibilité
de l’ensemble du système judiciaire russe. Ce problème nuit à l’efficacité
du système judiciaire dans son ensemble.
351. D’autre part, le contrôle juridictionnel n’est pas un recours
que les requérants doivent épuiser avant de pouvoir déposer leur
requête devant la Cour européenne des droits de l’homme. Par conséquent,
la vaste majorité des affaires qui arrivent à Strasbourg n’ont pas
été examinées par la Cour suprême de Russie. Cette dernière n’a
alors pas eu l’occasion de remédier à une violation avant qu’elle
soit soumise à Strasbourg. Ce problème est donc étroitement lié
à celui de l’efficacité à long terme du système de la Convention
européenne des droits de l’homme. En d’autres termes, la réforme
de cette procédure permettrait de réduire l’afflux de requêtes à
la Cour de Strasbourg, en établissant une voie de recours interne
que les citoyens russes devraient épuiser avant de pouvoir introduire
une requête à Strasbourg (actuellement, les citoyens russes peuvent soumettre
une requête après le deuxième niveau de juridiction).
352. Dans une déclaration rendue publique le 20 mai 2011, le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, a appelé à
une réforme du système judiciaire russe en soulignant ce qui suit:
«Une grande partie des affaires concernant la Russie pendantes devant
la Cour européenne des droits de l’homme concernent des appels de
décisions prises par les tribunaux régionaux (…). A mon avis, dans
un immense pays comme la Russie, une décision nationale définitive
devrait obligatoirement être rendue par une instance judiciaire
nationale suprême au niveau fédéral, qu’il s’agisse d’une Cour suprême
ou de la Cour constitutionnelle.» M. Jagland s’est réjoui du fait
que M. Valery Zorkin, président de la Cour constitutionnelle, soutienne
sa proposition et que le Président Medvedev lui ait déclaré «qu’il
conviendrait d’étudier sérieusement cette proposition». Nous faisons
nôtre la position du Secrétaire Général sur ce point et espérons voir
le changement du système judiciaire russe se concrétiser dans un
futur proche.
353. Les autorités russes semblent être conscientes de l’importance
de ce problème. Depuis l’arrêt Ryabykh c.
Russie, elles ont déjà mis en œuvre deux réformes afin
de rendre la procédure conforme aux exigences de la Convention.
La première réforme a eu lieu en 2002 avec l’adoption du nouveau
Code de procédure civile. La seconde s’est déroulée en 2007, notamment
pour donner suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Russie
du 5 février 2007. Le 12 février 2008, cette réforme a été renforcée
par un décret de l’assemblée plénière de la Cour suprême de la Fédération
de Russie qui énonce, à l’intention des juridictions inférieures, des
lignes directrices insistant en particulier sur la nécessité de
se conformer aux exigences de la Convention et, plus spécialement,
sur le principe de la «sécurité juridique».
354. Dans l’affaire
Martynets c. Russie,
la Cour européenne des droits de l’homme a jugé ces réformes insuffisantes
pour résoudre le problème
.
D’après la Cour, la procédure de contrôle juridictionnel n’est toujours
pas compatible avec la Convention malgré les changements tangibles
introduits par les réformes susmentionnées.
355. Parallèlement, la Cour a estimé que la procédure de contrôle
juridictionnel prévue par le Code de procédure commerciale est conforme
à la Convention
.
356. Une troisième réforme du Code de procédure civile, adoptée
en décembre 2010, vise à mettre en place des juridictions d’appel
dans le système des juridictions russes de droit commun, et donc
à limiter le recours à la procédure de contrôle juridictionnel.
Cette réforme est entrée en vigueur le 1er janvier
2012 sans avoir été soumise à l’évaluation de la Cour européenne
des droits de l’homme. Malheureusement, il y a peu de chances que
la réforme améliore la situation. En effet, elle n’a pas comblé
les principales lacunes de la procédure de contrôle juridictionnel
que la Cour a relevées dans ses arrêts.
357. Ces lacunes sont la multiplicité des instances habilitées
à contester une décision définitive, à laquelle s’ajoute le problème
des délais. Un arrêt devenu définitif peut encore être annulé par
trois instances; l’affaire est alors renvoyée pour réexamen, mais
la nouvelle décision ainsi rendue peut à nouveau être contestée
par les trois mêmes instances. Par conséquent, il est difficile
de définir le point de départ du délai de six mois dont disposent
les requérants pour soumettre une requête devant la Cour suprême.
Enfin, les pouvoirs discrétionnaires du président et du vice-président
de la Cour suprême restent inchangés: ils peuvent tous deux exprimer
leur désaccord avec la décision d’un juge à la suite de l’examen
d’une demande de recours en cassation ou de nadzor.
358. Le programme conjoint Union européenne/Conseil de l’Europe
pour la mise en place d’une instance d’appel en Fédération de Russie,
qui est en cours, vise notamment à garantir la définition de recours
clairs et cohérents pour le réexamen de décisions de justice.
359. La non-exécution de décisions de justice internes est un des
autres problèmes structurels majeurs du système judiciaire russe
et constitue la première source d’introduction de requêtes devant
la Cour de Strasbourg. Pour y remédier, les autorités russes ont
adopté deux nouvelles lois fédérales: la loi d’indemnisation et
une loi fédérale modifiant certaines dispositions législatives,
qui sont entrées en vigueur le 4 mai 2010.
360. Ce nouveau recours permet de demander des indemnités en cas
de procédure excessivement longue ou d’exécution retardée ou inexistante
des décisions de justice internes à l’encontre de l’Etat. En outre,
les autorités russes ont présenté au Comité des Ministres de nombreux
exemples de la pratique judiciaire attestant la mise en œuvre effective
de cette réforme, ainsi que des informations relatives à l’adoption
de mesures supplémentaires visant à garantir l’efficacité du nouveau
programme d’indemnisation, dont les dispositions budgétaires pertinentes
.
361. Malgré ces progrès, la Cour a estimé dans deux arrêts récents
que
la nouvelle législation ne résout pas le problème spécifique de
l’inexécution des décisions de justice ordonnant à l’Etat d’octroyer
un logement à des militaires dans des situations spécifiques.
362. Les conditions de détention provisoire, et notamment dans
les centres de détention provisoire, la durée excessive et l’absence
d’une motivation pertinente et suffisante de la détention provisoire,
les mauvais traitements pendant la garde à vue ainsi que le défaut
d’enquêtes efficaces seront examinés dans les prochains chapitres
consacrés à l’exécution des arrêts de la Cour et aux violations
des droits de l’homme.
363. La corruption est un phénomène étendu qui perdure dans l’appareil
judiciaire en Russie. Cette réalité a été publiquement reconnue
à plusieurs occasions, y compris dans les plus hautes sphères du
pouvoir, et de nombreuses mesures ont été adoptées afin de la combattre.
Pourtant, dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport
de la commission de suivi de l’Assemblée, les autorités russes affirment
que les faits de corruption chez les magistrats sont exceptionnels,
comme l’illustre le nombre de condamnations correspondantes: en
2010 et 2011, seuls trois juges ont été condamnés pour de telles
infractions. De notre point de vue, ce chiffre extrêmement faible
est très préoccupant à la lumière des nombreuses allégations de corruption.
Nous reviendrons sur cette question dans le prochain chapitre.
6.2. Corruption
364. La corruption est un phénomène
structurel étendu dans la Fédération de Russie, qui touche la société dans
son ensemble, y compris les institutions publiques établies pour
contrer la corruption. Les enquêtes d’opinion organisées ces dernières
années témoignent de son existence dans tous les secteurs de la
vie publique, y compris le domaine politique et l’exécutif à différents
échelons, les organes répressifs, le système judiciaire, les services
responsables des marchés publics, les services de santé publique,
le système éducatif, le logement et les services communaux
.
365. Transparency International a régulièrement classé la Russie
comme un des pays les plus corrompus du monde. D’après l’indice
de perception de la corruption pour 2011, la Russie occupe le 143e rang
(sur 183), avec une note de 2,4 sur 10.
366. De même, l’OCDE a évoqué dans ses rapports la corruption dans
l’administration russe, qui est considérée par les investisseurs
étrangers et nationaux comme un des principaux freins à l’investissement
en Russie aujourd’hui
.
La Banque mondiale a relevé que la corruption s’est sensiblement
aggravée en Russie ces dernières années, à la fois en termes de
captation de l’Etat et de corruption de l’administration
.
La Commission européenne souligne que la corruption reste un problème
majeur en Russie
.
367. Les autorités russes reconnaissent que la corruption se situe
à un niveau inacceptablement élevé dans le pays et que non seulement
elle met en péril le fonctionnement des institutions de l’Etat,
mais qu’aussi elle a une incidence négative sur la vie économique
en général, dans la mesure où elle sape la concurrence entre les
acteurs du marché pour les biens et les services et rend l’économie
russe moins attrayante pour les investissements étrangers. Les autorités
reconnaissent également qu’il existe un lien entre la corruption
et la criminalité organisée, et que la corruption est une composante
de l’«économie souterraine».
368. Les autorités russes prennent indiscutablement ces problèmes
au sérieux. Entre 2005 et 2007, la Commission de la Douma d’Etat
chargée de la lutte contre la corruption a coopéré étroitement avec
le Conseil de l’Europe aux fins de la mise en œuvre de programmes
d’appui financés par l’Union européenne et destinés à harmoniser
la législation russe avec les exigences de la Convention pénale
du Conseil de l’Europe sur la corruption (STE no 173)
et de la Convention des Nations Unies contre la corruption, dans
la perspective d’une ratification de ces deux instruments, qui est
finalement intervenue en 2007.
369. La lutte contre la corruption est reconnue en tant que priorité
au plus haut niveau politique. Peu après être entré en fonction
en mai 2008, le Président Medvedev a signé un décret portant création
d’un Conseil présidentiel de lutte contre la corruption, appelé
à jouer le rôle d’un organe supérieur de coordination; en juillet 2008,
le président a approuvé un Plan national de lutte contre la corruption
.
370. La Russie a adhéré au Groupe d’Etats contre la corruption
(GRECO) du Conseil de l’Europe le 1er février 2007,
se soumettant ainsi au mécanisme de suivi du GRECO. Dans le Rapport
d’évaluation des premier et deuxième cycles conjoints sur la Fédération
de Russie, adopté en décembre 2008
,
le GRECO a soulevé un certain nombre de problèmes et a formulé 26 recommandations.
Certaines d’entre elles requéraient des mesures fondamentales, y
compris l’établissement de bases claires pour la politique nationale
de lutte contre la corruption, des réformes législatives de grande
ampleur et des changements d’ordre organisationnel dans l’administration
publique, les services répressifs et le pouvoir judiciaire ainsi
qu’en rapport avec la société civile.
371. Le Rapport de conformité sur la Fédération de Russie, adopté
par le GRECO en décembre 2010
, qui évalue les mesures prises
par les autorités russes pour se conformer aux recommandations,
a conclu que la Fédération de Russie a mis en œuvre de façon satisfaisante
un peu plus du tiers des 26 recommandations.
372. Les préoccupations en suspens ont trait à la nécessité, premièrement,
de réviser le système de procédures administratives et pénales de
façon à établir sans ambiguïté que les affaires de corruption doivent être
traitées en tant qu’infractions pénales en règle générale, et, deuxièmement,
d’adopter les mesures législatives requises pour établir la responsabilité
des personnes morales en matière d’infractions de corruption et
prévoir des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives dans
ces affaires, y compris des sanctions pécuniaires, conformément
aux exigences de la Convention pénale sur la corruption.
373. Etant donné la tâche immense que représente la mise en œuvre
de toutes les recommandations en suspens et l’engagement des autorités
russes de s’y atteler, le GRECO procédera à la prochaine évaluation des
progrès à la fin de 2012.
6.3. Exécution des
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
374. Depuis l’adhésion de la Fédération
de Russie à la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour
a rendu en tout 1 119 arrêts concernant la Russie
, dont plus de 1 045 ont conclu à
au moins une violation de la Convention, principalement de l’article 6
(droit à un procès équitable), de l’article 1 du Protocole no 1
(protection de la propriété) et de l’article 5 (droit à la liberté
et à la sécurité). Au 31 mars 2012, un total de 37 850 requêtes
étaient pendantes devant la Cour, soit près de 25 % de l’ensemble
des affaires pendantes.
375. D’après l’article 46 de la Convention européenne des droits
de l’homme, c’est le Comité des Ministres qui surveille l’exécution
des arrêts de la Cour. Au 31 décembre 2011, 1 087 affaires concernant
la Fédération de Russie étaient inscrites à l’ordre du jour du Comité
des Ministres et en attente d’exécution; 953 d’entre elles sont
des «affaires clones». A notre avis, l’Assemblée parlementaire et
la Douma d’Etat ont un rôle important à jouer à cet égard et devraient
contribuer activement à l’avancement de la mise en œuvre des arrêts.
376. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme
de l’Assemblée prépare des rapports périodiques sur la mise en œuvre
des arrêts de la Cour dans tous les Etats membres du Conseil de
l’Europe. Le plus récent a été présenté à l’Assemblée en janvier
2011
. Il a soulevé plusieurs problèmes
structurels importants dans le système judiciaire russe, qui ont
induit des retards préoccupants sur le plan de la mise en œuvre.
377. Sans nous ingérer dans le domaine de compétence de la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme, nous souhaiterions
attirer l’attention sur certains problèmes soulevés par le rapport,
dans la mesure où ils sont directement liés au processus de suivi
des obligations et engagements et relèvent de notre mandat. De cette
façon, nous tenons également à souligner l’importance que l’Assemblée
attache à la question de l’exécution des arrêts de la Cour.
378. Plus de 90 % de toutes les affaires concernant la Fédération
de Russie en attente d’exécution devant le Comité des Ministres
sont des affaires «clones» ayant trait aux principaux problèmes
structurels qui ont été décrits dans le chapitre du présent rapport
sur le pouvoir judiciaire.
379. La non-exécution de décisions judiciaires nationales est un
des problèmes structurels les plus importants, qui est à l’origine
de nombreuses affaires «clones». En 2002, la Cour a conclu à une
violation de la Convention pour non-exécution d’une décision de
justice nationale accordant des prestations sociales à une victime
de la catastrophe de Tchernobyl
. En janvier
2009, la Cour, qui était alors confrontée à un afflux sans cesse
croissant de requêtes similaires, a rendu un arrêt pilote dans l’affaire
de la victime précitée
.
Comme cela a été indiqué dans le chapitre précédent, le 4 mai 2010,
la Douma d’Etat a adopté des modifications au Code civil en vue
de remédier à la situation. Cette mesure devrait incontestablement
être considérée comme positive même si, comme nous l’avons vu dans
le chapitre précédent, certaines sources d’inquiétude subsistent.
380. La violation du principe de la «sécurité juridique» à travers
la «procédure de contrôle juridictionnel»
(nadzor), qui
permet d’annuler une décision de justice définitive, est un autre
problème structurel majeur. Le premier arrêt de la Cour dans l’affaire
correspondante a été rendu en 2003
;
depuis lors, un nombre considérable d’affaires «clones» ont été
introduites devant la Cour. Là encore, nous invitons le lecteur
à consulter le chapitre précédent pour de plus amples informations.
381. Les conditions de détention provisoire inacceptables (notamment
dans les centres de détention provisoire), ainsi que la durée excessive
et l’absence d’une motivation pertinente et suffisante de la détention provisoire,
constituent le problème structurel suivant dans le système juridique
russe. Le premier arrêt rendu à ce propos en 2002
a
conclu à des carences graves en termes d’espace et de conditions
de vie (y compris l’absence de toilettes privées, des problèmes
d’aération ainsi que le manque d’accès à la lumière naturelle et à
des mesures sanitaires de base). Depuis lors, un nombre considérable
d’affaires «clones» ont été introduites auprès de la Cour.
382. Le groupe «Kalashnikov» réunit 71 affaires qui font actuellement
l’objet du contrôle du Comité des Ministres. Dans toutes ces affaires,
la Cour a estimé que les mauvaises conditions en détention provisoire
et notamment les cellules fortement surpeuplées et l’environnement
insalubre pouvaient être assimilés à des traitements dégradants.
Toutefois, nous tenons à souligner que le principal problème réside
dans un recours non nécessaire à la détention provisoire, qui se
traduit par une surpopulation carcérale. Ce problème structurel a
ses origines, entre autres, dans une pratique judiciaire inadaptée
(non-respect des délais stipulés par le droit national, défaut de
prise en compte des circonstances propres à chaque affaire, non-recours
à des mesures de prévention substitutives). Un total de 61 autres
affaires concerne l’irrégularité de la détention et sa durée excessive
ainsi que l’insuffisance des motifs pour justifier une prolongation
de la détention provisoire.
383. En janvier 2012, la Cour a rendu dans l’affaire Ananyev et autres c. Russie un arrêt
pilote dans lequel elle a constaté que les conditions de détention
insatisfaisantes sont un problème structurel récurrent en Russie qui
résulte des dysfonctionnements de son système pénitentiaire, auxquels
s’ajoute l’insuffisance des garanties légales et administratives.
384. Les autorités russes sont conscientes du problème et s’efforcent
d’y remédier. Elles nous ont soumis de nombreuses données statistiques
illustrant la nette diminution du nombre de personnes placées en
détention provisoire (une baisse de 29,5 % entre 2006 et 2012).
De plus, des amendements apportés au Code pénal en décembre 2011
visent à faire diminuer le nombre de personnes concernées par des
peines de privation de liberté. Dernier aspect mais non le moindre,
le programme fédéral de «développement du système pénitentiaire
en Fédération de Russie pour 2007-2016» entend induire une amélioration
des conditions de détention. D’après les autorités, des améliorations
tangibles sont déjà constatées.
385. Les mauvais traitements lors de la garde à vue ainsi que le
défaut d’enquêtes efficaces à ce propos constituent un autre problème
structurel. Le premier arrêt de la Cour a été rendu en 2006
; depuis lors,
33 autres arrêts similaires ont été rendus. En février 2011, une
nouvelle loi sur la police a été adoptée. Il semblerait malheureusement
que la réforme ne couvre pas des points importants, tels que les
garanties offertes dans le cadre de la garde à vue (information
d’un tiers au sujet de la détention, droit d’être assisté par un
avocat et droit de consulter un médecin). De même, les rapports
du CPT, qui pourraient fournir des orientations utiles aux autorités
russes sur tous ces points, demeurent confidentiels. Enfin, l’affaire
Mikheyev c. Russie démontre la carence,
dans le droit pénal russe, d’outils appropriés pour lutter contre
l’impunité. Par exemple, la torture ne semble pas avoir été érigée
en infraction pénale. Le chapitre relatif aux abus des forces de
police traitera des mesures les plus récentes prises dans la lutte
contre l’impunité dans la police russe.
386. L’action des forces de sécurité dans la République tchétchène
reste également une des principales causes des requêtes. Depuis
2007, la Cour a rendu de nombreux arrêts en rapport avec les actions
des forces de sécurité russes en République tchétchène entre 1999
et 2003
.
Ils concernent des homicides illégaux, des détentions secrètes,
des cas de disparition, de torture et de destruction de biens, ainsi
que l’absence d’enquêtes effectives et de recours effectifs devant
les juridictions nationales.
387. Ces arrêts ont eu peu d’incidence sur la Fédération de Russie,
vu que les plaintes continuent d’affluer. Près d’une centaine de
requêtes ont été introduites pour la seule année 2009 concernant
le Caucase du Nord (principalement la Tchétchénie). Le Comité des
Ministres n’a cessé de prier instamment les autorités russes d’améliorer
les dispositions légales et réglementaires qui encadrent les activités
antiterroristes des forces de sécurité afin qu’il soit possible
de demander des comptes aux auteurs d’infractions et d’offrir aux
victimes des recours devant les juridictions nationales. Dans sa
Résolution intérimaire CM/ResDH(2011)292 de novembre 2011, le Comité
des Ministres a déploré le manque de progrès significatifs dans
les enquêtes menées au plan national sur les violations des droits
de l’homme identifiées par les arrêts de la Cour, même quand les
faits et les principaux éléments étaient établis avec suffisamment
de précision.
388. Le 14 mai 2012, les autorités russes ont communiqué des informations
sur cette résolution intérimaire. Il convient de signaler certaines
évolutions positives, telles que l’établissement d’un cadre réglementaire
pour les enquêtes nationales, y compris une Unité d’enquêtes spéciales,
en avril 2009, pour instruire les infractions particulièrement graves
ayant donné lieu à une requête à Strasbourg
. Par ailleurs, le procureur s’est
vu confier un «rôle de surveillance» renforcé, qui met l’accent
sur l’intégration des normes de la Convention européenne des droits
de l’homme dans le droit interne russe, et le système semble tenir
davantage compte de la victime en termes d’accès à la procédure.
Cependant, les retombées de ces mesures sur les enquêtes en cours
restent incertaines; pour l’heure, une seule affaire a été élucidée.
389. D’autres affaires préoccupantes du point de vue de l’exécution
des arrêts concernent le risque de mauvais traitements en cas d’extradition
et le mépris pour les mesures provisoires prononcées par la Cour
en vertu de l’article 39 du Règlement de la Cour
, ainsi que la violation de la liberté de
réunion et la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle
. Ce dernier aspect sera
traité dans le chapitre sur la liberté de réunion.
390. Deux arrêts récents concernent directement l’engagement de
la Russie «de cesser de restreindre, avec effet immédiat, la liberté
de circulation internationale de personnes ayant connaissance de
secrets d’Etat, à l’exception des restrictions qui sont généralement
acceptées dans les Etats membres du Conseil de l’Europe»
. Dans les deux affaires, la Cour a
constaté une entrave disproportionnée à la liberté de circulation des
requérants résultant du refus des autorités de leur permettre de
voyager à l’étranger pour des raisons privées au seul motif qu’ils
avaient eu accès à des informations confidentielles (des «secrets
d’Etat») au cours de leur carrière professionnelle. Ces restrictions
arbitraires s’appuyaient sur la loi relative aux procédures d’entrée
et de sortie de la Fédération de Russie.
391. Les deux requérants ont obtenu un passeport à la suite de
la décision de la Cour. Pour se conformer à l’engagement pris lors
de l’adhésion, les autorités ont créé, dès 2004, une Commission
interministérielle pour la protection des secrets d’Etat chargée
d’élaborer des propositions législatives appropriées pour rendre
le droit russe conforme aux normes du Conseil de l’Europe. La commission
a soumis des projets de loi en 2007. Malheureusement, aucun progrès
n’a été constaté dans ce domaine.
392. Nous tenons ici à exprimer notre préoccupation à propos de
certains signes inquiétants et de déclarations publiques de hauts
fonctionnaires russes directement impliqués dans l’observation,
par la Russie, des engagements et obligations souscrits lors de
l’adhésion au Conseil de l’Europe. En effet, le Président de la
Cour constitutionnelle, M. Valery Zorkin, a parlé de la «menace
à la souveraineté de la Russie» que représentent les arrêts de la
Cour et même de l’éventualité d’un retrait de son pays du Conseil
de l’Europe. En Suisse, nous sommes accoutumés à de telles déclarations
de la part de personnalités politiques conservatrices, mais nous
sommes très étonnés d’entendre les propos en question de la bouche
du Président de la Cour constitutionnelle.
393. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la
commission de suivi de l’Assemblée, les autorités russes ont indiqué
que les citations ci-dessus avaient été retirées de leur contexte.
Elles affirment que la déclaration complète faite par M. Zorkin
lors du XIIe Forum international sur
le droit constitutionnel est la suivante: «Nous avons conféré un
pouvoir juridictionnel à la Cour européenne. Mais si la Russie souhaite, elle
peut annuler le contrat. Je ne souhaite pas voir naître entre la
Cour constitutionnelle et la Cour européenne des droits de l’homme
une opposition qui irait dans le sens de ceux qui, dans le pays,
cherchent des prétextes pour que l’on claque la porte.» Si nous
avions mal compris les déclarations publiques de M. Zorkin, nous reconnaissons
volontiers notre erreur et sommes heureux qu’il s’agisse d’un malentendu.
394. En juin 2011, un ancien vice-président du Conseil de la Fédération,
M. Alexander Torshin, a présenté un projet de loi visant à habiliter
la Cour constitutionnelle de la Russie à bloquer des décisions de
la Cour. Ce texte a été retiré par la suite, mais le simple fait
qu’il a été présenté est déjà troublant.
7. Droits de l’homme
et libertés fondamentales
7.1. L’abolition de
la peine de mort
395. La question la plus préoccupante
concernant cette catégorie d’engagements est, à nos yeux, la non-ratification
du Protocole no 6 à la Convention européenne
des droits de l’homme relatif à l’abolition de la peine de mort
en temps de paix. A son adhésion, la Russie a accepté de le signer
dans un délai d’un an, de le ratifier dans les trois ans et de déclarer
un moratoire sur les exécutions capitales avec effet à la date d’adhésion.
396. La Russie a signé le Protocole no 6
le 28 février 1996, et le gouvernement l’a présenté pour ratification à
la Douma d’Etat le 6 août 1999. Dans l’intervalle, le 16 mai 1996,
le décret présidentiel no 724 «sur la suppression
progressive de l’application de la peine de mort en lien avec l’entrée
de la Russie dans le Conseil de l’Europe» a été publié. Un moratoire
de fait sur les exécutions capitales a été instauré en août 1996;
il a été confirmé par la décision de la Cour constitutionnelle du
2 février 1999. Le 19 novembre 2009, la Cour constitutionnelle a
déclaré que la peine de mort ne pouvait être imposée en Fédération
de Russie en raison des engagements internationaux contractés par
le pays.
397. Cette décision de la Cour constitutionnelle, illimitée dans
le temps, ne saurait être perçue comme une simple extension technique
du moratoire. C’est un pas important sur la voie de la consécration
juridique de l’abolition de la peine de mort. La Russie n’a cependant
toujours pas ratifié le Protocole no 6.
398. Au cours de nos visites, nous avons soulevé cette question
avec plusieurs de nos interlocuteurs, en particulier à la Douma
d’Etat. A chaque fois, il nous a été dit que l’opinion publique
en Russie n’est pas prête à accepter l’abolition officielle de la
peine de mort, en raison principalement de la gravité des menaces terroristes
dans le pays. Les efforts visant à faire ratifier le protocole à
la Douma pourraient par conséquent se révéler contre-productifs.
399. A notre avis, cette explication ne justifie néanmoins pas
l’absence de progrès sur la voie du respect de cet engagement important.
Dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe, l’opinion
publique était à l’origine largement favorable à la peine de mort,
et il incombait à la classe politique d’exercer son influence pour
faire changer les mentalités dans le bon sens. Cela impliquait de
mener des campagnes éducatives et informatives et d’engager un débat
public et des discussions ouvertes, mais cela a porté ses fruits
dans 46 pays. Nous ne voyons aucunement pourquoi la Russie devrait
continuer à faire exception.
7.2. Le droit à la
vie et la lutte contre l’impunité
400. En Russie, la situation relative
aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales est, dans l’ensemble,
préoccupante. Les principales préoccupations en la matière ont déjà
été mentionnées dans la partie relative à la mise en œuvre des arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme.
401. Des violations particulièrement graves du droit de l’homme
le plus fondamental, à savoir le droit à la vie et à l’intégrité
physique, se produisent dans le pays.
402. A la suite de l’examen d’un rapport sur la situation des droits
de l’homme dans le Caucase du Nord par la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme
, l’Assemblée a fermement condamné
les atteintes aux droits fondamentaux par des groupes armés et les
violations persistantes des droits de l’homme – assassinats, enlèvements
et actes de tortures – dont la population civile continue d’être
victime.
403. Le climat d’impunité autour des actes de violence et des meurtres
perpétrés dans la région est préoccupant, d’autant que ces violations
sont parfois le fait des forces de l’ordre elles-mêmes. Nous invitons nos
lecteurs à consulter le rapport précité de la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme pour un compte rendu détaillé
de cette situation dramatique. Nous attirons également l’attention
sur le rapport le plus récent de M. Thomas Hammarberg, l’ancien
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, sur la
situation des droits de l’homme dans le Caucase du Nord, à la suite
de sa visite en Fédération de Russie en mai 2011
.
La question des violations commises par les forces de l’ordre sera
examinée dans la partie suivante du présent rapport.
404. Des informations alarmantes sont également fournies par le
récent document d’Amnesty International intitulé «The circle of
injustice. Security operations and human rights violations in Ingushetia».
405. A ce jour, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu
plus de 150 arrêts concluant que la Russie avait manqué à son obligation
de protéger la vie des proches des requérants, en Tchétchénie. La
Cour a vivement critiqué les autorités pour le non-respect des arrêts
antérieurs dans des affaires similaires.
406. Ainsi, le 2 décembre 2010, la Cour a rendu son arrêt dans
l’affaire
Abuyeva et autres c. Russie concernant
le bombardement par les forces militaires fédérales du village de
Katyr-Yurt en Tchétchénie, qui avait causé la mort de 29 proches
des requérants. La Cour a conclu à une violation du droit à la vie
car l’enquête interne sur les événements avait été manifestement
inefficace, en dépit d’un précédent arrêt de 2005
concernant
les mêmes événements, arrêt qui demandait instamment à la Russie
d’établir la responsabilité des assassinats. Les requérants se sont
vu attribuer des indemnités d’un montant de 1,72 million d’euros.
407. L’incapacité de la Russie à mettre en œuvre pleinement les
arrêts de la Cour portant sur des requêtes émanant de Tchétchénie
contribue au climat d’impunité qui prévaut dans la république et
dans l’ensemble de la région du Caucase du Nord. La Russie coopère
avec la Cour en versant les compensations financières requises aux
victimes, mais ne remplit pas son obligation de mener des enquêtes
effectives et de demander des comptes aux auteurs des crimes, même
lorsqu’ils ont été identifiés. En outre, les autorités ne prennent
pas de mesures pour empêcher que de tels faits se reproduisent.
De nouvelles requêtes de Tchétchénie et des affaires similaires
du Daghestan et d’Ingouchie continuent d’être portées devant la
Cour.
408. La situation générale en matière de sécurité dans le Caucase
du Nord reste tendue. Si l’ensemble de la population en souffre,
certaines catégories de personnes, parmi lesquelles les défenseurs
des droits de l’homme, les avocats, les militants et les journalistes
indépendants, sont particulièrement exposées.
409. Ces derniers mois, trois affaires de meurtre ont encore été
signalées: en décembre 2011, M. Ganzhimurad Kamalov, l’éditeur d’un
hebdomadaire indépendant de premier plan au Daghestan, a été assassiné.
En janvier 2012, M. Umar Saidmagomedov, un avocat, ainsi qu’un autre
habitant de la région, M. Rasul Kurbanov, ont été assassinés par
des membres des forces de l’ordre au Daghestan.
410. D’après les statistiques recueillies par le Comité de protection
des journalistes (CPJ), la région du Caucase du Nord continue d’être
l’un des lieux les plus dangereux du monde pour les journalistes.
Cela est également le cas pour les défenseurs des droits de l’homme
et les avocats. En dépit des nombreuses promesses faites par les
dirigeants russes de créer des conditions de travail normales pour
les militants et les journalistes dans la région, il continue d’y
avoir des assassinats ciblés et des agressions physiques.
411. Malheureusement, ce type d’attaques ciblées ne se limite pas
au Caucase du Nord. Les assassinats, coups et violences à l’égard
de personnalités influentes de la société civile, de journalistes
et d’avocats soulèvent de graves préoccupations en matière de droits
de l’homme, et ce dans l’ensemble du pays.
412. Depuis l’assassinat, en 2006, de Mme Anna
Politkovskaya, journaliste et défenseur des droits de l’homme bien
connue – un événement qui a mis un coup de projecteur sur la gravité
de la situation en Russie – nombre de défenseurs des droits de l’homme,
journalistes et avocats spécialisés dans les droits de l’homme ont
été agressés et passés à tabac, voire tués. Seuls les meurtres de
l’avocat Stanislav Markelov et de la journaliste Anastasia Barburova
ont fait l’objet de véritables enquêtes et conduit à la condamnation
de leurs auteurs
.
D’autres affaires restent non résolues, comme l’enlèvement et le
meurtre de la défenseur des droits de l’homme Natalia Estemirova
et les coups violents portés à l’encontre du journaliste du
Kommersant Daily Oleg Kashin ou
du rédacteur en chef du journal
Khiminskaya
Pravda, Mikhail Beketov.
413. En dehors de ces affaires hautement médiatisées, d’autres
militants ou avocats non connus sont victimes de violences. Par
exemple, M. Konstantin Fetisov, opposant non violent au projet de
construction d’une autoroute traversant la forêt de Khimki, près
de Moscou, a été agressé et grièvement blessé par des inconnus en
novembre 2010.
414. Un autre exemple est le cas de Mme Elena
Lavina, avocate russe représentant Mikhail Khodorkovski en appel,
qui a été agressée et frappée dans la rue le 11 mai 2011.
415. Selon Human Rights Watch, les militants de diverses villes
russes ont été agressés par des personnes non identifiées entre
les élections législatives de décembre 2011 et l’élection présidentielle
du 4 mars 2012. En outre, le 24 mars 2012, les bureaux de l’ONG
«Groupe des hommes libres» à Nijni Novgorod ont fait l’objet d’une
tentative d’incendie criminel. Ces affaires et bien d’autres sont
décrites dans le rapport de la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme de l’Assemblée intitulé «La situation des
défenseurs des droits de l’homme dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe»
, sur lequel nous attirons votre
attention.
416. Les abus commis par les forces de l’ordre font l’objet du
prochain chapitre.
417. Les actes de violence à motivation raciale demeurent également
un problème grave. D’après les données du centre d’information et
d’analyse SOVA, pour la seule année 2010, 37 personnes sont décédées des
suites de crimes motivés par la haine. Les données provisoires pour
l’année 2011 recueillies par ce même centre montrent qu’au moins
20 personnes ont été tuées et 130 blessées lors d’attaques racistes
ou néonazies dans les 34 régions de la Fédération de Russie. Six
personnes ont également reçu des menaces de mort. Moscou reste en
tête pour ce qui est du nombre d’incidents violents, avec sept meurtres
et 28 blessés en 2011, devant la région de Moscou et Saint-Pétersbourg.
Les principales cibles des attaques racistes continuent d’être les
personnes originaires des anciennes républiques soviétiques d’Asie
centrale.
7.3. Violations commises
par les forces de l’ordre
418. De nombreux cas de violations
commises par les forces de l’ordre, notamment par la police, ont
été signalés: ils englobent les actes de violence, le recours excessif
à la force, les mauvais traitements durant la garde à vue ou encore
les mauvaises conditions de détention. L’absence d’enquête effective
et l’impunité sont un problème structurel. L’exercice de poursuites
pénales à l’encontre des avocats, des défenseurs des droits de l’homme,
des militants, des journalistes et de tous ceux qui se montrent
critiques envers les autorités sont une autre source de graves préoccupations.
419. Comme nous l’avons indiqué dans le chapitre précédent, le
début de l’année 2012 a été marqué par l’assassinat d’un avocat,
M. Umar Saidmagomedov, et d’un particulier, M. Rasul Kurbanov, par
les membres des forces de l’ordre au Daghestan. D’après le rapport
de police officiel, les policiers auraient arrêté une voiture avec
deux hommes à bord. Lors du contrôle, M. Kurbanov aurait ouvert
le feu. La police aurait riposté par des tirs, tuant les deux hommes.
Toutefois, selon les affirmations du Centre des droits de l’homme
Memorial, fondées sur les dépositions de témoins, les deux hommes
auraient été abattus à l’extérieur de la maison de M. Kurbanov dans
le cadre d’une exécution préméditée par les policiers, puis leurs
corps et la voiture de M. Kurbanov auraient été déplacés pour simuler
une scène de crime
.
Ces allégations doivent faire l’objet d’une enquête effective et
impartiale.
420. En mars 2012, l’opinion publique a été choquée d’apprendre
les circonstances dans lesquelles un prisonnier est décédé dans
un centre de détention de Kazan (Tatarstan), à la suite des tortures
infligées par la police.
421. La situation la plus préoccupante est celle du Caucase du
Nord, où les membres des forces de l’ordre sont accusés de nombreuses
violations des droits de l’homme, et notamment de détentions illégales,
d’actes de torture, voire d’exécutions extrajudiciaires. Les enquêtes
restent souvent inefficaces et les responsables sont rarement amenés
à répondre de leurs actes.
422. Les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme et
les avocats sont la cible fréquente des forces de l’ordre. En 2010,
rien qu’au Daghestan, Human Rights Watch a fait état de cinq cas
d’agressions physiques à l’égard d’avocats par des policiers ou
des enquêteurs. En novembre 2010, l’une des associations d’avocats du
Daghestan a entamé une grève d’un mois pour demander la réalisation
d’enquêtes sur les actes de violence commis à l’encontre des avocats.
Les autorités se sont engagées à examiner les rapports relatifs
aux allégations de violence mais aucune des plaintes des avocats
n’a malheureusement fait l’objet d’une enquête effective en 2011.
423. Le cas de Mme Sapiyat Magomedova,
une éminente avocate locale spécialisée dans le domaine des droits
de l’homme qui représente les victimes dans des affaires très sensibles,
portant notamment sur des allégations de torture lors de gardes
à vue par la police, illustre bien le type d’abus commis par les
forces de l’ordre et leur impunité dans le Caucase du Nord. En 2010,
cette avocate a été frappée par la police dans les locaux du commissariat
et a porté plainte. Les enquêteurs l’ont ensuite contactée à plusieurs
reprises pour essayer de la convaincre de retirer sa plainte, mais
elle a refusé. En 2011, elle a été accusée de deux infractions pénales:
recours à la violence contre des représentants de l’Etat et outrage
à agent. Si elle est déclarée coupable, elle encourt une peine d’emprisonnement
de cinq ans et le retrait de son autorisation d’exercer sa profession.
424. La détention arbitraire et l’ingérence injustifiée de la police
sont d’autres pratiques courantes, que l’on peut illustrer par le
cas récemment signalé d’un membre du personnel du Groupe mobile
commun d’ONG russes (Joint Mobile Group of Russian NGOs) en Tchétchénie
.
425. Les journalistes indépendants font également l’expérience
de mesures arbitraires prises par les forces de l’ordre. Ainsi,
des journalistes et le rédacteur en chef du journal indépendant Chernovik au Daghestan ont été victimes
de harcèlement et de menaces, sous la forme de poursuites pénales
pour extrémisme et injures contre des représentants de l’Etat. Ils
ont été acquittés par le tribunal en 2011 au terme d’une longue
bataille juridique.
426. Ces problèmes ne se limitent malheureusement pas au Caucase
du Nord. Les militants d’autres régions de Russie sont également
confrontés à des problèmes graves. Par exemple, en février 2010,
les autorités de Novorossisk ont placé Vadim Karastelev, défenseur
des droits de l’homme, en détention administrative pendant sept
jours pour avoir organisé une manifestation. Le lendemain de la
libération de M. Karastelev, des assaillants inconnus l’ont roué
de coups, le blessant gravement. L’enquête de police est restée
sans effet.
427. En mai 2010, Alexei Sokolov, défenseur des droits des prisonniers
originaire d’Ekaterinburg, a été condamné à cinq ans d’emprisonnement
pour vol et braquage, semble-t-il en représailles de ses activités
.
428. Dans une autre affaire emblématique déjà mentionnée dans le
chapitre précédent, les organisateurs d’un rassemblement international
de la société civile tenu en marge du sommet Union européenne-Russie
de 2011 à Nijni Novgorod ont été la cible de nombreuses menaces
et d’actes de harcèlement de la part des forces de l’ordre locales.
La directrice adjointe de la Commission contre la torture de Nijni
Novgorod a été maintenue en détention et privée de participation
à l’événement. Sa plainte aux autorités n’a été suivie d’aucune
enquête effective.
429. Des informations nombreuses font état d’actes de torture et
d’autres mauvais traitements perpétrés par les membres des forces
de l’ordre, souvent, semble-t-il, pour extorquer aux victimes des
aveux ou de l’argent, dans l’ensemble du pays
.
430. Nombre de détenus se sont plaints d’avoir subi des sanctions
disciplinaires illégales et d’avoir été privés des soins médicaux
que leur état exigeait. Les cas tristement célèbres de M. Magnitsky
et de Mme Trifonova, ainsi que l’impunité
persistante des responsables de leur décès illustrent bien la gravité
du problème. Ici encore, nous attirons l’attention du lecteur sur
le rapport élaboré par la commission des questions juridiques sur
cette question.
431. Un autre problème grave est celui des mauvaises conditions
de détention et des centres de détention provisoire qui ne respectent
pas les normes sanitaires et humanitaires minimales et n’offrent
pas un accès suffisant aux services médicaux. Nous avons été choqués
d’apprendre par M. Nemtsov qu’à la suite de son arrestation du 31 décembre 2010,
il avait été maintenu pendant quarante-huit heures dans une pièce
sans fenêtre ni lumière, ni lit.
432. Les autorités russes sont conscientes du problème. En 2006,
le programme fédéral de «développement du système pénitentiaire
en Fédération de Russie pour 2007-2016» a été adopté. En octobre 2010,
le gouvernement a approuvé le «concept de développement du système
pénitentiaire de la Fédération de Russie d’ici à 2020» qui est maintenant
appliqué.
433. La Fédération de Russie a ratifié la Convention européenne
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (STE no 126) en 1998. Sur
17 rapports de visites du CPT en Fédération de Russie, seul un (concernant
la visite menée en 2001) a été rendu public. Lors de nos visites, nous
avons à plusieurs reprises demandé aux autorités compétentes d’autoriser
la publication du rapport le plus récent du CPT sur la Russie, datant
de 2010. Elles nous ont assuré que la décision en ce sens avait
déjà été prise. A ce jour, le rapport n’a malheureusement toujours
pas été publié.
434. Le recours excessif à la force par les policiers à l’encontre
de manifestants pacifiques est une autre source de préoccupation.
Nous reviendrons sur ce point lorsque nous évoquerons les violations
de la liberté de réunion en rapport avec l’article 31 de la Constitution
de la Fédération de Russie et les manifestations qui ont fait suite
aux élections de décembre. Cela étant, le problème ne se limite
pas aux manifestations politiques. Le 8 mai 2011, près de 200 personnes
se sont réunies dans la ville de Khimki pour une manifestation pacifique contre
un projet d’autoroute. Le rassemblement a été subitement et violemment
dispersé par la police antiémeute, qui a frappé les manifestants
et les a traînés vers un car de police. Plusieurs personnes ont
été blessées. Deux militants placés en détention auraient été frappés
lors de leur garde à vue; ils ont signalé les coups à l’agent de
permanence au commissariat mais aucune enquête effective n’a été
menée.
435. Les autorités russes nous ont indiqué qu’une enquête a été
ouverte sur cette affaire et que plusieurs agents de police font
l’objet de poursuites pénales. De plus, plusieurs procédures disciplinaires
ont été ouvertes.
436. Le recours excessif à la force par la police au cours de la Gay Parade à Moscou, en mai 2011,
qui a fait 17 blessés parmi les participants, est une autre illustration
de ce problème.
437. Les faits de corruption et la collusion entre les services
de police, les enquêteurs et les magistrats du parquet compromettent,
aux yeux de nombreux observateurs, le sérieux des enquêtes et l’efficacité
de la justice. Ils accentuent l’impression d’un manque d’indépendance
des juges, ce qui constitue un autre problème structurel.
438. Cela étant, la législation elle-même laisse dans une certaine
mesure la porte ouverte aux abus. En particulier, les lois relatives
à la police, au Service fédéral de sécurité (FSB) et à l’extrémisme
préoccupent la société civile nationale et internationale.
439. Les amendements à la loi sur le FSB adoptés en 2010 autorisent
les services spéciaux à lancer des avertissements aux individus,
organisations et médias s’ils jugent que ces derniers mènent des
activités extrémistes ou potentiellement extrémistes. Les individus
ou organisations concernés sont alors tenus de mettre fin à ces
activités. Etant donné l’ambiguïté de la définition du terme «extrémisme»
dans la loi en vigueur, ces amendements ouvrent la voie à une interprétation
arbitraire et à des abus. Des exemples concrets sont donnés dans
le paragraphe consacré à la liberté d’expression et à la liberté
de conscience et de religion.
440. Dans son Avis sur la loi fédérale sur le Service fédéral de
sécurité
adopté en juin 2012, la Commission
de Venise a noté qu’il «serait utile que la loi mentionne explicitement
l’exigence de respecter dûment les principes de nécessité et de
proportionnalité et celle d’octroyer des recours effectifs». Il
est d’abord nécessaire, d’après la Commission de Venise, de mettre
en place des mécanismes pour prévenir les abus politiques. Il faut
que les agences fassent l’objet d’un contrôle externe, ce qui n’est
pas le cas actuellement. De plus, s’agissant des mesures préventives
et des mises en garde officielles, la Commission de Venise constate qu’elles
peuvent être utilisées de façon arbitraire, produisant ainsi un
effet dissuasif sur l’exercice des droits de l’homme et des libertés
fondamentales.
441. Par ailleurs, dans son Avis sur la loi fédérale sur la neutralisation
des activités extrémistes
, adopté en juin 2012, la Commission
de Venise déclare clairement que cette loi pose problème en raison
de sa formulation générale et imprécise, notamment pour des notions
élémentaires comme la définition de l’«extrémisme», des «activités
extrémistes», des «organisations extrémistes» ou des «documents extrémistes»,
qui donne une trop grande marge de manœuvre pour son interprétation
et son application, ce qui mène à l’arbitraire. La Commission de
Venise estime que les activités que la loi qualifie d’«extrémistes»
et qui permettent aux autorités de prendre des mesures préventives
et correctives n’impliquent pas toutes de la violence et ne sont
pas définies avec suffisamment de précision pour permettre à un
particulier d’adapter sa conduite ou de mener les activités d’une
organisation de manière à éviter de tomber sous le coup de telles mesures.
Enfin, les instruments spécifiques prévus par la loi pour lutter
contre l’extrémisme – les avertissements écrits et les sommations
– et les mesures punitives qui les accompagnent (interdiction des activités
d’une organisation, fermeture de médias) posent des problèmes sous
l’angle de la liberté d’association et de la liberté d’expression,
et il convient de les amender.
442. Face aux nombreuses critiques – y compris au sein même des
forces de l’ordre – qui se sont élevées contre les abus commis par
les forces de police, le gouvernement a présenté un nouveau projet
de loi sur la police. Ce projet de loi a fait l’objet d’un vaste
débat dans le pays et, pour la première fois dans l’histoire de
la Russie, les législateurs ont demandé des recommandations publiques
sur le contenu du texte. Malgré cela, la loi fédérale sur la police
entrée en vigueur en 2011 a été critiquée par les organisations
de droits de l’homme qui lui reprochaient de ne pas avoir mis en
place des mécanismes efficaces pour demander des comptes aux membres
des forces de l’ordre responsables des actes de violence et des
violations de droits de l’homme. Nous déplorons en outre que l’avis
de la Commission de Venise sur le projet de loi n’ait pas été sollicité
au cours du processus législatif.
443. Dans une tentative, déjà mentionnée dans le chapitre sur le
système judiciaire, de renforcer l’indépendance des enquêtes pénales,
le gouvernement a annoncé en septembre 2010 que la Commission d’enquête
serait transformée en un organe d’investigation indépendant à compter
de 2011. Il rendrait compte directement au président et ne serait
plus placé sous l’autorité du bureau du procureur général. La commission avait
été créée à l’origine en 2007 pour séparer les fonctions d’enquête
et de poursuites.
444. Le vaste émoi suscité par des décès en détention provisoire
faute de soins médicaux adéquats a entraîné des modifications à
la loi régissant la détention provisoire.
445. De plus, des mesures d’assignation à résidence et des restrictions
à l’usage de la détention provisoire ont été mises en place pour
les personnes soupçonnées d’infractions économiques.
446. Au cours de nos visites, nous avons obtenu des informations
et des statistiques sur les procédures, enquêtes et sanctions (procédures
disciplinaires, actions en justice) imposées aux membres des forces
de l’ordre déclarés coupables d’abus. Toutefois, le problème est
loin d’être résolu et nécessite d’autres mesures énergiques pour
accroître la transparence de l’action des membres des forces de
l’ordre et leur obligation de rendre des comptes.
447. A la suite du décès tragique d’un détenu à Kazan, le chef
du Comité d’investigation a publié, le 18 avril 2012, une ordonnance
«sur les mesures complémentaires relatives à l’organisation des
enquêtes sur les crimes commis par les représentants des forces
de l’ordre». Cette ordonnance prévoit la création d’une division spéciale
au sein du Comité d’investigation chargée des enquêtes sur les abus
commis par la police. L’avenir nous dira dans quelle mesure cette
disposition sera efficace.
448. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme et la pratique d’autres Etats membres indiquent
que, pour pallier efficacement les abus des forces de l’ordre, il
faut que trois garanties essentielles soient en place pour toute
personne détenue par la police: le droit de pouvoir informer de
sa situation une tierce personne de son choix, d’avoir accès à un
avocat et de demander un examen par un médecin de son choix. En
outre, la législation devrait énoncer l’obligation, pour les policiers,
d’informer sans délai les personnes détenues des droits susmentionnés
et de consigner immédiatement cette détention dans un registre.
La législation russe actuelle ne prévoit pas ces garanties et il
convient de remédier à cette situation.
449. Par ailleurs, aucune disposition du droit pénal russe ne permet
de poursuivre les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements.
En cas de poursuites, de tels faits sont généralement qualifiés
d’«abus de pouvoir» ou d’«actes ayant causé des dommages corporels».
450. La prévention des abus et le renforcement de l’obligation,
pour les policiers, de rendre des comptes devraient aller en parallèle
avec l’élaboration de méthodes modernes d’enquête et d’interrogatoire
permettant de limiter au maximum les risques d’un recours à la torture
ou aux mauvais traitements. La police pourrait notamment tenir des
registres de détention complets et informatisés, assurer l’enregistrement
intégral des interrogatoires et recourir largement à différentes
techniques de médecine légale. Il convient également d’améliorer
la formation initiale et continue des officiers de police. Ainsi,
l’adoption d’un Code de déontologie pour la police a joué un rôle
déterminant dans l’évolution des mentalités au sein des forces de
l’ordre de certains pays.
7.4. L’affaire de
la mort de M. Magnitsky
451. Sergei Magnitsky était un jeune
avocat russe employé par la principale société d’investissements étrangers
de Russie, le Fonds Hermitage. En 2007, il a commencé à enquêter
sur des allégations d’abus impliquant des hauts fonctionnaires russes
et la criminalité organisée. Il a mis au jour une vaste affaire
de fraude fiscale pour un total de 230 millions USD, organisée avec
la complicité de fonctionnaires, et a déposé plusieurs plaintes.
Son témoignage mettait en cause la police, les milieux judiciaires,
des fonctionnaires des impôts, des banquiers et plusieurs membres
du crime organisé.
452. Le 24 novembre 2008, M. Sergei Magnitsky a été arrêté par
les policiers contre lesquels il avait témoigné, sur la base d’accusations
d’évasion fiscale montées de toutes pièces. Il a été incarcéré pendant
près d’un an sans procès. D’après les déclarations qu’il a faites
lors des audiences au tribunal ainsi que les dossiers officiels,
il a été soumis à des conditions de détention qui se sont constamment
dégradées et à des soins médicaux insuffisants pour le forcer à
déposer un faux témoignage contre ses employeurs.
453. Le 16 novembre 2009, huit jours avant l’expiration du délai
d’une année pendant laquelle il pouvait être incarcéré sans procès,
il a été violemment battu et abandonné sans assistance médicale
dans une cellule d’isolement où il a fini par succomber. Ces faits
ont été confirmés par le Conseil des droits de l’homme du Président
Medvedev le 5 juillet 2011.
454. Les autorités carcérales ont attribué son décès à une «rupture
de la plèvre», et par la suite à une crise cardiaque, et les pouvoirs
publics ont refusé l’ouverture d’une enquête criminelle. Il a fallu
attendre vingt mois après ces événements tragiques pour qu’une enquête
pénale soit ouverte dans cette affaire, sur l’ordre du Président
Medvedev. Cette enquête officielle a été arbitrairement restreinte,
en se limitant aux allégations de «négligence médicale involontaire»,
et en passant sous silence la conspiration délibérée visant à faire
pression sur M. Magnitsky. Les enquêteurs ont fait preuve de partialité
et d’un mépris flagrant pour les normes juridiques les plus élémentaires
en matière d’enquêtes sur des allégations de corruption et de crime
organisé, comme l’illustrent les nombreuses lacunes qui ont caractérisé
l’enquête.
455. De plus, les conclusions de deux enquêtes indépendantes, l’une
réalisée par la Commission publique de contrôle de la ville de Moscou
et l’autre par le Conseil présidentiel des droits de l’homme, ont
été écartées par les instances de l’Etat et n’ont pas abouti à des
poursuites.
456. Des poursuites pénales pour négligence ont été engagées à
l’encontre de deux médecins du centre de détention provisoire où
M. Magnitsky est décédé. Toutefois, personne n’a encore été traduit
en justice ni inculpé pour sa mort. L’enquête en cours a été prolongée
12 fois depuis deux ans et demi.
457. En avril 2012, des procureurs russes ont annoncé le classement
sans suite de la procédure pénale pour négligence engagée à l’encontre
de l’un des deux médecins du centre de détention provisoire où M. Magnitsky est
mort parce que les faits étaient prescrits. L’autre médecin de la
prison est le seul fonctionnaire qui est inculpé pour le décès de
M. Magnitsky
.
458. En 2010, le ministère russe de l’Intérieur a annoncé que M. Magnitsky
était le principal suspect pour l’organisation des vols qu’il dénonçait.
Les services du procureur général ont pris la décision sans précédent de
juger l’avocat Magnitsky à titre posthume et rouvert l’affaire sur
la base des mêmes accusations qui avaient déjà été dénoncées par
le Conseil des droits de l’homme du Président Medvedev comme fabriquées
de toutes pièces par les fonctionnaires ayant un conflit d’intérêts
avec ce dossier.
459. La communauté internationale a maintes fois exhorté les autorités
russes à mener une véritable enquête afin de poursuivre et de sanctionner
toutes les personnes responsables pour la mort de M. Magnitsky.
Mi-2011, l’administration américaine a décrété une interdiction
de visa à l’encontre d’environ 60 fonctionnaires russes impliqués
dans ce meurtre. Le Parlement européen a demandé l’instauration
d’une interdiction de visa sur l’ensemble du territoire communautaire
pour les fonctionnaires russes mis en cause dans cette affaire tragique. L’Assemblée
parlementaire a condamné l’impunité dont jouissent les auteurs des
faits dans sa
Résolution 1891
(2012) sur la situation des défenseurs des droits de l’homme
dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
460. Le 24 mai 2012, nous avons adressé une série de questions
à la délégation parlementaire russe à propos de la mort de M. Magnitsky.
Malheureusement, leurs réponses ne semblent pas aller au-delà de
la position officielle bien connue des autorités russes exposée
à l’issue des enquêtes officielles et des décisions de justice,
et nous ne les trouvons pas satisfaisantes.
461. Tant que les responsables de la mort de M. Magnitsky n’auront
pas été traduits en justice, cette affaire continuera d’illustrer
tragiquement l’impunité et le manque d’indépendance du système judiciaire
russe.
7.5. Liberté d’expression
462. La liberté d’expression est
hautement problématique en Russie. Nous avons décrit dans l’un des chapitres
précédents la situation des médias, caractérisée par un fort contrôle
de l’Etat sur les radiodiffuseurs, une diversité limitée de la presse,
l’usage arbitraire de la loi contre l’extrémisme et, par-dessus
tout, les actes de violence perpétrés contre les journalistes et
l’impunité de leurs auteurs.
463. L’insécurité des journalistes continue de représenter un danger
réel pour la liberté de la presse en Russie. Nombre de professionnels
seraient contraints de pratiquer l’autocensure en raison de la multiplication des
agressions physiques ciblées de journalistes renommés et de l’incapacité
persistante des autorités à mener des enquêtes crédibles et effectives
et à punir les personnes responsables de coups et violences à l’égard
de journalistes, voire de meurtres.
464. Selon le Comité de protection des journalistes (CPJ), pas
moins de 22 journalistes ont été victimes d’assassinats ciblés entre
1991 et 2009. A titre de comparaison, les chiffres d’autres pays
au cours de la même période sont les suivants: France: 0, Allemagne:
0, Italie: 0, Royaume-Uni: 1
.
465. La Russie occupe la huitième place sur l’indice de l’impunité
du Comité de protection des journalistes, une liste de pays dans
lesquels des journalistes sont régulièrement assassinés sans que
les gouvernements en punissent les auteurs. Depuis 1999, seuls trois
procès pour meurtre de journalistes en mission ont abouti à la condamnation
des auteurs: celui des meurtres de Larisa Yudina en 1998 et d’Ivan
Sukhomlin en 2003 et celui des coups mortels portés à Igor Domnikov
en mai 2000.
466. Le meurtre de Mme Anna Politkovskaya,
une journaliste réputée pour ses critiques à l’encontre du Kremlin
et abattue le 7 octobre 2006, et la non-élucidation à ce jour des
circonstances exactes de sa mort ainsi que l’absence de sanction
à l’encontre des responsables créent un climat d’impunité et de
peur. Il est vrai que l’enquête a enregistré récemment certains
progrès encourageants
, mais la
question de l’identification des commanditaires reste ouverte et
demandera beaucoup de persévérance de la part de la police et des
autorités judiciaires.
467. Au cours de la même période, plus d’une centaine d’actes de
violence visant des journalistes mais sans issue fatale ont été
répertoriés. Les services répressifs ont enquêté sur plus de 70
de ces agressions (certaines agressions n’ont pas été signalées
et la police n’est tenue d’enquêter que sur les agressions physiques
les plus graves). Les enquêtes ont généralement été suspendues faute
de progrès. Au total, quatre agressions ont été portées devant les
tribunaux au cours de cette période. Deux ont mené à la condamnation
des auteurs, mais pas des instigateurs présumés.
468. Les menaces contre les journalistes et les organes des médias
constituent la forme la plus insidieuse d’intimidation.
469. Etant donné l’influence croissante d’internet en tant que
principale source d’information (plus de 40 % des citoyens russes
utilisent Runnet), la question de la liberté d’expression en ligne
a considérablement gagné en pertinence. Là encore, les tentatives
des autorités de développer le filtrage et la surveillance en ligne soulèvent
de graves préoccupations. Des poursuites et des procès sont intentés
à des blogueurs, souvent sur la base d’une interprétation vague
de la loi contre l’extrémisme, qui a été modifiée en juillet 2007.
470. Il y aurait eu de nombreux cas de harcèlement de tous ordres
– judiciaire ou autre – de blogueurs visant à intimider ceux qui
se montrent critiques à l’encontre des autorités ou traitent de
sujets sensibles.
471. Par ailleurs, la liberté d’expression des défenseurs des droits
de l’homme, des avocats et des militants de la société civile reste
limitée. Seule la condamnation – en mai 2011 – du couple responsable
du double meurtre de l’avocat défenseur des droits de l’homme Stanislav
Markelov et de la journaliste Anastasia Barburova a porté un premier
coup sérieux au climat d’impunité qui prévaut en Russie.
472. A l’exception de ce double meurtre, aucun des assassinats
de militants célèbres des droits de l’homme (Natalia Estemirova,
Maksharip Aushev, Zarema Sadulava ou Alik Dzhabrailov, pour ne citer
que ceux des deux dernières années) n’a été résolu de manière convaincante
et aucun des auteurs n’a été condamné. Les défenseurs des droits
de l’homme et les militants de la société civile sont également
fréquemment victimes d’intimidation, de harcèlement administratif
et d’agressions physiques.
473. A notre grand regret, la Douma a adopté, mi-juillet 2012,
deux lois controversées qui ont un impact considérable sur la liberté
d’expression: premièrement, une loi vivement décriée sur la pénalisation
de la diffamation. Elle requalifie la diffamation en infraction
pénale et prévoit des amendes pouvant atteindre 5 millions de roubles
(152 000 USD). Elle annule la réforme du Président Medvedev de décembre
2011 qui avait dépénalisé la diffamation pour en faire une simple
infraction administrative. Elle est contraire aux normes démocratiques
et confère aux autorités le pouvoir de museler les critiques. Deuxièmement,
la loi sur l’internet (loi sur l’information) qui devrait, d’après
de nombreux observateurs, avoir des retombées négatives et mener à
l’instauration de la censure. Wikipedia a fermé ses pages en russe
pendant une journée avant le vote au motif que cette loi permettrait
d’instituer une censure extrajudiciaire sur l’ensemble de l’internet
en Russie.
7.6. Liberté de réunion
474. Le droit à la liberté de réunion
– essentiel pour soutenir le pluralisme et la démocratie – continue
de poser problème en Russie. Ce droit est inscrit à l’article 31
de la Constitution et régi par la loi fédérale de la Fédération
de Russie sur «les rassemblements, réunions, manifestations, marches
et piquets de grève» («loi sur les rassemblements»), modifiée en
décembre 2010. Bien que le cadre normatif général soit conforme
dans son principe aux normes européennes, l’interprétation de certaines
dispositions ambiguës par les autorités soulève des préoccupations
légitimes.
475. La loi prévoit une procédure de notification obligeant les
organisateurs à informer les autorités de leur intention d’organiser
un rassemblement. Ils ne sont cependant pas tenus, par cette disposition,
de demander une autorisation. Cependant, l’ambiguïté du texte permet
aux autorités de promulguer des décisions et des règles qui restreignent
la liberté de réunion: un changement de lieu, par exemple.
476. Selon les Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique
, l’organisateur
d’une réunion ne doit pas être forcé ou contraint d’accepter la
ou les solution(s) de remplacement proposée(s) par les autorités,
ni de négocier avec elles des aspects fondamentaux (notamment l’heure
ou le lieu) de la réunion qu’il prévoit.
477. Cependant, une des dispositions de la loi fédérale qui a souvent
été appliquée est l’interdiction de tenir une réunion si les organisateurs
n’acceptent pas les propositions «motivées» des autorités de modifier
le lieu ou l’heure de la réunion
.
478. La Commission de Venise, dans son Avis sur la loi fédérale
relative aux rassemblements, réunions, manifestations, marches et
piquets de grève
, publié en mars 2012, a recommandé
une révision de ce régime de la notification préalable. Les motifs
de restriction des rassemblements devraient être limités afin de permettre
l’application du principe de la proportionnalité; les rassemblements
spontanés devraient être tolérés dans la mesure où ils sont pacifiques;
les obligations des organisateurs devraient être réduites. L’avis
souligne également que, en cas de recours devant les tribunaux,
ceux-ci devraient rendre une décision avant la date du rassemblement
envisagé.
479. L’avis susmentionné montre clairement qu’il serait souhaitable
de réviser le cadre juridique afin d’inclure des procédures efficaces,
prévisibles et clairement définies pour la résolution des désaccords
susceptibles de survenir dans le contexte de la procédure de notification.
Nous sommes donc vivement préoccupés par l’adoption d’une nouvelle
loi qui restreint davantage encore la liberté de réunion. Nous avons
déjà mentionné la loi sur les protestations, adoptée le 6 mai 2012,
qui augmente considérablement le montant des amendes pour l’organisation
de manifestations non autorisées ou pour la participation à celles-ci.
Une application restrictive de cette loi permettrait de sanctionner
des personnes pour le simple fait de se promener dans la rue avec
un ruban ou de lancer sur internet un appel à manifester. L’adoption
de cette loi a suscité beaucoup de critiques tant en Russie qu’à
l’étranger. Ce texte n’est pas conforme aux normes du Conseil de
l’Europe et nous espérons sincèrement que les autorités russes le
réexamineront en vue de le modifier.
480. Les autorités refusent les autorisations et la police disperse
souvent – faisant parfois un usage inutile ou excessif de la force
– les manifestations publiques organisées par les militants de la
société civile et l’opposition politique, bien que les organisateurs
respectent la procédure de notification prévue par la loi. La police
procède à des arrestations arbitraires et place en détention des
manifestants qui sont ensuite fréquemment condamnés à des sanctions
administratives.
481. Les sanctions et peines infligées après des réunions sont
également sources de préoccupation. De nombreuses allégations laissent
entendre que le droit à un procès équitable n’est pas respecté.
Dans plusieurs arrêts, la Cour européenne des droits de l’homme
a estimé que les sanctions infligées à des manifestants constituaient
une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté de
réunion et d’expression.
482. Malgré ces difficultés, des rassemblements en faveur de la
liberté de réunion ont été organisés par l’opposition dans les principales
villes russes tous les 31 du mois, ce jour symbolisant l’article 31
de la Constitution russe, qui garantit le droit de réunion pacifique.
Ils ont souvent été dispersés violemment par la police et certains
militants politiques ont été placés en détention. Les moyens utilisés
contre les manifestants et la justification de la détention sont
très discutables. Ainsi, le rassemblement du 31 décembre 2010, bien qu’autorisé,
a entraîné l’arrestation de près de 120 manifestants, parmi lesquels
plusieurs figures de l’opposition, comme MM. Nemtsov, Ilia Iashin
et Konstantin Kosiakin. Ces derniers ont été condamnés le 2 janvier 2011
à quinze, cinq et dix jours de rétention administrative respectivement,
pour «non respect des instructions de la police», bien que des témoins
oculaires aient affirmé qu’ils ne s’étaient pas opposés aux policiers.
483. Depuis la fin de l’année 2010, avec la nomination d’un nouveau
maire de Moscou, certaines manifestations ont été autorisées. Ce
changement positif a été confirmé récemment au cours de la période postélectorale.
Nous nous en félicitons. En revanche, dans d’autres villes russes,
les rassemblements ont malheureusement la plupart du temps été refusés.
484. Les autorités devraient veiller à ce que les membres des forces
de l’ordre de tout grade respectent et protègent le droit à la liberté
de réunion et agissent conformément à la loi lors des manifestations.
Ces agents devraient suivre régulièrement des formations sur le
maintien de l’ordre lors des rassemblements publics, dans le respect
des principes relatifs aux droits de l’homme.
485. Ils devraient également être tenus de rendre compte de tout
acte illégal commis lors d’une manifestation. Plusieurs mesures
susceptibles de remédier à cette situation peuvent être recommandées:
par exemple, imposer aux agents le port de signes visibles qui permettent
de les identifier clairement lors de leurs interventions. Par ailleurs,
il conviendrait de collecter et de publier des informations et des
statistiques à propos des actes illégaux commis par les forces de
l’ordre à ces occasions.
486. Il faut également souligner que la législation actuelle ne
comporte pas de dispositions consacrées aux rassemblements spontanés.
Le droit d’organiser de telles réunions est important dans les cas
où une action différée risquerait d’affaiblir le message. Les semaines
qui ont suivi les élections de décembre 2011 en ont été un exemple
particulièrement représentatif.
487. Les
Gay Parades sont
systématiquement interdites. En septembre 2010, la Cour européenne
des droits de l’homme a conclu à l’unanimité que la Fédération de
Russie avait agi illégalement en interdisant les manifestations
pour les droits des homosexuels en 2006, 2007 et 2008. Elle a affirmé
que la Russie devait légaliser l’événement prévu le 20 mai 2011
.
Les autorités russes n’ont pas respecté cet arrêt et, le 18 mai 2011,
18 manifestants pacifiques ont été arrêtés et agressés. L’un d’entre
eux a été hospitalisé. Ces actes s’inscrivent dans le cadre de la
problématique plus vaste de la discrimination à l’égard des LGBT (lesbiennes,
gays, bisexuels et transgenres).
488. Dans l’entretien qu’il a accordé à la presse russe en sa qualité
d’ancien rapporteur de l’Assemblée sur les droits des LGBT, M. Gross
a souligné que la Russie devait se conformer aux décisions de la
Cour et que l’interdiction de la Gay
Pride de Moscou était contraire à la Convention européenne
des droits de l’homme. Il a également critiqué la déclaration faite
par le maire de Moscou, M. Sergey Sobyanin, selon laquelle «les Gay Parades n’ont pas leur place
à Moscou». «Je déplore vivement que le nouveau maire adopte la position
de son prédécesseur concernant les Gay
Pride Parades. M. Yuri Luzhkov n’était pas un maire démocratique
et a été associé à la corruption. Je ne comprends vraiment pas pourquoi
le nouveau maire s’oppose tant à ces marches», a dit le rapporteur.
489. Le médiateur des droits de l’homme de Moscou, M. Alexander
Muzykantsky, a annoncé le 25 avril 2011, qu’il préparait un rapport
sur les violations par les autorités russes de la liberté d’organiser
des manifestations.
490. Le 9 septembre 2011, l’ancien Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe, M. Thomas Hammarberg, a adressé au gouvernement
de la Fédération de Russie un courrier dans lequel il faisait part
de sa préoccupation devant les entraves à la liberté de réunion.
491. Dans leur réponse du 30 septembre 2011, qui est consultable
sur le site web du commissaire, les autorités russes ont fait des
commentaires sur les questions soulevées dans la lettre et ont donné
des informations sur certaines mesures prises pour améliorer la
situation.
7.7. Liberté de conscience
et de religion
492. Lors de son adhésion, la Fédération
de Russie s’est engagée à introduire des lois nouvelles conformes aux
normes du Conseil de l’Europe, en particulier au sujet de la liberté
de religion. La loi fédérale sur la liberté de conscience et les
associations religieuses a été adoptée en 1997. Elle a été critiquée,
dans le pays comme à l’étranger, au motif qu’elle méconnaît le principe
de l’égalité des religions.
493. La loi de 1997 est très complexe et ses dispositions sont
souvent ambiguës. Elle instaure différentes catégories de communautés
religieuses auxquelles s’appliquent des régimes juridiques et des
privilèges différents. Les décisions ultérieures de la Cour constitutionnelle
en 1999, 2000 et 2002 ont quelque peu amélioré la situation, en
limitant la base d’application de certains critères, mais la situation
n’est toujours pas pleinement satisfaisante.
494. Dans le précédent rapport sur la Russie en 2005, les corapporteurs
demandaient instamment aux autorités russes de réviser la loi, notamment
pour éliminer les dispositions discriminatoires qui entravent l’enregistrement
des organisations religieuses nouvelles, simplifier les procédures
d’enregistrement et élargir les droits accordés aux groupes religieux
non enregistrés. Cela n’a malheureusement pas été fait.
495. Un certain nombre de confessions et d’organisations religieuses,
parmi lesquelles les mormons et la Krishna Consciousness Society,
se sont heurtées à des problèmes pour obtenir leur enregistrement
.
496. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la
commission de suivi de l’Assemblée, les autorités insistent sur
le fait que le nombre de refus par l’Etat d’enregistrer des organisations
religieuses est en nette diminution: de 2008 à 2011, il est tombé
de 5,5 % à 2,4 %.
497. Nous avons par ailleurs été informés que la loi fédérale de
lutte contre les activités extrémistes (loi sur l’extrémisme), adoptée
en 2002
,
était utilisée de manière abusive pour faire obstacle aux activités
de certaines religions, et en particulier celles des Témoins de
Jéhovah, une vaste communauté comptant 162 000 membres en Russie.
Les cas d’utilisation abusive ont connu une hausse spectaculaire
depuis l’introduction des amendements à la loi en 2006.
498. Dans la loi d’origine, la définition de l’extrémisme évoquait
«l’incitation à la discorde sociale, raciale, nationale ou religieuse,
associée à la violence ou à des appels à la violence». Dans l’amendement
de 2006, la deuxième partie de la phrase a été supprimée. L’article 1
de la loi définit l’extrémisme comme suit: «toute activité menée
par des associations sociales ou religieuses, par d’autres organisations,
par les médias ou par des particuliers, impliquant la planification,
l’organisation, la préparation et la réalisation d’actes dans l’un
des buts suivants: incitation à la discorde sociale, raciale, nationale
ou religieuse; proclamation du caractère exclusif, de la supériorité
ou de l’infériorité d’une personne sur la base de son statut social,
racial, national ou religieux, de sa langue ou de son attitude vis-à-vis
de la religion». Cette définition ambiguë de «l’extrémisme» ouvre
la voie à des mesures arbitraires de la part des services répressifs.
499. En conséquence, 68 publications religieuses des Témoins de
Jéhovah, dont la «Bible pour enfants», ont été inscrites sur la
liste fédérale des matériels extrémistes, publiée par le ministère
de la Justice.
500. Certains membres de cette communauté font l’objet de poursuites
pénales pour «incitation à la haine ou à l’hostilité et atteinte
à la dignité humaine», ou distribution présumée de tracts «extrémistes»
au sens des articles 282 et 282.1 du Code pénal. A ce jour, 10 enquêtes
pénales ont été ouvertes à l’encontre de Témoins de Jéhovah.
501. Des membres de la communauté ont également été déclarés coupables
de violations des articles 13.21, 20.2 et 20.29 du Code administratif
car ils auraient distribué des périodiques religieux sans autorisation,
tenu des réunions religieuses sans en informer les autorités et
stocké des publications religieuses jugées extrémistes en vue de
leur diffusion.
502. La loi fédérale sur le FSB récemment modifiée donne aux enquêteurs
de nombreux moyens de s’immiscer dans la vie privée de particuliers,
de les harceler et de les intimider sous prétexte de recueillir
des preuves. Depuis décembre 2009, il y a eu plus de 1 000 incidents
d’agressions, d’incendies criminels, de détentions par la police,
de perquisitions et de saisies de documents, ainsi que de descentes
de police au domicile de particuliers et dans des lieux de culte.
Dans de nombreuses villes, les sites web de Témoins de Jéhovah ont
fait l’objet de cyberattaques.
503. En 2010, par décision du Service fédéral de supervision des
communications, des technologies de l’information et des communications
de masse, l’autorisation de diffusion du principal magazine en langue anglaise
des Témoins de Jéhovah a été annulée. En vertu de cette décision,
le magazine ne peut même plus être importé dans le pays.
504. Le 10 juin 2010, la Cour européenne des droits de l’homme
a conclu que la liquidation et l’interdiction des activités de la
communauté moscovite des Témoins de Jéhovah prononcées en 2004 étaient
illégales. Depuis, la communauté n’a toutefois pas été en mesure
de se faire réenregistrer, en dépit de multiples tentatives en ce
sens.
505. On nous a présenté une longue liste d’affaires solidement
documentées concernant des violations de la liberté de religion
à l’encontre des Témoins de Jéhovah.
506. Jugeant cette situation inacceptable, nous avons pris l’initiative
de solliciter l’avis juridique de la Commission de Venise sur la
loi fédérale relative à l’extrémisme, telle que modifiée en 2006.
Nous espérons que les recommandations de la Commission de Venise
contribueront à remédier aux violations actuelles.
507. La situation a pris un tour extrêmement préoccupant quand,
le 31 mai 2012, 17 Témoins de Jéhovah de Taganrog ont été inculpés
pour organisation d’activités criminelles et participation à celles-ci
au seul motif d’avoir pratiqué leur religion. Le procès devrait
se tenir prochainement. La décision d’ouvrir une procédure pénale
sur la base de l’article 282.2 du Code pénal (organiser des activités
d’une organisation extrémiste) a été rendue le 5 août 2009 et fait
suite à la décision du tribunal régional de Rostov de liquider l’organisation religieuse
locale en tant qu’organisation extrémiste et de qualifier de documents
extrémistes 34 de leurs publications religieuses.
508. La Russie s’est également engagée à restituer, dans les plus
brefs délais, les biens des institutions religieuses. La loi sur
le transfert aux organisations religieuses des biens appartenant
à l’Etat ou aux municipalités a été adoptée par la Douma d’Etat
en novembre 2010. Nous constatons avec satisfaction que la plupart
des biens utilisés pour des services religieux ont été restitués.
Cela nous a été confirmé lors de nos réunions avec les représentants
de différentes confessions à Moscou et à Kazan.
7.8. Le service militaire
de substitution
509. Lors de son adhésion, la Russie
s’est engagée à adopter une loi prévoyant un service militaire de substitution.
Elle l’a fait en 2002.
510. Dans leur rapport sur la Russie présenté en 2005, nos prédécesseurs
ont vivement critiqué cette loi, jugeant qu’elle n’était pas compatible
avec les normes européennes et n’offrait pas d’alternative juste
aux jeunes appelés. Ils ont conclu que l’engagement en question
n’était pas rempli, ajoutant que l’adoption d’une loi ne garantit
pas automatiquement le respect des obligations et engagements souscrits.
Nous partageons pleinement cet avis.
511. La
Résolution 1455
(2005) sur le respect des obligations et engagements de la
Fédération de Russie appelait les autorités russes à réviser la
loi sur le service militaire de substitution afin «de lui enlever
son caractère disproportionné et de la rendre conforme aux pratiques
européennes».
512. Cela n’a malheureusement pas été fait. La délégation russe
considère, pour sa part, que cet engagement est respecté. Pour justifier
sa position, elle s’appuie sur des statistiques: d’après le ministère
de la Défense, de 2004 à 2010, 5 388 demandes de service militaire
de substitution ont été déposées; 4 072 de ces demandes, soit 80,5%,
ont été satisfaites.
7.9. Protection des
minorités, xénophobie et intolérance raciale
513. En adhérant au Conseil de l’Europe,
la Russie s’est engagée à adopter des lois nouvelles conformes aux
normes du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales,
à signer et à ratifier, dans un délai d’un an à compter de la date
d’adhésion, la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales (STE no 157), à orienter sa
politique à l’égard des minorités en suivant les principes énoncés
dans la Recommandation de l’Assemblée 1201 (1993) sur un protocole
additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur
les droits des minorités, et à incorporer ces principes dans le
système juridique et administratif et dans la pratique du pays.
Elle s’est également engagée à signer et à ratifier, dans un délai
d’un an à compter de la date de l’adhésion, la Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires (STE no 148).
514. La Russie est un Etat multiethnique qui compte plus de 100 nationalités.
D’après le recensement de 2010, les Russes constituent 80,9 % de
la population totale, les Tatars 3,9 %, les Ukrainiens 1,4 %, les
Bachkir 1,1 %, les Tchouvaches 1,1 %, les Tchétchènes 1 % et les
autres 10,6 % comprenant les citoyens finno-ougriens, dont la situation
est jugée préoccupante par l’Assemblée
.
515. La Fédération de Russie a ratifié la Convention-cadre pour
la protection des minorités nationales le 18 juin 1998. La résolution
la plus récente du Comité des Ministres contenant des recommandations
pour l’amélioration du processus de mise en œuvre date de mai 2007.
Les autorités russes ont soumis leur troisième rapport périodique
en 2010 et le Comité consultatif a adopté son troisième avis en
février 2012.
516. Tout en notant des progrès dans la mise en œuvre de la convention-cadre,
cette résolution met l’accent sur un certain nombre de points préoccupants,
et notamment l’application des garanties fédérales en vigueur en
matière de protection des minorités, l’absence de législation complète
contre la discrimination offrant des recours effectifs aux victimes
de discrimination et les problèmes persistants d’accès à l’enregistrement
du lieu de résidence et à la citoyenneté des membres des minorités
nationales, lesquels se heurtent de ce fait à des difficultés dans
l’exercice de leurs droits économiques, sociaux et civils.
517. On note une augmentation alarmante du nombre d’attaques violentes
à motivation raciste. Le peu d’empressement des forces de l’ordre
et des autorités chargées des poursuites à reconnaître la motivation raciale
et nationaliste de ces infractions est préoccupant. En outre, l’incitation
à la haine est devenue de plus en plus fréquente et reste bien trop
souvent impunie.
518. On ne peut que déplorer le recul de la participation des minorités
à la vie publique, et notamment l’abrogation des dispositions fédérales
autorisant des quotas en matière de participation des populations autochtones
aux assemblées législatives régionales. Dans leurs observations
sur l’avant-projet de rapport, les autorités ont attiré notre attention
sur le fait que la participation de représentants des minorités
prend principalement la forme d’une adhésion et d’activités au sein
des organes consultatifs affiliés aux autorités nationales et locales.
Ils siègent notamment au sein du conseil consultatif d’experts affiliés
à la Task Force interministérielle sur les relations interethniques.
Le 7 mai 2012, le Président Poutine a en outre promulgué un décret
sur «la promotion de la concorde entre les ethnies». Un «conseil
des relations interethniques» devrait être mis en place sous la
responsabilité du président.
519. La Fédération de Russie a signé la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires en 2010 mais ne l’a jamais soumise pour
ratification. Au cours de notre précédente visite, nous avons appris
que la procédure était en cours et que la ratification aurait lieu
à bref délai. Nous demandons instamment aux membres de la Douma
– comme nous l’avons déjà fait lors de nos réunions à Moscou – de
mener à bien cette tâche sans tarder, d’autant plus que la question
ne semble pas poser problème. En effet, lors de notre visite à Kazan,
nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec les différentes
communautés linguistiques présentes en République du Tatarstan et
en avons conclu que la situation générale en rapport avec les langues minoritaires
était satisfaisante.
520. Le rapport le plus récent de la Commission européenne contre
le racisme et l’intolérance (ECRI) a été publié en 2006 (il a été
adopté en décembre 2005). Parmi les questions spécifiques qui y
sont abordées figurent l’escalade de la violence raciste, la multiplication
des déclarations et des publications racistes, l’exploitation du
discours raciste en politique et le problème de la discrimination
raciale dans le système d’enregistrement du lieu de résidence. La
prochaine visite de l’ECRI et le rapport correspondant sont prévus pour
cette année.
7.10. Les institutions
du médiateur
521. Lors de son adhésion, la Russie
s’est engagée à adopter une loi sur le bureau du Commissaire aux droits
de l’homme. La loi fédérale sur le médiateur de la Fédération de
Russie a été adoptée en 1997.
522. Le médiateur est indépendant du pouvoir exécutif et élu par
la Douma pour une période de cinq ans. Depuis 2004, ce poste est
occupé par notre ancien collègue de l’Assemblée parlementaire, M. Vladimir
Lukin.
523. Le médiateur examine les plaintes relatives aux violations
des droits et libertés fondamentaux des individus, prend des mesures
pour rectifier les violations, formule des recommandations sur la
conformité de la législation nationale avec le droit international
et prépare des rapports annuels sur les activités de ses services
pour le président, le parlement, le gouvernement, le procureur général
et les plus hautes juridictions. En 2011, le bureau du médiateur
a reçu plus de 54 000 plaintes individuelles ou collectives.
524. Si nous sommes véritablement impressionnés par la volonté
d’agir et l’investissement personnel du médiateur actuel et de ses
équipes, nous devons admettre que leurs activités ont un impact
global limité sur la situation des droits de l’homme en Fédération
de Russie et concernent principalement des cas particuliers.
525. La loi prévoit que chaque entité de la Fédération de Russie
peut également élire son propre médiateur. Au cours de notre visite
à Kazan, nous avons rencontré le médiateur du Tatarstan, Mme Saria
Saburskaya, et avons été informés de ses activités.
7.11. Le Conseil présidentiel
sur le développement de la société civile et les droits de l’homme
526. Le Conseil présidentiel des
droits de l’homme
est
un organe consultatif créé en 2004, chargé de préparer des recommandations
au président sur les principaux problèmes de droits de l’homme.
Il est composé de 27 représentants des principales ONG.
527. Le conseil a pris position sur de nombreuses questions importantes
et délicates, montrant son indépendance et son impartialité. Il
a élaboré des rapports sur le décès de M. Sergey Magnitsky, mettant
en évidence la responsabilité des gardiens de prison, ainsi que
sur la détention de M. Mikhail Khodorkovski, concluant à la nécessité
d’une révision de l’enquête.
528. Plus récemment, le 24 décembre 2011, le conseil a appelé à
la démission du président de la Commission électorale centrale.
529. Les rapports du Conseil présidentiel des droits de l’homme
sont publics et consultables sur son site web. Toutefois, ils ne
sont nullement contraignants, et leur influence est très limitée.
530. Malheureusement, en juin 2012, à la suite de l’annonce d’un
changement dans le système de nomination des membres du conseil,
13 de ses 27 membres, dont la célèbre défenseur des droits de l’homme Ludmila
Alexeeva, ont démissionné. Ils craignaient que le Conseil ne perde
son indépendance par rapport aux autorités. Le 22 juin 2012, M. Mikhail
Fedotov a déclaré que, à partir du mois suivant, les organisations
non gouvernementales et autres groupes de la société civile russes
pourraient proposer leurs candidats sur le site internet officiel
du Conseil présidentiel des droits de l’homme et que le président
sélectionnerait les nouveaux membres du conseil parmi ces candidats.
531. Cette décision ainsi que les nouvelles lois qui ont récemment
été adoptées aggravent encore nos inquiétudes quant aux intentions
des autorités et à l’avenir de la démocratie en Russie.
8. Conclusions
532. Dans l’ensemble, l’état de
la démocratie en Russie est préoccupant, tout comme la lenteur des
progrès réalisés par le pays pour se conformer à ses obligations
et à ses engagements. Dans le présent rapport, nous relevons de
nombreux problèmes dans tous les domaines qui nous intéressent,
et notamment la démocratie pluraliste, l’Etat de droit et les droits
de l’homme, tant au niveau de la législation qu’à celui de son application. Il
conviendrait que la Fédération de Russie intensifie ses efforts
et progresse plus rapidement sur la voie de la démocratisation.
533. Un aspect particulièrement préoccupant de la période couverte
par ce rapport est le climat politique restrictif qui a fait obstacle
à un dialogue politique digne de ce nom et à la libre expression
de l’opinion publique.
534. L’environnement politique restrictif a également nui au processus
électoral, une situation qui s’est ajoutée aux lacunes et aux dysfonctionnements
de la législation et de l’administration électorales pour alimenter
les vives critiques dont les récentes élections parlementaires et
présidentielle ont fait l’objet.
535. Les inquiétudes concernant l’indépendance du système judiciaire
sont étroitement liées à d’autres préoccupations relatives à la
prééminence du droit, aux violations des droits de l’homme et à
l’impunité des forces de l’ordre.
536. En notre qualité de rapporteurs pour le suivi du respect par
la Fédération de Russie de ses obligations et de ses engagements,
nous avons été chargés de la mission particulièrement difficile
d’évaluer les progrès démocratiques d’un pays qui semble être à
la croisée des chemins et qui doit choisir son avenir. D’ailleurs,
à l’heure de rédiger les présentes conclusions (juillet 2012), il
est difficile de prédire la direction que prendra la Russie.
537. Les manifestations massives qui ont suivi les élections législatives
de décembre 2011 ont changé la donne politique en Russie. Après
plus d’une décennie où le pouvoir était entre les mains d’une force
politique disposant d’une majorité confortable au parlement et du
soutien de la population, ce qui lui a permis de consolider sa position,
parfois aux dépens des principes démocratiques, la population a
exigé davantage d’ouverture et de participation dans le système
politique.
538. La stabilité politique et la prospérité économique du début
des années 2000, qui faisaient suite au chaos et aux difficultés
économiques des années 1990, ne suffisent plus pour satisfaire les
ambitions et les attentes de la population. La population russe,
qui est souvent considérée comme passive sur le plan politique et favorable
à un pouvoir fort et autoritaire, a soudain révélé ses attentes
démocratiques et son potentiel politique.
539. Sa mobilisation massive ne s’est pas limitée aux grandes villes
et à des catégories spécifiques de la population: tout le pays a
été concerné et des personnes de toutes les classes de la population
et de toutes les orientations politiques étaient représentées dans
les manifestations. Une occasion unique est ainsi offerte au pouvoir,
ce qui pourrait aboutir à une libéralisation du système.
540. Diverses réformes législatives lancées par l’ancien Président,
Dmitri Medvedev, et inscrites dans la loi, dont les amendements
à la loi électorale, l’élection au suffrage direct des gouverneurs
et la modification des règles d’enregistrement des partis politiques,
paraissaient confirmer un sincère souhait de libéralisation du système.
L’annonce récente par le Président nouvellement élu, Vladimir Poutine,
de son intention d’élargir le dialogue politique en intégrant l’opposition
extraparlementaire semblait confirmer cette orientation positive.
541. Toutefois, de telles déclarations favorables aux changements
sont trop souvent contredites par les actes. Comme nous l’avons
indiqué dans l’introduction, l’adoption récente de lois restrictives
et notamment la «loi sur les protestations», celles sur la repénalisation
de la diffamation et sur l’internet ou les amendements à la loi
sur les ONG constituent autant de retours en arrière et de motifs
de s’interroger sur les intentions des instances dirigeantes.
542. L’expertise juridique de la Commission de Venise révèle que
de nombreuses lois essentielles pour l’environnement démocratique
de la Fédération de Russie posent problème du point de vue de leur
conformité avec les normes démocratiques. Nous espérons que les
autorités russes tiendront compte des recommandations de la Commission
de Venise et les appliqueront sans tarder. Dans l’intervalle, les
lois qui régissent actuellement les libertés fondamentales devraient
être appliquées d’une manière moins restrictive.
543. Nous appelons également les autorités russes à faire appel
à l’expertise de la Commission de Venise quand elles prépareront
de nouvelles lois.
544. Nous sommes persuadés que les prochains mois seront très importants
pour l’avenir démocratique de la Fédération de Russie. Une fois
de plus, nous rappelons que les instances dirigeantes ont tout intérêt
à écouter l’opinion publique et à la laisser s’exprimer librement.
Le respect de la liberté d’expression, de la liberté de réunion
et de la liberté d’association est essentiel dans un processus véritablement
démocratique.
545. Nous sommes conscients de la frustration des autorités russes
face à la durée de la procédure de suivi. Elles sont convaincues
qu’un effort considérable a été consenti sur le plan législatif
pour se conformer aux engagements, et que le pays devrait à présent
aborder la phase du dialogue postsuivi. Nous avons pu constater
cette frustration, voire de l’incompréhension, lors de nombreuses
rencontres organisées pendant notre mission.
546. Nous avons toutefois acquis la conviction que les conditions
ne sont pas encore réunies pour clore la procédure de suivi. Nous
soulevons une série de sujets d’inquiétude dans le présent rapport.
Nous avons eu des entretiens francs et directs sur ces préoccupations
avec les autorités russes. Les problèmes non encore résolus, y compris
en matière d’élections, de liberté d’expression, de liberté de réunion
et de droits de l’homme, doivent être traités avant qu’une clôture
de la procédure de suivi puisse être envisagée.
547. En outre, les lois restrictives susmentionnées, qui ont été
adoptées au cours des derniers mois, font planer le doute sur les
intentions réelles des autorités et sur leur volonté déclarée de
démocratiser le pays. Nous recommandons par conséquent à l’Assemblée
de poursuivre la procédure de suivi.
548. Nous suivrons attentivement l’évolution de la situation. Nous
poursuivrons notre dialogue politique avec les autorités et sommes
déterminés à ne pas dépasser les délais prévus par la procédure
de suivi et à soumettre notre prochain rapport avant l’expiration
de notre mandat en janvier 2015.