1. Introduction:
le défi d’assurer une participation adéquate du secteur financier
au développement social et économique
1. Avec la crise financière et
économique, de nombreux pays européens ont été confrontés à une augmentation
rapide de la dette publique et à une forte pression des marchés
financiers, exigeant une plus grande discipline fiscale. Des mesures
d’austérité drastiques – dont les répercussions sont souvent désastreuses
au plan économique et social – ont dû être prises sur l’ensemble
du continent. La quasi-totalité des pays de la zone euro dépassent
aujourd’hui les seuils fixés dans le Pacte de stabilité et de croissance
pour ce qui est de la dette publique et du déficit public annuel
(lesquels ne devraient pas dépasser respectivement 60 % et 3 % du
produit intérieur brut (PIB)), dans un contexte où un renforcement
des investissements sociaux et des mesures de relance économique
sont plus que jamais nécessaires. D’autres pays, de part et d’autre
du continent, mènent aussi des réformes structurelles difficiles
et s’efforcent de trouver un juste équilibre entre l’ouverture des
marchés et leurs engagements sociaux nationaux.
2. Parallèlement à cela, de nombreux établissements financiers
renfloués
grâce à de l’argent public
récoltent à
nouveau des bénéfices et versent des dividendes considérables à
leurs actionnaires et des primes à leurs cadres dirigeants. Par
ailleurs, comme le font remarquer les auteurs de la proposition
de résolution intitulée «Un retour à la justice sociale grâce à
une taxe sur les transactions financières» (
Doc. 12759), les échanges mondiaux de devises s’élèvent actuellement
à 70 fois la valeur du commerce des biens et services. Le marché
financier global et ses institutions semblent donc être largement
déconnectés de l’économie réelle et de la société dans son ensemble.
3. Est-il possible de renforcer ce lien? Les acteurs du monde
financier pourraient-ils agir de manière plus responsable envers
la société et l’économie dans laquelle ils opèrent? De plus en plus
de personnes partagent la conviction que les systèmes d’imposition
– par exemple la mise en place d’une taxe sur les transactions financières
– pourraient en partie résoudre ce problème. Pour de nombreux économistes,
une telle taxe – outre le fait qu’elle est tout à fait réalisable
(au plan technique et structurel) – contribuerait également à lutter
contre l’évasion fiscale dans le secteur financier et donc à améliorer
les finances publiques, tout en favorisant un retour à la justice
sociale grâce à une approche innovante de la finance et de la solidarité.
4. Sur la base des discussions menées au sein de la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable,
de contributions écrites fournies par des experts
,
d’études et d’autres sources d’information, la rapporteure examine
les avantages potentiels que les Etats membres du Conseil de l’Europe pourraient
tirer de l’introduction d’une taxe sur les transactions financières
et formule des propositions afin d’étayer les décisions stratégiques
concernant les modalités d’une telle taxe.
2. L’idée d’instaurer une taxe sur les
transactions financières refait surface
2.1. Des
propositions britanniques concernant le droit de timbre et la taxe
Tobin aux innovations fiscales en réponse à la crise
5. Le concept de taxe sur les
transactions financières est né en 1694 à la Bourse de Londres,
où a été instauré le droit de timbre frappant l’achat d’actions
(on l’appelle ainsi car on apposait un timbre officiel sur les documents
pour confirmer la transaction). C’est le plus ancien impôt encore
en vigueur au Royaume-Uni. Existant sous sa forme actuelle depuis
1986, ce droit de timbre – appliqué au taux de 0,5 % – est l’un
des plus élevés en Europe dans la catégorie des impôts sur l’achat
d’actions et génère environ 3 milliards de livres sterling par an
(soit près de 4 milliards d’euros) de recettes pour le Trésor britannique.
6. Même parmi les détracteurs les plus acharnés de cette taxe,
on admet que «ce droit de timbre est l’un des impôts les plus faciles
à appliquer»
et qu’il
n’a jamais menacé la position mondiale occupée par la City de Londres
en tant que point d’accès privilégié à un environnement fiscal avantageux.
Toutefois, le droit de timbre ne s’applique pas aux produits financiers
dérivés, qui contribuent le plus aux flux financiers spéculatifs, devenus
de plus en plus prisés parmi les opérateurs de marché pendant la
période qui a précédé la crise financière mondiale de 2008 (environ
20 % seulement des transactions effectuées à la Bourse de Londres
sont assujetties au droit de timbre). De même, l’Irlande voisine
perçoit 1 % de droit de timbre sur les transactions boursières sur
la plupart des titres (sauf les instruments dérivés) inscrits dans
le pays.
7. A la suite à la Grande Dépression des années 1930, l’éminent
économiste John Maynard Keynes a préconisé un recours accru aux
taxes sur les transactions financières pour mettre un frein aux
spéculations financières excessives et à la volatilité croissante
des marchés. Plus tard encore, en 1972, le keynésien James Tobin
a proposé une taxe sur les opérations monétaires pour stabiliser
le marché mondial des changes.
8. Dans les années 1990, l’économiste Paul Bernd Spahn a revisité
les propositions de la taxe Tobin et présenté ses propres idées
de taxation «à deux vitesses» des transactions financières pour
établir une distinction entre les échanges de liquidités normaux
et les échanges spéculatifs. Cela a conduit à l’adoption en 2004
par le Parlement belge de la taxe Spahn, qui s’appliquera en Belgique
quand les autres membres de la zone euro auront adopté des mesures
similaires. La Belgique applique également une taxe sur les opérations
de bourse, qui consiste en une taxe à faible taux (0,07 %) pour
certaines transactions ordinaires sur les marchés financiers (par
exemple, distribution de parts de sociétés d’investissement et titres
de la dette publique) et un taux plus élevé (0,5 % et 0,17 %) sur
les transactions considérées comme étant de nature plus spéculative.
9. A cet égard, il convient d’évoquer également l’initiative
UNITAID, un instrument de financement innovant lancé en 2006 pour
contribuer à la solidarité mondiale sous forme de taxe symbolique
sur les billets d’avion
. Adopté
au départ par cinq pays fondateurs (Brésil, Chili, France, Norvège
et Royaume-Uni), UNITAID compte désormais 30 pays membres, qui se
sont engagés à instaurer une taxe sur les billets d’avion, et 25 autres
pays partenaires, qui sont prêts à contribuer au financement de
l’achat de médicaments pour les pays moins développés. Le succès
de ce mécanisme a fait naître l’idée qu’il pourrait être utilisé
comme modèle dans d’autres secteurs économiques directement concernés
par la mondialisation tels que la téléphonie mobile, internet, le
tabac, le commerce et les transactions financières.
10. Nombre de pays en Europe et dans le monde ont expérimenté
avec plus ou moins de succès des formes unilatérales de taxes sur
les transactions financières
. D’après un document de
travail du Fonds monétaire international (FMI) datant de mars 2011
,
plusieurs taxes de ce type sont actuellement en vigueur, parmi lesquelles:
- une taxe sur les titres de participation
dans les pays suivants: Afrique du Sud, Autriche, Brésil, Chine, Chypre,
Corée du Sud, Espagne, Etats-Unis d’Amérique, Grèce, Hong Kong,
Inde, Indonésie, Italie, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Russie,
Singapour, Suisse et Turquie;
- une taxe sur les financements par l’emprunt au Brésil,
en Italie, en Russie, en Suisse, à Taïwan et en Turquie;
- une taxe sur les opérations de change au Brésil;
- une taxe sur les revenus d’opérations sur valeurs mobilières
en Afrique du Sud, en Corée du Sud, à Hong Kong, en Inde, au Royaume-Uni,
en Suisse et à Taïwan;
- des taxes sur les transactions bancaires principalement
en Amérique latine et dans plusieurs pays asiatiques.
11. Même si certaines de ces taxes paraissent faibles à première
vue, elles peuvent générer des revenus considérables. Les Etats-Unis,
par exemple, ont mis en place une taxe à taux très faible (0,0034
%) sur les transactions boursières pour couvrir les coûts de fonctionnement
de la Securities and Exchange Commission (SEC). En réalité, cette
taxe permet au gouvernement fédéral de dégager des revenus confortables,
plusieurs fois supérieurs au coût annuel de fonctionnement de la
SEC.
12. Au Sommet du G20
de
septembre 2009 (Pittsburgh, Etats-Unis), les dirigeants ont demandé
au FMI d’étudier les «diverses mesures que les pays ont adoptées
ou envisagent d'adopter quant aux moyens par lesquels le secteur
financier pourrait contribuer de manière équitable et substantielle
aux interventions des pouvoirs publics dans l’assainissement du
système bancaire». Dans sa réponse d’avril 2010, le FMI a, d’une part,
recommandé la mise en place d’une taxation des établissements financiers
pour contribuer à la résolution des défaillances bancaires et, d’autre
part, examiné les possibilités de tirer des revenus des activités
du secteur financier en général, y compris par le recours à des
taxes sur les transactions financières. Le FMI s’est finalement
prononcé en faveur d’une «taxe sur les activités financières» portant
sur la totalité des bénéfices et des rémunérations des établissements
financiers, sans exclure le recours à des taxes sur les transactions financières
à d’autres fins.
13. La
Résolution 1833
(2011) de l’Assemblée sur les activités de l’Organisation de
coopération et de développement économiques en 2010-2011 encourageait
l’OCDE à «explorer les pistes d’introduction d’une taxe globale
sur les transactions financières». L’OCDE s’était auparavant opposée
à plusieurs reprises à l’idée d’une taxe générale sur les transactions
financières, en soutenant qu’une telle taxe pourrait avoir des répercussions
négatives sur le chiffre d’affaires et la liquidité des marchés
financiers et aboutir à une délocalisation des échanges financiers
vers des pays n’appliquant pas cette taxe, ainsi qu’à une hausse
des coûts du capital. Cependant, ses propres experts – et de nombreux
chercheurs indépendants – admettent que ces effets éventuels pourraient
être largement atténués par une conception appropriée de la taxe
proposée sur les transactions financières.
14. Par ailleurs, comme le FMI, les experts de l’OCDE ont eu tendance
à favoriser le recours à une taxe sur l’activité financière. En
poussant plus avant son analyse, l’OCDE a proposé à ses pays membres
d’envisager la mise en place d’une taxe limitée à certaines transactions
dérivées (à savoir, les opérations dites sur dérivés négociées de
gré à gré), assortie d’autres mesures de régulation. L’OCDE a, en
outre, régulièrement plaidé en faveur de l’amélioration des systèmes
nationaux d’imposition et de la création de mécanismes de financement
innovants au niveau mondial.
2.2. Propositions
récentes de la Commission européenne
15. Si les expériences nationales
permettent de tester et d’améliorer différentes formes de taxation
des transactions financières, une approche plus harmonisée, plus
coordonnée et plus globale est souhaitable si l’on veut garantir
des conditions de concurrence équitables pour tous. Durant l’été 2010,
la Commission européenne
a fait part
de son intention d’étudier les différentes options possibles, le
G20 n’ayant pu parvenir à un accord. Un an plus tard, elle a publié
des propositions sur la base d’une analyse d’impact
et présenté une proposition
de directive du Conseil «établissant un système commun de taxation
sur les transactions financières et modifiant la Directive 2008/7/CE»
.
16. La Commission propose de prélever, à compter de 2014, une
taxe visant toutes les transactions sur instruments financiers entre
établissements financiers, dès lors qu’au moins une des parties
à la transaction est située dans l’Union européenne
.
L’échange d'actions et d’obligations serait taxé à un taux de 0,1
% et les contrats dérivés à un taux de 0,01 %, payable par les deux
parties au contrat. Les transactions ainsi couvertes engloberaient
les transferts d’instruments financiers entre les entités d’une
même société. Ne seraient pas concernés, en revanche, les paiements
effectués par des ménages privés ou des petites et moyennes entreprises
(PME), les emprunts publics, les opérations des banques centrales
et certaines transactions commerciales (comme les émissions primaires
d’actions et d’obligations).
17. Cette taxe pourrait générer chaque année des recettes d’un
montant de 57 milliards d’euros (provenant pour la plus grande part
des contrats dérivés – près de 38 milliards d’euros) qui seraient
partagées entre l’Union européenne et les Etats membres. Selon les
estimations de la Commission elle-même, l’intensité des échanges
pourrait diminuer de 15 % sur les marchés des actions et des obligations
et de 75 % sur le marché des produits dérivés (en volume). En outre,
des études comparées sur l’augmentation de la fiscalité montrent que
l’effet sur le PIB d’un lancement de la taxe sur les transactions
financières serait le même (environ – 0,3 %) que celui induit par
une augmentation minime, du même ordre de grandeur, de l’impôt sur
les sociétés.
18. En mars 2012, la présidence danoise de l’Union européenne
a proposé diverses alternatives fiscales, comme l’adoption d’une
approche graduelle pour commencer à taxer une palette limitée de
produits financiers – instauration d’une taxe semblable à un droit
de timbre – en excluant éventuellement provisoirement les dérivés,
le lancement d’une «taxe bancaire» ou d’une «taxe sur les activités
financières» (comme proposé par le FMI) et l’intervention par une
régulation directe du secteur financier.
19. Les premières propositions de la Commission n’étaient pas
motivées uniquement par les gains financiers potentiels. La Commission
a également estimé que le secteur financier devrait contribuer à l’assainissement
des finances publiques, compte tenu du rôle important qu’il a joué
dans le déclenchement de la crise et de la sous-imposition considérable
dont il bénéficie par rapport à d’autres secteurs
. En outre, une approche
coordonnée au niveau de l’Union européenne permettrait de consolider
le «marché unique» et de financer des mesures favorisant la croissance.
A l’échelle mondiale, comme l’a indiqué Algirdas Šemeta, commissaire
européen chargé de la fiscalité, les recettes fiscales supplémentaires
pourraient contribuer à relever des défis mondiaux tels que le développement
et le changement climatique.
20. Des critiques ont immédiatement réagi à ces propositions.
Si les autorités autrichiennes, belges, françaises, allemandes (après
quelques hésitations), norvégiennes et espagnoles se sont montrées
favorables à cette proposition, les autorités britanniques s’y sont
vivement opposées, craignant des répercussions négatives sur les
échanges de services financiers à la City de Londres, laquelle concentrerait
près de 80% des transactions financières européennes auxquelles
s’appliquerait la taxe proposée par la Commission. Certains experts
font néanmoins remarquer que certaines transactions financières
seraient taxées davantage, tandis que d’autres le seraient moins.
En outre, à la différence des autorités officielles de certains
pays, la plupart des Européens sont favorables à la proposition
de taxe
.
21. La zone euro est considérée comme un bon point de départ pour
l’établissement d’une coalition d’Etats disposés à mettre en place
ce mécanisme de taxation multilatéral. Elle serait ensuite bien
placée pour plaider en faveur d’un élargissement de ce mécanisme
à l’OCDE et aux pays du G20. Des personnalités d’envergure, comme
le financier et philanthrope George Soros et le Prix Nobel d’économie
Joseph Stiglitz, ainsi que de nombreux parlementaires en Europe
ont soutenu publiquement la taxe proposée. Pourtant, alors que les incertitudes
persistent quant à l’issue des négociations actuelles entre les
membres de la zone euro, certains signes tendent à indiquer que
les institutions financières se préparent à riposter en mettant
en place de nouveaux instruments pour échapper à la taxe proposée.
22. Après la réunion des ministres des finances de l’Union européenne
qui s’est tenue le 22 juin 2012, 10 pays ont annoncé leur intention
de travailler ensemble dans le cadre du mécanisme de «coopération renforcée»
et d’ouvrir la voie à l’introduction d’une taxe sur les transactions
financières. Parmi ces pays figurent de grandes économies européennes
comme l’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie, ainsi que l’Autriche, la
Belgique, la Bulgarie, la Finlande, la Grèce et le Portugal.
3. Quels
sont les objectifs à long terme et les utilisations possibles des
revenus générés par une taxe sur les transactions financières?
23. La rapporteure souligne la
nécessité d’examiner non seulement les aspects techniques et les
obstacles à la mise en place d’une taxe européenne sur les transactions
financières, mais également la signification politique, les perspectives
à long terme et les motivations – fondées sur des valeurs – d’une
telle initiative. Lorsque le projet paneuropéen a vu le jour dans
l’Europe de l’après-guerre, il tenait d’abord de l’utopie, puis du
miracle, et c’est maintenant une réalité en dépit de tous les obstacles
rencontrés. De même, le marché unique et l’union monétaire ont pris
forme et conduit à la naissance de l’euro. Le moment est venu de
donner un nouveau souffle au projet européen grâce à une gouvernance
économique plus étroite et à un effort commun d’harmonisation des
priorités financières, passant notamment par une taxation plus coordonnée
sur l’ensemble du continent et la mise en place d’une taxe européenne
sur les transactions financières. Plus l’Europe se montrera divisée,
plus il lui sera difficile d’exercer son influence et de faire entendre
sa voix dans le monde.
24. Si certains ont tendance à déprécier l’initiative de l’Union
européenne de mettre en place une taxe sur les transactions financières,
la jugeant trop complexe, irréaliste et sans réelle valeur ajoutée,
nombre de leaders d’opinion défendent le point de vue opposé, en
faisant valoir plusieurs arguments. Ils affirment notamment qu’une
telle taxe réduirait la volatilité des marchés financiers, assurerait
une taxation plus juste et plus équitable, améliorerait la concurrence
et la gouvernance macroéconomique et – fait important – contribuerait
à empêcher l’évasion fiscale dans le domaine financier. Le puissant
lobby du secteur financier s’emploie actuellement à démonter ces
arguments, qu’il considère comme allant à l’encontre de la tendance
à la libéralisation financière de ces vingt dernières années qui,
en fin de compte, a mené à la crise financière.
25. Si une taxe de l’Union européenne sur les transactions financières
venait à être mise en place, comme le propose actuellement la Commission
européenne, elle serait versée dans le pays européen d’origine de l’opérateur
financier (selon le principe dit «de résidence», largement inspiré
du droit de timbre britannique): elle s’appliquerait donc à toutes
les transactions concernées d’un établissement donné, qu’elles aient
lieu dans l’Union européenne (ou la zone euro dans une version restreinte)
ou ailleurs dans le monde. Ce mécanisme permettrait d’empêcher que
les établissements financiers ne se soustraient au paiement de l'impôt
par le transfert de leurs opérations offshore ou vers des paradis
fiscaux.
26. Le Parlement européen plaide depuis des années en faveur de
cet impôt. Sur la base d’un rapport établi par sa commission des
affaires économiques et monétaires
,
il a adopté, le 23 mai 2012, une résolution
commentant la proposition de la Commission
européenne d’une directive du Conseil établissant un système commun
de taxe sur les transactions financières. Cette résolution appelle
également à changer le modèle commercial des services financiers
en s’éloignant des transactions à haute fréquence afin de répondre aux
besoins de l’économie réelle. Le texte adopté préconise aussi que
la taxe sur les transactions financières (TTF) proposée s’applique
aux transactions financières effectuées par des institutions établies
en dehors de la zone de la TTF mais qui négocient des titres émis
dans cette zone (selon le «principe d’émission»). Cette approche
contribuerait à élargir la couverture géographique de la taxe et
empêcherait la «fuite» ou l’externalisation des transactions vers
des pays n’appliquant pas cette taxe.
27. En outre, la résolution prône l’adoption de l’approche du
droit de timbre au Royaume-Uni pour lier le paiement de la TTF à
l’acquisition de droits de propriété juridique, ce qui rendrait
les fraudes relatives à la TTF nettement plus onéreuses que son
paiement. Un tel dispositif, de même qu’une approche plus centralisée
de la compensation des transactions à l’échelle de l’Union européenne,
aiderait certainement à combattre l’évasion fiscale et donnerait
aux pays situés hors de la zone euro et de l’Union européenne une
autre bonne raison d’adopter une telle taxe.
28. D’après les propositions de l’Union européenne, les revenus
générés par la taxe sur les transactions financières pourraient
alimenter en partie son budget – en tant que nouvelle ressource
propre pour le cadre financier 2012-2020 – en vue d’investissements
dans les secteurs prioritaires comme la création d’emplois, la cohésion
économique, sociale et territoriale, la formation professionnelle,
la recherche et l’innovation, la modernisation de l’agriculture
et la sécurité environnementale. L’autre partie des revenus serait
redistribuée aux Etats membres sous la forme d’un soutien budgétaire.
L’utilisation des ressources pourrait également prendre une dimension
extérieure, en partenariat avec des Etats non membres de l’Union
européenne. Selon les estimations, la taxe – associée à une TVA
modernisée – permettrait aux Etats membres de l’Union européenne
de réduire considérablement leurs contributions nationales au budget
de l’Union européenne.
29. Les débats menés au sein de la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable de l’Assemblée ont fait
ressortir l’inquiétude de ses membres concernant les répercussions
de la crise financière et économique mondiale et la nécessité d’en
tirer des enseignements. Leurs préoccupations portent particulièrement
sur les comportements abusifs des marchés financiers qui fragilisent
la stabilité, considérée comme un bien public
. En conséquence, les
Etats, instances de réglementation par excellence, ont de bonnes
raisons de vouloir récupérer le terrain perdu du fait de la déréglementation
financière, de combler le manque à gagner fiscal et de mettre un
frein à la spéculation, garantissant ainsi un fonctionnement plus
viable et plus stable des marchés financiers dans l’intérêt général.
Les membres de la commission tendent donc à s’accorder à dire qu’une
taxe sur les transactions financières – ainsi que d’autres mesures
de régulation indispensables – devrait contribuer à remédier à la
dégradation des finances publiques et des systèmes sociaux provoquée
par la crise, de même qu’à renforcer des lignes de défense afin
d’empêcher que de telles crises ne se reproduisent.
4. Mise
en place d’une taxe sur les transactions financières pour plus de
solidarité et de justice sociale, dans la Grande Europe et au-delà:
vers une approche commune et novatrice
4.1. Avantages
potentiels pour les pays européens et leurs partenaires mondiaux
30. Ce n’est pas un hasard si les
propositions concernant la mise en place d’un cadre international
pour les transactions financières ont gagné en popularité avec le
début des crises financières et économiques mondiales
.
Comme nous l’avons vu dans les sections précédentes, la plupart
des pays appliquent des taxes sur certaines opérations financières.
Cependant, il apparaît clairement que les produits financiers les
plus risqués et hautement spéculatifs – tels que les dérivés – échappent
en principe à l’impôt et ont, par conséquent, largement alimenté
la spéculation, au détriment d’opérations liées à l’investissement
dans l’économie réelle. En outre, l’expansion rapide des opérations
spéculatives depuis 2000 a contribué à la formation de bulles sur
les marchés financiers, qui ont fini par exploser avec la crise,
affectant considérablement la société dans son ensemble – y compris
l’économie réelle, les services publics, ainsi que de vastes segments
de population.
31. Ces excès financiers ont été rendus possibles par un environnement
réglementaire et fiscal de plus en plus laxiste. Il est grand temps
de corriger cette dérive: pour que le marché libre fonctionne correctement,
tous les acteurs doivent suivre des règles du jeu équitables. Il
n’existe aucune raison valable pour que le secteur financier soit
sous-imposé comme il l’est actuellement par rapport à d’autres secteurs
de l’économie. Aucune raison ne saurait justifier non plus le fait
que le contribuable ordinaire soit pénalisé par des mesures d’austérité pénibles
à cause des répercussions des excès du secteur financier et de la
crise. C’est une question de justice sociale à laquelle les dirigeants
européens et leurs homologues des pays partenaires sont moralement
tenus de répondre en proposant des solutions tangibles.
32. L’une de ces solutions tangibles est une imposition plus appropriée
et équitable du secteur financier: les décideurs politiques doivent
réparer les dégâts provoqués par la crise financière et prévenir
de futurs effondrements. L’ensemble des pays et de la population
ont tout à gagner de la stabilité financière, qui peut et doit être
assurée par le biais d’un contrôle plus rigoureux et d’une meilleure
fiscalité. Accompagnée d’autres ajustements financiers et réformes
fiscales, une taxe sur les transactions financières serait un tremplin
vers le rétablissement d’un équilibre sain entre l’imposition sur
les revenus du capital et celle sur les revenus du travail. En outre,
ce processus permettrait d’inciter la société à renouveler le contrat
social qui lie l’Etat, les citoyens, les entreprises et le marché,
de sorte que toutes les parties agissent de façon plus responsable
et œuvrent pour une prospérité plus largement partagée à long terme.
33. Tout comme elle mène depuis longtemps la bataille mondiale
pour faire respecter les droits humains, l’Europe peut faire preuve
d’un courage, d’une capacité d’initiative et d’une clairvoyance
accrus en reconnaissant la proposition d’établissement d’une taxe
sur les transactions financières, qui pourrait générer des fonds
substantiels et permettre un financement plus innovant des mécanismes
de solidarité au sein de la Grande Europe ainsi que des actions
en faveur du développement des pays non européens les plus défavorisés.
Les négociations, les formules et les décisions européennes concernant
une taxe sur les transactions financières pourraient devenir un
modèle à suivre pour d’autres pays du monde, qui seront dans tous
les cas concernés plus ou moins directement par la position européenne.
4.2. Orientations
stratégiques
34. Bien que le lancement d’une
taxe européenne sur les transactions financières rallie un large
soutien de l’opinion publique, il est aussi nécessaire que cette
dernière soit mieux informée sur les modalités d’application de
cette taxe ainsi que sur les objectifs stratégiques poursuivis.
La population doit être rassurée sur le fait que la taxe proposée
n’aura pas d’effets secondaires indésirables sur ses opérations
bancaires courantes. Elle doit également disposer d’un droit de
regard sur la façon dont les nouvelles recettes fiscales seront
utilisées une fois la taxe instaurée.
35. Etant donné que le champ d’application de la taxe européenne
sur les transactions financières proposée n’est pas encore arrêté,
l’Assemblée devrait préconiser une portée aussi vaste que possible
afin de prendre en compte la totalité des opérations financières
les plus spéculatives et les plus préjudiciables, notamment celles
reposant sur des instruments financiers dérivés. Les Etats non membres
de l’Union européenne qui font partie du Conseil de l’Europe pourraient
adopter des dispositions analogues en fonction du contexte national, de
leurs politiques de développement et de leurs objectifs stratégiques,
notamment dans le cadre d’une coopération bilatérale avec l’Union
européenne et ses Etats membres.
36. Les Etats membres et non membres de l’Union européenne au
sein de la Grande Europe devraient s’employer à collaborer étroitement
afin que la taxe proposée soit introduite selon des modalités qui
optimisent les avantages potentiels de la lutte contre l’évasion
et la fraude fiscales et qui empêchent un déplacement des transactions
financières vers d’autres pays, notamment vers ceux ayant un cadre
réglementaire laxiste. Les actions menées pour introduire une taxe
européenne sur les transactions financières devraient être considérées
comme un effort en faveur d’une plus grande intégration et d’une
meilleure gouvernance économique propre à assurer une plus grande
cohésion de la société, où chaque contribuable – particulier ou entreprise
– verserait sa juste part d’impôts pour assurer le bon fonctionnement
de l’Etat.
5. Conclusions
et recommandations
37. Les différentes formes d’imposition
qui existent à l’heure actuelle ou qui étaient en vigueur il y a
quelques années dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe
montrent clairement que l’application de telles taxes est techniquement
réalisable et économiquement utile. Même les opposants les plus
tenaces à la taxe européenne sur les transactions financières proposée
ne devraient pas perdre de vue le fait qu’un nouveau dispositif
permettrait de progresser utilement vers une meilleure harmonisation
de la fiscalité relativement disparate des institutions financières
en Europe.
38. En outre, les taux proposés pour un tel impôt pourraient en
réalité faire diminuer le taux d’imposition global sur certaines
opérations financières dans certains pays (par exemple le droit
de timbre au Royaume-Uni) et présentent l’avantage de couvrir de
façon plus exhaustive l’assiette fiscale – en prenant en compte
les transactions les plus risquées et spéculatives (notamment les
produits dérivés), qui ont pris une ampleur considérable au cours
de la dernière décennie et qui ont préfiguré de manière significative
la crise financière de 2008. Etant donné que l’application de la
taxe exige un enregistrement approprié et un mécanisme centralisé
de compensation, la transparence globale du système financier en
serait améliorée d’autant, ce qui constitue un avantage induit bienvenu.
39. Les Etats, instances de réglementation par excellence – notamment
des marchés financiers –, devraient pleinement exercer leurs prérogatives
afin de rétablir leur capacité à réglementer et à soumettre plus efficacement
les marchés financiers à l’impôt au nom de l’intérêt public. Cela
permettrait de renforcer leur souveraineté et d’améliorer la stabilité
financière ainsi que la capacité à garantir la justice sociale et
fiscale. Les Etats devraient toutefois envisager plus sérieusement
d’autres utilisations possibles des fonds qui pourraient être potentiellement
collectés dans le cadre d’une taxe sur les transactions financières.
Ils pourraient notamment songer à les utiliser pour atténuer ou
compenser les effets des mesures d’austérité sur la population,
pour financer des projets susceptibles de favoriser la croissance
et pour soutenir un investissement social prioritaire dans la compétitivité
européenne en passant par le capital humain que représentent notamment
les jeunes, particulièrement touchés par la crise.
40. La rapporteure recommande par conséquent que l’Assemblée parlementaire
se prononce en faveur d’une taxe européenne sur les transactions
financières – comme le proposent actuellement la Commission européenne
et le Parlement européen, en prévoyant des ajustements possibles
en fonction des contextes nationaux afin de faciliter la mise en
œuvre de cette initiative au sein de la Grande Europe. Deux rapports
et résolutions sur «La crise de la démocratie et le rôle de l’Etat
dans l’Europe d’aujourd’hui» et les «Mesures d’austérité – un danger
pour la démocratie et les droits sociaux»
, débattus par l’Assemblée lors de
sa partie de session de juin 2012, formulent déjà des propositions
en ce sens.