1. Introduction
1. La commission de la culture, de la science et de
l’éducation m’a nommé rapporteur permanent sur la liberté des médias
le 27 janvier 2011. En cette qualité, j’ai déposé, le 3 février
2011, une proposition de recommandation sur l’état de la liberté
des médias en Europe (
Doc.
12518).
2. Le présent rapport s’inscrit dans le droit fil, d’un point
de vue thématique et chronologique, des précédents travaux de feu
Andrew McIntosh (Royaume-Uni, SOC), qui ont abouti à la
Recommandation de l’Assemblée
parlementaire 1897 (2010) sur le respect de la liberté des médias; il présente
les résultats de mes travaux sur ce thème.
3. Pour l’élaboration du présent rapport, la commission a organisé
un échange de vues à Strasbourg le 25 janvier 2011 avec Mme Dunja
Mijatović, Représentante pour la liberté des médias de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et M. Arne
König, Président de la Fédération européenne des journalistes.
4. Tous deux ont aussi présenté des rapports oraux lors d’une
audition sur ce thème organisée par la sous-commission des médias
avec Agnès Callamard, directrice exécutive d’Article 19 – Campagne
mondiale pour la liberté d’expression, William Horsley, Représentant
pour la liberté des médias de l'Association des journalistes européens,
et Pauls Raudseps, président du conseil d’administration de l’hebdomadaire
letton
Ir. Thomas Hammarberg,
Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, a présenté
une contribution écrite
. Cette audition s’est déroulée au
Parlement suédois à Stockholm, le 12 septembre 2011, avec la participation
de Liselott Hagberg, vice-présidente du Parlement suédois, et Hanna
Hellquist, secrétaire d’Etat auprès du ministre suédois de la coopération
internationale et de l’aide au développement.
5. William Horsley a ensuite été chargé de préparer un rapport
de fond sur les graves violations de la liberté des médias en Europe,
couvrant plus particulièrement la période 2010-2012. Il a présenté
son rapport de fond à la commission à Strasbourg le 26 juin 2012
. Avec William Horsley, j’ai réalisé
une interview vidéo sur ce sujet
.
6. A cette occasion, la commission a également eu un échange
de vue sur la liberté des médias avec Nils Muižnieks, Commissaire
aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe depuis avril 2012,
et avec l’ambassadeur Thomas Hajnoczi, représentant permanent de
l’Autriche auprès du Conseil de l’Europe et coordinateur thématique
de la politique d’information du Comité des Ministres.
7. Le 25 janvier 2012, j’ai reçu une lettre de la Fédération
espagnole des journalistes «FAPE» qui dénonçait le refus systématique
des questions de journalistes pendant les conférences de presse gouvernementales.
Cette information a donc été intégrée dans le rapport de fond élaboré
par William Horsley.
8. Je suis très reconnaissant des contributions fournies par
les éminents participants et experts depuis janvier 2011 et en particulier
du rapport de fond de William Horsley, qui sert de base à certaines
parties du présent exposé des motifs. J’apprécie également les informations
et le soutien apportés par les autres membres de la commission.
2. Normes
sur la liberté des médias
9. L’article 10 de la Convention européenne des droits
de l'homme (STE no 5, «la Convention»)
est la norme la plus fondamentale en Europe qui établit la liberté
d'expression et d'information et la liberté des médias développés
par une vaste jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme («la Cour»). La Cour a publié en décembre 2011 un rapport
de recherche sur les obligations positives des Etats membres de
protéger les journalistes en vertu de l'article 10 et de prévenir
l’impunité
. Le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire
ont produit un nombre substantiel de déclarations, recommandations
ou résolutions qui sont particulièrement pertinentes pour la présente
évaluation de la liberté des médias
.
10. L'article 19 du Pacte international sur les droits civils
et politiques (PIDCP)
est la base du travail du Conseil
des droits de l’homme des Nations Unies, qui a mis en place la fonction
de rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit
à la liberté d’opinion et d’expression. Le mandat de Frank La Rue,
du Guatemala, a été prolongé jusqu’en 2014. Dans son rapport annuel
du 4 juin 2012 au Conseil des droits de l’homme
, Frank La Rue indiquait que seules
15% de ses 218 communications officielles en 2011 concernaient l’Europe,
l’Asie centrale et l’Amérique du Nord. Une demande datant de 2009
de se rendre en Italie est toujours en suspens. A la suite d’une
visite ad hoc en Hongrie en 2011, il a publié un communiqué de presse
rapportant son inquiétude à propos de la législation hongroise relative
aux médias. Aucune visite n’est prévue dans d’autres Etats membres
du Conseil de l’Europe. En novembre 2011, il a émis un communiqué
de presse sur la nouvelle législation du Bélarus avec d’autres titulaires
du Conseil des droits de l’homme.
11. L’OSCE a créé le poste de représentant pour la liberté des
médias en 1997. Dunja Mijatovic, de Bosnie-Herzégovine, a été nommée
sur ce poste en 2010. Son travail se fonde sur les normes juridiques internationales
en vigueur des Nations Unies et du Conseil de l'Europe. Dans son
dernier rapport régulier au Conseil permanent de l’OSCE
, Dunja Mijatovic dresse la liste
de ses nombreux contacts avec les Etats participants de l'OSCE.
Elle a dressé une liste régulièrement mise à jour des journalistes
emprisonnés en Turquie, ce qui a été particulièrement utile
.
12. L’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne
est en vigueur depuis le 1er décembre
2009. Cependant, la Pologne et le Royaume-Uni ont négocié un protocole
dérogatoire
, qui semble exclure l’application
de l’article 11 par la Cour de justice de l’Union européenne pour
ces pays. La République tchèque a ensuite pu obtenir le même privilège.
En conséquence, l’application uniforme de l’article 11 dans toute
l’Union européenne ne sera peut-être pas garantie, sauf de manière
indirecte par l’application des normes au titre de l’article 10
de la Convention européenne des droits de l’homme par la Cour de
justice.
3. Suivi des précédents
rapports
3.1. Recommandation 1950 (2011) sur la protection des sources d'information des journalistes
13. La sous-commission des médias et de la société de
l'information et, ultérieurement, la commission plénière, m’ont
désigné en 2012 pour assurer le suivi de la
Recommandation 1950 (2011) de l’Assemblée sur la protection des sources d'information
des journalistes. Cette recommandation contient une référence à
la législation hongroise sur les médias, qui est pertinente pour
le présent rapport.
14. Le paragraphe 4 de la
Recommandation
1950 (2011) dispose: «Se référant à la nouvelle loi hongroise sur
la presse et les médias (Loi CIV de 2010 sur la liberté de la presse
et les règles fondamentales régissant le contenu des médias), l’Assemblée
s’inquiète du fait que les restrictions à l’exercice de la liberté
des médias, énoncées à l’article 4.3, et les dérogations au droit
des journalistes de ne pas divulguer leurs sources, prévues à l’article
6 de ladite loi, semblent trop étendues et peuvent, par conséquent,
avoir un effet dissuasif considérable sur la liberté des médias.
Cette loi ne fixe pas les règles de procédure concernant les divulgations,
pas plus qu’elle ne prévoit de garanties pour les journalistes auxquels
il est demandé de révéler leurs sources. L’Assemblée appelle donc
le Gouvernement et le Parlement de la Hongrie à modifier cette loi, en
veillant à ce que sa mise en œuvre ne restreigne pas le droit reconnu
par l’article 10 de la Convention.»
15. Cette préoccupation a été partagée par le Commissaire aux
droits de l’homme dans son avis du 25 février 2011
. La Résolution relative à la loi
sur les médias en Hongrie, adoptée par le Parlement européen le
10 mars 2011, renvoie expressément à cet avis et souligne l’obligation
de la Hongrie de réviser ses lois sur les médias
. Le Secrétaire Général du Conseil
de l'Europe a demandé à des experts extérieurs de préparer une analyse
de ces lois hongroises sur les médias. Cette analyse a été publiée
le 16 mai 2012
.
16. A la suite des modifications législatives promulguées le 24
mai 2012, la Représentante pour la liberté des médias de l'OSCE
ainsi que Human Rights Watch (Berlin)
se sont félicités du retrait de
la plupart des conditions exigeant que les journalistes révèlent
leurs sources d’information; ils ont cependant soulevé des sujets
de préoccupation concernant d’autres aspects des lois sur les médias
n’ayant pas été améliorés, notamment le manque d’indépendance de
la nouvelle instance de régulation.
17. La commission sur le respect des obligations et engagements
des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) de
l’Assemblée a demandé en juin 2012 à la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise) un avis sur les
lois hongroises relatives au système judiciaire. Il serait utile
de disposer d’un avis complémentaire de la Commission de Venise
concernant les lois hongroises révisées sur les médias.
18. Renvoyant à la
Résolution
1535 (2007) sur les menaces contre la vie et la liberté d’expression
des journalistes, le paragraphe 4 de la
Recommandation 1897 (2010) déplore que «la Fédération de Russie ne soit pas arrivée
à mener une enquête appropriée et à rendre un jugement définitif
sur le meurtre d’Anna Politkovskaïa perpétré à Moscou le 7 octobre
2006, et à faire en sorte que les journalistes puissent travailler librement
et dans la sécurité». Après que la Cour suprême eut infirmé l’acquittement
des trois suspects par le tribunal militaire du district de Moscou
le 25 juin 2009, les nouvelles investigations ont désigné l’ancien
policier Dmitry Pavlioutchenkov comme responsable de l’organisation
du meurtre d’Anna Politkovskaïa, mais il a été libéré le 31 mai
2012 et assigné à résidence en raison de sa mauvaise santé. Ces
faits ne semblent pas aboutir à une conclusion adéquate du procès.
19. Bien que la commission d’enquête de la Fédération de Russie
ait été créée en 2011 sous la direction du Président de la Fédération
de Russie, cette dernière reste toujours le pays le plus dangereux
d’Europe pour les journalistes, en raison du nombre de journalistes
assassinés ainsi que du nombre de cas de meurtres non résolus. Le
Comité pour la protection des journalistes (New York) a publié le
17 avril 2012 son index de l’impunité 2012, qui place la Russie
en tant qu’unique Etat membre du Conseil de l’Europe parmi les 10
pires pays du monde
. Récemment, le président de la
commission d’enquête, Aleksandr Bastrykine, a été accusé d’avoir
sérieusement menacé Sergey Sokolov, le rédacteur en chef adjoint
de
Novaya Gazeta. Les deux hommes
auraient apparemment réglé leur différend extrêmement inquiétant
.
20. Deux cas de meurtres de journalistes cités dans la
Recommandation 1897 (2010) ont été entretemps jugés:
- En novembre 2010, un tribunal croate a condamné six personnes
pour l'attentat à la voiture piégée de 2008 qui a entraîné la mort
d'Ivo Pukanic, le propriétaire et directeur de rédaction de l'hebdomadaire politique Nacional, et Niko Franjic, son directeur
commercial. Le tribunal a déclaré que l'attentat avait pour but
d'empêcher la publication par l'hebdomadaire d'informations en sa
possession sur les pratiques de contrebande de tabac dans les Balkans.
- En Russie, en avril 2011, deux hommes décrits comme ultra-nationalistes
ont été condamnés à de longues peines de réclusion pour le meurtre
dans une rue de Moscou en 2009 de la jeune journaliste Anastasia
Babourova et de l'avocat des droits de l'homme Stanislav Markelov.
21. Au paragraphe 7 de la
Recommandation
1897 (2010), l’Assemblée se félicite des amendements à l’article
301 du Code pénal turc mais déplore que la Turquie n’ait ni aboli
l’article 301, ni achevé l’enquête sur le meurtre de Hrant Dink
commis à Istanbul le 19 janvier 2007, en particulier parce que les
forces de police et de sécurité auraient failli à leur devoir. L’Assemblée
est d’avis que l’article 301 légèrement modifié est toujours contraire
à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
22. Le 14 septembre 2010, la Cour européenne des droits de l'homme
a constaté qu’il y avait violation des articles 2 et 10 de la Convention
par la Turquie car elle avait manqué à son devoir de protéger Hrant
Dink contre des menaces de mort et avait porté atteinte à sa liberté
d’expression
. Le 25 juillet 2011, Ogün Samast a
été condamné par un tribunal turc pour le meurtre de Hrant Dink,
mais on ne sait toujours pas s’il a agi pour le compte de quelqu’un.
Malgré l’arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 14
septembre 2010, le lauréat du Prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk,
a été condamné le 27 mars 2011 par un tribunal turc à payer des
dommages moraux au titre de l’article 301 du Code pénal turc à plusieurs
individus turcs pour les propos qu’il avait tenus dans un journal
suisse en 2005
.
23. Le nombre de poursuites ouvertes au titre de l’article 301
révisé du Code pénal turc a considérablement chuté en raison de
la nouvelle condition selon laquelle le ministre turc de la Justice
doit autoriser ces poursuites. Néanmoins, cette condition semble
rendre assez floue la séparation des pouvoirs entre le pouvoir judiciaire
et le gouvernement et pourrait donc conduire à une politisation
des enquêtes judiciaires et des poursuites en vertu d’un article
301 excessivement vague mais répressif. «Etant donné que le libellé excessivement
large et vague aboutit à une absence de prévisibilité quant à ses
effets”, la Cour européenne des droits de l'homme a déclaré dans
l’affaire
Altuğ Taner Akçam c. Turquie,
le 25 octobre 2011, que l’article 301 du Code pénal turc violait
l’article 10 de la Convention, car il ne répondait pas à ce qui
est «prévu par la loi» en vertu de l’article 10, paragraphe 2, de
la Convention
.
24. Tant que l’article 301 du Code pénal turc n’est pas totalement
abrogé par le Parlement turc ou les tribunaux, le climat politique
hostile demeure à l’encontre des journalistes et autres personnes
qui écrivent, en particulier, sur les meurtres massifs et expulsions
ciblés d’Arméniens par l’Empire ottoman pendant la première guerre
mondiale. Ce climat a conduit aux menaces de mort proférées contre
Hrant Dink, Orhan Pamuk, Altuğ Taner Akçam et d’autres personnes.
En conséquence, l’Assemblée exhorte la Turquie à abroger définitivement
l’article 301.
25. La Cour constitutionnelle turque a invalidé, le 2 mai 2011,
le délai limite pour porter plainte au pénal contre des journalistes
en vertu de l’article 26 de la loi turque sur la presse, prolongeant
ainsi à huit ans la possibilité d’intenter des poursuites contre
des journalistes. Compte tenu de l’interprétation politique de diverses
dispositions du droit pénal excessivement vagues, cette prolongation
a clairement pour effet de restreindre la liberté des médias en
Turquie.
26. Au paragraphe 13 de la
Recommandation
1897 (2010), l’Assemblée demande à la Commission de Venise de préparer
un avis sur la question de savoir si et dans quelle mesure la législation
en Italie a été adaptée pour prendre en compte son avis sur la compatibilité
des lois «Gasparri» et «Frattini» de l’Italie avec les normes du
Conseil de l’Europe dans le domaine de la liberté d’expression et
du pluralisme des médias, adoptés par la Commission de Venise lors
de sa 63e session plénière (Venise, 10-11 juin 2005)
. A la suite d’une discussion au
sein de la Commission de Venise, le Secrétaire de cette dernière
a informé le président de la présente commission de l’Assemblée
par lettre en date du 26 juillet 2010 que «les (quelques) amendements
qui ont été apportés aux deux lois en question depuis 2005 portent
sur d’autres questions que celles qui faisaient l’objet des recommandations
de la Commission de Venise».
27. Il est donc nécessaire de suivre la mise en œuvre par l’Italie
de ces recommandations de la Commission de Venise, si possible avec
le Comité des Ministres et le Commissaire aux droits de l'homme.
28. Faisant part de sa préoccupation à propos de l’avertissement
officiel adressé par le ministère de la Justice du Bélarus le 13
janvier 2010 à l'Association des journalistes du Bélarus (ABJ),
l’Assemblée a demandé au paragraphe 14 de la
Recommandation 1897 (2010) à la Commission de Venise d’analyser la compatibilité d’un
tel avertissement avec les normes universelles relatives aux droits
de l’homme.
29. Répondant à cette demande, la Commission de Venise a conclu
dans son avis du 17-18 décembre 2010
:
«100.
L’arrêté du ministère de la Justice restreint les droits d’une catégorie
de journalistes à la liberté d’expression et leur droit de rechercher
et de communiquer des informations. Pour jouir de la liberté d’expression
et de la presse, les journalistes doivent bénéficier d’une protection
effective par leur syndicat ou leur association. En refusant à l’ABJ
le droit de délivrer des cartes de presse à ses journalistes, les
autorités du Bélarus privent ceux-ci du droit de faire protéger
leurs intérêts par leur association. Dans le même temps, la situation
juridique du pays prive l’association des journalistes, l’ABJ, du
pouvoir effectif de protéger les intérêts de ses membres.
101. L’arrêté du ministère de la Justice constitue, de
l’avis de la Commission de Venise, une violation des articles 19
et 22 du PIDCP et des articles 11 et 10 de la CEDH.
102. En outre, l’arrêté du ministère de la Justice, parce
qu’il créé une situation discriminatoire, constitue aussi une violation
de l’article 26 du PIDCP et de l’article 14 de la CEDH lu conjointement
avec l’article 10 de la CEDH et le Protocole no 12
à la CEDH.»
30. Un second avis adopté par la Commission de Venise le 17-18
juin 2011 a abouti à la même conclusion vis-à-vis des avertissements
officiels adressés au Comité Helsinki du Bélarus
. La véritable mise en œuvre de
ces avis par les autorités du Bélarus n’a toujours pas eu lieu.
31. En 2012, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies
a créé le mandat d’un rapporteur spécial sur la situation des droits
de l’homme dans la République du Bélarus. Malheureusement, la Russie
a voté contre la création de ce poste et la République de Moldova
s’est abstenue, alors que tous les autres Etats membres du Conseil
de l’Europe au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations
Unies ont voté pour. L’Assemblée devrait inviter ce rapporteur spécial
à coopérer avec les commissions compétentes de l’Assemblée.
4. Graves violations
de la liberté des médias 2010-2012
32. La
Recommandation
1897 (2010) couvrait la période allant jusqu’en janvier 2010. Se
fondant sur le rapport de fond élaboré par William Horsley
, les informations ci-dessous concernent
les graves violations de la liberté des médias qui se sont produites
depuis cette date.
4.1. Agressions mortelles
contre des journalistes
33. Azerbaïdjan, 23 novembre 2011: Rafiq Tagi est mort
quatre jours après une agression devant son domicile à Bakou au
cours de laquelle il a été frappé de nombreux coups de couteau.
Il travaillait pour Radio Free Europe/Radio Liberty et plusieurs
journaux. Il avait auparavant reçu des menaces de mort et avait
été emprisonné en 2007 sur la base d'accusations d'incitation à
la haine religieuse. La
fatwa de
mort émise contre lui par le Grand Ayatollah Fazel Lankarani en
Iran en 2006 pour avoir à nouveau publié les caricatures de Mahomet
du
Jyllands-Posten avait été
critiquée dans la
Résolution
1535 (2007) de l’Assemblée.
34. Bélarus, 3 septembre 2010: Aleh Byabenine, directeur du site
d'information critique Charte 97, a été trouvé pendu dans sa maison
de campagne près de Minsk. Sa famille, constatant que son corps
présentait des signes de blessures graves, a rejeté la thèse officielle
du suicide. Byabenine avait couvert des affaires de corruption et
d'abus des droits de l'homme. Il avait auparavant reçu des menaces.
Le site Charte 97 aurait fait partie des sites bloqués sur ordre
du gouvernement en 2011.
35. Bulgarie, 5 janvier 2010: Boris Nikolov Tsankov, journaliste
et écrivain travaillant sur la criminalité organisée, a été tué
par balles dans une rue très fréquentée de Sofia. Tsankov avait
reçu des menaces de mort et avait apparemment survécu dans les années
précédentes à deux attentats à la bombe à son domicile.
36. Grèce, 19 juillet 2010: Sokratis Giolia, directeur de la station
de radio Thema 98.9 FM et rédacteur en chef du blog politique très
populaire, Troktiko, a été
tué de plusieurs balles par des hommes non identifiés, devant son
domicile à Athènes. Les autorités ont fait porter leurs soupçons
sur un groupuscule révolutionnaire extrémiste. Des collègues de
Giolia ont déclaré être convaincus qu'il avait été tué à cause de
son travail d'investigation journalistique.
37. Lettonie, 19 juillet 2010: Grigorijs Nemcovs, rédacteur en
chef du journal en langue russe Million et homme
politique local, a été tué par balles dans un café de Daugavpils;
on soupçonne un assassinat commandité. Il avait auparavant reçu
des menaces de mort et sa maison avait été attaquée par des incendiaires
en 2007.
38. Russie (Daghestan), 11 mai 2010: Shamil Aliyev, directeur
des stations de radio populaires Pribol et Batan et du réseau de
télévision TNT-Makhatchkala, a été tué par balles par des inconnus
sur le lieu de construction de nouveaux équipements.
39. Russie (Daghestan), 21 mai 2010: Sayid Ibragimov, directeur
de la station de télévision locale, TBS, a été tué avec quatre techniciens
alors qu'il était en route pour effectuer des travaux sur un émetteur.
Sa voiture est tombée dans une embuscade et, après une explosion,
un groupe dont on soupçonne qu'il était composé de militants l'a
attaqué avec des armes à feu.
40. Russie (Daghestan), 11 août 2010: Magomedvagif Sultanmagomedov,
dirigeant de la chaîne de télévision Makhatchkala-TV et de la maison
d'édition Nurul Irshad (Lumière de la vérité), a été victime de blessures
fatales lorsque des tireurs non identifiés ont ouvert le feu sur
sa voiture dans les rues de Makhatchkala, la capitale du Daghestan.
Il était connu comme opposant au wahhabisme et aurait survécu à une
précédente tentative d'assassinat en 2008.
41. Russie (Daghestan), 8 mai 2011: Yakhya Magomedov, journaliste
et rédacteur en chef du journal islamique As-Salam publié
en langue avar, est mort de quatre balles tirées par des tueurs
non identifiés dans le district de Khasavyourt.
42. Russie (Daghestan), 15 décembre 2011: Hadzhimurad Kamalov,
fondateur et rédacteur du quotidien indépendant Tchernovik, a été tué de plusieurs
balles par un tireur non identifié tard le soir alors qu'il sortait
de son bureau. Il était connu comme critique des abus et de la corruption
des agents publics et a été assassiné le jour désigné pour rendre
hommage à la mémoire de tous les journalistes russes décédés à cause
de leur profession. Il avait, comme d'autres journalistes du Tchernovik, reçu des menaces et
plusieurs autres journalistes du quotidien avaient précédemment
été inculpés pour extrémisme après avoir accusé les autorités régionales
d'abus et de corruption.
43. Russie, 22 juin 2012: Anatoly Bitkov, rédacteur en chef de
Kolyma Plus, une société de télévision régionale, a été retrouvé
mort, victime de nombreux coups de couteau, à son domicile de Magadan
sur la mer d'Okhotsk, dans l'Extrême-Orient russe.
44. Turquie, 4 avril 2010: Metin Alatas, reporter du journal Azadiya Welat, a été trouvé pendu
à un arbre du district d'Adana, dans la région du sud-est de la
Turquie habitée principalement par des Kurdes. Ses collègues auraient
contesté la thèse officielle du suicide. Alatas avait reçu des menaces
et avait été agressé et blessé par un groupe d'hommes l'année précédente.
45. Ukraine, 11 août 2010: Vasyl Klementiev, rédacteur en chef
du journal de Kharkov Novy Stil,
a été apparemment enlevé alors qu'il enquêtait sur des allégations
de corruption. Seul son téléphone portable a été retrouvé dans un
réservoir à proximité du lieu où il a été vu en vie pour la dernière
fois.
4.2. Arménie
46. En Arménie, la dépénalisation de la diffamation en
2010 a ouvert la voie à plus d'une trentaine de plaintes civiles
en diffamation, pour beaucoup déposées par des hauts fonctionnaires
ou des hommes politiques contre les médias. Dans un certain nombre
d'affaires, des journaux ont été contraints de payer une amende
et des dommages-intérêts d'un montant très élevé. Dans le cas de Haykakan Jamanak (Armenian Times), le journal a été
obligé de verser 6 millions de drams arméniens (environ $US 16 000)
à chacun des trois députés qui l'ont poursuivi avec succès. Le journal
est parvenu à régler ces amendes à l'aide de dons de ses lecteurs.
47. Dans le cas des élections parlementaires tenues en Arménie
le 6 mai 2012, une délégation conjointe d'observateurs internationaux
de l'OSCE, de l'Assemblée parlementaire et du Parlement européen
note (dans ses conclusions préliminaires) l'absence générale de
confiance du public dans l'intégrité du processus électoral. Dans
les médias, la pratique adoptée par plusieurs chaînes de télévision
d'utiliser dans certaines de leurs émissions d'information des segments
tirés de publicités politiques payantes a compromis la crédibilité de
leur couverture des élections. Des associations de journalistes
arméniens, dont l'ONG Investigative Journalists, ont déclaré que
les incitations à l'autocensure ont gravement nui à l'indépendance
politique des médias et à leur aptitude à aborder librement les
questions importantes de la campagne électorale, en particulier
les allégations de corruption.
48. L'ONG Investigative Journalists indique également que le nombre
d'incidents d'intimidation et de menaces personnelles visant des
journalistes a atteint un niveau exceptionnellement élevé (33) entre
janvier et septembre 2011. Trois agressions physiques contre des
journalistes ont été enregistrées pendant les cinq premiers mois
de 2012, dont deux pendant les élections parlementaires. Les journalistes
ont aussi fait l'objet de dizaines de plaintes en diffamation déposées
par des hommes politiques et d'autres personnalités publiques. La
loi de 2010 sur la radio et la télévision, qui accorde aux régulateurs
des pouvoirs nouveaux en matière d'octroi et de retrait des licences
de radiodiffusion, a intensifié la pression qui s'exerce sur les radiodiffuseurs
afin d'éviter ou d'atténuer la critique des personnes au pouvoir.
4.3. Azerbaïdjan
49. Eynulla Fatullayev, rédacteur en chef de
Realny Azerbaijan, a été emprisonné
de 2007 à 2011 sur la base de ce que la Cour européenne des droits
de l'homme a qualifié dans un arrêt de 2010
d'accusations forgées de toutes pièces.
Les autorités azéries ont maintenu
Fatullayev en prison une année de plus sur la base de nouvelles
accusations peu crédibles de possession de drogues. Il a été libéré
en mai 2011 après une mesure de pardon présidentiel.
50. Le rapport final de la mission d'observation du Bureau des
institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’OSCE (OSCE/BIDDH)
sur les élections législatives en Azerbaïdjan, qui ont eu lieu le
7 novembre 2010, indique que la forte partialité de la majorité
des médias en faveur du gouvernement n'a pas permis aux électeurs
de faire un choix éclairé. La liberté d'informer des médias a été
réduite, notent les observateurs, cause de «la violence, des mises
en détention, des poursuites pour diffamation et d'autres formes
de pressions, ainsi que de l'impunité dont jouissent les auteurs
de ces actes».
51. Un certain nombre d'agressions physiques contre des travailleurs
des médias sont recensées chaque année. En juin 2011, par exemple,
deux étrangères, Amanda Erickson, une journaliste américaine travaillant en
free-lance, et Celia Davies, une Britannique qui travaille pour
l'Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes, ont
été agressées et violemment frappées devant un immeuble d'habitation
à Bakou.
52. Deux blogueurs vidéo, Emin Milli et Adnan Hajizade, ont été
détenus en 2009 pendant plus d'un an sur la base de plusieurs inculpations,
notamment celle de hooliganisme, après avoir réalisé et publié sur
internet une vidéo satirique visant des hommes politiques de premier
plan. Le Réseau international pour la liberté d'expression (IFEX)
a déclaré en mai 2012 que sept journalistes et deux blogueurs sont
détenus ou purgent des peines de prison en Azerbaïdjan sur la base
d'inculpations non fondées.
4.4. Bélarus
53. Avant l’élection présidentielle au Bélarus en décembre
2010, la domination écrasante de l'Etat sur les médias de grande
diffusion, notamment la télévision et les journaux, et le harcèlement
systématique des journalistes critiques et indépendants, ainsi que
d'autres représentants de la société civile et des opposants politiques,
ont conduit les observateurs internationaux à déclarer que cette
élection n'avait répondu à aucun des critères d'équité essentiels.
En décembre 2010, immédiatement après le scrutin, six membres de
l'ONG de Minsk Association des journalistes du Bélarus ont été inculpés,
sur la base d'accusations apparues comme étant de nature politique,
pour avoir organisé des manifestations publiques contre la fraude
électorale.
54. Les locaux du site internet d'opposition Charte 97 ont été
perquisitionnés et des ordinateurs et des dossiers ont été saisis.
La rédactrice en chef, Natalya Radina, a été détenue pendant 39
jours à la suite de son arrestation le 19 décembre 2011 avant de
fuir le pays. Ce harcèlement grave des membres de la rédaction de Charte
97 est intervenu suite à la mort suspecte en 2010 d'Aleh Byabenine,
qui était alors rédacteur en chef du site.
55. Andrzej Poczobut, correspondant du journal polonais Gazeta Wyborcza, a été condamné
pour propos injurieux à l'encontre du président Loukachenko. La
journaliste connue du Bélarus, Irina Khalip, a été déclarée coupable
d'avoir organisé des manifestations. Ces deux journalistes ont été
condamnés à une peine d'emprisonnement avec sursis. De mai à juillet
2011, au moins 12 journalistes et travailleurs des médias ont été
détenus ou frappés par la police alors qu'ils couvraient une nouvelle
série de manifestations de rue pacifiques de grande ampleur; la
police a également saisi des appareils photo et du matériel de radiodiffusion. Après
le lancement de 800 ours en peluche depuis un avion au-dessus du
Bélarus en signe de protestation politique en juillet 2012, les
trois journalistes Anton Souryapine, Ioulia Dorochkevitch et Iryna
Kozlik ont été arrêtés pour avoir diffusé des photos des ours; Sergey
Bachamirov a été arrêté pour avoir prétendument aidé les pilotes.
4.5. Bulgarie
56. En Bulgarie, en mai 2012, Lidia Pavlova, une journaliste
travaillant pour le journal Struma connu
pour ses enquêtes sur le crime organisé, a été menacée et sa voiture
aurait été détruite à deux occasions. Son fils, qui a témoigné dans
un procès pénal contre les dirigeants d'une organisation criminelle
bien connue, a été violemment agressé en 2008, puis de nouveau en
2010, et sa voiture a également été incendiée.
57. En 2011, la journaliste d'investigation Mirolyuba Benatova,
de la grande chaîne de télévision privée bTV, a fait l'objet d'un
véritable assaut de haine en ligne. Selon plusieurs articles de
presse, Benatova a été la cible d'une campagne délibérée de propos
haineux par des usagers de Facebook et sa page a été suspendue après qu'une
organisation l'ait désignée comme ennemie du peuple bulgare.
4.6. Grèce
58. En Grèce, en avril 2012, la police a délibérément
attaqué plusieurs journalistes et photographes pendant les manifestations
de rue à Athènes et leur a infligé des blessures. L’un d’entre eux,
le dirigeant de l'association des photojournalistes grecs, Mario
Lolos, a subi une fracture du crâne après avoir été agressé par
la police anti-émeute dans le centre d'Athènes. Plusieurs journalistes
ont été frappés et ont subi des blessures lors de manifestations
antérieures dans le centre d'Athènes en 2011.
4.7. Hongrie
59. En Hongrie, la série de lois sur les médias adoptées
fin 2010 par un gouvernement nouvellement élu jouissant d'une majorité
incontournable des deux tiers au parlement a suscité de graves inquiétudes
de la Commission de Venise, qui a conclu que les nouvelles lois
sur les médias, ainsi que les amendements constitutionnels au système
judiciaire du pays accordant des pouvoirs étendus au président d'un
nouveau Bureau judiciaire national, mettaient en danger les libertés
démocratiques fondamentales. Les sujets d'inquiétude concernaient
principalement l'incapacité manifeste à garantir l'indépendance
politique des organes de régulation des médias, l'attribution de
nouveaux pouvoirs de régulation du contenu des médias, y compris
la presse écrite, l'exigence d'un soi-disant «équilibre» de l'information
et la remise en cause du droit des journalistes à protéger leurs
sources.
60. Des amendements à plusieurs aspects des lois sur les médias
(par exemple concernant la protection des sources des journalistes)
ont été introduits par la suite en réponse aux arrêts de la Cour
constitutionnelle hongroise et aux demandes du Conseil de l’Europe
et de la Commission européenne. Cependant, en mai 2012, une nouvelle
évaluation réalisée par les experts externes au nom du Secrétaire
Général du Conseil de l'Europe a relevé plusieurs éléments essentiels
qui ne sont toujours pas conformes aux normes du Conseil de l'Europe
. Le dialogue se poursuit entre le
Conseil de l'Europe et les autorités hongroises; la réunion d'experts la
plus récente a eu lieu à la fin d’août 2012.
4.8. Italie
61. En Italie, plusieurs journalistes, dont Roberto Saviano,
vivent cachés ou reçoivent une forme de protection contre les risques
d'agression par des criminels mafieux.
62. Des préoccupations se sont fait jour sur l'ingérence politique
à la RAI, le radiodiffuseur de service public, en particulier au
cours du mandat du Premier ministre Berlusconi pendant les presque
dix dernières années. Ces préoccupations concernaient l'influence
exercée par son parti sur les nominations aux postes de rédaction les
plus élevés et ses déclarations publiques dénonçant les médias critiques
ou qui lui étaient hostiles. La couverture favorable de M. Berlusconi
dans certains des organes de la RAI semblait indiquer l'existence
d'une ingérence au niveau rédactionnel. En 2011, peu avant de quitter
ses fonctions, M. Berlusconi a été accusé d'exercer des pressions
sur le radiodiffuseur pour faire interrompre la diffusion de l’émission
très critique Annozero.
4.9. Roumanie
63. En Roumanie, les 15 et 16 janvier 2012, plusieurs
travailleurs des médias de l'agence de presse Mediafax, de la chaîne
de télévision Antena 3 TV et du site d'information DC News ont été
agressés par la police alors qu'ils couvraient les manifestations
antigouvernementales à Bucarest, bien qu'ils se soient apparemment
identifiés comme journalistes.
4.10. Fédération de Russie
64. Bien que des dirigeants politiques de haut niveau
se soient engagés à prendre des contre-mesures efficaces, le Centre
pour le journalisme en situations extrêmes (Moscou) indique que,
en plus des meurtres documentés ici, d'autres agressions contre
les journalistes se sont poursuivies au rythme d'environ une par semaine
pendant les trois dernières années. Les faits relatifs à de nombreuses
agressions de reporters et d'équipes de télévision par la police
et d'autres personnels de sécurité ont été établis.
65. En novembre 2010, Oleg Kashin, reporter du quotidien d'affaires Kommersant, a été brutalement agressé
par deux hommes devant son domicile à Moscou. Ses agresseurs l'ont
frappé de toutes leurs forces avec des barres de fer sur la tête
et le corps pendant plus d'une minute avant de prendre la fuite.
L'agression a été enregistrée sur une vidéo qui a ensuite été largement
diffusée et a suscité de nombreuses condamnations publiques, y compris
celle du président russe d'alors, Dimitri Medvedev. Aucun progrès
dans les investigations n’a été annoncé à ce jour. Oleg Kashin fait
partie de plusieurs journalistes ayant été agressés autour de Khimki
(région de Moscou) après avoir publié des allégations de corruption
visant plusieurs représentants des autorités régionales, notamment
en relation avec le projet de construction d'une autoroute à travers
la forêt naturelle de Khimki. Il avait auparavant été menacé.
66. Les 16 et 17 mai 2012, un reporter de Kommersant,
Aleksandr Chernykh, a été frappé par la police avec plusieurs autres
journalistes alors qu'il couvrait les manifestations publiques organisées
à Moscou pour protester contre l'inauguration du troisième mandat
du président Poutine. Reporters sans frontières a déclaré que la
police s’était comportée avec une brutalité choquante à l'égard
de journalistes détenteurs d'une carte de presse. Après les élections
législatives de décembre 2011, de nombreux journalistes ont aussi
été arrêtés lors de manifestations dans la capitale et à Saint-Pétersbourg.
67. En avril 2012, Elena Milashina, journaliste de Novaya Gazeta, une publication d'opposition,
a été violemment frappée sur le chemin de son domicile. Son travail
portait fréquemment sur les opérations du Gouvernement russe dans
la région du Caucase.
68. Le 29 mai 2102, Sergei Aslanyan, journaliste de la radio Mayak,
a été frappé de plusieurs coups de couteau dans le cou et d'autres
parties du corps par un homme masqué qui l'attendait à l'extérieur
de son domicile du sud de Moscou.
69. Les agressions contre les sources d’information des journalistes
sont également très préoccupantes. L’avocat Sergei Magnitsky a été
torturé et tué dans une prison russe le 16 novembre 2009 après avoir
été placé en détention sans procès pendant 358 jours
. Il avait trouvé des éléments de
preuve de la corruption à grande échelle entre des fonctionnaires
et des organisations criminelles, ce pour quoi il a même fait l’objet
de poursuites après sa mort.
70. En 2010, la commission officielle d'enquête chargée du suivi
judiciaire du meurtre de journalistes et d'autres personnes a annoncé
que les dossiers relatifs à cinq affaires de meurtres commis pendant
les dernières années avaient été rouverts mais que peu de progrès
avaient été accomplis. L'adoption d'une loi désignant les crimes
contre des journalistes comme une catégorie d'infraction passible
de sanctions pénales plus sévères que d'autres représente un développement
positif mais cette loi n'a encore eu aucun effet manifeste. En 2011,
une nouvelle commission d’enquête a été créée, avec à sa tête le
président russe.
71. Le rapport final de l’OSCE/BIDDH sur l’élection présidentielle
du 4 mars 2012 a constate que la partialité manifeste des chaînes
de télévision contrôlées par l'Etat en faveur du candidat qui l'a
emporté, Vladimir Poutine, antérieurement Premier ministre, a contribué
en grande partie, ainsi que exclusion des candidats rivaux et l'utilisation
d'autres ressources publiques à des fins partisanes, à fausser les
résultats du scrutin en sa faveur. Le BIDDH a indiqué qu'une combinaison
de facteurs a créé un climat d'intimidation des médias. La période
des élections législatives en 2011 a coïncidé avec une augmentation
notable du nombre d’arrestations, d'agressions et de menaces visant
des journalistes. Il s’est passé la même chose en 2012 avant l’élection
présidentielle. Un nombre accru d'enquêtes pénales ont aussi été
ouvertes par des organes gouvernementaux à l'encontre de journalistes
et de médias.
4.11. Serbie
72. En Serbie, en juillet 2010, un chroniqueur influent
de l'hebdomadaire Vreme, Teofil
Pančić, a été victime d'une commotion cérébrale et de graves blessures
après avoir été agressé dans un bus à Belgrade par deux assaillants
masqués qui l'ont frappé avec des barres de fer avant de prendre
la fuite. Ses collègues pensent qu'il était visé à cause de ses
écrits.
73. La situation générale de la liberté des médias en Serbie a
récemment été évaluée par des experts indépendants
sur la base de la
Résolution 1636 (2008) de l’Assemblée sur les indicateurs pour les médias dans
une démocratie. L’évaluation a révélé notamment des problèmes concernant
le pouvoir judiciaire, l’indépendance des autorités de régulation
et des radiodiffuseurs de service public, les droits sociaux et
droits liés au travail des journalistes, la sécurité des journalistes
et la liberté de critiquer des représentants de l’Etat.
4.12. «L'ex-République
yougoslave de Macédoine»
74. Dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine», la
licence de radiodiffusion de la grande chaîne de télévision privée
TV A1 a été retirée et trois journaux dont Vreme,
le journal le plus lu du pays, ont été contraints de fermer à la
suite de mesures punitives prises par les autorités. Ces fermetures
sont intervenues à la suite d'une longue enquête visant le propriétaire
du groupe médiatique qui contrôlait TV A1 et les journaux, qui portait
sur des allégations d'irrégularités fiscales et de blanchiment de
capitaux et des demandes de remboursement d'importantes dettes en
suspens.
4.13. Turquie
75. On estime que la Turquie compte aujourd'hui plus
de journalistes en détention qu'aucun autre pays au monde. En avril
2012, d'après un rapport détaillé publié par la Représentante pour
la liberté des médias de l'OSCE, pas moins de 95 journalistes étaient
en prison où ils attendaient un procès ou purgeaient une peine après
avoir été condamnés. Ce nombre s’est même accru par la suite. La
liste actualisée des noms de toutes ces personnes est publiée sur
le site internet de l’OSCE
.
76. La majorité d'entre elles ont été inculpées ou condamnées
au titre de lois se rapportant à la lutte contre le terrorisme ou
l'incitation à la violence ou à la haine, ou réprimant les propos
injurieux à l'égard de la nation turque ou des institutions de l'Etat.
Nombre des journalistes emprisonnés ont été arrêtés et inculpés
en relation avec la longue enquête «Ergenekon» sur un complot allégué
visant à renverser le gouvernement en 2003. D'autres sont poursuivis
en relation avec la question de la lutte des Kurdes pour une plus
grande autonomie. Plusieurs des journalistes condamnés se sont vu
infliger des peines de plus de 50 ans d’emprisonnement. En plus
de ceux emprisonnés, plusieurs centaines de journalistes ont fait
l’objet d’enquêtes pénales qui ont entraîné pour eux, dans bien
des cas, une perte d'emploi ou une interruption grave de leurs activités professionnelles.
77. A l’invitation du Premier Ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan,
le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, Thorbjørn Jagland,
a nommé Gérard Stoudmann le 30 mai 2011 comme son Envoyé spécial
chargé d’évaluer la situation de la liberté des médias en Turquie,
en se concentrant sur des recommandations précises concernant la
mise en œuvre de l’article 10 de la Convention européenne des droits
de l'homme
. En tant que mesures de suivi,
des projets d’assistance et de coopération bilatérale sont en cours
entre le Conseil de l'Europe et la Turquie, concernant par exemple
la future exécution par la Turquie d’anciens arrêts de la Cour européenne
des droits de l'homme, ainsi que des visites d’étude de juges turcs
dans d’autres pays.
78. Le Commissaire des droits de l’homme, Thomas Hammarberg, a
écrit à la suite d’une visite en Turquie effectuée en juillet 2011
que le nombre élevé de journalistes emprisonnés était symptomatique
du dysfonctionnement systémique du processus judiciaire en Turquie
et que les pratiques actuelles avaient clairement pour effet de
restreindre la liberté d’expression. Depuis lors, cependant, le
nombre de journalistes emprisonnés en Turquie a presque doublé.
Le Commissaire a signalé aux autorités turques un certain nombre de
changements fondamentaux qui devraient être introduits dans les
lois et les pratiques du pays, afin de les mettre en conformité
avec la Convention et avec la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme.
79. La situation de l’écrivain Orhan Pamuk, qui a été condamné
en 2011 et contraint de verser une amende à la suite d’une procédure
civile engagée contre lui par un groupe d’individus invoquant l’article
301, disposition qui incrimine les propos injurieux à l’égard de
la nation turque, est préoccupante. Les plaignants, qui ont gagné le
procès, ont affirmé s’être sentis personnellement insultés par une
interview accordée par Pamuk à un journal suisse, dans laquelle
l’écrivain évoquait le refus des Turcs d’aborder la question des
massacres à grande échelle d’Arméniens et de Kurdes.
80. En juillet 2011, un jeune homme connu pour ses opinions nationalistes
a été condamné à une peine d'emprisonnement de plus de 20 ans pour
le meurtre de Hrant Dink en 2009, mais les commanditaires du meurtre
n'ont pas été condamnés. Un certain nombre de policiers, d’agents
de sécurité et d’autres personnes ont été poursuivis pour différents
degrés de participation au meurtre, mais les sanctions judiciaires
et disciplinaires imposées à certains d’entre eux ont été légères
voire insignifiantes, et d’autres s’en sont même tirés sans aucune
sanction.
81. En Turquie, la Représentante pour la liberté des médias de
l'OSCE estime qu'au moins 5 000 sites ont été bloqués sur ordre
des autorités entre 2008 et 2010, dans le but d'appliquer les restrictions
prévues par diverses lois sur la lutte contre le terrorisme, la
sécurité de l'Etat et les propos injurieux, qui ont été largement critiquées
comme anachroniques et contraire aux normes européennes en matière
de droits de l'homme
. Pendant
des années, le gouvernement a obligé les fournisseurs de services
internet à bloquer le site YouTube après la publication de vidéos
dénigrant la figure fondatrice de l'Etat turc, Mustafa Kemal Atatürk,
et le drapeau turc. L'accès à Google et à d'autres sites populaires
a aussi été bloqué.
4.14. Ukraine
82. S’agissant des enquêtes sur le meurtre en 2000 de
Georgiy Gongadze, journaliste d'investigation et fondateur du site
internet Ukrainska Pravda (Vérité Ukraine), le procès a démarré
en avril 2011 contre Olexiy Pukach, ancien fonctionnaire du ministère
de l'Intérieur, qui aurait avoué avoir joué un rôle direct dans
le meurtre de Gongadze. Les journalistes et le public n’ayant pas
été autorisés à assister au procès, le Comité pour la protection
des journalistes (CPJ) a qualifié le secret et les irrégularités
du procès de Pukach, ainsi que les précédents échecs à rendre la
justice rapidement et en toute impartialité, de revers significatifs
dans la lutte contre l’impunité. Le CPJ a indiqué qu’en 2011, les
journalistes ukrainiens continuaient d’être exposés de façon persistante
à des risques de menaces et d’agressions physiques et qu’ils étaient
soumis à la censure.
83. En mars 2010, Vasyl Demyaniv, rédacteur en chef du journal
indépendant Kolomyistiy Vestnik,
a subi une fracture du crâne et des blessures aux genoux lorsqu’il
a été agressé en pleine rue. Deux personnes ont été condamnées pour
vol en relation avec ce crime, mais Demyaniv a déclaré que les deux
hommes condamnés étaient innocents et qu’il avait été attaqué en
représailles pour son traitement critique de certaines questions
concernant les autorités locales.
84. L’Institute of Mass Information (IMI), une organisation de
surveillance des médias basée à Kiev, a recensé au moins 25 agressions
physiques contre des journalistes en relation avec leur travail
pendant la période 2010‑2011. L’IMI conteste l’affirmation du ministre
de l’Intérieur pour qui la grande majorité de ces agressions contre
des journalistes sont sans rapport avec leur travail. L’IMI indique
que, dans au moins 10 de ces cas, les auteurs de l’agression étaient
des agents des forces de l’ordre ou d’autres fonctionnaires.
85. En Ukraine, l’élection présidentielle de janvier et février
2010 a été entachée par la couverture manifestement partisane de
plusieurs médias en faveur de l’un ou l’autre des deux principaux
candidats, Viktor Ianoukovitch et Ioulia Timochenko. Les chaînes
de télévision ont permis aux candidats d’apparaître contre paiement
dans leurs émissions et de diffuser des segments préenregistrés
dans le cadre des émissions d’actualités et d’information, ce qui
est contraire au principe de l’indépendance et de l’objectivité
des médias. La mission d’observation des élections du BIDDH a noté
que les médias régionaux ont fait systématiquement preuve de partialité
en faveur du(des) parti(s) régional(aux) au pouvoir selon les cas.
Le BIDDH a recommandé d’inclure dans les règles concernant la couverture
par les médias de l’activité des ministres du gouvernement ou d’autres
personnes occupant des fonctions publiques l’interdiction aux radiodiffuseurs
de leur accorder un traitement privilégié pendant les périodes de
campagne électorale. Il a également recommandé de transformer la
société nationale de télévision d’Ukraine en un radiodiffuseur de
service public. Le gouvernement a pris certaines initiatives en
ce sens et aucun effort ne devrait être épargné pour assurer au
plus tôt la mise en œuvre de cette proposition, conformément aux
normes du Conseil de l’Europe sur l’impartialité et l’indépendance
des médias.
4.15. Royaume-Uni
86. Au Royaume-Uni, plusieurs questions concernant les
normes et la déontologie de la presse, ainsi que la relation entre
les médias et les représentants publics – y compris les hommes politiques
et la police – sont actuellement examinées par une commission publique
d’enquête dirigée par un juge qui doit remettre son rapport en 2012.
Cette enquête a été ouverte à la suite du scandale provoqué par
les révélations d’espionnage téléphonique à grande échelle impliquant
des employés du journal News of the World qui
écoutaient les messages de téléphonie mobile reçus par des personnalités
publiques, des célébrités et des particuliers, ainsi que par les
allégations de versement illégal d’argent à des agents de la fonction
publique, dont des policiers. La révélation de ces pratiques a conduit
à l’arrestation de dizaines de rédacteurs en chef et de journalistes, ainsi
que de plusieurs fonctionnaires. Elle a abouti à des accusations
de collusion inappropriée entre la presse et des représentants du
gouvernement, des hommes politiques de haut niveau et des policiers,
et de trafic d’influence ayant pu affecter indûment le résultat
de certaines décisions en matière de régulation, notamment les décisions
touchant à la concentration de la propriété des médias.
5. Conclusions
87. La liberté d'expression et d'information est la pierre
angulaire de la bonne gouvernance et d’une démocratique florissante,
ainsi qu’une obligation fondamentale de tout Etat membre en vertu
de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
88. Cependant, la police et le système judiciaire de plusieurs
Etats membres ont manqué à leur devoir de protéger les journalistes
et d’enquêter de façon adéquate sur les agressions physiques commises
contre des derniers. La Fédération de Russie reste le pays le plus
dangereux d’Europe pour les journalistes, en raison du nombre de
journalistes assassinés ainsi que du nombre de cas de meurtres non
résolus. Dans ce pays et dans tous les autres pays concernés, les
autorités nationales compétentes doivent faire davantage d’efforts
pour enquêter sérieusement sur ces cas et traduire en justice les
commanditaires de ces meurtres.
89. On estime que la Turquie compte aujourd'hui plus de journalistes
en détention qu'aucun autre pays au monde. Les derniers rapports
d’observation des élections de l’Assemblée ont constaté un environnement médiatique
partial et d’autres lacunes dans plusieurs Etats membres. Dans tous
ces pays, la liberté des médias devrait être renforcée en révisant
les lois et la pratique des tribunaux et de la police.
90. Des incidents récents de collusion entre les médias et propriétaires
de médias et des responsables politiques et fonctionnaires de l’Etat
ont ébranlé la confiance de l’opinion publique dans un gouvernement démocratique
et dans l’indépendance des médias. Les médias et l’administration
publique doivent assumer leurs responsabilités respectives dans
la mise en place de mesures contre ces comportements fautifs, en particulier
grâce à des mesures légales de lutte contre la corruption ainsi
que d’autorégulation des médias et une indépendance éditoriale stricte
des journalistes vis-à-vis des propriétaires de médias.
91. De nombreux journalistes travaillent dans des situations précaires
et la qualité professionnelle et la déontologie sont souvent mises
à mal par les abus des propriétaires de médias et des groupes d’intérêt politiques
ou commerciaux. Les Etats membres doivent veiller à ce que les conditions
d’emploi des journalistes respectent les dispositions de la Charte
sociale européenne révisée (STE no 163).
92. En dépit de la multiplication des médias numériques, les radiodiffuseurs
de service public demeurent la principale source d’information en
Europe et qui constituent un outil indispensable pour le public
en général dans une démocratie éclairée. Par conséquent, les radiodiffuseurs
de service public doivent être protégés des ingérences politiques
dans leur gestion quotidienne et leur travail éditorial.
93. Dans ce contexte, il convient de saluer le fait que l'Union
européenne de radio-télévision (UER) ait pris des initiatives pour
que ses membres respectent sa déclaration de valeurs essentielles
et pour développer des mesures visant à dénoncer et à sanctionner
les membres qui enfreignent ces recommandations
. L’UER elle-même devrait s’abstenir
d’organiser des événements dans des pays où la situation des droits
de l’homme n’est pas bonne.
94. Le Conseil de l'Europe dans son ensemble et les Etats membres
individuellement doivent renforcer leurs efforts de protection de
la liberté d'expression et d'information par les médias. Les Etats
membres et observateurs, les partenaires pour la démocratie et l’Union
européenne devraient être invités à fournir des contributions volontaires
pour le financement d’activités supplémentaires dans ce domaine.
95. En vertu de son mandat, la Sous-commission des médias et de
la société de l'information est chargée d’examiner les menaces à
la liberté d'expression et d'information, y compris la liberté des
médias et le pluralisme. Par conséquent, elle peut jouer un rôle
actif à cet égard.
96. Tenant compte de ces conclusions, des mesures concrètes sont
proposées les projets de résolution et de recommandation contenus
dans le présent document.