1. Introduction
1. «Je suis absolument convaincue que les femmes peuvent
tout avoir (et les hommes aussi).
Je crois que nous pouvons
tout avoir
en même temps. Mais pas maintenant, pas de la façon dont
l’économie et la société sont structurées actuellement.» Avec un
article paru dans le magazine
The Atlantic en
juillet 2012, l’académicienne américaine Anne-Marie Slaughter a
relancé le débat sur la conciliation entre vie professionnelle et
responsabilités familiales auprès du grand public, dans son pays
et ailleurs
.
2. Malgré les nombreux progrès accomplis sur la voie de l’égalité
entre femmes et hommes, une division traditionnelle des rôles est
encore largement répandue en Europe. Ainsi, si les hommes jouissent
encore d’une position privilégiée sur le marché du travail, les
femmes conservent une partie prépondérante des responsabilités ménagères
et des soins des enfants et des personnes âgées.
3. Le résultat est que la conciliation entre vie privée et vie
professionnelle est plus difficile pour les femmes que pour les
hommes. A cela s’ajoutent les inégalités en matière de rémunération
et de nombreuses discriminations à l’embauche et dans les conditions
de travail. L’ensemble de ces éléments décourage une participation
plus importante des femmes au monde du travail.
4. Des mesures s’imposent pour permettre à tous ceux qui le souhaitent
d’exercer une activité professionnelle et de pouvoir l’harmoniser
avec la vie privée et familiale. Il s’agit notamment de créer des services
diffusés et accessibles d’assistance aux personnes (aux enfants,
en particulier aux nouveau-nés et aux personnes âgées), d’encourager
le partage des responsabilités familiales dans les couples et de transformer
l’organisation du travail afin d’introduire des éléments de flexibilité
(horaires différenciés, télétravail) sans porter atteinte aux possibilités
de carrière.
5. Ces mesures ont été préconisées par le Conseil de l’Europe
à plusieurs reprises, depuis la Recommandation No R
(96) 5 du Comité des Ministres jusqu’à la
Recommandation 1768 (2006) de l’Assemblée parlementaire sur la nécessaire réconciliation
de la vie professionnelle et la vie familiale. Il est temps de vérifier
quelles initiatives ont été prises au niveau européen et quel impact
elles ont eu sur l’économie et la société.
6. Toutefois, je tiens à souligner que, sans un changement important
des mentalités au sein des familles et de la société en général,
l’action des autorités publiques, certes fondamentale, restera insuffisante.
Comme dans d’autres domaines, le principe de subsidiarité entre
autorités publiques et société civile est d’une importance majeure.
2. Partage
inégal des responsabilités familiales et conséquences sur le monde
du travail
7. Le thème de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle
occupe de plus en plus de place dans les programmes internationaux
et nationaux, comme le note le Bureau International du Travail,
qui a examiné ce thème lors de la réunion de novembre 2011 de son
Conseil d’administration
. Cette question revêt un intérêt croissant
du fait d’un ensemble de facteurs, dont l’essor du travail atypique,
le vieillissement démographique et l’évolution des structures familiales.
8. Comme le souligne le chercheur Roland Pfefferkorn, les relations
conjugales se sont transformées au cours de ces dernières décennies
de façon remarquable, avec le développement de la cohabitation hors mariage,
du divorce et du célibat. «Mais une fois entrées dans des relations
conjugales et/ou familiales, [les femmes] se retrouvent le plus
souvent dans un espace domestique au sein duquel peu de choses ont
changé par rapport à la situation d’antan.
»
9. La deuxième «Enquête européenne sur la qualité de vie – vie
de famille et travail» a confirmé en 2010 que le taux de participation
des femmes et des hommes au travail domestique et familial est très
différent. En moyenne, 80 % des femmes sont impliquées dans ce type
de travail quotidiennement, contre seulement 45 % des hommes. L’inégalité
varie dans les différents pays, entre un minimum de 17 % des hommes
qui participent aux tâches domestiques en Turquie et 70 % en Suède
.
10. Cette étude montre également que, dans l’ensemble, la population
est consciente de cette inégalité, puisque les réponses des femmes
et des hommes aux questions croisées relatives au partage du travail
au sein de la famille sont très cohérentes entre elles.
11. D’après une enquête effectuée au Royaume–Uni par l’Institute
for Public Policy Research (IPPR), un institut de recherche indépendant,
huit femmes sur dix font plus de travail domestique que leurs partenaires. Seulement
13 % des femmes interviewées dans le cadre de cette recherche disent
que leur mari travaille plus qu’elles à la maison
.
12. En France, une étude de l’Institut national d’études démographiques
de novembre 2009 affirme que «Les femmes assument 80 % des tâches
ménagères. Huit sur dix s’occupent ‘toujours’ ou le plus souvent
du repassage, sept sur dix de la préparation des repas, la moitié
de l’aspirateur et des courses d’alimentation, quatre sur dix de
la vaisselle et de la tenue des comptes». L’étude montre également
que l’arrivée d’un ou plusieurs enfants modifie ce partage en augmentant
progressivement cette inégalité
.
13. Une recherche menée par l’Université de Valladolid en 2008-2010
souligne l’influence des facteurs culturels et traditionnels sur
la conception et l’application des mesures de conciliation. Cette
recherche indique que les pays de l’Europe méditerranéenne ont une
attitude contradictoire sur les rôles des femmes et des hommes.
D’une part, le principe d’égalité au sein de la famille est largement
accepté, de l’autre, l’idée que la femme doit donner priorité aux
responsabilités familiales est largement répandue
.
14. Le rapport annuel 2011 de Banca d’Italia, la Banque centrale
Italienne, qui consacre un chapitre au rôle des femmes dans l’économie,
décrit une situation d’inégalité entre les hommes et les femmes,
notamment en ce qui concerne le taux de participation de celles-ci
dans le marché du travail. L’étude indique comme première cause
de cette situation le manque de services et d’infrastructures permettant
de concilier vie professionnelle et vie familiale, notamment pour
les femmes ayant des enfants en bas âge
.
15. En Italie, le taux d’emploi féminin dans la tranche d’âge
15-64 ans est de 46,5 %, soit 21 points de moins que chez les hommes.
Le différentiel était de 31 points en 1993. L’étude souligne que
ce différentiel s’est réduit constamment, y compris au cours de
la crise économique actuelle, car celle-ci a eu un impact négatif
plus important sur le taux d’emploi des hommes.
16. «Au sein des familles, y comprises celles où les deux conjoints
travaillent, les tâches ménagères et de soin aux personnes sont
prises en charge par les femmes de façon disproportionnée» ajoute
ce texte, qui conclut: «Les différences d’attitudes entre les femmes
et les hommes peuvent donner lieu à des discriminations involontaires».
Les inégalités encore existantes dans l’organisation du travail
au sein des familles se reflètent inévitablement sur le marché du
travail, notamment sur la place occupée par les femmes.
17. Pour pouvoir faire face à leurs multiples engagements, un
grand nombre de femmes acceptent des emplois temporaires ou à temps
partiel ou interrompent leur carrière. D’après le rapport de 2011
de la Commission européenne sur le Progrès dans l’égalité entre
les femmes et les hommes, presque un tiers des femmes avec des responsabilités
familiales ont des emplois à temps partiel ou sont inactives
.
18. D’une part, les politiques de conciliation sont conçues en
tant qu’outils pour améliorer l’égalité entre hommes et femmes et,
d’autre part, la perte de revenus et la difficulté de réinsertion
professionnelle pour les femmes qui ont dû quitter leur travail
engendrent un risque de pauvreté et d’exclusion sociale. Les politiques de
conciliation sont donc utiles non seulement pour atteindre l’égalité
de genre mais aussi, comme le souligne la Confédération des organisations
familiales de l’Union européenne (COFACE), pour prévenir et lutter
contre la pauvreté et l’exclusion sociale
.
19. Les femmes peuvent-elles concilier leur activité professionnelle
et leur vie personnelle et familiale? L’exemple d’Anne-Marie Slaughter,
universitaire qui a occupé un poste de haute responsabilité au plus
haut niveau de l’administration de son pays, auteure de l’article
cité au début de ce rapport, semblerait nier cette possibilité.
Après dix-huit mois passés au sein du Secrétariat d’Etat sous Hillary
Clinton, Mme Slaughter a décidé de quitter son poste à Washington
et de reprendre son activité de professeure à l’Université de Princeton,
pour pouvoir mieux s’occuper de sa famille et notamment de ses enfants
adolescents.
20. Pourtant la réponse que Mme Slaughter donne à cette question
dans son article n’est pas tout à fait négative. En premier lieu,
elle n’a pas renoncé à travailler tout court: elle a choisi de revenir
à une occupation lui permettant de gérer son emploi du temps de
façon plus autonome. En second lieu, la thèse qu’elle propose est
que les femmes ne peuvent pas concilier leur vie familiale avec
n’importe quel travail et dans le cadre actuel: dans l’absolu, cette
conciliation serait possible, à condition de réformer l’organisation
du travail.
21. Le débat qui a fait suite à la publication de cet article
a démontré que la conciliation est plus que jamais d’actualité et
toujours perçue comme un problème à résoudre. Toutefois, un certain
nombre de femmes des nouvelles générations semblent moins disposées
à sacrifier les responsabilités familiales pour l’épanouissement
professionnel.
22. Certains, même en Europe, ont interprété cela comme une «involution
culturelle» et le signe d’un retour d’idées dépassées qui voyaient
les femmes comme destinées «naturellement» à s’occuper de la maison.
La philosophe féministe française Elisabeth Badinter a dénoncé dans
son livre «Le Conflit, la femme et la mère» une «tyrannie de la
maternité»
. La société
actuelle ferait
pression
sur les femmes pour
qu’elles
se consacrent davantage à la famille. Rentrerait dans ce cadre,
par exemple, la promotion de l’allaitement au sein menée avec un
zèle excessif par de nombreux pédiatres.
3. La conciliation
vie personnelle–vie professionnelle, une question qui concerne également
les hommes
23. Le ratio entre les hommes et les femmes exerçant
un métier s’est modifié au cours des dernières décennies. En 2009,
le Canada est devenu le premier pays où les femmes représentaient
la majorité des effectifs sur le marché du travail
. Le phénomène s’est reproduit l’année
suivante aux Etats-Unis où, en même temps, les femmes obtenaient
trois diplômes universitaires sur cinq.
24. En Europe, les femmes occupent six des huit millions de nouveaux
emplois créés depuis l’an 2000
. La crise économique qui a frappé
une partie des pays industrialisés ces dernières années a contribué
à ces développements, car elle a affecté plus lourdement des secteurs
de l’économie qui occupent majoritairement des hommes, tels que
l’industrie.
25. En conclure que la société post-industrielle moderne est plus
adaptée aux femmes et que la «fin des hommes» est arrivée
serait certainement exagéré. Toutefois,
la situation des deux sexes dans le monde du travail devient de
plus en plus similaire.
26. La conciliation entre la vie personnelle et familiale et les
engagements professionnels ne concerne donc pas uniquement les femmes.
La division traditionnelle des rôles entre femmes et hommes affecte
également ces derniers: en effet, un homme qui essaye de partager
pleinement ses responsabilités familiales risque d’être considéré
insuffisamment motivé et impliqué dans son activité professionnelle.
27. Le débat ouvert par Anne-Marie Slaughter a été relancé quelques
mois plus tard par son nouvel article, cette fois sur la conciliation
vie privée–vie professionnelle comme une question qui concerne également
les hommes
. De nombreux témoignages provenant
d’hommes de différents milieux sociaux et professionnels prouvaient
leur souhait et leur difficulté de concilier la sphère privée et
familiale avec celle du travail.
4. Conciliation et
coresponsabilité
28. La question de la conciliation est donc commune aux
femmes et aux hommes – bien que plus répandue et plus pressante
auprès des femmes. J’estime donc que souligner le conflit potentiel
ou actuel entre les sexes dans l’organisation du travail n’est pas
utile. Il est préférable de rechercher les possibilités d’entente
et d’harmonisation entre les besoins et les aspirations des uns
et des autres. Pour cette raison, un concept qui me tient particulièrement
à cœur est celui de la coresponsabilité, ou partage des responsabilités
au sein de la famille.
29. La coresponsabilité se réalise de façon remarquable par rapport
à la filiation: on parle dans ce cas de coresponsabilité parentale,
qui consiste à partager les tâches liées aux soins des enfants et
à l’éducation. Toutefois, elle ne se limite pas à cela. Toutes les
responsabilités familiales, qu’il s’agisse des tâches ménagères
ou de l’assistance des personnes non autonomes, de la gestion des
comptes ou des rapports avec l’administration, devraient être partagées
au sein d’un couple de façon équitable et si possible égale.
30. L’élément «responsabilité» est central dans ce concept, car
il ne s’agit pas simplement de partager des activités. Il est de
plus en plus commun qu’un conjoint «aide» l’autre, mais cela ne
met pas en discussion les rôles au sein du couple. La coresponsabilité,
par contre, implique que les tâches familiales ne soient pas à la charge
d’un seul conjoint, mais qu’elles soient partagées par les deux.
31. Ce partage égal garantit tout d’abord la réalisation effective
de l’égalité des conjoints. En second lieu, ce qui est aussi important
est qu’il place les femmes et les hommes sur un pied d’égalité face
au travail. Un engagement égal au sein de la famille permet une
égalité de chances dans l’accès, la permanence et l’avancement dans
le monde du travail rémunéré.
32. La coresponsabilité est liée à des facteurs essentiellement
culturels que la loi ne saurait pas imposer aux individus. Cependant,
il est possible et nécessaire de promouvoir ce concept par le biais
de campagnes d’éducation et de sensibilisation.
33. En Espagne, des campagnes de ce type ont été menées, entre
autres, par les autorités de la communauté autonome d’Andalousie,
avec la distribution dans les collèges et les lycées d’une publication appelée Guìa para chicas, «Guide pour les
filles». Le texte expliquait de façon simple et claire comment chaque
membre de la famille peut exiger le respect et demander que tous
contribuent à la gestion familiale.
5. Instruments juridiques
du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne
34. Dès 1996, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
a adopté une recommandation qui est un point de repère important
en matière de conciliation entre vie professionnelle et vie privée.
La Recommandation N° R (96) 5 présente, d’une part, la situation
courante à l’époque de son adoption, et de l’autre, indique un certain nombre
de mesures nécessaires afin de faciliter la conciliation de la vie
professionnelle avec la vie familiale.
35. Ce texte rappelle que les femmes continuent d’assumer le plus
souvent l’essentiel des responsabilités familiales, et que le partage
insuffisant de celles-ci contribue à la discrimination à l’égard
des femmes sur le marché du travail. Par ailleurs, il souligne que
les femmes et les hommes expriment de plus en plus la volonté de
partager d’une façon plus égalitaire les responsabilités familiales
et que de nombreux obstacles, notamment sociaux et culturels, s’y
opposent.
36. Quant aux mesures préconisées pour permettre «aux hommes et
aux femmes, sans discrimination, de mieux concilier leur vie professionnelle
et leur vie familiale», la recommandation énonce le «droit d’occuper
un emploi ou de l’obtenir sans faire l’objet de discrimination et,
dans la mesure du possible, sans conflit entre leurs responsabilités
professionnelles et familiales». L’annexe à la recommandation introduit,
entre autres, le principe qu’«il importe de permettre aux travailleurs
d’assumer leurs responsabilités croissantes à l’égard des autres
membres de leur famille qui sont à leur charge, et en particulier
de leurs parents âgés ou handicapés».
37. La Charte sociale européenne révisée (STE no 163
(1996)) traite à l’article 27 du «droit des travailleurs ayant des
responsabilités familiales à l’égalité des chances et de traitement».
Cet article stipule notamment que «les Etats s'engagent à prendre
des mesures appropriées pour permettre aux travailleurs ayant des responsabilités
familiales d'entrer et de rester dans la vie active ou d'y retourner
après une absence due à ces responsabilités, de tenir compte de
leurs besoins en ce qui concerne les conditions d'emploi et la sécurité sociale
ainsi que de développer ou promouvoir des services, publics ou privés,
en particulier les services de garde de jour d'enfants et d'autres
modes de garde».
38. L’Assemblée parlementaire s’est penchée sur la question des
politiques de conciliation en 2006, lorsqu’elle a adopté la
Recommandation 1769 (2006) sur la nécessaire réconciliation de la vie professionnelle et
de la vie familiale. Ce texte préconise tout d’abord que les Etats
membres donnent pleine application à la Recommandation R (96) 5
du Comité des Ministres.
39. Quant aux mesures spécifiques recommandées, elles comprennent
l’égalité salariale effective entre les femmes et les hommes, la
mise en place de conditions de travail flexibles, une rémunération
ou indemnisation suffisante durant le congé de maternité, l’introduction
d’un congé paternité rémunéré, ainsi qu’un congé parental rémunéré
utilisable par le père et la mère et la garantie d’une place à la
crèche pour les enfants si les parents le souhaitent.
40. La stratégie de Lisbonne, l’axe majeur de politique économique
et de développement de l’Union européenne adopté en 2000, avait
fixé comme objectif d’atteindre un taux d’emploi des femmes de 60
% en 2010 avec des services de prise en charge pour au moins 33
% des enfants de moins de 3 ans et 90 % des enfants entre l’âge
de 3 ans et celui de l’école obligatoire, en vue de promouvoir une
meilleure conciliation de la vie familiale et professionnelle ainsi
qu’une plus grande égalité des sexes.
41. En 2009, seuls neuf pays membres avaient atteint l’objectif
de 33 % d’enfants de moins de 3 ans dans des services de prise en
charge formels et sept avaient atteint celui de 90 % pour les enfants
de plus de 3 ans. Quant au taux d’emploi des femmes, 11 pays sur
les 27 de l’Union européenne ont atteint les 60 % en 2010. Le taux
d’emploi des femmes est passé de 57,3 % en moyenne en Europe en
2000 à 62,1 % en 2010 (alors qu’il est de 75,1 % pour les hommes).
42. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à
laquelle le Traité de Lisbonne confère une valeur juridiquement
contraignante, interdit toute discrimination fondée sur le sexe
et consacre le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes
dans tous les domaines.
43. La mise en œuvre de ce principe d’égalité est appuyée par
la stratégie de la Commission pour l’Egalité entre les hommes et
les femmes 2010-2015. Celle-ci identifie certaines mesures de conciliation
entre la vie professionnelle et familiale, telles qu’améliorer les
services de prise en charge d’enfants en dessous de l’âge de l’école
obligatoire, comme étant des actions clés pour l’égalité des genres
.
44. La Commission a également établi la Stratégie Europe 2020
qui a, parmi ses objectifs, un taux d’emploi de 75 % pour les femmes
et les hommes entre 20 et 64 ans (seule la Suède a actuellement
atteint cet objectif)
.
45. De son coté, le Conseil de l’Union européenne a adopté en
mars 2011 un Nouveau pacte européen pour l’égalité entre les hommes
et les femmes qui met les politiques de conciliation entre la vie
professionnelle et la vie familiale au premier plan
. Ce pacte met l’accent sur l’importance
de promouvoir un meilleur équilibre entre la vie familiale et le
travail, pour les femmes comme pour les hommes.
46. La Directive 2010/18/UE va dans le même sens, en étendant
le congé parental obligatoire de trois à quatre mois (avec au minimum
un mois ne pouvant pas être transféré d’un parent à l’autre afin
d’encourager les pères à prendre en charge les enfants). En outre,
elle prévoit une protection contre les traitements défavorables
des employés qui prennent leur congé parental.
6. Aperçu des politiques
de conciliation dans les pays européens
6.1. Congé parental
47. Le congé parental est un moyen essentiel de conciliation
entre la vie professionnelle et la vie familiale. M. Andrea Rigoni
(Italie, ADLE) prépare actuellement un rapport sur «Le congé parental,
moyen d’encourager l’égalité des sexes». Je renvoie à ce rapport
pour une analyse plus détaillée de ce dispositif.
48. En Europe la tendance est à l’extension de ce congé. Aux Pays-Bas,
le congé parental est passé de 13 à 26 semaines en 2009 et en Estonie,
où le système de congé parental est exceptionnellement généreux depuis
2004, il y a 575 jours de congés payés (dont les 140 premiers ne
peuvent être réclamés que par les mères).
49. Cependant, ce sont très majoritairement les femmes qui en
bénéficient, interrompant ainsi leurs carrières et perpétuant la
ségrégation professionnelle, tandis que les congés pris par les
hommes sont la plupart du temps beaucoup plus courts. Depuis 2002,
la Suède a mis en place un système qui prévoit 13 mois de congé
parental, avec deux mois réservés aux pères. Bien que cela constitue
une avancée certaine, les pères ne prennent en moyenne que 22 %
du total des jours de congé parental. La Finlande a également mis en
place un «Daddy Month» de congé de paternité qui a été étendu de
12 jours ouvrés en 2010.
50. Au Luxembourg, les six mois de congé parental à temps plein
sont pris en grande majorité par les femmes. En effet, en 2009,
2,15 % des parents ayant bénéficié du congé parental étaient des
hommes.
51. En 2007, l’Allemagne a mis en place de nouvelles allocations
pour les parents prenant un congé parental (Elterngeld),
et malgré des restrictions budgétaires en 2011, ce système a abouti
à ce que davantage de pères prennent leur congé parental.
52. Le développement du congé de paternité est un pas important
vers plus d’égalité dans la prise en charge par les parents des
responsabilités relatives aux enfants. En Espagne, la loi sur l’Egalité
entre les femmes et les hommes a introduit en 2007 un congé de paternité
de 13 jours, qui s’ajoute aux deux jours déjà prévus. Le Gouvernement
espagnol s’est engagé à étendre la durée à quatre semaines en 2013.
En Pologne, elle est passée de une à deux semaines en 2012. La Turquie
commence également à introduire ce type de congé, qui n’est cependant
que de trois jours et seulement dans le secteur public, ainsi que
la Grèce, qui offre deux jours de congé de paternité aux pères.
53. Il y a cependant encore un certain nombre de pays qui ne propose
aucun congé de paternité, et d’autres, comme l’Estonie, où les allocations
prévues pour les congés de paternité ont été suspendues jusqu’à
fin 2012 en raison de la crise économique.
54. Au Danemark, la grande majorité des pères utilisent leur congé
de paternité, mais ce congé ne constitue que 8 % des congés combinés
de maternité, paternité et parental pris par les deux parents. De
plus, depuis janvier 2009, le paiement des indemnités pour les congés
de paternité a également été interrompu en raison de la crise économique.
6.2. Services de prise
en charge
55. Bien que les systèmes évoluent, une vue traditionnelle
du rôle des hommes et des femmes prévaut dans de nombreux pays.
56. L’une des recommandations de la Commission européenne a donc
consisté à promouvoir une conciliation de la vie professionnelle
et de la vie familiale en fournissant des services abordables de
prise en charge des enfants. En effet, au Danemark, 79 % des mères
qui prennent un congé parental retournent au travail comme avant,
et la haute qualité des services de prises en charge des enfants
est un facteur important.
57. En 2009, à Chypre, seuls 22 % des enfants âgés de moins de
3 ans étaient inscrits dans un programme public de prise en charge
pendant la journée. Bien que cela soit inférieur à la moyenne européenne,
la famille dans ce pays est le noyau de la société et de la culture
et ce sont donc les grands-parents qui sont nombreux à s’occuper
de leurs petits-enfants. En Grèce, seuls 11 % des enfants de moins
de 3 ans sont inscrits dans des services de prise en charge, bien
en dessous de la moyenne européenne des 27 % en 2009.
58. Les services de prise en charge sont très développés dans
les pays tels que la Suède, qui a établi une limite légale du prix
des crèches (proportionnelle au revenu des parents et au nombre
d’enfants), et où la prise en charge publique des enfants est garantie
à tous les parents et est gratuite pour les enfants de 3 à 6 ans jusqu’à
15 heures par semaine. En conséquence, 63 % des enfants de moins
de 3 ans et 94 % des enfants de 3 à 6 ans sont inscrits dans des
services de garde d’enfants.
59. En Finlande, tout enfant de moins de 7 ans bénéficie d’un
droit inconditionnel à être inscrit dans un service de prise en
charge et l’éducation pré-primaire est gratuite. De plus, les parents
qui n’utilisent pas les services de prise en charge municipale ont
droit à un congé payé supplémentaire après la fin du congé parental.
Cela leur permet de s’occuper de leurs enfants de moins de 3 ans
sans abandonner leur travail.
60. L’Italie a également un système de prise en charge gratuit,
mais non obligatoire, des enfants dans le secteur public, et comme
le Danemark et l’Allemagne, 90 % des enfants de 3 à 6 ans y sont
inscrits.
61. En Fédération de Russie, les services de prise en charge des
enfants traversent une phase de restructuration. Le pays a un réseau
d’institutions préscolaires très étendu. Cependant, surtout dans
le milieu rural, ceci n’est pas encore suffisant, face à une demande
croissante
.
62. La situation est semblable en Ukraine, où seulement 56 % des
enfants bénéficient de services de prise en charge. Le ministère
de l’Education, qui fournit ces données, précise que le nombre d’institutions préscolaires
(environ 15 500 en 2010) s’accroît de 200 à 300 unités chaque année
.
63. Depuis 2010, une année de crèche est gratuite en Irlande,
et pour les familles à faible revenu, le Programme amélioré de Subvention
de la garde des enfants par la communauté, introduit en 2010, permet
aux parents bénéficiant de ce programme de ne payer qu’environ 33
% des frais de scolarité.
64. En France, les services de prise en charge des enfants sont
de haute qualité et ont des heures d’ouverture longues et flexibles.
Cependant, il est difficile de trouver des places dans les crèches,
le gouvernement s’est donc engagé à créer 200 000 places supplémentaires
pour les enfants de moins de 3 ans avant 2012.
65. De même, le Gouvernement autrichien a investi 45 milliards
d’euros de 2008 à 2010 pour l’extension des crèches et, depuis 2011,
il s’est fixé pour objectif de créer 5 000 places supplémentaires
annuellement.
66. Au Luxembourg, c’est la multiplication des «Maisons Relais»
(110 en 2009), qui rend plus facile de concilier travail et vie
familiale, grâce également à leur flexibilité.
67. La tendance est donc à l’amélioration et à l’extension des
services de prise en charge afin de permettre aux mères, en particulier,
de ne pas interrompre ou freiner leurs carrières. Une loi de 2006
demande à toutes les autorités locales au Royaume-Uni de fournir
une prise en charge suffisante des enfants pour répondre aux besoins
de parents employés. Le gouvernement a mis en place des centres
«Sure Start Children» pour conseiller et soutenir les parents et
les aides.
7. Modèles de législation
68. De nombreux pays ont mis en place des lois pour améliorer
l’égalité entre les hommes et les femmes sur le lieu du travail
ainsi que des lois permettant une meilleure conciliation de la vie
professionnelle et familiale, en prévoyant des conditions de travail
plus flexibles.
69. En Espagne, la loi de réforme du Statut des travailleurs,
approuvée en 1999, est connue précisément comme «Loi sur la conciliation
de la vie familiale et professionnelle». Celle-ci introduit ou réforme
des mesures telles que les congés de maternité et de paternité,
les congés pour allaitement et les réductions de l’horaire de travail
pour raisons familiales.
70. Aux Pays-Bas, un projet a été introduit en 2006 permettant
aux employés d’économiser 10 % de leur revenu annuel, jusqu’à 210
% au maximum, pour financer une période de congé non payé dans le
futur. Cela crée une certaine flexibilité; cependant, seuls 4 %
des employés en font usage car le projet est compliqué à appliquer.
Le gouvernement a également mis en place un «Income-dependent combination
tax credit» en 2009 pour le partenaire qui gagne le moins afin de
l’encourager à effectuer un plus grand nombre d’heures de travail.
71. En Belgique, on ne peut pas demander aux parents d’enfants
de moins de 12 ans de faire des heures supplémentaires, de travailler
la nuit ou les week-ends sans qu’ils donnent leur consentement.
Dans le même esprit, l’Autriche a mis en place en 2010 des allocations
pour la garde d’enfant liées aux revenus des parents pour leur donner
plus d’opportunités de se soustraire du marché du travail pendant
une certaine période de temps afin de garder leur enfant.
72. Afin d’essayer d’avoir une représentation plus équilibrée
des sexes dans les postes de décision, la France a adopté une loi
en janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes
et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance,
et à l’égalité professionnelle, instaurant progressivement des quotas
pour aller vers la féminisation des instances dirigeantes des grandes
entreprises.
8. Bonnes pratiques
73. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont également
développé des pratiques variées relatives à la conciliation de la
vie professionnelle et familiale.
74. En Belgique, le gouvernement a adopté, en 2009, un Plan famille
pour les indépendants, visant à réduire l’écart entre les prestations
sociales offertes aux travailleurs indépendants face aux salariés
. Ce plan prévoit, entre autres,
l’amélioration du congé de maternité et l’introduction d’un congé
parental ouvert également aux pères, des allocations familiales
égales pour les enfants des salariés et des indépendants, des crèches
et des gardes d’enfants adaptées et la possibilité d’accéder à un
prêt sans garanties, à des conditions avantageuses.
75. En Suisse, le Canton de Berne a adopté un plan qui met l’accent
sur le développement continu de places d'accueil pour les enfants.
Les garderies et les «parents de jour» sont subventionnés par le
canton, ce qui permet aux familles de payer des tarifs réduits.
Depuis le 1er août 2010, les communes
ont l’obligation de mettre en place un module d’école à journée
continue
.
76. Le «Bonus de l’égalité de genre» en Suède, introduit en 2008,
est destiné à rendre plus facile le retour au travail des mères
après l’accouchement et à encourager les pères à prendre plus de
congé parental afin qu’ils puissent partager les responsabilités
relatives aux enfants de façon plus équilibrée.
77. La Suède a également créé en 2003 le prix «Golden Dummy» pour
les entreprises qui prennent en compte la vie familiale, qui attire
un nombre croissant de candidats (80 en 2010). Ce type d’entreprises
est également encouragé en Allemagne, où la Gezinsbond (ligue
des familles) a été lancée en 2009 pour créer un forum pour la promotion
d’une culture d’entreprise qui prenne en compte la vie familiale
et pour permettre aux entreprises de faire leur publicité.
78. Un grand nombre de pratiques ont aussi été développées pour
améliorer les services de prise en charge. En Estonie, le Partenariat
de développement estonien «Children taken care of, mothers at work»
crée de nouveaux services de prise en charge depuis 2005. La CNAF
en France a créé en 2009 le site Monenfant.fr qui conseille, guide
et propose des solutions aux parents pour trouver des services de
prise en charge de leur enfant.
9. Initiatives des
entreprises
79. La conciliation entre la vie professionnelle et la
vie privée ne dépend pas exclusivement de mesures législatives ou
de structures et service offerts par l’Etat. Dans un certain nombre
de cas, les entreprises publiques et privées, ainsi que les administrations
publiques, ont également adopté des mesures pour aider leurs employés
à mieux gérer le temps de travail et les engagements personnels.
80. D’après une enquête publiée en 2011 par le centre de recherche
Fondazione per la diffusione della responsabilità sociale delle
Imprese/Italian Centre for Social Responsibility (ICSR)
, les bonnes pratiques adoptées par
ces acteurs économiques comprennent:
- flexibilité des temps et lieux de travail (horaires flexibles,
temps partiel, programmes de congés flexibles);
- politiques de soutien à la maternité et paternité (congés
pour des raisons familiales, réinsertion après de longs congés,
création de crèches ou conventions avec structures externes);
- formation des employés et communication interne.
81. L’étude montre également que la plupart des grandes et moyennes
entreprises considèrent que le bien-être des employés représente
un atout stratégique, qui permet d’améliorer la productivité et
la qualité des produits et services offerts. Plus de la moitié (55
%) des organisations qui ont participé à l’enquête affirment que
les bonnes pratiques en matière de conciliation entre vie privée
et vie professionnelle ont amélioré le climat interne. Cela s’est
reflété sur les rapports entre collaborateurs et avec les supérieurs
hiérarchiques, par une augmentation de la satisfaction et de la
motivation des employés.
82. Cette étude souligne aussi que la crise économique actuelle
est susceptible d’encourager les entreprises à modifier leur organisation
interne en introduisant des mesures de conciliation vie privée–vie professionnelle.
La situation de faible croissance et le manque de ressources financières
dans la plupart des pays pourraient produire cet effet inespéré
pour deux raisons. En premier lieu, le capital humain devient la ressource
la plus importante pour la réussite de l’entreprise. Par conséquent,
celle-ci est amenée à essayer d’augmenter le taux de satisfaction
des employés, afin de les motiver et de les fidéliser. En second
lieu, dans un climat difficile caractérisé par une compétition accrue,
certaines entreprises seraient prêtes à expérimenter des changements
majeurs de leur organisation interne en vue de la quête de leur
productivité.
83. L’expérience française de l’Observatoire de la parentalité
en entreprise confirme une attention accrue du monde industriel
vers cette thématique. Créé en 2008 sur la base d’une Charte de
la parentalité en entreprise, l’Observatoire est soutenu par 388
entreprises et associations signataires qui s’engagent entre autres:
- à faciliter la conciliation
vie professionnelle–vie personnelle des salariés-parents;
- à aménager les conditions de travail pour les femmes enceintes;
- à prévenir et éliminer les pratiques discriminantes pour
les salariés-parents.
84. Dans le cadre de ses activités de collecte, d’analyse et de
diffusion d’informations sur la conciliation entre vie professionnelle
et vie familiale de ceux qui ont des responsabilités parentales,
l’Observatoire a publié de nombreux documents. Parmi ceux-ci, un
Guide télétravail et un Guide crèches et entreprises, qui sont conçus
comme des «aides à la réflexion et à l’action». En effet, ils fournissent
des éléments utiles aux entreprises souhaitant introduire de nouvelles
formes d’organisation qui répondent aux besoins des employés ayant
des enfants.
10. Conclusions
85. La division traditionnelle des rôles entre femmes
et hommes au sein de la famille représente un obstacle majeur sur
le chemin vers l’égalité. Si les inégalités sur le marché du travail
se réduisent progressivement, la charge des responsabilités familiales
pèse toujours, de façon prépondérante, sur les femmes. Par conséquent, la
difficulté de concilier la vie familiale et la vie professionnelle
empêche les femmes de jouir d’une réelle égalité des chances.
86. En même temps, la mentalité dominante dans le monde du travail
actuelle, reflétant encore en partie des stéréotypes sexistes et
une organisation du travail qui n’a pas suffisamment évolué, empêchent
également les hommes d’assumer pleinement leurs responsabilités
à l’intérieur de la famille.
87. Dans ce contexte, les programmes de conciliation entre la
vie professionnelle et la vie familiale revêtent une importance
majeure dans les politiques pour l’égalité de genre et de qualité
de vie.
88. Faciliter la conciliation entre ces deux sphères est un impératif
pour nos sociétés. Les mesures nécessaires à cette fin comprennent
une nouvelle organisation du travail (flexibilité en termes d’horaires
et de lieux), des services accessibles de soins aux personnes (notamment
enfants et personnes âgées) ainsi qu’un soutien financier aux familles.
Ces mesures exigent une coordination de tous les acteurs du monde
du travail, publics et privés.
89. Le climat économique actuel, caractérisé par une faible croissance
et un manque de ressources financières, ne doit pas retarder l’adoption
de politiques de conciliation. Au contraire, ces politiques deviennent encore
plus urgentes. La crise actuelle qui a affecté des secteurs économiques
qui emploient un plus grand nombre d’hommes a eu l’effet de réduire
l’inégalité dans les taux d’emploi des deux sexes. Cependant, il
ne faudrait pas accepter que les inégalités soient «nivelées vers
le bas». Permettre tant aux femmes qu’aux hommes de mieux concilier
leur vie professionnelle avec les responsabilités familiales permettrait
de limiter les effets néfastes de la crise. Une participation accrue
des uns et des autres au monde du travail représenterait un facteur
de croissance de l’économie dans son ensemble et de développement
plus équilibré.
90. En outre, les politiques de conciliation sont nécessaires
pour prévenir et lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
En effet, les parents obligés de quitter leur poste à cause d’une
organisation du travail incompatible avec les engagements familiaux,
très souvent les mères, présentent un risque accru de pauvreté et
d’exclusion.
91. La possibilité de concilier vie privée et vie professionnelle
doit donc représenter un objectif prioritaire de toute politique
d’égalité. Il s’agit de combattre les inégalités entre hommes et
femmes, de créer les conditions d’épanouissement des parents à la
maison et dans le monde du travail, d’augmenter la croissance économique et
d’améliorer la cohésion de la société dans son ensemble.