1. Introduction
« La dimension religieuse
est une caractéristique indéniable et incoercible de l’être et de
l’agir de l’homme, la mesure de la réalisation de son destin et
de la construction de la communauté à laquelle il appartient. …il
faut affirmer qu’une proclamation abstraite de la liberté religieuse
n’est pas suffisante: cette norme fondamentale de la vie sociale
doit trouver application et respect à tous les niveaux et dans tous
les domaines.»
Discours du Pape Benoît XVI aux membres du Corps diplomatique,
10 janvier 2011
1. Suite aux attaques tragiques dont les communautés
chrétiennes ont fait l’objet en octobre 2010 à Bagdad et à Alexandrie
en janvier 2011, l’Assemblée parlementaire a tenu le 27 janvier
2011 un débat selon la procédure d’urgence et adopté la
Recommandation 1957 (2011) sur la violence à l’encontre des chrétiens au Proche
et au Moyen-Orient. J’ai eu l’honneur de présenter ce rapport au
nom de la commission des questions politiques.
2. Une proposition de résolution sur «Violences à l’encontre
des chrétiens» a été présentée le 17 mars 2011 (
Doc. 12542)
qui a été renvoyée à la commission des questions politiques en vue
d’établir un rapport sur «Violence à l’encontre des communautés
religieuses», et j’ai été nommé rapporteur le 21 juin 2011.
3. Le présent rapport vise à examiner la situation des chrétiens
et d’autres communautés religieuses, notamment dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe et dans des pays du Moyen-Orient concernés
par la
Recommandation
1957 (2011), en mettant tout particulièrement l’accent sur la mise
en œuvre des mesures proposées dans ses paragraphes 12, 13, 14 et
15, dans lesquels l’Assemblée appelle les Etats membres, entre autres:
- à réaffirmer que le développement
des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés civiques
est la base commune sur laquelle ils construisent leurs relations
avec des pays tiers, et à veiller à ce que les accords entre eux
et des pays tiers comportent une clause sur la démocratie;
- à prendre en compte la situation des communautés religieuses
chrétiennes et autres dans leur dialogue politique bilatéral avec
les pays concernés;
- à soutenir des initiatives visant à promouvoir le dialogue
entre communautés religieuses au Moyen-Orient.
4. Cet objectif est conforme au mandat de la commission des questions
politiques et de la démocratie: «La commission examine la situation
dans les Etats non membres du Conseil de l’Europe au regard des
valeurs fondamentales qu’il défend, formule des propositions et,
sous réserve de l’approbation du Bureau, prend des mesures politiques
pour promouvoir ces valeurs.»
5. Selon la proposition initiale, le rapport devait aborder les
questions suivantes:
- violence
contre les communautés religieuses: conventions internationales
et déclarations, doctrine et jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme («la Cour»);
- liberté religieuse en Europe et violations de ce droit
fondamental: antisémitisme, intolérance et discrimination à l’encontre
des chrétiens, islamophobie et autres formes de violence;
- suites données par le Comité des Ministres à la Recommandation 1957 (2011) sur la violence à l’encontre des chrétiens au Proche
et au Moyen-Orient et mesures adoptées par les Etats membres;
- étude comparative et mesures nationales nécessaires pour
préserver et promouvoir la liberté de religion (législations nationales
et actions de diplomatie étrangère).
6. Le 6 septembre 2011, à Caserta, une note d’information a été
présentée aux membres de la commission des questions politiques
et, lors de la réunion des 14 et 15 novembre 2011, à Paris, a été
soumis un premier schéma de rapport qui prenait en compte les discussions
de la commission et visait à recenser les questions en jeu; il signalait
également les conclusions de divers organismes internationaux sur
ces questions.
7. Sur ma proposition, la commission des questions politiques
et de la démocratie a tenu, le 14 mars 2012, un échange de vues
avec M. Massimo Introvigne, sociologue, ancien représentant personnel
du Président en exercice de l'OSCE pour la lutte contre le racisme,
la xénophobie et la discrimination, spécialement l’intolérance et
la discrimination à l’encontre des chrétiens et des membres d’autres
religions, afin de discuter des éventuelles lignes d’action à suivre
pour régler les problèmes de violence à l’égard des communautés religieuses.
8. Le 13 décembre 2012, la commission a tenu un échange de vues
avec M. Khaled Fouad Allam, professeur en sociologie du monde musulman
et en histoire et institutions des pays islamiques au sein de l’université
de Trieste, ainsi qu’avec le père Paolo Dall’Oglio, prêtre jésuite
et refondateur du monastère Deir Mar Mûsa en Syrie.
2. Liberté
de religion et liberté d’expression
9. En 2013, nous célébrons l’anniversaire de l’Edit
de Milan, ou Edit de Tolérance, de l’an 313, qui peut être perçu
comme étant à l’origine de la liberté de religion et de croyance.
Son contenu est très clair: «Nous empereur Constantin, et nous empereur
Licinius, nous étant assemblés à Milan pour traiter des choses qui concernent
le bien de l’Etat et la tranquillité publique, (…) permettons aux
chrétiens et à toutes sortes de personnes de suivre telle religion
qui leur plaira, afin que la Divinité qui préside dans le ciel,
soit à jamais propice et à nous, et à nos sujets.»
10. L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme
(STE no 5) énonce que «[t]oute personne a
droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit
implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi
que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement
ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement,
les pratiques et l'accomplissement des rites». Il ajoute que «[l]a
liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire
l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi,
constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique,
à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé
ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés
d'autrui».
11. La première partie de cet article est quasiment identique
à l’Article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme:
«Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et
de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion
ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion
ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé,
par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement
des rites.»
12. La Cour européenne des droits de l’homme a produit une vaste
jurisprudence sur l’article 9 de la Convention consacrée à la liberté
de religion, en tant que pilier d’une société démocratique, tant
dans sa dimension intérieure qu’extérieure.
13. La Cour a notamment abordé les caractéristiques individuelles
et collectives de la liberté de religion et les relations entre
l’Etat et les communautés religieuses.
14. Elle s’est également penchée sur l’étendue de la protection
de la liberté de religion par l’Etat (ingérence et devoir de neutralité
et d’impartialité)
.
15. La liberté d’expression est une autre liberté fondamentale
inscrite à l’article 10 de la Convention européenne des droits de
l'homme tout comme à l’article 19 de la Déclaration universelle
des droits de l'homme. Elle est complémentaire de la liberté de
religion, mais il s’avère souvent nécessaire d’établir un équilibre
entre ces deux droits. D’une part, les groupes religieux devraient
avoir la possibilité d’exprimer librement leurs opinions sur des
questions éthiques comme la vie de famille, l’homosexualité ou l’avortement mais,
d’autre part, ils ne devraient pas tenter de restreindre la liberté
d’expression d’autrui en faisant valoir la notion de «diffamation
de la religion».
16. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
sur cette question est elle aussi intéressante. En 1976 déjà, la
Cour avait évoqué le droit de choquer, heurter ou inquiéter
.
17. La protection de la conscience ou du sentiment religieux n’empêche
pas la critique des religions et des croyances. L’Etat a l’obligation
de garantir à ceux qui professent ces croyances la jouissance de
leur droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion.
Seule la façon dont ces critiques sont formulées peut être condamnée
si elle correspond à un discours de haine. A cet égard, les Etats
ont l’obligation de lutter contre les stéréotypes antireligieux,
notamment lorsqu’ils sont diffusés dans les médias. Des enquêtes
montrent que les stéréotypes antireligieux ne se limitent pas aux
religions minoritaires et ciblent de plus en plus les chrétiens. La
liberté de religion protège également la liberté d’exprimer publiquement
des doctrines religieuses. Par conséquent, les expressions publiques
pacifiques de la foi ou de conceptions morales devraient être protégées,
comme c’est le cas des prédications religieuses des ministres du
culte.
18. Contrairement aux Etats-Unis d’Amérique, où le premier amendement
à la Constitution interdit d’adopter toute loi qui restreigne la
liberté de parole ou bafoue la liberté de la presse, il existe en
Europe plusieurs limitations plus ou moins légales, liées par exemple
aux discours de haine. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
a défini le discours de haine dans sa Recommandation No R
(97) 20. Cependant, cette définition n’étant pas universellement
acceptée, ces limitations sont souvent interprétées de diverses
manières par les différentes communautés religieuses.
19. L’Assemblée traite de cette question dans son rapport et sa
Résolution 1510 (2006) sur la liberté d’expression et respect des croyances
religieuses, dans laquelle elle déclare que «la liberté d’expression,
telle qu’elle est protégée en vertu de l’article 10 de la Convention
européenne des Droits de l’Homme, ne doit pas être davantage restreinte
pour répondre à la sensibilité croissante de certains groupes religieux».
Dans le même temps, l’Assemblée rappelle fermement que «les discours
incitant à la haine à l’encontre de quelque groupe religieux que
ce soit ne sont pas compatibles avec les droits et libertés fondamentaux
garantis par la Convention européenne des Droits de l’Homme et les
précédents de la Cour européenne des Droits de l’Homme».
20. Le Rapport du Département d'Etat américain sur la liberté
de religion dans le monde (novembre 2010) identifie cinq catégories
de restrictions de la liberté de religion: les gouvernements autoritaires;
l’hostilité envers les groupes religieux non traditionnels et minoritaires;
la passivité face à l’intolérance de la société; l’institutionnalisation
des préjugés et les allégations d’illégitimité (discrimination à
l’encontre de groupes décrits comme des «cultes» ou des «sectes»).
21. Le rapport note que «[a]u cours de la dernière décennie, plusieurs
Etats comptant une population musulmane majoritaire ou significative
ont œuvré au sein des Nations Unies (ONU) à la promotion du concept de
“diffamation des religions” en soumettant tous les ans des résolutions
sur ce thème au Conseil des droits de l’homme et à l’Assemblée générale
de l’ONU». Il énonce ensuite que «si les Etats-Unis déplorent les
actions qui témoignent d’un manque de respect pour des croyances
religieuses profondément ancrées, y compris celles des Musulmans,
nous n’admettons pas le concept de “diffamation des religions” car
il peut être utilisé aux fins de porter atteinte aux libertés fondamentales
de religion et d’expression. Les Etats-Unis comprennent que la résolution
porte principalement sur les stéréotypes négatifs et la discrimination
à l’égard de membres de groupes religieux. Ils estiment cependant
qu’au lieu d’interdire les discours, la meilleure façon pour les gouvernements
de traiter ces questions est d’élaborer des cadres juridiques robustes
pour traiter les actes de discrimination et les crimes motivés par
les préjugés; de condamner les idéologies haineuses et de sensibiliser de
manière proactive l’ensemble des communautés religieuses, notamment
les groupes minoritaires; et de défendre fermement les droits des
personnes à pratiquer librement leur religion et à exercer leur
liberté d’expression» [Traduction non officielle].
22. Dans sa publication «Blasphème, insultes religieuses et incitation
à la haine religieuse» de la série Science et technique de la démocratie,
la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) traite également des relations entre la liberté d’expression
et la liberté de religion et propose une nouvelle éthique de relations
interculturelles responsables.
3. Liberté de religion
et anti-discrimination
23. La liberté de religion est un concept plus large
que la non-discrimination fondée sur la religion; elle englobe la
liberté de professer sa religion en public et au sein de la communauté
et ne se borne pas à un droit à l’«égalité» entre des individus
et des groupes religieux et non religieux.
24. La Commission permanente a adopté, le 25 novembre 2011, la
Résolution1846 (2011) «Combattre toutes les formes de discrimination fondées
sur la religion», basée sur un rapport de la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme (Rapporteur: M. Tudor Panţiru,
Roumanie, SOC).
25. Tout en se déclarant une nouvelle fois favorable à la séparation
de l’Eglise et de l’Etat (voir sa
Recommandation 1804 (2007) «Etat, religion, laïcité et droits de l’homme» et sa
Recommandation 1396 (1999) «Religion et démocratie»), l’Assemblée a appelé les
Etats membres «à adopter des dispositions législatives érigeant
en infraction pénale le discours de haine et le recours à la violence
à l’encontre de membres de groupes religieux et de chefs religieux,
conformément aux recommandations de la Commission européenne contre
le racisme et l'intolérance (ECRI)» et «à veiller à ce que les autorités compétentes
mènent des enquêtes effectives sur les actes de violence fondés
sur la religion ou les croyances».
26. S’agissant de la non-discrimination, la Directive 2000/78/CE
du Conseil de l’Union européenne du 27 novembre 2000 portant création
d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière
d’emploi et de travail revêt une importance particulière. Conformément
à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme,
elle prévoit que «dans le cas des activités professionnelles d’Eglises
et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est
fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement
fondée sur la religion ou les convictions d’une personne ne constitue
pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou
par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou
les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle,
légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation».
4. Droits parentaux
en matière d’éducation
27. Sur la base d’une proposition que j’ai présentée
avec d’autres collègues, un rapport sur «La liberté de choix éducatif
des familles dans tous les Etats membres» a été préparé par la commission
de la culture, de la science, de l’éducation et des médias (Rapporteure:
Mme Carmen Quintanilla, Espagne, PPE/DC). L’Assemblée a tenu un
débat en avril 2012 et a adopté la
Résolution 1904 (2012). Toutefois, la question de la violence n’est pas abordée
dans ce rapport.
28. Cette résolution invoque le droit à l’instruction garanti par l’article 2 du Protocole additionnel
à la Convention européenne des droits de l'homme, selon lequel «[n]ul
ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice
des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de
l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette
éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses
et philosophiques».
5. L’autonomie des
communautés religieuses
29. La distinction entre la religion et l’Etat est garantie
par l’autonomie mutuelle des communautés religieuses et de l’Etat.
Si l’Etat ne respecte pas l’autonomie des communautés religieuses,
il ne peut plus être considéré comme neutre ou impartial
mais comme
s’immisçant dans le domaine religieux. La Cour européenne des droits
de l'homme a affirmé que les communautés religieuses existaient
traditionnellement et universellement sous la forme de structures
organisées et que, lorsque l’organisation de l’une de ces communautés
est en cause, l’article 9 doit s’interpréter à la lumière de l’article 11
de la Convention qui protège la vie associative contre toute ingérence
injustifiée de l’Etat
.
Le principe de l’autonomie en matière de liberté de religion interdit
aux autorités civiles de prendre des décisions concernant des affaires
internes aux communautés religieuses comme les nominations
ou
les mutations
.
De même, il empêche les chefs religieux de s’immiscer dans les affaires
laïques.
6. La situation des
chrétiens au Moyen-Orient
30. Le 23 septembre 2011, le Comité des Ministres a répondu
à la
Recommandation 1957
(2011) et indiqué qu’il «travaille au développement d’une politique
cohérente à l’égard de régions voisines, en vue de promouvoir le
dialogue et la coopération avec les pays et les régions situés à
proximité de l’Europe qui sollicitent l’assistance du Conseil de
l’Europe, sur la base des valeurs communes de droits de l’homme,
de démocratie et d’Etat de droit».
31. Tout en assurant l’Assemblée que «la promotion du droit à
la liberté de pensée, de conviction et de religion, restera en bonne
place à son ordre du jour», le Comité des Ministres n’entend pas
mettre en place une capacité permanente pour suivre la situation
des restrictions gouvernementales et sociétales à la liberté de
religion et aux droits connexes dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe et les Etats du Moyen-Orient, et rendre compte régulièrement
à l’Assemblée, comme demandé au paragraphe 11.1 de la recommandation.
32. Cette réponse ne me paraît pas satisfaisante. D’un côté, le
Comité des Ministres partage les préoccupations de l’Assemblée mais,
de l’autre, il n’est pas prêt à améliorer les travaux de l’Organisation conformément
aux recommandations de l’Assemblée, comme s’il faisait déjà tout
son possible. Le Comité des Ministres indique qu’il étudie actuellement
la faisabilité pour le Conseil de l'Europe de mettre en place certains axes
de travail suggérés dans le rapport «Vivre ensemble – Conjuguer
diversité et liberté dans l’Europe du XXIe siècle»
et j’espère que certaines initiatives en sortiront.
33. En attendant, il convient de rappeler que le Comité des Ministres,
à sa 1158e réunion (12-13 décembre 2012)
a tenu un débat thématique sur «Liberté de religion et situation
des minorités religieuses» qui était particulièrement important
et opportun compte tenu notamment du nombre croissant de cas de discrimination
et d’intolérance auxquels se heurtent de nombreuses communautés
religieuses dans les Etats membres et ailleurs que sur le continent
européen. Les Délégués ont soutenu la proposition du Secrétaire Général
d’élaborer un document concis compilant les normes existantes du
Conseil de l'Europe en la matière et ont estimé que le développement
de la sensibilisation aux normes actuelles et la promotion de leur
mise en œuvre devaient être la priorité de l’Organisation. Une telle
initiative encouragerait une attitude positive et tolérante dans
la société européenne et devrait faire partie de la politique du
Conseil de l'Europe à l’égard des régions voisines. Cette position
est pleinement conforme à la volonté de l’Organisation d’«offrir
son expertise dans le domaine de la protection de la liberté de
pensée, de conscience et de religion et [de] partager son expérience
en matière de promotion des normes de protection des droits des
personnes appartenant à des minorités religieuses», comme l’indique
le Comité des Ministres dans la réponse précitée à la
Recommandation 1957 (2011).
34. En cette même occasion, les Délégués ont estimé que le Conseil
de l'Europe devait renforcer «le potentiel de ses mécanismes de
suivi», tandis que certaines délégations ont souligné «le potentiel
d’action des instances indépendantes comme l’ECRI et le Commissaire
aux droits de l'homme» et ont encouragé son développement, «notamment
sous la forme d’une recommandation de politique générale de l’ECRI».
35. Le dimanche 9 octobre 2011, plusieurs milliers de chrétiens
coptes ont manifesté pacifiquement au Caire contre l’attaque d’une
église dans la province d’Assouah la semaine précédente. Pour des
raisons qui n’ont jamais été élucidées, la manifestation a dégénéré
et les affrontements qui s’en sont suivis avec l’armée et des voyous
ont fait au moins 25 morts, en majorité coptes, et plus de 300 blessés.
Le Président de l’Assemblée a condamné ces violences et, sur ma
suggestion, la commission des questions politiques a adopté la déclaration
suivante lors de sa réunion des 14 et 15 novembre 2011:
«Le premier jour de l’année 2011,
un attentat suicide à la bombe dans une église copte d'Alexandrie
a tué 21 personnes et fait 79 blessés. L’Assemblée parlementaire
a condamné sans équivoque ces violences. Nous espérions tous qu’après
le succès de la révolution égyptienne, de telles tragédies ne se reproduiraient
plus.
Malheureusement, le dimanche 9 octobre, une manifestation
pacifique de Coptes au Caire a dégénéré pour des raisons encore
inconnues, les affrontements qui s’en sont suivis avec l’armée et
des voyous faisant 25 victimes, en majorité coptes, et plus de 300
blessés. Cette violence, condamnée à juste titre par le Président
de l’Assemblée, est bien sûr inacceptable et les premières déclarations
des autorités égyptiennes ainsi que leur manque de réaction subséquente
ne témoignent pas d’un engagement véritable à lutter efficacement
contre les actes récurrents de violence interreligieuse.
L’Egypte doit démarrer son premier processus électoral
libre et équitable dans deux semaines, mais aucune élection démocratique
ne peut se tenir dans un climat de haine religieuse.
Nous appelons les autorités égyptiennes et notamment le
Conseil suprême des Forces armées à protéger effectivement la communauté
copte, à enquêter sur les événements du 9 octobre 2011 et à déférer
devant la justice les responsables de ces violences afin de garantir
un environnement pacifique pour les élections à venir.»
36. Selon certains rapports, depuis la révolution de 2011, des
centaines de filles égyptiennes chrétiennes ont été enlevées, contraintes
de se convertir à l’islam et d’épouser des hommes musulmans. Selon
d’autres rapports, toutefois, cette situation est due à la détérioration
considérable des conditions de sécurité qui a conduit à une augmentation
de tous les types d’infractions.
37. Dans sa
Résolution
1892 (2012) sur la crise de la transition démocratique en Egypte,
adoptée en juin 2012, l’Assemblée «regrette en particulier que la
situation des communautés chrétiennes en Egypte ne se soit pas améliorée
avec le Printemps arabe et la chute de Moubarak, et que des actes
de violence continuent d’être perpétrés contre ces communautés,
ainsi que contre d’autres minorités religieuses. L’Assemblée invite, par
conséquent, les Etats membres à mettre en œuvre les mesures énoncées
dans sa
Recommandation
1957 (2011) sur la violence à l’encontre des chrétiens au Proche
et au Moyen-Orient. Elle les appelle notamment à prendre en compte
la situation des communautés religieuses chrétiennes et autres dans
leurs dialogues politiques bilatéraux et à promouvoir une politique,
au niveau national comme au niveau du Conseil de l'Europe, qui intègre
la question du respect des droits fondamentaux des minorités chrétiennes
et des autres religions dans leurs relations avec l’Egypte».
38. Dans sa
Résolution
1878 (2012) sur la situation en Syrie, l’Assemblée souligne que
«la population syrienne constitue une mosaïque de groupes ethniques,
culturels et religieux, et cette diversité, au même titre que l’intégrité
territoriale de la Syrie, doit être préservée dans une future Syrie
post-Assad. L’Assemblée invite les divers groupes d’opposition nationale
à s’unir afin de se présenter en tant qu’alternative légitime offrant
à tous les citoyens syriens, quelles que soient leur origine ethnique,
leur culture et leur religion, la perspective d’une Syrie pacifique,
démocratique et pluraliste. Compte tenu de la sous-représentation
des chrétiens au sein du Conseil national syrien, tout avenir post-Assad
doit garantir la tolérance religieuse dont les chrétiens ont bénéficié
jusqu’ici».
39. En décembre dernier, le père Dall’Oglio a exposé à la commission
la situation de la communauté chrétienne de Syrie après 40 ans de
dictature et 21 mois de révolution. Pendant 14 siècles, les chrétiens,
les juifs et les musulmans ont vécu en paix côte à côte. Les sociétés
islamiques avaient le devoir religieux de protéger les minorités
chrétienne et juive. En Syrie, alors que la majorité des chrétiens
est restée fidèle au régime d’Assad, d’autres ont soutenu la révolution.
Beaucoup quittent actuellement le pays.
40. En d’autres endroits du Moyen-Orient, la situation des communautés
chrétiennes reste critique, comme je l’ai décrit dans mon rapport
sur la «Violence à l’encontre des chrétiens au Proche et au Moyen-Orient»
de janvier 2011.
41. Il est intéressant de noter que lorsque l’Assemblée a accordé
le statut de partenaire pour la démocratie au Parlement du Maroc
(juin 2011) et au Conseil national palestinien (octobre 2011), elle
a déclaré que «garantir le plein respect de la liberté de conscience,
de religion et de croyance, y compris le droit de changer de religion»
était une question d’importance essentielle aux fins du renforcement
de la démocratie, de l’Etat de droit et du respect des droits de
l’homme et des libertés fondamentales dans les pays concernés.
42. Dans les deux cas, la commission des questions politiques
et de la démocratie suit les progrès réalisés sur cette question
et d’autres et en rendra compte à l’Assemblée plus tard dans l’année.
Je suis le rapporteur pour le Maroc tandis que mon collègue Tiny
Kox est le rapporteur pour le Conseil national palestinien.
7. Islamophobie
43. L’Assemblée a traité la question de la violence contre
les communautés musulmanes en Europe dans plusieurs rapports, notamment
ceux sur «Les communautés musulmanes européennes face à l’extrémisme» (2008)
et «L’Islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe» (2010). Les
textes adoptés (Recommandations
1831 (2008) et
1927 (2010) et Résolutions
1605
(2008) et
1743 (2010)) insistent sur la nécessité de prendre des mesures
vigoureuses contre la discrimination et de redoubler d’efforts dans
les domaines de l’éducation et des médias.
44. Le 22 février 2012, à Astana, l’ambassadeur Adil Akhmetov,
Représentant personnel du Président de l’OSCE pour la lutte contre
l'intolérance et la discrimination à l’encontre des musulmans, a
exprimé sa préoccupation concernant le sentiment d'insécurité ressenti
par les communautés musulmanes dans la région de l'OSCE. Il a encouragé
les Etats membres à se servir des outils et des programmes de l'OSCE
concernant les crimes de haine et l'enseignement de la tolérance
et recommandé l’adoption des mesures suivantes pour lutter contre
les crimes de haine motivés par l’intolérance contre les musulmans:
«promotion d’activités éducatives et sensibilisation aux questions
liées au racisme, à la xénophobie et à l’intolérance contre les musulmans;
mise en place de mécanismes pour assurer un transfert efficace d'informations
des services secrets à la police pour aider à prévenir les crimes
contre les musulmans et d’autres; mise en œuvre de programmes de
soutien pour assurer un suivi des crimes de haine contre les musulmans,
produire des rapports à ce sujet et apporter une aide aux victimes».
45. Toutefois, l’impression générale est que les communautés religieuses,
notamment musulmanes, sont mieux protégées en Europe que les chrétiens
en Afrique, Asie ou Moyen-Orient.
8. Rapports récents
sur la situation en matière de liberté de religion
46. Il est manifeste qu’un faible degré de liberté religieuse
accroît l’occurrence d’actes de violence, de discours de haine et
de manifestations de discrimination et d’intolérance, menaçant la
sécurité des individus et donnant lieu à des conflits et à des violences
de plus grande ampleur qui sapent la stabilité et la sécurité internationales.
J’estime qu’il est particulièrement important de poursuivre nos
travaux et notre dialogue sur l’essence même des libertés de pensée,
de conscience et de religion qui, comme le Pape Benoît XVI l’a souligné
dans son message pour la Journée mondiale de la paix 2011, ne sont
pas «le patrimoine exclusif des croyants mais de la famille tout
entière des peuples de la terre».
47. Il existe de nos jours de nombreux engagements pour lutter
contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme, la discrimination
et l’intolérance, notamment contre les musulmans, les chrétiens
et les juifs, ainsi que des engagements liés à la prévention et
à la sanction des crimes de haine. De récentes attaques contre les
communautés chrétiennes ont souligné la nécessité de traiter le
problème de l’intolérance à l’encontre des chrétiens sous l’angle
spécifique des crimes de haine.
8.1. Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI)
48. L’ECRI a été chargée de combattre le racisme, la
discrimination raciale, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance
«dans la Grande Europe» sous l’angle de la protection des droits
de l'homme (article 1 de son Statut). A ce jour, l’ECRI a mis en
évidence des sentiments antimusulmans et antisémites dans l’écrasante majorité
de ses rapports par pays, a adressé ses recommandations spécifiques
aux gouvernements concernés et élaboré deux recommandations de politique
générale (RPG nos 5 et 9).
49. Néanmoins, l’ECRI considère systématiquement que son mandat
couvre la criminalité violente, les discours de haine, la discrimination
et l’intolérance contre tous les groupes religieux. Par conséquent,
dans ses rapports du quatrième cycle, elle a également recensé des
cas de discrimination ou d’intolérance contre des membres de groupes
chrétiens dans les Etats membres, exprimé son inquiétude face à
l’absence de mécanismes de prévention de diverses tendances négatives
(agressions physiques, publicité négative dans les médias, vandalisme,
atteintes à la propriété, dégradation d’édifices religieux) ainsi
qu’au non-respect persistant de ses recommandations spécifiques
par les Etats (enregistrement légal, droits de propriété, délivrance
de visas pour les prêtres et autres ecclésiastiques).
50. Enfin, dans ses commentaires sur la
Recommandation 1957 (2011) sur la violence à l’encontre des chrétiens au Proche
et Moyen‑Orient, l’ECRI a
manifesté
son intérêt pour la création d’un forum de dialogue avec des Etats
non-membres, notamment d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et de
l’Eurasie en vue de discuter de la mise en place de stratégies communes
propres à renforcer la lutte contre le racisme et l’intolérance
face à l’extrémisme et à l’islamophobie; un tel forum pourrait traiter
efficacement les questions de criminalité violente, de discours
de haine, de discrimination et d’intolérance contre les chrétiens
dans les pays du Proche et du Moyen-Orient.
8.2. Organisation pour
la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)/Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l'homme (BIDDH)
51. L’OSCE est très active dans ce domaine. Son rapport
consacré à la table ronde OSCE/BIDDH sur «Intolérance et discrimination
contre les chrétiens: se focaliser sur l’exclusion, la marginalisation
et le déni de droits», organisée en mars 2009, a énoncé plusieurs
recommandations
.
52. Le rapport annuel de l’OSCE/BIDDH pour 2009 (publié à Varsovie
en novembre 2010) énumère des crimes ou incidents antisémites en
Allemagne, Autriche, Belgique, Grèce, Italie, Suède, République
tchèque et Royaume-Uni. Certains de ces crimes ou incidents s’accompagnaient
de violence. Les organisations non gouvernementales (ONG) et les
médias ont rendu compte de bien d’autres manifestations d’antisémitisme dans
d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe.
53. Le rapport évoque le meurtre d’une musulmane en Allemagne,
l’attaque d’une mosquée en Espagne et plusieurs crimes de haine
anti-musulmans en Suède. Il cite également les préoccupations de
l’ECRI face à l’intolérance et la discrimination dont sont victimes
les Musulmans en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Bulgarie,
au Norvège, au Royaume-Uni et en Suisse. Par ailleurs, les sources
médiatiques suivies par le BIDDH ont également fait état d’incidents
contre des musulmans en Bosnie-Herzégovine, au Danemark, en Espagne,
en France, en Grèce, en Norvège, aux Pays-Bas et en République tchèque.
54. Seules la Géorgie, la Suède et la Turquie ont mentionné des
crimes et incidents anti-chrétiens. Le Saint-Siège a fourni des
informations sur des incidents visant des chrétiens dans neuf Etats.
Il convient de mentionner que les Etats participants de l’OSCE ne
font pas tous état de violence contre des groupes religieux et que
ceux qui en font état n’emploient pas tous des critères comparables.
55. Le rapport annuel de l’OSCE/BIDDH pour 2011 sur les crimes
de haine dans la région de l’OSCE: incidents et réponses (paru à
Varsovie en novembre 2012) révèle une intolérance croissante à l’égard
des chrétiens. Trente-cinq Etats participants ont signalé qu’ils
recueillaient des données sur les crimes de haine fondés sur des
préjugés religieux, tandis que 14 Etats ont précisé qu’ils collectaient
des données sur des infractions motivées par des préjugés à l’égard
des chrétiens et des membres d’autres religions. Certains Etats décomposent
ces données, les classant en plusieurs catégories comme «non confessionnels»
«catholiques» «protestants» ou «autres religions». Le Saint-Siège
a fourni des informations sur des incidents motivés par des préjugés
à l’égard des chrétiens dans 11 Etats. Sept ONG ont transmis des
informations au BIDDH sur des incidents motivés par des préjugés
à l’égard des chrétiens et des membres d’autres religions dans 12
Etats participants. Des informations émanant des missions de l’OSCE
en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo*
et
à Skopje figurent aussi dans le rapport.
56. La Présidence lituanienne de l’OSCE et le BIDDH ont co-organisé
une série de trois réunions à haut niveau en 2011: une conférence
à Prague, en mars, consacrée à «Antisémitisme dans le discours public»,
une conférence à Rome le 12 septembre sur «La prévention des incidents
et des crimes inspirés par la haine à l’égard des chrétiens ainsi
que sur les réponses à leur apporter» et une conférence sur «Faire
face à l’intolérance et à la discrimination à l’égard des musulmans
dans le discours public» à Vienne le 28 octobre.
57. L’objet de ces réunions était de fournir une plateforme permettant
aux experts et aux praticiens d’examiner les crimes et les incidents
motivés par la haine de communautés religieuses dans la région de l’OSCE
et de mettre en commun les meilleures pratiques en matière de prévention,
de suivi et de réaction. Chaque réunion a rassemblé près de 150
représentants des 56 Etats participants de l’OSCE, de communautés religieuses
et d’organisations non gouvernementales.
58. Les discussions ont porté sur la sensibilisation aux crimes
et incidents de haine visant les juifs, les chrétiens et les musulmans
et leurs biens ainsi que sur le partage des bonnes pratiques en
matière de lutte et de prévention de ces incidents. Un accent particulier
a été placé sur les attaques contre les lieux de culte, l’une des
formes les plus courantes de crime de haine dont sont victimes les
communautés religieuses.
59. Les participants aux réunions ont formulé des recommandations
et les Etats participants de l’OSCE ont convenu d’un large éventail
d’engagements pour lutter contre le racisme, la xénophobie, la discrimination
et l’intolérance, y compris contre les musulmans, les juifs et les
chrétiens. Le 10 juillet 2011, l’Assemblée parlementaire de l’OSCE
a adopté une résolution sur la lutte contre l’intolérance et la
discrimination à l’égard des chrétiens dans la l’espace de l’OSCE.
8.3. Union européenne
60. L’Union européenne a lancé, en février 2010, le projet
de recherche RELIGARE afin d’étudier les réponses pouvant être apportées
par des politiques adéquates à la diversité culturelle et religieuse
qui est une réalité sociale en Europe. Elle examine les règles juridiques
qui protègent ou limitent (contraignent) les expériences des communautés
religieuses ou d’autres fondées sur des croyances. Là où les pratiques collectives
ou individuelles ne se conforment pas aux exigences juridiques de
l’Etat ou encore là où les communautés se tournent vers leurs propres
régimes juridiques ou tribunaux, les raisons qui sous-tendent ces développements
nécessitent d’être comprises.
61. Une conférence sur le thème «Diversité religieuse et laïcité
en Europe: opportunités et perspectives» a eu lieu les 4 et 5 décembre
2012, en Belgique, afin d’examiner les principaux résultats du projet.
Les conclusions de la conférence sont disponibles sur le site web
du projet
.
62. L’un des principaux atouts du projet RELIGARE est le recueil
des décisions de justice pertinentes liées aux questions traitées
par le projet. Un résumé de la jurisprudence récente de la Cour
européenne des droits de l’homme est également disponible sur le
site web du projet.
63. Le Gouvernement hongrois a organisé, dans le cadre de sa Présidence
du Conseil de l’Union européenne, une conférence sur «Le dialogue
entre chrétiens, juifs et musulmans», à Gödöllo, du 1er au
4 juin 2011. En plus de représentants des Etats membres de l’Union
européenne, des délégations de Bosnie-Herzégovine, Croatie, Etats-Unis,
Israël, Russie, Serbie, Ukraine et de certains Etats du Moyen-Orient ont
participé à cette Conférence. Elle a abordé la situation actuelle
du dialogue interreligieux entre chrétiens, juifs et musulmans,
les relations entre l’Eglise et l'Etat, la liberté religieuse dans
l’Union européenne et la question de la migration des musulmans.
64. Lors de la conférence, M. Introvigne, Représentant personnel
de la Présidence en exercice de l’OSCE pour la lutte contre l’intolérance
et la discrimination à l’encontre des chrétiens et des membres d’autres religions,
a déclaré que «[t]outes les cinq minutes dans le monde, un chrétien
est tué à cause de sa foi». Cette donnée n’est confirmée par aucune
autre source.
8.4. Organisations non
gouvernementales
65. L’Observatoire de l’intolérance et de la discrimination
contre les chrétiens en Europe surveille et répertorie les cas de
marginalisation et de discrimination de chrétiens et du christianisme
dans toute l’Europe. L’Observatoire utilise des sources médiatiques
et des témoignages individuels pour rassembler des exemples de discrimination
à l’encontre des chrétiens.
66. Le site web de l’organisation répertorie 821 cas d’intolérance
ou de discrimination à l’égard de chrétiens en Europe, bien que
certains d’entre eux n’aient pas été jugés tels par la Cour européenne
des droits de l'homme
.
67. Son rapport alternatif couvrant la période 2005 à 2010 évoque
«une menace grandissante pour la liberté religieuse des chrétiens»
et énonce que «la législation sur les discours de haine a tendance
à discriminer indirectement les chrétiens, criminalisant des éléments
fondamentaux de l’enseignement chrétien». Le rapport affirme par
ailleurs que le «politiquement correct» a été poussé à un point
tel qu’il viole le droit des chrétiens à la liberté d’expression.
68. Le rapport de l’Observatoire sur l’année 2011, publié en mars 2012,
affirme que les termes «intolérance et discrimination contre les
chrétiens» pour décrire le déni de l’égalité des droits des chrétiens
et leur marginalisation sociale, sont les termes les plus adaptés
pour décrire ce phénomène qui touche le monde occidental. Toutefois,
même si cela constitue, en termes de définition, une forme de persécution,
il ne faut pas l’appeler ainsi dans le contexte européen afin d’éviter
toute confusion avec les crimes commis contre les chrétiens dans
d’autres régions du monde.
69. International Christian Concern (ICC) attire l’attention sur
la discrimination à l’égard des chrétiens Dalit en Inde et au Pakistan.
Il semble cependant que les membres de cette minorité religieuse
soient victimes de discrimination en raison du système de castes
et d’un fort sentiment d’identité culturelle, qu’on leur reproche d’abandonner
lors de leur conversion au christianisme.
70. L’étude du Pew Forum intitulée «Rising Restrictions on Religion»
(août 2011)
indique qu’un tiers de la population
mondiale est confronté à une recrudescence des restrictions et que
l’Europe compte la plus grande proportion de pays dans lesquels
les conflits sociaux liés à la religion ont connu une augmentation
entre mi-2006 et mi-2009
. Elle
a conclu par ailleurs que les restrictions posées aux religions
sont particulièrement courantes dans les pays qui interdisent le
blasphème, l’apostasie ou la diffamation de la religion. Parfois présentées
comme un moyen de protéger la religion, ces législations servent
souvent dans la pratique à punir les minorités religieuses dont
les croyances sont jugées non-orthodoxes ou hérétiques.
71. Le Minority Rights Group International, basé à Londres, qualifie
dans son rapport 2010 l’intolérance religieuse de «nouveau racisme»
et déclare que son impact est ressenti par les minorités religieuses
dans le monde entier. Il note que ces minorités sont de plus en
plus victimes de persécution et d’une limitation de leur liberté
du fait des mesures anti-terroristes strictes imposées par les gouvernements
après les attentats terroristes de septembre 2001 aux Etats-Unis.
Il constate par ailleurs une montée de la discrimination contre les
musulmans aux Etats-Unis et en Europe occidentale.
72. L’Observatoire de l’intolérance et de la discrimination contre
les chrétiens, qui surveille et recense de tels cas en Europe, a
fait des exposés lors des séances de travail 1, sur «La liberté
d’expression, les médias libres et l’accès à l’information», et
2, sur «Les libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée,
de conscience, de religion et de croyance» de la Conférence d’examen
de l’OSCE (Varsovie, septembre 2011). Ces séances ont permis d’identifier
quatre menaces pour la liberté d’expression et des restrictions
à la liberté de pensée, de conscience, de religion et de croyance
dans les législations des Etats participants.
73. Les menaces pesant sur la liberté d’expression sont: la censure
appliquée aux plates-formes de communication en ligne; la stigmatisation
des chrétiens dans les médias; les actes de harcèlement, de violence et
autres troubles qui font obstacle à la liberté d’expression des
chrétiens et les empêchent de faire entendre leur voix, et l’application
trop large et partiale de la législation sur les discours de haine
et la lutte contre la discrimination.
74. Les restrictions à la liberté de religion sont liées à la
liberté de conscience en matière de soins de santé; au droit des
parents de connaître et d’avoir le dernier mot sur l’enseignement
dispensé à leurs enfants en matière de religion et de sexualité;
au port de symboles religieux; à la liberté de conscience et la
liberté contractuelle s’agissant de l’entreprenariat privé et à
l’expression de la foi et de ses contenus moraux dans la sphère
publique.
75. Le Christian Legal Centre a également soumis des contributions
lors de la Conférence sur la liberté de réunion et d’association
(insistant sur le droit des Eglises de refuser l’emploi de personnes
ne soutenant pas la position doctrinale de l’Eglise) et la liberté
d’expression (sur le droit de choquer, heurter ou inquiéter). Les deux
contributions citaient la Cour européenne des droits de l’homme.
76. Plusieurs éminentes ONG nationales ou internationales ont
fait un exposé conjoint appelant les Etats participants de l’OSCE
à ne pas contraindre les enfants à suivre une éducation sexuelle,
religieuse ou éthique obligatoire susceptible d’être en contradiction
avec les convictions des parents, et d’offrir dans ce cas des possibilités
d’exemption non discriminatoires.
77. L’Académie pontificale des sciences sociales a tenu sa 17e Session
plénière du 29 avril au 3 mai 2011 sur le thème «Droits universels
dans un monde de diversité: le cas de la liberté religieuse». Dans
ses observations conclusives, le Professeur Mary Ann Glendon, Présidente
de l’Académie, a souligné que la liberté religieuse est de plus
en plus menacée partout dans le monde, et ce même dans les pays
qui la protègent officiellement.
78. Chaque année, l’ONG Portes ouvertes publie une liste mondiale
de surveillance qui classe les pays en fonction de la gravité des
persécutions infligées aux chrétiens
.
8.5. Autres sources
79. La plupart des rapports indiquent que la violence
à l’égard des communautés religieuses s’est accrue ces dernières
années. Il s’agit d’une violence physique mais aussi psychologique
contre des personnes au motif de leur religion. Alors qu’en Europe
la situation est bien meilleure qu’en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient,
la situation de deux Etats membres du Conseil de l'Europe est jugée
problématique par la Commission des Etats-Unis pour la liberté religieuse
internationale (USCIRF), organe fédéral américain bipartite indépendant
qui surveille l’exercice du droit universel à la liberté de religion
ou de conviction à l’étranger; ces deux pays sont la Fédération
de Russie et la Turquie.
80. Le rapport 2012 de l’USCRIF
indique que les conditions d’exercice
de la liberté religieuse en Russie continuent de se dégrader. Le
gouvernement utilise de plus en plus la loi anti-extrémisme contre
des individus et des groupes religieux pacifiques, notamment les
témoins de Jéhovah et les lecteurs musulmans des travaux du théologien
turc, Said Nursi. Les fonctionnaires locaux et nationaux appliquent
aussi d’autres lois pour harceler des musulmans et des groupes qu’ils
considèrent comme non traditionnels ou étrangers.
81. A propos de la Turquie, le même rapport affirme que le strict
contrôle par l’Etat de la religion dans la sphère publique restreint
considérablement la liberté religieuse, notamment pour les communautés minoritaires
non musulmanes, dont les Eglises orthodoxes grecque, arménienne
et syriaque, les Eglises catholique romaine et protestante ainsi
que la communauté juive, la communauté musulmane sunnite majoritaire
et la plus vaste minorité du pays, les Alevis.
82. Le 11 mars 2013, le Parlement hongrois a approuvé le quatrième
amendement à la Constitution, qui a notamment réintroduit l’intégralité
des dispositions sur la liberté de religion et le statut des églises
annulées précédemment (par une décision de la Cour constitutionnelle).
La Commission de Venise avait considéré que ces dernières dispositions
étaient contraires aux normes du Conseil de l’Europe et notamment
à la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence
de la Cour de Strasbourg. La Commission de Venise réexaminera cette
question. La Commission de suivi de l’Assemblée s’y intéresse également,
en lien avec son avis sur la demande d’ouverture d’une procédure
de suivi concernant la Hongrie.
83. Depuis peu, au Royaume-Uni, de plus en plus de chrétiens rencontrent
des difficultés dans leur emploi et la fonction publique en raison
de leurs convictions religieuses. Plusieurs personnes ont perdu
leur emploi ou leur source de revenus et le nombre de ces cas semble
être en augmentation. L’interprétation de la législation récente
sur «les égalités» a entraîné des problèmes particuliers pour les
chrétiens, notamment lorsque, du fait de l’enseignement chrétien
sur l’éthique sexuelle, les droits relatifs à l’orientation sexuelle
sont perçus comme étant en contradiction avec les droits à la liberté
religieuse. Quatre affaires récentes examinées par la Cour européenne
des droits de l’homme illustrent certaines des difficultés qui se
posent. Dans l’affaire Eweida et Chaplin
c. Royaume-Uni), le Royaume-Uni a été reconnu coupable
de violation de l’article 9 de la Convention; les trois autres affaires
seront probablement renvoyées devant la Grande Chambre. Toutes ces affaires
ont trait à la manifestation de la foi chrétienne sur le lieu de
travail: dans deux cas par le port d’un symbole religieux (la croix),
dans deux autres par l’exercice d’une clause de conscience.
9. Conclusions
et recommandations
84. Les Etats membres devraient veiller à ce que les
croyances religieuses aient une place dans la sphère publique, en
garantissant la liberté de conscience dans les secteurs de la santé,
de l’éducation et de la fonction publique. Le droit à une objection
de conscience bien définie devrait se fonder sur la réticence de
la civilisation européenne, née du souci de la bienséance, de la
patience et de la tolérance, à contraindre nos concitoyens à s’humilier
en trahissant leur propre conscience.
85. Les Etats membres devraient aussi protéger la liberté des
parents d’assurer à leurs enfants une éducation religieuse et morale
et un enseignement conformes à leurs propres convictions religieuses
et philosophiques, dans le respect des valeurs qui sont l’essence
même du Conseil de l'Europe.
86. Certains Etats membres devraient envisager de réviser leurs
textes juridiques chaque fois qu’ils vont à l’encontre de la liberté
d’association pour les groupes religieux et les Eglises.
87. La situation est, toutefois, bien pire en Afrique, notamment
au Nigéria (Boko Haram), au Soudan et au Mali (avant l’intervention
militaire française); en Asie, notamment en Corée du nord et en
Chine, mais aussi au Tadjikistan, au Turkménistan et en Ouzbékistan;
c’est le cas aussi au Moyen-Orient, notamment en Egypte, en Iran,
en Irak, en Arabie Saoudite et en Syrie.
88. Compte tenu de la situation, l’Assemblée devrait insister
sur l’indivisibilité des droits de l'homme et sur la nécessité de
les défendre tous sans exception. Tout en étant indivisibles, les
droits de l'homme sont hiérarchisés. La Convention européenne des
droits de l’homme tout comme la Déclaration universelle des droits
de l’homme énumèrent tout d’abord le droit à la vie, sans lequel
tous les autres droits seraient dépourvus de signification, puis
les droits à la liberté et à la protection par la loi, suivis des
droits à la liberté de pensée, de conscience et de religion ainsi
qu’à la liberté d’opinion et d’expression, qui vont de pair.
89. Les Etats membres du Conseil de l'Europe devraient mettre
à profit leurs relations bilatérales avec les pays où sont signalées
des violences à l’égard de communautés religieuses pour réaffirmer
que le développement des droits de l'homme, de la démocratie et
des libertés civiques est la base commune sur laquelle ils construisent
leurs relations avec des pays tiers et s’assurer que les accords
conclus avec ces pays tiers comportent une clause sur la démocratie.