1. Introduction
1.1. Procédure
1. Le 5 octobre 2012, le Bureau
de l’Assemblée parlementaire a décidé de renvoyer le sujet «La corruption: une
menace pour la prééminence du droit» à la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme pour rapport, afin qu’il soit
présenté devant l’Assemblée dans le cadre de son débat de juin 2013
sur «La situation des droits de l’homme en Europe». La commission
m’a nommée rapporteure lors de sa réunion du 12 novembre 2012.
2. Le 24 janvier 2013, la commission a tenu, conjointement avec
la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles,
une audition à laquelle a participé M. Marin Mrčela, président du Groupe
d’Etats contre la corruption (GRECO), dans le cadre du Quatrième Cycle
d’Evaluation sur la prévention de la corruption des parlementaires,
des juges et des procureurs. Le 19 mars 2013, la commission des questions
juridiques et des droits de l'homme a tenu une autre audition au
cours de sa réunion à Paris, qui a réuni un certain nombre d’experts
et de représentants d’organisations internationales non gouvernementales spécialisés
dans les domaines de la corruption et de l’Etat de droit. Parmi
les invités figuraient Mme Anne Koch, Directrice régionale pour
l’Europe et l’Asie centrale de Transparency International (Berlin), et
Mme Valentina Rigamonti, Coordinatrice régionale principale de Transparency
International (Berlin), Mme Erica Razook, juriste adjointe sur l’anticorruption
à l’Open Society Foundation (New York), Mme Roisin Pillay, Directrice
du Programme européen de la Commission internationale de juristes
(Genève), et M. Daniel Smilov, Directeur de programme au Centre
de stratégies libérales (Sofia)
.
1.2. Définitions
3. Il n’existe aucune définition
unique universellement admise de la corruption ou de la prééminence
du droit. De plus, malgré l’utilisation très habituelle de ces deux
termes, il est assez étonnant de constater que la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme n’en retient aucune
définition précise. Un certain nombre d’autres institutions et instruments
juridiques ont cherché à définir ces deux termes.
4. Plusieurs définitions de travail de la notion de corruption
ont été élaborées par divers organes du Conseil de l’Europe
. Aux fins du présent
exposé des motifs, je me fonderai sur la définition de travail de
la corruption retenue par Transparency International: «l’abus d’une
position publique en vue d’un intérêt privé»
.
Cette formule laconique englobe les aspects essentiels d’autres
définitions plus précises.
5. La prééminence du droit a été définie par le Conseil de sécurité
des Nations Unies comme suit: «Un principe de gouvernance en vertu
duquel l’ensemble des individus, des institutions et des entités
publiques et privées, y compris l’Etat lui-même, ont à répondre
de l’observation de lois promulguées publiquement, appliquées de
façon identique pour tous et administrées de manière indépendante,
et compatibles avec les règles et normes internationales en matière
de droits de l’homme. Il implique, d’autre part, des mesures propres
à assurer le respect des principes de la primauté du droit, de l’égalité
devant la loi, de la responsabilité au regard de la loi, de l’équité
dans l’application de la loi, de la séparation des pouvoirs, de
la participation à la prise de décisions, de la sécurité juridique,
du refus de l’arbitraire et de la transparence des procédures et
des processus législatifs.
»
La définition de travail de la prééminence du droit utilisée pour
le présent exposé des motifs sera celle de la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), qui définit
cette notion en énumérant ses composantes:
«Il semble que l’on soit désormais parvenu à un consensus
sur les composantes essentielles de la prééminence du droit (…).
Ces éléments sont les suivants:
(1) la légalité, qui suppose l'existence d'une procédure
d'adoption des textes de loi transparente, responsable et démocratique
(2) la sécurité juridique
(3) l’interdiction de l’arbitraire
(4) l’accès à la justice devant des juridictions indépendantes
et impartiales, qui procèdent notamment à un contrôle juridictionnel
des actes administratifs
(5) le respect des droits de l’homme
(6) la non-discrimination et l’égalité devant la loi. »
6. L’Assemblée parlementaire a déjà abordé la question terminologique
de la notion de prééminence du droit dans les différents ordres
juridiques. Elle a décidé, dans sa
Résolution 1594 (2007) sur l'expression «principle of the Rule of Law», d’utiliser
exclusivement les termes «the rule of law» et leur équivalent français «la
prééminence du droit» (plutôt que la formule «l’Etat de droit»),
afin d’éviter tout malentendu sur le sens véritable de cette notion
.
1.3. Objet du rapport
7. Les objectifs prioritaires
du Conseil de l’Europe sont le respect de la démocratie pluraliste,
des droits de l’homme et de la prééminence du droit. Notre Organisation
a par conséquent le devoir de faire tout ce qui est en son pouvoir
pour lutter contre toutes les formes de corruption qui mettent en
péril la démocratie et la prééminence du droit. Dans bon nombre
de pays, la corruption touche tous les niveaux de la société: elle
va de l’abus d’autorité presque quotidien des agents de la circulation
aux rapports avec des services fiscaux corrompus, sans parler de
la nécessité de «graisser la patte» des agents publics ou des personnes
qui exercent un pouvoir discrétionnaire pour «faciliter» l’accès
à un établissement scolaire ou universitaire, à un hôpital public
et même à la fourniture d’un traitement médical d’urgence. De même,
à l’échelon local (communal), l’obtention d’un permis de construire
et les projets de création d’entreprise, par exemple, sont souvent
subordonnés ou liés à des considérations qui reposent sur un mélange
de corruption politique et de corruption “ordinaire”, qui passe
par un soutien des entreprises aux partis ou aux élites politiques
et l’entretien de liens étroits entre eux.
8. Le bon fonctionnement de l’ordre juridique impose de le débarrasser
de toute forme de corruption si l’on entend préserver l’équité et
la justice dans un Etat régi par la prééminence du droit. L’importance
de cette question a été récemment portée à notre attention par le
Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, qui a fait observer dans
son allocution prononcée devant l’Assemblée en janvier 2013 que
«la première de ces priorités [pour le Conseil de l’Europe] est
la lutte contre la corruption et contre toutes les formes d'abus
de pouvoir. La corruption est en effet aujourd'hui la menace la
plus importante pour la démocratie, car elle sape la confiance des
citoyens envers l'Etat de droit. D'après les données de la Commission
européenne, près de trois quarts des citoyens européens pensent
que la corruption est un problème majeur dans leur pays, et près
de la moitié d'entre eux estiment que son niveau a augmenté ces
dernières années. Nous rencontrons la corruption dans tous les pays»
.
9. Les travaux préparatoires au présent rapport ont démontré
que la corruption existe non seulement au sein des institutions
étatiques, mais également dans de nombreuses activités criminelles,
comme la traite des êtres humains, la vente des organes humains,
le trafic de drogue, le délit d’initié et la contrefaçon, où elle
est très répandue. Bien que ce phénomène soit beaucoup plus étendu,
l’objet du présent rapport se limitera à la corruption dans le secteur
public, notamment dans les milieux judiciaires et politiques (y
compris au sein des organes dirigeants, des services répressifs
et du parlement) et à la menace que fait peser la corruption sur
la prééminence du droit. Ce traitement non exhaustif de la question
se justifie à la fois par le manque de temps et de moyens disponibles
et par l’existence de travaux antérieurs des divers organes du Conseil
de l’Europe – dont l’Assemblée parlementaire – et d’autres organisations
internationales en la matière (voir plus loin).
10. Il s’ensuit que certains autres aspects importants de la question,
comme le financement des partis politiques, ne sont pas abordés
dans ce rapport. Les affaires de corruption liées aux sociétés qui
prennent part à l’extraction et/ou à la commercialisation des ressources
naturelles, comme le pétrole ou le gaz, ne correspondent pas non
plus parfaitement à l’objet du présent rapport, malgré les liens
étroits que les personnes qui exercent ces activités entretiennent
avec le pouvoir. Les propositions relatives au renforcement de la transparence
ne sauraient donc se limiter aux seuls secteurs publics, sans quoi
les agents publics corrompus pourraient aisément continuer à dissimuler
les actifs qu’ils ont acquis illégalement derrière d’opaques personnes
morales privées.
11. Le rapport mettra uniquement en avant certaines situations,
qui concernent quelques Etats membres du Conseil de l’Europe. Cette
présentation ne doit pas laisser croire que ces pays sont les seuls
touchés par la corruption. Bien au contraire, le fait même que ces
affaires aient été dévoilées peut conduire à penser que ces Etats
disposent d’un «système immunitaire» efficace, qui garantit que
les actes de corruption ne sont pas purement et simplement étouffés.
2. Contexte
2.1. Les instruments juridiques
internationaux
12. Plusieurs instruments juridiques
relatifs à la corruption et à la prééminence du droit ont été élaborés
par les Nations Unies. L’Assemblée générale des Nations Unies a
adopté une Convention contre la corruption qui a pour but de «promouvoir
et renforcer les mesures visant à prévenir et combattre la corruption
de manière plus efficace»
. L’article 11, qui traite plus particulièrement
des magistrats, est libellé comme suit: «Compte tenu de l’indépendance
des magistrats et de leur rôle crucial dans la lutte contre la corruption,
chaque Etat Partie prend, conformément aux principes fondamentaux
de son système juridique, des mesures pour renforcer leur intégrité
et prévenir les possibilités de les corrompre, sans préjudice de
leur indépendance.
» Le 30 novembre
2012, l’Assemblée générale a adopté une Déclaration sur l’état de
droit aux niveaux national et international, dont les auteurs se
disent «convaincus que la corruption est nuisible» et soulignent «l’importance
de l’état de droit en tant que condition essentielle de la prévention
et de la répression de la corruption»
.
13. Il existe de nombreux autres instruments juridiques nationaux
et internationaux relatifs à la corruption, dont certains portent
sur des éléments particuliers et d’autres sur des principes généraux,
par exemple dans le cadre de l’Organisation pour la coopération
et le développement économiques (OCDE)
,
de l’Union africaine
et
de l’Organisation des Etats américains
. L’Union européenne a également élaboré
des instruments juridiques pour lutter contre la corruption: la
Convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des
fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires
des Etats membres de l'Union européenne de 1997
, la Décision-cadre relative à la
lutte contre la corruption dans le secteur privé de 2003
et le mécanisme de suivi de l’Union
européenne en matière de lutte contre la corruption aux fins d’une
évaluation périodique de 2011
.
2.2. L’action du Conseil de l’Europe
en matière de corruption
14. Le Conseil de l’Europe a joué
un rôle majeur en Europe dans ce domaine. A la suite des recommandations
de la 19e Conférence des ministres européens
de la Justice (La Valette, 1994), le Groupe multidisciplinaire contre
la corruption (GMC) a été créé pour élaborer un Programme d’action
contre la corruption, ainsi que pour les objectifs suivants:
- «élaborer en priorité une ou
plusieurs conventions internationales destinées à combattre la corruption et
un mécanisme de suivi afin de mettre en œuvre les engagements y
afférents ou tout autre instrument juridique en la matière
- [l’]élaboration comme point prioritaire d’un projet de
Code de conduite européen pour les agents publics
- après avoir consulté le(s) comité(s) directeur(s) compétent(s),
initier, organiser et promouvoir des projets de recherche, des programmes
de formation ainsi que l’échange d’expériences pratiques de lutte contre
la corruption aux niveaux national et international
- mettre en œuvre les autres volets du Programme d’action
contre la corruption en tenant compte des priorités y indiquées
- tenir compte du travail effectué par d’autres organisations
et instances internationales, en vue de mettre en place une approche
cohérente et coordonnée
- consulter le CDPC et/ou le CDCJ au sujet de tout projet
de texte juridique relatif à la corruption et tenir compte de leur(s)
avis. »
15. Le Conseil de l’Europe a en conséquence adopté un certain
nombre d’instruments qui traitent de cette question, y compris deux
instruments phares, à savoir la Convention pénale sur la corruption
(STE n° 173)
et la Convention civile sur la corruption
(STE n° 174)
.
La Convention pénale sur la corruption porte sur un éventail de
formes diverses de corruption à la fois active et passive, dans
le secteur privé et dans le secteur public. La Convention civile
sur la corruption couvre diverses questions, dont la validité des
contrats (elle invalide les contrats qui prévoient des actes de
corruption), la protection des employés qui signalent les actes de
corruption (les donneurs d’alerte) et le versement d’une indemnisation
pour le préjudice subi du fait d’un acte de corruption. Le Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe a également adopté une recommandation relative
à la corruption associée au financement des partis politiques
, pour renforcer la transparence et diminuer
la corruption au sein du système politique, ainsi qu’une recommandation
sur les codes de conduite applicables aux agents publics
, qui vise à préciser les normes d’intégrité
exigées pour les personnes qui occupent une fonction publique. Enfin
et surtout, la Résolution (97) 24 «portant les vingt principes directeurs pour
la lutte contre la corruption» fait l’inventaire des meilleurs éléments
stratégiques identifiés par le GMC dans ses travaux antérieurs.
16. En 1999, le Conseil de l’Europe a créé son instance de suivi
en matière de lutte contre la corruption, baptisée Groupe d’Etats
contre la corruption (GRECO). Cet accord partiel élargi, ouvert
aux Etats qui ne sont pas membres du Conseil de l’Europe, regroupe
à l’heure actuelle l’ensemble des 47 Etats membres du Conseil de
l’Europe, ainsi que les Etats-Unis et le Bélarus. L’objectif du
GRECO est d’améliorer la capacité de ses membres à lutter contre
la corruption en assurant le suivi de leur conformité avec les normes
de lutte contre la corruption du Conseil de l’Europe, grâce à un
processus d’évaluation mutuelle et aux pressions exercées par leurs
pairs. Il contribue à recenser les défaillances des politiques nationales
de lutte contre la corruption, en incitant à mener les réformes
législatives, institutionnelles et pratiques qui s’imposent. Le
GRECO offre également une plate-forme d’échange des meilleurs usages
en matière de prévention et de détection de la corruption.
17. Le GRECO travaille par cycles d’évaluation, chacun d’eux traitant
des thèmes particuliers des six instruments adoptés sous l’égide
de l’Organisation. Le Premier Cycle d’Evaluation du GRECO (2000-2002) portait
sur l’indépendance, la spécialisation et les moyens des instances
nationales chargées de prévenir la corruption et de lutter contre
elle. Il traitait également de l’étendue et du contenu des immunités
des agents publics en matière d’arrestation et de poursuites. Le
Deuxième Cycle d’Evaluation (2003-2006) concernait l’identification,
la saisie et la confiscation des produits de la corruption, la prévention
et la détection de la corruption dans l’administration publique
et la prévention de l’utilisation des personnes morales pour dissimuler les
actes de corruption. Le Troisième Cycle d’Evaluation (2007-2011)
traitait a) des incriminations prévues par la Convention pénale
sur la corruption et b) de la transparence du financement des partis
politiques. Le Quatrième Cycle d’Evaluation, qui a été lancé en
2012, porte sur la prévention de la corruption au sein de la justice
(juges et procureurs) et des parlements et traite notamment des
règles de conduite destinées à garantir l’intégrité, de la déclaration
de patrimoine et d’intérêts, ainsi que de la gestion des conflits
d’intérêts.
18. Tous les membres participent aux procédures d’évaluation mutuelle
et de conformité et s’y soumettent sans restriction. Conformément
au principe de l’égalité de traitement, tous les membres sont systématiquement
évalués au regard des mêmes normes et font l’objet de recommandations
visant à renforcer les réformes législatives, institutionnelles
et pratiques qui s’imposent et exigent la prise de mesures dans
un délai de 18 mois. Une procédure de conformité est par ailleurs
prévue pour évaluer précisément les mesures prises par les membres
pour mettre en œuvre les recommandations qui préconisent des améliorations
et figurent dans les rapports d’évaluation. Si les recommandations
n’ont pas été intégralement respectées, le GRECO réexamine les recommandations
en suspens dans un nouveau délai de 18 mois. Les rapports de conformité
adoptés par le GRECO comportent également une conclusion générale,
afin de décider s’il y a lieu de clore la procédure de conformité
au titre d’un membre précis ou d’appliquer la procédure spéciale,
fondée sur une approche progressive, lorsque les suites données
aux recommandations du GRECO sont jugées globalement insatisfaisantes.
19. Le GRECO produit également des rapports thématiques et horizontaux
pour aider les pays à réaliser leurs réformes (en leur donnant un
aperçu de l’expérience acquise par d’autres pays) et pour offrir
une image globale des régions dans lesquelles la situation s’améliore
ou pose problème
.
20. Le Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte
contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme
du Conseil de l’Europe, MONEYVAL, est un mécanisme plus spécifique,
créé en vue de veiller à ce que les Etats participants disposent
de systèmes efficaces de lutte contre le blanchiment de capitaux
et le financement du terrorisme et respectent les normes internationales
pertinentes, notamment les 40 recommandations
du
Groupe d’action financière (GAFI) et les recommandations spéciales
du GAFI sur le financement du terrorisme
. Bien que les normes du GAFI ne
visent pas à lutter contre la corruption, il est admis dans les
évaluations de MONEYVAL que l’une des caractéristiques sous-jacentes
du bon fonctionnement d’un système de lutte contre le blanchiment
de capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT) est précisément
l’ampleur de la répression de la corruption. Les rapports de MONEYVAL
décrivent donc brièvement les mesures prises pour lutter contre
la corruption, car ce facteur peut nuire à l’efficacité de la mise en
œuvre des normes de LCB/FT.
21. MONEYVAL compte à l’heure actuelle 35 Etats et juridictions,
qui sont soumis à ses processus et procédures d’évaluation, notamment
des rapports d’évaluation et un suivi des progrès réalisés dans
le cadre d’un système de «Procédure de conformité renforcée» – une
série de mesures progressives destinées à accroître la pression
exercée sur un Etat par ses pairs pour qu’il mette en œuvre les
recommandations de MONEYVAL. Il entreprend en ce moment un quatrième
cycle de visites de suivi, en réévaluant certaines recommandations
importantes du GAFI abordées lors du troisième cycle et les recommandations
du GAFI qui ont obtenu une mauvaise notation au cours du troisième
cycle d’évaluation
.
En matière financière, la mise en œuvre effective de la norme du
GAFI relative aux personnes politiquement exposées (PPE) occupe
une place importante; son évaluation par MONEYVAL contribue à la
lutte contre la corruption. Cette norme prend en compte les garanties
obligatoires imposées pour atténuer les risques auxquels les institutions
financières et autres peuvent être confrontées lors du traitement
des comptes de PPE étrangères sur un territoire national
. MONEYVAL
produit également des études sur les méthodes de blanchiment des
capitaux ou d’utilisation des capitaux pour financer le terrorisme,
ainsi que des analyses horizontales de ces évaluations, qui intègrent
les informations recueillies à l’occasion de l’évaluation des Etats
membres et illustrent les problèmes spécifiques et génériques posés
par la mise en œuvre des normes de LCB/FT.
22. Le Comité des Ministres a consacré une quantité considérable
de ses travaux à la corruption. Comme nous l’avons déjà indiqué
plus haut, il a adopté en 1997 «Les vingt principes directeurs pour
la lutte contre la corruption»
. Le principe directeur n° 3 vise
à «assurer que les personnes chargées de la prévention, des enquêtes,
des poursuites et de la sanction des infractions de corruption bénéficient
de l’indépendance et de l’autonomie nécessaires à l’exercice de
leurs fonctions, soient libres de toute influence incompatible avec
leur statut et disposent de moyens adéquats pour l’obtention de
preuves, assurer la protection des personnes qui aident les autorités
à lutter contre la corruption et sauvegarder le secret de l’instruction».
De plus, le principe directeur n° 9 tend à «veiller à ce que l’organisation,
le fonctionnement et les processus décisionnels des administrations
publiques tiennent compte de la nécessité de lutter contre la corruption,
en particulier en assurant un degré de transparence compatible avec
l’efficacité de leur action».
23. L’Assemblée et sa commission des questions juridiques et des
droits de l’homme ont également traité de nombreuses questions en
rapport avec la corruption. Parmi les exemples récents figurent
les rapports consacrés au recours abusif à la justice répressive
motivé par des considérations politiques
, à la nécessité d’éradiquer l’impunité
, à la protection des donneurs d’alerte
, au rôle du ministère public
et à la corruption judiciaire
. Ce dernier document soulignait
que la corruption judiciaire était «profondément ancrée» dans de nombreux
Etats membres du Conseil de l’Europe. Dans sa
Recommandation 1908 (2010) sur le lobbying dans une société démocratique (code
européen de bonne conduite en matière de lobbying), l’Assemblée recommandait
que le Comité des Ministres élabore un code de bonne conduite en
matière de lobbying fondé sur les principes suivants:
i. les activités de lobbying devraient
être définies très clairement, en faisant une distinction entre
les activités professionnelles rémunérées et les activités des organisations
de la société civile, sans oublier les entités qui pratiquent l’autorégulation
dans différents secteurs économiques;
ii. la transparence dans les activités de lobbying devrait
être renforcée;
iii. des normes applicables aux responsables politiques, aux
fonctionnaires, aux membres des groupes de pression et aux entreprises
devraient être établies, y compris le principe des conflits d’intérêts
potentiels et la durée de la période, après la fin de mandat, durant
laquelle il est interdit d’exercer des activités de lobbying;
iv. les entités qui exercent des activités de lobbying devraient
s’enregistrer;
v. les organisations de lobbyistes devraient être préalablement
consultées sur tout projet de texte de loi en la matière;
vi. des activités de lobbying bien définies, transparentes
et honnêtes devraient être encouragées afin de valoriser l’image
des personnes qui exercent des activités de lobbying.
Bien
que le Comité des Ministres ait pris note, dans sa réponse, que
le GRECO et la Conférence des organisations internationales non
gouvernementales (OING) souscrivaient au principe de l’élaboration
d’un tel code
, celui-ci n’a toujours pas été
établi à ce jour. Dans le cadre de la procédure de suivi établie
par l’Assemblée parlementaire, la commission de suivi a, ces dernières
années, mis en avant les problèmes posés par les malversations professionnelles
ou la corruption dans un certain nombre d’Etats
. Il convient de noter qu’en janvier
2012 notre commission a créé une nouvelle sous-commission sur la
prééminence du droit.
3. Un phénomène à multiples
facettes: vue d’ensemble de certaines affaires de corruption emblématiques
survenues récemment dans le secteur public
24. La corruption touche tous les
Etats membres du Conseil de l'Europe. Aucun d’entre eux n’en est totalement
exempt, mais on ne saurait nier que la corruption est plus institutionnalisée
dans certains d’entre eux que dans d’autres. L’Indice de Perception
de la Corruption (IPC) de Transparency International publié fin 2012,
qui mesure les niveaux ressentis de la corruption du secteur public
sur la base d’une série d’expertises, place cinq Etats membres du
Conseil de l'Europe au-delà de la 100e place
sur 174 Etats énumérés: l’Arménie (105); l’Albanie (113); la Russie (133);
l’Azerbaïdjan (139); et l’Ukraine (144)
.
D’autres Etats membres du Conseil de l’Europe sont remarquablement
classés, comme le Danemark et la Finlande, considérés comme «très
propres» et qui se partagent la première place, et la Suède, qui
arrive en 4e position. La corruption
touche par ailleurs toutes les branches du pouvoir. Les affaires
récentes suivantes illustrent ce phénomène de la corruption dans
le secteur public.
3.1. La corruption des organes
de l’exécutif et des services répressifs
25. Plusieurs affaires de corruption
supposée concernent le plus haut niveau de l’exécutif. L’une des
plus récentes est celle de M. Jérôme Cahuzac, qui était il y a peu
de temps encore ministre français du Budget et a admis, quelques
jours après avoir démissionné, qu’il détenait un compte bancaire
secret à l’étranger. Les fonds déposés sur ce compte auraient été
virés par des sociétés pharmaceutiques à l’époque où M. Cahuzac exerçait
la fonction de conseiller auprès du ministre de la Santé. En dehors
de cette affaire, plusieurs exemples peuvent être cités, comme celui
de l’enquête actuellement ouverte au sujet d’un ancien ministre
grec des Finances, supposé avoir rayé certains membres de sa famille
de la «liste Lagarde» (sur laquelle figurent les noms d’auteurs
supposés d’actes de fraude fiscale commis en Grèce). Il convient
également d’examiner l’affaire Woerth, toujours en instance en France.
En 2012, Eric Woerth, qui était alors le ministre français du Budget
et le trésorier du parti de l’Union pour un mouvement populaire
(UMP), a été accusé d’être l’auteur d’infractions de corruption.
Les chefs d’accusation portaient sur un trafic d’influence supposé
de sa part et sur le versement supposé de dons illicites par l’héritière
de L'Oréal, Liliane Bettencourt, à des fins de financement de campagne
électorale. Le chef d’accusation de trafic d’influence concerne
les allégations selon lesquelles M. Woerth aurait fait attribuer
la Légion d’honneur, la plus haute décoration française, au gestionnaire
financier de Mme Bettencourt, Patrice de Maistre, en contrepartie
de l’emploi que ce dernier aurait assuré à la femme de M. Woerth,
chargée de l’aider à gérer la fortune de l’héritière. En Slovénie,
le Premier ministre, Janez Jansa, et le dirigeant du principal parti
de l’opposition, Zoran Jankovic, ont été la cible des critiques
de la Commission de prévention de la corruption du pays pour n’avoir
pas déclaré des actifs considérables. Depuis ces révélations, le
Premier ministre est pressé de démissionner.
26. La corruption au sein de l’exécutif peut également concerner
le bas de l’échelle et toucher chacune de ses composantes, depuis
le chef de l’Etat jusqu’à l’agent de la circulation, du fonctionnaire
de police au fonctionnaire du cadastre. Le Commissaire aux droits
de l'homme du Conseil de l'Europe a constaté qu’elle était très
présente au sein de la police et du système pénitentiaire: «Dans
plusieurs pays, les policiers sont mal rémunérés et certains d'entre
eux s'efforcent de compléter leurs revenus en demandant des pots-de-vin.
La conséquence en est que les gens qui n'ont pas d'argent sont moins
bien traités que les autres. J'ai rencontré des prisonniers qui
ne reçoivent aucune visite des membres de leur famille parce que
ceux-ci ne peuvent payer un “droit” imposé de façon non officielle.
»
La corruption de la police est illustrée par la condamnation, en janvier
2013, de l’ancien chef de la police ukrainienne, Olexiy Pukach,
qui a avoué le meurtre d’un journaliste commis sur instructions
de l’ancien ministre de l’Intérieur, Youri Kravtchenko. On ignore
à l’heure actuelle si la voie hiérarchique s’arrêtait à cet ancien
ministre, qui s’est fort opportunément suicidé (en se tirant deux
balles en pleine tête, sous deux angles différents). Le suicide
de l’ancien ministre a été fortement mis en doute, en particulier
son mode opératoire, qui suppose qu’il se soit tiré deux balles
dans la tempe, ce que les médecins ont jugé impossible à réaliser
pour l’auteur d’un suicide. Le rapport de Mme Leutheusser-Schnarrenberger
fait état de ces préoccupations
.
27. Une autre forme de corruption des services répressifs consiste
à utiliser leurs ressources au profit d’un intérêt particulier.
Au cours de la campagne des élections législatives de 2011, Transparency
International (TI) Russie
a constaté que les exemples de ce
type d’abus abondaient, notamment l’utilisation manifeste des infrastructures
administratives et des fonctionnaires en faveur des candidats du
parti au pouvoir, ce qui contrevient nettement à la législation
électorale. Les cas d’intimidation des électeurs, dont certains
ont été portés devant les tribunaux par TI Russie, n’ont pas abouti
à la condamnation satisfaisante de tous les agents publics concernés
par ces affaires, qui ont conservé leur poste malgré la preuve de
leur infraction à la législation électorale.
3.2. La corruption au sein de
la justice
28. Un certain nombre d’incidents
de corruption au sein de l’appareil judiciaire ont également été
divulgués ces derniers temps. L’affaire
Volkov
c. Ukraine dont
a été saisie la Cour européenne des droits de l’homme, par exemple,
concernait un juge de la Cour suprême ukrainienne révoqué selon
des méthodes jugées contraires à la Convention européenne des droits
de l’homme et qui emportaient violation du droit à un procès équitable.
La Cour, dans un arrêt qui désignait la responsabilité personnelle
de certains fonctionnaires, a ordonné à l’Ukraine de réintégrer
le requérant dans ses hautes fonctions judiciaires. D’après l’étude
consacrée au système national d’intégrité par Transparency International
en 2011 en Ukraine, «l’indépendance de la magistrature n’est pas
suffisamment garantie, que ce soit en droit ou en fait. Le pouvoir
judiciaire n’est pas en mesure de fonctionner efficacement en raison
du manque de mécanismes de responsabilité et l’intégrité des juges
est fragilisée par l’absence de dispositions relatives au conflit
d’intérêts et à la déclaration de patrimoine»
. La Commission
internationale de juristes (ICJ) a fait une observation similaire
à propos de la situation en Fédération de Russie, où «il est signalé
que les menaces qui pèsent sur l'indépendance de la justice sont
particulièrement aiguës dans les affaires où les intérêts d'acteurs
politiques ou économiques puissants entrent en jeu»
. Un rapporteur de l’Assemblée
s’est entendu dire à Moscou, il y a quelques années, que pour lutter
efficacement contre la corruption des juges, il était inévitable
de restreindre leur indépendance
. En Bulgarie,
des personnalités politiques de premier plan, comme le Premier ministre,
Boiko Borisov, étaient si convaincues de la corruption de certains
membres de la justice qu’ils ont publiquement dénoncé leur incapacité
à exercer la fonction de juge et ont proclamé leur inaptitude à
ce poste. Les interventions politiques de ce type soulèvent bien
entendu également la question de l’indépendance de la justice. La
Turquie offre l’exemple d’Erkan Canak, ancien juge de la Haute Cour
pénale, qui doit être jugé parce qu’il aurait accepté un pot-de-vin.
29. La corruption des juges, ainsi que l’influence indûment exercée
sur la justice, conduit souvent à des injustices. Selon Transparency
International, «en Bulgarie, qui se positionne tout à la fin du
classement de l’IPC dans les Etats membres de l’Union européenne
, plusieurs
personnes accusées de faire partie de groupes de la criminalité
organisée ont été systématiquement acquittées. Récemment, deux hommes
d’affaires, connus sous le nom des frères Galev et qui auraient
commis des actes de fraude, de trafic de drogue et d’autres infractions,
ont été acquittés en raison de ce qui a été considéré comme une
influence indûment exercée sur la justice, malgré l’existence de
preuves substantielles contre eux». La corruption du pouvoir judiciaire
peut conduire à la fois à acquitter de dangereux criminels et à
poursuivre et condamner de parfaits innocents, par exemple lorsqu’un
entrepreneur paie des fonctionnaires de police pour monter de toute
pièce une affaire judiciaire contre un concurrent ou lorsque les
fonctionnaires de police fabriquent un faux dossier à titre de représailles
contre des entrepreneurs qui refusent de «partager» leurs bénéfices
avec eux
.
30. La corruption au sein de la justice englobe bien souvent les
personnes qui ont un lien avec le processus judiciaire, comme les
gardiens de prison et les fonctionnaires de police. Un certain nombre
d’affaires survenues en Azerbaïdjan et qui ont fait l’objet d’une
enquête menée par Christoph Strässer, rapporteur de l’Assemblée
sur le suivi de la question des prisonniers politiques en Azerbaïdjan,
associent corruption de la justice et corruption politique: un journaliste,
M. Faramaz Novruzoglu, a ainsi été condamné à une lourde peine d’emprisonnement
pour «incitation à troubler l’ordre public à grande échelle» à la
suite de la publication d’articles qui critiquaient les actes de
corruption de personnes liées au gouvernement
.
31. L’existence indéniable d’actes de corruption commis par les
juges et les procureurs ne doit pas, à mon sens, servir de prétexte
à la limitation de l’indépendance des tribunaux. L’expérience montre
que lorsqu’un mécanisme est mis en place pour «contrôler» précisément
les activités judiciaires des juges (par opposition à leur situation
administrative), ce mécanisme est utilisé, y compris de manière
abusive, pour exercer toutes sortes d’influences indues à des fins
politiques et, là encore, de corruption. La meilleure garantie contre
la corruption judiciaire consiste à instaurer au fil du temps un
esprit de corps fier et indépendant au sein des juges et procureurs,
dont la tâche importante doit être reconnue à sa juste valeur, notamment
sous la forme d’un salaire convenable et d’une auto-administration
de la justice par des représentants élus par leurs pairs.
3.3. La corruption au sein du
parlement
32. Au Royaume-Uni, le scandale
des dépenses des parlementaires, qui a été dévoilé par la presse,
offre un autre exemple des pratiques corrompues en politique. Ces
actes illicites et de corruption ont entraîné une série de démissions,
de mises en accusation et de condamnations à des peines d’emprisonnement
de membres des deux principaux partis politiques et d’élus de la
Chambre des communes et de la Chambre des lords
.
33. Au Parlement européen, des journalistes qui s’étaient fait
passer pour des lobbyistes auraient proposé des sommes considérables
en espèces à des députés pour qu’ils déposent des amendements visant
à modifier des textes législatifs portant sur la surveillance des
marchés financiers. Trois d’entre eux ont mordu à l’hameçon. Le
premier, de nationalité autrichienne, a entretemps été condamné
à une lourde peine d’emprisonnement. Le second, de nationalité slovène,
a été contraint de démissionner de son siège de député européen.
Le troisième, un ancien ministre roumain des Affaires étrangères,
nie toute malversation mais doit encore affronter les conséquences
éventuelles de cette situation
.
34. Parmi les récents exemples de corruption au sein des parlements
figurent également ce que l’on a appelé le «Gulargate» azerbaïdjanais.
Le 25 septembre 2012, une vidéo postée sur YouTube montrait apparemment
une députée du parti au pouvoir, Mme Gular Ahmedova, qui demandait
un pot-de-vin de $US 1,3 million en échange de la garantie d’un
siège au parlement à un universitaire nommé Elshad Abdullayev. Le
chef de l’administration présidentielle serait impliqué dans ce
scandale. Mme Ahmedova a démissionné de son siège de députée et
a été exclue du parti. De nouveaux extraits de cette vidéo ont été
publiés régulièrement sur internet par Elshad Abdullayev, ce qui
a encore accru l’étendue du scandale.
35. Le lien entre lobbying et corruption est un domaine qui mérite,
lui aussi, notre attention. Je partage l’analyse de Transparency
International, pour qui le lobbying entrepris de manière intègre
et transparente est un moyen légitime de permettre aux groupes d’intérêts
de prendre part au processus de délibération qui accompagne l’élaboration
de la législation. Cependant, l’étude de cette ONG révèle que, sur
25 pays européens, seuls six ont réglementé d’une quelconque manière
le lobbying. Ceux qui disposent d’une telle réglementation manquent
bien souvent de mécanismes permettant d’en assurer le respect et
de sanctions encourues en cas d’infraction ou ont adopté des mesures
inadaptées, qui imposent uniquement l’enregistrement volontaire
des lobbyistes, par exemple. La Hongrie, qui connaît aujourd’hui
un revirement rapide de son évolution politique positive antérieure,
en est un exemple. Elle avait réglementé le lobbying en légiférant
de 2006 à 2010, mais a fait marche arrière en 2011. L’absence de
transparence du lobbying favorise la corruption et ébranle la confiance
des citoyens dans leur parlement, comme le démontre un sondage sur l’Union
européenne selon lequel 80 % des personnes interrogées estiment
que le lobbying devrait être soumis à une réglementation contraignante,
afin de garantir la participation équilibrée des différentes parties prenantes
dans la prise de décision
.
36. Le Conseil de l'Europe et l’Assemblée parlementaire elle-même
n’ont pas été épargnés par les allégations de lobbying déplacé.
L’ONG berlinoise «European Stability Initiative» affirme, dans une
série de rapports qui évoquent la «diplomatie du caviar» menée par
l’Azerbaïdjan
, que la délégation azerbaïdjanaise serait
parvenue à éviter la formulation de critiques à l’égard de la situation
des droits de l'homme, et notamment de la question des prisonniers
politiques présumés, en adressant des invitations mirobolantes aux parlementaires
et en offrant des cadeaux (notamment sous forme de caviar) aux parlementaires
et à leur personnel. Je crois que bon nombre d’entre nous connaissent
parfaitement l’intensité inhabituelle du lobbying qui a été déployé
autour des deux rapports de notre collègue Christoph Strässer. Je
m’abstiendrai de faire d’autres commentaires ici, mais je pense
que nous aurions été sujets à critique si nous nous étions contentés d’ignorer
ces événements récents.
4. Les conséquences de la corruption
sur la prééminence du droit
37. La corruption compromet le
bon fonctionnement des institutions publiques et détourne l’action
des pouvoirs publics de son but, qui est de satisfaire l’intérêt
général. Comme l’a souligné la représentante de l’Open Society Justice
Initiative lors de l’audition de Paris, «lorsqu’ils restent impunis,
le blanchiment de capitaux à grande échelle et les actes de corruption
connexes commis au moyen d’instruments financiers et d’institutions
financières irréprochables en apparence portent atteinte à la prééminence
du droit et au respect des droits de l'homme, en permettant à certaines
élites fortunées et politiquement puissantes de se servir et de
s’entendre entre eux, au détriment de la population, à volonté et
bien souvent impunément». Le préambule de la Convention pénale sur
la corruption précise que «la corruption constitue une menace pour
la prééminence du droit, la démocratie et les droits de l'homme,
sape les principes de bonne administration, d’équité et de justice
sociale, fausse la concurrence, entrave le développement économique
et met en danger la stabilité des institutions démocratiques et
les fondements moraux de la société». S’agissant plus particulièrement
de la prééminence du droit, il est indéniable que la corruption
fait peser sur elle de nombreuses menaces. De fait, la corruption
touche chacune des composantes de la prééminence du droit telle que
l’a définie la Commission de Venise.
38. La corruption perturbe le processus législatif en profitant
de l’absence ou des lacunes de la réglementation des activités de
lobbying, des codes de conduite et d’éthique du corps législatif
et de dispositions claires destinées à prévenir les conflits d’intérêts;
elle entraîne l’adoption de normes favorables aux intérêts particuliers
des corrupteurs au lieu de satisfaire l’intérêt général. Le fait
que la législation puisse être modifiée ou ne pas être adoptée en
fonction des exigences de ceux qui ont les moyens de corrompre n’est pas
conforme au principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus
transparent, responsable et démocratique d’adoption des lois, ni
au principe de la sécurité juridique, qui implique la prévisibilité
de la loi.
39. La corruption, lorsqu’elle permet d’échapper au respect de
la loi ou impose de payer pour qu’elle soit appliquée, ne supprime
pas seulement la sécurité juridique, qui englobe le respect de la
loi, mais instaure également l’arbitraire, puisque le processus
décisionnel ne repose plus sur l’application uniforme de la législation.
En outre, elle porte atteinte à l’égalité devant la loi et entraîne
une discrimination au détriment des citoyens qui n’ont pas les moyens
de corrompre ni de se défendre contre les actes de corruption commis
à l’instigation de certains autres.
40. La Commission de Venise estime qu’il ne peut y avoir de prééminence
du droit sans accès à une justice rendue par des tribunaux indépendants
et impartiaux, notamment sous la forme d’un contrôle juridictionnel
des actes administratifs. Il est indéniable que la corruption entrave
l’accès à la justice de plusieurs manières. Elle peut empêcher le
dépôt d’une plainte ou la saisine des tribunaux si l’agent chargé
d’enregistrer la demande refuse de le faire sans qu’une somme d’argent
lui soit versée. Elle peut également annihiler les chances d’obtenir
gain de cause devant un juge corrompu par la partie adverse. La
discrimination et le déni d’accès à la justice sont, en soi, constitutifs
d’une violation de la Convention européenne des droits de l'homme
. Ils empêchent par ailleurs les
tribunaux de sanctionner les auteurs d’autres violations des droits
de l'homme, dont les victimes n’ont pas les moyens de verser des
pots-de-vin pour obtenir justice. La corruption érode par conséquent
la protection des droits de l'homme en général, comme l’a démontré
Thomas Hammarberg, ancien Commissaire aux droits de l'homme du Conseil
de l'Europe, qui s’est «rendu dans les 47 Etats membres du Conseil
de l'Europe et [a] pu y observer de façon répétée les conséquences
désastreuse de la corruption pour les droits de l'homme»
.
41. La corruption a, en outre, un effet boule de neige: elle porte
atteinte à la prééminence du droit et l’absence de prééminence du
droit favorise elle-même la corruption. Comme l’a déclaré Mme Anne
Koch, représentante de Transparency International, «lorsque la prééminence
du droit s’effondre, le contrat social cesse d’exister et les membres
ordinaires de la société considèrent l’ensemble des institutions
qui les gouvernent comme les agents d’un système corrompu auquel
ils doivent faire face de manière corrompue. Le poison de la corruption
et de l’illégalité finit alors par devenir endémique».
42. Outre ses effets sur les éléments constitutifs de la prééminence
du droit, la corruption mine la confiance des citoyens dans les
institutions. C’est le cas pour la justice, comme le souligne la
Commission internationale de juristes, selon laquelle «lorsqu’un
juge est capable de se laisser corrompre ou influencer par une partie
ou un tiers, on ne peut lui faire confiance pour faire preuve de
vigilance à l’égard d’actes de torture ou d’un détenu, pour prendre
avant tout en compte, dans un litige sur la garde d’un enfant, l’intérêt
supérieur de celui-ci ou pour octroyer une réparation satisfaisante
pour un acte de discrimination à caractère raciste». Il en va de
même pour le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Transparency
International estime en effet que «la corruption est désormais de
plus en plus révélée, ce qui entraîne proportionnellement une perte
de confiance des citoyens dans le système politique et les responsables
politiques». Même si la manière dont les citoyens perçoivent la corruption
est parfois exagérée, la crise de confiance dans les institutions
causée par la corruption est énorme en Europe
et
affaiblit gravement ces mêmes institutions. La représentante de
Transparency International, Mme Koch, a, par exemple, fait observer
que le Gouvernement bulgare avait récemment démissionné après une
série de manifestations qui ont rapidement dégénéré et réunissaient
des personnes lasses de voir le prix de l’électricité augmenter,
les mesures d’austérité se durcir et l’esprit de corruption et le
sentiment d’impunité régner au sein de l’élite.
43. L’ancien Commissaire aux droits de l'homme, M. Hammarberg,
a souligné à juste titre un autre aspect de la corruption, à savoir
son coût extrêmement élevé pour l’ensemble des citoyens: «Des quantités
d’argent énormes disparaissent en versements illégaux et sous forme
de manque à gagner pour le fisc, réduisant ainsi la capacité de
l’Etat à investir dans les infrastructures et les politiques nécessaires
pour assurer des conditions de vie décentes et garantir l’égalité
des chances à tous les citoyens.
» En temps de crise économique, ce coût
est encore plus difficile à supporter, précisément parce que la
corruption exacerbe la crise. Comme le souligne Transparency International,
«un certain nombre de pays d’Europe du sud, notamment ceux dans lesquels
la crise financière est actuellement la plus aiguë (Grèce, Italie,
Portugal, Espagne et Chypre), présentent un grave déficit de responsabilité
publique et des problèmes profondément enracinés d’inefficacité et
d’incurie, qui ne sont pas suffisamment réglementés ni sanctionnés».
5. Les mesures de lutte contre
la corruption
44. La corruption est un phénomène
ancien et répandu, mais elle n’est pas inévitable. Je suis profondément convaincue
qu’il est primordial de lutter contre elle car, comme le souligne
Transparency International, «lorsque les institutions omettent d’adopter
et de mettre en œuvre une réglementation adéquate et une culture de
l’intégrité, la corruption risque de prospérer, ce qui fragilise
la croissance équitable, la cohésion sociale et la prééminence du
droit». Il existe plusieurs façons et moyens d’éradiquer ce phénomène
et j’aimerais attirer votre attention sur ceux qui me paraissent
particulièrement prometteurs.
45. La mise en œuvre des recommandations du GRECO et de MONEYVAL
représente un moyen évident de lutter contre la corruption. De nombreux
pays ont vu leurs lacunes mises en avant par leurs rapports d’évaluation
et leurs rapports de conformité ultérieurs, et ce pour des raisons
diverses qui varient d’un pays à l’autre. A propos de la France,
par exemple, qui a ratifié la Convention pénale sur la corruption
en 2008, le GRECO a souligné, dans la conclusion du Rapport d’évaluation
du Troisième Cycle, que «la France a restreint assez fortement sa
compétence et ses capacités de poursuite à l’égard des affaires
de dimension transnationale, ce qui est fort dommage compte tenu
de l’importance du pays dans l’économie internationale et du poids
de beaucoup de ses sociétés commerciales»
. S’agissant de la procédure de conformité,
le GRECO a estimé, par exemple au sujet de la Fédération de Russie,
que le pays avait mis en œuvre de façon satisfaisante ou traité
de manière satisfaisante à peine plus d’un tiers des 26 recommandations
formulées dans le rapport de conformité des Premier et Deuxième
Cycles d’Evaluation conjoints
(le troisième
rapport d’évaluation n’étant pas encore achevé). Le GRECO a récemment
fait part de sa vive désapprobation des réticences de l’Ukraine
à mettre en œuvre ses recommandations: «Le nombre total de recommandations appliquées
– un peu moins de la moitié des recommandations émises – n’est pas
très élevé et il est notable que plusieurs questions fondamentales
comme l’indépendance du système judiciaire, l’existence de processus judiciaires
et administratifs parallèles, le contrôle indépendant des finances
des collectivités locales, la réforme de la fonction publique, le
processus de décision administratif et la responsabilité des personnes
morales pour les délits de corruption, pour ne citer que quelques-uns
des domaines mentionnés par le GRECO dans le rapport d’évaluation,
requièrent encore une attention très importante.
» Il reste encore beaucoup à faire en la matière,
mais le cas de l’Ukraine, où des mesures de lutte contre la corruption
ont été utilisées à des fins politiques, montre également que ces
questions doivent être traitées soigneusement et avec circonspection. Le
chef d’accusation «d’abus d’autorité» retenu contre l’ancien Premier
ministre ukrainien, Ioulia Timochenko, offre un excellent exemple
de l’utilisation abusive à des fins politiques de dispositions pénales
sévères, destinées à lutter contre la corruption, pour engager de
manière sélective des poursuites à l’encontre de hauts responsables
de l’opposition
.
46. Pour lutter contre l’impunité dont jouissent très souvent
les auteurs des actes de corruption, l’incrimination de l’ensemble
des actes de corruption (y compris la corruption active et passive)
est essentielle. Le Troisième Cycle d’Evaluation du GRECO a souligné
l’importance d’une incrimination claire et précise de ces actes.
Selon la synthèse thématique de ce Troisième Cycle d’Evaluation,
les rapports d’évaluation du Troisième Cycle du GRECO font état
d’un niveau de conformité dans l’ensemble satisfaisant avec les obligations
nées de la Convention pénale sur la corruption et de son protocole
additionnel. Toutefois, «un ou deux systèmes juridiques ont donné
lieu à une critique du fait de leur nature anachronique, qui les
rend donc mal équipés pour traiter de la corruption au XXIe siècle.
Les rapports concernant les systèmes juridiques de la Grèce et du
Royaume-Uni en sont de bons exemples»
. En outre, au moment de l’adoption
de leurs rapports d’évaluation, deux Etats membres avaient signé,
sans la ratifier, la Convention pénale sur la corruption (Allemagne
et Espagne), dix Etats membres n’avaient ni signé ni ratifié son
protocole additionnel (Andorre, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine,
République tchèque, Estonie, Finlande, Géorgie, Lituanie, Pologne
et Espagne) et six Etats membres avaient signé, sans le ratifier,
ce même protocole (Allemagne, Hongrie, Islande, Malte, Portugal
et Turquie). Il importe que ces deux instruments juridiques soient
rapidement ratifiés par tous les Etats membres et que leurs dispositions
soient effectivement mises en œuvre. En matière d’incrimination,
il convient également d’accorder une attention particulière à la
définition précise des infractions, qui doit notamment comprendre
l’obtention d’un avantage personnel.
47. La transparence est l’élément clé de la lutte contre la corruption.
Plus les informations sont accessibles au public, plus les ONG et
les médias peuvent désigner et fustiger les actes de corruption
et contribuer ainsi à mettre un terme à ces pratiques. Comme la
corruption du secteur public tend à glisser vers le secteur privé, par
exemple lorsque des agents publics corrompus dissimulent leurs actifs
dans des personnes morales dirigées pour leur compte par des hommes
de paille ou détournent les actifs d’entreprises publiques ou en partie
publiques, les exigences en matière de transparence ne sauraient
se limiter au seul secteur public. L’obligation de déclaration de
patrimoine imposée au début et à la fin du mandat d’un responsable
public est un excellent moyen de lutter contre la corruption dans
le secteur public. Toute augmentation inhabituelle d’un patrimoine
devrait obliger l’intéressé à s’en expliquer. L’évolution récemment
survenue en France montre qu’il doit être précisé dès le départ
que le fait, pour un haut responsable public, de posséder un patrimoine considérable
n’est pas en soi condamnable, mais qu’il doit pouvoir démontrer
que ce patrimoine est le fruit d’activités légales et qu’il est
convenablement déclaré au fisc. Je serais favorable à la mise en
place d’une législation qui autorise, comme c’est déjà le cas dans
certains pays qui luttent contre la criminalité organisée, le gel
et même la confiscation de tout actif dont le propriétaire se trouve
dans l’incapacité de démontrer que les fonds utilisés pour son acquisition
présentent un caractère légal. La corruption est une affaire d’argent
et d’avidité. Si nous parvenons à confisquer réellement les fruits
de la corruption, cette pratique diminuera rapidement.
48. Une réforme judiciaire visant à renforcer l’indépendance des
magistrats représente également un élément essentiel de la lutte
contre la corruption. Transparency International a constaté que
l’immense majorité des pays européens souffraient d’une faible exécution
des décisions de justice. A cela s’ajoute bien souvent un manque
de transparence, des juges qui ne sont pas totalement indépendants
et un pouvoir exécutif capable de contrôler fermement la nomination
des juges. Selon cette ONG, «la situation des juges continue à poser problème
même dans les Etats membres où l’administration a lutté avec succès
contre la corruption. C’est le cas, par exemple, en Géorgie, où
malgré les effets importants des réformes destinées à lutter contre
la corruption, l’indépendance insuffisante des juges a affaibli
de manière déterminante le potentiel de bonne gouvernance du pays.
En dépit de l’éradication de la corruption au sein des tribunaux,
le pouvoir judiciaire a souffert de l’influence indûment exercée
par le parquet et l’exécutif lors de l’attribution des affaires
pénales et dans les affaires qui portent sur les intérêts des responsables
politiques. Le degré d’indépendance insuffisant du pouvoir judiciaire
a également compromis sa capacité à exercer une surveillance sur
le pouvoir exécutif»
. Les réformes récemment entreprises
en Hongrie pour restreindre l’indépendance de la justice sont également particulièrement
préoccupantes et pourraient entraver la lutte contre la corruption.
49. Le GRECO a par ailleurs déclaré que la corruption était souvent
rendue possible par le manque d’indépendance et de moyens des instances
chargées de la prévention et de la répression de la corruption et a
recommandé d’inverser cette tendance
. Les réformes institutionnelles
devraient par conséquent garantir l’indépendance des instances chargées
de la prévention et de la répression de la corruption; il convient
en outre de renforcer les moyens mis à leur disposition.
50. Plusieurs experts invités à l’audition de Paris ont souligné
que la corruption dans le secteur public présentait également une
dimension culturelle. La Commission internationale de juristes estime
que «la principale garantie contre la corruption judiciaire, qui
est aussi la plus éphémère et la plus difficile à mettre en place,
consiste peut-être à disposer d’une structure de juges qui ont un
sens aigu de l’honneur de la justice et de la responsabilité qui
doit présider à l’exercice du pouvoir judiciaire». Cette culture
déontologique est également primordiale pour les élus, les parlementaires
et les fonctionnaires. Elle repose sur une éducation et une formation
continue et doit être secondée par un engagement sans ambiguïté
du pouvoir politique.
51. La protection des donneurs d’alerte, à laquelle l’Assemblée
a consacré un rapport distinct
, est le complément indispensable
de l’indépendance des juges. Transparency International a souligné
son importance capitale, en citant l’exemple d’un donneur d’alerte
«qui avait communiqué des informations détaillées sur les frais
des parlementaires à un quotidien britannique, ce qui a provoqué
un scandale retentissant au Royaume-Uni à propos de l’utilisation
abusive généralisée des frais et indemnités des parlementaires et
a finalement abouti à une série de démissions et de peines d’emprisonnement».
D’après les évaluations réalisées par cette ONG, il reste encore
beaucoup à faire dans ce domaine: «Même dans les pays qui disposent
d’une législation en ce sens, (…) les donneurs d’alerte ne sont
pas suffisamment protégés en pratique contre les représailles, sauf
en Norvège et au Royaume-Uni où ces garanties sont plus solides.
Dans un certain nombre de pays d’Europe, notamment en Europe orientale
et dans les Balkans, les donneurs d’alerte sont victimes d’une stigmatisation
et risquent parfois leur vie, quand ils ne la perdent pas (comme Sergei
Magnitski en Russie).» Sergueï Magnitski avait dénoncé le vol systématique
à grande échelle des deniers publics de l’Etat russe par des fonctionnaires
russes corrompus. Arrêté, il est mort en prison, ce qui a suscité
une vague d’indignation à l’intérieur du pays et sur la scène internationale.
Une proposition de résolution a été déposée sur le thème du refus
de l’impunité de ses meurtriers
et, en décembre 2012, notre collègue
de la commission, M. Andreas Gross (Suisse, SOC), a été nommé rapporteur
pour enquêter plus étroitement sur cette affaire et sur le fait
allégué qu’on cherche à l’étouffer en haut lieu. A cet égard, le
rôle des acteurs de la société civile et du journalisme d’investigation
doit être souligné. Je citerai trois exemples de telles initiatives.
En Fédération de Russie, le célèbre blogueur et leader de l’opposition,
M. Navalniy, enquête sur les actes de corruption commis dans le
cadre des contrats de marchés publics
. En Ukraine, des émissions de télévision
et des médias en ligne
enquêtent et dévoilent la fourberie
du monde politique et les détournements de fonds publics ou de l’Etat.
Plusieurs enquêtes du même genre ont permis de révéler des scandales
de corruption «régionale» dans les Etats baltes.
52. Les réformes proposées devraient permettre de mettre un terme
à l’impunité des auteurs d’actes de corruption et de briser ainsi
le «cercle vicieux» décrit par Mme Koch, représentante de Transparency International:
«Lorsqu’elle est pratiquée avec succès, [la corruption] continue
à être utilisée et affaiblit du même coup la prééminence du droit.»
53. L’autre moyen important de lutte contre la corruption consiste
à réglementer les activités de lobbying, grâce à l’enregistrement
obligatoire du lobbying et à l’application d’un code de conduite
aux lobbyistes et à ceux qui les rencontrent. Ces codes de conduite
représentent un élément essentiel de la lutte contre la corruption
menée par les parlements, car ils imposent des dispositions contraignantes
et exécutoires en définissant les actes clairement légaux et acceptables
– et ceux qui ne le sont pas – des responsables politiques, des
agents publics et de leurs interlocuteurs. Comme le souligne Transparency
International, l’adoption de codes de conduite ayant force exécutoire
démontre le sérieux de l’engagement des parlementaires en faveur
de l’intégrité et permet de gagner la confiance des citoyens à l’égard
du processus politique. L’évaluation de 25 pays réalisée par l’ONG
précitée révèle que seuls huit d’entre eux disposent de codes de
conduite en vigueur à l’heure actuelle, ce qui démontre qu’il reste
encore beaucoup à faire en la matière. Le GRECO a déploré à plusieurs
reprises le non-respect des recommandations qu’il formule dans ce domaine,
par exemple en Hongrie, qui n’avait pas adopté d’instructions claires
à l’égard des fonctionnaires qui demandent ou obtiennent des cadeaux
,
ni d’ailleurs de code de conduite de la fonction publique
. La réglementation du lobbying devrait
être mise en œuvre en tenant compte des conclusions formulées dans
l’avis de la Commission de Venise sur le rôle des acteurs extra-institutionnels
dans le système démocratique
,
ainsi que des principes directeurs de l’élaboration des codes de
conduite énoncés dans la
Recommandation 1908 (2010).
54. D’autres mesures peuvent être envisagées au niveau parlementaire.
Dans un discours prononcé en mars 2013 devant le Congrès des pouvoirs
locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, le président de l’ONG Anticor
a souligné la nécessité de renforcer les droits de l’opposition
parlementaire et a proposé, par exemple, que la législation attribue
la présidence de la commission des marchés publics à un membre de
l’opposition
.
55. Le récent scandale provoqué par l’affaire Cahuzac que nous
avons évoquée plus haut a ravivé en France et en Europe le débat
sur la déclaration de patrimoine des élus. La réforme annoncée des
dispositions qui régissent l’établissement et le contrôle de cette
déclaration
a reçu un accueil mitigé dans
le monde politique français. Transparency International, ainsi que
d’autres ONG comme Anticor, estiment que l’existence d’un solide
mécanisme de déclaration de patrimoine représente une garantie importante
de l’intégrité dans le secteur public, car elle prévient et révèle
les conflits d’intérêts des parlementaires et évite l’enrichissement
illicite des responsables publics. Selon Transparency International,
«bien que la totalité des pays européens disposent d’une forme de
régime de déclaration de patrimoine, d’intérêts et de revenus, leur qualité
et leur étendue varient considérablement: 11 pays sur 25 ne prennent
pas en compte tous les aspects pertinents des intérêts des parlementaires
et/ou communiquent uniquement des informations partielles. L’exemple
de la Slovénie et de la France est préoccupant, car les déclarations
des parlementaires ne sont pas du tout soumises à l’examen des citoyens,
ce qui ôte finalement tout intérêt à un mécanisme visant à obliger de
rendre des comptes aux citoyens».
56. La lutte contre la corruption ne saurait être efficace sans
une lutte contre un autre phénomène qui facilite la corruption:
le blanchiment de capitaux. De fait, comme l’a souligné la représentante
de l’Open Society Justice Initiative durant l’audition de Paris,
«bien que l’Indice de perception de la corruption de Transparency International
désigne plusieurs Etats membres du Conseil de l'Europe parmi ceux
qui sont considérés comme «les plus propres», certains de ces Etats,
notamment le Royaume-Uni et la Suisse, blanchissent les produits du
crime et de la corruption à très grande échelle». La suppression
du secret bancaire, qui permet à l’évidence de blanchir les produits
de la corruption, ainsi que la mise en place d’un régime déclaratif
rigoureux, représentent des moyens efficaces de lutte contre la
corruption. La répression du blanchiment de capitaux est un domaine
qui exige absolument l’existence d’une coopération internationale.
Le circuit emprunté par les capitaux qui font l’objet de virements
électroniques, utilisés dans les faits pour toute somme importante d’argent
sale, doit pouvoir être suivi sans qu’on en perde la trace ou que
celle-ci soit effacée. Il convient tout simplement de la suivre
à travers les frontières et tous les méandres et subterfuges imaginés
par les auteurs de ces actes, jusqu’à leur bénéficiaire ultime.
Cette tâche n’est pas compliquée, elle exige uniquement que tous
les pays concernés par le circuit emprunté par ces capitaux aient
la volonté politique d’entreprendre réellement et sérieusement cette
action.
57. Toutes ces réformes doivent s’inscrire dans une stratégie
globale. Les experts invités à l’audition de Paris ont souligné
l’importance d’une approche globale de la corruption, y compris
sur le plan du cadre juridique et sur celui de la pratique et des
résultats des institutions. M. Daniel Smilov a attiré l’attention
de la commission sur le fait que plusieurs pays d’Europe orientale
présentaient systématiquement un niveau élevé de perception de la
corruption, alors que les gouvernements s’étaient saisis de ce problème.
Il s’est demandé si cela ne signifiait pas que les mesures de lutte
contre la corruption avaient été insuffisantes ou que la stratégie suivie,
qui privilégiait essentiellement les réformes institutionnelles,
avait été mal perçue, voire contreproductive. Cette deuxième hypothèse
conduit à envisager les pratiques institutionnelles et la déontologie
professionnelle avec une certaine inquiétude.
6. Conclusions
et propositions
58. Le sujet de «La corruption:
une menace pour la prééminence du droit» est à l’évidence complexe
. Le présent rapport ne peut malheureusement
proposer toutes les solutions dont nous disposons. Un certain nombre
de propositions prioritaires peuvent néanmoins être faites pour
éradiquer ce fléau.
59. Le Conseil de l'Europe a élaboré de précieux instruments et
mécanismes juridiques pour prévenir et réprimer la corruption. Il
convient d’encourager les Etats membres du Conseil de l'Europe à
ratifier les conventions pertinentes du Conseil de l'Europe et à
mettre en œuvre les recommandations du GRECO
et de MONEYVAL.
Les parlements devraient également
contribuer à la mise en œuvre de ces recommandations en mettant
en place des procédures spécifiques de contrôle parlementaire. Au
niveau de l'Assemblée, outre la représentation dans les réunions
du GRECO et de MONEYVAL, la commission de suivi devrait accorder
une attention particulière à la mise en œuvre de ces instruments
juridiques.
60. Je propose également de promouvoir des stratégies globales
de lutte contre la corruption qui comportent les principaux éléments
suivants:
i. Le renforcement de
l’indépendance et de l’efficacité de la justice. Ceci passe notamment,
par des mesures de renforcement de la qualité, de la formation et
du statut des professions judiciaires. Il convient de mettre en
place des procédures transparentes de nomination, de promotion et
de révocation des juges, ainsi que des dispositions disciplinaires
adéquates, qui seront appliquées par des instances échappant à toute
ingérence politique et influence indue.
ii. Le renforcement de la transparence. Il est légitime que
les citoyens souhaitent une plus grande transparence. Pour restaurer
la confiance dans les institutions publiques, nous devons mettre
en place des dispositions rigoureuses en matière de déclaration
de patrimoine, de revenus et d’intérêts des parlementaires, des
membres du gouvernement, des hauts fonctionnaires et des juges,
ainsi qu’instituer des organismes de contrôle indépendants, qui
disposent de moyens suffisants de sanction en cas de non-respect
de ces dispositions. Cette transparence passe également par la réglementation
des activités de lobbying, grâce à l’élaboration de registres de
lobbyistes obligatoires et publics et de codes de conduite applicables
aux lobbyistes et à ceux qui les rencontrent. Il convient également
que les institutions publient leurs informations financières sur
leur site web et que l’accès aux données publiques soit encouragé.
iii. La protection de la liberté et de l’indépendance des médias.
Les médias sont essentiels pour la lutte contre la corruption et
devraient échapper à toute pression gouvernementale, afin de pouvoir
déceler et révéler les affaires de corruption.
iv. L’autonomisation de la société civile, qui a un rôle important
à jouer dans la mobilisation des groupes et des médias sur les questions
de gouvernance et de démocratie, en vue de déceler et de dénoncer
la corruption.
61. Il convient de mettre ces stratégies en œuvre avec souplesse,
en tenant compte de la spécificité de la situation de chaque pays.
Les problèmes de corruption devraient être traités parallèlement
à des questions telles que la démocratie, le constitutionnalisme
et la séparation des pouvoirs, comme l’a proposé M. Smilov lors
de l’audition. Dans un environnement politique dépourvu de concurrence
et dans lequel la séparation des pouvoirs est peu importante, il
convient d’envisager les mesures de lutte contre la corruption comme
un élément d’un ensemble plus vaste de réformes, qui assure une
plus grande séparation des pouvoirs et une concurrence politique
plus intense. Dans un cadre politique extrêmement concurrentiel
et démocratique, les mesures de lutte contre la corruption devraient
être associées à des mesures qui renforcent les freins et contrepoids
grâce à une séparation des pouvoirs et restreignent les initiatives
d’auto-validation des représentants de la majorité du moment. Il
importe en tout état de cause de dissocier les partis politiques
de la lutte contre la corruption, afin d’éviter que celle-ci soit
soupçonnée d’être uniquement l’expression d’une stratégie de mobilisation
des suffrages.
62. L’Assemblée doit également accorder une attention particulière
à la mise en œuvre effective de son propre code de conduite. De
même, le Conseil de l'Europe devrait faire preuve de vigilance,
en s’assurant que les fonds affectés à la mise en œuvre de ses programmes
soient utilisés à bon escient et ne soient pas détournés par des
fonctionnaires corrompus.
63. Enfin, je propose que le Comité des Ministres participe davantage
à la lutte contre le fléau de la corruption, d’une part, en veillant
à ce que cette question figure parmi les modules spécifiques des programmes
de formation mis en œuvre par les organes du Conseil de l'Europe
et, d’autre part, en créant un groupe de travail chargé d’élaborer
des lignes directrices sur les codes de conduite et d’éthique destinés
aux agents publics et aux juges.