1. Tendances
et clivages
1. Le Conseil de l’Europe joue
un rôle moteur parmi les organisations internationales dans la lutte
contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité
de genre. En 2010, le Comité des Ministres a adopté une recommandation
d’une portée considérable sur cette question
.
La même année, l’Assemblée parlementaire a adopté la
Résolution 1728 (2010) et la
Recommandation 1915 (2010) sur la discrimination sur la base de l'orientation sexuelle
et de l'identité de genre. Ces textes représentent, à ce jour, les recommandations
les plus avancées et détaillées adoptées par des organisations internationales
sur ce sujet.
2. En outre, l’actuel et le précédent Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe ont donné une visibilité accrue
aux questions concernant les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles
et transgenres (LGBT) dans le cadre de leurs activités et fait la
promotion d’un changement de mentalité, de politiques et de législation.
Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe en personne, Thorbjørn
Jagland, a fermement pris position contre la discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
3. En dépit d’une volonté politique forte et des efforts déployés
par le Conseil de l’Europe pour établir des normes en la matière,
la question de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle
et l’identité de genre reste politiquement délicate et controversée
dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
4. Certains exemples tirés de l’expérience du Conseil de l’Europe
confirment cette divergence d’approches: au cours des négociations
qui ont abouti à l’adoption de la Convention du Conseil de l’Europe sur
la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique (Convention d’Istanbul, STCE n° 210),
certains Etats membres se sont opposés à l’inclusion de l’orientation
sexuelle et de l’identité de genre comme motif de non-discrimination.
De même, en 2012, la Conférence du Conseil de l’Europe des ministres
responsables de la jeunesse n’a pas été en mesure d’adopter des
conclusions en raison de l’opposition de la Fédération de Russie
à l’inclusion d’une référence à l’orientation sexuelle et à l’identité
de genre, qui était proposée par la Suède et soutenue par d’autres
Etats membres
.
5. Ce clivage est également visible lorsqu’on évalue les développements
dans les Etats membres depuis 2010, année d’adoption des deux textes
fondamentaux du Conseil de l’Europe susmentionnés. Il y a eu des progrès
significatifs dans un groupe d’Etats membres, avec l’adoption de
plans d’action/stratégies spécifiques de promotion de l’égalité
et de lutte contre la discrimination, la reconnaissance de droits
des personnes LGBT dans le domaine de l’adoption, des partenariats
civils et du mariage et l’introduction de mesures plus énergiques
contre le discours et la violence homophobes et transphobes. Cependant,
il y a eu un manque de progrès et même une détérioration dans un
autre groupe d’Etats membres, notamment dans le domaine de la liberté
d’expression, de réunion et d’association.
6. Cela dit, il serait trop simple de présenter la situation
en des termes manichéens, c’est-à-dire comme tout à fait satisfaisante
dans certains pays et tout à fait mauvaise dans d’autres. L’attitude
à l’égard des personnes LGBT, au sein d’un même pays, est très variée.
La protection des personnes LGBT contre la discrimination repose
non seulement sur les mœurs de la société, mais aussi sur l’existence
de lois et politiques adaptées et la volonté politique de les mettre
en œuvre, qui varient considérablement, y compris dans un même pays.
7. La violence à l’encontre des personnes LGBT constitue un problème
partout en Europe. On observe une augmentation des injures et actes
de violence à l’égard des minorités, dont les personnes LGBT, dans plusieurs
Etats membres du Conseil de l’Europe, en raison des effets de la
crise économique et de la radicalisation et du renforcement de groupes
extrémistes qui ont suivi. Cela s’explique en partie par le fait
que plus de victimes sont prêtes à dénoncer les faits auprès de
la police ou que la collecte de données est en train de s’améliorer.
Il n’en reste pas moins que le phénomène est inquiétant.
2. Objectif, approche et méthodes
de travail
8. La
Résolution 1728 (2010) de l’Assemblée relative à la discrimination sur la base
de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre constitue le
point de départ de mon travail. Je souscris entièrement à l’analyse présentée
par son rapporteur, M. Andreas Gross (Suisse, SOC), et n’entends
pas reprendre inutilement le contenu de ses travaux. Dans le présent
rapport, j’évaluerai les principaux changements qui sont intervenus dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe dans le domaine de la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre depuis
l’adoption de la
Résolution 1728 (2010). Mon objectif est de saisir la tendance générale (progrès
ou recul) et de répondre à des sujets de préoccupation spécifiques
qui se posent dans certains pays. Mes recommandations visent à compléter
et à élargir la
Résolution 1728 (2010) et non à s’y substituer.
9. Je m’appuierai sur les principes de Yogyakarta relatifs à
l’application du droit international des droits humains en matière
d’orientation sexuelle et d’identité de genre
. Ces principes ont été fixés en
2007 par un groupe d’experts juridiques dans le but d’identifier
et de décrire l’obligation des Etats de respecter et de protéger
les droits de l’homme de toutes les personnes, indépendamment de
leur orientation sexuelle. Dans cet ordre d’idées, je n’ai aucunement
l’intention de suggérer que les personnes LGBT devraient bénéficier
de droits spéciaux ou d’une nouvelle catégorie de droits. Au contraire,
je souhaite mettre en lumière la discrimination dont les personnes
LGBT font l’objet et qui les empêche de jouir des droits de l’homme
comme tout un chacun.
10. Pour la préparation de ce rapport, j’ai rencontré des représentants
de la société civile, plus particulièrement des activistes des droits
de l’homme d’Albanie, de Hongrie, de Lituanie, de la Fédération
de Russie, de Serbie et d’Ukraine, ainsi que des représentants d’Amnesty
International, de la région Europe de l’Association internationale
des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, trans et
intersexes (ILGA-Europe) et du Comité d’Helsinki norvégien. En septembre
2012, j’ai rencontré les points focaux LGBT, qui sont des représentants
gouvernementaux de plusieurs pays européens. J’ai eu une rencontre
très intéressante à Bruxelles avec les membres de l’Intergroupe
LGBT du Parlement européen. A Strasbourg, j’ai eu l’occasion de
rencontrer Mme Tatiana Parvu, Ambassadeur de la République de Moldova
auprès du Conseil de l’Europe, et des membres de plusieurs organisations
turques des droits de l’homme actives sur la situation des personnes
LGBT (janvier 2013). J’ai effectué des visites d’information en
Hongrie (27 février-1er mars 2013) et
en Ukraine (15-16 mai 2013).
11. La conférence sur «La liberté d’expression pour les personnes
LGBT», que la commission sur l’égalité et la non-discrimination
a organisée à Varsovie en mars 2013, en coopération avec le Parlement
polonais, m’a grandement aidé à collecter des informations et à
préciser mon opinion sur la situation actuelle de l’Europe en ce
qui concerne la protection sans discrimination des droits de l’homme
pour les personnes LGBT.
12. Le choix de la Pologne pour cette manifestation a été particulièrement
opportun. La Pologne est un pays dont la majeure partie de la population
est catholique et qui a connu un régime totalitaire, à l’instar
de ses voisins. La Pologne est un bon exemple de la manière dont
la situation peut évoluer: en 2005 encore, le maire de Varsovie
de l’époque refusait d’autoriser une manifestation pour les droits
LGBT; aujourd’hui, la liberté d’expression, d’association et de
réunion est garantie et une loi sur les unions civiles est en cours
d’examen. Les personnes LGBT sont impliquées sur la scène politique
et une conférence telle que celle que la commission a organisée
a pu se dérouler dans l’enceinte du parlement. Ainsi que l’a souligné
mon collègue, Robert Biedron, cela aurait été impensable il y a
encore quelques années. Cela étant, comme je l’ai indiqué dans l’introduction,
la situation n’est jamais nettement tranchée: quelques jours seulement
avant la conférence, les médias ont accordé une large couverture
aux propos négatifs d’un homme politique réputé, en l’occurrence l’ancien
Président Lech Walesa, qui se déclarait opposé à la présence de
personnes LGBT en politique et qualifiait l’homosexualité de contraire
aux valeurs traditionnelles polonaises
.
3. Portée du rapport
13. J’ai décidé de centrer ce rapport
sur la liberté d’expression et de réunion, ainsi que sur la prévention
et la protection de l’homophobie et de la transphobie. Plusieurs
considérations m’ont conduit à cette décision: il s’agit de droits
humains fondamentaux, qui répondent à des besoins essentiels: celui
de s’exprimer et d’être protégé contre la violence; il s’agit malheureusement
aussi de points sur lesquels des développements inquiétants sont
survenus dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe qui
appellent une réaction urgente.
14. Les personnes transgenres sont incluses dans ce rapport et
le problème de la transphobie est mentionné à plusieurs occasions.
J’estime cependant que la spécificité de la situation des personnes transgenres
est si complexe qu’elle doit faire l’objet d’un rapport distinct.
C’est pourquoi j’ai proposé qu’une proposition en ce sens soit déposée
au nom de la commission.
4. Dépénalisation: une mission
inachevée
15. La pénalisation des relations
homosexuelles consensuelles entre adultes était la principale pierre d’achoppement
sur la voie de la protection des droits fondamentaux des personnes
LGBT pendant des décennies. L’interdiction des rapports entre adultes
consentants de même sexe a survécu jusqu’à une époque assez récente
dans plusieurs systèmes juridiques. Bien qu’elle ait été le plus
souvent abolie dans la première moitié du XXe siècle,
certains pays – notamment le mien, la Norvège – n’ont réformé leur
droit pénal que dans les années 1970. D’autres, spécialement en
Europe centrale et orientale, ont maintenu l’interdiction jusqu’à
la fin des années 1990 ou au début des années 2000.
16. Le Conseil de l’Europe a joué un rôle important dans cette
dépénalisation, puisqu’elle faisait partie des mesures exigées des
pays candidats à l’adhésion. Dans les cas de l’Arménie et de la
Roumanie, l’Assemblée parlementaire leur a demandé, au stade de
la candidature, de modifier leur droit pénal en ce sens
.
17. Aujourd’hui, le seul endroit en Europe où la pénalisation
est toujours appliquée est la partie nord de Chypre: il y a eu aussi
récemment qu’en 2012 des arrestations sur la base de l’article 171
du Code pénal, en vertu duquel les rapports homosexuels consentis
sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison.
Chypre a supprimé cette disposition de son Code pénal à la suite
d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»)
qui l’avait jugée contraire à l’Article 8 de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention») (droit à la vie
privée)
. En dépit de cela, elle
est toujours appliquée dans la partie nord du pays, qui échappe
au contrôle effectif des autorités chypriotes.
18. En octobre 2011, j’ai adressé une question écrite au Comité
des Ministres sur «la criminalisation de l’homosexualité dans la
partie nord de Chypre», en demandant ce que le Conseil des Ministres
envisageait de faire afin que la Turquie, qui contrôle de fait cette
partie de l’île, abroge l’article 171
. J’ai le regret de préciser que
les Délégués des Ministres se sont déclarés, le 13 juin 2012, dans
l’impossibilité d’adopter une réponse à ma question faute de consensus.
19. A l’occasion d’un échange de lettres qui s’en est suivi, les
représentants élus de la communauté chypriote turque à l’Assemblée
parlementaire, MM. Mehmet Çağlar et Ahmet Eti, ont expliqué que
leur communauté était largement favorable à des modifications du
code pénal garantissant des droits égaux pour tous, sans distinction
d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Ils ont confirmé
cette position lors de la réunion de la commission sur l’égalité
et la non-discrimination qui s’est tenue à Varsovie en mars 2013. Parallèlement,
l’année dernière, une requête contre la Turquie a été déposée devant
la Cour européenne des droits de l’homme, avec le soutien de l’organisation
Human Dignity Trust, au
sujet de la pénalisation de l’homosexualité dans la partie nord
de Chypre
. Je considère que la dépénalisation
se fait attendre depuis trop longtemps et qu’il est grand temps
d’un changement.
5. L’orientation sexuelle et
de l’identité de genre en tant que motifs pour lesquels la discrimination
est interdite dans le droit national et le droit international
20. La décriminalisation est une
condition préalable mais ne garantit pas que les personnes LGBT
puissent exercer leurs droits humains. L’un des instruments principaux
permettant d’atteindre cet objectif est l’inscription, dans le cadre
juridique, d’une référence spécifique à l’orientation sexuelle et
à l’identité de genre comme motifs pour lesquels la discrimination
est interdite.
21. Historiquement, l’évolution a été marquée par deux tendances:
premièrement, alors que les lois et les constitutions plus anciennes
ne mentionnent pas explicitement l’orientation sexuelle et l’identité
de genre, les tribunaux nationaux ont progressivement adopté l’interprétation
selon laquelle les dispositions non limitatives sur la non-discrimination
les incluent implicitement. Deuxièmement, les instruments juridiques
plus récents mentionnent explicitement l’orientation sexuelle et
l’identité de genre; parfois, comme en Suède et au Portugal, c’est
le cas dans la Constitution même.
22. Toutefois, l’évolution n’a pas été homogène. Dans la République
de Moldova, par exemple, une nouvelle législation de lutte contre
la discrimination a été introduite en 2012, dans le cadre d’un plan
d’action national pour les droits de l’homme, au terme d’un long
processus de consultation de la société civile et d’organisations internationales,
dont le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme
de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH).
En dépit de cette évolution positive, je trouve regrettable que
l’orientation sexuelle soit explicitement mentionnée comme un motif
pour lequel la discrimination est interdite uniquement dans le domaine
de l’emploi. La façon dont la législation contre la discrimination
sera appliquée dans ce pays revêt une importance capitale, ainsi
que les mesures qui seront adoptées pour mettre en exécution le
plan d’action.
23. En Hongrie, la nouvelle Constitution, adoptée en avril 2011
et entrée en vigueur le 1er janvier 2012 n’inclut
pas explicitement l’orientation sexuelle et l’identité de genre
dans les motifs pour lesquels la discrimination est interdite (article XIV).
Même si la liste des motifs visés à l’article XV n’est pas limitative
et peut donc implicitement inclure l’orientation sexuelle et l’identité
de genre, la Commission européenne pour la démocratie par le droit
(Commission de Venise) a critiqué le fait que ces motifs ne soient
pas visés, soulignant qu’il pourrait donner l’impression que la
discrimination sur la base de ces motifs n’est pas considérée comme répréhensible
. Le Parlement européen a fait part
de préoccupations similaires
.
24. L’adoption d’une loi anti-discrimination exhaustive fait partie
des conditions établies par l’Union européenne pour la conclusion
d’un accord d’association avec l’Ukraine. Cependant, l’inclusion
explicite de l’orientation sexuelle parmi les motifs de discrimination
interdite se heurte à une forte opposition au parlement.
25. La même tendance à passer d’une d’inclusion implicite à une
inclusion explicite de l’orientation sexuelle et de l’identité de
genre parmi les motifs pour lesquels la discrimination est interdite
se retrouve dans les instruments internationaux. Même si les principaux
instruments des droits de l’homme des Nations Unies ne les mentionnent
pas explicitement, tous les organes créés en vertu de ces instruments
ont soutenu que l’orientation sexuelle et l’identité de genre soient
incluses parmi les motifs pour lesquels la discrimination est interdite
(voir tableau ci-après). De même, si la Convention de Genève de
1951 relative au statut des réfugiés ne vise pas explicitement l’orientation
sexuelle et l’identité de genre, il existe une jurisprudence consolidée
qui confirme que les personnes LGBT représentent un «groupe social
particulier» rentrant dans la définition des réfugiés, et que l’orientation
sexuelle et l’identité de genre constituent des motifs de persécution
couverts par la convention.
Instrument
des Nations Unies
|
Interprétation
précisant l’inclusion de l’orientation sexuelle et de l’identité
de genre parmi les motifs pour lesquels la discrimination est interdite
|
Pacte international relatif
aux droits civils et politiques (1966)
|
Dans l’affaire Toonen c. Australie (1992), le Comité
des droits de l’homme a estimé que la référence au terme «sexe» (PIDCP, article 2) et au droit
à la «vie privée» (PIDCP,
article 17) couvre l’orientation sexuelle
|
Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels (1966)
|
Comité des droits économiques,
sociaux et culturels, Observation générale n° 20 – La non-discrimination
dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, document
des Nations Unies E/C.12/GC/20 (2009)
|
Convention sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979)
|
Comité pour l’élimination
de la discrimination à l’égard des femmes, Recommandation générale
n° 28 sur les obligations fondamentales des Etats parties en vertu
de l’article 2 de la Convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes (19 octobre 2010)
|
Convention contre la
torture (1984)
|
Comité contre la torture,
Observation générale n° 2 relative à l’application de l’article 2
par les Etats parties (24 janvier 2008)
|
Convention relative aux
droits de l’enfant (1989)
|
Comité des droits de
l’enfant, Observation générale n° 4 (2003) sur la santé et le développement
de l’adolescent dans le contexte de la Convention relative aux droits
de l’enfant
|
26. L’article 14 de la Convention
européenne des droits de l’homme ne vise pas explicitement l’orientation sexuelle
et l’identité de genre comme des motifs pour lesquels la discrimination
est interdite. Toutefois, la Cour estime que l’expression «ou toute
autre situation» couvre l’orientation sexuelle et la transsexualité.
De même, le Protocole n° 12 à la Convention (STE n° 177) interdit
la discrimination en ce qui concerne la jouissance des droits reconnus
par la loi. Son rapport explicatif précise que les motifs de discrimination
visés par le Protocole n° 12 sont les mêmes que ceux visés par la
Convention européenne des droits de l’homme.
27. En 1997, l’article 13 du Traité d’Amsterdam a autorisé l’Union
européenne à lutter contre la discrimination fondée sur toute une
série de motifs, dont l’orientation sexuelle
.
En 2000, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
a été le premier instrument international à inclure explicitement l’orientation
sexuelle en tant que motif pour lequel la discrimination est interdite
.
Pour ce qui est de l’identité de genre, à la suite d’un arrêt de
la Cour de justice de l’Union européenne
,
les personnes qui envisagent ou ont subi une réassignation sexuelle
sont protégées contre la discrimination dans l’accès aux biens et
services et à l’emploi. Par souci d’exhaustivité, je devrais préciser
que le droit secondaire de l’Union européenne compte, dans des domaines
spécifiques, d’autres instruments assurant une protection contre
la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité
de genre. Il s’agit notamment de la Directive relative à l’égalité
de traitement en matière d’emploi et de travail
et
de la Directive du 13 décembre 2011 sur l’asile, qui, grâce aux modifications
proposées par le Parlement européen, inclut plusieurs passages garantissant
la prise en compte de l’orientation sexuelle et de l’identité de
genre dans le contexte de la reconnaissance du statut de réfugié
.
28. La première convention du Conseil de l’Europe à mentionner
explicitement l’orientation sexuelle était la Convention sur la
protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels
(Convention de Lanzarote, STCE n° 201), en 2007. La Convention sur
la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique (Convention d’Istanbul) de 2011 a été
la première à mentionner à la fois l’orientation sexuelle et l’identité
de genre. J’espère qu’elles marquent l’amorce d’une tendance qui
se poursuivra dans le futur.
6. Liberté de réunion
29. Le droit de manifester pacifiquement
est un droit de l’homme fondamental. Il revêt une importance particulière
pour la communauté LGBT: trop longtemps dans l’histoire de nos sociétés,
et souvent encore maintenant, les personnes LGBT ont caché leur
orientation sexuelle et leur identité de genre; elles ont été invisibles
ou ont choisi de l’être pour pouvoir mener une vie normale, loin
des stéréotypes, des préjugés et du harcèlement. Les marches des
fiertés offrent une possibilité unique de créer une conscience de
groupe, de fêter la diversité et de montrer au reste de la population
qu’il n’y a rien de honteux ou de secret concernant l’orientation
sexuelle et l’identité de genre, même si elles ne sont pas les mêmes
que celles de la majorité.
30. Les premières marches des fiertés ont été organisées aux Etats-Unis
en 1970, afin de commémorer les émeutes de Stonewall à New York,
l’année précédente, et de sensibiliser l’opinion contre le phénomène répandu
de la discrimination et des stéréotypes. L’année suivante, Londres,
Paris, Stockholm et Berlin-ouest ont été les premières capitales
européennes où de telles marches ont été organisées. Pour remettre
les choses dans leur contexte, à l’époque, les pays d’Europe occidentale
venaient de dépénaliser les relations homosexuelles consenties ou
étaient en passe de le faire.
31. Depuis lors, des marches des fiertés ont été organisées dans
un nombre croissant de pays, essentiellement en Amérique et en Europe
occidentale. Depuis la chute du Mur de Berlin, des marches des fiertés
ont été organisées également dans d’autres pays européens. Toutefois,
l’exercice de la liberté de réunion a malheureusement fait l’objet
de violations répétées dans certains de ces pays, avec le refus
des autorités d’autoriser ces manifestations, l’obstruction ouverte
ou voilée des autorités (qui se traduit souvent par le déplacement
du parcours des manifestations vers des zones excentrées ou par
une absence de réponse aux demandes d’autorisation) ou l’attitude
des autorités consistant à ne pas assurer une protection suffisante aux
manifestants contre la violence homophobe.
32. D’après le rapport «Discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle et l’identité de genre en Europe», publié en 2011 par le
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, depuis
2004, des marches des fiertés et d’autres manifestations LGBT ont
été interdites dans plusieurs Etats membres, dont la Lettonie, la
Lituanie, «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et la Fédération
de Russie. Par ailleurs, des marches des fiertés ont été interdites
à plusieurs reprises à Belgrade et à Kiev.
33. Lors de ma visite à Kiev, j’ai été impressionné par l’activisme
et la détermination des organisations non-gouvernementales et des
représentants de la société civile. Les antennes locales des organisations
non gouvernementales internationales (OING) telles qu’Amnesty International
et la Fondation Heinrich Böll travaillaient aux côtés des organisations
LGBT afin de s’assurer qu’une marche des fiertés aurait finalement lieu
à Kiev en 2013, en toute sécurité. Lors de leurs négociations avec
la police et les autorités compétentes à cet effet, elles ont demandé
le soutien de partenaires internationaux et comptent sur la participation
de nombreux représentants d’organisations des droits de l’homme
étrangères. La participation de personnalités internationales et
de représentants du corps diplomatique présents à Kiev contribuerait
au succès de cet événement important. Malheureusement, aucun parti
politique ni aucun syndicat ou toute autre organisation au niveau
national ne semblait soutenir le mouvement LGBT en Ukraine, que
ce soit à cette occasion ou de manière générale. Après mon départ
de Kiev, j’ai appris que 61 membres du parlement avaient signé une pétition
demandant au maire de la ville d’interdire la marche des fiertés.
Par la suite, les autorités municipales ont décidé de solliciter
une interdiction judiciaire pour toutes les manifestations publiques
programmées le week-end du 24 mai 2013, requête qui leur a été accordée
.
34. Les événements qui se sont produits en Géorgie sont également
préoccupants: le 17 mai 2013, quelques ONG avaient organisé une
marche à Tbilissi pour célébrer la Journée internationale de lutte
contre l’homophobie. Celle-ci a été violemment perturbée par un
groupe de nombreux contre-manifestants agressifs, dont beaucoup
étaient des prêtres orthodoxes. La police n’a pas assuré une protection
suffisante et des participants à la marche contre l’homophobie ont
dû être évacués en bus. Plusieurs personnes ont été blessées
.
35. Les trois affaires ci-après représentent l’ossature de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant
la liberté de réunion en relation avec l’interdiction de la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre: Bączkowski c. Pologne (2007), Alekseyev c. Russie (2010) et Genderdoc-M c. Moldova (2012). Ces
trois affaires présentent de nombreuses similitudes, y compris les raisons
invoquées pour refuser l’autorisation, qui incluaient des préoccupations
quant à la sécurité des manifestants et l’argument selon lequel
les marches représenteraient une menace pour la morale publique.
36. Ainsi que Sir Nicolas Bratza, ancien Président de la Cour,
l’a expliqué à l’occasion de la Conférence de Varsovie (en faisant
référence à l’affaire
Alekseyev):
«La Cour a estimé que les mesures
qui portent atteinte à la liberté de réunion et d’expression en
dehors des cas d’incitation à la violence ou de rejet des principes
démocratiques – aussi choquants et inacceptables que peuvent sembler
certains points de vue ou termes utilisés aux yeux des autorités – desservent
la démocratie, voire, souvent, la mettent en péril. La Cour n’a
pas du tout été convaincue de la sincérité et du bien-fondé des
raisons avancées pour justifier l’interdiction des réunions.
A propos des préoccupations alléguées concernant la sécurité
des participants et la défense de l’ordre, la Cour a souligné qu’il
est (...) du devoir des Etats contractants d’adopter des mesures
raisonnables et appropriées afin d’assurer le déroulement pacifique
des manifestations licites» et que, malgré les pétitions impliquant
un risque de contre-manifestations violentes en cas de maintien
de l’événement que le Gouvernement auraient reçues, il n’a pas procédé
à une appréciation satisfaisante des (éventuels) risques pour la
sécurité et l’ordre.
S’agissant de la menace à la morale publique alléguée,
dont la Cour a estimé qu’elle constitue le motif principal de l’interdiction,
la Cour n’a pu admettre la thèse avancée par le Gouvernement selon
laquelle les marches auraient suscité le niveau de controverse allégué,
car elle n’a trouvé aucun élément indiquant que les participants
se seraient comportés de manière sexuellement provocante ou auraient attaqué
les opinions religieuses. La Cour a aussi rejeté l’argument – reflétant
l’opinion du maire – selon lequel il est nécessaire de confiner
toute référence à l’homosexualité à la sphère privée et de soustraire les
gays et les lesbiennes aux yeux du public, comme si l’homosexualité
était un choix délibéré et asocial.»
37. Les trois affaires susmentionnées concernent des pays d’Europe
centrale et orientale. Toutefois, il serait erroné de penser qu’il
existe un clivage est-ouest dans la compréhension de la liberté
de réunion, que la situation est uniforme dans un même pays donné
ou qu’une évolution n’est pas possible. J’ai déjà indiqué que la
situation a évolué dans le bon sens en Pologne depuis l’affaire
Bączkowski. Cependant, d’autres
exemples positifs méritent d’être cités: en 2011, à Split (Croatie),
les participants de la marche des fiertés avaient été la cible d’agressions
homophobes; en juin 2012, l’événement s’est déroulé sans incidents
et avec la participation de centaines de personnes, y compris plusieurs
membres du gouvernement. A Zagreb, la capitale, des marches similaires
sont organisées régulièrement et pacifiquement depuis une dizaine
d’années
. A Budapest, la marche annuelle
des fiertés, qui était auparavant un événement pacifique et agréable
pour toute la ville, est l’objet d’attaques homophobes de la part
de groupes néonazis depuis 2007. A ces occasions, les forces de
police ont protégé les participants. J’ai été particulièrement rassuré
par le fait que les représentants de la police que j’ai rencontrés
pendant ma visite en Hongrie m’ont assuré de leur engagement à continuer
à le faire.
38. Plus récemment, le 17 mai 2013, des centaines d’individus
se sont rassemblés dans le centre de Tirana à l’occasion d’une manifestation
publique appelée la «Foire de la diversité», dans le cadre d’une
série d’événements réunissant des représentants du Gouvernement
albanais et de la police, le Médiateur, le Commissaire chargé de
la protection contre la discrimination, des membres de la communauté
internationale présents en Albanie, et des représentants des médias
et d’organisations non gouvernementales (ONG) actives dans la défense
des droits de l’homme. En mai 2013, la marche «Baltic Pride» à Riga
s’est déroulée pacifiquement. La manifestation était autorisée par
les autorités et aucun incident violent n’a éclaté. Le 19 mai 2013,
une manifestation contre la discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle et l’identité de genre a eu lieu à Chisinau, avec la participation
de la société civile moldave et de représentants de la communauté internationale.
Les autorités ont garanti l’ordre public et la sécurité des participants,
malgré les tentatives de quelques groupes de perturber la manifestation.
C’était la première marche de ce type autorisée en Moldova.
7. Liberté d’expression et
interdiction de la «propagande homosexuelle»
39. Les pouvoirs locaux et régionaux
de plusieurs pays se sont dotés d’une législation interdisant ce
qu’elles appellent la «propagande homosexuelle» et plusieurs parlements
examinent ou vont bientôt examiner des dispositions législatives
analogues. L’objectif déclaré est de protéger les enfants et les
convictions religieuses de la majorité de la population. Les partisans
d’une telle législation voient dans l’homosexualité un comportement
déviant et contraire aux préceptes religieux; pour eux, le fait
d’évoquer la communauté LGBT ou d’en montrer l’existence constituerait
une atteinte aux valeurs religieuses et morales et nuirait au bien-être des
enfants.
7.1. Exemples
40. En Lituanie, une proposition
a été soumise pour inclure dans le Code administratif une disposition
sur la «protection des valeurs morales constitutionnelles», en vertu
de laquelle le «dénigrement public des valeurs morales constitutionnelles
et des principes de la famille tels que stipulés dans la Constitution,
ainsi que l’organisation de manifestations contraires à la morale
sociale» serait passible d’une amende de 1 000 à 3 000 litas. Cette
proposition de loi a été rejetée par la Commission des affaires
juridiques et par le parlement, mais ses auteurs l’ont à nouveau
présentée. Elle a été approuvée par le parlement en mai 2013. Cette disposition
pourrait être utilisée pour ériger en infraction toute une série
d’activités, notamment les campagnes sur les questions de droits
de l’homme liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre
et la diffusion d’informations en matière de santé sexuelle. Elle
pourrait également empêcher l’organisation de marches des fiertés
et de manifestations similaires dans le pays.
41. En République de Moldova, les conseils municipaux de plusieurs
villes ont adopté en 2012 des mesures qui interdisent toute forme
de promotion des droits des personnes LGBT. Ces mesures étaient
motivées par des raisons religieuses et par la crainte d’une «épidémie
d’homosexualité». D’après les informations fournies par les autorités
moldaves, ces mesures locales ont été jugées contraires au droit
moldave et invalidées par les tribunaux. J’espère recevoir des informations
indiquant plus précisément si toutes les mesures concernées ont
été invalidées et si les décisions de justice sont appliquées dans
la pratique.
42. Depuis 2006, plusieurs régions de la Fédération de Russie
ont adopté des dispositions législatives interdisant les «actions
publiques de propagande en faveur de l’homosexualité, du lesbianisme,
de la bisexualité ou de la transsexualité auprès des mineurs». La
définition du terme «propagande» est tantôt floue, tantôt absente,
ce qui autorise les interprétations arbitraires. Certaines de ces
lois régionales interdisent aussi la «propagande pédophile auprès
des mineurs», établissant un lien inacceptable et fallacieux entre l’homosexualité
et les abus sexuels sur des mineurs.
43. En vertu de cette législation régionale, 17 personnes ont
été arrêtées à Saint-Pétersbourg et l’une d’entre elles a été poursuivie
et condamnée à payer une amende. Il y a également eu des cas de
poursuites à Arkhangelsk et Riazan
.
Ces lois ont aussi été utilisées pour interdire des manifestations
publiques de soutien aux droits des personnes LGBT à Arkhangelsk
,
Kostroma
et Saint-Pétersbourg
. Leur légalité
a été contestée devant la Cour constitutionnelle (dans le cas de
Riazan) et devant la Cour suprême (dans le cas d’Arkhangelsk, de
Kostroma, de Samara et de Saint-Pétersbourg). Tous ces recours ont
été rejetés
.
44. En mars 2012, un projet de loi interdisant «les actions publiques
de «propagande homosexuelle» auprès des mineurs» a été déposé au
niveau fédéral; il est actuellement examiné par le Parlement russe
.
45. Le Parlement ukrainien a approuvé en première lecture une
loi similaire en octobre 2012. Le projet de loi n° 0945
portant
modification de certains textes législatifs ukrainiens (concernant
la protection des droits des mineurs dans le domaine de l’information)
vise à modifier cinq lois relatives à la protection de la morale publique,
à la réglementation des organes de presse, de radiodiffusion et
d’édition, ainsi que le Code pénal. Les modifications proposées
érigeraient en infraction pénale la «propagande homosexuelle», sur
le modèle de l’infraction existante de «promotion de la violence
et de la cruauté auprès des mineurs», avec des peines allant de
fortes amendes à cinq ans de prison. L’examen de ce projet de loi
a été interrompu par les élections législatives qui se sont tenues
dans le courant du même mois.
46. Un deuxième projet de loi (no 1155)
portant interdiction de la propagande des relations homosexuelles à
destination des enfants a été déposé au Parlement ukrainien en décembre
2012. Il définit la «propagande de l’homosexualité» comme «les activités
délibérées de diffusion ou visant à diffuser des informations positives sur
les relations homosexuelles susceptibles de nuire au développement
de l’enfant, notamment en lui donnant l’idée fausse que les relations
dans le cadre d’un mariage traditionnel et non traditionnel sont
égales, et à influer sur le choix futur de son orientation sexuelle».
Ce texte étend aussi la définition de la propagande à toute activité
publique de diffusion d’informations positives sur l’homosexualité,
comme les rassemblements, parades, manifestations sur les droits
des personnes LGBT, débats ou cours optionnels comportant des informations
positives sur l’homosexualité. Il voudrait aussi interdire aux médias
de diffuser des informations positives sur l’homosexualité. Les
sanctions incluent des peines de prison. Cette loi a été approuvée
par une commission du Parlement ukrainien début avril 2013
.
47. Lors de ma visite en Ukraine, j’ai eu l’occasion de rencontrer
M. Vadym Kolesnichenko, auteur de la loi N. 1155 et membre du parti
des régions. Il m’a dit être attaché aux droits humains et a reconnu
l’impact positif des instances européennes dans ce domaine en Ukraine.
Il a apprécié l’opportunité d’engager un dialogue sur sa proposition
et a expliqué que la protection d’un développement psychologique
sain des enfants était son seul objectif. Cependant, j’ai également
été informé lors de ma visite des critiques émises par le Médiateur ukrainien
et le ministère de la Justice. Ils ont trouvé la loi contraire aux
principes généraux du droit pénal pour deux raisons: la description
du comportement est trop vague et les sanctions prévues ne sont
pas proportionnelles avec le danger social. Ces préoccupations ressemblent
aux miennes.
7.2. Préoccupations
48. La liberté d’expression est
un droit fondamental et un pilier de toute société démocratique.
Toute restriction doit répondre à des critères stricts, définis
dans la Convention européenne des droits de l’homme. Lors de sa
réunion en décembre 2012 à Paris, la commission sur l’égalité et
la non-discrimination a décidé de demander à la Commission de Venise
son avis sur la question de l’interdiction de la «propagande homosexuelle»
à la lumière des législations récentes dans certains Etats membres
du Conseil de l’Europe, dont la Fédération de Russie, la République
de Moldova et l’Ukraine. Le Président Gianni Buquicchio a répondu
le 11 décembre 2012 que la Commission de Venise allait préparer
cet avis.
49. Sachant qu’un organe faisant autorité, tel que la Commission
de Venise, donnera bientôt son avis d’expert sur les (projets) de
lois en question, je m’abstiendrai pour le moment de présenter mon
analyse détaillée à ce sujet. Néanmoins, je souhaiterais faire état
de quelques inquiétudes majeures à première vue:
7.2.1. Application discrétionnaire
50. Le champ d’application de la
loi contre la propagande est tellement flou et laisse une telle
discrétion aux forces de l’ordre que le simple fait de déclarer
sa propre homosexualité, de parler de questions de famille en public
ou de mettre un drapeau arc-en-ciel à sa fenêtre pourrait être considéré
comme une infraction à la loi.
7.2.2. Protection des enfants
51. De toute évidence, la protection
des enfants devrait être une priorité de toutes nos politiques et
de nos lois. L’article 3 de la Convention des Nations Unies sur
les droits des enfants indique clairement que l’intérêt supérieur
de l’enfant doit être une considération de premier ordre pour toutes
les actions concernant les enfants et l’article 12 souligne qu’un
enfant capable de former sa propre opinion a le droit de l’exprimer librement.
52. Les enfants devraient être protégés contre une influence qui
pourrait être préjudiciable à leur développement. Cela inclut clairement
la distribution de documents d’une nature violente ou sexuellement explicite.
Cependant, les lois contre la «propagande homosexuelle» supposent
qu’empêcher les enfants de savoir que l’homosexualité existe leur
permettra d’avoir un développement moral, spirituel et psychologique sain.
Personnellement, je ne pense pas que le principe de l’intérêt supérieur
de l’enfant exige que de telles informations leur soient cachées.
Au contraire, la recherche médicale ayant montré que la plupart
des enfants commencent à ressentir des attirances sexuelles à un
moment ou un autre à la fin de l’enfance ou au début de l’adolescence,
il serait important pour l’équilibre de leur développement de savoir
qu’il existe différentes orientations sexuelles et que nul ne devrait
être stigmatisé pour ce motif. En effet, ces lois risquent de nuire
à ceux qu’elles devraient protéger: les jeunes, surtout les LGBT.
53. La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé un raisonnement
similaire dans l’affaire
Alekseyev c.
Russie en constatant en effet l’absence de preuves scientifiques
qui suggéreraient qu’un débat public ouvert sur les minorités sexuelles
nuirait aux enfants; elle a aussi constaté que les autorités russes n’avaient
«pu apporter aucune justification» à l’appui de la prétendue nécessité
de «soustraire les gays et les lesbiennes aux yeux du public». J’ai
récemment fait référence à cette jurisprudence dans une question
écrite au Comité des Ministres («Droits de l’enfant et liberté d’expression
pour les personnes LGBT en Russie»)
.
54. La recommandation adoptée en 2010 par le Comité des Ministres
souligne aussi qu’il est important de fournir des informations objectives
concernant l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans le
cadre éducatif. Son exposé des motifs rappelle que l’orientation
sexuelle est également un motif pour lequel la discrimination est
interdite selon le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies.
7.2.3. Répercussions sur la liberté
d’expression en général
55. Alors que l’interdiction de
la «propagande homosexuelle» porte d’abord atteinte à la liberté
d’expression des personnes LGBT, elle représente aussi un danger
qui va bien au-delà de sa première cible: tout journaliste ou auteur
qui rend compte des manifestations en faveur des droits des personnes
LGBT s’expose à des poursuites.
7.2.4. Climat d’hostilité
56. De plus, ce type de législation
témoigne d’un climat de préjugés et d’hostilité envers les personnes
LGBT et le renforce, ce qui pourrait se solder par une recrudescence
des violences à leur encontre et leur isolement du reste de la société.
Ce climat de préjugés et d’hostilité, bien que déjà présent dans
la société, est souvent alimenté par le discours incendiaire de
certains hommes politiques et autres personnes dépositaires d’une autorité.
Il est intéressant de rappeler, par exemple, que dans l’arrêt rendu
dans l’affaire
Alekseyev,
la Cour européenne des droits de l’homme s’est appuyée sur les opinions
exprimées par le maire et «le lien indéniable entre [ses] déclarations
et l’interdiction» pour étayer son opinion selon laquelle «la principale
raison de l’interdiction (...) était la désapprobation des autorités
à l’égard de manifestations dont elles considéraient qu’elles promouvaient
l’homosexualité»
.
57. A Kiev, il m’a été dit à plusieurs reprises qu’un changement
de mentalités était nécessaire afin d’assurer le respect des personnes
LGBT et leur inclusion dans la société en Ukraine, mais que cela
ne pouvait se produire en un jour. J’ai particulièrement apprécié
l’indication venant de Mme Hanna Herman, membre éminente du parlement
et conseillère du Président ukrainien, qui a suggéré que des campagnes
d’information et de sensibilisation devraient être menées dans le
pays sur le thème de la diversité et du respect des personnes LGBT.
Je ne peux que souscrire pleinement à sa proposition, en ajoutant
que le respect devrait être promu en relation avec toutes les catégories
et groupes sociaux. Je souhaite souligner que les dispositions légales
interdisant la «propagande homosexuelle» représenteraient un obstacle
majeur à cette évolution importante des mentalités.
8. Responsabilités publiques
58. Il incombe pour une large part
aux maires de garantir l’exercice de la liberté de réunion et d’expression sans
discrimination. Je suis donc particulièrement satisfait que le Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe ait nommé
un rapporteur sur les droits des personnes LGBT, Mme Yoomi Renström, Suède.
J’attends avec intérêt ses recommandations et l’encourage à jouer
un rôle actif dans la promotion des meilleures pratiques dans ce
domaine ainsi que d’une meilleure connaissance des normes du Conseil
de l’Europe auprès des collectivités locales.
59. Les pouvoirs publics ont non seulement une obligation légale
de garantir l’exercice de la liberté de réunion et d’expression
sans ingérence indue, mais aussi la responsabilité politique d’établir
des «relations d’échange et de confiance avec la communauté LGBT».
J’ai particulièrement apprécié ces mots, prononcés par Mme Calliope
Spanou, Médiatrice de la Grèce, à la conférence de Varsovie. Elle
a expliqué que, afin de contribuer à bâtir de telles relations,
le Bureau du Médiateur grec a participé à toutes les éditions annuelles
de la marche des fiertés à Athènes depuis 2007 et que c’était le
premier organe public en Grèce à le faire. J’invite les collectivités
locales et les agents publics à adopter ces bonnes pratiques.
60. Le rôle des hommes politiques ne se limite pas seulement à
garantir et promouvoir le respect de certains droits et libertés
spécifiques mais s’étend aux droits de l’homme en général. En tant
que législateurs, les parlementaires ont le devoir de veiller à
ce que les textes qu’ils proposent ou approuvent soient conformes
aux valeurs et aux normes des droits de l’homme. De plus, pour le
respect de ces valeurs et normes, ils ont le devoir de s’abstenir
de tous propos homophobes et la responsabilité de les condamner
publiquement. J’ai particulièrement apprécié que le Premier ministre
albanais, Sali Berisha, ait qualifié d’inacceptables les réflexions
négatives du vice-ministre de la Défense, Ekrem Spahiu.
61. Les responsables politiques LGBT devraient être visibles et
promouvoir ouvertement l’égalité et la non-discrimination, également
pour des motifs d’orientation sexuelle ou d’identité de genre. Cependant,
la protection des droits humains des personnes LGBT ne devrait pas
être la responsabilité exclusive des responsables politiques LGBT:
il s’agit d’une question de droits de l’homme qui devrait être une
source de préoccupation commune pour tous, y compris au-delà des
clivages politiques.
62. Au cours de la Conférence de Varsovie, la co-présidente de
l’Intergroupe sur les droits LGBT du Parlement européen, Mme Ulrike
Lunacek, a souligné le rôle important de ce forum en tant que groupe
de pression. L’Intergroupe compte actuellement 153 parlementaires,
qui s’attachent à faire progresser les droits LGBT dans le contexte
du processus législatif de l’Union européenne et adoptent des positions
communes sur les questions susceptibles d’avoir une incidence sur
les droits des personnes LGBT.
9. Discours de haine
63. Les atteintes à la liberté
d’expression des personnes LGBT ne sont pas rares, et ce groupe
n’est pas correctement protégé contre le discours de haine et l’incitation
à l’hostilité, à la violence et à la discrimination. L’absence d’une
protection satisfaisante s’explique également par les lacunes juridiques,
vu qu’il n’existe pas de définition universellement acceptée du
terme «discours de haine».
64. L’article 20, paragraphe 2, du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques (1966) dispose que «[t]out appel
à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation
à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit
par la loi.» La Convention européenne des droits de l’homme ne comporte pas
d’expression équivalente. Cependant, l’article 10 sur la liberté
d’expression n’établit pas un droit absolu. Des restrictions sont
possibles, notamment lorsque le discours ou d’autres expressions
incitent à la xénophobie, à l’antisémitisme ou à des comportements
similaires, étant donné qu’un tel discours est incompatible avec
les valeurs proclamées et garanties par la Convention
.
65. A ce jour, la Cour européenne des droits de l’homme n’a traité
qu’une seule affaire concernant spécifiquement le discours de haine
et l’orientation sexuelle. Dans l’affaire
Vejdeland
et autres c. Suède ,
les demandeurs avaient été condamnés pour avoir distribué dans une
école secondaire des tracts décrivant l’homosexualité comme un penchant
sexuel déviant, qui a un effet moralement destructeur sur les fondements de
la société et est responsable de la propagation du VIH-sida. La
Cour a estimé que de telles affirmations constituaient des allégations
graves et préjudiciables, mêmes si elles n’étaient pas un appel
direct à des actes haineux, et que la discrimination fondée sur
l’orientation sexuelle était aussi grave que la discrimination fondée sur
la race, l’origine ou la couleur. La Cour a conclu qu’il n’y avait
pas eu de violation de l’article 10, vu que l’ingérence dans l’exercice
du droit des demandeurs à la liberté d’expression avait été raisonnablement
jugée par les autorités suédoises comme nécessaire dans une société
démocratique pour la protection de la réputation et des droits d’autres
citoyens.
66. La Suède est un des rares pays qui intègrent explicitement
le discours homophobe à la notion de crime de haine. Au nombre des
autres pays figurent le Royaume-Uni, où la législation sur les crimes
de haine a été modifiée en 2010 pour intégrer l’homophobie. En janvier
2012, cinq hommes ont été arrêtés en vertu de ces dispositions pour
avoir distribué des tracts homophobes à caractère violent
. La même année, le Parlement maltais
a adopté à l’unanimité les modifications nécessaires au Code Pénal
pour punir plus sévèrement les infractions motivées par le genre,
l’identité de genre, l’orientation sexuelle, l’appartenance ethnique
et les convictions religieuses ou politiques
.
67. La Recommandation CM/Rec(2010)5 du Comité des Ministres et
la
Résolution 1728 (2010) de l’Assemblée invitent les Etats membres du Conseil
de l’Europe à prendre des mesures appropriées pour lutter contre
le discours de haine. Je pense qu’au-delà des campagnes de sensibilisation
et d’information, il serait important d’introduire une référence
claire à l’incitation à l’hostilité et à la violence contre les
personnes LGBT dans les lois nationales sur le discours de haine.
68. A ce propos, je souhaiterais rappeler que lors de la conférence
de Varsovie, Mme Barbora Bukovska, d’Article 19, a souligné que
si le discours de haine homophobe et transphobe devrait être sanctionné
par la loi, la sanction pénale ne devrait être envisagée qu’en dernier
recours.
69. S’agissant de l’Union européenne, depuis 2008, une décision-cadre
prévoit des peines spécifiques et plus sévères pour le discours
et le crime racistes et xénophobes. En mars 2013, le Parlement européen
a adopté une résolution sur l’intensification de la lutte contre
le racisme, la xénophobie et les crimes inspirés par la haine, dans
laquelle il a appelé la Commission européenne à ajouter l’homophobie
et la transphobie à la liste des discours de haine et violence passibles
de sanctions dans l’Union européenne
.
10. Prévention de la violence
homophobe et transphobe
70. Le harcèlement sur la base
de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle réelle ou supposée constitue
en Europe un problème sérieux, qui est aggravé par la sous-déclaration,
le défaut de statistiques précises et l’absence de stratégies de
prévention complètes.
71. Le 17 mai 2013, l’Agence des droits fondamentaux (FRA) de
l’Union européenne a publié l’étude la plus complète sur la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre en Europe.
Cette étude a été réalisée dans les 27 pays membres de l’Union et
en Croatie au cours de la période 2010-2012, sur la base des 93 000 réponses
reçues à un questionnaire en ligne. Voici un extrait de ses principales
observations:
Extraits de l’étude FRA LGBT 2012
Discours
de haine de la part de responsables politiques
|
En moyenne, pratiquement
la moitié des personnes qui ont répondu estiment que les propos
offensants à l’égard des personnes LGBT sont courants chez les responsables
politiques, cette proportion allant de 93 % des répondants en Lituanie à
9 % aux Pays-Bas.
|
Violences
ou menaces
|
58 % des personnes qui
ont répondu indiquent que la dernière menace ou agression physique/sexuelle
qu’elles ont subie dans les 12 mois précédant l’enquête était due exclusivement
ou en partie au fait qu’elles étaient perçues comme LGBT. De plus,
la moitié d’entre elles évitent certains lieux de peur d’être agressées,
menacées ou harcelées parce qu’elles sont LGBT.
Un
quart des répondants (26 %) déclarent qu’ils ont été physiquement
ou sexuellement agressés ou menacés pour une raison ou une autre,
à leur domicile ou ailleurs, au cours des cinq dernières années.
De plus, un sur dix (10 %) indique avoir été agressé ou menacé,
toute raison confondue, au cours des 12 mois précédant l’enquête.
Les
personnes dont le genre ne «correspond» pas au sexe qui leur a été
assigné à la naissance étaient deux fois plus nombreuses que celles
dont le genre est conforme aux attentes de la société à déclarer
qu’elles avaient subi des violences motivées par la haine au cours
de l’année précédant l’enquête.
Moins d’un cas sur
cinq d’incidents violents motivés par la haine survenu aux répondants
dans les 12 derniers mois (17 %) a été signalé à la police.
|
Dissimulation
de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre
|
La grande majorité des
répondants – 2 sur 3 (67 %) – indiquent qu’ils ont souvent ou toujours
caché leur identité LGBT à l’école. Seuls 4 % ont toujours été clairs
sur ce point lorsqu’ils étaient à l’école.
Environ
les deux tiers (63 %) ne révèlent pas leur orientation sexuelle
ou leur identité de genre à la plupart des personnes qui font partie
de leur entourage professionnel ou privé.
|
Discrimination
|
De tous les secteurs
de la vie sociale couverts par l’enquête, le monde du travail est celui
pour lequel les répondants indiquaient le plus souvent qu’ils s’étaient
sentis personnellement discriminés en raison de leur statut de personne
LGBT au cours de l’année précédant l’enquête. Une personne sur cinq
(19 %) qui avait un emploi au cours de l’année précédant l’enquête
a indiqué s’être sentie discriminée au travail parce qu’elle était
LGBT.
Il ressort régulièrement des réponses des personnes
transgenre que leur environnement est moins tolérant à leur égard
qu’à celui des personnes lesbiennes, gays et bisexuelles.
|
72. Je pense qu’il serait utile
que le Conseil de l’Europe travaille en contact étroit avec la FRA
et évalue la possibilité de collecter des données sur les 19 Etats
membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas couverts par l’étude
de la FRA, selon la même méthodologie, ce qui permettrait d’avoir
des données comparables pour tous les Etats membres du Conseil de
l’Europe.
73. Des études et des recherches supplémentaires sont réalisées
au niveau national. Ainsi, une étude menée en 2012 au Royaume-Uni
par l’ONG Stonewall, en coopération avec l’Université de Cambridge,
auprès de 1 600 élèves a montré que 55 % des jeunes personnes lesbiennes,
gays ou bisexuelles étaient victimes d’un harcèlement homophobe
à l’école. En outre, 96 % des élèves gays étaient la cible de remarques
et expressions homophobes
.
74. Dans une autre étude axée sur le monde du travail, intitulée
«Living together», Stonewall a constaté qu’entre 2007 et 2012, au
Royaume-Uni, 2,4 millions de personnes en âge de travailler ont
été les témoins de harcèlement homophobe verbal; et 800 000, les
témoins de harcèlement physique
.
75. Des études montrent que les jeunes personnes LGBT ont une
plus grande propension au suicide que l’ensemble de la population
du même âge: le risque serait entre trois et quatre fois supérieur.
Cette question a été étudiée en Norvège dès 2000: le «Programme
pour la prévention du suicide» du Comité norvégien pour la santé
(Statens Helsetilsyn) citait les
jeunes gays et lesbiennes parmi les groupes à risque élevé (aucune stratégie
spécifique n’a cependant été proposée pour réduire ce risque)
. Le taux de suicide chez les personnes
transgenres est particulièrement élevé.
76. Qu’elle soit directement liée au suicide ou non, la violence
homophobe et transphobe doit être combattue et la dimension LGBT
doit être intégrée aux stratégies anti-harcèlement mises en place actuellement
dans de nombreux pays d’Europe.
77. Stonewall travaille avec le secteur de l’enseignement au Royaume-Uni
depuis 2005, en étroite coopération avec les collectivités locales
et le gouvernement central et directement avec les écoles. Cette expérience
a permis de dégager quelques facteurs clés de réussite, que Mme Jasmine
O’Connor a mentionnés à la conférence de Varsovie, comme le fait
d’impliquer toutes les parties concernées dans les programmes, qu’il
s’agisse des enfants, élèves, enseignants ou autres membres du personnel
éducatif, la distribution de supports matériels et ressources de
formation adaptés, la formation du personnel scolaire à la réponse
à apporter à l’homophobie et à la transphobie, et à la manière d’y
réagir le cas échéant, l’intégration de la question de l’orientation
sexuelle dans les programmes, la valorisation de personnalités gays exemplaires,
l’implication des inspecteurs scolaires afin qu’ils prennent en
compte les mesures de prévention du harcèlement adoptées par les
écoles.
78. Comme l’a souligné Mme O’Connor, une approche concertée et
cohérente donne des résultats. Les écoles participant au programme
de Stonewall font état d’un recul du harcèlement homophobe: le pourcentage d’élèves
déclarant avoir fait l’objet de harcèlement (55 %) a baissé par
rapport aux 65 % de 2007; et deux fois plus d’élèves gays (50 %
contre 25 % en 2007) indiquent que leur école désapprouve l’homophobie.
11. Plans d’action/stratégies
79. Ces dernières années, certains
Etats membres du Conseil de l’Europe ont adopté des plans d’action/ stratégies
spécifiques visant à lutter contre la discrimination à l’égard des
personnes LGBT et contre l’homophobie et la transphobie.
80. En 2008, le Gouvernement norvégien a mis en œuvre un plan
d’action interministériel pour les personnes LGBT, qui a ensuite
été pris en compte pour l’élaboration d’autres plans
. En 2010, le gouvernement britannique
a publié sa Stratégie pour l’égalité, intitulée
«Building a Fairer Britain» («Construire une
Grande-Bretagne plus juste»), et a adopté deux plans d’action: l’un
sur la situation des personnes LGB (lesbiennes, gays et bisexuelles)
et l’autre pour la promotion de l’égalité des transgenres. Ces plans
d’actions prévoient des mesures qui visent à lutter contre la discrimination
envers les personnes LGBT en toute circonstance, de l’école au lieu
de travail, et à soutenir les familles LGBT et la société civile.
Le Gouvernement britannique s’est aussi engagé à promouvoir l’égalité
des personnes LGBT au-delà des frontières nationales et à veiller
à la mise en œuvre, au Royaume-Uni, de la Recommandation CM/Rec(2010)5
du Comité des Ministres sur des mesures visant à combattre la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre
. En janvier 2013, la Belgique a
introduit un plan d’action interfédéral sur la violence homophobe
et transphobe
.
81. L’Unité LGBT du Conseil de l’Europe coopère actuellement avec
les gouvernements de six Etats membres (Albanie, Italie, Lettonie,
Monténégro, Pologne et Serbie) pour soutenir leurs efforts visant
à développer des politiques intersectorielles efficaces sur des
thèmes LGBT, à renforcer les droits fondamentaux des personnes LGBT
et à lutter contre la discrimination sur la base de l’orientation
sexuelle et l’identité de genre. Dans quatre de ces Etats membres,
des plans d’action/stratégies ont été mis au point. Le projet, qui
est piloté par une unité spéciale en charge des questions LGBT,
s’étalera sur une durée totale de 28 mois, soit jusqu’à la fin de
2013.
82. J’ai préparé un tableau décrivant le plan d’action interministériel
qui a été lancé par la France en 2012. Il constitue, à mes yeux,
un modèle dont devraient s’inspirer les autres Etats membres du
Conseil de l’Europe
.
Points essentiels du plan d’action
de 2012 en France
Domaine
|
Objectifs/domaines
cibles
|
Mesures spécifiques
|
Violence
|
Amélioration de la collecte
de données
|
|
|
Amélioration du recueil
des plaintes.
|
S’assurer que les formulaires
utilisés par la police incluent des questions spécifiques sur les
motifs et leur relation avec l’orientation sexuelle ou l’identité
de genre de la victime (sachant que cela constitue une circonstance
aggravante dans le contexte des procédures judiciaires).
|
|
Formation des policiers,
autres membres des services répressifs et personnels de santé.
|
|
|
Lancement d’une campagne d’information
sur les droits des victimes de violence homophobe et transphobe.
|
|
|
Renforcement de l’efficacité
du droit pénal.
|
Attention spéciale aux
délits homophobes et transphobes en milieu pénitentiaire; préparation
d’outils d’enseignement et de formation destinés aux programmes
de «réhabilitation» pour les auteurs de tels délits; imposition
d’une «réhabilitation» obligatoire pour les auteurs de tels délits
en substitution à une peine d’emprisonnement.
|
Jeunesse
|
Réintroduction de l’éducation
sexuelle dans les écoles. Elle inclura des informations sur l’homosexualité.
|
|
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Amélioration de la surveillance
et de la prévention de la violence homophobe et transphobe à l’école.
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Mesures spéciales en
matière de prévention des suicides chez les jeunes LGBT; organisation
d’une campagne d’information dans les écoles.
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Renforcement de l’actuelle
Charte contre l’homophobie dans le sport, qui a déjà été signée
par l’ensemble des fédérations sportives françaises.
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Amorce, avec les principales
chaînes de télévision, d’une réflexion visant à identifier les moyens
par lesquels celles-ci contribueront à la lutte contre les préjugés
homophobes.
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Discriminations au quotidien
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Mesures relatives à la
discrimination homophobe au travail.
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Prise en considération
de l’homophobie par les inspecteurs du travail.
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Egalité pour les agents
de l’administration publique.
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Extension aux salariés
«pacsés» (c’est-à-dire ayant contracté un partenariat civil) des
droits à congés accordés aux salariés à l’occasion de la célébration
de leur mariage.
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Personnes âgées.
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Formation des personnels
de santé contre l’homophobie.
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Personnes transgenre.
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Simplification des procédures
administratives; la France soutiendra les efforts visant à obtenir
un retrait du «transsexualisme» de la liste des maladies mentales établie
par l’Organisation Mondiale de la Santé.
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Action internationale
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Parvenir à la dépénalisation
universelle de l’homosexualité.
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Garantie du plein respect
des droits de l’homme des personnes LGBT.
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Dans le contexte de la
reconnaissance du statut de réfugié des personnes LGBT qui sont
persécutées dans leur pays en raison de leur orientation sexuelle
et identité de genre.
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12. Droit à la vie familiale
83. Si divers problèmes peuvent
être soulevés en ce qui concerne la liberté d’expression et de réunion
et la protection contre l’homophobie et la transphobie, il convient
de souligner que des mesures importantes ont été prises dans plusieurs
pays membres du Conseil de l'Europe pour garantir que les personnes
LGBT ne soient pas l’objet de discriminations en ce qui concerne
leur droit de fonder une famille, que ce soit par l’institution
de nouvelles formes de partenariat reconnu ou par l’ouverture du
mariage civil aux couples de même sexe.
84. En novembre 2012, la Cour constitutionnelle espagnole a confirmé
la légalité du mariage homosexuel. Un recours dénonçant une atteinte
à la Constitution, au motif que cette dernière définirait le mariage uniquement
comme l'union entre un homme et une femme, avait été déposé quelques
mois après l’adoption de cette loi en 2005. La Cour a rejeté ce
recours par huit voix contre trois.
85. En juin 2012, le Danemark a remplacé sa législation sur le
partenariat civil par une nouvelle loi sur le mariage pour les personnes
du même sexe.
86. En France, un projet de loi sur le mariage et l’adoption par
des couples homosexuels a été approuvé par le parlement en 2013.
Des manifestations à grande échelle ont été organisées par les partisans
de cette proposition, mais aussi par ses détracteurs, ce qui met
en lumière que la société est très partagée sur ce sujet. Il importe
de rappeler que le mariage pour tous représentait un élément important
du programme politique qui a conduit à l’élection du Président Hollande.
87. A la suite d’une consultation publique sur la manière d’appliquer
le mariage civil aux couples de même sexe (dénommé aussi «mariage
égal») en Angleterre et au pays de Galles, le gouvernement conservateur
a proposé début 2013 un projet de loi, qui a été approuvé à une
large majorité par la Chambre des communes.
88. D’autres pays avancent aussi vers une reconnaissance des couples
de même sexe. Ainsi le Premier ministre de la Croatie, M. Zoran
Milanović, s’est-il exprimé à plusieurs occasions en faveur d’une
proposition de loi allant dans ce sens, notamment devant l’Assemblée
parlementaire. Récemment, le vice-Premier ministre irlandais a lui
aussi déclaré que le temps est venu pour son pays d’autoriser le
mariage des couples de même sexe
. En avril 2013, la convention constitutionnelle
irlandaise a soutenu des propositions en faveur du mariage entre
personnes de même sexe à une très forte majorité
.
89. Les familles LGBT de fait, y compris celles qui ont des enfants,
connaissent des situations difficiles lorsque le couple sur lequel
elles reposent n’est pas reconnu en droit, notamment en ce qui concerne
les droits de propriété, la séparation, les pensions alimentaires
et la succession. Au cours de la conférence de Varsovie, Mme Polina
Savchenko, Directrice par intérim d’une association locale de Saint-Pétersbourg,
a très bien expliqué comment le climat d’hostilité et de préjugés
contre les personnes LGBT expose également leurs enfants au risque
de stigmatisation, violence et violations des droits de l’homme.
90. Il convient, à mon avis, de trouver un consensus général sur
le principe que les enfants de parents LGBT ne devraient pas être
privés de leurs droits ou être victimes de discrimination en raison
de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de leurs parents.
Par ailleurs, je suis très satisfait du récent arrêt de la Cour européenne
des droits de l’homme, dans lequel elle a statué que l’impossibilité
d’accès à l’adoption co-parentale pour les couples homosexuels est
discriminatoire par rapport à la situation des couples hétérosexuels
non mariés
.
13. Efforts multilatéraux en
cours
91. Avant de conclure ce rapport,
je souhaiterais mentionner brièvement les activités que le Conseil
de l’Europe mène actuellement dans le domaine de la lutte contre
la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité
de genre, activités qui témoignent de l’engagement de l’Organisation
en faveur du respect des droits de l’homme pour tous.
- En octobre 2011, le Conseil
de l’Europe a créé une Unité en charge des questions LGBT au sein
de la Direction des droits de l’homme et de la lutte contre la discrimination.
Ses principaux objectifs sont de mettre en œuvre la Recommandation CM/Rec(2010)5
du Comité des Ministres sur des mesures visant à combattre la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, notamment
par le biais du projet LGBT, de faire accepter par tous cette lutte
à l’intérieur et à l’extérieur du Conseil de l’Europe et d’organiser
des manifestations et des activités relatives à la situation des
personnes LGBT en Europe.
- Une évaluation de la mise en œuvre de la Recommandation
CM/Rec(2010)5 a été adoptée en mars 2013 par le Comité directeur
pour les droits de l’homme (CDDH). Trente-neuf Etats membres ont répondu
à un questionnaire sur les progrès accomplis dans la mise en œuvre
de la recommandation. Le CDDH a formulé des recommandations au Comité
des Ministres en vue de nouvelles actions à mener par le Conseil
de l’Europe.
- La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI), l’organe du Conseil de l’Europe chargé du suivi des problèmes
de racisme, de xénophobie, d’antisémitisme, d’intolérance et de discrimination
fondée sur les origines ethniques, la nationalité, la couleur, la
religion et la langue dans les 47 Etats membres, a décidé de traiter
de la violence et du discours de haine homophobe et transphobe dans
les rapports sur les pays qu’elle publiera dans les cinq prochaines
années dans le cadre de son 5e cycle.
- Le 17 mai 2013, le Mouvement contre le discours de haine
– campagne de la jeunesse du Conseil de l’Europe pour les droits
de l’homme en ligne – a lancé sa première Journée d’action européenne
à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie. L’initiative
visait à combattre le discours de haine homophobe et transphobe
en ligne et à sensibiliser à ces questions.
92. L’attention accrue que le Conseil de l’Europe porte au problème
de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité
de genre va de pair avec la prise de conscience croissante, au niveau international,
de l’atteinte majeure aux droits de l’homme que constitue cette
discrimination et avec une volonté politique plus ferme de la combattre.
93. En 2011, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies
a examiné, pour la première fois, un rapport de la Haut-Commissaire,
Mme Navi Pillay, qui établissait l’existence de violations très
répandues des droits de l’homme à l’encontre des personnes LGBT
dans le monde, notamment des crimes de haine, la criminalisation
de l’homosexualité et la discrimination
.
94. En mars 2013, le Gouvernement français a organisé une conférence
sur les discriminations et les violences commises contre les personnes
LGBT en Europe et sur les moyens de les combattre
. Cette conférence s’inscrivait dans
un processus mondial de consultations mené sur plusieurs continents.
Une conférence mondiale synthétisant les principales conclusions
s’est tenue à Oslo les 15 et 16 avril 2013. Enfin, le 17 mai, Journée
internationale contre l’homophobie, le Gouvernement néerlandais
a organisé une grande manifestation sur la situation des personnes
LGBT, qui coïncidait avec le lancement de l’enquête de la FRA mentionnée
plus haut.
14. Conclusions
et recommandations
95. La vue d’ensemble des faits
nouveaux survenus dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
depuis l’adoption de la
Résolution 1728 (2010) par l’Assemblée est contrastée. Dans certains pays,
il y a eu des avancées notables et une volonté politique claire
d’agir contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et
l’identité de genre. Cela s’est traduit par l’introduction de plans
d’action et de stratégies pour promouvoir l’égalité et lutter contre
la discrimination, l’homophobie et la transphobie, par la reconnaissance
ou le renforcement des droits des personnes LGBT dans le domaine
de l’adoption, des partenariats civils et du mariage, ainsi que
par l’introduction de mesures plus énergiques contre le discours
et la violence homophobes et transphobes.
96. Cependant, dans le même temps, on assistait à un recul inquiétant
dans d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe en ce qui concerne
le respect de la liberté de réunion et d’expression, avec l’introduction de
lois et projets de loi sur l’interdiction de la «propagande homosexuelle».
A cet élément récent s’ajoutent des atteintes répétées au droit
d’organiser des manifestations pacifiques – en particulier les marches
des fiertés – et le défaut de protection satisfaisante des manifestants
par les autorités. Ce qui est également inquiétant dans ce contexte
est que certains hommes politiques et autres personnalités dépositaires
d’une autorité expriment leur hostilité vis-à-vis des personnes
LGBT en des termes tranchés et véhéments, tenant un type de discours à
la limite du discours de haine homophobe.
97. Dans ce rapport, j’ai tenté de souligner que la question de
la non-discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité
de genre évolue depuis plusieurs décennies. Dans les instruments
de droits de l’homme des Nations Unies et du Conseil de l’Europe,
cette question est en train d’émerger de la formule non limitative «ou
toute autre situation» pour devenir un motif explicite de discrimination
à part entière. Une évolution similaire prend forme au niveau national.
La société et la classe politique prennent de plus en plus conscience que
la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité
de genre est une question importante, un problème majeur de droits
de l’homme qui doit être traité de manière ouverte et urgente. Cela
étant, l’évolution de la société prend du temps.
98. Dans mon introduction, j’ai indiqué que la question de la
discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de
genre est un sujet de «controverse» entre les Etats membres du Conseil
de l’Europe. En réalité, la question se caractérise par une forte
dimension commune: tous les Etats membres du Conseil de l’Europe partagent
le même héritage de préjugés et d’hostilité à l’endroit des personnes
LGBT; et ils partagent les mêmes obligations en matière de droits
de l’homme, à savoir celles définies par la Convention européenne
des droits de l’homme. Ce qui pourrait, de prime abord, ressembler
à un clivage – entre certains Etats qui vont de l’avant et d’autres
qui sont à la traîne ou reculent – est en fait plutôt une différence
de rythme dans un processus historique.
99. Il incombe à l’Assemblée parlementaire, et au Conseil de l’Europe
dans son ensemble, d’accompagner ce processus et d’éviter que les
préjugés et l’hostilité contre les personnes LGBT soient légitimés
par le discours politique et cristallisés dans des législations
nationales.