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Rapport | Doc. 13292 | 23 août 2013

La lutte contre la discrimination des seniors sur le marché du travail

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Sahiba GAFAROVA, Azerbaïdjan, GDE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12947, Renvoi 3883 du 29 juin 2012. 2013 - Quatrième partie de session

Résumé

La discrimination fondée sur l’âge est l’une des formes de discrimination les plus répandues en Europe. Dans le contexte européen actuel de crise économique et de vieillissement de la population, les travailleurs(euses) seniors sont confronté(e)s à des difficultés accrues dans tous les aspects de l’emploi: ils continuent de faire face à des inégalités et à des stéréotypes.

Considérant que la discrimination fondée sur l’âge va de pair avec l’image négative du vieillissement dans la société, appelé «âgisme», il est primordial d’œuvrer à changer les mentalités en vue d’éliminer les stéréotypes et de construire une image positive et réaliste de tout âge de la vie.

Pour lutter contre la discrimination fondée sur l’âge, les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent introduire des dispositions juridiques efficaces visant à inclure l’âge en tant que critère de non-discrimination, et s’assurer de la mise en œuvre de la législation anti-discrimination. Ils doivent également mettre en place des mesures positives en faveur des seniors qui souhaitent intégrer ou réintégrer le marché du travail ainsi qu’en faveur des employé(e)s seniors, tout en prenant en considération la situation particulièrement vulnérable de certains groupes affectés par des discriminations multiples, en raison de leur âge mais aussi d’autres critères.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 25 juin
2013.

(open)
1. La discrimination fondée sur l’âge est l’une des formes de discrimination les plus répandues, avec toutefois d’importantes différences entre les Etats membres du Conseil de l’Europe dans la prise de conscience du problème et l’ampleur des actions pour la combattre. Dans le domaine de l’emploi, la discrimination des seniors se manifeste par des différences de traitement qui ne sont ni justifiées ni nécessaires, surtout dans l’accès à l’embauche et à la formation continue.
2. Dans le contexte européen actuel de crise économique et de vieillissement de la population, les travailleurs/euses seniors sont confronté(e)s à des difficultés accrues dans tous les aspects de l’emploi: ils continuent de faire face à des inégalités et à des stéréotypes, alors que la compétition est plus intense; dans plusieurs pays, l’âge de la retraite a été repoussé et, en même temps, nombre d’entre eux sont poussés vers la retraite anticipée.
3. L’Assemblée parlementaire estime nécessaire de mettre en place des dispositions juridiques efficaces pour lutter contre la discrimination fondée sur l’âge, ainsi qu’introduire des actions positives en faveur des seniors qui souhaitent intégrer ou réintégrer le marché du travail ainsi qu’en faveur des employé(e)s seniors. Dans ce contexte, l’Assemblée souligne que la position particulièrement vulnérable de certains groupes, affectés par des discriminations multiples en raison de leur âge mais aussi d’autres critères, devrait être prise en compte dans le cadre de toute mesure législative et politique introduite dans ce domaine.
4. En outre, à la discrimination fondée sur l’âge correspond une image négative du vieillissement dans la société, dit «âgisme». L’Assemblée considère comme primordial d’œuvrer à changer les mentalités en vue d’éliminer les stéréotypes et de construire une image positive et réaliste de tout âge de la vie.
5. Sur la base de ces considérations, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
5.1. à assurer que la législation nationale inclue l’âge en tant que critère de non-discrimination et tient compte de la discrimination multiple;
5.2. à veiller à la mise en œuvre effective de la législation anti-discrimination, y inclus par la mise en place de mécanismes de surveillance et d’un système d’incitations et de sanctions efficace le cas échéant;
5.3. à mettre en place des mesures positives en vue de faciliter l’accès à l’emploi des seniors, prenant en considération la situation de groupes particulièrement vulnérables;
5.4. à faciliter la réintégration sur le marché du travail des travailleurs/euses seniors ayant vécu de longues périodes de chômage ou d’arrêt de travail;
5.5. à développer l’accès à des formations continues pour les seniors en situation d’emploi ou de chômage afin de leur permettre d’actualiser leurs connaissances, de se perfectionner et de s’adapter aux nouvelles technologies et à leurs évolutions dans leur domaine professionnel;
5.6. à soutenir des campagnes d’information visant à faire évoluer les mentalités vis-à-vis du vieillissement et à sensibiliser davantage le public à la question de l’âgisme et ses implications dans la vie quotidienne;
5.7. à encourager les programmes de mentorat pour faciliter le dialogue entre les générations et multiplier les échanges d’expérience en vue d’éliminer les stéréotypes envers les seniors.

B. Exposé des motifs, par Mme Gafarova, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Ce rapport trouve son origine dans la proposition de résolution «La lutte contre la discrimination fondée sur l’âge sur le marché du travail» 
			(2) 
			Doc. 12947..
2. La discrimination fondée sur l’âge se caractérise par la différence de traitement et la négation de droits ou d’opportunités qui n’est pas justifiée par d’autres raisons. Cette forme de discrimination est devenue un concept sociologique: l’âgisme 
			(3) 
			Si le terme «âgisme»
faisait, lors de sa création (en 1969, aux Etats-Unis, par le gérontologue
Robert Butler), surtout référence aux discriminations touchant les
seniors, il est employé aujourd’hui quel que soit l’âge des personnes
qui en sont victimes. . Tout comme le racisme ou le sexisme, l’âgisme correspond au préjugé qu’un groupe possède envers d’autres groupes.
3. Dans un contexte de crise économique, l’accès au marché du travail est difficile pour tous. Les groupes discriminés sont les premiers touchés. D’ailleurs, parmi les manifestations les plus inquiétantes de l’âgisme contemporain, on retrouve les discriminations dans le domaine de l’emploi (trentenaires jugés «trop jeunes», quadragénaires jugés «trop vieux»!), de l’accès à la formation continue (plus difficile dès la quarantaine), ou encore de l’accès à certaines aides ou à certains soins.
4. Même si de nombreuses manifestations de l’âgisme touchent également les jeunes, ce rapport n’abordera pas la question de la discrimination à l’égard des jeunes sur le marché de l’emploi, laquelle a déjà été traitée par l’Assemblée parlementaire dans son rapport sur «La forte baisse du taux d’emploi des jeunes: inverser la tendance» 
			(4) 
			Résolution 1828 (2011) et Doc 12626, rapport de la commission des questions économiques
et du développement (rapporteure: Mme Marija Pejčinović-Burić);
et Doc. 12665, avis de la commission des questions sociales, de la
santé et de la famille (rapporteure: Mme Marietta Karamanli). . L’Assemblée considère que le chômage et le sous-emploi des jeunes sont principalement imputables à l’inadéquation entre les qualifications des jeunes et les besoins du marché du travail, à l’évolution rapide des conditions du marché du travail, aux mutations économiques structurelles et à l’érosion des dépenses publiques consacrées aux stratégies intégrées en faveur de l’emploi.
5. Mon rapport se concentre donc sur la question de la discrimination liée à l’âge envers les aînés sur le marché du travail. Dans le cadre de la préparation de ce rapport, la commission sur l’égalité et la non-discrimination a organisé une audition avec Mme Anne Sonnet 
			(5) 
			Mme Sonnet est analyste
principale de l’emploi et des politiques en faveur des jeunes et
des seniors à la Division de l’analyse et des politiques de l’emploi,
Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales, OCDE. de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le 25 avril 2013 à Strasbourg.

2. Evolution démographique et marché du travail

6. Notre société est multi-générationnelle et les tendances démographiques montrent qu’elle l’est de plus en plus. A l’heure actuelle, du fait du prolongement de la durée de vie, une importante partie de la population est à l’âge de la retraite et au-delà, et de fait, trois, quatre, voire cinq générations coexistent dans nos sociétés.
7. «Selon les projections, d’ici à 2050, le nombre de personnes de plus de 60 ans devrait tripler au niveau mondial, atteignant 2 milliards d’individus. L’Europe compte la plus forte proportion de personnes âgées et cela restera le cas pendant des décennies; d’ici à 2050, plus d’un tiers de la population européenne devrait avoir dépassé les 60 ans. Cette situation exigera des changements majeurs de politique et d’attitude vis-à-vis de l’âge» 
			(6) 
			Voir <a href='http://assembly.coe.int/ASP/Doc/XrefViewHTML.asp?FileId=12916&Language=FR'>Doc.
12817</a>, rapport de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées (rapporteure: Mme Nursuna Memecan).. A ce sujet, la Résolution 1864 (2012) «Tendances démographiques en Europe: transformer les défis en opportunités» 
			(7) 
			Ibid. donne de précieuses informations détaillées sur l’évolution démographique de l’Europe.
8. Par ailleurs, selon divers auteurs 
			(8) 
			Voir Avis sur l’âgisme
envers les aînés: état de la situation, Conseil des aînés du Québec,
mars 2010, <a href='http://www.conseil-des-aines.qc.ca/'>www.conseil-des-aines.qc.ca.</a>, l’avènement de la société industrielle a engendré d’importants changements ayant causé une diminution du statut et du rôle prestigieux des seniors. Les habiletés technologiques sont devenues beaucoup plus prisées que l’expérience, ce qui éloigne de plus en plus les aînés de leur statut traditionnel dans la société. De plus, la retraite obligatoire est survenue avec la révolution industrielle. Les travailleurs seniors étaient écartés de la chaîne de production sur la base de leur âge plutôt que sur la base de leurs compétences. Cela a eu des conséquences importantes pour la représentation sociale de la «vieillesse au 20e siècle, puisque les aînés étaient considérés comme moins compétents et productifs.
9. Le vieillissement démographique est un défi auquel toutes les régions européennes devront faire face. La problématique du sort des travailleurs seniors, jusqu’alors marginale, devient plus importante, et surtout s’inscrit dans une perspective différente. Il s’agit désormais de savoir comment conserver à l’intérieur des entreprises les compétences et le savoir-faire des travailleurs seniors: le maintien dans l’emploi des travailleurs de 55 ans ou plus et le retour au travail des jeunes retraités deviennent d’actualité.

En chiffres :

– d’ici à 2050 le nombre de personnes de plus de 60 ans devrait tripler au niveau mondial, atteignant 2 milliards d’individus ;

– l’Europe sera le seul continent dont le taux de croissance de la population sera négatif au cours des cinquante prochaines années;

– d’ici à la moitié de ce siècle, dans l’Union européenne il devrait y avoir 48 millions de personnes âgées de 15 à 64 ans de moins et 58 millions de personnes âgées de plus de 65 ans de plus 
			(9) 
			Démographie, vieillissement
actif et retraites, Guide de l’Europe sociale, Volume 3, Commission européenne
Direction générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion,
mai 2012.. Au cours des quelque trente prochaines années, la population active devrait diminuer au rythme de 1 million à 1,5 million de personnes par an. Parallèlement, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus devrait augmenter au rythme de 2 millions de personnes par an 
			(10) 
			Pour
une étude statistique approfondie de l’évolution de la démographie
et du marché du travail dans les pays de l’Union Européenne, voir
l’étude de Direction générale des politiques internes de l'Union, département
de la politique de l’emploi, «Combiner l’entrée des jeunes sur le
marché du travail avec le maintien des travailleurs âgés», avril
2013..

3. Discrimination sur le marché de l’emploi

3.1. Dimension

10. Dans son évaluation de la mise en œuvre des recommandations de 2011 en matière de lutte contre la discrimination fondée sur l’âge, l’OCDE relève que, même s’il n’existe aucune façon objective de mesurer la discrimination aux motifs de l’âge, les études montrent que, en 2010 et dans les 27 pays de l’Union européenne, entre 2% et 9 % des travailleurs de 50 ans et plus font état de discrimination liée à l’âge sur leur lieu de travail.
11. Les données divergent selon les pays: au Danemark et au Luxembourg, la discrimination a diminué cette dernière décennie, tandis qu’en Grèce et en Suède, elle s’est intensifiée. La discrimination à l’encontre des plus de 50 ans peut prendre diverses formes, par exemple le peu de réponses apportées à leurs demandes d’emploi, ou encore une offre moindre d’opportunités de formation.

3.2. Différence entre distinction fondée sur âge et discrimination

12. Il y a des situations où une distinction fondée sur l’âge est justifiée, parce qu’elle rencontre un objectif légitime et les moyens pour l’atteindre sont appropriés et nécessaires. C’est le cas lorsqu’on prévoit des mesures positives, telles que des facilitations pour l’accès à certains services or prestations. Aussi dans le contexte du marché du travail peut-il y avoir des cas dans lesquelles une distinction sur la base de l’âge est justifiée (par exemple, on cherche un/e jeune acteur/rice pour interpréter le rôle d’une/e jeune).
13. Ces cas, cependant, ne sont pas très fréquents. Par contre, en France, le baromètre établi par l’Observatoire des discriminations indique que l’âge est le premier facteur de discrimination dans l’emploi. Il importe davantage que l’origine ethnique, le sexe ou la présence d’un handicap chez les postulants à un emploi sans critère d’éligibilité propre à l’âge et c’est aussi le cas dans de nombreux pays.
14. L’âgisme dans le domaine de l’emploi se manifeste à travers les discours, les attitudes et les pratiques discriminatoires fondées sur l’âge. Ces manifestations, conscientes ou inconscientes, sont guidées par les divers stéréotypes associés aux travailleurs.
15. Les préjugés associés à une population vieillissante sont les suivants:
  • difficultés sur le plan physique: les travailleurs seniors sont considérés comme lents, nécessitant des périodes de repos et n’étant pas physiquement à la hauteur de leur travail;
  • difficultés sur le plan mental et cognitif, ce qui laisse croire que les travailleurs seniors ne gèrent pas bien les urgences, ne sont pas sûrs d’eux, font de nombreuses erreurs, peuvent difficilement se concentrer, prennent beaucoup de temps à effectuer des opérations nouvelles, sont mentalement incapables de suivre le rythme du travail, ont des compétences limitées et manquent de créativité ou de capacité d’innovation;
  • les travailleurs seniors ont davantage d’accidents et de maladies professionnelles et ils en sont plus longtemps affectés. Les travailleurs seniors sont également associés à des coûts supplémentaires, notamment des coûts d’assurance;
  • les travailleurs seniors sont trop vieux pour être formés ou ils ne désirent pas l’être, ils ont un taux d’absentéisme plus élevé, ils n’ont pas d’ambition et se contentent d’attendre l’âge de la retraite;
  • ils éprouvent des difficultés dans leurs rapports avec la jeunesse, ils sont résistants aux changements, etc.
16. Comme pour tout type de discrimination basé sur des préjugés, le danger réside dans la généralisation.
17. En réalité, aucune étude sociologique n’a pu trouver de lien entre la performance au travail et l’âge. Bien d’autres critères entrent en ligne de compte. Il n’y a pas d’âge charnière systématique et applicable à tous à partir duquel les capacités commencent à décroître: les capacités en fin de carrière varient d’un individu à l’autre et sont fortement liées aux conditions de travail caractérisant l’ensemble de la carrière passée. Pour rester performants, les travailleurs seniors mettent en place diverses stratégies basées sur leur expérience professionnelle.

3.3. La discrimination à l’embauche

18. La discrimination peut se produire à tous les stades d’une relation de travail. Toutefois, le marché du travail étant extrêmement compétitif, les seniors se retrouvent parmi la population active la plus discriminée au moment de l’embauche.
19. En fait, l’âge est le premier critère de recrutement (distinctif) inhérent à la personne qui est le moins avoué par les employeurs, après les caractéristiques extérieures du candidat (style vestimentaire, manière de parler, apparence physique générale).
20. L’argument utilisé par les employeurs pour justifier une distinction sur la base de l’âge au travail est la rentabilité économique. La rentabilité des travailleurs occupe une place centrale dans le marché du travail actuel et place les travailleurs seniors dans une catégorie à part. Quand ils se retrouvent à chercher un emploi, ils sont en concurrence à la fois avec les travailleurs plus jeunes et avec les préretraités ou même les retraités qui cherchent des emplois complémentaires (voir ci-dessous).

3.4. La discrimination dans l’accès à la formation continue

21. C’est également dans l’accès à la formation que les travailleurs les plus âgés se voient confrontés à une discrimination directe. En raison du rythme de changement rapide de l’économie contemporaine, les travailleurs doivent posséder des compétences poussées et les faire évoluer au même rythme pour rester performants. Une façon de répondre à cette exigence est la formation des travailleurs. Or, du fait de l’évolution des connaissances et des technologies, les travailleurs seniors possèdent généralement moins de qualifications dans les technologies de pointe que les plus jeunes. De fait, ils sont souvent plus vulnérables à l’exclusion du marché du travail et se retrouvent touchés par les premières vagues de licenciement car les employeurs considèrent souvent qu’il n’est pas rentable de former quelqu’un qui part bientôt à la retraite. Pourtant, les études ont démontré que la formation augmentait la productivité, peu importe l’âge du travailleur.
22. Par ailleurs, il faut reconnaître qu’en fin de carrière, certains travailleurs peuvent être plus réticents à se perfectionner ou à s’adapter à de nouvelles technologies, prétextant une fin de carrière imminente. Ces travailleurs seniors sont eux-mêmes acteurs des préjugés et intègrent dans leur comportement l'idée qu'il est trop tard pour apprendre.
23. Je suis convaincue que s'ils désirent recevoir une formation, les travailleurs plus âgés doivent avoir la possibilité de continuer d’apprendre tout au long de leur vie pour des raisons professionnelles, pour leur épanouissement personnel et pour leur permettre de continuer de participer à la vie de la société de façon productive. C'est à ce prix que le vieillissement de la population est un atout et non un fardeau social.

3.5. Licenciements et retraite anticipée

24. Le visage de la retraite a bien changé depuis les dernières décennies et il continuera de changer avec l’arrivée à l’âge de la retraite de l’imposante génération des baby-boomers. Sur ce sujet, je renvoie le lecteur au rapport sur «Des pensions de retraites décentes pour tous» et à la Résolution 1882 (2012) 
			(11) 
			Voir Doc. 12896, rapport de la commission des questions sociales, de
la santé et du développement durable (rapporteur: M. Denis Jacquat)..
25. C’est pour diminuer les masses salariales et la pression sur l’emploi dans un contexte économique spécifique que les gouvernements et les entreprises ont réagi en mettant sur pied des programmes accélérant le retrait des salariés vieillissants de la population active. Cependant, les mesures incitant à une sortie anticipée et la mise en place de parachutes dorés ont des conséquences collectives. Ces pratiques sous-estiment les effets négatifs de la réduction globale de la main d’œuvre active.
26. On retrouve dans ces politiques l’empreinte des préjugés défavorables aux seniors en général et à la main d’œuvre vieillissante. Le fait est que, aujourd'hui, le vieillissement de la population est souvent perçu comme un fardeau social.
27. Même si ces retraites anticipées sont parfois dotées de compensations financières, elles peuvent cacher en réalité du chômage déguisé. Il n’est pas rare d’entendre dire qu’un travailleur senior devrait récolter les fruits de son travail acharné et profiter d’une retraite bien méritée. La retraite anticipée peut ainsi sembler anodine et même bien intentionnée, mais elle peut s’avérer un dictat pour ceux qui souhaitent ou ont besoin de continuer à travailler.
28. De fait, la retraite anticipée est de moins en moins une question de choix et résulte de plus en plus de pressions. Les préretraites permettent aussi aux entreprises de rajeunir leur main-d’œuvre en se séparant de leurs employés vieillissants, jugés improductifs. Beaucoup d’employeurs veulent se défaire des travailleurs seniors, particulièrement lorsqu’ils sont syndiqués, car ils nécessitent des salaires plus élevés que les plus jeunes et les employés non syndiqués qui ne sont pas forcément en mesure de faire valoir leurs droits.
29. Les travailleurs seniors vivent souvent de longues périodes de chômage après avoir été congédiés. Les travailleurs ayant plus de 45 ans restent plus longtemps au chômage que les plus jeunes. Ceux qui ont moins de diplômes et ont travaillé toute leur vie dans un secteur aujourd’hui en déclin ou exposé à une forte concurrence internationale risquent particulièrement de se retrouver en situation d’emploi précaire ou disqualifié, ou encore en cessation permanente d’activité.
30. Lorsqu’ils retrouvent un travail, leur salaire est souvent inférieur à celui qu’ils avaient auparavant. De plus, ils risquent davantage de se décourager après un licenciement et de ne plus chercher d’emploi. La perte d’un emploi peut, à tout âge, entraîner des problèmes comme la pauvreté, la diminution de l’estime de soi, un sentiment d’insécurité, l’ennui et l’isolement, qui peuvent avoir des répercussions sur la santé physique et mentale.
31. Les travailleurs âgés de 55 ans ou plus peuvent aussi se retrouver en situation de concurrence avec des retraités qui souhaitent augmenter leurs revenus de retraite, mais qui peuvent se contenter d’un salaire réduit, étant donné qu’ils reçoivent déjà une rente. De fait, plusieurs retraités réalisent, après un départ anticipé à la retraite, que les prestations versées sont insuffisantes pour survivre sans sombrer dans la pauvreté. Du fait de la crise sévère actuelle, il arrive également que les retraités reprenant une activité professionnelle pour compléter une retraite trop maigre, se voient couper une part de leur retraite ou plus lourdement imposer sur leur activité complémentaire. Ces formes de discriminations sont exacerbées sur un marché du travail si tendu.
32. Dans cette Europe vieillissante où l'espérance de vie s'allonge, l'objectif doit donc être d'assurer un meilleur équilibre entre la durée de la vie professionnelle et la durée des retraites. La Commission européenne, dans son livre blanc sur les retraites de février 2012, préconise pour ce faire d'encourager les populations des Etats membres à rester plus longtemps en activité et donc de repousser l'âge légal de départ en retraite. Les solutions et les bornes d'âge ne peuvent toutefois pas être les mêmes pour tous les Etats, en raison notamment de démographies différentes.

3.6. Les discriminations multiples envers les femmes plus âgées

33. En Europe, l’espérance de vie est de 76 ans pour les hommes et 82 ans pour les femmes. Cette différence est un facteur discriminant qui doit être pris en compte lorsque l’on traite de la question du vieillissement de la population. Cela dit, il semble que l’écart entre l’espérance de vie des femmes et des hommes tende à diminuer, notamment du fait de modes de vie de plus en plus similaires. De plus, l’écart entre l’espérance de vie en bonne santé des populations masculine et féminine est moindre que celui de l’espérance de vie dans l’absolu. L’écart entre l’espérance de vie en bonne santé des hommes et des femmes est aujourd’hui inférieur à un an.
34. La double discrimination dont sont souvent victimes les femmes d’un certain âge dans nos sociétés repose d’une part sur le fait que les femmes sont l’objet de discrimination fondée sur l’âge et d’autre part sur leur sexe. De fait:
  • les femmes âgées sont plus touchées par la pauvreté, du fait notamment de la constitution des retraites inférieures à celles des hommes. Le niveau moins élevé des pensions est en général lié au niveau des salaires lui-même globalement inférieur à celui des hommes;
  • les différentes fonctions de soins traditionnellement assurées par les femmes tout au long de leur vie active (comme le congé maternité, la garde des enfants ou le rôle d’aide auprès de personnes âgées) placent davantage les femmes dans des situations de discontinuité du travail, ce qui a un impact sur leurs retraites;
  • par conséquent, les femmes deviennent plus fréquemment dépendantes que les hommes des services publics et privés ainsi que des services de santé publique que ce soit en qualité d’aidantes ou de bénéficiaires de ces soins. Ceci les place en position difficile si de tels services n’existent pas ou sont défaillants;
  • les migrantes d’un certain âge sont victime de discriminations multiples du fait de la discrimination fondée sur l’âge, sur leur sexe et sur leur pays d’origine.

4. Les instruments internationaux de lutte contre la discrimination fondée sur l’âge

35. Le cadre de référence au niveau international reste la Recommandation du Bureau International du Travail (BIT) n° 162 de 1980 
			(12) 
			<a href='http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:12100:0::NO::P12100_ILO_CODE:R162'> www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:12100:0::NO::P12100_ILO_CODE:R162
.</a>, qui présente des recommandations précises pour les Etats pour le développement de leurs politiques nationales et législation. La Recommandation n° 162 ne définit pas les «travailleurs âgés» en tant que tels mais elle recommande que «les problèmes des travailleurs âgés devraient être traités dans le contexte d'une stratégie globale et équilibrée de plein emploi et, au niveau de l'entreprise, d'une politique sociale globale et équilibrée, en tenant dûment compte de tous les groupes de la population et en assurant par-là que les problèmes de l'emploi ne seront pas reportés d'un groupe sur un autre».
36. Au niveau de l’Union européenne, c’est dans les articles 10 et 19 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qu’il faut chercher la référence à la discrimination fondée sur l’âge sur le marché du travail. Cet article donne pouvoir à l’Union européenne pour lutter contre la discrimination basée sur six critères, y compris l’âge. Et c’est la Directive 2000/78/EC du Conseil de l’Union européenne qui établit un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail et l’âge comme un critère de discrimination. Cette directive interdit la discrimination directe et indirecte (y compris le harcèlement et tout comportement à enjoindre quelqu’un à pratiquer une discrimination) et prévoit les recours légaux nationaux en cas de discrimination. Dans le souci d’équilibrer la situation des employeurs, elle introduit la notion de «discrimination objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle».
37. Même s’il s’avère impossible de définir un cadre législatif unique et adapté à toutes les situations, certains paramètres peuvent être établis 
			(13) 
			Voir
le rapport du BIT, Conditions de travail et emploi, série n° 20,
«Discrimination fondée sur l’âge et travailleurs âgés: théorie et
législation dans un contexte comparatif»: 
			(13) 
			<a href='http://www.ilo.org/travail/whatwedo/publications/WCMS_TRAVAIL_PUB_19/lang--en/index.htm'>www.ilo.org/travail/whatwedo/publications/WCMS_TRAVAIL_PUB_19/lang--en/index.htm</a> (anglais seulement). . Pour lutter concrètement contre la discrimination des seniors sur le marché du travail, les législations nationales peuvent notamment pourvoir:
  • à l’employabilité des travailleurs seniors: la limitation ou l’interdiction de l’accès au marché du travail aux travailleurs plus âgées doivent être clairement définies comme discriminatoire et interdite;
  • à la protection de l’emploi: un travailleur senior doit se voir garanti de ne pas être renvoyé en raison de son âge et ses conditions de travail, de progression et de développement de carrière ne doivent pas être limitées de par son âge;
  • à des mesures de prévention de la discrimination fondée sur l’âge;
  • à définir les responsabilités de tous les acteurs concernés sur le lieu de travail.

5. Vers une action positive pour la protection des groupes discriminés

38. L’article 7 de la Directive 2000/78/EC prévoit que les Etats peuvent maintenir des mesures spécifiques pour compenser ou prévenir un désavantage, ce qui signifie que l’utilisation proportionnée des distinctions d’âge pour compenser un désavantage peut être considéré comme objectivement justifiée, comme une forme de discrimination positive. Aussi, la promotion de l’insertion professionnelle et la protection des groupes vulnérables constituent-ils un objectif légitime.
39. Les Etats membres de l’Union européenne ont commencé à transposer la directive dans les législations nationales 
			(14) 
			Voir «La discrimination
fondée sur l’âge et le droit européen», Colm O’Cinneide, Droits
fondamentaux et anti-discrimination, Commission européenne, Direction
générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’égalité des
chances, Unité D3, avril 2005: 
			(14) 
			<a href='http://www.non-discrimination.net/content/media/Age discrimination and European Law_fr.pdf'>www.non-discrimination.net/content/media/Age%20discrimination%20and%20European%20Law_fr.pdf.</a>. Certains Etats ont mis en place des mesures spécifiques en matière d’emploi destinées à intégrer les groupes particuliers dans la population active.
40. Les Etats peuvent également prévoir une protection spéciale pour les travailleurs plus âgés dans les décisions de licenciement. En Slovénie, par exemple, l’article 100 de la loi sur les droits relatifs à l’emploi fixe les critères de décision de licenciement et l’âge est l’un des facteurs que les employeurs sont obligés de prendre en compte à cet égard. Cette disposition est considérée comme un exemple d’action positive dans la mesure où les travailleurs seniors ont moins de chance de trouver un nouvel emploi. Aux Pays-Bas, des indemnités de licenciement plus importantes sont également proposées aux travailleurs seniors, comme au Royaume-Uni et dans bon nombre d’autres Etats de l’Union européenne.
41. En termes d’action positive, il faut toutefois garder à l’esprit les effets mitigés que peuvent apporter de telles mesures. Ainsi, l’introduction d’une protection spéciale à certaines catégories peut amener certains employeurs à tenter d’inciter les travailleurs à partir à la retraite en les soumettant à un mauvais traitement. C’est pourquoi, au-delà des mesures législatives indispensables pour la protection des groupes vulnérables, des mesures visant à faire évoluer les mentalités des employeurs et des employés doivent être envisagées simultanément.

6. Programmes de mentorat

42. Au-delà des mesures législatives indispensables à la lutte contre la discrimination fondée sur l’âge, le dialogue et le partenariat entre tous les acteurs concernés doivent être promus si l’on veut combattre les stéréotypes et changer profondément les mentalités.
43. A cet égard, les programmes de mentorat représentent une pratique très intéressante dans la lutte contre la discrimination fondée sur l’âge. Le mentorat est une relation d’accompagnement à long terme, sur la base du volontariat, entre un «mentor», professionnel expérimenté, et un «protégé», professionnel plus jeune à potentiel, pour transmettre son expérience, le savoir-faire et partager son réseau professionnel.
44. A condition d’être élaborés et mis en œuvre avec méthode, les programmes de mentorat sont des outils de gestion de carrière et de personnel qui permettent de valoriser à la fois le mentor et le mentoré. Ainsi, le mentor:
  • gagne en enthousiasme et en motivation pour son rôle d’expert;
  • acquiert une meilleure compréhension des freins rencontrés au niveau inférieur de l’organisation;
  • développe des compétences en matière de coaching, conseil, écoute et modèle de référence;
  • développe et met en œuvre un leadership plus personnel:
  • valorise son expertise et partage ses connaissances;
  • augmente la conscience générationnelle et la solidarité intergénérationnelle.
45. Le mentoré de son côté:
  • est encadré dans son entrée dans la vie professionnelle;
  • accède plus rapidement à l’expertise et au savoir-faire de l’entreprise;
  • apprend à transformer ses idées ou stratégies en actions dans un espace sûr;
  • est soutenu dans sa prise d’initiative et sa recherche d’idées;
  • développe ses perspectives de carrière et son réseau au sein de l’entreprise;
  • augmente également la conscience générationnelle et la solidarité intergénérationnelle.
46. Qu’il soit plus ou moins long, en groupe ou individuel, le mentorat présente l’énorme avantage de valoriser les compétences et les atouts du plus jeune et du plus âgé, faisant de la différence générationnelle une force au service de l’entreprise et de ses employés.
47. Je suis convaincue que ce type de programme doit être encouragé pour changer les mentalités et lutter contre les stéréotypes qui sont à la base de la discrimination fondée sur l’âge tout en faisant la promotion de la solidarité intergénérationnelle.

7. Conclusions

48. Le vieillissement démographique est un défi auquel tous les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent faire face. Les disparités entre les pays imposent de prendre des mesures adaptées à chaque situation mais quoiqu’il en soit, tous les pays doivent s’occuper du potentiel des travailleurs plus âgés.
49. Les travailleurs plus âgés vont inévitablement devoir rester au travail plus longtemps compte tenu des changements démographiques et du contexte économique: cela implique une adaptation des mentalités et un soutien au début, pendant mais aussi en fin de carrière.
50. A l’heure actuelle, l’âgisme dans le milieu de travail se manifeste à travers les discours, les attitudes et les pratiques discriminatoires fondées sur l’âge. Ces manifestations, conscientes ou inconscientes, sont guidées par les divers stéréotypes associés aux travailleurs seniors. Il est urgent de reconnaître ce phénomène et de lui faire face, en mettant en place des mécanismes juridiques efficaces de lutte contre la discrimination ainsi que des mesures positives facilitant l’accès au marché du travail et à la formation pour les travailleurs plus âgés.
51. Le dialogue et le partenariat doivent être au cœur d’une politique efficace intégrant une coordination entre tous les acteurs, y compris les travailleurs seniors et le grand public. Cette politique implique de prendre à la fois des mesures incitant les employeurs à traiter les travailleurs seniors sans discrimination et des mesures visant à soutenir directement les travailleurs seniors dans leur accès au marché du travail, à supprimer les obstacles à cet accès et en veillant à leur développement professionnel.
52. Il est tout aussi important et nécessaire d’œuvrer à changer les mentalités en vue d’éliminer les stéréotypes envers les personnes plus âgées et de construire une image réaliste et valorisante des travailleurs seniors.