1. Introduction:
la problématique énergétique et l’apport de l’Europe à «l’avenir
que nous voulons»
1. L’approvisionnement énergétique est au cœur du développement
durable et de la qualité de vie. La manière dont nous produisons,
distribuons, partageons et utilisons l’énergie a de multiples incidences
sociales, économiques, politiques et environnementales, qui ont
toutes d’étroites répercussions les unes sur les autres et déterminent
si notre développement «répond aux besoins du présent sans compromettre
la capacité des générations futures à répondre aux leurs»
. L’année 2012 – déclarée
par les Nations Unies «Année internationale de l’énergie durable
pour tous» et marquée par la déclaration historique intitulée «L’avenir
que nous voulons», adoptée au Sommet de Rio sur le développement
durable (Rio+20) – a placé les questions énergétiques au centre
des politiques de développement équilibré.
2. L’Assemblée parlementaire a insisté à de multiples reprises
sur l’importance de la coopération énergétique dans toute l’Europe,
y compris pour ce qui est de la diversification en tant qu’intérêt
stratégique majeur. Elle l’a encore réaffirmé plus récemment, à
la lumière des engagements environnementaux ambitieux souscrits
par l’Europe dans le cadre du Protocole de Kyoto. La persistance
de la crise économique a quelque peu affaibli l’enthousiasme ou
la capacité de nombreux pays européens à tenir le rythme de la réduction
des émissions de gaz à effet de serre, de plus en plus perçue comme
un handicap compétitif à l’échelle mondiale. La crise a aussi accentué
la précarité socio-économique de nombreux Européens, qui voient
leur facture énergétique augmenter alors que leurs revenus diminuent
et sont donc moins pressés de payer plus pour soutenir le développement
de sources d’énergie renouvelables.
3. Parallèlement, les pays de l’Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE) ont élaboré une Stratégie de
croissance verte qui fait explicitement siennes les réflexions récentes
sur le passage à un modèle de développement plus vert et les nouvelles
approches d’un avenir durable sur le plan énergétique. Cette stratégie
découle de la prise de conscience de l’augmentation inexorable de
la demande mondiale d’énergie, elle-même alimentée par une croissance
démographique rapide et l’évolution des besoins des consommateurs,
compte tenu de la prospérité qui exige toujours plus d’énergie,
et une énergie plus diversifiée.
4. De son côté, l’Union européenne a résolu d’atteindre d’ici
à 2020 trois objectifs en matière de climat et d’énergie: réduire
ses émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport au niveau
de 1990; couvrir 20 % de ses besoins énergétiques à partir de sources
renouvelables; et, enfin, de diminuer sa consommation d’énergie
de 20 % par une meilleure efficacité énergétique. Dans sa feuille
de route pour l’énergie à l’horizon 2050, adoptée en 2011, l’Union
européenne s’engage à encore réduire les émissions de 80 % à 95 %
en dessous des niveaux de 1990. De fait, comme environ deux tiers
des émissions de gaz à effet de serre dans le monde (et quelque
80 % dans les pays développés) proviennent du secteur de l’énergie
– principalement de l’utilisation d’énergies fossiles –, des changements
radicaux s’imposent pour inverser la tendance et pour arrêter la
surchauffe de notre planète. Le défi d’une énergie propre s’inscrit
donc dans une évolution plus large vers une économie verte où les
activités de l’homme laisseront une empreinte écologique bien moindre.
5. Dans ce contexte, l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima,
en 2011, a eu de profondes répercussions sur les stratégies et le
mix énergétique en Europe pour l’avenir. Alors que les perspectives mondiales
d’expansion de l’industrie nucléaire semblaient s’éclaircir avant
cet accident, notamment en raison des efforts entrepris pour atténuer
le changement climatique, elles semblent aujourd’hui plus incertaines,
voire fort négatives dans certains pays (dont le mien). Il en résulte
une pression accrue en vue d’une meilleure exploitation du potentiel
des sources d’énergie alternatives, qui ne doit pas pour autant
pénaliser le développement.
6. Ce rapport prend donc en compte plusieurs propositions déposées
par des membres des anciennes commissions des questions économiques
et de l’environnement («La diversification de l’énergie, un intérêt économique
commun à toute l’Europe»,
Doc.12514; «Investir dans un modèle économique à faibles émissions de
carbone pour la croissance et le développement»,
Doc. 12495; «L’éolien offshore: une opportunité économique et écologique
pour l’Europe»,
Doc.
12552; et «Pour une nouvelle stratégie énergétique en Europe»,
Doc.12600). Il s’appuie sur les contributions d’experts
et présente une synthèse transsectorielle
de la problématique de la diversification énergétique dans le contexte
de l’engagement européen en faveur du développement durable. Il
formule ensuite des propositions d’actions adressées aux Etats membres
du Conseil de l’Europe et à leurs partenaires institutionnels au
niveau international.
7. Outre les informations recueillies par moi-même, la commission
a tenu un échange de vues sur le lien énergie/environnement avec
le président de la Fondation Vernadsky
au
cours de sa réunion qui a lieu à Moscou (Fédération de Russie) le
20 novembre 2012. Une audition a également été tenue à l’occasion
de sa réunion à Berlin (Allemagne), le 15 mars 2013, à laquelle
ont participé des représentants de l’Agence internationale de l’énergie
(AIE) et des experts allemands
.
2. Le défi
énergétique de l’Europe pour un développement plus écologique, plus
intelligent et plus équilibré
2.1. Garantir une croissance
et une compétitivité efficientes sur le plan énergétique
8. Le développement humain et économique de ces 150 dernières
années a rendu le monde esclave de la consommation d’énergie. Celle-ci
augmente au taux régulier moyen de 2,3 % par an pour tous les types
de sources d’énergie primaire. L’AIE estime que la demande mondiale
en énergie primaire pourrait encore s’accroître de plus de 30 %
d’ici à 2035, l’approvisionnement énergétique autrefois destiné
à l’Europe étant progressivement redirigé vers les pays en développement.
La hausse prévue de la consommation d’électricité (de 20 % aujourd’hui
à 40 % en 2050) pèsera lourdement dans la balance pour les pays
européens.
9. Ces projections ne sont pas nécessairement de mauvais augure
pour l’Europe, qui ambitionne une croissance plus verte et éco-énergétique.
Il est cependant évident d’un point de vue stratégique qu’il nous
faut réduire notre consommation et nos coûts énergétiques tout en
préservant notre capacité de développement, en garantissant l’emploi
et l’approvisionnement en énergie, et en stimulant la compétitivité
dans un contexte mondial. Comme l’a déclaré le Commissaire européen
à l’Energie, «Une utilisation plus efficace de l’énergie est essentielle
pour débloquer de vastes avantages économiques et environnementaux,
ainsi que pour réduire la facture énergétique annuelle de l’Europe
d’environ 200 milliards d’euros. Il pourrait également en résulter
la création de deux millions d’emplois d’ici 2020 (…) et la sécurité
accrue de notre approvisionnement énergétique
».
10. L’Europe dispose de sources d’énergie variées – qu’elles soient
nationales ou importées. Elle utilise essentiellement des combustibles
fossiles (pétrole, gaz, charbon), l’énergie nucléaire et des énergies renouvelables
(hydraulique, éolienne, solaire, géothermique, de biomasse et marémotrice),
les bouquets énergétiques variant d’un pays à l’autre. L’utilisation
du pétrole est largement dominante dans le secteur des transports
(qui représente 70 % de la consommation de pétrole). Cette énergie
reste difficile à remplacer faute d’investissements conséquents
pour multiplier les véhicules électriques.
11. Jusqu’à 50 % de l’énergie consommée dans les pays industrialisés
sont utilisés pour le chauffage et le refroidissement, dans l’industrie
comme dans les ménages: c’est un domaine clé où il importe de réaliser
des économies d’énergie, notamment grâce à la diversification des
sources, des technologies et des modes de consommation. Ce défi
est particulièrement difficile à relever dans plusieurs pays de
l’Europe de l’Est, région dans laquelle les systèmes de chauffage
urbains centralisés gaspillent beaucoup d’énergie. D’énormes possibilités
s’ouvrent à nous grâce à l’utilisation de matériaux de construction
modernes (pour des bâtiments «passifs»), une meilleure isolation
(rénovation massive de constructions anciennes et infrastructures
de transmission thermique), la production d’énergie locale (afin
de réduire les pertes énergétiques dans les réseaux de transmission
et d’optimiser les coûts) et aux appareils électroménagers, installations
industrielles et véhicules économes en énergie.
12. La consommation en électricité ayant jusqu’à présent progressé
de pair avec la production industrielle, le bien-être économique,
le niveau de vie et les besoins nouveaux (dus en particulier à des
technologies de l’information avides d’énergie), les besoins en
électricité ne cessent de croître. En Europe, toutes les sources d’énergie
primaire sont utilisées pour produire de l’électricité et une place
de plus en plus importante est accordée au gaz naturel et aux sources
d’énergie renouvelables. Pourtant, la déperdition de l’énergie primaire pendant
la transformation continue d’avoisiner 60 % sous forme de chaleur.
Il faut donc davantage investir dans la production combinée (produire
de l’électricité et récupérer de la chaleur) et poursuivre les recherches sur
les technologies de tri-génération (consistant à générer de l’électricité,
de la chaleur et du froid).
13. Le développement des énergies renouvelables est souvent inégal
d’un pays européen à l’autre et nécessite des efforts redoublés
pour compenser des inconvénients tels que l’intermittence et le
besoin occasionnel d’une capacité de réserve, un prix relativement
élevé (par rapport à des sources énergétiques plus conventionnelles)
et des difficultés de gestion des réseaux de transmission lors des
pics de production excédentaire.
2.2. Intégrer les ambitions
environnementales
14. L’appétit de l’Europe en énergie n’est pas sans conséquence
pour l’environnement. Il est prouvé que la production et la consommation
énergétiques augmentent la pollution de l’air et de l’eau, les émissions
de gaz à effet de serre
, les risques
pour la biodiversité et la raréfaction des ressources naturelles,
avec des répercussions toxiques à long terme sur la santé humaine
et
les habitats naturels
, ainsi que des effets boomerang
sur les acteurs économiques, lorsque le principe du «pollueur-payeur»
est pleinement appliqué
. Pourtant,
l’Europe a été l’une des premières à sonner l’alarme face à un mode
de développement non durable, en soulignant qu’il n’existait pas
de «planète B» susceptible d’accueillir la vie humaine et en préconisant
une voie de développement plus équilibrée, qui privilégie la qualité
et respecte la nature. L’Europe s’est faite l’ardente avocate de
la réduction des émissions au titre de la convention-cadre des Nations
unies sur les changements climatiques (CCNUCC), du protocole de
Kyoto et du processus post-Kyoto.
15. Bien que l’objectif d’un développement propre soit louable,
il faut prendre soin d’éviter les décisions politiques hâtives ou
contre-productives aux conséquences indésirables, comme dans le
cas de la production de biocarburants, pour laquelle les visées
étaient trop ambitieuses. Cette production est rapidement entrée
en compétition avec les cultures destinées à l’alimentation; dans
certains pays, elle est en partie responsable de la déforestation
(en raison de l’extraction d’huile de palme) et fait finalement
polémique du point de vue de l’équilibre énergétique (en raison
du volume total des émissions résultant de la production, de la
transformation et du transport des agro-carburants de première génération).
De nouvelles recherches sont nécessaires pour développer une seconde
génération d’agro-carburants plus fiables en termes d’exploitation
des ressources, d’impact environnemental et d’émissions de gaz à
effet de serre. Il faut en outre que la planification politique adopte
systématiquement une approche transsectorielle
.
16. La question de l’exploitation de gaz et d’huile de schiste
est un autre grand dilemme pour l’Europe. Si le gaz naturel ainsi
produit semble être une solution plus propre que d’autres combustibles
fossiles, les techniques existantes utilisées pour son exploitation
soulèvent plusieurs problèmes d’environnement et de santé publique
et en font un combustible bien moins propre que le gaz conventionnel
(gazoduc ou GNL
):
- pollution des nappes phréatiques due aux produits chimiques
employés dans la fracturation hydraulique et aux fuites de substances
dangereuses (métaux lourds et éléments radioactifs) du sous-sol
à la surface;
- maladies respiratoires liées à l’emploi de sable de silice
(provoquant la silicose, même à petites doses) pendant la phase
de forage;
- risques sismiques;
- paysages dévastés.
17. Cependant, malgré la controverse entourant le ratio risques/avantages
de la fracturation hydraulique, certains pays d’Europe de l’Est
ont commencé à exploiter le gaz de schiste (Pologne et Ukraine),
en espérant s’affranchir de leur dépendance envers les importations
de gaz naturel en provenance de Russie. En Europe, il ne faut pas
exclure l’exploitation à grande échelle de gaz ou d’huile de schiste,
mais remplacer la fracturation hydraulique actuellement utilisée
par des technologies plus propres et plus sûres, actuellement en
cours de développement (comme les techniques de fracturation électrique,
thermique, ou au propane). Les travaux de recherche technologique
dans ce domaine doivent s’intensifier. Par ailleurs, les progrès
accomplis dans la recherche et le développement des techniques de
captage et de stockage du carbone afin de réduire les émissions
de CO2, sont une innovation bienvenue qui
pourrait déboucher sur une production et une consommation énergétiques
moins polluantes.
18. D’autres possibilités – telle la valorisation énergétique
des déchets – devraient être mieux exploitées en Europe. Le recyclage
d’une partie des déchets et l’incinération du reste pour produire
chaleur et électricité est une solution qui s’impose de plus en
plus pour gérer à la fois les déchets et la consommation d’énergie.
Dans l’Union européenne, en moyenne, 22 % des déchets sont convertis
en chaleur ou en électricité. Par exemple, en brûlant 49 % de ses
déchets actuellement non recyclables, la Suède assure le chauffage
pour environ 20 % de sa population urbaine et l’alimentation électrique
de près de 5 % des ménages, tout en respectant des normes environnementales
élevées de filtrage des polluants au cours du processus d’incinération.
La Suède, ainsi que plusieurs municipalités en Allemagne, en Autriche,
au Danemark, en Suisse et dans d’autres pays européens, réussissent
aussi très bien à fabriquer des biogaz à partir de déchets organiques
pour les utiliser dans les transports locaux. Cela permet de réduire
les émissions de CO2 (de 75 %-100 %) et d’autres
polluants par rapport aux combustibles fossiles.
2.3. Lutter contre la
pauvreté et la vulnérabilité énergétiques
19. Selon l’Agence internationale de l’énergie, 1 milliard
et demi d’êtres humains n’ont actuellement pas accès à l’électricité
et ce chiffre pourrait encore atteindre 1,3 milliard en 2030. La
pauvreté énergétique est une préoccupation majeure sur un plan éthique;
en effet, aussi longtemps que ces personnes n’auront accès qu’à de
rares sources d’énergie locale (comme la biomasse), leur niveau
de vie, leur éducation et leur développement économique ne pourront
pas progresser comme dans les pays industrialisés. Une coopération au
développement plus ciblée sera nécessaire pour réduire les écarts,
notamment afin d’assurer une transition sans heurts des pays pauvres
vers un modèle de développement plus dynamique, tout en les aidant
à intégrer des considérations environnementales afin de lutter contre
le changement climatique et de limiter les émissions de gaz à effet
de serre.
20. Un autre genre de pauvreté énergétique touche une partie de
la population européenne. Dans ce contexte, la pauvreté énergétique
fait référence à l’impossibilité pour certaines familles d’avoir
accès – socialement et/ou matériellement – à un niveau suffisant
de services énergétiques (par exemple pour payer leurs factures
d’électricité, de gaz naturel et de chauffage). Les principales
causes de la pauvreté énergétique (qui peuvent se cumuler) sont
les faibles revenus des ménages, la mauvaise isolation des immeubles
et l’organisation du système d’approvisionnement énergétique d’un
pays donné. Si la pauvreté énergétique est préjudiciable à la qualité
de vie et à la réussite sociale des personnes concernées, elle l’est
également – et gravement – pour leur santé.
21. Des études menées à l’échelle de l’Union européenne montrent
qu’en moyenne, entre 13 % et 32 % de la population (soit entre 50
et 125 millions de foyers) de différents pays vivent dans un dénuement
énergétique plus ou moins grave. C’est dans les pays d’Europe de
l’Est et du Sud, région dans laquelle certains groupes de populations,
tels les retraités et chômeurs, sont particulièrement vulnérables,
que l’on trouve les plus forts taux de pauvreté énergétique. Des
enquêtes montrent que la pauvreté énergétique est un problème croissant dans
toute l’Europe et qu’il ne fera que s’aggraver dans les prochaines
années en raison des hausses attendues du prix de l’énergie et de
la stagnation quasi généralisée des revenus des ménages
. Les responsables politiques doivent
donc porter plus d’attention à cette question pour améliorer la
situation. Il faut agir dans tous les domaines politiques, notamment
en matière de bien-être social, de protection du consommateur, d’imposition,
de prix et de tarifs de l’énergie et d’efficacité énergétique intérieure,
en mettant l’accent sur l’amélioration des systèmes de chauffage
et d’isolation.
2.4. Stratégies nationales
concernant le gaz de schiste, l’énergie nucléaire et le financement
des coûts liés à la modification de l’équilibre énergétique
22. De nombreux observateurs et analystes de la situation
énergétique s’accordent à dire que l’Europe doit aujourd’hui relever
de nombreux et ambitieux défis, à la fois politiques, économiques
et environnementaux. Alors qu’il nous faudrait en ces temps incertains
un marché européen énergétique plus intégré et une direction politique
forte, les avis sont assez divisés quant à l’orientation européenne
commune qu’il conviendrait d’adopter en matière d’énergie; en effet,
certains pays privilégient des politiques qu’ils croient vitales
dans l’intérêt national. Aussi, bien que nous ayons impérativement
besoin d’une approche plus européenne et plus unie, notamment pour
investir à long terme dans des infrastructures énergétiques transfrontalières,
les stratégies énergétiques nationales demeurent un moteur et un
facteur essentiel de l’accélération des progrès «sur le terrain».
2.4.1. Exploiter ou ne
pas exploiter les combustibles fossiles non conventionnels, y compris
l’huile et le gaz de schiste
23. Dans sa feuille de route pour l’énergie à l’horizon
2050, l’Union européenne souligne que les combustibles fossiles
non conventionnels, comme l’huile et le gaz de schiste, pourraient
devenir une nouvelle source d’approvisionnement énergétique et contribuer
à un modèle économique à faibles émissions de carbone. En effet,
la production de gaz conventionnel en Europe décline et les importations
augmentent. A court ou moyen terme, le gaz devrait remplacer de
plus en plus le charbon et le pétrole afin de permettre une réduction
massive des émissions de gaz à effet de serre. En outre, il devrait
permettre de garantir des capacités de secours fiables et flexibles
pour les sources d’énergie renouvelable intermittentes. L’exploitation des
combustibles fossiles non conventionnels pourrait également être
envisagée comme une chance pour le développement économique de certaines
régions.
24. Concernant l’exploration et l’extraction du gaz de schiste,
les entreprises européennes accusent un net retard par rapport aux
puissantes multinationales de l’énergie basées aux Etats-Unis. La
ruée vers le gaz de schiste qui a eu lieu ces dernières années aux
Etats-Unis a radicalement transformé le marché local de l’énergie,
fait baisser le prix du gaz, stimulé la création d’emplois et suscité
l’espoir d’une renaissance industrielle, en dépit de problèmes environnementaux
fréquents, importants et à ce jour non résolus. Cependant, malgré
des prévisions audacieuses affirmant que les Etats-Unis
pourraient devenir l’un des principaux
producteurs de gaz et de pétrole – sur un pied d’égalité avec la
Russie et l’Arabie saoudite – d’ici à 2017, certains experts soutiennent
que le phénomène du gaz et de l’huile de schiste, bien que spectaculaire, risque
fort de n’être qu’un feu de paille.
25. En effet, un cycle de vie typique d’un puits de gaz/d’huile
de schiste dépasse rarement les cinq ou sept ans, la production
déclinant rapidement dès les premières années d’exploitation. D’après
la compagnie énergétique française Total, extraire du gaz et de
l’huile de schiste nécessite le forage en profondeur de 10 à 100 fois
plus de puits que pour le pétrole et le gaz conventionnels, ce qui
requiert des réinvestissements constants et coûteux. La logique
économique d’une telle entreprise suscite de sérieux doutes. Toutefois,
nous ne pouvons pas ignorer le phénomène. Le progrès pour développer
des alternatives techniques de fracturation sera la clé pour une
exploitation des ressources en gaz ou pétrole de schiste de manière
sûre et rentable. Les risques pour l’environnement, la protection
de la santé humaine et la gestion des risques doivent aussi être dûment
pris en compte dans l’adaptation des cadres juridiques nationaux
et des plans d’affaires des entreprises.
26. L’Autriche et d’autres pays ont quant à eux développé une
technique prometteuse dans laquelle le mélange chimique du fluide
de fracturation est remplacé par de l’eau, du sable et de l’amidon
de maïs. D’autres améliorations en matière d’utilisation de l’eau
– notamment le recyclage de l’eau sur site en circuit fermé et des réservoirs
de stockage en acier pour les eaux usées – permettent de minimiser
les volumes d’eau, les déversements en surface ainsi que le trafic
lié au transport des eaux usées. Cela dit, les risques sismiques
et les émissions fugitives de méthane
, ainsi que le paysage et
la pollution atmosphérique, demeurent des préoccupations majeures.
Il est donc essentiel d’appliquer systématiquement les principes
de précaution et de «pollueur-payeur».
27. Dans presque tous les pays d’Europe de l’Ouest, l’intérêt
pour le gaz/pétrole de schiste se manifeste actuellement par de
prudentes expérimentations (comme au Royaume-Uni) tentant de définir
quelles sont les ressources éventuellement récupérables. Certains
pays, tels le Danemark, la Hongrie et la Lituanie, prévoient des
explorations ou ont entrepris des forages (par exemple, la Pologne,
la Suède et l’Ukraine). Les prévisions – au départ, optimistes –
ont dû être revues à la baisse. De plus, les investissements dans
le gaz de schiste amoindrissent l’investissement dans d’autres sources
d’énergie envisagées à travers l’Europe, notamment renouvelables,
encore peu développées. Il en va de même des autres types de gaz
non conventionnel, y compris le gaz de réservoir compact et le gaz
de houille, dont les ressources sont relativement abondantes et de
plus en plus accessibles.
2.4.2. Les enjeux de l’énergie
nucléaire
28. Pour ce qui est de l’énergie nucléaire (qui représente
28 % de la production d’électricité dans l’Union européenne), elle
a longtemps polarisé l’opinion publique et divers pays européens
ont adopté des stratégies diamétralement opposées. Les accidents
nucléaires de Tchernobyl (1986) et de Fukushima (2011) ont eu des répercussions
très importantes. La sécurité des centrales nucléaires en activité
a dû être revue sous un nouveau jour, la planification de nouvelles
centrales a été réexaminée, et le déclassement des plus anciennes a
été accéléré. Ainsi, après Fukushima, l’Allemagne – la plus grande
puissance économique européenne – a décidé de renoncer à l’énergie
nucléaire d’ici à 2022
;
la Belgique et la Suisse prévoient de démanteler leurs centrales
nucléaires, respectivement d’ici à 2025 et 2034; l’Espagne ne construira
pas de nouveaux réacteurs et l’Italie ne retournera pas à l’énergie
nucléaire dans un avenir proche.
29. D’autres pays, tels la Russie, la France, la Finlande, l’Ukraine,
la Bulgarie, la République tchèque, la Hongrie, les Pays-Bas, la
Roumanie, la Slovaquie et le Royaume-Uni, continuent de considérer
l’énergie nucléaire comme un pilier de leur stratégie nationale
d’approvisionnement énergétique. Et cela, malgré le fait qu’il n’existe
toujours pas de solutions suffisamment bonnes pour le traitement
et le stockage sûrs et à long terme des déchets nucléaires. Les
mesures actuelles d’élimination des déchets ne font que faire peser
sur les générations futures la responsabilité de trouver une solution
définitive.
30. Quel que soit le choix national, l’énergie nucléaire restera
inscrite dans le paysage énergétique européen. Malgré les inquiétudes
qui persistent quant à la sécurité à long terme, la gestion des
déchets radioactifs (enlèvement, traitement, transport et stockage),
les besoins de financement, les normes juridiques et la responsabilité
en cas d’accident, le nucléaire possède aussi des atouts tels que
la sécurité d’approvisionnement, la compétitivité, les faibles émissions
de carbone, ainsi que l’emploi et un potentiel de croissance au
niveau mondial. Il nous faut rappeler dans ce contexte les propositions
avancées par des membres de cette Assemblée prônant la prise de
précautions et de mesures plus adaptées pour gérer les risques sismiques
en Europe, que l’on retrouve dans une proposition de recommandation
sur les tremblements de terre et la sécurité nucléaire
.
2.4.3. Considérations
tarifaires pour le changement du mix énergétique
31. Il faut développer davantage les alternatives à l’énergie
nucléaire pour assurer un approvisionnement en énergie régulier,
propre et abordable. Il ne fait aucun doute que cette option est
coûteuse pour les producteurs comme pour les consommateurs, en particulier
si elle s’accompagne d’une modification de l’équilibre énergétique
en faveur des énergies renouvelables. En effet, comme le montrent
les estimations de l’OCDE, l’électricité nucléaire est généralement
meilleur marché que celle produite à partir du charbon, des énergies
renouvelables et du gaz (sauf quand le gaz est facilement accessible).
32. Aujourd’hui, adopter des «objectifs verts» en matière d’énergie
exige un soutien financier supplémentaire qui se traduit par des
coûts plus élevés. En Allemagne, par exemple, le passage aux énergies renouvelables
a ajouté à peu près 18 % à la facture d’électricité des ménages,
alors même que les prix du marché de gros sont restés stables voire
ont baissé depuis 2008
. Les différences de
prix reflètent la volonté de maintenir une industrie compétitive
et d’inciter les ménages à des économies d’énergie. Une comparaison effectuée
à l’échelle mondiale par l’AIE montre également qu’en 2011, les
consommateurs d’énergie américains ont payé leur gaz à un tiers
du prix du gaz allemand et un quart du prix du gaz sud-coréen, et
qu’un gaz bon marché se traduit par une électricité bon marché aux
Etats-Unis. Un autre exemple est celui de l’Espagne où les généreuses
subventions publiques octroyées pour promouvoir l’énergie solaire
ont tellement augmenté (montant multiplié par 40 sur la période
2007-2012) qu’elles ont dû être réduites de façon drastique pour
alléger le poids sur le budget national.
33. Il convient de réfléchir à la manière dont les systèmes actuels
d’échange de quotas d’émissions et de taxation pourraient être adaptés
pour aider à répartir équitablement une partie de la charge économique
à tous les niveaux de la société, afin que l’ensemble des parties
prenantes – l’Etat, les entreprises et les consommateurs – puissent
assumer leur part de ces coûts. Par exemple, lorsque certains pays
européens mettent en place un impôt sur les transactions financières,
les revenus supplémentaires pourraient alimenter en partie l’investissement
dans l’énergie verte et la création d’emplois dans ce domaine. Les
diverses formes de taxes carbone ou environnementales qui font payer
les pollueurs sont une autre précieuse source de revenus. Parallèlement,
pour mettre les différentes sources d’énergie sur un pied d’égalité,
il faut supprimer les subventions responsables de distorsions du
marché
et
accordées aux sources d’énergie les plus polluantes (c’est-à-dire
les combustibles fossiles).
34. A des fins incitatives et pour s’adapter au climat économique
fluctuant, l’Union européenne examine actuellement des moyens de
réformer son Système d’Echange de Quotas d’Emissions pour que les
prix des autorisations d’émission – lesquels atteignent aujourd’hui
des niveaux historiquement bas (jusqu’à 3 à 5 euros par tonne, contre
environ 25 euros en 2008) – renforcent l’élan de technologies plus
propres et obligent les pollueurs à contribuer davantage à la transition
vers une énergie non seulement plus verte, mais aussi plus accessible
à tous les usagers. Le paradoxe des prix est tel que, depuis quelques
années, de grands fournisseurs européens d’électricité ont cessé
d’utiliser le gaz pour brûler du charbon moins cher mais plus polluant
vu les prix d’autorisations d’émissions bon marché et l’afflux des
exportations de charbon des Etats-Unis. Si rien n’est fait pour
stopper la croissance des prix du gaz et pour pénaliser l’utilisation
du charbon, ce phénomène pourrait s’installer et saperait les objectifs
environnementaux.
3. La voie de la diversification
énergétique: sources, fournisseurs, technologies, modes de consommation
et politiques d’investissement
3.1. Tendances actuelles
et nouvelles perspectives
35. Comme l’indique l’AIE dans son World
Energy Outlook 2012 (document consacré aux perspectives énergétiques
mondiales), la carte mondiale de l’énergie évolue avec la résurgence
de la production de pétrole et de gaz aux Etats-Unis, la progression
de l’extraction de gaz non conventionnel ailleurs dans le monde, l’expansion
du commerce du GNL, le recul de l’énergie nucléaire dans certains
grands pays et la croissance rapide de l’utilisation des technologies
solaire et éolienne. Les pays développés se détournent progressivement
du charbon et du pétrole en faveur du gaz naturel et des énergies
renouvelables. Aucun pays n’apparaît à l’abri des tendances mondiales
et d’une interaction grandissante entre les marchés nationaux ou régionaux
de l’énergie et les principaux consommateurs mondiaux (comme les
Etats-Unis, la Chine, le Japon, etc.).
36. Le pétrole reste le combustible le plus consommé dans le monde
(33 % de l’énergie primaire totale), suivi du charbon (30 %), du
gaz naturel (24 %), de l’énergie hydroélectrique (6 %), du nucléaire
(5 %) et d’autres énergies renouvelables (2 %)
. La
production mondiale d’électricité augmente rapidement et provient essentiellement
des combustibles fossiles (charbon 40 %, gaz naturel 21 % et pétrole
5 %), alors que le secteur nucléaire en fournit près de 13 % et
les sources d’énergie renouvelables environ 20 %. Selon les estimations
d’experts américains
concernant
les réserves de gaz non conventionnel, la planète dispose de 456 milliards
de m3, dont 180 milliards sont techniquement
récupérables et 18 milliards se trouvent en Europe.
37. Le mix énergétique de la plupart des pays européens reste
dominé par le pétrole, suivi du gaz, du charbon, de l’énergie nucléaire
et des énergies renouvelables, quoique les deux dernières sources
soient prépondérantes dans certains pays. Ainsi la Belgique, la
France et la Slovaquie dépendent-elles énormément de l’énergie nucléaire;
en Albanie, Autriche, Géorgie, Islande, Lettonie et Norvège, le
secteur des énergies renouvelables (en particulier, l’énergie hydraulique)
est très fort, tandis que pour la Slovénie, la Suède et la Suisse,
les secteurs de l’énergie nucléaire et des énergies renouvelables
occupent une place importante. Seule une poignée de pays sont actuellement
autosuffisants en énergie grâce à des ressources intérieures en combustibles
fossiles; reste que tous possèdent
des sources plus ou moins abondantes d’énergie renouvelable qui
ne demandent qu’à être exploitées. L’Union européenne, dans son
ensemble, doit importer environ 82 % du pétrole, 57 % du gaz naturel
et 97 % de l’uranium dont elle a besoin.
38. Après le choc causé par la catastrophe de Fukushima, le Japon
a commencé à dérouter du GNL auparavant destiné à l’Europe. Il a
également augmenté ses importations de charbon en provenance des Etats-Unis,
ceux-ci utilisant dorénavant davantage de gaz et d’huile de schiste
nationaux pour leurs propres besoins. Dans un contexte de réchauffement
climatique mondial, les espoirs se tournent également vers la récupération
de ressources énergétiques hauturières dans la région arctique qui
est censée détenir des réserves massives de pétrole et de gaz (équivalant
respectivement à près de 13 % et 30 % des ressources mondiales potentielles
non découvertes). Les Etats-Unis, le Canada, le Groenland, la Norvège,
l’Islande et la Russie sont les principaux concurrents de cette
course à l’énergie.
39. Les sources d’énergie renouvelables sont généralement considérées
comme un moteur du progrès économique et technologique. Elles sont
de plus en plus employées pour remplacer les infrastructures vieillissantes
de la production d’énergie – même dans des pays comme la Chine et
la Russie – et sont aujourd’hui des piliers du développement durable.
L’OCDE et l’AIE prônent une révolution des technologies de l’énergie
(utilisant des technologies existantes et nouvelles), afin de se
tourner vers un avenir énergétique durable et une économie verte.
Il faudra pour réaliser cette avancée investir massivement dans
l’amélioration du rendement énergétique, un recours équilibré au
captage et au stockage de carbone, un déploiement accru des énergies
renouvelables et redoubler d’efforts pour passer à des combustibles
moins polluants
.
40. Les énergies renouvelables représentant une part importante
et croissante de l’approvisionnement énergétique en Europe (environ
23 % en 2012, contre 13 % en 2002)
, il est important pour tous les investisseurs
potentiels que la Commission européenne assure la sécurité de planification
(des investissements) en mettant en place les conditions politiques
générales nécessaires à la promotion de ces énergies depuis un stade
précoce. L’ambition d’une politique en faveur de l’énergie renouvelable
jusqu’en 2030 doit être de fixer aux Etats membres de nouveaux objectifs
obligatoires pour élargir le secteur des énergies renouvelables
et améliorer la coordination des stratégies nationales en ce sens.
Dans une perspective à plus long terme, il conviendra de développer
plus avant des mécanismes nationaux de soutien et de mieux les intégrer
dans un système européen.
41. Le point de référence permettant de déterminer des prix adéquats
pourrait être les coûts d’évitement des gaz à effet de serre, si
tant est que le nombre de certificats CO2 délivrés
soit dûment contrôlé grâce au Système européen d’échanges de quotas
d’émissions. La proposition récente de la Commission européenne
de geler les ventes de certificats CO2 doit
être saluée de manière générale; cependant, à long terme, elle ne
pourra que décevoir les attentes, que ce soit concernant la réalisation
des objectifs de réduction des émissions ou la garantie d’une situation
économique viable pour les entreprises concernées. Une hausse progressive
du coût des certificats d’émission paraît nécessaire, un prix bas
n’incitant guère les entreprises à investir de leur plein gré dans
la protection du climat. En principe, il serait souhaitable de contrôler
les échanges de quotas d’émission et la gestion des certificats
CO2 par l’intermédiaire d’un organisme central
s’inspirant d’une banque centrale. Ceci aurait également des répercussions
sur les prix applicables.
3.2. Questions géopolitiques
et coopération européenne
42. Comme l’a fait remarquer le représentant de l’AIE
lors de l’audition de la commission, le 15 mars 2013, l’utilisation
énergétique va croissant dans les pays en développement à grandes
économies en expansion. Limiter une hausse globale de la température
à seulement deux degrés exige une réduction massive des émissions
de gaz à effet de serre dans le monde entier et une utilisation
plus durable des ressources existantes. En conséquence, un effort
collectif doit viser à stabiliser les besoins énergétiques, à élargir
la part des sources d’énergie les plus propres et à dissocier progressivement
la consommation énergétique de la croissance économique et démographique.
Envisager un système énergétique durable pour les besoins futurs passe
nécessairement par une coopération multipartite et par une action
à long terme menée sur de multiples fronts, notamment en ce qui
concerne la sécurité de l’approvisionnement, un équilibre coût/avantage
rationnel, les emplois, les économies d’énergie, des interconnexions
en réseau et la recherche technologique.
43. Les progrès dépendront largement de notre capacité à innover
et à expérimenter de nouvelles solutions rentables. Elles sont absolument
nécessaires pour améliorer le rendement énergétique, les techniques
de stockage de l’électricité générée par des énergies renouvelables
et l’utilisation énergétique dans le secteur des transports. Ces
solutions pourraient se réaliser en investissant davantage dans
les véhicules économes en énergie et dans des combustibles «plus
verts», mais aussi par les prometteuses techniques de captage et
de stockage du carbone pour l’industrie; certes, ces techniques
ne sont pas encore suffisamment au point, mais elles pourraient
se révéler utiles dans une perspective de diversification technologique
de la production énergétique. En outre, l’avènement des réacteurs
d’énergie nucléaire de troisième et quatrième générations –bénéficiant
de dispositifs de sécurité optimisés, d’une plus petite taille et
d’une plus longue espérance de vie
– pourrait
donner un nouvel élan au renouvellement du parc nucléaire vieillissant
dans un certain nombre de pays. Davantage de progrès est nécessaire
pour assurer un traitement et un stockage sûrs des déchets nucléaires.
44. A côté des types d’énergie actuellement utilisés, y compris
la fission nucléaire, l’expérimentation de la fusion nucléaire
– source d’énergie propre et abondante – est une option énergétique
très prometteuse pour l’avenir. Depuis 2006, plusieurs pays (Chine,
Union européenne, Inde, Japon, Russie, Corée du Sud et Etats-Unis)
coopèrent activement à ITER (International
Thermonuclear Experimental Reactor), projet international de
réacteur thermonucléaire expérimental. Si les résultats des tests
ITER menés sur le site de Cadarache, en France, se révèlent concluants,
des applications commerciales de grande envergure pourraient suivre
bientôt.
45. Etant donné le recours croissant aux énergies renouvelables,
les coûts diminuent, tandis que l’énergie nucléaire devient plus
onéreuse en raison d’investissements supplémentaires dans la sécurité
après l’accident de Fukushima. Bien que les préférences et les options
nationales puissent différer, diverses sources énergétiques sont
complémentaires. L’expérience allemande montre que les énergies
éolienne et solaire (photovoltaïque) sont très intéressantes: au
départ coûteuses à installer, elles n’entraînent pratiquement pas de
frais d’exploitation et, d’ici à 2015, pourraient produire de l’électricité
aux mêmes prix ou à des prix plus bas que les centrales au gaz et
au charbon. Reste que l’énergie hydraulique et géothermique conviendra
parfois mieux dans d’autres pays.
46. Pour l’Europe, une tâche importante consiste à ajuster la
tarification des émissions industrielles et les coûts énergétiques
des ménages de manière à encourager l’adoption de technologies,
de sources d’énergie et de comportements intelligents face au climat.
Cette démarche renforcerait aussi la position de l’Europe dans les
négociations mondiales sur l’accord post- Kyoto. Une plus grande
utilisation du gaz naturel – avec certaines précautions environnementales –
au lieu du pétrole et du charbon peut contribuer à réduire à la
fois les émissions et la pollution durant la transition vers des
alternatives énergétiques plus propres. En ce qui concerne le problème
du gaz non conventionnel, l’AIE promeut actuellement un ensemble
de sept «règles d’or» à l’intention des parties intéressées. Finalement,
l’efficacité énergétique reste une opportunité considérable dans
tous les pays
et doit venir en
tête des priorités stratégiques.
47. Lors de l’audition, des experts en énergie ont souligné la
nécessité d’une plus grande concertation et coordination sur les
choix énergétiques à différents niveaux de gouvernance à travers
l’Europe. De plus en plus, se font jour des solutions optimales
combinant capacités et objectifs sur une base régionale et cherchant à
utiliser pleinement le potentiel du marché intérieur de l’Union
européenne. Du point de vue de l’élaboration des politiques, il
est urgent de résoudre le problème des subventions afin de réduire
les distorsions de marché et de faciliter le développement de sources
d’énergie renouvelables. En outre, avec l’exploitation croissante de
l’énergie éolienne dans le nord et de l’énergie solaire dans le
sud, y compris dans son voisinage méditerranéen, il faut que l’Europe
et ses plus proches partenaires améliorent les interconnexions,
les réseaux de transmission et la gestion multipartite afin de minimiser
les perturbations et les coûts.
48. Quelles sont donc les principaux enjeux? Financer des projets
à infrastructure de grande envergure, gérer l’intermittence (de
la production d’électricité provenant des énergies renouvelables),
les importations (de l’énergie primaire, des combustibles transformés
et de l’électricité) et les pics de demande en énergie, assurer des
capacités de remplacement suffisantes (provenant de combustibles
fossiles, de biomasse, etc., et également de systèmes de stockage)
pour une utilisation occasionnelle et, enfin, améliorer la flexibilité
des marchés et des réseaux nationaux d’énergie. Dans cette perspective,
il semble nécessaire de développer et de déployer des réseaux de
distribution d’électricité intelligents, les «
smart
grids»: ce concept, apparu vers 2005, s’appuie sur l’utilisation
de technologies de l’information; elle permet de collecter et d’analyser automatiquement
des données sur les comportements des fournisseurs et des usagers
afin d’améliorer l’efficacité, la fiabilité, les coûts et la durabilité
de la production et de la distribution d’électricité
.
49. Sur le marché de l’énergie, il est un élément qui mérite une
plus grande attention des décideurs politiques: l’indexation du
prix du gaz naturel sur celui du pétrole dans les contrats à long
terme, laquelle empêche beaucoup d’usagers européens de bénéficier
de prix plus avantageux sur le marché du gaz international (la «tarification
spot» ou en temps réel)
.
En Europe, en effet, près des deux tiers de l’approvisionnement
en gaz sont encore dominés par des prix indexés sur le pétrole.
Vue par certains analystes comme un accident historique, cette aberration
remonte aux années 1960, lorsque le gaz naturel était considéré
comme un dérivé de l’extraction du pétrole. De nos jours, la situation
est très différente et les principaux importateurs de gaz en Europe
font pression pour dissocier les prix du pétrole et du gaz dans
les contrats à long terme – malgré la résistance de grands fournisseurs
en Russie et en Afrique du Nord. En attendant, la Norvège a déjà
accepté de vendre la moitié de son gaz à l’Europe à des prix «spot»;
ce qui montre qu’un partenariat plus équilibré et moderne entre
vendeurs et acheteurs est possible sans nuire à l’approvisionnement
à long terme, à la sécurité des investissements ni à la concurrence
sur les marchés de l’énergie. De plus, dissocier le prix du gaz
de celui du pétrole permettrait de réduire le prix moyen du gaz
par rapport au charbon et donc faciliter l’utilisation du gaz en
tant que combustible de transition vers une production d’électricité
plus propre.
3.3. Choix macroéconomiques
et responsabilités réglementaires
50. Sans perdre de vue les objectifs climatiques, les
besoins sociaux et l’ambition de «verdir» l’économie, des efforts
considérables seront nécessaires pour assurer une production et
une utilisation plus durables de l’énergie. D’une part, les infrastructures
(énergie, habitat, transport, installations industrielles, etc.)
doivent faire l’objet d’un profond remaniement pour les adapter
à des performances plus efficaces. Ainsi les fruits de la recherche
et de l’innovation devront-ils être résolument intégrés dans les
systèmes afin de faciliter ce bond qualitatif vers un développement
moins gourmand en énergie. D’autre part, des directives réglementaires
plus structurées et l’intérêt à long terme de la société doivent
orienter les parties prenantes et accompagner le changement; ce
qui implique une responsabilité partagée entre secteur privé, pouvoirs
publics et société civile pour favoriser la transition.
51. Pour un avenir énergétique plus propre, la voie la plus simple
est évidente: efficacité énergétique et économies d’énergie. Il
y a trop d’énergie gaspillée dans la production et la transmission
sous forme de pertes thermiques et de pollution. Selon l’AIE, la
mise en œuvre de mesures de rendement énergétique permettrait de
réduire les émissions mondiales dues à l’activité humaine d’environ
30 %; et encore de 10 % en supprimant progressivement les subventions
accordées à la consommation de combustibles fossiles. Des comparaisons de
l’intensité énergétique au niveau national montrent que l’Europe
a beaucoup à faire: l’énergie utilisée pour produire $US 1 000 du
produit intérieur brut (PIB) varie de 100-150 kilogrammes d’équivalent
pétrole dans les pays d’Europe occidentale à plus de 200 dans la
majorité des pays d’Europe centrale et orientale – atteignant plus
de 400 au Bélarus, en Fédération de Russie, en République de Moldova
et en Azerbaïdjan, et plus de 600 en Ukraine.
52. Des investissements ciblés permettraient d’améliorer la situation:
la Banque mondiale estime que pour chaque dollar US investi en efficacité
énergétique, les besoins et les investissements en production d’énergie se
trouvent réduits d’environ $US 2 – sans compter la création d’emplois
et une baisse des coûts à moyen terme. Des mesures réglementaires
doivent stimuler les investissements dans l’efficacité énergétique
et pénaliser les gaspilleurs et pollueurs.
53. Une modernisation est nécessaire tout particulièrement dans
le secteur du logement (bâtiments résidentiels, publics et commerciaux),
qui consomme à lui seul environ un tiers de toute l’énergie utilisée
en Europe. A cette fin, des plans d’action nationaux doivent prévoir
des politiques d’approvisionnement respectueuses de l’environnement,
une efficacité énergétique et la rénovation des bâtiments anciens (systèmes
d’isolation, d’éclairage, de chauffage et de ventilation), ainsi
que des incitations à l’installation de systèmes de chauffage «verts»
(pompes à chaleur, cycles combinés force et chaleur), des exigences
de certification, un étiquetage et des instruments d’information
(campagnes, par exemple).
54. Par ailleurs, des pays tels que l’Allemagne utilisent des
programmes de rénovation économes en énergie dans le cadre du plan
de relance économique visant à surmonter la crise et à créer ou
maintenir des emplois. L’on estime que chaque milliard d’euros investi
dans des bâtiments économes en énergie génère quelque 25 000 emplois.
Des gains équivalents sont prévus dans d’autres pays, par exemple
en Hongrie, où une étude montre qu’une rénovation de l’habitat centrée
sur l’efficacité énergétique offre le plus grand potentiel de création
d’emplois par rapport à d’autres types de mesures d’atténuation
du changement climatique.
55. L’efficacité énergétique dans le secteur des transports offre
un énorme potentiel non seulement en termes d’équilibre énergétique,
mais aussi pour réduire les polluants, le bruit et les encombrements. Investissements
dans l’infrastructure, innovation technologique, taxation (des véhicules,
des routes, des combustibles, etc.) et aménagement intégré du territoire
(rural et urbain), tels sont les principaux axes d’action pour que
mobilité et énergie durables aillent de pair. Des choix stratégiques
s’imposent d’urgence quant à la production en série de véhicules
alternatifs (électriques, hybrides, utilisant des biocarburants
ou du gaz comprimé et, même, de l’hydrogène) et au déploiement de
réseaux de stations-service.
56. Enfin, des réglementations adéquates sont nécessaires pour
éviter une pure et simple délocalisation des activités industrielles
consommatrices d’énergie – et des emplois – hors d’Europe. Ce que
l’Europe doit exporter, ce n’est pas de la pollution mais des technologies
propres et efficaces sur le plan énergétique. Pour réduire les coûts
et pour optimiser l’utilisation de l’énergie, elle doit aussi promouvoir
une modernisation des «vieilles» industries et de l’infrastructure
énergétique.
57. Dans toute l’Europe et au-delà, un consensus et un soutien
politique s’affirment en faveur du développement d’énergies renouvelables
qui devront être au cœur du mix énergétique. Pour réaliser des économies
d’échelle en matière d’énergies renouvelables et, donc, pour en
réduire les coûts, il est nécessaire de renforcer l’intégration
des marchés – en combinant le niveau local, national et international –
et de rationaliser les modèles d’entreprise
. Il faut que les gouvernements envoient
des messages forts au secteur privé, censé fournir environ 80 %
des capitaux pour la transition verte. Dans le souci de mieux équilibrer
le partage des risques et de regrouper les capacités, il serait
bon de recourir plus souvent aux partenariats public-privé pour
des projets présentant le plus fort potentiel d’impact.
4. Conclusions
et recommandations sur les stratégies pour l’avenir
58. Un nouveau paysage énergétique se fait jour en Europe
et au-delà. Il s’inscrit dans une ambition plus large de la société
d’adopter un modèle de développement vert, notamment à la lumière
des engagements pris au Sommet Rio+20 sur le développement durable
et du Protocole de Kyoto. La transition vers un avenir énergétique
plus durable offre une richesse d’opportunités aux entreprises,
aux ménages et aux pouvoirs publics européens. Reste qu’elle exige
aussi un regain d’efforts en termes d’investissements et d’innovation, de
compromis et de patience de la part de tous les acteurs, ainsi qu’un
soutien public explicite. Si les objectifs contraignants en matière
d’énergie propre pour l’Union européenne sont fixés dans une série
de documents (feuilles de route, stratégies et directives), il n’empêche
que les Etats membres et non membres de l’Union européenne jouissent
d’une grande latitude – et responsabilité – quant aux choix énergétiques
nationaux.
59. Faute de vision européenne commune pour un avenir énergétique
propre, il existe un consensus politique grandissant sur la nécessité
de réduire les émissions et de mieux exploiter les ressources existantes. Il
faut optimiser nos besoins énergétiques, étendre la part des sources
d’énergie propre et progressivement dissocier la consommation d’énergie
de la croissance économique et démographique. Comme souligné tout au
long du présent rapport, le potentiel énergétique durable de l’Europe
réside dans une efficacité énergétique, une utilisation croissante
des énergies renouvelables et une approche intégrée de la diversification énergétique,
notamment pour le secteur du logement, des transports et de l’industrie.
Tout doit tendre à réduire les émissions, la pollution et la dépendance
vis-à-vis des combustibles fossiles, mais aussi à améliorer notre compétitivité,
la création d’emplois et le bien-être.
60. Il est absolument indispensable d’instaurer un dialogue et
une coopération entre les pays membres et non membres de l’Union
européenne, au niveau régional et avec des partenaires de l’Europe
dans le monde entier. Cette démarche devrait contribuer à mettre
en place des synergies et des interconnexions, à regrouper les ressources
et les capacités, à partager les bonnes pratiques et à déployer
des technologies de pointe. Il faut activer des mécanismes de solidarité
ciblés afin d’éradiquer la pauvreté énergétique, de permettre aux usagers
de prendre des décisions mieux informées et de disposer les citoyens
en faveur de stratégies énergétiques propres.
61. Ainsi l’Assemblée devrait adresser aux Etats membres les principales
recommandations suivantes:
- Rechercher
les changements structurels pouvant promouvoir un développement
économique, environnemental et social équilibré moyennant moins
d’énergie issue de combustibles fossiles;
- Donner la priorité à une meilleure exploitation des sources
d’énergies les plus abondantes, propres, rentables et localement
présentes – c’est-à-dire les énergies renouvelables;
- Renforcer l’efficacité et les économies énergétiques dans
différents secteurs – notamment le bâtiment, les transports et l’industrie;
- Utiliser la transition vers une énergie plus propre et
plus efficace pour créer et préserver des emplois;
- Mettre en place des incitations à une juste tarification
de l’énergie propre;
- Améliorer les cadres commerciaux et réglementaires pour
les investissements en énergie propre (réseaux et technologies)
et pour la sécurité nucléaire;
- Renforcer le Système européen d’échanges de quotas d’émissions
et essayer de l’étendre aux pays non membres de l’Union européenne;
- Pénaliser les gaspilleurs d’énergie et les pollueurs au
moyen de dispositifs de taxation appropriés, et fournir une aide
ciblée aux consommateurs d’énergie les plus vulnérables;
- Supprimer les subventions aux combustibles fossiles, mais
envisager un soutien financier temporaire pour la transition vers
les technologies plus propres, la modernisation de l’infrastructure
énergétique et les efforts visant à réduire l’intensité énergétique;
- Encourager la coopération sur les marchés régionaux de
l’énergie et la compétitivité parmi les acteurs de ce marché;
- Prendre les précautions nécessaires pour explorer et exploiter
des ressources en gaz non conventionnel;
- Poursuivre l’intégration des marchés de la production
électrique et thermique;
- Développer les capacités de transmission, d’interconnexion
et de stockage au niveau national et régional;
- Soutenir activement le déploiement de réseaux de distribution
d’électricité intelligents, de technologies de valorisation énergétique
des déchets, d’installations de stockage et de réseaux de stations-service pour
les véhicules alternatifs;
- Durcir la réglementation en matière d’émissions et de
certification;
- Diversifier les canaux d’approvisionnement et les fournisseurs;
- Informer, consulter et impliquer dûment les citoyens durant
la préparation de projets d’énergie propre.