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Rapport | Doc. 13435 | 28 février 2014

Nécessité de s’occuper d’urgence des nouveaux cas de défaut de coopération avec la Cour européenne des droits de l'homme

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Kimmo SASI, Finlande, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13185, Renvoi 3961 du 31 mai 2013. 2014 - Deuxième partie de session

Résumé

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme souligne l’importance de l’obligation faite aux Etats Parties à la Convention européenne des droits de l’homme de coopérer avec la Cour européenne des droits de l’homme à la protection du droit de requête individuelle devant la Cour.

Les mesures individuelles indiquées par la Cour au titre de l’article 39 du Règlement de la Cour visent à protéger ce droit, en évitant la création d’un fait accompli, qui risquerait de causer un préjudice grave et irréversible à un requérant. La commission invite par conséquent l’ensemble des Etats Parties à la Convention à respecter les mesures provisoires indiquées par la Cour et à lui communiquer tous les éléments d’information et de preuve qu’elle leur demande.

La commission condamne fermement les cas de violations caractérisées, commises par plusieurs Etats Parties à la Convention, des mesures provisoires indiquées par la Cour qui visent à protéger les requérants contre toute extradition ou expulsion vers des pays où ils risqueraient, notamment, d’être torturés. Elle s’inquiète du phénomène, récemment observé en Fédération de Russie, de la disparition momentanée de requérants protégés par des mesures provisoires, qui réapparaissent ensuite dans le pays qui avait demandé leur extradition. Ces situations peuvent être assimilées à la pratique des «restitutions extraordinaires», condamnée à de multiples reprises par l’Assemblée parlementaire.

La commission se félicite du fait que la Cour recoure de plus en plus à la présomption de fait et au renversement de la charge de la preuve pour faire face au refus des Etats Parties de coopérer avec elle, qui consiste de leur part à ne pas communiquer intégralement, franchement et honnêtement à la Cour les éléments d’information ou de preuve supplémentaires qu’elle leur demande.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 12 décembre
2013.

(open)
1. Rappelant sa Résolution 1571 (2007) «Devoir des Etats membres de coopérer avec la Cour européenne des droits de l’homme» et sa Résolution 1788 (2011) «Protéger les réfugiés et les migrants en situation d’extradition et d’expulsion: indications au titre de l'article 39 du règlement de la Cour européenne des droits de l'homme», l’Assemblée parlementaire souligne l’importance du droit de requête individuelle devant la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»). La protection de ce droit est l’objectif visé par les mesures individuelles indiquées par la Cour au titre de l’article 39 du Règlement de la Cour, qui sont destinées à éviter la création d’un fait accompli.
2. L’Assemblée considère toute absence de respect des mesures juridiquement contraignantes ordonnées par la Cour, telles que les mesures provisoires indiquées à l’article 39, comme une méconnaissance claire du système européen de protection des droits de l’homme prévu par la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention»).
3. L’Assemblée invite par conséquent tous les Etats Parties à la Convention à respecter les mesures provisoires indiquées par la Cour et à lui communiquer l’intégralité des informations et des éléments de preuve qu’elle leur demande.
4. L’Assemblée condamne fermement les cas de violations caractérisées, commises par plusieurs Etats Parties à la Convention (Italie, Fédération de Russie, République slovaque, Turquie et Ukraine), des mesures provisoires indiquées par la Cour qui visent à protéger les requérants contre toute extradition ou expulsion vers des pays où ils risqueraient, notamment, d’être torturés.
5. L’Assemblée insiste sur le fait que la coopération internationale entre les services répressifs, fondée sur des accords régionaux, comme l'Organisation de coopération de Shanghai, ou sur des relations anciennes, ne doit pas porter atteinte aux engagements contraignants pris par un Etat Partie au titre de la Convention.
6. L’Assemblée s’inquiète donc tout particulièrement du phénomène, récemment observé en Fédération de Russie, de la disparition momentanée de requérants protégés par des mesures provisoires, qui réapparaissent ensuite dans le pays qui avait demandé leur extradition. Les méthodes clandestines employées indiquent que les autorités devaient avoir conscience de l’illégalité de ces actes, qui peuvent être assimilables à la pratique des «restitutions extraordinaires», condamnée à de multiples reprises par l’Assemblée.
7. L’Assemblée se félicite du fait que la Cour recoure de plus en plus à la présomption de fait et au renversement de la charge de la preuve pour faire face au refus des Etats Parties de coopérer avec elle, qui consiste de leur part à ne pas communiquer intégralement, franchement et honnêtement à la Cour les informations ou éléments de preuve supplémentaires qu’elle leur demande.
8. Concernant les mesures provisoires indiquées au titre de l’article 39, et tout en saluant le fait que la Cour ait commencé à indiquer des mesures concrètes assorties d’une exigence de suites à donner, afin de garantir la protection efficace des droits des requérants en situation de risque, l’Assemblée:
8.1. encourage la Cour à être aussi précise qu’il convient lorsqu’elle indique ces mesures et, avec circonspection, à réfléchir à la possibilité d’ordonner le versement de dommages-intérêts au titre de l’article 41 de la Convention, en cas de violation des mesures provisoires;
8.2. invite la Cour à accélérer, dans la mesure du possible, la procédure sur le fond dans les affaires où elle indique des mesures provisoires.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 12 décembre
2013.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2014) sur la nécessité de s’occuper d’urgence des nouveaux cas de défaut de coopération avec la Cour européenne des droits de l'homme, à la Résolution CM/Res(2010)25 du Comité des Ministres sur le devoir des Etats membres de respecter et protéger le droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme, adoptée en réponse à la Résolution 1571 (2007) de l’Assemblée sur le devoir des Etats membres de coopérer avec la Cour européenne des droits de l’homme, et à la décision prise par le Comité des Ministres lors de sa 1176e réunion le 10 juillet 2013 à propos des enlèvements et des transferts illégaux du territoire national.
2. L’Assemblée félicite le Comité des Ministres d’assurer le suivi régulier des affaires de non-respect des mesures provisoires de la Cour européenne des droits de l’homme.
3. L’Assemblée invite le Comité des Ministres à continuer d’insister sur la nécessité de mener une enquête effective sur toute violation des mesures provisoires de la Cour, et notamment les transferts illégaux du territoire national, et à exiger que les Etats Parties concernés amènent les auteurs d’actes illégaux à rendre des comptes.

C. Exposé des motifs, par M. Sasi, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Procédure

1. La proposition de recommandation intitulée «Nécessité de s’occuper d’urgence des nouveaux cas de défaut de coopération avec la Cour européenne des droits de l’homme» (Doc.13185) a été transmise à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, pour rapport, par l’Assemblée parlementaire le 23 avril 2013. Lors de sa réunion du 25 juin 2013, la commission m’a nommé rapporteur. Comme cela avait été convenu le 4 septembre 2013, la commission a tenu une audition conjointe sur «Les manquements dans la mise en œuvre des mesures provisoires de la Cour de Strasbourg» avec la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées lors de la partie de session d’octobre 2013, sur la base de ma note introductive 
			(3) 
			«Nécessité
de s’occuper d’urgence des nouveaux cas de défaut de coopération
avec la Cour européenne des droits de l'homme, document AS/Jur (2013)
31 du 17 septembre 2013.. Les experts suivants ont pris part à cette audition:
  • Mme Clara Burbano Herrera, chargée de recherches principale, Centre des droits de l’homme, Université de Gand, Belgique
  • M. Vincent Berger, ancien jurisconsulte à la Cour européenne des droits de l’homme, avocat, Paris
  • Mme Heather McGill, Amnesty International, Londres

1.2. L’obligation faite aux Etats Parties de coopérer avec la Cour: une garantie du droit de requête individuelle

2. Le droit de requête individuelle est une pierre angulaire du système de protection des droits de l’homme établi par la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention»). L’Assemblée a défendu ce droit tout au long des discussions qui ont porté ces dernières années sur la réforme du système de la Convention 
			(4) 
			Voir par exemple la Résolution 1856 (2012) «Garantir l’autorité et l’efficacité de la Convention
européenne des droits de l’homme» (paragraphe 2).. L’exercice effectif de ce droit est garanti par les obligations, auxquelles les Etats membres ont souscrit, de ne pas empêcher cet exercice (article 34 de la Convention) et de coopérer avec la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») en lui fournissant toutes facilités nécessaires si elle décidait de procéder à sa propre enquête (article 38).
3. Au cours de ces dernières années, le nombre des affaires dans lesquelles la Cour a conclu à la violation de l’article 38 de la Convention a considérablement diminué. Cette situation peut s’expliquer en partie par le règlement de certaines situations politiques et par la volonté accrue de coopérer avec la Cour témoignée par les Etats. Elle peut également être due à la modification de l’angle d’approche choisi par la Cour, qui a presque systématiquement transféré la charge de la preuve aux gouvernements dans les affaires qui se caractérisent par certains types de faits 
			(5) 
			Voir O. Chernishova
et N. Vajic, «The Court’s evolving response to the States’ failure
to cooperate» in The European Convention on Human Rights,
a living instrument: essays in honour of Christos L. Rozakis (sous
la direction de D. Spielmann), Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 72-77.; la Cour conclut de ce fait à une violation substantielle même en l’absence de preuves incontestables que les gouvernements continuent bien souvent à ne remettre qu’avec réticence. En conséquence, bien que les situations qui amenaient autrefois la Cour à conclure à la violation de l’obligation de coopérer avec elle n’aient pas disparu, elles semblent aujourd’hui examinées et prises en compte dans le cadre de violations substantielles.
4. Je suis très satisfait que la Cour ait trouvé le moyen de résoudre ces affaires dans un sens qui garantisse dans la mesure du possible les droits du requérant. L’Assemblée, dans sa Résolution 1571 (2007) sur le devoir des Etats membres de coopérer avec la Cour européenne des droits de l’homme 
			(6) 
			Fondée sur le rapport
de notre ancien collègue, M. Christos Pourgourides (Chypre, PPE/CD), Doc. 11183. , se félicitait «de la fermeté dont la Cour a fait preuve en élaborant sa jurisprudence sur le devoir des Etats membres de coopérer à l’établissement des faits» et l’encourageait à continuer en ce sens «en ayant recours aux présomptions de fait et en renversant la charge de la preuve dans les cas appropriés».
5. La situation est très différente à propos de l’article 34 de la Convention et, surtout, du respect par les Etats de l’article 39 du Règlement de la Cour. Cet article autorise la Cour à indiquer aux Parties toute mesure provisoire qu’elle estime devoir être adoptée dans l’intérêt des Parties ou du bon déroulement de la procédure engagée devant elle. L’application de l’article 39 dans les affaires d’extradition et d’expulsion autorise notamment la Cour à veiller au maintien du statu quo ou à ce que la situation d’un requérant ne se détériore pas avant qu’elle n’ait la possibilité d’examiner le grief au fond. En 2005, la Cour a conclu que les mesures provisoires qu’elle indiquait avaient un caractère juridiquement contraignant pour les Parties et que leur violation pouvait s’apparenter à une violation du droit de requête individuelle 
			(7) 
			Mamatkulov et Askarov c. Turquie (Requêtes
nos 46827/99 et 49651/99), arrêt de du
4 février 2005 [Grande Chambre], paragraphe 129..
6. En 2010, le nombre de requêtes introduites devant la Cour en application de l’article 39 a été le plus élevé de son histoire. Ce nombre a depuis considérablement diminué 
			(8) 
			Voir par exemple le
rapport du Comité directeur des droits de l'homme sur «les mesures
provisoires prises au titre de l’article 39 du Règlement de la Cour»,
adopté lors de sa 77e réunion, 19-23
mars 2013, paragraphe 10., ce qui peut s’expliquer par divers facteurs, qui vont de l’évolution de certaines situations politiques à la réforme de la propre procédure de la Cour, et peut-être par l’éventuelle amélioration du traitement d’une certaine catégorie d’affaires par les autorités administratives et judiciaires nationales.
7. Malgré l’apparent succès statistique dont témoigne la diminution du nombre de requêtes introduites devant la Cour, le non-respect des mesures provisoires contraignantes ordonnées par la Cour s’avère très inquiétant. Depuis 2005, la Cour a traité une quantité considérable d’affaires de ce type provenant de plusieurs Etats et qui concernaient, le plus souvent, le déplacement, l’expulsion ou l’extradition des requérants, en contravention des dispositions de l’article 39. Toutefois, depuis quelque temps, une nouvelle tendance se dessine: les requérants bénéficiant de la protection d’une mesure provisoire, qui étaient autrefois déplacés à la suite d’une décision nationale, «disparaissent» dans des circonstances suspectes pour refaire surface dans leur pays d’origine ou le pays demandeur, voire ne réapparaissent jamais. Huit incidents de ce type ont été signalés depuis 2011: ils se sont tous produits dans un seul Etat membre et concernaient des requérants faisant l’objet d’une demande d’extradition émanant de deux Etats qui ne sont pas Parties à la Convention. La Cour a déjà conclu dans quelques affaires que le déplacement des intéressés avait eu lieu avec la participation directe ou la connivence passive des autorités de l’Etat lié par la mesure provisoire 
			(9) 
			Voir par exemple Abdulkhakov c. Russie, Requête n°
14743/11, arrêt du 2 octobre 2012 et Zokhidov
c. Russie, Requête n° 67286/10, arrêt du 5 février 2013; Savriddin Dzhurayev c. Russie, Requête
n° 71386/10, arrêt du 25 avril 2013 (non encore définitif)..
8. En ne respectant pas les indications données par la Cour, les Etats Parties privent les requérants de la protection concrète et effective des droits consacrés par la Convention, empêchent la Cour d’examiner convenablement les requêtes et portent atteinte à l’autorité de la Cour. Mais la situation se révèle plus troublante encore lorsque les Etats cherchent à échapper à leurs responsabilités pour des événements survenus sur leur territoire en s’abritant derrière un rideau de fumée.

1.3. Les travaux antérieurs du Conseil de l’Europe sur la question

9. La question du respect du droit de requête individuelle garanti par l’article 34 de la Convention et de la conformité aux mesures provisoires indiquées au titre de l’article 39 n’est pas une nouveauté dans les travaux du Conseil de l’Europe: plusieurs organes en ont traité les diverses facettes à différentes occasions.

1.3.1. L’Assemblée parlementaire

10. La question a été soulevée dans deux rapports importants de l’Assemblée, ainsi que dans les résolutions et recommandations établies sur la base de ces documents
11. Dans le rapport intitulé «Devoir des Etats membres de coopérer avec la Cour européenne des droits de l’homme», tout en attirant l’attention sur les cas de non-respect des mesures provisoires indiquées par la Cour, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme a comparé le statut des mesures provisoires dans le système de la Convention européenne et dans les autres mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme. Elle a en particulier évoqué la pratique établie au titre de l’article 63.2 de la Convention américaine des droits de l'homme, qui habilite la Cour interaméricaine des droits de l’homme à ordonner aux Etats de prendre des mesures concrètes. Ainsi, dans l’affaire Aleman-Lacayo, la Commission interaméricaine a demandé à la Cour d’adopter une mesure enjoignant au Gouvernement du Nicaragua d’adopter des mesures de sécurité efficaces pour protéger la vie et l’intégrité personnelles du docteur Aleman-Lacayo, et notamment de communiquer à l’intéressé et aux membres de sa famille «le nom et le numéro de téléphone d’une personne en position d’autorité» chargée d’assurer leur protection. La Cour a accédé à la demande de la Commission et a sommé le Gouvernement nicaraguayen d’adopter «les mesures nécessaires pour protéger la vie et l’intégrité personnelle du docteur Aleman-Lacayo» (voir l’affaire Aleman-Lacayo, Cour interaméricaine des droits de l’homme, ordonnance du 2 février 1996). Il se trouve que l’un des experts invités par la commission, Mme Burbano-Herrera 
			(10) 
			Voir Clara Burbano
Herrera, Provisional Measures in the Case Law of the Inter-American
Court of Human Rights, 2010., a également évoqué cette intéressante affaire lors de notre audition du 3 octobre 2013; un autre expert, M. Berger, ancien jurisconsulte à la Cour européenne des droits de l’homme, a encouragé cette dernière à «faire preuve de plus d’imagination» à l’égard des mesures provisoires de l’article 39.
12. Dans sa Résolution 1571 (2007), l’Assemblée invite les autorités compétentes de tous les Etats membres, notamment:
«17.2. à prendre des mesures positives pour protéger les requérants, leurs avocats ou les membres de leur famille de représailles de la part d’individus ou de groupes et notamment, s’il y a lieu, à permettre aux requérants de prendre part à des programmes de protection des témoins, de leur accorder une protection policière spéciale ou d’accorder aux individus et aux membres de leur famille qui sont l’objet de menaces une protection temporaire ou l’asile politique de manière non bureaucratique;
17.3. à mener des enquêtes approfondies sur toutes les affaires dans lesquelles il est allégué que les requérants, leurs avocats ou les membres de leur famille ont été victimes de crimes et à prendre des mesures énergiques pour poursuivre et punir les auteurs et les instigateurs de pareils actes, et, ainsi, adresser un message clair signifiant que pareils actes ne seront en aucun cas tolérés par les autorités;»
13. Dans cette même résolution, l’Assemblée invite la Cour à «pren[dre] les mesures provisoires appropriées, y compris de nouveaux types de mesures provisoires telles que donner ordre de placer les individus et les membres de leur famille qui sont l’objet de menace sous protection policière ou de les installer ailleurs». Elle invite également les parlements nationaux «à inclure tous les aspects du devoir des Etats membres de coopérer avec la Cour dans leurs activités visant à contrôler le respect par les gouvernements des obligations contractées au titre de la Convention, et à tenir le pouvoir exécutif ou d’autres autorités responsables de toute violation».
14. Il convient de noter à ce propos que, dans l’arrêt récemment rendu dans l’affaire Savriddin Dzhurayev, la Cour a pour la première fois ordonné, au titre de mesure générale de l’article 46 de la Convention, que l’Etat défendeur mette en place un mécanisme approprié, capable de garantir que les requérants à l’égard desquels la Cour a indiqué des mesures provisoires «bénéficient d’une protection immédiate et effective contre les enlèvements illégaux et les renvois irréguliers» hors du territoire national et de la juridiction des tribunaux russes. Ce mécanisme «devrait être soumis à l’examen attentif d’un agent compétent des services répressifs capable d’intervenir à brève échéance pour empêcher toute violation soudaine des mesures provisoires susceptible de survenir à dessein ou accidentellement». La Cour a également ordonné que ces requérants et leurs avocats aient facilement accès aux agents publics concernés, «afin de les informer de toute situation d’urgence et de leur demander d’assurer d’urgence leur protection» 
			(11) 
			Voir
le paragraphe 262 de l'arrêt, op. cit.. Comme l’a souligné M. Berger lors de l’audience du 3 octobre 2013, la Cour continue de s’abstenir d’indiquer précisément quelles mesures spécifiques l’Etat défendeur est tenu de prendre pour parvenir au résultat escompté; mais le fait que la Cour demande clairement aux autorités de prendre des mesures concrètes représente une avancée importante, qui s’inscrit dans le droit fil de l’invitation déjà faite en ce sens par l’Assemblée.
15. A la suite du transfert par les autorités italiennes du requérant, M. Toumi, en Tunisie, au mépris flagrant de la mesure provisoire ordonnée par la Cour, le 6 août 2009 Mme Herta Däubler-Gmelin (Allemagne, SOC) et M. Christos Pourgourides (Chypre, PPE/DC), à l’époque respectivement présidente de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et rapporteur sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, ont condamné dans une déclaration commune faite à la presse l’attitude de l’Italie 
			(12) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-fr.asp?newsid=2544&lang=1'>http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-fr.asp?newsid=2544&lang=1.</a>.
16. Le 20 août 2009, Mme Däubler-Gmelin a adressé une question écrite au Comité des Ministres, en lui demandant des informations sur les mesures qu’il avait prises à l’égard du non-respect réitéré, par l’Italie, des mesures provisoires et sur les dispositions qu’il avait l’intention de prendre pour garantir ce respect à l’avenir 
			(13) 
			Doc. 12000.. En parallèle, Mme Däubler-Gmelin a adressé une lettre à la délégation parlementaire italienne, dans laquelle elle posait les mêmes questions.
17. Le deuxième rapport pertinent de l’Assemblée, «Protéger les réfugiés et les migrants en situation d’extradition et d’expulsion: indications au titre de l'article 39 du Règlement de la Cour européenne des droits de l'homme» 
			(14) 
			Doc.12435,
adopté le 9 novembre 2010. de la commission des migrations, des réfugiés et de la population a été élaboré au plus fort de la vague de demandes d’application de l’article 39 faites par les demandeurs d’asile et les migrants et traitait spécifiquement de ce groupe vulnérable de bénéficiaires potentiels des mesures provisoires. Comme le nombre d’incidents de non-respect d’une mesure provisoire était à l’époque relativement faible, le rapport analysait la notion générale du respect des mesures par les Etats et les obstacles objectifs susceptibles de le contrecarrer. Il donnait également un aperçu de la structure de l’aide institutionnelle du Conseil de l’Europe au mécanisme de l’article 39.
18. Dans la Résolution 1788 (2011) fondée sur ce rapport, l’Assemblée condamnait «toute violation des mesures juridiquement contraignantes prescrites par la Cour, (…) qu’elle considère comme une preuve flagrante de mépris pour ce système unique de protection des droits de l’homme» et demandait instamment aux Etats membres:
«15.1. de garantir le droit de recours individuel devant la Cour, consacré par l’article 34, de ne pas entraver ou restreindre l’exercice de ce droit de quelque manière que ce soit et de respecter pleinement la lettre et l’esprit des mesures provisoires indiquées par la Cour en vertu de l’article 39, notamment: 
15.1.1. en coopérant avec la Cour et les organes de la Convention, en fournissant des réponses complètes, franches et justes aux demandes d’informations supplémentaires formulées en application de l’article 39.3, et en facilitant au maximum toute demande de la Cour visant à établir les faits;
...»
19. De plus, l’Assemblée espérait une nouvelle fois que la Cour exigerait «l’adoption par les Etats de mesures spécifiques de réparation du préjudice causé, afin que le Comité des Ministres puisse suivre de manière plus efficace l’exécution des arrêts».
20. En juin 2012, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme a examiné la question du non-respect des mesures provisoires par la Fédération de Russie et l’Ukraine dans le cadre de son audition consacrée à la mise en œuvre des arrêts de la Cour 
			(15) 
			Voir la Note d'information
établie par le Secrétariat de la commission des questions juridiques
et des droits de l'homme sur instruction de M. Klaas de Vries, AS/Jur
(2012) 23..

1.3.2. Comité des Ministres

21. Dans sa Résolution CM/Res(2010)25 
			(16) 
			Adoptée le 10 novembre
2010: <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM/Res%282010%2925&Language=lanFrench'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM/Res%282010%2925&Language=lanFrench</a>, adoptée en réponse à la Résolution 1571 (2007) de l’Assemblée, le Comité des Ministres invitait les Etats membres, notamment:
«2. à s’acquitter de leurs obligations positives de protéger les requérants ou les personnes qui ont indiqué leur intention de porter plainte devant la Cour (…) en (…) accordant des formes appropriées de protection efficace, y compris au niveau international;
3. (…) à prendre des mesures rapides et efficaces concernant toute indication de mesures provisoires de la Cour en vue d’assurer le respect des obligations en vertu des dispositions pertinentes de la Convention;
4. à identifier tous les cas d’allégation d’ingérence dans l’exercice du droit de recours individuel et à mener des enquêtes appropriées, compte tenu des obligations positives découlant déjà de la Convention à la lumière de la jurisprudence de la Cour;
5. à prendre, conformément au droit interne, toute mesure ultérieure appropriée contre les personnes suspectées d’être les auteurs et les instigateurs de pareilles ingérences, y compris, lorsque cela se justifie, en engageant des poursuites et le cas échéant en punissant les coupables.»
22. En outre, dans cette même résolution, le Comité des Ministres a décidé d’examiner d’urgence tout incident d’ingérence dans le droit de requête individuelle. Depuis lors, les incidents de non-respect de l’article 39 dans les affaires dans lesquelles un arrêt a été rendu et dans les affaires encore pendantes devant la Cour sont régulièrement inscrits à l’ordre du jour des réunions droits de l’homme du Comité des Ministres.
23. Lors de leur 1176e réunion du 10 juillet 2013, les Délégués des Ministres ont pris les décisions suivantes:
«1. notent, avec grave préoccupation, qu’un autre incident impliquant des allégations d’enlèvement et de transfert illégal d’un requérant protégé par une mesure provisoire indiquée par la Cour en vertu de l’article 39, a été signalé, cette fois dans le contexte de l’affaire Mamazhonov;
2. insistent vivement pour que toute la lumière soit faite le plus rapidement possible sur cet incident et sur le sort du requérant;
3. insistent de nouveau, en conséquence, sur la nécessité urgente d’adopter dès à présent des mesures pour assurer une protection immédiate et effective aux requérants dans une situation similaire contre les enlèvements et les transferts illégaux du territoire national;
(…)» 
			(17) 
			S'agissant
du point 3 de la décision des Délégués, il convient de noter que
la Cour a également souligné la nécessité de prévoir «un mécanisme
adéquat, ayant une fonction à la fois de prévention et de protection,
afin de garantir que le requérant jouisse (notamment après sa remise
en liberté) d'une protection immédiate et efficace contre son transfert illégal
ou irrégulier depuis le territoire russe et la compétence des juridictions
russes» (lettre au Comité des Ministres du 22 juillet 2013 à propos
de l'affaire Saliyev c. Russie).
De même, dans ses «questions supplémentaires» adressées aux autorités
russes le 8 juillet 2013 dans l'affaire Mamazhonov
c. Russie (Requête n° 17239/13), la Cour a demandé quelles mesures
les autorités avaient prises «pour protéger le requérant contre
son transfert concevable avant, pendant et immédiatement après sa
remise en liberté supposée du centre de détention provisoire».

2. Le mécanisme de l’article 39: les récentes tendances

24. L’article 39 du Règlement de la Cour est libellé comme suit:
«1. La chambre ou, le cas échéant, le président de la section ou un juge de permanence désigné conformément au paragraphe 4 du présent article peuvent, soit à la demande d’une partie ou de tout autre personne intéressée, soit d’office, indiquer aux parties toute mesure provisoire qu’ils estiment devoir être adoptée dans l’intérêt des parties ou du bon déroulement de la procédure.
2. Le cas échéant, le Comité des Ministres est immédiatement informé des mesures adoptées dans une affaire.
3. La chambre ou, le cas échéant, le président de la section ou un juge de permanence désigné conformément au paragraphe 4 du présent article peuvent inviter les parties à leur fournir des informations sur toute question relative à la mise en œuvre des mesures provisoires indiquées.
4. Le Président de la Cour peut désigner des vice-présidents de section comme juges de permanence pour statuer sur les demandes de mesures provisoires.»
25. Comme nous l’avons précisé plus haut, l’article 39 est lié à l’article 34 de la Convention, en vertu duquel les Etats parties «s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit» de requête individuelle. La pratique de la Cour consiste à prendre une mesure provisoire contre un Etat partie uniquement lorsque, après examen des informations pertinentes, elle estime que le requérant court réellement le risque de subir un préjudice grave et irréversible si cette mesure n’est pas appliquée. Dans son arrêt rendu tout récemment dans l’affaire Savriddin Dzhurayev c. Russie, la Cour a réaffirmé que les mesures provisoires n’avaient pas uniquement pour but de faciliter l’examen effectif des requêtes, mais visaient également à garantir le caractère effectif de la protection accordée au requérant par la Convention 
			(18) 
			Voir Savriddin Dzhurayev c. Russie, op.
cit., paragraphe 212. La Cour a utilisé le même argument
dans ses arrêts antérieurs rendus dans les affaires Mamatkulov et Askarov c. Turquie, op.
cit., paragraphe 125; Shamayev
et autres c. Géorgie et Russie, Requête n° 36378/02,
arrêt du 12 avril 2005, paragraphe 473; Aoulmi
c. France, Requête n° 50278/99, paragraphe 108; en ce
qui concerne la France, il convient de noter que dans une affaire
ultérieure (Ministère de l’Intérieur c.
Djamel Beghal) le Conseil d’Etat s'est aligné sur la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg et a annulé l'ordonnance d'expulsion
rendue à l'encontre de M. Beghal pour la durée de la procédure ouverte
devant la Cour européenne des droits de l'homme (Conseil d’Etat,
Ordonnance du 30 juin 2009, Requête n° 328879, Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et
des Collectivités Territoriales c. M. Djamel Beghad);
et Ben Khemais c. Italie,
Requête n° 246/07, arrêt du 24 février 2009, paragraphe 82.. Ces indications permettent également aux Etats concernés de respecter convenablement leur obligation de se conformer à un arrêt définitif et juridiquement contraignant de la Cour et au Comité des Ministres de surveiller l’exécution des arrêts définitifs 
			(19) 
			Ibid.. L’importance absolue et primordiale du respect des mesures provisoires par les Etats a été proclamée avec fermeté par les Etats Parties eux-mêmes dans la Déclaration d’Izmir 
			(20) 
			Déclaration finale
de la Conférence à haut niveau sur l’avenir de la Cour européenne
des droits de l’homme tenue à Izmir les 26-27 avril 2011, p. 3. et par le Comité des Ministres dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH(2010)83 
			(21) 
			Adoptée par le Comité
des Ministres le 3 juin 2010, lors de la 1086e réunion
des Délégués des Ministres: <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM/ResDH%282010%2983&'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM/ResDH%282010%2983&</a>. adoptée à propos de l’affaire Ben Khemais c. Italie. La Cour a également réaffirmé à plusieurs reprises que les Etats devaient, lorsqu’ils se conformaient à une mesure intérimaire, en respecter aussi bien la lettre que l’esprit ou, en d’autres termes, tenir compte de son objectif même 
			(22) 
			Voir Paladi c. Moldova, Requête n° 39806/05,
arrêt du 10 mars 2009 [Grande Chambre], paragraphe 91. .
26. Bien que le caractère juridiquement contraignant des mesures provisoires suppose que leur non-respect puisse amener la Cour à conclure à la violation de l’article 34 de la Convention, la Cour a précisé qu’un tel manquement pouvait ne pas être constitutif d’une violation lorsque l’Etat défendeur démontrait qu’un obstacle objectif l’avait empêché de s’y conformer et qu’il avait entrepris toutes les démarches raisonnablement envisageables pour supprimer l’obstacle et tenir la Cour informée de la situation. Cela a été le cas dans les affaires Muminov c. Russie, Sivanathan c. Royaume-Uni, M.B. et autres c. Turquie, ainsi que Hamidovic c. Italie 
			(23) 
			Pour les caractéristiques
particulières des requêtes, voir en annexe au présent document., où la Cour a admis que le non-respect de la mesure provisoire imposée avait été la conséquence d’une suite malheureuse d’événements (en général le temps trop court qui s’était écoulé entre la communication de la mesure par la Cour et le déplacement du requérant ou le retard survenu dans la transmission des informations entre les structures administratives) ou des actes du requérant lui-même et a établi que le gouvernement n’en était pas responsable.
27. Néanmoins, depuis 2005, date à laquelle la Cour a souligné le caractère juridiquement contraignant des mesures provisoires, elle a conclu dans près de 20 affaires à une violation de l’article 34 de la Convention liée au non-respect de l’article 39. Dans plusieurs de ces affaires, à savoir Aleksanyan c. Russie, Paladi c. Moldova et Grori c. Albanie 
			(24) 
			Aleksanyan
c. Russie, Requête n° 46468/06, arrêt du 22 décembre
2008; Paladi c. Moldova, op. cit.; Grori c. Albanie, Requête n° 25336/04,
arrêt du 7 juillet 2009. , les mesures provisoires concernaient le traitement médical des requérants – leur transfert de la prison à l’hôpital ou la poursuite de leur traitement dans un établissement médical spécialisé. La Cour a, dans l’affaire Shtukaturov c. Russie 
			(25) 
			Shtukaturov
c. Russie, Requête n° 44009/05, arrêt du 27 mars 2008., ordonné au gouvernement défendeur d’autoriser le requérant à voir son avocat. Toutefois, dans la majorité de ces affaires, la mesure provisoire appliquée visait à suspendre l’extradition ou l’expulsion des requérants, afin d’éviter qu’ils ne courent le risque d’être victimes, dans le pays qui devait les accueillir, des mauvais traitements interdits par l’article 3 de la Convention 
			(26) 
			Pour une analyse du
rôle et de l'application des mesures de l'article 39 jusqu'en avril
2012, voir «Research on ECHR Rule 39 Interim Measures», European
Legal Network on Asylum (ELENA) et European Council on Refugees
and Exiles (ECRE), avril 2012. .
28. Les caractéristiques de toutes les affaires dans lesquelles l’article 39 a (ou aurait) été enfreint figurent en annexe au présent document; il n’est donc pas nécessaire de les répéter ici. Plusieurs tendances peuvent être remarquées.
29. En premier lieu, de 2009 à 2012, la Cour a rendu quatre arrêts contre l’Italie qui concernaient l’extradition, en violation flagrante des mesures provisoires, de ressortissants tunisiens qui, dans leur pays d’origine, étaient accusés ou condamnés par contumace pour activités terroristes. Le transfert des requérants en Tunisie a lieu entre juin 2008 et mai 2010. Le Gouvernement italien a justifié cette mesure en affirmant que les requérants représentaient une menace pour la sécurité nationale. Dans tous les arrêts susmentionnés, la Cour a conclu, outre à la violation de l’article 34 de la Convention, à la violation de l’article 3 de la Convention, qui interdit la torture et les traitements inhumains, au motif que les requérants risquaient de faire l’objet de mauvais traitements. Il convient de noter que l’un des quatre requérants, M. Toumi, a par la suite indiqué à la Cour qu’il avait été torturé à son arrivée dans son pays d’origine 
			(27) 
			Ben Khemais c. Italie, Trabelsi c. Italie, Toumi c. Italie et Mannai c. Italie. Les précisions
relatives à ces requêtes figurent en annexe au présent document.. Le Gouvernement italien n’a, à ce jour, communiqué aucune information sur la situation actuelle des autres requérants.
30. Une série plus longue encore d’épisodes relatifs au transfert «secret» de personnes de la Fédération de Russie au Tadjikistan et en Ouzbékistan a débuté à l’été 2011 
			(28) 
			Toutefois, avant cette
série d'épisodes, une expulsion au moins avait été effectuée à la
suite de l'échec d'une extradition et en dépit d'une mesure provisoire
ordonnée par la Cour: voir l'arrêt de la Cour du 3 juin 2010 dans
l'affaire Kamaliyevy c. Russie,
Requête n° 52812/07.. A ce jour, la Cour a rendu trois arrêts contre la Fédération de Russie dans ce type d’affaires, en concluant dans chacune d’elles que les transferts illégaux avaient eu lieu avec la participation active ou la connivence passive des autorités russes 
			(29) 
			Supra
note 10.. La Cour a également établi dans les trois arrêts qu’en transférant les requérants ou en ne les protégeant pas contre leur déplacement forcé, la Fédération de Russie n’avait pas respecté ses obligations nées de l’article 3 de la Convention. Cinq autres requêtes introduites pour le même grief sont actuellement pendantes devant la Cour 
			(30) 
			Voir
en annexe au présent document.. Dans la majorité de ces affaires, les requérants étaient recherchés dans leur Etat d’origine pour leur adhésion à une organisation religieuse illégale ou leur participation à des activités religieuses illicites. Dans d’autres affaires, les requérants avaient été accusés d’activités terroristes ou de crimes supposés, qui pouvaient être qualifiés d’atteinte à la sécurité nationale. A chaque fois, les requérants avaient été au départ arrêtés en Russie en vue d’être extradés, puis relâchés, en général après expiration du délai légal applicable à ce type de détention; ils avaient ensuite «disparu» dans des circonstances suspectes. Dans la majorité de ces affaires, les requérants avaient refait surface, après leur «disparition», dans les pays où ils étaient recherchés; ils y avaient été reconnus coupables des faits qui leur étaient reprochés et condamnés, souvent, selon eux, après avoir été torturés, les autorités locales refusant d’ouvrir une enquête à ce sujet. Dans d’autres affaires, la preuve indirecte du transfert des requérants vers les Etats qui les recherchaient avait été transmise le plus souvent par des sources médiatiques anonymes 
			(31) 
			Voir, par exemple,
les affaires Koziyev c. Russie, Latipov c. Russie et Ermakov c. Russie (détails disponibles
en annexe au présent document).. Dans toutes ces affaires, les autorités russes ont refusé d’ouvrir une enquête judiciaire sur la disparition des requérants ou donné des explications vagues et peu convaincantes après une enquête qui avait duré des années.
31. Le plus récent arrêt rendu par la Cour en la matière, Savriddin Dzhurayev c. Russie, porte sur une affaire qui s’inscrit exactement dans cette catégorie. Le requérant, arrêté au départ en Russie pour être extradé au Tadjikistan en raison de ses activités religieuses illicites supposées, avait été remis en liberté en mai 2011 après application par la Cour d’une mesure provisoire suspendant son extradition. En septembre 2011, les autorités russes avaient accordé à M. Dzhurayev l’asile provisoire en Russie. Selon le requérant, le 31 octobre 2011, il a été enlevé à Moscou par un groupe d’hommes qui l’avaient séquestré dans une fourgonnette pendant un ou deux jours, l’avaient torturé et l’avaient conduit à l’aéroport où il avait été transféré par avion à Khoudjand (Tadjikistan), sans effectuer les formalités habituelles aux frontières ni être soumis au contrôle de sécurité. A son arrivée, il avait été remis aux autorités tadjikes. D’après les déclarations de son père, M. Dzhurayev avait été ensuite détenu dans un commissariat de police, où il avait été sérieusement maltraité et contraint à des aveux. Après avoir été informé de l’enlèvement de son client à Moscou, l’avocat de M. Dzhurayev avait immédiatement contacté un certain nombre de responsables russes, parmi lesquels le chef de la police de Moscou et le procureur général, pour leur demander de protéger M. Dzhurayev contre tout risque de transfert forcé au Tadjikistan. Le commissaire russe aux droits de l’homme avait également adressé une demande officielle en ce sens au chef de la police de Moscou. Les enquêteurs chargés du dossier avaient refusé d’ouvrir une enquête judiciaire à quatre reprises au moins. Le Gouvernement russe s’était fondé dans ses conclusions finales sur les informations qui lui avaient été communiquées par le procureur général du Tadjikistan, selon lesquelles le requérant s’était «rendu volontairement» aux autorités tadjikes après avoir franchi plusieurs frontières sans la moindre pièce d’identité.
32. En avril 2012, une juridiction régionale du Tadjikistan avait reconnu M. Dzhurayev coupable d’un certain nombre d’infractions et l’avait condamné à une peine de 26 ans d’emprisonnement. Au cours du procès, d’après les conclusions de l’avocat du requérant, ce dernier n’avait pas plaidé coupable et avait insisté sur le fait qu’il avait été enlevé, transféré de force au Tadjikistan et que ses aveux lui avaient été extorqués sous la torture. Les autorités locales n’ont donné aucune suite à la demande d’examen médico-légal du requérant et de son coaccusé faite par les membres de leur famille.
33. Dans l’affaire précitée, la Cour s’est fondée sur plusieurs éléments factuels de la cause (la rapidité avec laquelle le requérant a rejoint le Tadjikistan, ce qui laisse supposer le recours à un aéronef; l’impossibilité d’embarquer dans un aéronef à destination d’un pays étranger sans se soumettre aux formalités et contrôles administratifs; le refus des autorités d’entreprendre quoi que ce soit qui s’apparente à une enquête de bonne foi sur cet incident; et ses propres conclusions dans deux requêtes antérieures) pour établir que le transfert forcé du requérant avait été effectué avec la participation d’agents de l’Etat. La Cour a notamment souligné que les actes des agents de l’Etat «se caractérisaient par leur arbitraire manifeste et leur abus d’autorité visant à contourner» la décision qui octroyait au requérant l’asile provisoire et les dispositions prises pour empêcher l’extradition de l’intéressé, conformément à la mesure provisoire. La Cour a assimilé les mesures prises par les autorités russes pour le transfert forcé du requérant aux tristement célèbres «restitutions extraordinaires», car elles ont toutes deux eu lieu «hors de l’ordre juridique habituel» et, «en contournant délibérément le respect des formes régulières, ont méconnu la prééminence du droit et les valeurs garanties par la Convention» 
			(32) 
			Voir
le paragraphe 204 de l'arrêt..
34. Il convient de noter à ce propos la nature de la coopération établie entre la Russie et les Etats d’Asie centrale dans le cadre de l'Organisation de coopération de Shanghai (SCO), qualifiée à plusieurs reprises par les organisations internationales d’incompatible avec les normes internationales en matière de droits de l’homme, en particulier le principe de non-refoulement et l’Etat de droit 
			(33) 
			Voir, notamment, les
observations en guise de conclusion du Comité des droits de l'homme
des Nations Unies, publiées en novembre 2009, paragraphe 17; Conseil
des droits de l'homme des Nations Unies: Report
of the Special Rapporteur on the promotion and protection of human
rights and fundamental freedoms while countering terrorism, février 2009,
paragraphe 49; Alternative Report of
the International Commission of Jurists to the UN Committee against Torture,
octobre 2012 (voir paragraphes 28 et 29).. La Convention de Shanghai pour la lutte contre le terrorisme, le séparatisme et l'extrémisme de 2001 
			(34) 
			Sa
traduction en anglais est disponible sur: <a href='http://www.refworld.org/category,LEGAL,ASIA,,,49f5d9f92,0.html'>http://www.refworld.org/category,LEGAL,ASIA,,,49f5d9f92,0.html</a>. impose aux Etats membres, parmi lesquels figurent la Fédération de Russie, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, d’échanger des informations, d’établir une coopération judiciaire et de pratiquer une entraide concrète. La coopération entre les services secrets s’effectue sans aucune surveillance: il suffit qu’un service demande l’aide d’un autre service pour que l’Etat contacté «prenne toutes les mesures qui s’imposent pour assurer l’exécution rapide et la plus complète de la demande» 
			(35) 
			Article 9.1 de la convention.. En toute justice, la convention comporte une précision, qui permet le refus ou le report d’exécution d’une demande d’assistance si l’autorité compétente de l’Etat sollicité «estime que son exécution (…) est contraire à la législation ou aux obligations internationales de la partie sollicitée» 
			(36) 
			Article
9.6 de la convention.. A supposer que les événements précités qui se sont produits en Russie aient eu lieu dans le cadre de la coopération prévue par cette convention, on peut en conclure que c’est bien l’absence de volonté politique, et non le manque d’instruments juridiques, qui entrave la protection satisfaisante des citoyens contre leur transfert forcé vers des pays qui pratiquent un recours systématique et généralisé à la torture.
35. Il y a lieu de noter à ce propos que d’autres Etats ont été impliqués récemment dans des situations où ils ont directement agi au mépris des mesures provisoires. C’est le cas de l’affaire Labsi c. Slovaquie 
			(37) 
			Pour de plus amples
détails, voir en annexe au présent document., dans laquelle les autorités slovaques ont, sous prétexte de défendre les intérêts supérieurs de la société, expulsé le requérant, reconnu coupable par contumace de participation à une organisation terroriste par un tribunal algérien, vers son pays d’origine au mépris flagrant des indications données par la Cour au titre de l’article 39. Cette affaire a eu un retentissement tout particulier en raison des commentaires formulés par le porte-parole du ministère slovaque de l’Intérieur, qui avait déclaré que les autorités slovaques étaient prêtes à courir le risque d’être reconnues coupables de violation de la Convention, considérant que les Etats qui n’avaient pas respecté par le passé une mesure imposée au titre de l’article 39 avaient uniquement été condamnés à verser «quelques milliers d’euros» 
			(38) 
			Voir la lettre adressée
par le greffier de la Cour aux autorités slovaques, citée au paragraphe
56 de l'arrêt. .
36. La toute dernière affaire de ce type, qui a été communiquée aux autorités en janvier 2013, a donné lieu à l’introduction de la requête Malevanaya et Sadyrkulov c. Ukraine 
			(39) 
			Pour
de plus amples détails, voir en annexe au présent document.. En l’espèce, des agents de l’Etat ukrainien n’avaient pas respecté la mesure provisoire qui interdisait l’expulsion de réfugiés politiques vers la Géorgie.
37. Ce genre d’affaires a causé un grand désarroi parmi les défenseurs des droits de l’homme. Amnesty International a publié dernièrement un intéressant rapport, intitulé «Eurasia: Return to torture: Extradition, forcible returns and removals to Central Asia» (Eurasie: le retour de la torture: extraditions, retours et déplacements forcés vers l’Asie centrale) 
			(40) 
			<a href='http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR04/001/2013/en'>http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR04/001/2013/en</a>.. Ce rapport traite de l’enlèvement, de la disparition, du transfert illégal, de l’emprisonnement et de la torture de particuliers recherchés pour des motifs religieux, politiques et économiques par, notamment, la Russie et l’Ukraine au profit de pays d’Asie centrale, bien souvent en violation des mesures provisoires et des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Amnesty International voit dans ces affaires «un programme de restitutions extraordinaires mis en œuvre dans l’ensemble de la région» 
			(41) 
			Amnesty International’s Submission to Council
of Europe Committee of Ministers: the Garabayev Group of Cases against
the Russian Federation, 26 août 2013 (page 3).. Comme ce sujet présente également un intérêt pour la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l’Assemblée a procédé, lors de la session d’octobre 2013 de l’Assemblée, avec notre consœur, à une audition conjointe consacrée aux «Cas de défaut de coopération avec la Cour européenne des droits de l'homme», au cours de laquelle j’ai donné notamment la parole aux chercheurs qui ont participé à l’élaboration du rapport susmentionné.

3. Evolution de l’approche adoptée vis-à-vis de l’obligation faite aux Etats de coopérer au titre de l’article 38 de la Convention

38. L’article 38 (ancien article 28) de la Convention est libellé comme suit:
«La Cour examine l’affaire de façon contradictoire avec les représentants des parties et, s’il y a lieu, procède à une enquête pour la conduite efficace de laquelle les Hautes Parties contractantes intéressées fourniront toutes facilités nécessaires.»
39. Il convient de noter qu’avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 14 à la Convention (STCE n° 194), cette disposition était uniquement applicable une fois la requête déclarée recevable.
40. Depuis 1999, la Cour a rendu des centaines d’arrêts contre la Turquie et la Fédération de Russie, qui avaient trait aux événements survenus dans leurs régions séparatistes et portaient sur les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction des mauvais traitements) et 5 (détention) de la Convention. Dans un grand nombre de ces arrêts, elle a conclu que les Etats défendeurs n’avaient pas convenablement respecté leurs obligations nées de l’article 38 de la Convention, le plus souvent parce qu’ils n’avaient pas communiqué les dossiers et les autres documents des enquêtes nationales et parce qu’ils n’avaient pas assisté la Cour dans la réalisation de ses missions d’enquête. Ce manquement a souvent empêché la Cour d’établir de façon probante l’existence ou non d’une violation substantielle de la Convention.
41. Dans ses Résolutions ResDH(2001)66 
			(42) 
			Adoptée le 26 juin
2001: <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=ResDH%282001%2966&'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=ResDH%282001%2966&</a>. et ResDH(2006)45 
			(43) 
			Adoptée le 4 juillet
2006: <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=ResDH%282006%2945&'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=ResDH%282006%2945&</a>., le Comité des Ministres a souligné à plusieurs reprises, face à la multitude de ces affaires, que le principe de la coopération avec la Cour consacré par la Convention revêtait une importance capitale pour le bon fonctionnement et l’efficacité du système de la Convention et a invité les gouvernements des Etats Parties à veiller à ce que les autorités compétentes se conforment strictement à cette obligation.
42. Dans la Résolution 1571 (2007) précitée, l’Assemblée invitait les autorités compétentes de tous les Etats membres «à assister la Cour dans l’établissement des faits en mettant à sa disposition les documents pertinents, notamment le dossier complet de la procédure pénale ou de toute autre procédure devant les tribunaux ou d’autres organes nationaux, et en identifiant les témoins tout en assurant leur participation aux audiences de la Cour» (paragraphe 17.4).
43. Ces dernières années, la jurisprudence de la Cour est parvenue à un stade où la charge de la preuve est transférée de façon quasi automatique au gouvernement défendeur lorsque les faits d’un grief à première vue justifié soulevé par le requérant correspondent à un modèle particulier, qui laisse supposer la responsabilité des autorités, comme l’a établi précédemment la Cour 
			(44) 
			Supra note 6.. Grâce à son article 44 C.1 
			(45) 
			L'article
est libellé comme suit: «Lorsqu'une partie reste en défaut de produire
les preuves ou informations requises par la Cour ou de divulguer
de son propre chef des informations pertinentes, ou lorsqu'elle
témoigne autrement d'un manque de participation effective à la procédure,
la Cour peut tirer de son comportement les conclusions qu'elle juge appropriées.», la Cour a commencé à interpréter le manque de coopération des Etats comme une solide présomption de fait, qui vient à l’appui des assertions des requérants, et à conclure dès lors à la violation substantielle de la Convention, quand bien même elle ne disposait pas des preuves incontestables, en raison de leur rétention par les Etats défendeurs. De fait, dans sa Résolution 1571 (2007) précitée, l’Assemblée «se félicite de la fermeté dont la Cour a fait preuve en élaborant sa jurisprudence sur le devoir des Etats membres de coopérer à l’établissement des faits» 
			(46) 
			Résolution 1571 (2007), paragraphe 18.7.. A compter de 2010, le nombre d’arrêts concluant à une violation de l’article 38 était passé de un à trois par an et ces arrêts concernaient également d’autres Etats.

4. Conclusions

44. A la lumière des faits nouveaux que nous venons de décrire et des interventions faites par nos experts lors de l’audition du 3 octobre 2013, j’aimerais tirer les conclusions suivantes, qui transparaissent dans les projets de résolution et de recommandation.
45. En premier lieu, il semble que la Cour ait trouvé une réponse pragmatique au manque de coopération dont font preuve les Etats parties, en ne communiquant pas à la Cour les éléments de preuve et les explications qu’elle leur demande. La présomption de fait et, si besoin est, le renversement de la charge de la preuve protègent les intérêts des requérants en permettant d’admettre l’existence d’une violation sans soumettre les Etats Parties à une charge excessive: s’ils sont dans leur bon droit, ils ont toujours la possibilité d’éviter que la Cour ne conclue à une violation, en lui communiquant les éléments qu’elle leur demande.
46. Deuxièmement, il semblerait que le non-respect des mesures provisoires de la Cour soit davantage une question politique qu’un problème spécifiquement et exclusivement juridique. Bien que nous ayons le devoir de continuer à rappeler aux Etats les obligations légales qu’ils se sont volontairement engagés à respecter, comme l’obligation de coopérer avec la Cour pour lui permettre d’accomplir sa mission ou l’obligation faite aux Etats de garantir à toute personne relevant de leur juridiction la protection la plus efficace des droits consacrés par la Convention, j’ai le regret de constater que cette démarche ne semble pas avoir amélioré en quoi que ce soit la situation, bien au contraire.
47. Le fait que certains Etats cherchent à dissimuler des procédures impropres et illégales attestent que, en réalité, leur gouvernement a conscience de leur illégalité, mais qu’il fait prévaloir ce qui lui paraît être son intérêt politique. Les affaires russes de «restitutions extraordinaires» sur lesquelles a enquêté Amnesty International et que Mme McGill a évoquées au cours de notre audition, illustrent la gravité de ces violations. La coopération internationale entre les services répressifs, fondée sur des accords régionaux, comme l'Organisation de coopération de Shanghai, ou sur des relations institutionnelles ou personnelles anciennes, pour aussi souhaitable qu’elle soit pour assurer efficacement le respect de la loi, ne doit pas être utilisée pour porter atteinte aux engagements contraignants pris par un Etat partie au titre de la Convention. De la même manière que l’Assemblée s’est élevée avec véhémence et sans ambiguïté contre les transferts illégaux de détenus et les détentions secrètes de la CIA (avec la collusion de certains partenaires européens) 
			(47) 
			Voir la Résolution 1507 (2006) sur des allégations de détentions secrètes et de transferts
interétatiques illégaux de détenus concernant des Etats membres
du Conseil de l’Europe; la Résolution
1562 (2007) sur des détentions secrètes et transferts illégaux de
détenus impliquant des États membres du Conseil de l’Europe: second
rapport; et la Résolution 1838
(2011) «Les recours abusifs au secret d’Etat et à la sécurité
nationale: obstacles au contrôle parlementaire et judiciaire des
violations des droits de l’homme» (rapporteur des trois rapports:
M. Dick Marty, Suisse, ADLE)., elle ne saurait tolérer que l’un des Etats membres du Conseil de l’Europe commette des actes qui impliquent également des disparitions temporaires.
48. Pour remédier à cette situation, il est indispensable de prendre des mesures préventives concrètes et/ou des sanctions particulières et suffisamment dissuasives. Il se trouve que l’un de nos experts, ancien haut responsable de la Cour, a proposé que cette dernière fasse usage de l’article 41 de la Convention pour octroyer des dommages-intérêts à titre de sanction, qui offriraient une forme de réparation aux victimes, puisque dans ces situations la violation a déjà eu lieu. Confiant dans la capacité de la Cour à éviter toute exagération, je considère que cette proposition mérite d’être étudiée de façon plus approfondie. Par ailleurs, là encore dans le droit fil des propositions formulées par nos experts – aussi bien Mme Burbano Herrera que M. Berger – j’encouragerais la Cour à faire preuve de plus d’inventivité dans les mesures provisoires fondées sur l’article 39. Comme nous l’avons vu 
			(48) 
			Voir
plus haut la note de bas de page 25., la Cour a fort heureusement commencé à indiquer les «mesures concrètes» qui visent à protéger les droits des requérants, y compris les dispositions relatives aux suites à donner à la mise en œuvre de ces mesures. Comme l’a montré Mme Burbano Herrera en prenant l’exemple de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, des progrès restent possibles dans ce domaine. Parallèlement, la comparaison avec la Cour interaméricaine montre également que le système de la Convention européenne des droits de l’homme et la pratique de la Cour présentent d’indéniables avantages, dont les Européens que nous sommes peuvent être fiers. C’est la raison pour laquelle je partage le scepticisme de M. Berger à l’égard de certaines propositions de Mme Burbano Herrera. Le fait, par exemple, d’obliger la Cour à motiver précisément les mesures provisoires, ou la possibilité donnée aux juges d’ajouter leurs opinions concordantes, pourrait bien atténuer l’efficacité du système en place, où le temps compté est souvent de rigueur.
49. En résumé, il importe que l’Assemblée réaffirme son soutien à la Cour à propos de l’obligation faite aux Etats membres de coopérer avec cette dernière, en invitant instamment tous les Etats membres à répondre favorablement aux demandes de la Cour, notamment en prenant les mesures provisoires qu’elle leur indique au titre de l’article 39. En parallèle, l’Assemblée devrait encourager la Cour à continuer à étoffer sa jurisprudence en vue d’améliorer encore l’efficacité de ses mesures, en avalisant certaines propositions concrètes d’améliorations supplémentaires. Tel est le but du projet de résolution. Le projet de recommandation vise à veiller à ce que le Comité des Ministres soit lui aussi saisi de cette question essentielle.

Annexe – Affaires examinées par la Cour comportant une violation de l'article 39

(open)

Affaires de violation/violation alléguée de l'article 39 et réaction de la Cour européenne des droits de l'homme

Nom de l’affaire

Référence

Décision

/Date

Requérant expulsé/extradé/ transféré/disparu en dépit de mesures de l’article 39

En rapport avec le terrorisme

Violation de l’article 34

Mamatkulov et Askarov c. Turquie

46827/99 et 46951/99

Arrêt [GC]

04.02.2005

Oui

Oui

Oui

Mesures provisoires déclarées juridiquement contraignantes

Aoulmi c. France

50278/99

Arrêt

17.01.2006

Oui

Non

Oui

Shamayev et autres c. Géorgie et Russie

36378/02

Arrêt

12.04.2005

Oui

Oui

Oui

Olaechea Cahuas c. Espagne

24668/03

Arrêt

10.08.2006

Oui

Oui

Oui

Mostafa et autres c. Turquie

16348/05

Arrêt 15.01.2008

Oui

Non

Oui

Shtukaturov c. Russie

44009/05

Arrêt 27.03.2008

Il ne s’agit pas d’une affaire d’expulsion

Indication article 39 pour permettre au requérant de rencontrer son avocat

Non

Oui

Muminov c. Russie

42502/06

Arrêt

11.12.2008

Délai contesté

Oui

Non

Aleksanyan c. Russie

46468/06

Arrêt

22.12.2008

Il ne s’agit pas d’une affaire d’expulsion

Indication article 39 pour transférer le requérant de la prison à l’hôpital en vue de son traitement

Non

Oui

Sivanathan c. Royaume-Uni

38108/07 

Décision (rayée des rôles)

03.02.2009

Oui

Non

Non

Ben Khemais c. Italie

246/07

Arrêt

24.02.2009

Oui

Oui

Oui

Paladi c. Moldova

39806/05

Arrêt [GC]

10.03.2009

Il ne s’agit pas d’une affaire d’expulsion

Article 39 accordé pour permettre le traitement continu du requérant dans un centre neurologique.

Non

Oui

Cherif et autres c. Italie

1860/07

Arrêt (rayée des rôles)

7.4.2009

Oui

Oui

 

Grori c. Albanie

25336/04

Arrêt

7.07.2009

Il ne s’agit pas d’une affaire d’expulsion

Indication article 39 pour transférer le requérant de la prison à l’hôpital en vue de son traitement

Non

Oui

Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni

61498/08

Arrêt

2.3.2010

Il ne s’agit pas d’une affaire d’expulsion

Prisonniers détenus par les forces britanniques (dans les centres de détention de Bassorah) transférés aux autorités irakiennes

Non

Oui

Trabelsi c. Italie

50163/08

Arrêt

13.4.2010

Oui

Oui

Oui

M.B. et autres c. Turquie

36009/08

Arrêt 15.6.2010

Alléguée. Délai contesté

Non

Non

D.B. c. Turquie

33526/08

Arrêt

13.7.2010

Oui

Non

Oui

Kamaliyevy c. Russie

52812/07

Arrêt 03.06.2010

Oui

Non

Oui

Toumi c. Italie

25716/09

Arrêt 05.04.2011

Oui

Oui

Oui

Mannai c. Italie

9961/10

Arrêt 27.03.2012

Oui

Oui

Oui

Labsi c. Slovaquie

33809/08

Arrêt 15.05.2012

Oui

Oui

Oui

Abdulkhakov c. Russie

14743/11

Arrêt 02.10.2012

Oui

Non

Oui

Hamidovic c. Italie

31956/05

Décision 13.09.2011

Oui

Non

Non

Zokhidov c. Russie

67286/10

Arrêt 05.02.2013

Oui

Non

Oui

Savriddin Dzhurayev c. Russie

71386/10

Arrêt 25.04.2013

Oui

Non

Oui

Koziyev c. Russie

58221/10

Pendante

Oui

Non

 

Nizomknonn Dzhurayev c. Russie

31890/11

Pendante

Oui

Non

 

Latipov c. Russie

77658/11

Pendante

Oui

Non

 

Ermakov c. Russie

43165/10

Pendante

Oui

Non

 

Kasymakhunov c. Russie

29604/12

Pendante

Oui

   

Malevanaya et Sadyrkulov c. Ukraine

18603/12

Pendante

Oui

Non