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Avis de commission | Doc. 13399 | 28 janvier 2014
Internet et la politique: les effets des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur la démocratie
Commission des questions politiques et de la démocratie
A. Conclusions de la commission
(open)1. La commission des questions politiques et de la démocratie
salue les projets de résolution et de recommandation présentés par
la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des
médias parce qu’ils visent un renforcement des capacités des institutions
démocratiques, et en particulier des parlements nationaux, pour
qu’internet soit utilisé plus efficacement comme un outil de transparence
dans l’action parlementaire et gouvernementale et comme un forum
d’échange et de dialogue avec la société.
2. La commission partage les conclusions générales du rapporteur
sur les deux principales questions qui ont guidé son analyse, c’est-à-dire
la manière dont internet a offert une possibilité de renforcer la
démocratie et de la rendre plus dynamique, et dont il a engendré
de nouveaux dangers; et dans quelle mesure internet a changé l'équilibre
entre démocratie représentative et démocratie directe.
3. A la lumière des récents débats du Forum mondial de la démocratie
organisé par le Conseil de l’Europe les 28 et 29 novembre 2013 à
Strasbourg, la commission aimerait attirer l’attention sur les opportunités
et les risques liés à l’utilisation d’internet et les réseaux sociaux
dans la vie politique, et encourager à poursuivre la réflexion sur
les possibilités d’associer les outils de participation traditionnels
et numériques. La commission rappelle la position de l’Assemblée,
qui considère que chacun a le droit de participer à la gestion des
affaires publiques, et qu’il convient de trouver un équilibre entre
les nouvelles formes de démocratie électronique et la démocratie
représentative traditionnelle pour lutter contre la démobilisation,
stimuler la participation et améliorer la responsabilité, l’efficacité
et le fonctionnement démocratique des structures politiques.
B. Amendements proposés
(open)Amendement A (au projet de résolution)
Après le paragraphe 13, insérer le paragraphe suivant:
«La responsabilité des opérateurs d’internet est donc un problème fondamental que l’Assemblée traite actuellement par le biais de deux rapports sur le droit d'accès à internet et sur des stratégies coordonnées pour une bonne gouvernance d’internet. Au niveau de l'Union européenne, le “Code des droits en ligne dans l'UE” et la “Stratégie numérique pour l'Europe” sont aussi deux initiatives sur cette question.»
Amendement B (au projet de résolution)
A la fin du paragraphe 17.1, ajouter le texte suivant:
«, notamment grâce aux réseaux sociaux, aux chaînes parlementaires sur internet et aux autres plates-formes qui permettent aux citoyens de réagir;»
Amendement C (au projet de résolution)
A la fin du paragraphe 17.9.2.2, ajouter le texte suivant:
«, tout en évitant le risque qu’une telle institution puisse porter atteinte à la nature même de la liberté d’expression.»
Amendement D (au projet de résolution)
Après le paragraphe 17.11, ajouter le paragraphe suivant:
«de poursuivre, en étroite collaboration avec la Commission de Venise, la réflexion en vue d’élaborer un protocole à la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5) sur le droit de participer à la conduite des affaires publiques, comme le préconisent la Résolution 1746 (2010) et la Recommandation 1928 (2010), et d’accorder une attention particulière au rôle d’internet et des autres outils électroniques de participation, comme les réseaux sociaux, les forums de discussion en ligne, le vote électronique et les initiatives de gouvernement ouvert.»
C. Exposé des motifs, par M. Franken, rapporteur pour avis
(open)1. Je tiens à saluer le rapport de la commission de
la culture, de la science, de l’éducation et des médias et l’exposé
des motifs détaillé et complet préparé par la rapporteure, Mme Anne
Brasseur, qui envisage internet comme un espace de liberté et de
participation citoyenne, qui a mis un terme à l'oligopole de l'information,
permet une libre expression des opinions et de la contestation politique,
et engendre de nouvelles formes d'agrégation politique et une «démocratie
liquide», en suscitant toutefois de nouveaux dangers pour les libertés
individuelles et des risques tels que la désinformation, la manipulation
et le populisme.
2. L’année dernière (23-29 novembre 2013), le Conseil de l'Europe
a organisé le Forum mondial de la démocratie sur le thème “Retisser
la démocratie: reconnecter les institutions démocratiques avec les
citoyens à l'ère de l'information”, en soulignant comment internet
révolutionne nos pratiques démocratiques, notamment par le biais
des réseaux sociaux, des blogs et des médias en ligne. Ces outils
numériques offrent aux citoyens la possibilité d’apporter leur contribution
aux processus décisionnels, de débattre en temps réel sur les options politiques
et d’influencer les décisions prises par leurs représentants élus.
3. Il est important de rappeler que l’utilisation des moyens
de communication numériques peut engendrer une érosion des droits
civils et politiques, morceler le débat démocratique et affaiblir
l’aptitude des institutions représentatives à analyser, à discuter
et à définir des positions communes.
4. Certains ateliers du Forum ont analysé en profondeur les pratiques
actuelles de démocratie “liquide” et les risques potentiels pour
les droits de l’homme, ainsi que les problèmes liés à la fracture
du numérique, au vote sur internet et aux initiatives de gouvernement
ouvert. De nombreux participants se sont demandés si l’ère du numérique
peut offrir des solutions à une démocratie mal en point, et si les
innovations technologiques altèrent la nature profonde de la démocratie.
5. De récentes initiatives politiques comme celle des “partis
pirates”, qui a déjà conquis plus de 70 pays dans le monde et compte
plus de 30 000 adhérents, ont augmenté la participation et permis
un débat ouvert sur diverses questions et initiatives, et attirent
en particulier les jeunes. D’autres expériences, comme les forums
en ligne sur les budgets participatifs et les initiatives du gouvernement
ouvert ou encore les consultations, référendums et initiatives électroniques,
ont fourni des occasions de débattre plus ouvertement et donné un
nouvel élan à la participation démocratique. Elles ont aussi le
potentiel nécessaire pour rétablir le lien entre les citoyens, les
décideurs politiques et les fonctionnaires en augmentant la transparence
et la coopération. Le vote sur internet a ainsi su, malgré ses limites,
augmenter le taux de participation, attirer les jeunes électeurs
et améliorer l’efficacité des scrutins.
6. Je conviens avec les conclusions du Forum que cette évolution
n’offre pas encore une alternative à la démocratie représentative.
L’enjeu essentiel est de savoir comment utiliser internet et les
autres outils numériques pour rendre la démocratie représentative
plus fonctionnelle ou, pour reprendre une formule intéressante,
«démocratiser la démocratie» tout en rendant les politiciens que
nous sommes plus responsables afin que nous puissions mieux servir
les intérêts du peuple.
7. L’important n’est pas tant la manière dont les électeurs votent,
mais de veiller à ce que les électeurs puissent exercer leur influence
sur les structures du pouvoir qui, à leur tour, devront davantage
écouter les citoyens. Tous les moyens de communication disponibles
doivent être mis à profit pour empêcher une fracture entre le peuple
et le gouvernement.
8. Dès lors, internet et les réseaux sociaux constituent indéniablement
une composante essentielle de la démocratie. En tant que parlementaires,
nous devons toutefois garder à l’esprit plusieurs mises en garde concernant
l’utilisation des blogs, de Facebook, de Twitter et d’autres outils
en ligne dans notre travail politique:
- les contacts directs entre les décideurs politiques et les citoyens ne concernent qu’un nombre limité de questions, mais pas les autres thèmes pertinents et les priorités générales dont s’occupe le parlement;
- les usagers de Twitter qui réagissent aux tweets des parlementaires ne participent souvent pas au processus électoral (et n’ont parfois même pas le droit de vote), tandis que les électeurs classiques sont confrontés à un programme d’action plus vaste;
- des réactions en ligne peuvent également émaner d’un logiciel ou de personnes fictives;
- quand ils réagissent instantanément aux tweets des citoyens, les parlementaires se privent d’éléments importants de la démocratie comme l’analyse, la réflexion et les discussions avec d’autres parlementaires, qui leur permettent d’évaluer la faisabilité d’une proposition;
- les avis et tweets d’un parlementaire isolé peuvent faire naître de faux espoirs dans le public;
- dans certains Etats membres du Conseil de l'Europe, y compris dans mon pays, les Pays-Bas, les parlementaires ne jouissent pas de l’immunité dont ils bénéficient pour leurs déclarations au parlement s’ils expriment leurs opinions via Twitter;
- des tiers peuvent manipuler certains messages grâce aux techniques de sondage sémantique.
9. Nous devons poursuivre notre réflexion sur les possibilités
de concilier les outils traditionnels et numériques de participation
et de parvenir à un équilibre entre diverses formes de démocratie
«liquide» et représentative, afin de consolider les infrastructures
de notre vie politique, de stimuler la participation et d’améliorer
nos démocraties.
10. Lors de la dernière Conférence européenne des Présidents de
parlement, les 20 et 21 novembre 2012, le Président Mignon a fait
observer que les parlements nationaux ne devraient pas s’opposer
à l’évolution de la société mais s’adapter aux changements sociaux
et technologiques tout en garantissant la stabilité de la démocratie
en tissant des liens étroits entre les institutions de la démocratie
représentative et les citoyens. L’on peut notamment y parvenir par
une amélioration des canaux de communication avec le public, notamment grâce
à internet, aux réseaux sociaux, aux chaînes de télévision parlementaires
et/ou aux associations de la société civile. Les parlements devraient
se lancer dans les réseaux sociaux pour ne pas perdre le contact
avec les jeunes générations . Parallèlement, les parlements
devraient être attentifs aux risques de distorsion de l’information
et de manipulation de l’opinion publique. C’est la raison pour laquelle
je propose l’amendement B au
projet de résolution pour clarifier les dispositions que devraient
prendre nos parlements.
11. La responsabilité des opérateurs d’internet est une question
fondamentale qui doit être mentionnée parallèlement aux préoccupations
exprimées au paragraphe 13 du projet de résolution, qui prévient
qu’internet risque de devenir une zone de non-droit, contrôlée par
des pouvoirs occultes qui ne sont soumis à aucune responsabilité
précise. L’Assemblée prépare actuellement deux rapports sur «Le
droit d'accès à internet» et sur «Des stratégies coordonnées pour
une bonne gouvernance d'internet» et deux initiatives importantes existent
au niveau de l'Union européenne, le «Code des droits en ligne dans
l'UE» et la «Stratégie numérique pour l'Europe», et il convient
de les mentionner dans la résolution (amendement
A).
12. Cet amendement devrait être envisagé conjointement avec l’amendement C. Il faut garantir
la neutralité sur internet et pas uniquement à la télévision et
dans les autres médias traditionnels. Le paragraphe 17.9.2.2 suggère
la création d'une institution indépendante dotée de pouvoirs, compétences
techniques et moyens suffisants pour expertiser les algorithmes
des moteurs de recherche qui filtrent et conditionnent l'accès aux informations
et aux savoirs sur le web. Nous devons cependant rester conscients
du risque qu’une telle institution pourrait porter atteinte à la
nature même de la liberté d’expression en exerçant une influence
indue et en créant des restrictions inutiles.
13. La Résolution 1653
(2009) sur la démocratie électronique souligne qu’il faut mener
l’évolution technologique de la démocratie électronique dans le
respect des principes démocratiques. La pertinence de la démocratie
électronique dépend d’un environnement démocratique dans lequel
les droits de l’homme et la primauté du droit sont mis en œuvre
et respectés. Je tiens également à me référer à la Recommandation
CM/Rec(2009)1 du Comité des Ministres sur la démocratie électronique,
qui a été le premier instrument juridique international à définir
des normes en matière de démocratie électronique. La recommandation
a été préparée par le Comité ad hoc pour la démocratie électronique
(CAHDE, 2006-2008) et propose à tous les gouvernements et autres
parties prenantes d’Europe des lignes directrices et principes concrets
dans ce domaine. Ce texte s’accompagne d’une série d’outils pratiques
élaborés à l’intention de ceux qui ont besoin d’informations directement
exploitables sur les possibilités de concilier les outils modernes
d’information et de communication et les exigences et la pratique
démocratiques.
14. Enfin, dans le cadre du débat organisé en 2010 sur le thème
«Démocratie en Europe: crise et perspectives», notre Assemblée a
souligné que le droit de participer à la conduite des affaires publiques,
que ce soit au niveau local, régional, national ou européen, est
un droit de l’homme et une liberté politique fondamentale qui devrait,
dès lors, être inscrit comme tel dans la Convention européenne des
droits de l’homme. L’Assemblée a décidé de poursuivre la réflexion,
en consultation étroite avec la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise), afin d’élaborer un tel protocole .
J’ai la conviction que cette réflexion doit inclure la contribution
d’internet et d’autres outils numériques tels que les réseaux sociaux,
les forums de discussion en ligne, le vote électronique et les initiatives
de gouvernement ouvert. C’est la raison pour laquelle je propose
l’amendement D au projet
de résolution.