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Avis de commission | Doc. 13399 | 28 janvier 2014

Internet et la politique: les effets des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur la démocratie

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Hans FRANKEN, Pays-Bas, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12924, Renvoi 3871 du 25 juin 2012. Commission saisie du rapport: Commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias. Voir Doc. 13386. Avis approuvé par la commission le 27 janvier 2014. 2014 - Première partie de session

A. Conclusions de la commission

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1. La commission des questions politiques et de la démocratie salue les projets de résolution et de recommandation présentés par la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias parce qu’ils visent un renforcement des capacités des institutions démocratiques, et en particulier des parlements nationaux, pour qu’internet soit utilisé plus efficacement comme un outil de transparence dans l’action parlementaire et gouvernementale et comme un forum d’échange et de dialogue avec la société.
2. La commission partage les conclusions générales du rapporteur sur les deux principales questions qui ont guidé son analyse, c’est-à-dire la manière dont internet a offert une possibilité de renforcer la démocratie et de la rendre plus dynamique, et dont il a engendré de nouveaux dangers; et dans quelle mesure internet a changé l'équilibre entre démocratie représentative et démocratie directe.
3. A la lumière des récents débats du Forum mondial de la démocratie organisé par le Conseil de l’Europe les 28 et 29 novembre 2013 à Strasbourg, la commission aimerait attirer l’attention sur les opportunités et les risques liés à l’utilisation d’internet et les réseaux sociaux dans la vie politique, et encourager à poursuivre la réflexion sur les possibilités d’associer les outils de participation traditionnels et numériques. La commission rappelle la position de l’Assemblée, qui considère que chacun a le droit de participer à la gestion des affaires publiques, et qu’il convient de trouver un équilibre entre les nouvelles formes de démocratie électronique et la démocratie représentative traditionnelle pour lutter contre la démobilisation, stimuler la participation et améliorer la responsabilité, l’efficacité et le fonctionnement démocratique des structures politiques.

B. Amendements proposés

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Amendement A (au projet de résolution)

Après le paragraphe 13, insérer le paragraphe suivant:

«La responsabilité des opérateurs d’internet est donc un problème fondamental que l’Assemblée traite actuellement par le biais de deux rapports sur le droit d'accès à internet et sur des stratégies coordonnées pour une bonne gouvernance d’internet. Au niveau de l'Union européenne, le “Code des droits en ligne dans l'UE” et la “Stratégie numérique pour l'Europe” sont aussi deux initiatives sur cette question.»

Amendement B (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 17.1, ajouter le texte suivant:

«, notamment grâce aux réseaux sociaux, aux chaînes parlementaires sur internet et aux autres plates-formes qui permettent aux citoyens de réagir;»

Amendement C (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 17.9.2.2, ajouter le texte suivant:

«, tout en évitant le risque qu’une telle institution puisse porter atteinte à la nature même de la liberté d’expression.»

Amendement D (au projet de résolution)

Après le paragraphe 17.11, ajouter le paragraphe suivant:

«de poursuivre, en étroite collaboration avec la Commission de Venise, la réflexion en vue d’élaborer un protocole à la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5) sur le droit de participer à la conduite des affaires publiques, comme le préconisent la Résolution 1746 (2010) et la Recommandation 1928 (2010), et d’accorder une attention particulière au rôle d’internet et des autres outils électroniques de participation, comme les réseaux sociaux, les forums de discussion en ligne, le vote électronique et les initiatives de gouvernement ouvert.»

C. Exposé des motifs, par M. Franken, rapporteur pour avis

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1. Je tiens à saluer le rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias et l’exposé des motifs détaillé et complet préparé par la rapporteure, Mme Anne Brasseur, qui envisage internet comme un espace de liberté et de participation citoyenne, qui a mis un terme à l'oligopole de l'information, permet une libre expression des opinions et de la contestation politique, et engendre de nouvelles formes d'agrégation politique et une «démocratie liquide», en suscitant toutefois de nouveaux dangers pour les libertés individuelles et des risques tels que la désinformation, la manipulation et le populisme.
2. L’année dernière (23-29 novembre 2013), le Conseil de l'Europe a organisé le Forum mondial de la démocratie sur le thème “Retisser la démocratie: reconnecter les institutions démocratiques avec les citoyens à l'ère de l'information”, en soulignant comment internet révolutionne nos pratiques démocratiques, notamment par le biais des réseaux sociaux, des blogs et des médias en ligne. Ces outils numériques offrent aux citoyens la possibilité d’apporter leur contribution aux processus décisionnels, de débattre en temps réel sur les options politiques et d’influencer les décisions prises par leurs représentants élus.
3. Il est important de rappeler que l’utilisation des moyens de communication numériques peut engendrer une érosion des droits civils et politiques, morceler le débat démocratique et affaiblir l’aptitude des institutions représentatives à analyser, à discuter et à définir des positions communes.
4. Certains ateliers du Forum ont analysé en profondeur les pratiques actuelles de démocratie “liquide” et les risques potentiels pour les droits de l’homme, ainsi que les problèmes liés à la fracture du numérique, au vote sur internet et aux initiatives de gouvernement ouvert. De nombreux participants se sont demandés si l’ère du numérique peut offrir des solutions à une démocratie mal en point, et si les innovations technologiques altèrent la nature profonde de la démocratie.
5. De récentes initiatives politiques comme celle des “partis pirates”, qui a déjà conquis plus de 70 pays dans le monde et compte plus de 30 000 adhérents, ont augmenté la participation et permis un débat ouvert sur diverses questions et initiatives, et attirent en particulier les jeunes. D’autres expériences, comme les forums en ligne sur les budgets participatifs et les initiatives du gouvernement ouvert ou encore les consultations, référendums et initiatives électroniques, ont fourni des occasions de débattre plus ouvertement et donné un nouvel élan à la participation démocratique. Elles ont aussi le potentiel nécessaire pour rétablir le lien entre les citoyens, les décideurs politiques et les fonctionnaires en augmentant la transparence et la coopération. Le vote sur internet a ainsi su, malgré ses limites, augmenter le taux de participation, attirer les jeunes électeurs et améliorer l’efficacité des scrutins.
6. Je conviens avec les conclusions du Forum que cette évolution n’offre pas encore une alternative à la démocratie représentative. L’enjeu essentiel est de savoir comment utiliser internet et les autres outils numériques pour rendre la démocratie représentative plus fonctionnelle ou, pour reprendre une formule intéressante, «démocratiser la démocratie» tout en rendant les politiciens que nous sommes plus responsables afin que nous puissions mieux servir les intérêts du peuple.
7. L’important n’est pas tant la manière dont les électeurs votent, mais de veiller à ce que les électeurs puissent exercer leur influence sur les structures du pouvoir qui, à leur tour, devront davantage écouter les citoyens. Tous les moyens de communication disponibles doivent être mis à profit pour empêcher une fracture entre le peuple et le gouvernement.
8. Dès lors, internet et les réseaux sociaux constituent indéniablement une composante essentielle de la démocratie. En tant que parlementaires, nous devons toutefois garder à l’esprit plusieurs mises en garde concernant l’utilisation des blogs, de Facebook, de Twitter et d’autres outils en ligne dans notre travail politique:
  • les contacts directs entre les décideurs politiques et les citoyens ne concernent qu’un nombre limité de questions, mais pas les autres thèmes pertinents et les priorités générales dont s’occupe le parlement;
  • les usagers de Twitter qui réagissent aux tweets des parlementaires ne participent souvent pas au processus électoral (et n’ont parfois même pas le droit de vote), tandis que les électeurs classiques sont confrontés à un programme d’action plus vaste;
  • des réactions en ligne peuvent également émaner d’un logiciel ou de personnes fictives;
  • quand ils réagissent instantanément aux tweets des citoyens, les parlementaires se privent d’éléments importants de la démocratie comme l’analyse, la réflexion et les discussions avec d’autres parlementaires, qui leur permettent d’évaluer la faisabilité d’une proposition;
  • les avis et tweets d’un parlementaire isolé peuvent faire naître de faux espoirs dans le public;
  • dans certains Etats membres du Conseil de l'Europe, y compris dans mon pays, les Pays-Bas, les parlementaires ne jouissent pas de l’immunité dont ils bénéficient pour leurs déclarations au parlement s’ils expriment leurs opinions via Twitter;
  • des tiers peuvent manipuler certains messages grâce aux techniques de sondage sémantique.
9. Nous devons poursuivre notre réflexion sur les possibilités de concilier les outils traditionnels et numériques de participation et de parvenir à un équilibre entre diverses formes de démocratie «liquide» et représentative, afin de consolider les infrastructures de notre vie politique, de stimuler la participation et d’améliorer nos démocraties.
10. Lors de la dernière Conférence européenne des Présidents de parlement, les 20 et 21 novembre 2012, le Président Mignon a fait observer que les parlements nationaux ne devraient pas s’opposer à l’évolution de la société mais s’adapter aux changements sociaux et technologiques tout en garantissant la stabilité de la démocratie en tissant des liens étroits entre les institutions de la démocratie représentative et les citoyens. L’on peut notamment y parvenir par une amélioration des canaux de communication avec le public, notamment grâce à internet, aux réseaux sociaux, aux chaînes de télévision parlementaires et/ou aux associations de la société civile. Les parlements devraient se lancer dans les réseaux sociaux pour ne pas perdre le contact avec les jeunes générations 
			(1) 
			Conclusions
du Président de l'Assemblée parlementaire, M. Jean-Claude Mignon,
21 septembre 2012.. Parallèlement, les parlements devraient être attentifs aux risques de distorsion de l’information et de manipulation de l’opinion publique. C’est la raison pour laquelle je propose l’amendement B au projet de résolution pour clarifier les dispositions que devraient prendre nos parlements.
11. La responsabilité des opérateurs d’internet est une question fondamentale qui doit être mentionnée parallèlement aux préoccupations exprimées au paragraphe 13 du projet de résolution, qui prévient qu’internet risque de devenir une zone de non-droit, contrôlée par des pouvoirs occultes qui ne sont soumis à aucune responsabilité précise. L’Assemblée prépare actuellement deux rapports sur «Le droit d'accès à internet» et sur «Des stratégies coordonnées pour une bonne gouvernance d'internet» et deux initiatives importantes existent au niveau de l'Union européenne, le «Code des droits en ligne dans l'UE» et la «Stratégie numérique pour l'Europe», et il convient de les mentionner dans la résolution (amendement A).
12. Cet amendement devrait être envisagé conjointement avec l’amendement C. Il faut garantir la neutralité sur internet et pas uniquement à la télévision et dans les autres médias traditionnels. Le paragraphe 17.9.2.2 suggère la création d'une institution indépendante dotée de pouvoirs, compétences techniques et moyens suffisants pour expertiser les algorithmes des moteurs de recherche qui filtrent et conditionnent l'accès aux informations et aux savoirs sur le web. Nous devons cependant rester conscients du risque qu’une telle institution pourrait porter atteinte à la nature même de la liberté d’expression en exerçant une influence indue et en créant des restrictions inutiles.
13. La Résolution 1653 (2009) sur la démocratie électronique souligne qu’il faut mener l’évolution technologique de la démocratie électronique dans le respect des principes démocratiques. La pertinence de la démocratie électronique dépend d’un environnement démocratique dans lequel les droits de l’homme et la primauté du droit sont mis en œuvre et respectés. Je tiens également à me référer à la Recommandation CM/Rec(2009)1 du Comité des Ministres sur la démocratie électronique, qui a été le premier instrument juridique international à définir des normes en matière de démocratie électronique. La recommandation a été préparée par le Comité ad hoc pour la démocratie électronique (CAHDE, 2006-2008) et propose à tous les gouvernements et autres parties prenantes d’Europe des lignes directrices et principes concrets dans ce domaine. Ce texte s’accompagne d’une série d’outils pratiques élaborés à l’intention de ceux qui ont besoin d’informations directement exploitables sur les possibilités de concilier les outils modernes d’information et de communication et les exigences et la pratique démocratiques.
14. Enfin, dans le cadre du débat organisé en 2010 sur le thème «Démocratie en Europe: crise et perspectives», notre Assemblée a souligné que le droit de participer à la conduite des affaires publiques, que ce soit au niveau local, régional, national ou européen, est un droit de l’homme et une liberté politique fondamentale qui devrait, dès lors, être inscrit comme tel dans la Convention européenne des droits de l’homme. L’Assemblée a décidé de poursuivre la réflexion, en consultation étroite avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), afin d’élaborer un tel protocole 
			(2) 
			Résolution 1746 (2010) et Recommandation
1928 (2010) «La démocratie en Europe: crises et perspectives», 23 juin 2010.. J’ai la conviction que cette réflexion doit inclure la contribution d’internet et d’autres outils numériques tels que les réseaux sociaux, les forums de discussion en ligne, le vote électronique et les initiatives de gouvernement ouvert. C’est la raison pour laquelle je propose l’amendement D au projet de résolution.