1. Introduction
«L’investissement social (n’est) pas un dispositif superflu
en période de prospérité.Il doit faire
partie intégrante de la stratégie de sortie des crises actuelles.» Eurochild,
mars 2013
1. La pauvreté des enfants est un phénomène dont certains
se souviennent à la lecture des romans du XIXe siècle de Charles
Dickens, et que l’on associe la plupart du temps aux pays en développement
dans lesquels l’Unicef fait régulièrement état des taux de pauvreté
infantile les plus élevés
. Mais c’est aussi une triste réalité
qui touche de nombreux enfants en Europe, un continent qui, normalement,
s’inscrit parmi les régions les plus riches au monde. Notamment
en ces temps récents de crise économique et d’austérité budgétaire,
des exemples particulièrement choquants des conditions de vie des
enfants ont été rapportés par divers pays européens, qui montrent
que les formes les plus extrêmes de pauvreté sont en train de réapparaître
en Europe.
2. Dans une déclaration publiée en juillet 2012, le Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, a
mis en garde contre la forte augmentation de la pauvreté des enfants
au Portugal. La combinaison d’un chômage croissant et de la réduction
des salaires, d’impôts en hausse et d’allocations sociales et de
chômage en baisse se traduit par des revenus réduits et une pauvreté
accrue qui touche de nombreuses familles portugaises. Selon lui,
l’effritement des revenus familiaux risque de conduire à la résurgence
du travail des enfants, surtout dans l’économie informelle et dans
le secteur agricole. Il a par conséquent appelé les autorités nationales
à se montrer particulièrement vigilantes et à veiller à la poursuite des
programmes destinés à prévenir le travail des enfants
.
3. L’exemple de la Grèce a récemment montré qu’un nombre croissant
d’enfants européens étaient confrontés à la faim ou au risque d’en
souffrir. En 2012, en Grèce, une proportion estimée à 10 % des élèves des
écoles primaires et secondaires souffraient de ce que les professionnels
de santé publique ont appelé «l’insécurité alimentaire», tandis
que des experts ont estimé que le pays se situait à présent au niveau
de certains pays africains. Se faisant l’écho de ces tendances,
des articles de la presse internationale ont rapporté les propos
de chefs d’établissement qui ont vu «des enfants fouiller dans les
poubelles scolaires en quête de nourriture, des gamins dans le besoin
demandant à leurs camarades de leur céder leurs restes de repas
et [des jeunes enfants] tordus de douleur à cause de la faim»
.
4. Cependant, la pauvreté des enfants n’est pas qu’un problème
urgent pour les pays les plus touchés par les crises récentes ou
pour les pays européens les plus pauvres. Des statistiques dramatiques
et des informations faisant état de cas d’extrême pauvreté nous
parviennent chaque jour de nombreux pays, dont certains comptent
parmi les plus riches d’Europe occidentale. Des rapports récents
du Royaume-Uni, par exemple, ont montré qu’il était probable que
la pauvreté des enfants continue d’augmenter dans le pays, pour passer
de 2,4 millions au chiffre estimatif de 3,4 millions d’ici 2020,
et ce malgré la loi de 2010 sur la pauvreté des enfants (
Child Poverty Act) en vertu de laquelle
le gouvernement est tenu responsable de la réduction de la pauvreté
des enfants. Des études récentes ont révélé que, dans ce pays, les
enfants pauvres réussissent moins bien à tous les niveaux scolaires
et souffrent d’une moins bonne santé tout au long de leur vie, et
ont notamment une moindre espérance de vie
.
5. Il ressort de ces premiers exemples que la pauvreté des enfants
n’est pas seulement une question d’égalité des chances pour le développement
des enfants; c’est également une question de survie pure et simple
et d’accès aux ressources les plus fondamentales, et donc un problème
auquel il faut s’attaquer de toute urgence. Il conviendrait de reconnaître
la pauvreté et l’extrême pauvreté qui affectent beaucoup d’enfants en
Europe comme l’une des causes principales de diverses violations
des droits des enfants. Non seulement de nombreux enfants souffrent
de graves privations – dont l’accès à une alimentation adaptée,
à l’eau potable, à des installations sanitaires, aux soins de santé,
au logement et à l’éducation – mais, de surcroît, cette précarité
familiale crée un environnement favorable à l’exploitation sexuelle
ou commerciale des enfants
.
6. Dans ce contexte, le présent rapport fait le point sur la
situation actuelle des enfants en Europe, examine les mesures politiques
qui s’imposent et formule un certain nombre de recommandations.
A ce propos, je tiens à remercier Mme Angela Abela, spécialiste
des questions familiales et professeur à la Faculté pour le bien-être social
de l’Université de Malte, qui a apporté une contribution majeure
à cette étude et à l’analyse qu’elle contient. Avec l’approbation
de la commission et afin d’avoir une vue d’ensemble de la pauvreté
des enfants dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, une brève
enquête a été adressée aux Etats membres par l’intermédiaire du
Centre européen de recherche et de documentation parlementaires
(CERDP)
. Trente-cinq réponses ont été reçues
au total, qui ont été prises en compte dans l’analyse présentée
ci-après. Toutefois, les chiffres et exemples figurant dans cet
exposé des motifs sont tirés de l’enquête et d’informations diffusées par
les médias à propos de la pauvreté, ainsi que de données publiques
disponibles dans divers Etats membres.
2. Définitions
7. Une définition largement utilisée de la pauvreté
des enfants est celle qui est fournie par Eurostat, à savoir «l’indicateur
de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale» (AROPE). Selon Eurostat,
cet indicateur rend compte de la part de la population qui:
- est menacée de pauvreté. Le
taux de risque de pauvreté est défini comme la part des personnes
ayant un revenu disponible équivalent (après transferts sociaux)
inférieur à 60 % du revenu disponible équivalent médian national
après transferts sociaux; ou
- souffre de privations matérielles graves, c’est-à-dire
du manque forcé de quatre ou plus des neuf critères de privation
matérielle suivants dans le ménage où vit l’enfant: capacité de
faire face à des dépenses imprévues, de s’offrir chaque année une
semaine de vacances hors de son domicile, de payer les arriérés
d’un emprunt ou d’un loyer, de payer des factures d’eau/gaz/électricité
ou des achats à tempérament, de s’offrir un repas avec viande, volaille
ou poisson un jour sur deux, de chauffer convenablement son domicile,
d’avoir un lave-linge, de s’acheter un téléviseur couleur, un téléphone
et une voiture; ou
- vit dans des ménages à très faible intensité de travail
(inférieure ou égale à 20 %).
8. L’adoption récente des trois critères ci-dessus a été considérée
comme importante au sein de l’Union européenne dans la mesure où
les taux de pauvreté monétaire relative ne donnent pas toujours
une image précise des niveaux de pauvreté dans un pays donné. A
titre d’exemple, entre 2009 et 2010, l’indice irlandais de privation
des enfants affichait une hausse de 6,7 %. Pourtant, la baisse générale
des salaires semblait indiquer que la pauvreté relative des enfants
avait progressé de moins de 1 %. A cet égard, la liste susmentionnée
des indicateurs de privation adoptée par le sous-groupe «Indicateurs»
(ISG) du Comité de la protection sociale (CPS) de la Commission
européenne permet d’avoir une vision plus globale et qualitative
du niveau de vie dans les différents pays.
9. seuils de pauvreté nationaux quantitatifs peuvent aussi varier
considérablement d’un pays à l’autre. Le seuil de pauvreté relative
de la Roumanie, par exemple, a été fixé à $ 1,71 en 2010 et représentait
davantage un seuil de pauvreté extrême puisqu’il se situait en dessous
des $ 4 par jour retenus par la Banque mondiale pour les économies
en transition de l’ex-Union soviétique et d’Europe orientale
. Certains pays tels que le Monténégro,
la Serbie, la République de Moldova ou la Géorgie ont tendance à
utiliser un seuil de pauvreté absolue lorsqu’ils font référence
aux enfants vivant dans la pauvreté, alors que la Fédération de
Russie applique le concept de «salaire minimum vital» pour mesurer
la pauvreté des enfants.
10. L’Unicef s’est également penchée sur la définition de la pauvreté.
Hormis la pauvreté monétaire relative avec des revenus équivalents
inférieurs à 50 % du revenu médian national pour les pays de l’Union européenne
et de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE), en 2012 le Centre de recherche Innocenti de l’Unicef a également
inclus les 14 variables de l’indice de privation spécifiques aux
enfants
introduites par Eurostat en 2009
. Dans
sa dernière publication, le Centre de recherche Innocenti (2013)
est allé plus loin et a mis l’accent sur le bien-être des enfants
plutôt que de centrer ses travaux uniquement sur la pauvreté, en
tenant compte d’autres critères tels que la santé et la sécurité, l’éducation,
le comportement et les risques, et le logement et l’environnement.
3. La prévalence de
la pauvreté des enfants en Europe
3.1. Chiffres globaux
et éléments déterminants de la pauvreté
11. La pauvreté des enfants est un phénomène croissant
en Europe. En 2011, 27 % des jeunes de moins de 18 ans étaient exposés
au risque de pauvreté et d’exclusion sociale dans l’Union européenne
des 27, faisant des enfants le groupe le plus vulnérable par rapport
aux adultes et aux personnes âgées
. En outre, les données européennes
montrent que les phénomènes décrits ne touchent pas seulement une
minorité d’enfants ou des pays moins prospères, comme on pourrait
le croire, mais que la pauvreté des enfants en général continue
d’augmenter en Europe. Selon l’Unicef, en 2012, environ 13 millions
d’enfants dans l’Union européenne ainsi qu’en Norvège et en Islande
manquaient des éléments de base nécessaires à leur développement,
et 30 millions d’enfants vivant dans 35 pays à l’économie développée
étaient en situation de pauvreté
.
Dans l’Union européenne, on estime actuellement que 19 % des enfants
seraient exposés au risque de pauvreté, contre une moyenne de 16 %
pour la population totale. Environ 15 % des enfants interrompent
leur scolarité avant la fin de l’enseignement secondaire.
12. En 2013, Eurostat a publié les taux nationaux d’enfants menacés
de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale pour l’Union européenne
des 28 (à l’exception de la Croatie puisque les chiffres sont basés
sur les estimations de 2011)
. J’attire votre attention sur
les statistiques de l’Union européenne, en plus des chiffres résultant
de l’enquête réalisée pour la préparation du présent rapport, car
les statistiques officielles correspondent à la dernière définition
de la pauvreté adoptée par l’Union européenne et sont donc plus facilement
comparables (voir tableaux en annexe).
13. Les enfants les plus exposés au risque de pauvreté en 2011
vivaient dans des familles monoparentales ou dans des familles ayant
de nombreux enfants à charge. Près de la moitié des ménages (45 %)
à faible et très faible intensité de travail avec des enfants à
charge étaient menacés de pauvreté. Les enfants dont la mère n’avait
pas atteint le cycle d’enseignement secondaire supérieur ainsi que
ceux qui étaient issus de l’immigration étaient aussi exposés au
risque de pauvreté
.
14. Déjà en 2007, bien avant l’éclatement de la crise économique
actuelle, l’Unicef attirait l’attention sur le fait que les enfants
roms, en particulier en Europe du Sud-Est, comptaient parmi les
groupes les plus vulnérables face à la pauvreté, aux privations
et au manque d’accès aux soins de santé et à l’éducation. Même dans
les pays ayant développé des plans d’action nationaux en faveur
des Roms, qu’ils soient axés sur le logement, l’emploi, la santé
ou l’éducation, il ressort que les besoins spécifiques des enfants
avaient souvent été négligés et un soutien ciblé en leur faveur
était considéré comme essentiel
.
15. Eurochild, un réseau des défenseurs européens des droits de
l’enfant soutenu par la Commission européenne, confirme que les
principaux groupes d’enfants exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale
sont les suivants: les enfants de familles monoparentales, ceux
de familles nombreuses, ceux dont les parents sont au chômage ou
sous-employés, les enfants de familles de minorités ethniques et
issues de l’immigration et les enfants handicapés
. Toutefois, l’exemple ci-dessus
concernant le Royaume-Uni montre que les enfants pauvres ne se trouvent
pas seulement dans les «familles désunies», que la majorité d’entre eux
vivent dans des ménages qui travaillent et que, par ailleurs, certains
contés réussissent mieux que d’autres à accompagner les familles
monoparentales
. Les stéréotypes
et généralisations sont de ce fait à éviter dans ce domaine, même
si le chômage et le nombre et le niveau de revenus de la famille
sont sans aucun doute des facteurs déterminants lorsqu’il s’agit
de répondre aux besoins des enfants.
3.2. Rapports et chiffres
provenant de pays particuliers
16. Le problème de la pauvreté des enfants a été examiné
en détail dans divers Etats européens et beaucoup de pays établissent
régulièrement des rapports sur les enfants vivant dans des situations vulnérables
et défavorisées. Le présent rapport ne permet pas de dresser un
tableau exhaustif de la situation des pays, mais quelques exemples
peuvent servir à illustrer la situation dramatique que vivent des
enfants en Europe.
17. Dans certains pays européens, les familles sont confrontées
à des problèmes de survie pure et simple. C’est notamment le cas
en Grèce, comme nous l’avons mentionné dans l’introduction
. Des
exemples similaires et des chiffres alarmants sont également rapportés
par d’autres pays européens: en Espagne, le gouvernement régional
de l’Andalousie a ouvert les écoles pendant l’été 2013 principalement
pour apporter un soutien aux enfants vivant dans des conditions
précaires à cause de la crise prolongée de l’économie. Des programmes
similaires ont été mis en place à une plus petite échelle en Estrémadure
et dans les îles Canaries. L’année dernière, des enseignants ont
remarqué que des enfants s’endormaient de fatigue et parce qu’ils n’avaient
pas une alimentation appropriée. Pendant les cours d’été, un petit-déjeuner,
un déjeuner et un goûter composés de fruits frais, de poisson, de
viande et de légumes ont été servis aux enfants.
18. En 2013, l’Unicef a constaté que 20 % des enfants espagnols
âgés de 0 à 7 ans vivaient dans des ménages dont le revenu équivalent
était inférieur à 50 % du revenu médian. L’Italie, la Grèce et le
Portugal se classaient juste derrière
.
Au Royaume-Uni, d’après un rapport publié en 2011 par l’Institut
d’études budgétaires, la pauvreté des enfants devait commencer à
augmenter en 2013
et
progresser de 41,6 % d’ici à 2020
.
19. En Albanie, l’un des plus jeunes pays d’Europe après le Kosovo
,
qui compte plus de 578 000 enfants de moins de 15 ans (recensement
de 2011), beaucoup d’enfants connaissent des situations dramatiques. Selon
la dernière étude officielle de l’INSTAT (Enquête nationale sur
le travail des enfants), 7,7 % des enfants de 5 à 17 ans sont exploités,
contraints d’accomplir des travaux pénibles ou de mendier. Il est
clair que, en vivant dans la rue, ces enfants courent également
le risque d’être exploités sexuellement, enlevés et entraînes dans
la prostitution ou la traite des être humains
.
20. La situation est également dramatique dans certains pays comme
la Roumanie et la République de Moldova: beaucoup d’enfants y sont
privés de protection parentale parce que leurs parents sont contraints d’aller
travailler à l’étranger pour assurer la subsistance de la famille
et parce qu’aucun proche n’est susceptible de s’occuper des enfants
en leur absence. Cela concerne souvent des enfants très jeunes,
laissés à leurs aînés, avec un accès restreint aux ressources et
services de base, comme une alimentation adaptée, des soins de santé
et l’éducation
. On estime que 250 000 enfants se
trouvent dans cette situation dans la seule République de Moldova.
21. Dans le domaine spécifique des soins de santé, des situations
absolument dramatiques sont là encore rapportées en Grèce. La crise
économique s’y est aggravée depuis le renflouement du pays par la communauté
internationale en 2010, et 2013 a été la sixième année consécutive
de repli économique. En dépit de la rhétorique insistant sur «le
maintien de l’accès universel à des soins de santé de qualité» dans
le plan de sauvetage de la Grèce, les politiques menées ont entraîné
un transfert des coûts aux patients, menant à une réduction de l’accès
aux soins de santé. En raison de la diminution des revenus des familles
et du chômage des parents, la santé des enfants a également été
affectée. Ils sont de plus en plus nombreux à être exposés au risque
de pauvreté avec un accès réduit aux services de santé et une alimentation
inadaptée. Une augmentation de 19 % du nombre de nouveaux nés souffrant
d’une insuffisance pondérale a par ailleurs été relevée entre 2008
et 2010
.
22. La situation actuelle des enfants est également grave en Géorgie
: 12 % d’entre eux vivent actuellement
sous le seuil de pauvreté alimentaire et 28 % sous le seuil de pauvreté
totale. Les variables de privation sont différentes de celles qui
sont retenues par les pays de l’Union européenne et comprennent
un téléviseur, un fer à repasser, un réfrigérateur, un téléphone
portable, une machine à laver, une voiture ou un aspirateur. De
même, les logements sont dans de très nombreux cas insalubres, 45 %
des enfants pauvres vivant derrière des fenêtres sans vitres, et
31 % dans des logements où le plancher doit être remplacé ou réparé.
Dans 27 % des ménages pauvres, une partie du logement est détruite,
les murs sont fissurés et humides et plusieurs, voire toutes les
pièces, n’ont pas d’éclairage électrique.
23. L’enquête du CERDP révèle en outre que la Géorgie, le Monténégro
et la Serbie sont les seuls parmi les pays répondants à ne pas offrir
de système de tutorat aux enfants qui ont besoin d’un soutien spécial.
En Fédération de Russie, le taux de pauvreté global a été divisé
par deux en l’espace d’une décennie, passant de 27,5 % en 2001 à
13,2 % en 2009. Toutefois, la pauvreté des enfants est encore élevée,
avec un taux de 19,8 % en 2009
.
24. Mon propre pays, l’Azerbaïdjan, reste lui aussi confronté
à plusieurs défis concernant le bien-être des enfants. En dépit
des progrès significatifs enregistrés ces dernières années dans
la situation et le bien-être des enfants, et malgré le fait que
de l’éducation et des soins de santé gratuits soient garantis par
la Constitution de notre pays, des améliorations peuvent encore
être faites. Environ un million de réfugiés présents dans le pays ont
reçu tous les moyens de subsistance nécessaires, tels que des écoles
pour leurs enfants ou des maisons construites pour eux; néanmoins,
la prospérité économique, largement tirée de l’industrie pétrolière,
n’a malheureusement pas encore atteint toute la population, et les
taux de pauvreté restent relativement élevés dans beaucoup de familles
.
25. Cependant, des statistiques et des exemples d’enfants pauvres
ne sont pas seulement rapportés de pays d’Europe méridionale touchés
par la crise ou de pays d’Europe orientale dont les économies sont
encore en phase de transition. Les nations prospères d’Europe occidentale
connaissent elles aussi des situations de pauvreté des enfants.
En Autriche, un enfant sur six serait exposé au risque de pauvreté
, et dans la région belge de la
Wallonie
, ce taux passe même à un enfant
sur quatre, alors qu’en Allemagne près de 20 % des mineurs sont
confrontés à la pauvreté en termes de revenus. Bien évidemment,
ces statistiques font référence à des taux de pauvreté relative
et beaucoup de ces enfants vivent en réalité dans des familles plus
aisées que ceux de pays plus pauvres, mais les conditions de vie
que traduisent ces chiffres affectent néanmoins les enfants et beaucoup
d’entre eux ont des chances moindres de parvenir à de bons niveaux
d’éducation ou sont limités dans leur développement physique ou
psychologique
.
26. Ces quelques tristes exemples rapportés de toute l’Europe
montrent, en particulier dans le contexte économique et financier
actuel de menace sur les revenus des familles et de réduction générale
des aides publiques, qu’il est urgent d’agir en faveur des enfants
vivant dans la pauvreté et qu’aucun pays européen n’est épargné:
des enfants pauvres vivent même dans les économies européennes les
plus prospères. Il est indispensable de combiner les efforts et
les actions des diverses parties prenantes, notamment des gouvernements,
du secteur privé, des organisations non gouvernementales (ONG) et
des bénévoles à titre individuel, afin de parvenir à des résultats
tangibles pour les enfants dans le besoin.
4. Conséquences de
la pauvreté sur les enfants menant au «cycle de la pauvreté»
27. Les éléments que nous venons de présenter à propos
de différents pays européens montrent que la situation est dramatique
et qu’il importe d’agir de toute urgence pour améliorer la situation
et le bien-être des enfants dans l’ensemble de l’Europe. La pauvreté
a une incidence sur la confiance et l’estime personnelle des enfants,
et sur leurs relations avec les autres. Les enfants vivant dans
la pauvreté sont souvent en mauvaise santé, ils ont en général un
plus faible niveau d’instruction et par conséquent des possibilités
limitées de trouver un emploi et des difficultés à s’intégrer à
la société. Il y a cinq principaux facteurs qui ont une influence sur
le bien-être des enfants. Ce sont: la santé et la nutrition, la
santé mentale des parents, la relation parents-enfant, et l’environnement
familial et le quartier.
28. La malnutrition a des conséquences sur les capacités neurocognitives.
Les enfants pauvres ont souvent un faible poids à la naissance,
qui peut s’accompagner d’un retard de croissance. Cela peut aussi
avoir des répercussions sur le développement cognitif de l’enfant.
Des travaux de recherche montrent que dès l’âge de deux ans, il
y a une différence considérable dans le développement cognitif des
enfants vivant dans la pauvreté et des autres enfants, différence
qui continue à être visible et s’accentue même au fil des années.
Les tests montrent que les performances cognitives des enfants issus
de milieux favorisés sont 60 % plus élevées que celles des enfants
défavorisés
.
Bien que plus de recherches en la matière sont nécessaires, certaines données
disponibles démontrent certainement le besoin d’intervenir à un
stade très préliminaire, comme nous le soulignons au point 5 du
présent rapport.
29. Les soins prodigués par les parents jouent un rôle primordial
sur le climat émotionnel au sein du foyer et sur la sensation de
bien-être des enfants. La situation des parents a une incidence
directe sur les enfants et des répercussions sur leurs résultats
scolaires, leur comportement avec leurs camarades et leur sentiment de
confiance. Certains parents vivant dans la pauvreté ont tendance
à être en proie au stress, à l’anxiété et à la dépression. Cela
peut perturber leur comportement, ils peuvent devenir plus stricts
et ne sont pas toujours d’humeur égale, voire ils n’apportent pas
à leurs enfants la chaleur et l’affection dont ces derniers ont
besoin pour s’épanouir, même si ce genre de phénomènes peut, bien
évidemment, aussi être observé dans d’autres classes sociales. Il
convient cependant d’éviter tout stéréotype selon lequel les parents
pauvres ne sont généralement pas en mesure d’être «de bons parents».
30. L’une des conséquences à long terme pour les enfants vivant
dans la pauvreté est que nombre d’entre eux quittent l’école avant
la fin de l’enseignement secondaire. Le chômage des jeunes est environ
deux fois plus élevé que le taux de chômage moyen pour les enfants
qui sont pris au piège de la pauvreté. C’est par ce cercle vicieux
que le cycle intergénérationnel de la pauvreté se perpétue de génération
en génération.
5. Comment le contexte
économique et les programmes d’austérité budgétaire affectent les
enfants et les familles
31. La chute de l’une des plus grandes banques mondiales
aux Etats-Unis en septembre 2008 a conduit à la pire crise économique
que nous ayons connue depuis 80 ans. En Europe, la réaction initiale
des gouvernements à la crise financière a été d’adopter des mesures
de relance monétaire et budgétaire et des plans de sauvetage. Malgré
les sommes considérables que les gouvernements respectifs injectaient
dans l’économie, le Fonds monétaire international (FMI) indiquait
que 60 % de la dette publique qui s’était accumulée après l’effondrement
de 2008 était dû à une baisse des recettes provenant de l’impôt
sur le revenu et au chômage et à des stabilisateurs automatiques
(tels que les allocations de chômage) plutôt qu’aux dépenses publiques
pour mettre en œuvre les mesures de relance monétaire et budgétaire
et les plans de sauvetage.
32. Dès qu’ils sont sortis de la récession en 2010, certains pays
européens ont cessé de stimuler leur économie et ont mis en place
des coupes budgétaires. Au Royaume-Uni, cela a eu pour effet de
réduire le déficit budgétaire de 3 points de pourcentage en 2013.
Les réductions ont été même plus importantes dans les pays d’Europe
du Sud. Si les mesures d’austérité ont un rôle à jouer sur un plan
macro-économique, elles peuvent avoir un impact social majeur et
accentuer les inégalités, à la fois à travers la taxation (de salaires
ou de la consommation) ou à travers la réduction des prestations
sociales
.
Certains chercheurs soutiennent que si la consolidation budgétaire
est nécessaire, elle ne doit toutefois pas se faire aux dépens des
pauvres
. Cette dynamique a également été analysée
par l’Assemblée parlementaire dans ses travaux menant à la
Résolution 1884 (2012) «Mesures d’austérité – un danger pour la démocratie et
les droits sociaux».
33. Plus récemment, le Commissaire aux droits de l’homme, Nils
Muižnieks, s’est penché, dans son dernier document thématique, sur
le lien entre les actuels programmes d’austérité et l’exercice des
droits humains. Il y souligne que «les dépenses sociales publiques
ont été les premières cibles des mesures d’austérité dans bon nombre
des Etats membres», et qu’elles engendrent «des conditions d’accessibilité
plus strictes pour certaines prestations sociales, et d’autres coupes
dans les systèmes éducatifs et de soins de santé». Il indique par
ailleurs que «les mesures d’austérité appliquées aux allocations
familiales, le chômage généralisé et l’augmentation des prix alimentaires
sont des questions cruciales affectant le bien-être des enfants»,
dont les taux de pauvreté ont plus fortement augmenté que pour le
reste de la population
.
34. D’après les informations pays par pays recueillies par Eurochild
en 2011, les conséquences de la crise financière ont été multiples
et ont eu de graves répercussions sur les enfants et leurs familles.
Citons entre autres une hausse des
niveaux de pauvreté absolue, une progression du chômage qui a plus
durement touché les groupes marginalisés, notamment les migrants,
des réductions de salaire qui continuent de faire progresser le
nombre de travailleurs pauvres et une baisse des opportunités d’emplois
pour les jeunes. Certains d’entre eux sont «sans emploi, sans éducation
ou formation» (NEET). L’Irlande et l’Espagne ont des taux de NEET
de plus de 10 %
.
Au Royaume Uni, il semble que le fossé social entre les jeunes des
quartiers favorisés et ceux des quartiers défavorisés est de plus
en plus préoccupant, ces derniers se tournant parfois vers la criminalité et
les économies informelles pour assurer leur survie
.
35. De nouvelles coupes ont également été opérées dans les dépenses
publiques. En Lituanie, les allocations familiales universelles
ont été supprimées, au Danemark elles ont été réduites de 5 %, en
Irlande, une réduction de 10 euros (20 euros pour le troisième enfant)
a été instaurée. En Espagne, la prime à la naissance va être supprimée,
et au Royaume-Uni, les prestations familiales ont été supprimées
pour les contribuables des tranches supérieures de revenus. En outre,
les prestations familiales ont été gelées et les crédits d’impôt
pour enfant réduits. La promesse d’augmenter les crédits d’impôt
pour enfant plus que le taux d’inflation en 2012 et 2013 a été abandonnée.
Selon l’Institut d’études budgétaires (IFS)
,
cette décision à elle seule pourrait avoir pour effet de faire passer
100 000 enfants de plus sous le seuil de pauvreté.
36. Toute une série d’autres prestations sont menacées en Europe.
En Allemagne, les réductions opérées en 2010 concernaient les services
sociaux pour les demandeurs d’emploi, les aides au logement et les prestations
parentales. En Hongrie, l’aide au logement a été suspendue; au Danemark,
les allocations de chômage sont désormais versées pendant deux ans
au lieu de quatre. De même, les services d’aide à l’enfance et à
la famille sont supprimés. En Roumanie, des ONG offrant des services
préventifs pour des enfants et leurs parents dans des centres de
jour ne bénéficient plus de soutien financier pour poursuivre leurs activités.
En Irlande du Nord, un service de santé et d’aide sociale a été
démantelé, de sorte qu’il ne reste que les services de santé existants.
37. Une récente étude d’Eurochild a confirmé aussi que, depuis
le début de la crise économique et financière, plusieurs gouvernements
ont instauré des réductions des dépenses sociales qui ont été ressenties directement
par les enfants et leurs familles, notamment dans des domaines comme
les allocations familiales, les allocations de chômage, les services
publics d’aide aux enfants et aux familles ou les services de santé. Ces
effets sont régulièrement attestés par des rapports concernant certains
pays, dont la Lettonie, où les vastes programmes d’austérité, cités
en exemple sur la scène internationale, ont indéniablement fait augmenter
la pauvreté et les inégalités en terme de revenus, et ont eu un
impact sur les groupes les plus défavorisés, comme les enfants de
familles monoparentales, tandis que les enfants des familles à revenus moyens
ou élevés étaient soutenus plus généreusement (ainsi que l’ont remarqué
les experts de la Banque mondiale)
.
38. Déjà en 2009, l’Overseas Development Institute du Royaume-Uni
avançait que «les gouvernements peuvent faire beaucoup pour protéger
les enfants des conséquences de la crise économique, à condition
de reconnaître le problème et de planifier en conséquence»
. Si la phase de reconnaissance du
problème semble désormais atteinte, du moins au niveau de l’Union
européenne (voir ci-dessous), il est grand temps de redoubler d’efforts
en faveur des enfants pauvres touchés par la crise et de prendre
des mesures concrètes pour briser le cycle de la pauvreté menaçant
bien trop d’entre eux.
6. Réponses politiques
apportées et requises pour réduire efficacement la pauvreté des
enfants
6.1. Stratégies et cibles
européennes pour lutter contre la pauvreté des enfants
39. En ce qui concerne les réponses politiques au niveau
européen, la protection des enfants et la défense de leurs droits
fondamentaux comptent parmi les priorités pour le Conseil de l’Europe,
en particulier de par son programme intitulé «Construire une Europe
pour et avec les enfants» et de sa stratégie actuelle pour 2012-2015.
Déjà, dans sa
Résolution 1800 (2011) «Combattre la pauvreté», l’Assemblée a appelé les Etats membres
à s’engager à éliminer la pauvreté des enfants d’ici à 2025.
40. Dans sa stratégie «Europe 2020», l’Union européenne fixe un
objectif européen commun consistant à réduire le nombre de personnes
exposées au risque de pauvreté et d’exclusion sociale d’au moins
20 millions d’ici à 2020. Dans sa recommandation du 20 février 2013
intitulée «Investir dans l’enfance pour briser le cercle vicieux
de l’inégalité», la Commission européenne appelle à traiter le problème
de la pauvreté sous l’angle des droits de l’enfant et définit à
cette fin un cadre européen commun. Le document offre également
une «visibilité accrue au consensus qui s’est établi»
sur la marche à suivre et comprend
un ensemble de principes directeurs sur la manière de lutter le
plus efficacement contre la pauvreté des enfants en Europe. La Commission
préconise de garantir l’accès à des ressources suffisantes et l’accès
à des services de qualité et d’un coût abordable (y compris des
services d’éducation des jeunes enfants de qualité), sans oublier
la mise en œuvre du droit des enfants à participer à la vie sociale
. La recommandation de l’Union
européenne note en outre que la lutte contre la pauvreté des enfants
est un investissement essentiel pour l’avenir d’une société et de
l’Europe compte tenu des effets pervers à long terme de la pauvreté
sur les enfants. La prévention et l’intervention précoce sont mises
en avant et perçues comme s’inscrivant dans une stratégie intégrée
qui tient également compte de la réussite professionnelle des parents
dans un emploi suffisamment rémunéré. Le droit à une santé adéquate,
à l’éducation, au logement et à des services de protection sociale
est également mis en exergue.
41. Le document de l’Union européenne envisage le problème de
la pauvreté sous l’angle des droits de l’enfant et s’inspire de
la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant
qui a été ratifiée par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
Dans le même temps, il reconnaît l’importance des familles dans la
vie des enfants; de fait, la qualité des relations au sein de la
famille est considérée comme la variable prépondérante pour évaluer
le sentiment de bien-être chez les enfants
. Il
accorde de l’importance aux stratégies intégrées qui vont au-delà
de la sécurité matérielle pour les enfants et vise à promouvoir
l’égalité des chances pour tous les enfants. Une attention particulière
est accordée aux groupes à risque. Enfin l’importance de la poursuite
des politiques engagées et d’une planification à long terme est
également soulignée. Les stratégies intégrées promues par l’Union
européenne s’appuient sur trois piliers: 1) l’accès à des ressources
adéquates; 2) la nécessité de services de qualité; et 3) l’importance
d’une participation des enfants.
6.2. Défis actuels posés
à l’éradication effective de la pauvreté des enfants
42. Il ressort d’un bon nombre des situations décrites
plus haut que, pour éradiquer la pauvreté des enfants, il faut apporter
un soutien global aux familles dont la détresse a des répercussions
sur les enfants. Si l’on aide les familles à améliorer leurs conditions
de vie, en trouvant un emploi ou un logement décent, par exemple, ces
familles peuvent élever leurs enfants dans un environnement sain
et stable, ce qui permet d’interrompre la transmission intergénérationnelle
de la pauvreté. Pour garantir un impact des politiques de lutte
contre la pauvreté des enfants, il importe aussi d’aller à la rencontre
des enfants là où ils vivent et de manière à ce qu’ils puissent
avoir accès, dans des conditions d’égalité, aux ressources et services
de base; l’environnement familial inclut aussi les structures éducatives.
En prenant comme grille les trois piliers de la lutte contre la pauvreté
des enfants actuellement promus par l’Union européenne (voir paragraphe
41), il est possible d’identifier certains des défis à relever pour
les politiques nationales.
43. D’abord, des ressources adéquates pour les familles, telles
que les demande l’Union européenne, supposent des emplois qui non
seulement procurent un revenu suffisant mais aussi respectent la
vie familiale. Le cas échéant, il se peut que les emplois nécessitent
d’être complétés par des politiques de redistribution efficaces
,
.
Malheureusement, la crise financière a conduit les pouvoirs publics
à effectuer des coupes dans les transferts sociaux et autres formes
de soutien financier aux enfants et familles, qui accentuent les
inégalités sociales. De l’étude du CERDP menée pour le présent rapport,
il ressort de l’enquête que, alors que tous les pays participants
offrent des aides financières pour venir en aide aux familles, notamment
une aide sociale spécifique, un certain nombre d’entre eux ne fournissent
pas d’aide spécifique aux parents démunis pour les aider à accéder
au marché du travail. Ces pays sont huit pays membres de l’Union
européenne, ainsi que la Géorgie, l’Islande et la Turquie.
44. Le second pilier de stratégies efficaces contre la pauvreté
des enfants repose sur des services de qualité pour les enfants.
Des services publics de qualité sont nécessaires pour les enfants
défavorisés dont les parents dépendent très largement de ce soutien
et ne peuvent pas avoir recours à des services privés de remplacement.
L’importance de services de qualité est également soulignée par
l’Unicef qui fait observer qu’il doit y avoir des indicateurs pour
mesurer la qualité des services. A cet égard, l’Unicef considère
l’absence d’indicateurs de ce type comme une «lacune criante» qui
nous prive de la possibilité de contrôler les services et de les
comparer à ceux d’autres pays
. L’accent particulier
qui est ainsi mis sur des politiques fondées sur des observations
factuelles garantissant un retour sur investissement maximal a pris
encore plus d’importance dans le contexte économique actuel où les
ressources sont rares et doivent faire l’objet d’investissements judicieux.
45. L’enquête susmentionnée du CERDP fait apparaître que, alors
qu’un large éventail de services est proposé dans les écoles pour
veiller à l’égalité des chances, des services d’éducation de la
petite enfance ne sont toujours pas disponibles pour tous les enfants
dans de nombreux pays d’Europe, malgré les effets bénéfiques qu’ils
ont en particulier sur les enfants vivant dans la pauvreté. Les
objectifs convenus au Conseil européen de Barcelone 2002 en matière
d’accueil des enfants étaient que 90 % des enfants à partir de trois ans
soient admis à l’école maternelle et que 33 % des enfants âgés de
moins de trois ans (cible considérée basse par certains) devraient
avoir une place dans des structures d’accueil de la petite enfance.
46. Il est clair que la simple mise en place de services d’éducation
des jeunes enfants, sans prêter attention à la qualité (et à l’accessibilité
économique) de ces services n’est pas la réponse au besoin de fournir
des structures d’accueil, et l’on ne soulignera jamais assez l’importance
de la qualité sur la quantité. Nous savons à présent que les premières
années jouent un rôle fondamental dans le développement cognitif
et émotionnel de l’enfant et ceux qui vivent dans la pauvreté sont
extrêmement défavorisés dès le plus jeune âge. C’est pourquoi il
est sage d’investir dans l’accompagnement des enfants qui vivent
dans la pauvreté et de leurs parents en leur accordant un soutien
accru durant cette période qui est d’une importance cruciale pour
le développement de l’enfant.
47. Enfin, la participation des enfants est un troisième pilier
essentiel de la stratégie de l’Union européenne. A ce jour, il n’existe
aucun indicateur de mise en œuvre et les experts s’accordent à dire
qu’il faut acquérir plus d’expérience dans ce domaine
. Dans son dernier rapport sur cette
question, l’Unicef insiste sur le fait que la participation des
enfants à des sujets qui les concernent n’est pas facile à accepter.
Il fait valoir que les enfants des classes moyennes sont souvent
privilégiés dans ces circonstances et qu’ils ont généralement plus
de chances de faire entendre leur point de vue. Des études menées
sur des enfants défavorisés indiquent toutefois que, lorsqu’ils
en ont la possibilité, ils sont capables d’exprimer leur opinion
de façon très claire et d’apporter des contributions importantes
non seulement en ce qui concerne l’exploitation des services mais aussi
à propos d’aspects liés à leur bien-être
.
48. A la suite ou parallèlement à certaines des activités susmentionnées
de normalisation européennes, de nombreux pays d’Europe ont mis
en place des politiques ou stratégies nationales de lutte contre
la pauvreté des enfants. Toutefois, si l’on veut éradiquer la pauvreté
des enfants, le plus difficile sera de réduire le décalage entre,
d’une part, la situation réelle des enfants (qui tend à s’aggraver
dans le contexte de crise économique) et les intentions et déclarations
politiques, et, d’autre part, la mise en œuvre effective des politiques
en faveur des enfants. Ainsi que le montrent les rapports concernant
différents pays, il est très fréquent que les mesures et politiques
nationales ne parviennent pas à protéger les enfants contre la pauvreté parce
qu’elles ne sont pas suffisamment ciblées, voire aggravent la situation
des enfants; c’est notamment le cas lorsque des mesures d’austérité
conduisent à des réductions des prestations sociales ayant des effets directs
sur les enfants et les familles qui sont dans le besoin.
49. Dans son analyse des programmes nationaux de réforme (PNR)
de 2013, Eurochild
a
conclu à certaines améliorations modestes en matière de droits de
l’enfant par rapport aux PNR des années précédentes. Certains pays
n’ont apparemment pas pris en compte les problèmes liés aux mesures d’austérité,
au chômage ou à la situation alarmante des travailleurs pauvres.
Des progrès ont été enregistrés en Bulgarie, en Espagne, en France,
en Hongrie et en Roumanie par rapport à 2012. Néanmoins, la situation générale
de beaucoup d’enfants reste la même et la lutte contre la pauvreté
infantile demeure une tâche extrêmement difficile.
50. Un certain consensus semble avoir été atteint parmi les 28
Etats membres de l’Union européenne à propos des conséquences néfastes
de la pauvreté sur les enfants et leurs parents et sur la société
en général. Cependant, compte tenu de l’hétérogénéité des différents
pays d’Europe, y compris ceux qui ne sont pas membres de l’Union
européenne, il faut des recommandations applicables à tous les pays
de la Grande Europe.
7. Conclusions
51. La recommandation de l’Union européenne relative
à la pauvreté des enfants (évoquée précédemment) a été adoptée et
publiée en février 2013. Elle contient des lignes directrices très
complètes visant à éradiquer la pauvreté des enfants, susceptibles
de servir de source d’inspiration pour tous les pays de la Grande
Europe. Elle énumère notamment les principales mesures suivantes
de lutte contre la pauvreté des enfants:
- permettre aux familles d’accéder à des ressources suffisantes
en soutenant la participation des parents au marché du travail et
assurer des conditions de vie correctes grâce à une combinaison
de prestations;
- permettre à tous les enfants et à leurs familles d’accéder
à des services de qualité et d’un coût abordable en réduisant les
inégalités dès la petite enfance, en investissant dans l’éducation
et l’accueil des jeunes enfants, en améliorant l’influence du système
éducatif sur l’égalité des chances, en améliorant la réactivité
des systèmes de santé pour répondre aux besoins des enfants défavorisés,
en offrant aux enfants un logement et un cadre de vie sûrs et adéquats
et en améliorant les services d’assistance aux familles et la qualité
des services de soins alternatifs;
- promouvoir le droit des enfants de participer aux activités
sportives, culturelles et de loisirs ainsi qu’aux processus décisionnels
les concernant.
52. La récente adoption de la recommandation de l’Union européenne
a été saluée par le réseau européen Eurochild et d’autres défenseurs
des droits de l’enfance. Elle a été perçue comme un instrument important comblant
le fossé entre la rhétorique politicienne et la mise en œuvre des
politiques
.
Suite à l’adoption de ce document, Eurochild a formulé un certain
nombre de recommandations sur la façon dont la politique européenne
pourrait être mise en œuvre. Certaines méritent d’être mentionnées
et pourraient
compléter la stratégie de l’Union européenne lors de sa mise en
œuvre:
- la volonté politique
de lutter contre la pauvreté des enfants doit être une priorité
dans tous les pays européens. A cet égard, des objectifs précis
doivent être définis d’entrée de jeu;
- des indicateurs testés et éprouvés de suivi des résultats
pour les enfants et leurs familles devraient être les principaux
outils d’évaluation pour s’assurer de la mise en œuvre des politiques.
D’autres travaux de recherche doivent être menés dans cet important
domaine si les politiques doivent s’appuyer davantage sur des éléments
factuels. Les indicateurs devraient également être communs à tous
les pays, afin de permettre l’apprentissage mutuel à partir d’exemples
de bonnes pratiques des uns et des autres;
- des sources de financement additionnelles, en particulier
pour les pays les plus pauvres, sont nécessaires pour tâcher de
combler le fossé entre les différents pays;
- les pays qui disposent de davantage de données peuvent
aider les autres à créer leurs propres bases de données, notamment
via transfert des connaissances;
- les ratios de répartition des revenus doivent être ajustés,
en particulier dans les pays où l’écart entre le quintile le plus
riche et les revenus les plus faibles est grand;
- la planification nationale doit se faire sur le long terme;
des approches transversales et des synergies développées entre les
différents ministères contribueraient à maximiser les ressources.
53. En collaboration avec le Réseau européen des associations
de lutte contre la pauvreté (EAPN), Eurochild a édité un excellent
manuel intitulé «Explicatif sur la pauvreté infantile dans l’Union
européenne», dans lequel l’organisation identifie les facteurs de
risque, les causes et les mythes entourant la pauvreté des enfants,
explique la recommandation de l’Union européenne de manière aisément
compréhensible et illustre les possibilités de mise en œuvre par
des exemples de bonnes pratiques. Ce manuel ne peut qu’être chaudement
recommandé aux acteurs nationaux soucieux d’améliorer l’efficacité
de leurs stratégies de lutte contre la pauvreté des enfants
.
54. Dans son étude 2012 sur les enfants et les jeunes face à la
crise, Eurochild a également souligné que les groupes les plus vulnérables,
notamment les enfants, sont les premiers touchés par l’affaiblissement
des systèmes de protection sociale, et que l’accès à des services
de soutien préventif, de soins de santé et à une éducation abordables,
disponibles et de bonne qualité ne doit pas être considéré comme
un coût, mais plutôt comme un investissement sur l’avenir
. Concernant certaines
catégories d’enfants, par exemple ceux issus des minorités nationales
(enfants roms et autres), il conviendra de déployer des efforts
particuliers pour améliorer la collecte de données relatives à leur
situation (afin d’en permettre le suivi), mettre fin aux discriminations
auxquelles leurs communautés sont généralement confrontées et leur
garantir les mêmes droits et soutien qu’aux autres enfants
.
En général, les enfants doivent aussi être protégés contre tout préjudice
et toute violation des droits humains pendant qu’ils vivent dans
la pauvreté, par exemple contre le travail des enfants, la violence
physique ou psychologique, l’exploitation et les abus sexuels ou
la traite – des phénomènes contre lesquels le Conseil de l’Europe
lutte également par l’intermédiaire de sa propre action normative.
55. Tous les enfants d’Europe doivent pouvoir satisfaire leurs
besoins essentiels en ayant accès à l’alimentation, à l’éducation
et aux soins de santé, mais aussi bénéficier de l’égalité des chances
pour leur développement, sans subir d’exclusion sociale ou être
exposés à des risques pour leur intégrité physique ou psychologique.
C’est pourquoi l’Assemblée devrait appeler tous les Etats membres
à poursuivre avec détermination la lutte contre la pauvreté des
enfants, par leur ferme attachement à cette cause et par des stratégies
nationales ciblées.
56. S’agissant de la mise en œuvre de ces stratégies, l’engagement
de tous les niveaux de gouvernement est d’une importance décisive.
Les pouvoirs locaux comptent parmi les acteurs principaux et les
premiers points de contact avec les groupes défavorisés de la population.
Ils doivent de ce fait disposer des ressources nécessaires et pouvoir
assumer leurs responsabilités envers les communautés locales
,
entre autres par des plans d’action locaux.
57. Dans le contexte économique actuel, les Etats membres devraient
en particulier continuer ou, le cas échéant, commencer à revoir
les programmes d’austérité nationaux et à prendre la mesure de leurs
effets directs et indirects sur le bien-être des enfants; ils devraient
aussi concevoir et mettre en œuvre des politiques nationales qui
tiennent compte des besoins les plus urgents des enfants et utiliser
des mécanismes permettant de garantir que les ressources consacrées
à la lutte contre la pauvreté des enfants parviennent effectivement à
ceux qui en ont le plus besoin.
58. Dans son dernier document thématique, le Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe appelle les Etats membres à «réaliser
systématiquement des études visant à mesurer l'impact des budgets
et des politiques sociales et économiques sur les droits humains
et l'égalité»
. L’Assemblée devrait soutenir cette
proposition et aller plus loin en déclarant que toute réduction
des dépenses sociales doit être soigneusement supervisée et évaluée
quant à son éventuel impact sur les groupes les plus vulnérables
de la société, et en particulier sur le bien-être des enfants. C’est
en soutenant aujourd’hui les enfants pauvres et en leur offrant
une égalité des chances pour leur développement, que nous veillons
à ne pas perpétuer et accroître la pauvreté des enfants et des familles
dans l’avenir, au risque sinon de voir s’appauvrir nos sociétés entières.