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Rapport | Doc. 13462 | 24 mars 2014

Les réfugiés et le droit au travail

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Christopher CHOPE, Royaume-Uni, GDE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12933, Renvoi 3878 du 25 juin 2012. 2014 - Deuxième partie de session

Résumé

Conformément au droit international, il est de pratique courante dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe d’accorder aux réfugiés le droit de travailler; ce même droit s’applique généralement aux demandeurs d’asile au bout d’un certain laps de temps.

L’accès à l’emploi des demandeurs d’asile et des réfugiés présente des avantages pour les sociétés d’accueil, en ce sens qu’il permet à l’Etat de réduire ses coûts en matière d’aide sociale et, dans la mesure où l’emploi s’articule avec d’autres domaines d’intégration, il favorise la cohésion sociale. Il est également important sur le plan individuel puisqu’il contribue à restaurer l’estime de soi, est essentiel à la dignité de l’être humain, aide à surmonter les traumatismes et favorise l’indépendance financière.

Cependant la marge est grande entre le droit légal des réfugiés à occuper un emploi et la réussite de leur intégration sur le marché du travail des sociétés d’accueil. Les Etats doivent par ailleurs veiller à ce que les demandeurs d’asile soient autorisés à travailler si le traitement de leur demande d’asile venait à prendre du retard. Les réfugiés doivent non seulement être légalement autorisés à travailler mais doivent également être en mesure d’exercer ce droit. Pour ce faire, il convient d’éliminer les obstacles juridiques, administratifs et pratiques à leur participation au marché du travail, tels que les restrictions relatives aux permis de travail. Les Etats doivent en outre promouvoir des programmes d’intégration, proposant notamment des cours de langue et une formation sur les modalités d’accès au marché de l’emploi.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 13 mars
2014.

(open)
1. Le droit au travail est un droit fondamental, solidement ancré dans le droit international sans lequel d’autres droits perdent bien souvent tout leur sens. Il est essentiel à l’exercice d’autres droits fondamentaux et à la préservation de la dignité humaine; il permet aux individus et à leur famille d’assurer leur subsistance et de percevoir un revenu et favorise leur épanouissement et leur reconnaissance au sein de la communauté.
2. Pour les demandeurs d’asile et les réfugiés (y compris ceux qui bénéficient d’une protection subsidiaire) le droit au travail revêt une importance particulière dans la mesure où il renforce leur sentiment de dignité, de respect et d’estime de soi et permet d’accéder à l’indépendance et à l’autonomie financière. L’emploi est aussi, d’une manière plus générale, un aspect essentiel de l’intégration et peut les aider à se remettre d’expériences bien souvent traumatisantes.
3. La reconnaissance du droit au travail pour ces personnes et faciliter leur accès au marché du travail profitent aux sociétés dans lesquelles elles vivent et, le cas échéant, aux sociétés dans lesquelles elles retournent. La majorité de ces personnes sont en âge de travailler et apportent un savoir, des compétences et des qualifications. Leur permettre de travailler et les y aider diminuent la probabilité qu’elles recourent au travail informel ou qu’elles deviennent dépendantes de l’aide publique.
4. Le droit au travail est garanti par de nombreux instruments juridiques internationaux et régionaux, parmi lesquels la Charte sociale européenne (STE n° 35). Alors que le droit au travail pour les réfugiés est accordé en vertu de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés, les demandeurs d’asile l’obtiennent généralement seulement au bout d’un certain temps. Au titre de la Directive «Accueil» 2013/33/UE de l’Union européenne, les Etats membres sont tenus d’accorder aux demandeurs d’asile le droit de travailler dans un délai de neuf mois à compter de la date d’introduction de leur demande de protection.
5. Dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, il est de pratique courante d’accorder le droit de travailler aux réfugiés. Les demandeurs d’asile obtiennent en général eux aussi le droit de travailler, à l’issue toutefois d’un certain temps et bien souvent assorti de restrictions, comme un accès secondaire au marché du travail, derrière les autres migrants et les ressortissants.
6. Il existe toutefois de nombreux obstacles empêchant les réfugiés et les demandeurs d’asile d’exercer pleinement leur droit au travail. Citons notamment les problèmes liés à l’insuffisance des compétences linguistiques, à la méconnaissance du marché du travail, au manque de formation et d’expérience professionnelle et les difficultés liées à la reconnaissance des qualifications et de l’expérience.
7. Il est judicieux, tant sur le plan économique que social, d’octroyer le droit de travailler aux demandeurs d’asile et de permettre l’accès des réfugiés au marché du travail. Le coût supporté par l’Etat sera à l’évidence moindre si les demandeurs d’asile et les réfugiés occupent un emploi plutôt que de dépendre de l’aide de l’Etat. L’emploi favorise également la cohésion de la société en encourageant et en renforçant les contacts entre les réfugiés, les demandeurs d’asile et la population locale.
8. L’Assemblée parlementaire estime que, compte tenu de leurs obligations internationales et du cadre juridique européen en vigueur, les Etats membres devraient intensifier leurs efforts pour veiller à ce que les réfugiés – y compris les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire – et les demandeurs d’asile aient accès au marché du travail et y soient mieux intégrés. L’Assemblée recommande plus particulièrement aux Etats membres:
8.1. d’éliminer tous les obstacles juridiques et administratifs qui empêchent les réfugiés d’accéder pleinement au marché du travail et de veiller à ce qu’ils jouissent du droit au travail, en levant notamment les restrictions existantes comme le permis de travail obligatoire, les lourdes procédures bureaucratiques et l’accès secondaire au marché du travail après les ressortissants;
8.2. d’accélérer les procédures d’asile et d’autoriser l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail dans l’attente de la détermination de leur statut, en tenant compte du fait qu’en définitive le demandeur d’asile, le pays d’accueil ou le pays de retour en retireront des bénéfices;
8.3. d’élaborer des politiques et d’allouer des ressources pour accompagner les individus passant du régime de l’asile aux services d’intégration ordinaires. Il conviendra notamment de proposer des cours de langue (généraux et professionnels), une expérience professionnelle, une formation professionnelle, des cours permettant de mieux connaître le marché du travail et la marche à suivre pour postuler à un emploi ainsi que des «plans d’action» individualisés pour l’emploi;
8.4. de simplifier les procédures de reconnaissance et d’homologation des qualifications et des expériences acquises à l’étranger;
8.5. de travailler en collaboration avec les associations d’employeurs et les employeurs, les syndicats et les secteurs privé et bénévole pour mettre sur pied des programmes de placement pour les réfugiés et les demandeurs d’asile qui les aident à s’intégrer sur le marché du travail, à subvenir à leurs propres besoins et à devenir autonomes sur le plan financier;
8.6. d’encourager la diversification des possibilités d’emploi pour les réfugiés en soutenant, par exemple, les initiatives de création d’entreprise;
8.7. d’encourager l’intensification de l’étude et du suivi des besoins des réfugiés et des demandeurs d’asile sur le marché du travail des Etats membres afin de mieux comprendre les disparités observées entre les taux d’emploi des réfugiés, des autres migrants et des ressortissants et d’élaborer des politiques pour combler ce fossé;
8.8. d’échanger des exemples de bonnes pratiques en matière d’intégration des réfugiés et des demandeurs d’asile sur le marché du travail en vue de tirer des enseignements de l’expérience d’autres pays.

B. Exposé des motifs, par M. Chope, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Les Etats membres du Conseil de l’Europe comptent près de 3 millions de réfugiés, parmi lesquels une grande proportion d’individus en âge de travailler 
			(2) 
			<a href='http://www.unhcr.org/statistics/populationdatabase'>www.unhcr.org/statistics/populationdatabase</a>.. Bien qu’il soit de pratique courante d’autoriser légalement les réfugiés à travailler, subsiste, dans la plupart des pays, un écart important en matière d’emploi entre les réfugiés et les ressortissants. La pratique des Etats veut que, contrairement aux réfugiés, les demandeurs d’asile, dans leur grande majorité, ne soient pas autorisés à travailler dès leur arrivée dans un pays d’accueil et doivent attendre que leur demande fasse l’objet d’une décision ou qu’un certain laps de temps se soit écoulé.
2. Le manque d’intégration des réfugiés et des demandeurs d’asile sur le marché du travail peut les obliger à rechercher un emploi les soumettant à des conditions de travail non réglementées, dangereuses, dégradantes et à des formes d’exploitation, pouvant à leur tour les exposer à d’autres risques comme la violence sexuelle et sexiste ou la traite des êtres humains et porter atteinte à différents droits fondamentaux. Ce sont non seulement les individus qui en paient le prix mais aussi les sociétés d’accueil dans la mesure où elles doivent fournir une assistance et des prestations. Par contre, l’octroi du droit de travailler et l’intégration sur le marché du travail dès que possible, profitent aux sociétés d’accueil ainsi qu’aux réfugiés et aux demandeurs d’asile.
3. Le présent rapport s’attachera essentiellement aux réfugiés. Il est toutefois impossible de parler des réfugiés 
			(3) 
			Selon la Convention
relative au statut des réfugiés, un réfugié est une personne qui
«craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de
sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain
groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays
dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte,
ne veut se réclamer de la protection de ce pays» sans inclure les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire ni aborder la question des demandeurs d’asile et de leur droit au travail 
			(4) 
			Un demandeur d’asile
est une personne qui a introduit une demande d’asile et qui attend
une décision de l’Etat ou du Haut Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés (HCR)..
4. Les taux plus élevés de chômage observés chez les réfugiés – que l’on désigne également par «refugee gap» 
			(5) 
			Connor P. (2010), Explaining
the Refugee Gap: Economic Outcomes of Refugees versus Other Immigrants, Journal of Refugee Studies, vol.
23(3); Voir également Ott E. (2013), The labour market integration
of resettled refugees. PDES/2013/16. Genève: HCR – trouvent diverses explications et il y a beaucoup à faire pour faciliter l’intégration de ces personnes sur le marché du travail. Les nouvelles stratégies pour combler cet écart doivent mettre l’accent, d’une part, sur l’employabilité des individus, et d’autre part sur les obstacles personnels et structurels qui entravent l’accès au marché du travail.
5. Les sociétés d’accueil, en favorisant un accès précoce et permanent au marché du travail – juridiquement et concrètement – s’éviteront une longue dépendance à l’égard des finances publiques. Le même argument s’applique aux personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire ainsi qu’aux demandeurs d’asile.

2. Comprendre l’importance du droit au travail

6. Le droit au travail est reconnu à tous, dans beaucoup d’instruments internationaux des droits de l’homme, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, et, en tant que tel, constitue un droit fondamental. Il signifie que toute personne doit avoir le droit d’obtenir un emploi productif sans en être empêché. Le droit au travail est intimement lié à la propriété et à un niveau de vie minimum ainsi qu’à la liberté économique. L’emploi est capital dans la mesure où pour l’individu il signifie revenu, indépendance, statut social et reconnaissance.

«Sans le droit au travail, les autres droits perdent tout leur sens.»

Professeur Louis Henkin, délégué américain à l’élaboration de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés

2.1. Pour les réfugiés

7. Il est essentiel pour les réfugiés d’avoir le droit de travailler et ce pour plusieurs raisons. De nombreuses études ont montré que l’occupation d’un emploi renforçait leur dignité et le respect de soi 
			(6) 
			HCR,
2001, Reception of Asylum Seekers; et Frykman, 2012.. L’emploi permet de donner de l’espoir, de la satisfaction et de rétablir leur sentiment d’estime de soi. L’emploi joue également un rôle important en termes d’intégration, le lieu de travail offrant de vastes possibilités pour «une socialisation positive et une plus grande créativité» 
			(7) 
			HCR,
2007, Note on the Integration of Refugees in the European Union.. Outre un revenu et une indépendance, l’emploi apporte une plus grande autonomie financière et met fin au dénuement économique s’accompagnant souvent de logements insalubres.
8. Tous ces aspects ont un effet général positif sur leur santé et leur bien-être, notamment leur santé mentale, et peuvent jouer un rôle important pour les aider à surmonter des expériences traumatisantes. A cet égard, le Comité exécutif du HCR a affirmé qu’en favorisant très tôt l’autonomie, la durabilité des futures solutions pour les réfugiés s’en trouverait renforcée.
9. En outre, l’accès au marché du travail peut faciliter le retour des réfugiés et leur réintégration dans leur pays d’origine, grâce à l’indépendance financière et aux compétences professionnelles acquises.

2.2. Pour la société

10. Une importante proportion de réfugiés est en âge de travailler (18 à 59 ans) et donner à cette population un accès à l’emploi légal profiterait aux sociétés d’accueil à divers égards. Les réfugiés sont généralement porteurs d’un savoir, de compétences et d’une formation et peuvent aider à combler certains déficits du marché du travail. Si les réfugiés travaillent, cela signifie également qu’ils paient des impôts et achètent des biens et des services, augmentant par là-même les recettes des pays d’accueil. Il convient de noter que les mêmes avantages s’appliquent si les réfugiés retournent finalement (sont rapatriés) dans leur pays d’origine 
			(8) 
			Arnold-Fernández E.E.
et Pollock S. (2013), «Refugees’ rights to work», Forced Migration Review 44, et Ott
E. (2013), «The labour market integration of resettled refugees»,
PDES/2013/16 Genève: HCR. .
11. Si les demandeurs d’asile et les réfugiés n’ont pas le droit de travailler, le risque est grand soit qu’ils recourent au travail informel, soit qu’ils deviennent dépendants de l’aide accordée aux arrivants et d’un soutien à long terme de l’Etat. Ni l’un ni l’autre ne sont souhaitables pour les Etats membres. Il s’agit là de l’une des nombreuses raisons pour lesquelles le HCR affirme qu’il est judicieux d’accorder un permis de travail temporaire aux demandeurs d’asile à l’issue de six mois de résidence dans le pays.
12. L’emploi est un aspect important de l’intégration; il facilite en effet les relations sociales entre les réfugiés et les membres de la société d’accueil, prouvant que l’intégration est une démarche à double sens.

3. Quel est, en droit international, le fondement du droit au travail ?

13. «Nombreux sont les instruments internationaux et régionaux de droits de l’homme et les constitutions nationales qui protègent le droit au travail» 
			(9) 
			Recommandations de
Michigan sur le droit au travail, 31 Michigan
Journal of International Law 289 (2010).. Les principaux instruments juridiques internationaux et régionaux portant sur le droit au travail sont la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (articles 17, 18 et 19), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Charte sociale européenne (STE n° 35), la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (STE n° 93), et la Convention (n° 97) sur les travailleurs migrants (révisée) et la Convention (n°143) sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires) de 1975 de l’OIT 
			(10) 
			Voir
les recommandations de Michigan pour une liste plus exhaustive des
conventions internationales pertinentes..
14. En étroite relation avec le droit au travail et de manière à pouvoir l’exercer, les individus devraient aussi pouvoir intégrer une formation professionnelle et voir leurs diplômes reconnus.
15. Par ailleurs, la Convention relative au statut des réfugiés comporte trois dispositions portant sur le droit au travail. L’article 18 accorde aux réfugiés comme aux demandeurs d’asile le droit d’exercer une profession non salariée; l’article 17, sur les activités salariées, dispose quant à lui que ce droit est élargi aux réfugiés résidant régulièrement sur le territoire, suscitant une certaine polémique, certains arguant que les demandeurs d’asile ne sont dès lors pas concernés. Pour le HCR, «la résidence régulière s’applique également aux demandeurs d’asile qui séjournent dans un Etat où la procédure d’asile excède un délai raisonnable» 
			(11) 
			HCR/Conseil de l’Europe
(2012), «Compte-rendu de conférence: Colloque conjoint du HCR et
du Conseil de l’Europe sur le droit au travail des réfugiés», sous
les auspices de la présidence albanaise du Comité des Ministres, 27 septembre
2012, Strasbourg, France.. L’article 19 régit la reconnaissance des diplômes dans les professions libérales 
			(12) 
			Pour des observations
sur les articles 17, 18 et 19, voir Edwards A., «Article 17», «Article
18», «Article 19», dans Zimmermann A. (ed.), La
Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son protocole
de 1967: A Commentary, Oxford University Press, 2011,
p. 951-972, 973-981 et 983-990, respectivement..
16. Il existe en outre toute une série de droits connexes relatifs aux conditions de travail. Citons notamment les normes en matière de traitement – qui devraient, conformément à l’article 24 de la Convention de 1951, être les mêmes que celles s’appliquant aux ressortissants – les salaires, la sécurité sociale, les conditions de travail, les prestations, la fiscalité, les retraites, etc 
			(13) 
			Voir notamment la Convention
européenne relative au statut juridique du travailleur migrant..
17. Des désaccords persistent sur la mesure dans laquelle ces droits sur le lieu de travail s’appliquent aux réfugiés et aux demandeurs d’asile. Les recommandations de Michigan 
			(14) 
			Les Recommandations
de Michigan constituent la source la plus exhaustive, réunissant
tous les instruments juridiques internationaux et régionaux relatifs
au droit au travail des réfugiés et des demandeurs d’asile. Elles
ont été élaborées par le Colloque sur les défis en droit international
à la Faculté de droit de l’université de Michigan, réunissant d’éminents
experts et universitaires du monde entier., cependant, plaident en faveur d’une interprétation dynamique et libérale du droit au travail «en fonction de l’évolution de la situation» et en vue «de protéger au mieux les détenteurs de ces droits».

«Au cœur même du droit au travail se trouve la liberté de gagner sa vie grâce à un travail librement choisi ou accepté. Ce droit suppose l’accès au marché du travail ainsi que la capacité à s’orienter vers les professions non salariées et les professions libérales. Dans la plupart des instruments de droits de l’homme, cette liberté est énoncée comme un droit universel et est protégée de façon non discriminatoire.»

Recommandations de Michigan, 2009

18. Les droits sur le lieu de travail sont également protégés par plusieurs normes internationales, notamment par les huit conventions «fondamentales» de l’Organisation mondiale du travail (OIT). Celles-ci se fondent sur quatre grandes valeurs, à savoir: 1) la liberté d’association et le droit de négociation collective; 2) l’élimination du travail forcé ou obligatoire; 3) l’abolition du travail des enfants; et 4) l’élimination de la discrimination.
19. La Charte sociale européenne porte sur le droit au travail et énonce, à l’article 1, toute une série d’obligations, parmi lesquelles des efforts en faveur de la création d’emplois, des activités d’orientation et de formation, l’interdiction de la discrimination et la protection des individus contre le travail forcé, la servitude et l’esclavage. En vertu de l’article 1.1, les Etats s’engagent à reconnaître, comme l'un de leurs principaux objectifs et responsabilités, la réalisation et le maintien du niveau le plus élevé et le plus stable possible de l'emploi en vue de la réalisation du plein emploi. Le Comité européen des Droits sociaux considère qu’il s’agit d’une obligation de moyens et que les Etats doivent mener une politique économique propice à la création et à la préservation d’emplois et prendre des mesures appropriées pour aider les personnes au chômage à trouver un emploi ou à acquérir une qualification. L’article 1.2 de la Charte reconnaît à toute personne le droit de gagner sa vie par un travail librement entrepris et a été interprété par le Comité comme supposant l’interdiction de toute forme de discrimination en matière d’emploi, l’interdiction du travail forcé et également l’interdiction de pratiques portant atteinte au droit des travailleurs de gagner leur vie par un travail librement entrepris. Conformément à la Convention de Genève sur le statut des réfugiés de 1951, les Etats doivent garantir aux réfugiés un traitement qui soit aussi favorable que possible et dans tous les cas qui ne soit pas moins favorable que celui requis au titre de la Convention. Il est difficile pour le moment de savoir dans quelle mesure l’article 1 s’applique aux demandeurs d’asile. Certains aspects sont cependant si intimement liés à la dignité humaine (comme l’interdiction du travail forcé) qu’ils pourraient s’appliquer aux demandeurs d’asile conformément à l’interprétation du Comité européen des Droits sociaux.
20. Au titre de l’acquis en matière d’asile, l’Union européenne a adopté, au cours des dix dernières années, plusieurs mesures portant sur le droit des réfugiés d’occuper un emploi. Ainsi, l’article 26 de la directive «Qualifications» 
			(15) 
			La Directive 2011/95/UE
(anciennement Directive 2004/83/CE) du Parlement européen et du
Conseil, 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions
que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour
pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut
uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de
la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, Journal
officiel de l’Union européenne, L 337, Vol. 54, 20 décembre 2011,
p. 9. (révisée, 2011 
			(16) 
			Le Royaume-Uni et l’Irlande
ne participent pas à la refonte de la directive et continueront
d’appliquer l’ancienne directive, tandis que le Danemark ne participe
pas du tout (Mole N., 2013, «Family Migration and Access to Social
and Economic Rights under the Legal Regimes of the EU and the Council
of Europe», IMPACIM. Oxford: COMPAS).) accorde aux réfugiés et aux personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire le plein accès au marché du travail dans des conditions équivalentes à celles applicables aux ressortissants, de même qu’à des possibilités de formation liée à l’emploi. En outre, l’article 28 garantit l’égalité de traitement entre les réfugiés et les ressortissants dans le cadre des procédures existantes de reconnaissance des diplômes, mais demande également que les réfugiés aient la possibilité de se soumettre à une évaluation pour prouver leurs qualifications dans le cas où ils ne seraient pas en mesure de fournir des preuves documentaires de leur formation 
			(17) 
			Directive
2011/95/EU (anciennement Directive 2004/83/EC)..
21. L’autre instrument majeur est l’article 15 de la directive «Accueil» 
			(18) 
			Directive
2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant
des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection
internationale (refonte), Journal officiel de l’Union européenne,
L 180/96, 29 juin 2013. Cette version révisée s’appliquera au plus
tard à compter de juillet 2015. D’ici là, la Directive 2003/9/CE
s’applique et garantit l’accès au marché du travail pour les demandeurs
d’asile dans un délai maximum de 12 mois. (révisée) en vertu duquel les demandeurs d’asile doivent avoir accès au marché du travail dans un délai de neuf mois à compter de l’engagement de la procédure de détermination de leur statut. Toutefois cette directive autorise elle aussi un examen du marché de travail, faisant passer les demandeurs d’asile après les ressortissants et les ressortissants des pays tiers en séjour régulier en matière d’accès à l’emploi.
22. Au-delà de ces directives, la «Commission encourage les Etats membres à accorder aux demandeurs d’asile l’accès [au] marché du travail le plus tôt et le plus largement possible, de manière à favoriser leur intégration et leur autonomie» 
			(19) 
			Parlement européen
(2013), Communication aux membres – Pétition 1690/2012, présentée
par Regine Schlacht (Autriche), sur la formation professionnelle
des demandeurs d’asile..

4. Quelles sont la législation et la pratique dans les Etats membres du Conseil de l’Europe?

4.1. La situation actuelle dans les Etats membres

23. Il n’appartient pas au présent rapport de faire une synthèse complète du droit et de la pratique en vigueur dans les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe en matière de droit au travail des réfugiés et des demandeurs d’asile. Je reviendrai cependant sur quelques-unes des méthodes utilisées par les Etats membres pour appliquer le droit au travail, en premier lieu pour les demandeurs d’asile puis pour les réfugiés et dégagerai ensuite quelques tendances générales 
			(20) 
			Cette
partie s’appuie principalement sur le Réseau européen des migrations
(REM) (2013), «Ad-Hoc Query on access to the labour market for asylum
seekers», 9 avril 2013..
24. La mise en œuvre de la Directive «Accueil» révisée de l’Union européenne 
			(21) 
			Laquelle
entre en vigueur en juillet 2015. devrait contribuer à la normalisation du droit au travail pour les demandeurs d’asile dans l’ensemble des Etats de l’Union européenne 
			(22) 
			Le Danemark, l’Irlande
et le Royaume-Uni ont choisi de ne pas participer à cette refonte.
Dans ces pays, le droit de travailler est accordé aux demandeurs
d’asile à l’issue d’un délai de 12 mois, comme dans la directive
de 2003.. Elle a été élaborée en vue d’harmoniser les conditions de vie des demandeurs d’asile, en veillant à leur offrir des conditions minimales leur garantissant un niveau de vie digne 
			(23) 
			<a href='http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/policies/asylum/reception-conditions/index_en.htm'>http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/policies/asylum/reception-conditions/index_en.htm</a>. . Elle accorde aux demandeurs d’asile le droit de travailler à l’issue d’un délai de neuf mois, que leur demande d’asile ait ou non fait l’objet d’une décision. La Finlande, l’Espagne et la Suède autorisent les demandeurs d’asile à travailler avant la fin de ce délai. La Lituanie n’autorise pas les demandeurs d’asile à travailler, toutefois la procédure de demande d’asile n’est pas censée excéder six mois, aussi reste-t-elle en conformité avec la directive «Accueil» de l’Union européenne.
25. S’agissant des autres Etats membres du Conseil de l’Europe 
			(24) 
			Pour de plus amples
informations, voir le site internet du projet CARIM-East: <a href='http://www.carim-east.eu/'>www.carim-east.eu/</a>. le tableau est plus contrasté. En Arménie, les demandeurs d’asile ont le droit de travailler et ont accès au marché du travail 
			(25) 
			Aghababyan
P. (2013), «Socio-Economic Rights of Refugees, Asylum Seekers and
IDPs in the Republic of Armenia», MPC: CARIM-East Explanatory Note
13/126. et en Ukraine, la constitution accorde également à tous les étrangers en situation régulière le droit de travailler, mais la loi et sa mise en œuvre manquent encore de clarté 
			(26) 
			Union ukrainienne d’Helsinki
pour les droits de l’homme, «Rapport annuel de 2008. Chapitre 19:
Les droits des réfugiés et des demandeurs d’asile».. La Russie en revanche n’octroie pas le droit de travailler sans permis de travail aux demandeurs d’asile en attente d’une décision 
			(27) 
			HCR, Information for
Persons who wish to seek asylum in the Russian Federation.. En Turquie «un demandeur ou réfugié conditionnel peut solliciter un permis de travail à l’issue d’un délai de six mois à compter de l’introduction de sa demande» 
			(28) 
			Grande assemblée nationale
de Turquie, Loi sur les étrangers et la protection internationale,
Loi n° 6458 04/04/2013. et en République de Moldova «un demandeur d’asile a le droit de travailler, sur demande, s’il ne dispose pas des ressources nécessaires à sa subsistance 
			(29) 
			Article 28, Loi relative
à l’asile en République de Moldova, n° 270-XVI du 18 février 2008.».
26. De nombreux Etats membres ont toutefois limité le type d’accès au marché du travail auquel les demandeurs d’asile peuvent prétendre. Il arrive par exemple qu’ils ne soient pas autorisés à exercer une profession non salariée, qu’ils soient cantonnés à des emplois en situation de pénurie ou à certains secteurs ou que leur embauche soit subordonnée à un examen ou une étude du marché du travail 
			(30) 
			Cela signifie que les
ressortissants, les autres citoyens de l’Union européenne et les
ressortissants de pays tiers en séjour régulier sont prioritaires
pour les postes vacants sur le marché du travail. Autrement dit, bien que les demandeurs d’asile aient le droit de travailler au bout de neuf mois dans la plupart des Etats membres de l’Union européenne, dans la pratique, la probabilité qu’ils soient en mesure d’exercer ce droit est beaucoup plus réduite. Certains pays n’autorisent pas l’accès au marché du travail même une fois le délai écoulé, si le retard de la procédure est attribué aux demandeurs d’asile; c’est notamment le cas du Royaume-Uni.
27. Le droit au travail pour les réfugiés sur le territoire étant inscrit dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, tout pays ayant ratifié la convention devrait accorder le droit de travailler aux réfugiés. C’est en général la pratique courante dans les Etats membres de l’Union européenne 
			(31) 
			Edwards A. (2006),
«The Right to Work for Refugees and Asylum Seekers: A comparative
view», HCR, n° 1.. Au-delà de la Convention, «l’UE demande également aux Etats membres d’autoriser les réfugiés reconnus et les bénéficiaires d’une protection subsidiaire à travailler dès l’octroi du statut de réfugié. Le droit de travailler peut également s’appliquer aux personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire ou complémentaire 
			(32) 
			Ibid.».

4.2. Recenser les bonnes pratiques 
			(33) 
			De nombreux
exemples de bonnes pratiques figurent dans le Projet RICE (Refugee
Integration Capacity and Evaluation), qui recense les facteurs propres
aux réfugiés qui contribuent ou font obstacle à leur intégration.
Voir l’étude: <a href='http://www.refworld.org/docid/522980604.html'>www.refworld.org/docid/522980604.html</a>.

28. Dans la mesure où la majorité des Etats membres accordent aux réfugiés le droit de travailler, j’examinerai dans cette partie des exemples de bonnes pratiques qui anticipent et favorisent l’accès et l’intégration des réfugiés sur le marché du travail ainsi que des bonnes pratiques s’appliquant aux demandeurs d’asile.
29. Conformément à la politique de la Suède en matière d’asile, les demandeurs d’asile sont autorisés à travailler immédiatement et perçoivent une indemnité journalière suffisante pour couvrir les dépenses liées à l’achat de vêtements, aux soins médicaux et aux activités de loisir. Si l’asile leur est accordé, les réfugiés se voient offrir des cours gratuits de langue ainsi que des cours sur la culture du pays et l’intégration sur le marché du travail. La Suède reposant sur un Etat providence généreux, des taux élevés d’emploi, y compris pour les réfugiés, sont nécessaires.

«Si vous obtenez un permis [séjour] permanent, vous savez dès lors que c’est là que vous allez être, que c’est là qu’est votre avenir et vous adoptez une toute approche à son égard [la Suède].»

Mikael Ribbenvik, Directeur général adjoint de l’Office suédois des migrations 
			(34) 
			Brenner Y. (2013),
«Sweden’s refugee policy sets high standard. Despite its housing
shortage, Sweden is offering Syrian asylum seekers permanent residence
and a chance to resettle», Aljazeera Features.

30. Les recherches ont montré que de telles politiques contribuaient à la réduction du chômage des réfugiés au cours de leurs 20 premières années en Suède. Il convient toutefois de rappeler que le taux d’emploi des réfugiés reste en deçà de celui des autochtones, et ce essentiellement durant toute la durée de leur séjour en Suède 
			(35) 
			Lundberg, 2013, «Refugees’
Employment Integration in Sweden: Cultural Distance and Labor Market
Performance», Review of International
Economics, 21(2), 219-232. et varie selon le pays d’origine et l’âge des réfugiés à leur arrivée.
31. Wuppertal (Allemagne), Réseau de participation 
			(36) 
			<a href='http://www.partizipation-wuppertal.de/'>www.partizipation-wuppertal.de/</a>.: il s’agit d’un effort de coopération entre les autorités locales et les organisations non gouvernementales (ONG), financé par le ministère fédéral du Travail et le Fonds social européen, visant à aider les demandeurs d’asile et les réfugiés à entrer sur le marché du travail. Le projet a donné de bons résultats en termes d’insertion. Le modèle a également été reproduit dans deux autres villes du pays. Outre les avantages évidents pour les individus qui trouvent un emploi avec l’aide du Réseau, notons le bénéfice financier qu’en retire la ville: il était estimé à € 577 700 fin 2009, € 1 200 220 fin 2007 et € 3 346 560 à la fin août 2013 
			(37) 
			Roddewig-Oudnia
C. (2013), «Integration of Refugees in Work – a benefit for all»,
Webinar, Access to Employment: Connecting Refugees to the Labour
Market..
32. Forum sur l’employabilité (Royaume-Uni) 
			(38) 
			<a href='http://www.employabilityforum.co.uk/'>www.employabilityforum.co.uk/.</a>: il s’agit d’une organisation indépendante œuvrant en faveur de l’emploi des réfugiés au Royaume-Uni. Le forum propose notamment: des cours de langue sur mesure, des informations sur l’accès au marché du travail, l’expérience professionnelle, le bénévolat, les droits, les prestations et l’avancement professionnel. Il accompagne également les demandeurs d’asile dans leur transition vers le régime classique d’aide et les aide à surmonter leurs traumatismes. Il gère également un programme de placement des enseignants pour les réfugiés qui étaient des enseignants qualifiés dans leur pays d’origine et a ainsi contribué avec succès au placement de réfugiés dans des emplois, des formations et des programmes de perfectionnement, notamment de formation d’enseignants 
			(39) 
			Randall B. (2013),
«Access to Employment», Webinar, Access to Employment: Connecting
Refugees to the Labour Market..
33. Programme EQUAL (EC) 
			(40) 
			<a href='http://ec.europa.eu/employment_social/equal_consolidated/activities/etg5.html'>http://ec.europa.eu/employment_social/equal_consolidated/activities/etg5.html</a>. était une initiative financée par le Fonds social européen (FSE) destinée à soutenir les projets transnationaux novateurs visant à lutter contre la discrimination et les inégalités sur le marché du travail et œuvrant en faveur de l’intégration des demandeurs d’asile. Trois enseignements majeurs ont été tirés du programme. Le premier est que l’intégration et l’autonomisation des demandeurs d’asile devraient commencer dès leur arrivée. Le deuxième est que l’emploi des demandeurs d’asile est un élément essentiel de leur intégration et le troisième, que les bilans de compétences peuvent favoriser le retour des groupes vulnérables sur le marché du travail.

4.3. Comparaison avec les Etats-Unis

34. Il est intéressant de noter qu’aux Etats-Unis, les réfugiés et les demandeurs d’asile ont le droit de travailler sans limitation de temps et peuvent prétendre à la délivrance de cartes de sécurité sociale sans restriction en matière d’emploi, sur un pied d’égalité avec les citoyens américains 
			(41) 
			Office of Special Counsel
for Immigration-Related Unfair Employment Practices (OSC), «Refugees
and Asylees Have the Right to Work», U.S. Department of Justice,
Civil Rights Division..
35. Les recherches ont montré que cette pratique ne leur assure pas pour autant de trouver un emploi. L’enquête «New Immigrant Survey» a révélé que leur intégration sur le marché du travail dépendait de toute une série de facteurs, dont les compétences linguistiques, le niveau d’études, les différentes formes de soutien familial, la santé mentale et physique et le type d’habitat et d’environnement dans lequel ils vivent. Cependant, même en tenant compte de ces différences, des disparités en termes de revenus et de réussite professionnelle persistent 
			(42) 
			Connor
P. (2010), op. cit.. L’étude révèle néanmoins que l’écart diminue à mesure que s’allonge la durée de séjour aux Etats-Unis et que s’élève le niveau d’études. Bien que l’on ne dispose de guère d’informations sur l’efficacité des politiques et sur les ressources consacrées à l’intégration des réfugiés sur le marché du travail, ces conclusions laissent penser qu’il ne suffit pas simplement d’accorder aux réfugiés le droit de travailler. Les pays doivent en effet également prendre des mesures d’activation du marché du travail spécialement conçues pour les réfugiés 
			(43) 
			Ott E.
(2013), «The labour market integration of resettled refugees», PDES/2013/16.
Genève: HCR..

5. Quels sont les obstacles au droit de travailler et d’accéder au marché de l’emploi?

36. Comme nous venons de le voir, il existe de nombreux instruments juridiques qui reconnaissent le droit de travailler aux réfugiés et aux demandeurs d’asile mais aussi de nombreux obstacles dans la pratique.
37. L’un des principaux problèmes est le passage du régime de l’asile à la reconnaissance du statut de réfugié. Comme souligné plus haut, le droit de travailler est limité pour les demandeurs d’asile dans la plupart des Etats membres, ce qui signifie que la majorité d’entre eux ne peut exercer une activité et dépend dès lors de l’aide sociale publique. Durant cette période, ils n’ont pour l’essentiel pas accès aux cours de langue, aux autres cours d’enseignement général et aux formations, ne peuvent occuper aucun emploi quel qu’il soit et vivent souvent dans des logements isolés et insalubres. Cette situation peut se prolonger pendant de longs mois (ne pouvant désormais excéder neuf mois dans les Etats membres de l’Union européenne hormis pour les pays qui ont fait un choix contraire) et fait que ces personnes, au moment où le statut de réfugié ou une protection subsidiaire leur est accordé, ne sont pas préparées pour trouver un emploi. Elles ne sont donc pas en mesure de se familiariser avec le marché du travail des Etats membres, manquent de confiance en elles et, si elles ont subi des traumatismes, sont peut-être encore en proie à des troubles mentaux et émotionnels. Par conséquent, même une fois leur statut de réfugié reconnu, il est probable qu’elles continuent à dépendre de l’aide sociale et qu’elles deviennent alors un poids financier pour les villes ou les communes 
			(44) 
			Roddewig-Oudnia C.
(2013), op. cit..
38. D’autres obstacles pratiques se posent aux réfugiés lors de leur recherche d’emploi, une fois le statut accordé: il s’agit de difficultés pour atteindre le niveau de compétences linguistiques requis pour un poste en particulier, pour obtenir la reconnaissance des qualifications obtenues dans leur pays d’origine et pour avoir accès à des services de garde d’enfants et à un logement abordables. Les réfugiés se heurtent en outre à des difficultés liées à leurs employeurs qui méconnaissent leur situation et n’ont parfois pas l’habitude des candidatures atypiques 
			(45) 
			Randall
B. (2013), op. cit..
39. Gardons également à l’esprit que les réfugiés ne débutent pas leur recherche d’emploi sur un pied d’égalité avec les ressortissants. Il est par conséquent essentiel que les Etats membres prennent des mesures afin que le droit au travail soit effectif et réalisable pour eux.
40. Il existe par ailleurs des obstacles d’ordre juridique et administratif, dont j’ai déjà parlé, tels que le permis de travail obligatoire (comme c’est le cas pour les demandeurs d’asile en Belgique), des procédures bureaucratiques ou des dispositions qui donnent priorité aux ressortissants par rapport aux étrangers. Plus particulièrement, il convient toutefois de faire observer que la Convention de 1951 dispense les réfugiés des exigences administratives auxquelles ils ne sont pas capables de satisfaire en raison de leur statut particulier de réfugié (article 6).

6. Opposition entre demandeurs d’asile et réfugiés face au droit au travail

41. Bien que la différence entre demandeurs d’asile et réfugiés face au droit au travail ait été évoquée tout au long du présent rapport, je tiens à souligner que, si de toute évidence les réfugiés vont passer beaucoup de temps, voire leur vie entière, dans le pays qui leur a accordé le statut de réfugié, la logique n’est pas la même pour les demandeurs d’asile. S’ils sont déboutés, ils devront retourner dans leur pays d’origine, sauf si une protection subsidiaire leur est accordée, situation qui peut malgré tout rester provisoire. Par conséquent, nombreux sont les Etats membres qui affirment qu’il n’est pas judicieux d’investir dans des mesures d’intégration pour les demandeurs d’asile tant que l’on ne sait pas s’ils deviendront des résidents à long terme. Certains Etats avancent par ailleurs que l’octroi du droit de travailler aux demandeurs d’asile agira comme un facteur d’attraction supplémentaire, bien que cela ne puisse être clairement démontré.
42. Toutefois, le HCR comme d’autres, font valoir que le fait d’avoir eu accès au marché de travail peut être bénéfique et favorisera leur intégration, s’ils restent sur le territoire, ou leur réintégration, s’ils retournent dans leur pays d’origine. Le fait d’avoir une meilleure situation matérielle et financière, d’acquérir de nouvelles compétences, de jouir d’un meilleur état de santé et de bien-être, profitera à l’évidence à l’individu comme à la société.

«Indépendamment du droit en question, il est parfaitement logique, économiquement et socialement parlant, d’autoriser les demandeurs d’asile, quel que soit leur mode d’entrée ou contexte particulier, à travailler. La participation en tant que membres productifs de la société est essentielle à l’estime de soi et à la dignité et peut de la même manière contribuer à améliorer les relations entre les demandeurs d’asile et la communauté locale.»

Professeur Alice Edwards, HCR 
			(46) 
			Edwards,
2006, «The Right to Work for Refugees and Asylum Seekers: A comparative
view», HCR, n° 1.

7. Conclusions et voie à suivre pour aider les Etats à mettre en œuvre le droit de travailler pour les réfugiés et les demandeurs d’asile

43. Je me suis attaché dans ce rapport au fondement juridique du droit au travail pour les réfugiés et les demandeurs d’asile dans les Etats membres, aux bénéfices que les individus et la société retirent de l’accès au marché du travail et aux divers obstacles qui empêchent actuellement les réfugiés et les demandeurs d’asile de pouvoir pleinement exercer ce droit.

«Une politique qui encourage l’autonomie et diminue la dépendance à long terme à l’égard du pays d’asile ou de l’aide internationale en offrant des possibilités professionnelles, est une politique mutuellement avantageuse pour les réfugiés et les pays d’accueil quelle que soit la solution durable qui sera adoptée en définitive» 
			(47) 
			HCR/Da Costa R.(2006),
«Rights of Refugees in the Context of Integration: Legal Standards
and Recommendations»..

Rosa Da Costa, UNHCR

44. Il est évident que le droit au travail est fondamental pour tout être humain et qu’il revêt une importance particulière pour les réfugiés et également pour les demandeurs d’asile. Il est essentiel pour les aider à surmonter les traumatismes qu’ils ont pu subir, pour parvenir à une indépendance et une autonomie financière et économique et pour restaurer leur estime de soi et leur dignité. Pour la société, l’octroi du droit de travailler aux réfugiés et aux demandeurs d’asile diminue leur dépendance vis-à-vis de l’aide de l’Etat et réduit le risque qu’ils ne deviennent un poids pour les finances publiques. Plus généralement, l’emploi est également essentiel à l’intégration. Quant aux demandeurs d’asile, s’ils sont déboutés, ils seront mieux préparés pour le processus de retour.
45. Les conventions internationales et régionales, ainsi que certains instruments juridiques nationaux, accordent le droit de travailler aux réfugiés et, dans une moindre mesure, aux demandeurs d’asile. Le cadre juridique couvre le droit au travail, les conditions de travail et l’aide sociale. Toutefois, des obstacles d’ordre juridique, administratif et pratique empêchent nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile d’exercer pleinement leur droit au travail.
46. Les Etats membres devraient par conséquent s’efforcer d’éliminer ces obstacles en veillant à un traitement plus rapide des demandes d’asile, en accompagnant les demandeurs d’asile dans leur passage du régime de l’asile aux services d’intégration ordinaire, en mettant à disposition davantage de ressources pour leur intégration, notamment en ce qui concerne les compétences linguistiques, et en favorisant leur accès au marché du travail (en s’attachant à la recherche d’emploi et à l’expérience professionnelle, à la rédaction de CV et de candidatures, à la reconnaissance des précédentes qualifications 
			(48) 
			«En vertu de la nouvelle
Directive “Qualifications”, les Etats membres sont tenus de s’efforcer
de faciliter le plein accès des bénéficiaires d’une protection internationale
qui ne sont pas en mesure de produire les preuves documentaires de
leurs qualifications aux systèmes appropriés d’évaluation, de validation
et d’accréditation de leur formation antérieure.» Parlement européen
(2013), Communication aux membres – Pétition 1690/2012, présentée
par Regine Schlacht (Autriche), sur la formation professionnelle
des demandeurs d’asile. et à la formation utile et nécessaire). A cet égard, une coopération de qualité et des structures solides entre les acteurs aux niveaux national et régional et entre les pouvoirs publics, les organisations et les populations d’accueil sont essentielles. Il est par ailleurs fondamental qu’une législation anti-discrimination soit mise en place.